eJournals Oeuvres et Critiques 39/2

Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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Ce romantisme qui n’en finit pas. La légende d’un peuple de Louis Fréchette

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Lucie Robert
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Œuvres & Critiques, XXXIX, 2 (2014) Ce romantisme qui n’en finit pas. La légende d’un peuple de Louis Fréchette Lucie Robert Louis Fréchette ne s’est guère exprimé sur les circonstances qui l’ont amené à concevoir un long poème épique modelé sur La Légende des siècles de Victor Hugo. On sait que, en 1887, le gouvernement libéral d’Honoré Mercier lui a refusé le poste de chargé d’affaires à Paris. Selon son biographe, Jacques Blais, il part quand même pour Paris, « dans l’intention immédiate d’y mener à bien des projets de publications, et dans l’intention lointaine d’y vivre à demeure 1 ». En juin 1887, il s’installe au Pellerin, près de Nantes, chez Adine Riom 2 , une amie poète qui tient salon et à qui il offre de dédicacer un recueil de poésies intitulé Merlin. C’est là qu’il entreprend la préparation d’un manuscrit composé, pour une moitié, de poèmes déjà publiés dans les périodiques entre 1882 et 1886 et, pour l’autre moitié, de textes nouveaux. L’ouvrage paraît à la Librairie illustrée (Paris), en novembre 1887, sous le titre La Légende d’un peuple. C’est sans doute son préfacier, Jules Claretie, qui introduit Fréchette chez cet éditeur pourtant peu enclin à publier des ouvrages de poésie. Romancier, auteur dramatique, chroniqueur et journaliste, critique de théâtre à L’Opinion nationale, collaborateur au Figaro et au Temps et administrateur général de la Comédie-Française, Claretie fait partie de ces écrivains à qui Fréchette avait envoyé un précédent recueil, Pêle-Mêle, entre 1877 et 1879, et qu’il a rencontrés au cours de son séjour en France 3 . Il a lui-même publié plusieurs ouvrages à la Librairie illustrée, dont une Histoire de la Révolution de 1870-1871 (1877). 1 Jacques Blais, « Fréchette, Louis », Dictionnaire biographique du Canada, vol. XIII, 1901-1910. En ligne. http: / / www.biographi.ca/ fr/ bio/ frechette_louis_13F.html 2 Adine Riom, née Broband (1818-1899), a publié une quinzaine d’ouvrages, poésie, roman et théâtre. La première édition de Merlin paraît chez Alphonse Lemerre en 1872, sous le pseudonyme de Comte de Saint-Jean. La deuxième édition paraît en 1887 chez le même éditeur, mais sous le pseudonyme de Louise d’Isole, avec la mention « Revue et corrigée » et la dédicace de Fréchette. 3 Marie-Andrée Beaudet, « Jules Claretie, lecteur de Louis Fréchette », Questions d’histoire littéraire. Mélanges offerts à Maurice Lemire, sous la direction de Aurélien Boivin, Gilles Dorion et Kenneth Landry, Québec : Nuit blanche éditeur, 1996, p.-121-136. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 51 16.04.15 07: 37 52 Lucie Robert Georges Decaux (1845-1914) est le propriétaire de la maison. Il a racheté le fonds de la Librairie François Polo après la mort de son fondateur en 1874. Il est connu surtout pour ses publications satiriques, en particulier son journal L’Éclipse, et pour ses collections de textes dramatiques (Henri Lavedan ou Georges Feydeau) et de romans destinés à un large public (Jules Mary, Michel Zévaco, Alphonse Daudet) ainsi que pour ses rééditions d’ouvrages en voie de devenir des classiques (Denis Diderot, Théophile Gautier, Alexandre Dumas) 4 . À la fin des années- 1870, il a assuré la réédition de deux romans de Victor Hugo, L’Homme qui rit et Les Travailleurs de la mer. De même, on lui devra au cours des années- 1880, l’édition en volume de Germinal d’Émile Zola et des Nouveaux Contes cruels de Villiers de L’Isle-Adam. L’éditeur montre un goût éclectique, quoique surtout bourgeois, mais il est républicain et proche des théâtres. On voit là ce qui peut attirer Louis Fréchette, soucieux de consolider sa réputation d’écrivain en France et espérant y faire carrière comme auteur dramatique. L’on voit aussi que sa connaissance du milieu littéraire français est médiatisée par les salons de province et les journaux parisiens et qu’il est aussi loin que possible des bohèmes de la modernité poétique, des tenants l’art social et de ces théâtres où s’invente l’art de la mise en scène. La Légende d’un peuple paraît ainsi destinée au public français, ce que tend à confirmer la présence, dans le recueil de deux poèmes en hommage à la France ainsi que l’importance quantitative et la nature anecdotique des 49 notes historiques publiées à la fin du livre. Cependant, l’ouvrage est peu commenté à Paris, et c’est l’histoire littéraire canadienne-française puis québécoise, qui verra dans ce recueil le point culminant de la poésie patriotique au XIX e -siècle. Car Fréchette ne poursuit pas ses démarches dans le milieu littéraire français. En effet, à la suite de problèmes de santé, il rentre au Canada où, après de nombreuses démarches, il obtient en 1889, un poste de greffier dans la fonction publique. La Légende d’un peuple est donc rééditée à Québec et à Montréal, trois fois du vivant de l’auteur (1890, 1897, 1908), et elle est achetée par le surintendant de l’Instruction publique pour être distribuée dans les écoles comme livre de récompense entre 1891 et 1929. Ces rééditions présentent peu de variantes, la principale étant l’insertion en 1897 de deux nouveaux poèmes, « Jolliet », et « Papineau ». L’édition définitive compte 47 poèmes, avec un prologue et un épilogue. La préface de Jules Claretie accompagne toujours ces rééditions, mais elle a changé de fonction. À l’origine destinée à faire valoir le talent d’un nouvel auteur dans le champ 4 Ces remarques ont été établies en compilant les données fournies par le catalogue général de la Bibliothèque Nationale de France. Les noms d’auteurs entre parenthèses sont donnés à titre indicatif. La maison sera rachetée par Jules Tallandier en 1900. Voir Jean-Yves Mollier et Matthieu Letourneux, La Librairie Tallandier, 1870-2000. Histoire d’un éditeur populaire, Paris : Nouveau Monde Éditions, 2011, 450 p.- OeC02_2014_I-116_Druck.indd 52 16.04.15 07: 37 Ce romantisme qui n’en finit pas 53 littéraire français, elle devient, en contexte québécois, mémoire du jugement de la France sur l’œuvre d’un écrivain consacré. La référence hugolienne L’on a très tôt souligné la référence à Victor Hugo et à son poème épique, La Légende des siècles, dont l’intégrale avait paru en 1883, et rien n’interdit de croire que la ressemblance des titres ait pu servir de stratégie de placement dans le milieu littéraire français. La référence hugolienne ne saurait toutefois être réduite à cette analogie. Comme plusieurs de ses compatriotes, Louis Fréchette découvre la littérature à travers la lecture attentive des écrivains français dont les livres traversent l’Atlantique et dont les journaux permettent de suivre la carrière. C’est à distance, hors du centre névralgique que représente Paris, et avec le décalage chronologique qu’impose la circulation internationale du livre, qu’il fait ses classes et médite la chose littéraire. Pour le poète canadien, de quelque trente ans plus jeune que son maître, Victor Hugo représente un modèle voire un paradigme exemplaire. Micheline Cambron a montré l’importance de la figure de Victor Hugo dans le panorama littéraire de la deuxième moitié du XIX e -siècle et nous n’y reviendrons pas ici autrement que pour en rappeler le caractère polémique et souligner avec elle que, outre les filiations thématiques, rhétoriques et stylistiques que l’on pourrait repérer dans ses textes, « la succession des avatars hugoliens incarnés par Fréchette éclaire non seulement ses stratégies institutionnelles, mais, bien au-delà, la transformation de la conception même du littéraire 5 . » Fréchette lui-même signale cette référence à l’attention des critiques. En 1869, dans la préface de la troisième édition de son poème La voix d’un exilé, il écrit : « Nous ajouterons même - ce dont tout le monde s’apercevra facilement, du reste, - que l’idée de La voix d’un exilé n’est pas absolument originale : c’est autant une imitation des Châtiments de Victor Hugo, qu’autre chose 6 . » À cette date, Fréchette n’en est pas à ses premières armes. Avant de quitter Québec pour Chicago, il était déjà bien engagé dans une carrière littéraire qui, comme celle de plusieurs de ses contemporains, se voulait parallèle à une carrière d’homme politique. Sa première pièce, Félix Poutré (1862), avait connu un succès appréciable et les recettes lui avaient permis d’éditer à ses frais son premier recueil de poésies, Mes loisirs (1863). En effet, en l’absence d’éditeur ou de libraire-éditeur prêt à investir dans un recueil 5 Micheline Cambron, « Victor Hugo au Québec », dans Victor Hugo 2003-1802. Images et transfigurations, sous la direction de Maxime Prévost et Yan Hamel, Montréal : Fides, 2003, p.-125. 6 Louis Fréchette, La voix d’un exilé. Poésies canadiennes, troisième édition, Chicago : Imprimerie de « L’Amérique », 1869, p.-4. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 53 16.04.15 07: 37 54 Lucie Robert de poésies, il revient alors aux poètes d’assurer eux-mêmes la publication de leurs recueils. Cet investissement est un geste déterminant dans la trajectoire du poète qui entend imposer sa voix de façon durable sur la scène littéraire. Encore plus significatif est le fait que ce premier recueil ait été suivi de plusieurs autres, désignant par là une carrière plutôt qu’un accident de parcours. Dans le paysage littéraire du siècle, l’on compte sur les doigts d’une seule main les auteurs qui publient de manière continue une œuvre irréductible aux seuls ouvrages de jeunesse : les historiens François-Xavier Garneaur et Henri-Raymond Casgrain ainsi que la romancière Laure Conan. Louis Fréchette est le seul à s’imposer par la poésie. La détermination de Fréchette à envisager la littérature comme une carrière n’apparaît à ses compatriotes qu’après les élections de 1871. De retour au Canada, il pose sa candidature aux élections provinciales dans le comté de Lévis, juste en face de la ville de Québec. Il y fait campagne en dénonçant le Programme catholique des ultramontains et en promouvant l’annexion aux États-Unis. Le journaliste Arthur Buies commente : « Fréchette sort des bornes ordinaires et je puis désormais prédire au pays qu’il vient enfin de surgir un homme, ce dont il avait tant besoin depuis longtemps- […] 7 . Fréchette est défait aux élections. C’est en novembre de la même année qu’il publie sa première Lettre à Basile, en réaction aux Causeries du dimanche de l’ultramontain Adolphe-Basile Routhier, à l’aube d’une redoutable carrière de polémiste. Il y reprend la plume acérée dont il avait usé dans La voix d’un exilé et s’y proclame radicalement républicain et anticlérical : « J’en ai fini avec les ménagements 8 . » De ce point de vue, La voix d’un exilé n’est pas un simple démarquage de l’œuvre de Victor Hugo. Fréchette y célèbre la mémoire des patriotes de 1837 et 1838 (Papineau, Morin, Lorimier, Cardinal, Chénier) et il y fustige hommes politiques conservateurs qui, ayant renoncé aux idéaux de leur jeunesse, auraient trahi leur peuple en collaborant au projet de Confédération canadienne. Or, Fréchette, né en 1839, est trop jeune pour avoir vécu et même pour avoir été témoin des Rébellions. S’il revient sur les événements, c’est, d’une part, que les enjeux politiques soulevés à l’époque conservent leur pertinence et, d’autre part, que la mémoire de ces événements est elle-même devenue un enjeu politique. Cette référence fait de lui un Rouge de teinte écarlate, c’est-à-dire un radical, par opposition au bleu, couleur des conservateurs, voire au mauve des libéraux réformistes. Par son titre même, La voix de l’exilé 7 Arthur Buies dans Le pays, 15 juin 1871, p.-2 ; reproduit dans Chroniques, édition critique par Francis Parmentier, Montréal : Presses de l’Université de Montréal, coll. « Bibliothèque du Nouveau Monde », 1986, tome I, p.-551. 8 Lettre à Alfred Lusignan le 13 février 1867, citée dans Jacques Blais, Hélène Marcotte et Roger Saumur, Louis Fréchette, épistolier, Québec : Nuit blanche éditeur, « Cahiers du Centre de recherche en littérature québécoise », 1992, p.-56. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 54 16.04.15 07: 37 Ce romantisme qui n’en finit pas 55 évoque le thème de l’exil et suggère un parallèle entre l’exil de Victor Hugo à Jersey et le séjour de Fréchette à Chicago qui, de ce fait, prend à rebours une coloration politique. En plaçant ce radicalisme sous le patronage du maître, Fréchette marque à la fois son opposition au pouvoir établi et sa volonté de lier l’écriture et la politique pour se faire entendre par-dessus les vagues conservatrices et faire obstacle à l’ultramontanisme ambiant. Au cours des années qui suivent, la référence hugolienne servira surtout à discréditer Louis Fréchette. Ainsi, William Chapman, qui, en mars 1871, lui avait dédié un impromptu pour célébrer son retour, le prend bientôt à partie. Sa critique devient diatribe dans le pamphlet qu’il fait paraître en 1894 sous le titre Le Lauréat, où il dénonce Fréchette comme plagiaire. Dans un chapitre intitulé « Victor Hugo le petit », il écrit : « M.- Fréchette s’est efforcé toute sa vie d’imiter Victor Hugo, en politique comme en littérature […] 9 ». Plus loin, il ajoute : « [Il] a, par son insignifiance et ses plagiats, rapetissé nos héros, jeté le ridicule sur les actes les plus sublimes de courage et de dévouement dont s’honore notre nationalité, troublé les sources où les poètes de l’avenir auraient pu puiser leurs inspirations pour chanter les gloires d’autrefois […] 10 . » Le jugement de Chapman sera fréquemment repris par la critique littéraire. Dans ce concert hostile, une voix discorde, celle de Marcel Dugas qui, en 1934, publie, à Paris lui aussi, la première étude d’ensemble de l’œuvre de Louis Fréchette pour « […] attirer un moment l’attention sur l’un des aspects de la poésie canadienne à ses débuts, en montrant de quelle façon la sensibilité moderne s’est exprimée par un écrivain qui ne manquait pas de dons poétiques 11 . » De La Légende d’un peuple, il écrit qu’elle est « une sorte de Chanson de Roland qui serait canadienne [dont le titre est] évidemment inspiré de La Légende des siècles de Victor Hugo [et par laquelle] Fréchette va s’employer à annexer l’Amérique ou du moins le Canada à la littérature, à la poésie 12 . » Détrôner les rois au profit du peuple En 1882, débarque à Montréal le général-marquis Athasase de Charrette de la Contrie, fils d’un héros de l’insurrection légitimiste de 1832, petit-neveu d’un héros de la résistance vendéenne à la Révolution, devenu lui-même lieutenant-colonel des zouaves pontificaux. Sa visite procure aux ultramontains une nouvelle occasion de fustiger l’idée républicaine et de réaffirmer leur fidé- 9 Ibid., p.-63. 10 Ibid., p.-322. 11 Marcel Dugas, Un romantique canadien : Louis Fréchette, 1839-1908, Paris : Éditions de La revue mondiale, 1934, p.-9. 12 Ibid., p.-148. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 55 16.04.15 07: 37 56 Lucie Robert lité aux valeurs monarchistes. Fréchette ne résiste pas à la satire et dénonce ceux qui voient dans ce gentilhomme, « le sauveur de la religion, le défenseur du Christ, le bras droit de Dieu, la gloire la plus illustre de notre siècle […] 13 ». Du 1 er juillet 1882 au 3 février 1883, il publie en tranches hebdomadaires un feuilleton satirique intitulé Petite Histoire des rois de France, où il associe le catholicisme et la monarchie sous le sceau de la même imposture et montre que les rois de France, de Childéric à Charles X, n’ont été que des tyrans sanguinaires, rebelles à l’Église. La version condensée des chroniques paraît en brochure au milieu de la campagne électorale de septembre 1883 avec une préface qui explique : « Au lieu de respecter la vérité des faits et de stigmatiser le mal, on accoutume la jeunesse à respecter et à vénérer des hommes qui ont tout simplement été des monstres 14 . » Sans surprise, la critique qualifiera le poète de « traître, de communard ou de Prussien 15 ». Au chapitre V de la brochure, la figure de Louis- XV, « le plus lâche et le plus cynique des rois de France 16 », occupe une place à part, « [c]ar il ne faut pas oublier que c’est par cet illustre aïeul de M. de Chambord, que nos ancêtres ont été abandonnés seuls et sans ressources à toutes les horreurs d’une guerre qui a fait perdre à la France l’un des plus beaux domaines du monde, et à nous notre nationalité française 17 . » La figure de Louis- XV est reprise dans La Légende d’un peuple (« roi lâche, instrument d’un plus lâche entourage 18 ») et elle introduit dans l’œuvre de Fréchette la douleur d’une défaite plus ancienne que celle des rébellions de 1837 et 1838. Ainsi, d’un roi à l’autre, mais à rebours depuis La voix de l’exilé, sont identifiés les ennemis, et c’est la chronologie des défaites aux mains des rois de France et d’Angleterre qui découpe La Légende d’un peuple. Là où La Légende des siècles rappelait l’épopée de l’humanité tout entière, Fréchette expose un projet plus modeste. Il ne couvrira que trois siècles et qu’un seul fragment de cette épopée humaine : le peuple canadien en voie de se constituer en nation autonome. 13 La patrie, 1 e juillet 1882, p.-2. 14 Louis Fréchette, Petite Histoire des rois de France dans Satires et polémiques, édition critique par Jacques Blais, Luc Bouvier et Guy Champagne, Montréal : Presses de l’Université de Montréal, coll. « Bibliothèque du Nouveau Monde », 1993, p.-843. 15 La minerve, 8 août 1882, p.-2. 16 Louis Fréchette, Petite Histoire des rois de France, op.-cit., p.-990. 17 Ibid., p.-991-992. 18 Louis Fréchette, La légende d’un peuple, introduction de Claude Beausoleil, Trois- Rivières : Écrits des Forges, 1989, p.-40. Les paginations données entre parenthèses renverront désormais à cette édition. L’édition originale de La légende d’un peuple est disponible en version numérique, soit à partir du catalogue Iris de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, soit à partir du catalogue Opale de la Bibliothèque Nationale de France. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 56 16.04.15 07: 37 Ce romantisme qui n’en finit pas 57 Ayant détrôné les rois, Fréchette doit mettre en valeur l’option démocratique. Si la satire est apte à détrôner les rois, elle est impropre à mettre le peuple en valeur. L’histoire est le genre que l’on aurait attendu ici et, à la manière de Jules Michelet, Fréchette aurait pu proposer le récit de l’aventure des Français en terre d’Amérique. Or, cette histoire existe : elle est l’œuvre de François-Xavier Garneau, dont l’Histoire du Canada, parue en quatre volumes entre 1845 et 1852, vient de connaître une quatrième édition en 1882. En outre, il faut bien admettre que le genre historique convient mal à la plume de Fréchette, trop acérée, trop encline à la formule de choc pour s’arrêter à la critique des sources et à l’argumentation scientifique. Enfin, l’histoire est un genre narratif étendu et Fréchette s’est surtout illustré dans les genres brefs du poème, du conte et de la chronique. C’est néanmoins sur un poème qui s’intitule « Notre histoire » (p.-37), qui est à la fois l’énoncé du projet et le résumé des grands moments de la destinée du peuple canadien, que s’ouvre La Légende d’un peuple. Le mot histoire- y est entendu d’abord comme le récit qui préexiste et sert de source au poème. L’histoire est d’abord chose écrite, un ensemble de « pages vénérées », qui regroupe les bulletins, annales, archives et feuillets formant le « registre immortel » de l’aventure vécue par « le glaive et la croix, la charrue et le livre, Tout ce qui fonde joint à tout ce qui délivre ». L’ouvrage est divisé en trois époques, moments essentiels dans la reconnaissance de l’existence nationale des Canadiens : le régime français jusqu’à la Conquête, la guerre de Sept Ans et l’époque contemporaine qui s’étend des rébellions de 1837 et 1838 jusqu’aux soulèvements des Métis dans l’Ouest canadien en 1870 et 1884. Comme Garneau avant lui, Fréchette commence son récit avec la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, à l’aube d’une modernité marquée par les valeurs du Progrès, de la Science et des Arts, montrant que l’humanité est en marche vers un avenir dépouillé de l’ignorance et la superstition. L’Amérique précolombienne, celle des peuples autochtones, est renvoyée à un « Ante lucem », titre du deuxième poème de la première époque, « âges sans annales […] pages virginales […] bas-fonds perdus de l’ombre impénétrable » (p.- 45). Ce récit se termine sur la figure de Louis Riel, pendu en 1885 : « Le dernier des martyrs ? … Non pas ; le plus récent ! » (p.- 240) À « Ante lucem » répond, à la fin du recueil, « L’orangisme » (p.-240) qui affirme le retour de l’obscurantisme et d’un présent dysphorique : « Tant que […] nous n’aurons pas […] [a]bandonné […] le dernier de nos droits ; Tant que nous n’aurons pas […]- sacrifié jusqu’au souvenir de la France ; […] On entendra rugir le dragon. » (p.- 240) L’unité thématique de La Légende d’un peuple est donc constituée des événements vécus comme des faits de résistance, dans l’adversité qui, seule, peut instituer le sujet national. L’histoire n’est pas terminée et le récit reste ouvert, sans la conclusion espérée qui confirmerait l’existence nationale du peuple canadien. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 57 16.04.15 07: 37 58 Lucie Robert Hugo aurait d’abord intitulé son ouvrage Petites Épopées. Le titre initial envisagé par Fréchette, Les Épopées nationales, était lui aussi au pluriel. L’usage du pluriel suggère une fragmentation : l’épopée est peut-être nationale, mais elle n’est pas unifiée. Cette unité se conjugue au futur et renvoie à un avenir utopique que le poème appelle, mais n’atteint pas. À sa place, se présentent les fragments que sont les poèmes autonomes, lesquels sont autant de portraits de personnages, individuels ou collectifs, précisent la représentation du peuple que propose Fréchette et qui, chacun à sa manière, montre sa grandeur. Comme le remarquait Berthelot Brunet, La Légende d’un peuple s’apparente aussi bien à la Légende dorée qu’à la Légende des siècles 19 . Ces personnages sont de toutes les classes sociales et ils incarnent des valeurs de liberté, de courage et de résistance. Ils sont explorateurs, militaires et missionnaires, mais aussi cultivateurs, voyageurs et hommes politiques. Certains sont déjà bien connus des historiens, tels les découvreurs et fondateurs (Cartier, Champlain, Maisonneuve, Joliet, Cavelier de la Salle) ou les grands militaires (Montcalm, Lévis et Châteauguay). D’autres sont des personnages secondaires du point de vue de l’historiographie ; ils se sont illustrés par des exploits singuliers contre les Iroquois (Jeanne Hachette de Verchères dans « Première saison », Daulard [sic] des Ormeaux) et l’armée britannique (le chevalier de Sainte-Hélène dans « À la nage ») ou se sont singularisés par leur action et leur parole politique dissidente en contexte canadien (Du Calvet, Papineau, Chénier, Hindelang, Riel). Enfin, une troisième série de portraits ramène à l’avant-plan la notion de légende pour désigner ces héros populaires, parfois anonymes, généralement méconnus et absents des livres d’histoire : Cadieux, Cadot ou Jean Sauriol, par exemple. La représentation de ces héros singuliers alterne avec la représentation de collectivités héroïques et anonymes, tels les missionnaires, morts de faim, de froid, noyés, perdus ou massacrés, mais présentés comme de grands explorateurs, les cultivateurs, « ces enfants du sillon » (p.-38), les rebelles, ceux de Saint-Denis, « [c]es rudes paysans, les yeux brûlés de larmes, Ces opprimés sans chef, sans ressources, sans armes, [qui] Osèrent, au grand jour, pour un combat mortel, Jeter à l’Angleterre un sublime cartel ! … » (p.-42), puis ceux de la Rivière-Rouge, « ces paysans, sans fusils, sans canons, Retranchés sous les bois et dans leurs cabanons, Défendant corps à corps leur franchise usurpée […]. » (p.-233) Le poète lui-même se présente comme une instance qui capte l’héritage de ces personnages qu’il croise au cours de ses pérégrinations comme un promeneur qui arpente le pays à la rencontre des habitants, à peine soucieux des paysages qui se présentent comme des tableaux, à la manière des toiles en 19 Berthelot Brunet, Histoire de la littérature canadienne-française, Montréal : Éditions de l’Arbre, 1946, p.-64. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 58 16.04.15 07: 37 Ce romantisme qui n’en finit pas 59 trompe-l’œil qui font les décors de théâtre. Les plus anciens événements lui sont racontés par un descendant (« c’était mon arrière-grand-père », p.-89) ou un aïeul (« c’est un vieux qui vous parle », p.-212). Quelques-uns sont tirés des livres d’histoires (« Arrêtons-nous devant cette page d’histoire », p.- 151) ou des recueils de contes et de légendes, tel « Cadieux », emprunté aux Forestiers et Voyageurs de Joseph-Charles Taché. Des événements plus récents, le poète a parfois été lui-même le témoin à moins que des acteurs ne les lui aient racontés ou qu’il n’en ait lu le compte rendu dans la presse. Une prairie, une masure, un cimetière sont autant de lieux de mémoire. Telle est par exemple la tombe des « Excommuniés » de Saint-Michel de Bellechasse devant laquelle il s’arrête et se découvre, « Sans demander à Dieu si j’ai tort en cela » (p.-166), pour honorer la mémoire des cinq récalcitrants qui « Après avoir brûlé leur dernière cartouche, Renfermés désormais dans un orgueil farouche, […] Ne voulurent servir d’autre Dieu que la France ! » (p.-164-165) Ainsi est représenté le peuple dans sa légende. Il n’est jamais question, chez Fréchette, de la foule menaçante, proche de la populace, ou de cette faune urbaine qui habite les bas-fonds de la ville. Il aurait fallu pour rendre compte de ce peuple-là écrire un roman à la manière de Charles Dickens, Eugène Sue ou Hugo lui-même, consentir à ce que le peuple soit divisé en classes sociales antagonistes et parler du présent ou de l’horreur contemporaine. Il n’est jamais non plus question d’un peuple triomphant qui aurait surmonté victorieusement les obstacles et qui aurait ainsi accédé à son destin. La légende du peuple est au contraire celle des défaites répétées, mais assumées comme autant d’occasions de réitérer la valeureuse résistance. Nous sommes ici dans la logique du Qui perd gagne, où la défaite est garante de la valeur et permet au peuple de s’ériger en sujet de sa propre histoire, envers et contre tous les obstacles. Car, contrairement à la plupart de ses contemporains, Louis Fréchette refuse toute histoire providentielle. Dans La Légende d’un peuple, Dieu est témoin, oui, sans doute (« Ils ont, sous l’œil de Dieu, fait voile à l’aventure », p.- 38), mais il n’est pas le maître de cette histoire résolument laïque, ni même le sujet d’une action où les forces du mal représentées par Satan ou par une autre figure démoniaque agiraient comme contre-pouvoir. Quand la croix est plantée, c’est à côté du drapeau, et non au-dessus. À la France C’est donc d’abord dans la tension entre la totalité de l’histoire et la fragmentation qu’entraîne la succession de poèmes, dans cette totalité appréhendée sur le mode du fragment ainsi condamné à l’inachèvement, que se construit La Légende d’un peuple. Mais il y a plus et un système d’enchâssements succes- OeC02_2014_I-116_Druck.indd 59 16.04.15 07: 37 60 Lucie Robert sifs rend plus complexe la saisie du projet de Fréchette. Le récit premier (celui du peuple) est compris entre le poème programme intitulé « Notre histoire » et deux poèmes bilans, à visée testamentaire. En amont, l’œil du poète adopte un point de vue européen pour synthétiser le sens de l’aventure américaine. Accostant après un long voyage, « Nos marins jettent l’ancre au port de l’avenir ! » (p.-44) En aval, le poète adopte un point de vue canadien en s’adressant à son fils. Ainsi, le poème qui suit « L’orangisme » est intitulé « Le drapeau anglais » (p.- 242), dont on rappellera qu’il porte la croix de saint Georges, vainqueur du dragon. Le poète l’a reçu de son père (« Regarde, me disait mon père »), titulaire de l’autorité politique, qui rappelle que « s’il nous fut injuste, Il a su le faire oublier. » (p.- 243) Le poème suivant, « Nos trois couleurs », figure le drapeau français que le poète transmet à son fils : « Ce drapeau, mon enfant, c’est celui de ta mère ! » Cette première structure d’enchâssement est elle-même encadrée par un prologue intitulé « L’Amérique » et un épilogue intitulé « France ». Au départ, la découverte de l’Amérique fait « surgir un nouveau monde Pour rajeunir le monde ancien. » (p.- 29) Elle est décrite comme une utopie, c’est-à-dire comme « un port sublime où tout le genre humain Avec fraternité pût se donner la main. » (p.-31) La suite du récit montrera bien entendu qu’il n’en était rien et, à la fin, la France, figure maternelle, se voit depuis l’Amérique, investie d’une mission sacrée : « Tu prendras par la main la pauvre humanité […] Et tu la sauveras par la concorde sainte, Par la sainte fraternité ! » (p.-256) Cette référence à la France, comme mère-patrie, après plus d’un siècle de domination britannique, conserve un aspect troublant. En effet, par le recours à l’utopie et à la légende, qui sont des refuges hors de l’histoire, la collectivité prend ses distances par rapport aux événements et aux défis qui la sollicitent immédiatement. Or, c’est au contraire par l’engagement « en situation » que Fréchette entend prendre position dans le champ littéraire. Sans doute, pour saisir le sens de ce paradoxe apparent, faut-il revenir un instant à toutes ces références à la France de 1870, victime de la guerre franco-prussienne, qui parsèment La Légende d’un peuple. Le poème intitulé « Vive la France », par exemple, commence ainsi : « C’était après les jours sombres de Gravelotte : La France agonisait. » (p.-225) On pleure alors à Québec, raconte le poète, dans « le faubourg Saint-Roch, où vit en travaillant Une race d’élite au cœur fort et vaillant. » (p.-227) En chantant la Marseillaise, un forgeron en tête, ce peuple « Gagn[e] la haute ville, et se ru[e] en foule Autour du consulat » (p.-228) pour s’engager si nécessaire. Peut-on ici établir un parallèle entre « ce poème naïf, douloureux et touchant » (p.- 226) que le consul de France raconte au poète en pleurant, et cette autre mobilisation qui, un peu plus tôt et sans doute au même endroit, réunissait les zouaves pontificaux en un corps d’armée voué à la défense des États pontificaux menacés par les troupes de Garibaldi ? Ces zouaves sont absents du texte de Louis Fréchette, mais ils sont bien présents OeC02_2014_I-116_Druck.indd 60 16.04.15 07: 37 Ce romantisme qui n’en finit pas 61 dans la mémoire collective en France comme au Québec, de sorte que le procédé poétique, qui remplace un événement célébré par les ultramontains, par un événement vécu douloureusement par les républicains, s’apparente à la prétérition. La France de Fréchette ne saurait être la France des origines, celle de Louis XV ou celle de Voltaire. Ce système d’enchâssements multiples fonctionne à la manière de boîtes gigognes. Il entraîne son lot de mises en abyme et d’anachronismes, qui laissent deviner un peu partout les enjeux contemporains à l’origine de La Légende d’un peuple. Il crée aussi un va-et-vient entre les deux continents, rendu possible par le dédoublement de la figure du poète. Maximilien Laroche 20 a bien montré comment, dans le prologue, une sorte de flash-back transporte le poète là-bas et l’engage à adopter le point européen sur la découverte de l’Amérique, et comment l’épilogue traduit un changement d’angle de vision correspondant à une rotation sur soi qui engage le poète à adopter un point de vue canadien sur le rôle politique et international de la France contemporaine. Ce mouvement est rendu possible par le dédoublement de la figure du poète, à la fois le père et le fils, à la fois l’Européen et le Français, qui crée l’unicité du point de vue narratif et donne une cohésion à l’ensemble, bien que cette cohésion paraisse reposer sur un paradoxe puisque, des deux côtés de l’Atlantique, l’histoire est la même. Pourtant attentif à construire l’avenir de son pays, Fréchette peut ainsi sans sourciller dédier La Légende d’un peuple « À la France » et écrire : « J’ose cependant, aujourd’hui apporter une nouvelle page héroïque à ton histoire déjà si belle et si chevaleresque. » (p.-25) Ce vers, en particulier, a déconcerté la critique. En effet, la deuxième moitié du XIX e est précisément celle qui travaille à l’institution d’une littérature nationale autonome de même manière que les historiens de la première moitié du siècle, François-Xavier Garneau par exemple, avaient travaillé à faire reconnaître sur la scène internationale l’autonomie nationale des Canadiens. Or, le vers de Fréchette propose, au contraire, de loger la littérature canadienne-française à l’enseigne de la France. Rechercher la reconnaissance littéraire en France pour un ouvrage qui raconte la-légende du peuple canadien crée en effet un autre étonnant paradoxe, homologue à celui qui soumet la légende du peuple canadien à la sanction de la France. Toute la carrière de Fréchette tend vers la reconnaissance de l’autorité institutionnelle du champ littéraire français. 20 Maximilien Laroche, « Lecture filmique de La Légende d’un peuple », dans Solitude rompue, textes réunis par Cécile Cloutier-Wojciechowska et Réjean Robidoux en hommage à David M. Hayne, Ottawa : Éditions de l’Université d’Ottawa, coll. « Cahiers du CRCCF », 1986, p.-208-213. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 61 16.04.15 07: 37 62 Lucie Robert Fernand Dumont 21 rappelle que la question centrale qui se pose à tout écrivain canadien qui entend faire carrière en cette fin de siècle est de savoir comment se situer par rapport à la littérature française : imiter et alors se condamner à une sorte de sous-littérature toujours en retard d’une génération ? ou accentuer la couleur locale et se condamner à la consommation intérieure ? Dans La Légende d’un peuple, Louis Fréchette mène ces deux stratégies de front, comme François-Xavier Garneau l’avait fait avant lui. Il pousse cependant un cran plus loin en déployant l’audace de faire publier son livre à Paris et de l’y soumettre tant à la critique qu’au lectorat comme s’il cherchait à faire une sorte de pied-de-nez à cette institution littéraire canadienne, naissante il est vrai, mais déjà engoncée dans un conservatisme qui refuse l’autonomie à l’imagination, qui se méfie de la fiction, qui n’accepte guère que l’on déborde des règles du classicisme et qui en est encore à douter de la valeur esthétique de l’œuvre de Victor Hugo. Toute la critique littéraire tend à réitérer ces valeurs alors le poète réclame le pouvoir de dire et celui d’inventer. Fréchette n’en est pas encore à réclamer la liberté de l’art pour l’art - il est trop politiquement engagé pour y parvenir -, mais il prétend à la liberté dans l’art et il en appelle, contre le milieu littéraire canadien, à la France laïque, républicaine et contemporaine. N’a-t-il pas aussi brigué - et obtenu - le prix Montyon de l’Académie française (1880), prix accordé au rayonnement de la langue française hors de France, et n’a-t-il pas été nommé officier de l’Académie (1883) ? Son écriture porte la trace de ces dysfonctionnements, contradictions et paradoxes qui témoignent de ce programme impossible à réaliser dans ces termes, qui déconstruisent la cohérence de œuvre, mais qui, par cela même, révèlent les contradictions et conflits de cette fin de siècle. Ils ont nui à la réputation littéraire de Fréchette, en particulier cette référence à un Victor Hugo vieillissant et à un romantisme déjà alors un peu vieux jeu, trop ou pas assez moderne selon que l’on se place à droite ou à gauche. De ce romantisme, il crée néanmoins les conditions de dépassement, sans se donner les instruments pour le réaliser lui-même. Il faudra pour cela une nouvelle génération d’écrivains, dégagés du poids de la mémoire politique et distants de l’autorité religieuse, moins préoccupés de la survivance nationale. Aussi La Légende d’un peuple est-elle considérée par l’historien David Hayne comme « le principal recueil de vers du XIX e siècle canadien-français 22 ». Hélas, ajoute-t-il. 21 Fernand Dumont, Genèse de la société québécoises, Montréal : Boréal, 1993, p.-315. 22 David Hayne, « La légende d’un peuple, de Louis Fréchette », Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome I, 1980, p.-445. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 62 16.04.15 07: 37