eJournals Oeuvres et Critiques 39/2

Oeuvres et Critiques
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Narr Verlag Tübingen
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Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées: La réception du romantisme par Henri-Raymond Casgrain et Adolphe-Basile Routhier

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Dorothea Scholl
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Œuvres & Critiques, XXXIX, 2 (2014) Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées : La réception du romantisme par Henri-Raymond Casgrain et Adolphe-Basile Routhier Dorothea Scholl Adolphe-Basile Routhier (1839-1920) est connu comme l’auteur du texte de l’hymne national « Ô Canada ». Son œuvre comporte deux romans, un drame historique, des poèmes, des fragments autobiographiques et récits de voyage, des écrits apologétiques, des conférences et discours de circonstance ainsi que des essais théologiques et des critiques littéraires. Cette œuvre assez vaste est aujourd’hui tombé dans l’oubli. Dans les histoires littéraires, Routhier est absent - à moins qu’on lui consacre une petite place qui n’est pas une place d’honneur. 1 Les textes de Routhier s’inscrivent dans l’entreprise générale de sa génération visant à créer une littérature nationale ayant un caractère propre. Parmi les initiateurs de ce mouvement fut l’abbé Henri-Raymond Casgrain (1831-1904) avec ses Légendes canadiennes (1861). Dans son essai « Le Mouvement littéraire du Canada » (1866), où l’inspiration romantique se révèle par un langage poétique et une nouvelle approche à la nature du Canada, Casgrain préconise une littérature à l’image du pays et de son peuple fondateur : Si, comme cela est incontestable, la littérature est le reflet des mœurs, du caractère, des aptitudes, du génie d’une nation, si elle garde aussi l’empreinte des lieux, des divers aspects de la nature, des sites, des perspectives, des horizons, la nôtre sera grave, méditative, spiritualiste, religieuse, évangélisatrice comme nos missionnaires, généreuse comme nos martyrs, énergique et persévérante comme nos pionniers d’autrefois ; 1 « […] Comme la plupart des écrivains canadiens, Routhier aimait à voyager et, comme la plupart des écrivains canadiens, il aimait à raconter ses voyages, dans des volumes qu’il eut le mauvais goût de publier. Cependant, ce qu’il écrivit de plus mauvais, ce furent ses romans messianiques et apostoliques […]. Quoi qu’il en soit, le tableau de la littérature canadienne serait incomplet, si l’on y faisait surgir dans un petit coin cette figure, pittoresque au demeurant. » Berthelot Brunet, Histoire de la littérature canadienne-francaise (Montréal : Éditions de l’Arbre, 1946), BEQ, Volume 189, août 2002, p.-36. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 83 16.04.15 07: 37 84 Dorothea Scholl et en même temps elle sera largement découpée, comme nos vastes fleuves, nos larges horizons, notre grandiose nature, mystérieuse comme les échos de nos immenses et impénétrables forêts, comme les éclairs de nos aurores boréales, mélancolique comme nos pâles soirs d’automne enveloppés d’ombres vaporeuses - comme l’azur profond, un peu sévère, de notre ciel -, chaste et pure comme le manteau virginal de nos longs hivers. Mais surtout elle sera essentiellement croyante, religieuse ; telle sera sa forme caractéristique, son expression : sinon elle ne vivra pas, elle se tuera elle-même. C’est sa seule condition d’être ; elle n’a pas d’autre raison d’existence ; pas plus que notre peuple n’a de principe de vie sans religion, sans foi ; du jour où il cesserait de croire, il cesserait d’exister. Incarnation de sa pensée, verbe de son intelligence, la littérature suivra ses destinées. 2 Aux yeux de l’abbé Casgrain, le trait distinctif des Canadiens francophones et de leurs créations littéraires résiderait avant tout dans une spiritualité qui fait contrepoids au « réalisme moderne, manifestation de la pensée impie, matérialiste ». 3 Routhier adopte ce point de vue antithétique et l’applique d’une manière encore plus radicale que Casgrain à un système d’évaluation et de création qui n’admet que le critère d’une catholicité dite « orthodoxe » qu’il pose lui aussi comme condition absolue de la survie du peuple et de sa littérature au Canada. D’un point de vue idéologique, les positions de ces deux auteurs catholiques se ressemblent à première vue. Elles semblent représentatives de tout un courant d’idées qui construit l’image d’une patrie pure, sainte et spirituelle opposée au « libéralisme » européen et au « matérialisme » américain. 4 Mais quand on regarde de près, on aperçoit des différences significatives, différences qui se révèlent surtout quand on examine les attitudes de ces deux auteurs catholiques face au romantisme. L’analyse de leur réception du romantisme permet de mieux comprendre le romantisme en tant que mou- 2 Henri-Raymond Casgrain, « Le mouvement littéraire du Canada » [Œuvres complètes, vol. I, Québec : Typographie de C. Darveau, 1873, p.- 369], cité ici d’après Yvan Lamonde et Claude Corbo (Éds.), Le rouge et le bleu : une anthologie de la pensée politique au Québec de la Conquête à la Révolution tranquille. Choix de textes et présentation par Yvan Lamonde et Claude Corbo, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 1999, pp.-215-220, ici p.-216. 3 Ibid. 4 Cf. p.ex. Dorothea Scholl, « Nation, patrie, religion, culture - la littérature francocanadienne à l’épreuve de la littérature comparée », dans Interlitteraria 19/ 1 : National Literatures and Comparative Literary Research, Tartu, University of Tartu Press, 2014, pp.-54-69, ici pp.-58-59. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 84 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 85 vement d’idées et de sensibilité et en tant qu’attitude dans le monde et face au monde. Elle permet aussi de mieux cerner les implications esthétiques et idéologiques du romantisme au Canada au seuil de la modernité. Dans la suite, nous allons examiner les deux attitudes successivement. La défense et illustration du romantisme : Henri-Raymond Casgrain Pour la génération de Casgrain, le romantisme a joué un rôle important dans la perlaboration du passé et l’approche au présent. Comme les romantiques en Europe, les auteurs canadiens tels que Garneau, Casgrain et Crémazie construisent à travers l’historiographie, la littérature et la critique littéraire une identité collective dite « nationale ». Comme les romantiques en Europe, ils créent des cercles littéraires qui leur permettent de s’échanger sur leurs concepts et leurs productions ainsi que sur les romantiques européens dont les œuvres, souvent transmis par des voyageurs ou des médiateurs venus de France, circulent déjà bien avant l’arrivée de la « Capricieuse » en 1855. 5 Dans ses Souvenances canadiennes, Casgrain souligne l’influence de ses « dieux littéraires » Chateaubriand et Lamartine dont il avait appris « par cœur plusieurs milliers de vers ». 6 L’intériorisation de romantiques européens l’amène à une nouvelle perception et une nouvelle expression de l’intériorité. Dans ses Biographies canadiennes, Casgrain cite une lettre de son ami Octave Crémazie qui jette une lumière sur sa propre réception des romantiques français : […] j’aime de toutes mes forces cette école romantique qui fait éprouver à mon âme les jouissances les plus douces et les plus pures qu’elle ait jamais senties. Et encore aujourd’hui, lorsque la mélancolie enveloppe mon âme comme un manteau de plomb, la lecture d’une méditation de Lamartine ou d’une nuit d’Alfred de Musset me donne plus de calme et de 5 Cf. p.ex. les titres dans le Catalogue méthodique des livres de la bibliothèque de l’Institut canadien de Québec, Québec : De l’imprimerie d’Augustin Côté & Compagnie, 1852 [i.e. 1854]. Voir aussi Jean Charbonneau, Des influences françaises au Canada, t. II : Études et problèmes. Avant et depuis la cessation. Montréal : Beauchemin, 1918, p.-VIII, p.-58 ; Laurence-Adolphus Bisson, Le romantisme littéraire au Canada, Paris : Droz, 1932 ; Séraphin Marion, « ‘La Capricieuse’ et l’histoire littéraire du Canada français », dans Séraphin Marion, Les Lettres canadiennes d’autrefois, Hull : Éditions de l’Éclair et Ottawa : Éditions de l’Université, t. 4. 1944, pp.-109-142 et les études rassemblées par Maurice Lemire (dir.), Le Romantisme au Canada, Québec : Nuit blanche, 1993 ; Daniel Perron, « Émergence d’une littérature nationale : Napoléon Aubin », dans Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec, n° 65, 2001, p.-52. 6 Souvenances canadiennes II,61, cité par Manon Brunet, « Mémoires et autobiographie dans les Souvenances canadiennes de Henri-Raymond Casgrain », dans : Voix et images, vol. 35,3 (105), 2010, pp.-83-98, ici p.-93. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 85 16.04.15 07: 37 86 Dorothea Scholl sérénité que je ne saurais en trouver dans toutes les tragédies de Corneille et de Racine. Lamartine et Musset sont des hommes de mon temps. Leurs illusions, leurs rêves, leurs aspirations, leurs regrets trouvent un écho sonore dans mon âme, parce que moi, chétif, à une distance énorme de ces grands génies, j’ai caressé les mêmes illusions, je me suis bercé dans les mêmes rêves et j’ai ouvert mon cœur aux mêmes aspirations pour adoucir l’amertume des mêmes regrets. 7 Comme pour Crémazie, le romantisme européen est une révélation pour Casgrain, une éducation sentimentale qui s’exprime par un style différent de celui des classiques. Casgrain perçoit son passé et son présent à travers le prisme de la sensibilité romantique qui parfois prend même des accents de la modernité baudelairienne. Comme les romantiques en Europe et suivant leur exemple, il remonte aux sources de l’imaginaire. Avec ses écrits historiographiques et biographiques comme l’Histoire de la Mère Marie de l’Incarnation, première supérieure des Ursulines de la Nouvelle-France, précédée d’une esquisse sur l’histoire religieuse des premiers temps de cette colonie (1864), il plonge aux sources des commencements de la colonie. Il ne s’agit pas d’une sobre relation de faits historiques. Avec son imagination romantique, Casgrain cherche à pénétrer l’âme de son héroïne. Tout dix-septiémiste ayant lu les lettres de Marie de l’Incarnation s’étonnera de cette interprétation romantique. Casgrain transforme et travestit l’histoire en légende, et, comme il l’affirme lui-même dans sa préface aux Légendes canadiennes : « Les légendes sont la poésie de l’histoire ». 8 Comme Michelet en France, Casgrain plonge dans le passé et « poétise » l’histoire par l’imagination. À l’instar du grand historien romantique français, il conçoit l’historiographie comme une « résurrection » du passé. Ainsi dit-il à propos de l’historien Francis Parkman : M. Parkman appartient à l’école romantique. L’histoire, telle qu’il la conçoit, n’est pas un squelette desséché qu’on exhume de la tombe ; c’est une ombre évanouie qu’elle doit ressusciter, revêtir de chair et de muscles, animer d’un sang vermeil, et faire palpiter d’un souffle immortel. 9 7 Octave Crémazie, Lettre à Casgrain du 20 janvier 1967, cité dans Casgrain, Biographies canadiennes, t. II, Montréal : Beauchemin, 1897, p.-374. 8 Henri-Raymond Casgrain, Légendes canadiennes (Québec : L’Atélier typographique de J.T. Brousseau, 1861), BEQ, Volume 124 : version 1.0, novembre 2001, p.-6. 9 Henri-Raymond Casgrain, Biographies canadiennes, II, Montréal : Beauchemin, 1897, p.- 305. Sur la conception visionnaire de l’histoire chez Michelet voir Dorothea Scholl, « Visions de la Renaissance et du Baroque chez Michelet », dans L’Historiographie romantique, sous la direction de Francis Claudon, André Encrevé et Laurence Richer, Paris : Éditions Bière, 2007, pp.-29-45, ici « Historiographie et OeC02_2014_I-116_Druck.indd 86 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 87 Avec ses biographies, Casgrain « ressuscite » aussi les auteurs romantiques contemporains comme Philippe Aubert de Gaspé (1786-1871) et crée comme celui-ci dans Les Anciens Canadiens (1863) des lieux de mémoire pour la postérité. Avec ses Légendes canadiennes (1861), à l’exemple des collectionneurs de contes de fée en Europe, il se tourne vers la mémoire orale pour récupérer le patrimoine folklorique et pour enrichir le Répertoire national de James Huston. Dans Critique littéraire, Casgrain retrace l’évolution de la littérature canadienne française depuis Champlain jusqu’à ses contemporains. Comme Victor Hugo dans la Préface de Cromwell, il propose une théorie organique de l’évolution de la littérature. Ainsi, le Répertoire national marque « l’enfance » et le « printemps » de la littérature canadienne française : Tout humble et imparfait que soit ce recueil, il s’en échappe une fraîcheur de jeunesse, une odeur de printemps, de fleurs à demi écloses - fleurs des champs, fleurs des bois, si vous voulez, - pâles et parfois étiolées, mais dont la vue fait du bien à l’âme, parce qu’elle fait naître notre espérance. Ces fleurs hâtives annoncent la saison printanière, la première floraison. […] Le peuple tout jeune qui parle, qui chante, qui pense dans le Répertoire National, ressemble à cet enfant qui se regarde, et s’écoute vivre. 10 Comme Baudelaire dans les Fleurs du mal, où la métaphore des fleurs est polysémique, Casgrain utilise la métaphore conventionnelle des fleurs pour caractériser un recueil littéraire. Tandis que dans les Fleurs du Mal et aussi dans les lettres et écrits autobiographiques de Baudelaire, le « mal » des temps modernes est intériorisé par le Moi lyrique mis en scène comme un être déchiré entre le haut et le bas, le sacré et le profane, et incapable de se libérer des forces du mal pour accéder au bien idéal, Casgrain, tout en étant conscient de la « séduction » par les forces du mal et tout en utilisant le même genre d’antithèses, présente une psychomachie d’où l’individu sort vainqueur et devient ainsi un héros modèle d’identification qui triomphe des forces du mal qui l’entourent. Dans le récit intitulé Fantaisie et inséré aux Légendes canadiennes, Casgrain adopte la rhétorique antithétique des romantiques français comme Victor Hugo ou Alfred de Musset et oppose la « sainte patrie » associée à l’enfance et au paradis à une Europe impie et corrompue associée à l’enfer. Ces archétypes qui créent l’image stéréotypée d’une Europe dangereuse vision : Le concept de résurrection ». Sur le rapport conflictuel entre Casgrain et Parkman cf. Maurice Lemire, « Henri-Raymond Casgrain, historien », dans Voix et Images vol. 22, n° 2, (65) (1997), pp.-261-275. 10 Casgrain, Critique littéraire, Québec : C. Darveau Imprimeur-Éditeur, 1871, pp.-26-27. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 87 16.04.15 07: 37 88 Dorothea Scholl pour le salut de l’âme visent à freiner le désir du lecteur de quitter le Canada pour partir en Europe ou ailleurs. Le style de ce texte est profondément romantique. Le narrateur est présenté comme un être déchiré entre la douce voix du fleuve Saint-Laurent et l’appel séducteur de l’Europe qu’il écoute, ce qu’il finit par regretter avec amertume : « Ah ! pleurons ensemble ; - car nos âmes déchues une fois chassées par les ans de cet Éden enchanté de la vie, n’y retournent jamais ! » (LC p.-98) L’innocence originelle est à jamais perdue. L’Europe apparaît comme un monstre grotesque qui s’empare du narrateur pour l’entraîner dans l’abîme du mal. Cette descente aux enfers fait penser à l’imaginaire baudelairien : les villes européennes sont « d’impures cités d’où s’exhalent incessamment des miasmes qui donnent la mort » (LC p.- 144) ; la société européenne est un « spectre aux formes grêles, au front imbécile, au teint hâve et livide, au regard glauque et vitreux, suant le vice et la débauche à travers une peau voltairienne » (LC p.- 144). La métaphore de ce monstre engendré par Voltaire est encore prolongée : Le voyez-vous, là-bas, branlant une tête décrépite, ivre du vin de tous les crimes, et cheminant à travers le siècle en écorchant, à chaque pas, ses membres chancelants sur les débris des croix et des sceptres ? Entendez-vous au sein de la nuit, sa voix qui tinte comme un glas funèbre, bavant d’une lèvre édentée le blasphème et le sarcasme […] (LC p.-144) La fin du récit prend une teinture apocalyptique : épouvanté, le narrateur se décide de fuir l’Europe, « cette terre maudite de crainte d’être enveloppé dans le châtiment terrible qui va fondre sur elle. […] C’est le feu du ciel qui va consumer Sodome » (LC p.-147). 11 Le retour au Saint-Laurent, « l’un des plus beaux fleuves du monde Relations des Jésuites) » (LC p.-148) et à la « grandiose nature » des Laurentides est décrit en termes hyperboliques. Le narrateur découvre et fait découvrir le romantisme sublime de la nature du Canada qu’il humanise au moyen d’anthropomorphismes : Laissez-moi vous dire la grandiose nature, - les éblouissantes perspectives, - la verdoyante chevelure des collines, où perlent encore les sueurs de l’aurore que le rayon matinal essuie d’un regard et où l’on croit voir encore fuir l’Iroquois à l’angle des bois ; - et les horizons vermeils, dernières limites du monde au-delà desquelles s’étendent des pays inconnus ; terrae ignotae, comme disaient les anciens ; - mystère qui prête une singulière grandeur à tout le paysage. (LC p.-113) 11 Notons que la littérature européenne n’est pas exempte elle non plus de ce genre d’antithèses simplistes et stéréotypées. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 88 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 89 De même, la ville de Québec, « Stadaconé », est humanisée et apostrophé comme la ville la plus agréable du monde : « Non, les plus belles cités de la vieille Europe ne valent pas un seul de tes regards. Naples même ne salue pas le voyageur d’un plus sémillant sourire. » (LC p.-114) Ce voyage initiatique aboutissant au retour à la patrie vénérée désormais est justifié comme une mise en abyme de la narration des légendes canadiennes recueillies par l’auteur. C’est par le retour aux sources que l’inconscient collectif - dont les légendes sont l’expression - peut resurgir à la surface, même si la pureté des origines est lointaine : Maintenant, fière Stadaconé, laisse-moi te dire cette antique légende, pleine de larmes, de mystère et d’horreurs, qui te fit jadis tressaillir dans ton berceau, un de ces jours où, confiante, tu sommeillais encore sous l’aile maternelle. Ah ! c’est une tant vieille légende que je ne sais vraiment si je puis vous la raconter. Elle est toute envieillie dans mon cœur : Pauvre feuille morte, emportée par le vent de la vie, à peine puis-je aujourd’hui la distinguer au fond de ce lac de pleurs que creuse en mon âme le flot des jours amers. (LC p.-114) Toute la tonalité des Légendes canadiennes est teintée de romantisme : la nostalgie et la mélancolie de l’individu coupé de ses origines, autoréflexif, solitaire, inquiet, exilé, sensible, en proie au « Weltschmerz » ou à la « conscience malheureuse », souffrant du « mal de siècle »- et s’exaltant au souvenir des paysages magnifiques de son enfance ; le goût du gothique, du fantastique, du macabre, du mystère, du merveilleux, de l’aventure ; l’intérêt pour le folklore, le populaire, le pittoresque et la couleur locale ; l’attrait pour les ruines, le topos du promeneur solitaire isolé du monde et portant sur tout ce qu’il voit un regard rêveur et mélancolique ; le sentimentalisme et la simplicité à la manière de George Sand ; l’exaltation de la nature, l’enthousiasme ; le discours confessionnel pathétique ; le sublime et le grotesque ; la prose poétique, le non-respect des « règles classiques », le goût du contraste et le mélange de genres. En adoptant le romantisme européen comme moyen de perception et d’expression, l’abbé Casgrain arrive à un romantisme « canadien » authentique. L’inspiration romantique lui permet de percevoir la nature du Canada d’un regard nouveau et d’approfondir la mémoire de son passé personnel autant que celle du passé commun de ses compatriotes. Cette manière « romantique » d’aborder la nature et l’histoire a une fonction heuristique. Elle fait comprendre le passé d’une autre manière qu’une historiographie objective ; car elle fait confiance à la perception subjective et à l’imagination capable de rendre conscient l’inconscient et de révéler la beauté de la nature. Au lieu de considérer les textes historiographiques, biographiques OeC02_2014_I-116_Druck.indd 89 16.04.15 07: 37 90 Dorothea Scholl et critiques de Casgrain comme des documents historiques défectueux, il vaut mieux les lire comme des œuvres dont la qualité substantielle est dans la prose poétique. Voici un passage tiré de sa biographie de Philippe Aubert de Gaspé père : […] Avez-vous remarqué, à l’aube du jour, quand les premières lueurs de l’aurore tracent, sur la crête de nos montagnes, ce pâle sillage que nos habitants appellent la barre du jour, avez-vous remarqué ces vapeurs diaphanes qui flottent souvent à l’horizon : fantômes gracieux que l’œil suit comme un beau rêve qu’on craint de voir s’évanouir, et dont la silhouette vague et indécise se confond parfois avec l’azur du ciel ? C’est dans ce même demi-jour de l’intelligence qui s’ouvre, semblable à ces formes attrayantes, que se dresse dans mon passé la douce et lointaine apparition du bon vieillard dont je vais vous dire la vie. 12 L’imagination romantique permet à Casgrain de pénétrer la nature, l’histoire, le folklore et la civilisation du Canada d’une manière poétique, subjective, profonde, et de les révéler aux lecteurs. Le romantisme, tel qu’il l’a adopté et pratiqué, offre des qualités esthétiques qui s’ouvrent vers la modernité et s’opposent aux idéaux politiques et littéraires des traditionalistes ultramontains dont le pouvoir à l’époque était considérable et allait augmentant. 13 L’abbé Casgrain en était conscient et prit le parti de prendre la défense du romantisme. Dans la préface aux Légendes canadiennes, il affirme avec précaution avoir suivi l’exemple des « écrivains d’une parfaite orthodoxie » - entre autres Louis Veuillot, le cardinal Nicholas Wiseman, Victor de Laprade, et « le savant et pieux légendaire Collin de Plancy » - tout en adoptant une position moderniste : Est-ce à une époque comme la nôtre, où l’on ne cesse de jeter à la face du clergé les épithètes de rétrogrades, d’obscurantistes, qu’on lui ferait un reproche de ne pas se tenir en dehors du mouvement littéraire, le plus grand levier peut-être du monde moderne ? - Mais, ajoute-t-on, ce genre de littérature ne convient pas à notre pays. C’est un genre tout nouveau. - Eh ! tous les genres nous sont nouveaux, car notre littérature est encore à créer, pour ainsi dire. D’ailleurs, en essayant de conserver nos traditions légendaires, l’auteur ne croit pas avoir fait une œuvre inutile. (LC pp.-13-14) 12 Casgrain, Philippe Aubert de Gaspé, Québec : Atélier typographique de Léger Brousseau, 1871, p.-6-7. 13 Cf. Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques (dir.), La vie littéraire au Québec, t. III, Québec : Les Presses de l’Université de Laval, 1996, p.-297, voir aussi p.-485. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 90 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 91 Cette ouverture à la modernité est une conséquence de la réception du romantisme par l’abbé Casgrain qui, tout en faisant semblant de s’inspirer uniquement des modèles cités, va plus loin que ces modèles en s’imprégnant de romantiques dont l’« orthodoxie » et la valeur de modèle vont être mise en doute par l’ultramontain Adolphe-Basile Routhier. La polémique contre le romantisme : Adolphe-Basile Routhier Tandis que pour Casgrain, le romantisme est une école de sensibilité et un moyen d’accès nouveau à la religion, à l’histoire, au présent, à la nature du pays et à l’imaginaire du peuple, Routhier prend la relève des positions traditionalistes ultramontains et montre une attitude profondément polémique par rapport au romantisme. D’une certaine manière, le romantisme ouvre à lui aussi un nouvel accès à la nature du Canada. Dans son récit de voyage En canot par exemple, on trouve de longues descriptions enthousiastes de la nature, comparables non seulement du point de vue stylistique aux descriptions de Casgrain dans Fantaisie, mais aussi dans la mesure où les deux auteurs opposent - on est tenté de dire d’une manière rousseauiste - la civilisation « décadente » à la nature pure. Quel panorama inimaginable ! Quelle nature enchanteresse ! C’est ici la Venise du lac, mais la Venise indigène, telle que la nature l’a faite et non construite par les hommes. A la place des palais vénitiens, ce sont des berceaux de verdure flottant légèrement sur le cristal des eaux […] 14 Comme Casgrain, Routhier, en l’opposant à la civilisation européenne, sanctifie la nature vierge du Canada qui apparaît alors comme un lieu privilégié par la providence divine. Quel beau fleuve notre Saint-Laurent ! Et que celui qui l’a fait est un grand auteur ! Certes, j’aime mes livres à la folie ; une tragédie de Corneille ou de Racine me charme ; une comédie de Molière, ou même de Sardou, me délasse agréablement ; De Maistre et Veuillot m’enthousiasment. — Mais notre fleuve St-Laurent est un poème plus beau que les chefs-d’œuvre de ces grands maîtres. (En canot, p.-13) Comme Casgrain, Routhier répand l’image d’un Paris diabolique : 14 Routhier, En canot. Petit voyage au lac de Saint Jean. Québec : O. Fréchette, éditeur, 1881, pp.-126-127. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 91 16.04.15 07: 37 92 Dorothea Scholl Paris est sans contredit la capitale de la civilisation ; mais, malheureusement, elle est aussi la capitale de l’empire de Satan dans le monde. C’est là que l’enfer a dressé des batteries qui vomissent la mort dans tous les parts du globe. Il faut que Paris redevienne la ville de sainte Geneviève, s’il veut faire reculer le nouvel Attila qui le menace. 15 Mais à la différence de Casgrain, Routhier adopte une position radicalement antimoderniste. Dans ses Portraits et Pastels littéraires, parus en 1873 sous le pseudonyme de Jean Piquefort, Routhier s’attaque au romantisme de Casgrain. Tout en lui concédant « un don naturel qui le pousse à écrire, comme l’oiseau à chanter », 16 Routhier entreprend de disséquer le romantisme de l’abbé par une analyse qui porte surtout sur son style. Les Légendes canadiennes sont un « livre à effet » (PP p.- 16) ; le texte intitulé Fantaisie est présenté comme l’expression d’un amour-propre narcissique - le moi romantique est haïssable : La Fantaisie porte bien son titre, mais n’est pas à sa place. L’auteur sentait le besoin de parler un peu de lui-même et de placer quelque part des phrases faites depuis longtemps. Elles étaient si fleuries, ces chères phrases ! Elles avaient tant ébloui leur père lors de leur éclosion ! (PP p.-17) Le passage « baudelairien » cité plus haut sur la société pourrie européenne est mis à nu mot par mot et métaphore par métaphore. Routhier reproche à l’abbé Casgrain une imagination débordante et un « manque de naturel » (PP p.- 19). Toutes les images utilisées par Casgrain sont considérées comme profondément répugnantes. Le « style fleuri » de l’abbé, son « abus de métaphores », « la pompe du style », son « manque de goût absolu », son « enflure », ses « idées fixes » et ses répétitions indiquent que dans Fantaisie, « la folle du logis se promène avec beaucoup trop de liberté » (PP pp.-20-26). La critique de Routhier envers l’abbé Casgrain apparaît comme une réédition de la critique de Boileau et de Pascal envers le père Le Moyne au XVII e siècle. Deux attitudes inconciliables envers la religion, la morale et l’esthétique s’y manifestent : d’un côté un idéal sensuel, exubérant, baroque, romantique, moderniste ; de l’autre côté un idéal sobre, « classique » et ascétique. Je pourrais multiplier les citations. Mais il me semble qu’il y en a assez pour démontrer en quoi le style des Légendes est défectueux. Ce qui lui manque surtout, c’est la simplicité, la précision, le naturel et le goût. […] Chez un prêtre, surtout, on s’attend à plus de sobriété dans le style, à moins de caquet et à moins de passion pour la métaphore. (PP p.-26) 15 Adolphe-Basile Routhier, Causeries du dimanche, Montréal : Beauchemin & Valois, 1871, p.-19. 16 Jean Piquefort [i.e. Adolphe-Basile Routhier], Portraits et pastels littéraires. Québec : Atélier typographique de Léger Brousseau, 1873, p.-15. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 92 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 93 Quant à l’Histoire de Marie de l’Incarnation, Routhier reproche à Casgrain « des phrases où l’écrivain semble dire : ici, ce n’est pas la sainte, c’est moi qu’il faut contempler » (PP p.- 36). Là aussi, Routhier critique la profusion d’images, l’amplification et une « fougueuse imagination » (PP p.- 39). Aux yeux de Routhier, Casgrain se concentre trop sur l’aspect contemplatif de Marie et néglige l’aspect actif de la fondatrice du monastère des Ursulines de Québec : « Le récit de ses ravissements et de ses extases peut être bien beau ; mais celui de ses œuvres a pour nous plus de charme et d’édification » (PP p.- 36). L’introspection, la contemplation et la rêverie sont considérées comme un laisser-aller sensuel. La pénétration de l’écrivain dans les moindres replis de l’âme de la protagoniste met le critique mal à l’aise : […] le style historique ne doit pas s’affubler de semblables banderolles. C’est décrire d’une manière singulièrement compliquée ce qui se passe dans l’âme de la Mère de l’Incarnation, et les mystérieux concerts qu’on y entend ont le tort grave de ressembler aux incantations de la Jongleuse. […] (PP p.-38) Par cette allusion à la légende de la Jongleuse que Casgrain avait présentée à la suite de son récit Fantaisie dans les Légendes canadiennes et dont la « conception romantique de l’écriture » a été relevée par Fernand Roy et Lucie Robert, 17 Routhier insinue une dimension hérétique dans la biographie romantique que Casgrain propose de la Mère de l’Incarnation. Pour inviter l’abbé à retrouver le droit chemin de l’orthodoxie, il lui conseille de suivre l’exemple de ses propres romans apostoliques, de se détacher de la mondanité et de se tourner vers les origines hagiographiques du christianisme romain au lieu de s’inspirer de légendes populaires : M. Casgrain a visité l’Italie et étudié Rome. Ne pourrait-il pas trouver dans les premiers siècles de l’Histoire de l’Église de pieuses légendes et de dramatiques histoires qui serviraient de canevas à des romans délicieux ? Je l’engage à y penser et il y trouvera sa veine. (PP p.-41) Dans un recueil de critiques qu’il avait publié auparavant dans Le Courrier du Canada et qu’il intitule Les Causeries du dimanche (1871), Routhier soumet à l’examen des romantiques français et canadiens afin de démontrer que leurs œuvres, ne correspondant pas aux critères d’un catholicisme orthodoxe, sont l’expression des péchés de leurs auteurs. 17 Fernand Roy et Lucie Robert, « De la ‘pensée magique’ au ‘romantisme littéraire’. La Jongleuse de H.-R. Casgrain : une conception romantique de l’écriture », dans Maurice Lemire (dir.), Le Romantisme au Canada, Québec : Nuit blanche, 1993, pp.-267-181. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 93 16.04.15 07: 37 94 Dorothea Scholl Déjà le titre « Causeries du dimanche » est une riposte polémique aux Causeries du lundi (1851-62 en quinze volumes) et aux Nouveaux lundis (1861-1869 en treize volumes) de Sainte-Beuve. La critique de Routhier dans Les causeries du dimanche est comparable à celle de Sainte-Beuve dans la mesure où les deux critiques se permettent d’exprimer leur opinion subjective quant aux œuvres qu’ils caractérisent et dans la mesure où ils examinent ces œuvres comme un reflet de la vie et des convictions personnelles de leurs auteurs. Depuis le Contre Sainte-Beuve de Proust, inaugurant la théorie moderne qui proclame l’insignifiance ou même « la mort de l’auteur », un tel subjectivisme est considéré comme un défaut. Toutefois, la subjectivité de l’auteur et celle du critique peuvent avoir une valeur heuristique. La vision de Routhier montre une perspective singulière, des jugements différents de ceux des chemins battus. Son œuvre - subjective, tendancieuse et polémique - révèle les problèmes politiques et idéologiques de l’époque. Elle s’inscrit dans le courant de pensée ultramontaine qui s’était opposé au romantisme libéral exprimé dans le journal Le Canadien des années 1836 à 1845 et favorisé par l’Institut Canadien. 18 Routhier considère le libéralisme comme une hérésie : Aujourd’hui, le foyer du libéralisme dans le monde est Paris. C’est de là que cette grande hérésie étend ses ramifications dans tout l’univers, et ses adeptes, il faut en convenir, sont innombrables. […] Le libéralisme en Canada a son centre à Montréal. C’est là que se sont groupés les plus fervents adorateurs de la déesse Liberté, et qu’ils lui ont élevé un temple, l’Institut-Canadien ! (CD p.-93) Dans les Causeries du dimanche, Routhier établit un système de classification manichéiste antithétique dont le vice et la vertu, Dieu et Satan, le bien et le mal, le haut et le bas, le spirituel et le matériel, constituent les antipodes et qui lui permet de présenter l’auteur des Causeries du lundi comme un athéiste matérialiste : En France, le lundi est le jour consacré aux plaisirs et à la débauche, et le dimanche au travail. M. de Sainte-Beuve a été le type du lundiste, et quand le lundi n’a pas suffi à ses joies, il n’a pas craint d’y consacrer le vendredi. Pour lui les saucisses avaient un goût plus suave que le vendredi saint. Ses causeries sont imprégnées de ce fumet d’une vie matérielle. Malgré l’habileté de sa critique littéraire, et la pureté de son style, on y sent l’absence de Foi, et c’est un vide immense. (CD p.-VII) 18 Chantal Legault et Marie-Paule Rémillard, « Le romantisme canadien : Entre le repli et l’action », dans Micheline Cambron (dir.), Le Journal ‘Le Canadien’ - Littérature, espace public et utopie 1836-1845, Bibliothèque nationale du Québec : Fides, 1999, pp.-325-393. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 94 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 95 Avec les Causeries du dimanche, Routhier cherche à proposer un autre modèle de critique et de création littéraire à ses contemporains en se réclamant d’écrivains catholiques qui étaient comme lui des laïques : de Maistre, de Bonald, Auguste Nicolas, Donoso Cortés et surtout Louis Veuillot. 19 Dans la logique manichéiste de Routhier, ces derniers appartiennent à ce qu’il appelle « l’école catholique », tandis que Sainte-Beuve, Victor Hugo, Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Eugène Sue, Alfred de Musset, Henri Heine, George Sand « et vingt autres »-font partie de ce qu’il appelle « l’école du mal » (CD p.-142-152). Ces deux écoles ont leur origine dans les deux siècles qui précèdent. L’une est l’enfant naturel du XVIIIème ; l’autre est la fille légitime du XVIIème, mais plus parfaite, plus grande, plus immaculée que son père. (CD p.-142) Michelet, « ce matérialiste éhonté, qui veut diviniser la chair, et abrutir l’âme ! » (CD p.- 197) est responsable avec Taine d’avoir « chassé Dieu de l’histoire, et tenté d’expliquer tous les événements humains par les causes naturelles, le sol, le climat, la nature » (CD p.- 150). Victor Hugo, qui dans la préface d’Hernani avait défini le romantisme comme « libéralisme en littérature », […] a sa grande part de responsabilité dans les malheurs qui accablent sa patrie. Il est un de ceux qui l’ont gâtée et qui ont attiré sur sa tête les foudres divines. Il est un de ceux qui lui ont enlevé son Dieu, et qui ont placé sur ses autels la Raison humaine et la Liberté. […] Il faut qu’une nation soit bien malade pour se laisser conduire par de tels chefs. (CD p.-205) La bataille d’Hernani a changé de scène. Tandis que pour Victor Hugo, la mélancolie est un signe de noblesse du christianisme, 20 Routhier analyse 19 « Mais de Maistre, de Bonald et Donoso Cortés étaient des laïques, Louis Veuillot, Auguste Nicolas et cent autres sont des laïques ; et tous ces hommes ont fait ce qu’on appelle dérisoirement des sermons. C’était l’opinion de Bossuet que les laïques doivent aussi prêcher la vérité, et c’est l’enseignement de Pie IX, le plus grand des Papes, après saint Pierre. » (CD p.-XI) 20 Victor Hugo, Préface de Cromwell [1827], dans Victor Hugo, Cromwell. Chronologie et introduction par Annie Ubersfeld, Paris : GF-Flammarion, 1968, pp.- 61-109. « […] avec le christianisme et par lui, s’introduisait dans l’esprit des peuples un sentiment nouveau, inconnu des Anciens et singulièrement développé chez les Modernes, un sentiment qui est plus que la gravité et moins que la tristesse : la mélancolie. » (p.- 67) « L’homme, se repliant sur lui-même dans ces hautes vicissitudes, commença à prendre en pitié l’humanité, à méditer sur les amères dérisions de la vie. De ce sentiment, qui avait été pour Caton le païen le désespoir, le christianisme fit la mélancolie. […] » (p.-68) OeC02_2014_I-116_Druck.indd 95 16.04.15 07: 37 96 Dorothea Scholl la sensibilité romantique comme un symptôme de la décadence du christianisme. Selon lui, le romantisme est néfaste dans la mesure où il glorifie la liberté de l’individu et la mélancolie qui freine l’action et le dynamisme. Les états d’âme exprimés dans la littérature romantique lui paraissent immatures et puériles. Le culte du Moi romantique, « c’est le défaut des grands poëtes » (CD p.- 179). Le mal de siècle est caractérisé comme « maladie étrange que tous les poëtes de notre temps ont éprouvé, et que Chateaubriand a peinte dans René ; espèce de nostalgie dont bien des jeunes gens ont été atteints, et qui les a empêché de devenir des hommes » (CD p.-195). De ce point de vue, même l’auteur du Génie du christianisme est suspect : On pourrait dire que Chateaubriand a fait le tour du temple Catholique pour en admirer les formes, mais qu’il n’y est point entré. […] Malheureusement, Chateaubriand ne sut pas se garantir entièrement des émanations malsaines du XVIII e siècle. On trouve, particulièrement dans quelques-unes de ses œuvres, des traces visibles de la mélancolie et du sensualisme de Jean-Jacques Rousseau.- Ce fut un germe de décadence qui a porté ses fruits, et les disciples de ce grand homme ne font pas tous honneur à l’Église. (CD pp.-146-147) « L’un des poëtes qu’on lit le plus au Canada » (CD p.- 194), Lamartine, ne tient pas debout lui non plus devant les critères de Routhier : M. de Lamartine […] a continué l’œuvre commencée par Chateaubriand, la réconciliation de l’art avec le christianisme. Mais il avait mission et il aurait eu le pouvoir, peut-être, de ramener la France dans les sentiers de la foi catholique, et ce rôle n’a pas été rempli. Hélas ! Hélas ! les disciples qu’il a formés ont été pour la plupart, je le crains, moins fidèles à l’Eglise qu’à Vénus et à la Liberté ! (CD p.-199) Dans sa critique de Jocelyn, qui se greffe sur celle de Veuillot, 21 Routhier accuse Lamartine d’étaler dans son roman ses aventures amoureuses, détails « que madame de Lamartine a dû ignorer, mais dont le poëte croit à propos d’informer le public » (CD p.- 180). Par ailleurs,- « Jocelyn est une espèce de panthéiste, disciple fidèle de la Religion Naturelle, recevant l’enseignement de la Nature plutôt que de l’Eglise. C’est un roman […] dont les héros paraissent ignorer entièrement les enseignements de la foi catholique » (CD p.- 197). Routhier se fait le porte-parole du Syllabus errorum du pape Pie IX publié avec l’encyclique Quanta cura en 1864 qui avait condamné le panthéisme, le libéralisme et le naturalisme - que Routhier interprète 21 Cf. Louis Veuillot, Ça et là [1860], Paris : P. Lethielleux Editeur, 1926 (Œuvres complètes, première série : Œuvres diverses, t. VIII), p.-531. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 96 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 97 comme conséquence du romantisme - comme « erreurs » principales des temps modernes. À la lumière du catéchisme, la théologie des romantiques ou leur mise en scène de la recherche d’une transcendance apparaît à Routhier comme l’expression du doute, de l’agnosticisme ou de l’athéisme. Ainsi, le mysticisme poétique de Victor Hugo lui est profondément suspect : Partout où il se trouve, il voit des profondeurs, des abîmes, des vides, des ténèbres, des fourmillements d’ombres. En un mot, c’est le chrétien déraillé. C’est l’homme qui avait la foi, ce divin flambeau qui éclaire tous les abîmes, et qui l’a perdue. […] Pour lui Dieu est un mythe, ou, du moins, c’est un être sans personnalité distincte, et relégué si loin derrière son firmament, qu’il n’exerce aucun contrôle sur les affaires de ce monde. Quant à l’âme humaine, le mystère l’enveloppe, et l’écrivain est incapable de dire quelle est sa nature et quelle sera sa fin. (CD pp.-206-207) Ne distinguant pas entre l’auteur et l’œuvre, Routhier caractérise les grands romantiques français comme des esprits qui ne savent pas ce qu’ils veulent, qui flottent dans le vague, dans l’incertitude spirituelle et le nihilisme. Leurs œuvres, ne correspondant pas à l’esthétique classique, manquent de clarté. Ainsi le génie de Hugo, qui aurait pu « atteindre à la gloire de Racine », va dans le mauvais sens. « Quelle aberration ! Le compte qu’il aura à rendre à Dieu de l’emploi de son génie sera terrible » (CD p.- 206). L’esthétique hugolienne, en tant qu’esthétique du vague, de l’indécis, du non-respect des règles classiques, du contraste et de la réunion du sublime et du grotesque, apparaît aux yeux de Routhier comme une énorme extravagance et un bouleversement irrespectueux des hiérarchies. 22 22 Dans Les grands drames, Routhier, tout en appréciant quelques passages dans Hernani, critique le renversement des hiérarchies sociales, morales et esthétiques dans les drames de Victor Hugo dont il fait un précurseur des naturalistes qu’il appelle une « école de pornographes ». Routhier, Les grands drames, Montréal : C.O. Beauchemin & fils, 1889 p.- 398. « Il [Victor Hugo] a prétendu démontrer à son siècle que jusqu’à lui l’art avait fait fausse route : ce que l’on a cru laid est beau ; ce que l’on considérait comme vulgaire est noble ; ce qui était tenu pour grotesque est sublime. Il a dit au mal : à l’avenir, tu seras le bien ; au vice, tu seras la vertu ; aux ténèbres, vous serez la lumière ; à la matière, tu seras l’idéal ; aux pourritures, vous serez des fleurs et des parfums » (GD p.-396). Selon Routhier, Hugo avilit aussi les rois de France, Louis XIII dans Marion Delorme et François I dans Le roi s’amuse : « Le roi, son bouffon, et les gentilshommes de la cour, s’amusent à rire de tout ce qui est respectable » (GD p.- 442). « La morale de ce drame ressemble à celle des autres que nous avons étudiés. C’est le triomphe du mal. La vertu y est méconnue, persécutée, pendant que le vice gouverne, s’amuse et se partage les biens de ce monde » (GD p.-448). OeC02_2014_I-116_Druck.indd 97 16.04.15 07: 37 98 Dorothea Scholl Routhier n’accepte une approche romantique qu’à condition que la littérature sache se soumettre entièrement à l’institution autoritaire de l’église catholique et lui rendre service. Seuls les écrivains catholiques anti-libéralistes comme l’ultramontain Louis Veuillot, ayant réussi à « christianiser » le romantisme, 23 doivent servir de modèle aux écrivains canadiens séduits par les romantiques « hérétiques ». Routhier est conscient de l’engouement de ses contemporains pour les romantiques français. Pour mieux les en détourner, il se présente lui-même dans sa jeunesse comme contaminé du « mal de siècle » par la lecture des Méditations de Lamartine et propose une psychanalyse introspective qui interprète l’orientation vers la doxa comme une guérison et un assagissement. Et pourtant, cette belle poésie qui me transportait dans les nuages laissait au fond de mon âme une impression que je suis tenté d’appeler malsaine. Elle me plongeait dans une mélancolie que je chérissais, mais qui m’enlevait toute énergie et tout courage. Elle me faisait croire à l’existence d’un monde idéal, et voilait d’illusions et de mensonges les réalités de la vie. Les forces que je devais employer à la recherche du vrai, du beau et du bien, je les dépensais follement dans la poursuite de rêves insensés et ridicules ! […] Grâce à Dieu, ce n’était encore qu’un symptôme que des lectures plus sérieuses et plus saines firent bientôt disparaître. (CD p.-195) Pour combattre les pulsions romantiques et attirer la jeunesse contemporaine vers « l’école catholique », 24 Routhier entreprend un démontage du romantisme « moderne ». Dans sa vingt-quatrième causerie, il s’attaque à Fréchette, qui avait été son voisin de chambre lors de ses études de droit à l’Université Laval et dont l’exil américain est interprété par Routhier comme une immense trahison et comme une chute du poète dans l’abîme. M. Fréchette a été une des victimes du libéralisme en Canada, et en cela il a partagé le sort d’un grand nombre. Combien de jeunes gens dont les talents faisaient concevoir les plus belles espérances, et qui se sont perdus dans les sentiers obscurs du libéralisme ! […] j’espère que jamais, sous aucun déguisement, le libéralisme ne se rendra maître de la chose publique. Pour cela, il ne faut pas cesser de le combattre ; car de toutes doctrines 23 « Adversaire né des principes libéraux, il fallait pour les combattre employer un langage qui fût compris et qui fût goûté. Il a donc ramassé ces deux éléments littéraires, alors en vogue, le romantisme et le réalisme, et il les a christianisés. » (CD p.-158) 24 « J’espère que la littérature canadienne saura s’inspirer de la grande école catholique du 19ème siècle, et je prie nos jeunes compatriotes qui veulent entrer dans cette carrière, d’y choisir leurs modèles. » (CD p.-151-152) OeC02_2014_I-116_Druck.indd 98 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 99 subversives, c’est la plus spécieuse et la plus insinuante. C’est celle qui sourit davantage aux vagues aspirations de la jeunesse vers l’inconnu, vers l’indéfini. (CD p.-234) 25 À la poésie de l’exil de Fréchette, Routhier oppose comme exemple lumineux la poésie patriotique de Benjamin Sulte dans Les Laurentiennes (1870) : L’amour de la patrie, voilà donc le sentiment qui a inspiré M. Sulte ; faire aimer la patrie, voilà donc le but de son livre ; et comme le Saint-Laurent a été pour ainsi dire la source de ses aspirations, il en a tiré le titre même de son livre. Ses poésies sont donc essentiellement canadiennes, et c’est un mérite qu’il ne faut pas taire, en ces temps où la nationalité canadienne-française doit s’affirmer hautement. (CD p.-241) La voix d’un exilé est critiquée comme pastiche des Châtiments de Victor Hugo « dont il [Fréchette] semble vouloir imiter les écarts » (CD p.- 224). Routhier s’adresse directement à Fréchette pour le conjurer de quitter son exil et de revenir à la raison : Comme le grand poëte fourvoyé que vous avez pris pour patron [Victor Hugo], vous étiez, à votre début, religieux et royaliste, et comme lui vous glissez maintenant sur la pente de l’irreligion et de la démagogie. Ah’ mon ami ; vous vous êtes séparé de vos concitoyens, je vous en conjure, ne vous séparez pas de leurs croyances religieuses ; vous vous êtes exilé de la patrie : ne vous exilez pas de l’Eglise votre mère. […] Nous n’avons pas trop de talents au service de notre nationalité : revenez vous enrôler sous nos drapeaux ; brisez avec la démocratie dont l’influence est funeste 25 Même ton dans un texte paru sans nom d’auteur en 1876 qui cherche à démontrer que la mission du Canada français consiste à combattre le libéralisme pour sauver l’identité nationale : « […] Combattons donc le libéralisme de toutes nos forces et en toutes circonstances. C’est l’ennemi qui a juré notre ruine, et si nous ne le terrassons pas pendant l’heure décisive et solennelle que nous traversons, c’en sera bientôt fait de nous et de notre nationalité. Nous avons été forts et invincibles jusqu’à ces derniers temps, rien n’a pu nous entamer, grâce à cette sève catholique si vigoureuse qui a continué de circuler dans le magnifique arbre que nos pères ont planté, et qu’ils ont arrosé de leur sueur et du plus pur de leur sang. » Coup d’œil sur le libéralisme européen et le libéralisme canadien. Démonstration de leur parfaite identité, Montréal : Le Franc Parler, 1876, p.-78. Routhier utilise les mêmes paroles et images qui sont des lieux communs dans la rhétorique nationaliste : « La France a versé dans nos veines le plus pur de son sang, et cette glorieuse filiation ne peut pas être inféconde. Profondément religieuse alors, la fille aînée de l’Eglise n’avait d’autre but, en devenant mère, que l’extension de la foi catholique et la conquête d’un nouveau royaume à Jésus-Christ. Telle a été l’origine de la nationalité canadienne-française, et c’est pour cela qu’elle est inséparable de la foi catholique, et qu’elle ne peut exister sans elle. […] » CD pp.-62-63. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 99 16.04.15 07: 37 100 Dorothea Scholl à votre talent ; inspirez-vous aux sources pures de la vérité catholique, et vous serez peut-être un jour le premier de nos poëtes, et l’un de nos grands citoyens. (CD pp.-231-232) Fréchette réagit directement contre ces accusations épistolaires dans ses Lettres à Basile à propos des Causeries du dimanche de M.A.B. Routhier : Je ne puis plus être catholique, paraît-il, attendu que je ne suis point monarchiste, que je suis contre les privilèges de castes, que je suis démocrate enfin ! […] Bien, M. Basile ! vous avez toute ma reconnaissance. Je suis heureux que vous me donniez l’occasion de prouver, une fois pour toutes, votre ignorance crasse à l’endroit de la doctrine catholique dans ses rapports avec les gouvernements civils. Il y a assez longtemps que vous et votre école essayez de faire croire au peuple que le mot république est synonyme d’hérésie ; que la démocratie est une impiété, et que le système monarchique est la seule forme de gouvernement autorisée par l’Église. 26 Fréchette reproche à Routhier d’instrumentaliser la religion en vue de ses ambitions politiques personnelles et ironise le style dogmatique et la prétention d’infaillibilité de Routhier : Adam, paraît-il, était conservateur avant sa chute, et libéral après ! ceci n’est pas enregistré tout au long de la Genèse ; mais peu importe, du moment que vous l’affirmez, je m’incline respectueusement. 27 La controverse entre Routhier et Fréchette a été qualifié de « jeu de massacre » par Marcel Dugas qui présente un commentaire détaillé de cette polémique violente qui porte sur l’annexion du Canada aux États-Unis, le libéralisme, le gallicanisme, l’exil et l’émigration, l’action de la Providence divine dans l’histoire du monde et les rancunes et ambitions politiques, littéraires et personnelles de la part des deux auteurs rivaux. 28 26 Louis H. Fréchette, Lettres à Basile à propos des Causeries du dimanche de M.A.B. Routhier, Québec : Imprimerie du Bureau de L’Événement, 1872, pp.-43-44. 27 Ibid., p.- 25. Routhier avait comparé le yankee américain à Adam après sa chute « Hélas ! oui, tout laid qu’il est, le yankee est une idole devant laquelle plusieurs de nos compatriotes se prosternent. C’est le type qu’ils admirent, l’idéal qu’ils entrevoient dans leurs rêves, le modèle qu’ils s’efforcent de copier. S’ils étaient parfaitement sûrs que Dieu a créé l’homme à sa ressemblance et à son image, ils affirmeraient qu’Adam était yankee, tant il est vrai qu’à leurs yeux le yankee est un homme parfait. Va sans dire que je parle ici d’Adam après sa chute, car avant sa chute, il ne méritait guère l’admiration de l’école libérale » (CD, pp.-91-92). 28 Marcel Dugas, « Adolphe Routhier et Louis Fréchette », dans Marcel Dugas, Un romantique canadien : Louis Fréchette 1839-1908 (Montréal : Beauchemin, 1946), BEQ vol. 203 version 1.0, Octobre 2002, pp.-50-65, ici p.-52. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 100 16.04.15 07: 37 Le romantisme mis à nu ou les Causeries du lundi endimanchées 101 Cette controverse révèle l’incompatibilité de deux convictions. Les deux auteurs s’affirment catholiques, mais leurs croyances sont incompatibles, à un degré encore plus fort que dans l’opposition entre Routhier et l’abbé Casgrain. Conclusion « Un croyant en appelle à tous les hommes pour qu’ils partagent sa foi ; un orthodoxe récuse tous les hommes qui ne partagent pas sa foi », constate Jean Grenier dans son Essai sur l’esprit de l’orthodoxie. 29 Si de ce point de vue, Casgrain et Fréchette sont plutôt du côté de la croyance, Routhier, parlant inlassablement au nom d’une doctrine intransigeante et autoritaire, est du côté de l’orthodoxie. Toutefois, une ambiguïté persiste. Persuadé d’être le détenteur d’une vérité absolue, Routhier se présente comme un missionnaire parti pour faire œuvre de conversion, ou comme un pasteur qui cherche à ramener au troupeau les brebis égarés. Pour « prouver » leur égarement, il jette le soupçon d’hérésie sur le romantisme de Fréchette et de Casgrain et met ce romantisme à l’épreuve de sa propre vision du monde. Cette position « orthodoxe », apparaît comme extrémiste dans la mesure ou Routhier ne tolère aucune alternative. Par la mise à nu du romantisme qu’il conçoit comme une force diabolique s’étant emparé du monde en Europe et menaçant le Canada, Routhier cherche à « exorciser » le romantisme en lui-même comme dans ses contemporains. Chez Casgrain par contre, le romantisme mène à une nouvelle compréhension du Moi et de l’Autre, du monde et de Dieu et permet l’expression poétique d’une authenticité qui ne se laisse pas définir ou déterminer par une doctrine. 29 Jean Grenier, Essai sur l’esprit d’orthodoxie [1938], Paris : Gallimard, 1967, p.-16. OeC02_2014_I-116_Druck.indd 101 16.04.15 07: 37