eJournals Oeuvres et Critiques 41/1

Oeuvres et Critiques
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2941-0851
Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/0601
2016
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Introduction : où vont les études sur le classicisme ?

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2016
Rainer Zaiser
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Œuvres & Critiques, XLI, 1 (2016) Introduction : où vont les études sur le classicisme ? Rainer Zaiser Pour un large public, le mot « classicisme » suscite aujourd’hui encore l’image des règles, de l’ordre, de l’homogénéité, de l’universalité, du grand. Ceci n’empêche pas que ce classicisme, prôné et propagé par l’historiographie des siècles durant, soit tombé en disgrâce dans la faveur de nombreux critiques littéraires de notre époque. Ce sont justement les valeurs conférées longtemps en termes élogieux aux œuvres classiques qui sont tombées en désuétude en nos temps postmodernes régis par les concepts de la diversité, de l’instabilité, du fragmentaire et de l’hybride. Il va de soi que ces concepts sont incompatibles avec ce que l’on est convenu de considérer comme les traits essentiels du classicisme. Mais déjà depuis la fin des années cinquante du siècle passé, des voix, quoique isolées encore, se sont exprimées à contrecourant des poncifs de l’historiographie littéraire en relevant des marques du classicisme qui vont bien au-delà de ses descripteurs habituels. Entrent ici en ligne de compte les études de E.B.O. Borgerhoff 1 , de Jules Brody 2 , de Marc Fumaroli 3 et de Roger Zuber 4 qui ont été les premiers à placer le XVII e -siècle dans un contexte poétique autre que celui décrit par René Bray sous le nom de la doctrine classique 5 . Dans l’esprit de ces études, les premières tentatives de repenser le classicisme et de le considérer au pluriel ont vu le jour lors de la dernière décennie du XX e -siècle 6 . En outre, depuis le début de ce XXI e -siècle, 1 The Freedom of French Classicism, New York, Russell & Russell, 1958. 2 Boileau and Longinus, Genève, Droz, 1958. 3 L’âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, Droz, 1980. 4 Les émerveillements de la raison. Classicismes littéraires du XVII e - siècle français, préface de Georges Forestier, Paris, Klincksieck, « Théorie et critique à l’âge classique », 1997. 5 René Bray, La formation de la doctrine classique en France, Paris, Hachette, 1927. 6 Voir David Lee Rubin, John D. Lyons, éds., Continuum : Problems in French Literature form the Late Renaissance to the Early Enlightenment, Volume 1 : Rethinking Classicism - Overviews, New York, AMS Press, 1989 ; Aron Kibédi-Varga, Les poétiques du classicisme, Paris, Aux Amateurs des Livres, « Théorie et critique à l’âge classique », 1990 ; Alain Viala (dir.), Qu’est-ce qu’un classique, Littératures classiques, n°- 19, 1993 ; Georges Forestier, Jean-Pierre Néraudau, dir., Un- classicisme ou des classicismes ? Actes du colloque international organisé par le Centre de recherches 4 Rainer Zaiser les études sur la mondanité, la galanterie, l’honnêteté, la préciosité, le sublime, la grâce, le goût et la rhétorique dans la littérature du XVII e - siècle se multiplient, en ouvrant des horizons nouveaux sur un classicisme autre que celui des règles. Cette nouvelle voie qu’empruntent les études dixseptiémistes se répercute également dans l’historiographie littéraire savante de ces dernières années. C’est ainsi que Georges Forestier et Emmanuel Bury, par exemple, terminent la partie consacrée au XVII e - siècle dans le premier volume de l’ouvrage collectif La littérature française : dynamqiue et histoire par un chapitre sur les « Libertés du classicisme français : la doctrine à l’école du goût 7 ». Compte tenu de ces tendances dans la recherche récente sur le XVII e - siècle, il paraît opportun de revaloriser et de réajuster la notion de classicisme et d’explorer les acceptions qui lui sont conférées dans les débats de l’époque actuelle. Le volume que nous présentons ici rassemble des études qui font le point sur la question et montrent des perspectives qui s’offrent aux futures études sur le classicisme. Alain Génetiot souligne que le XVII e - siècle a déjà forgé avant la lettre l’idée d’un classicisme littéraire accessible à des dynamismes esthétiques, aux désordres des passions, à un humanisme mondain, à l’art d’agréer et à la modernité avant toute chose. Ces traits ont été redécouverts par la critique moderne au fur et à mesure que cette dernière s’est aperçue au cours de la deuxième moitié du XX e -siècle des limites d’un classicisme des règles et de la raison, projeté par le dix-huitième siècle sur l’âge de Louis XIV et canonisé par le XIX e dans l’enseignement scolaire qui en fait ensuite sa doxa tout au long du XX e - siècle. C’est ainsi qu’est née l’image d’un classicisme français qui fait exception dans les littératures européennes du XVII e -siècle, comme Larry Norman le signale dans son article du présent volume. Le constat de cette exception ressort notamment des travaux des romanistes allemands Hans Robert Curtius, Leo Spitzer et Erich Auerbach qui, comme Larry Norman le met en lumière, examinent le classicisme français dans une perspective transnationale en le considérant, à cause de sa rigueur esthétique, comme un phénomène isolé dans le contexte du dynamisme poétique de la littérature européenne du XVII e -siècle. Alors que Curtius juge le classicisme français hostile à toute hybridation littéraire et coupé de toute tradition renaissante et médiévale, Spitzer et Auerbach s’aperçoivent que la littérature française du XVII e - siècle n’est pas dépourvue de ces tendances dites baroques qui prédominent les littératures des autres pays européens sur les classicismes antiques et modernes, Université de Reims, 5, 6 et 7 juin 1991, Publications de l’Université de Pau, 1995. 7 Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Frank Lestringant, Georges Forestier, Emmanuel Bury, La littérature française : dynamique et histoire, I, sous la direction de Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2007, pp.-616-670. Introduction: où vont les études sur le classicisme? 5 de l’époque. Force est de préciser ici que ce constat d’Auerbach et de Spitzer vaut également pour les œuvres littéraires et dramatiques du règne de Louis XIV. Or, si l’on contextualise le classicisme français dans le baroquisme de la littérature européenne du XVII e -siècle, comme le font Auerbach et Spitzer, il en résulte que les deux courants que l’on est convenu de considérer comme des antithèses ne sont pas exempts de convergences. À cela s’ajoute que les concepts de cette concordia discors 8 sont déjà préconçus à l’époque qui sert de modèle au classicisme des temps modernes. Sous les termes d’atticisme et d’asianisme, les études rhétoriques de la deuxième moitié du XX e - siècle ont distingué dans les res literaria de l’Antiquité un style mesuré et précis d’un style recherché et fleuri en signalant que tous les deux ont influencé la littérature de l’âge classique en France 9 . Les études dix-septiémistes de Spitzer (surtout son article sur l’effet de sourdine 10 ) et celles d’Auerbach 11 anticipent en effet la nouvelle mise en perspective du classicisme, effectuée ces dernières années par la critique littéraire et permettant désormais de rassembler sous cette dénomination non seulement la poétique rigide des règles, mais aussi la concomitance et l’alliance des styles, des genres, des esthétiques, soit qu’ils puisent dans le réservoir textuel de l’Antiquité, soit qu’ils s’avèrent innovateurs, modernes. Hélène Merlin-Kajman forme dans ce volume (p.- 51) et ailleurs 12 la notion de « classico-baroque » pour souligner que le discours littéraire du XVII e -siècle ne se scinde pas en deux mouvements contradictoires dont l’un (le classicisme) succède à l’autre (le baroque), mais qu’il tient en équilibre des tendances hétéroclites qui coexistent, se croisent, s’entremêlent, 8 Voir à propos de ses nombreuses occurrences dans la littérature française du XVII e -siècle Benoît Bolduc, Henriette Goldwyn, éds., Concordia discors. Choix de communications présentées lors du 41 e congrès de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature, New York University, 20-23 mai 2009, Tübingen, Narr, « Biblio 17, n°-194/ 195 », 2011, 2 vols. 9 Voir Fumaroli, L’âge de l’éloquence, op.-cit. ; Zuber, Les émerveillements de la raison, op.-cit., notamment le chapitre 5 : « Atticisme et classicisme », pp.-139-149 ; Volker Kapp, « L’apogée de l’atticisme français ou l’éloquence qui se moque de la rhétorique », dans Marc Fumaroli (dir.), Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne 1450-1950, Paris, PUF, 1999, pp.-707-786. 10 « L’effet de sourdine dans le style classique : Racine », dans Leo Spitzer, Études de style, précédé de « Leo Spitzer et la lecture stylistique » de Jean Starobinski, traduit de l’anglais et de l’allemand par Éliane Kaufholz, Alain Coulon, Michel Foucault, Paris, « Collection TEL », Gallimard, 1970, pp.-208-335. 11 Voir à ce propos mon article « Autour de quelques méthodes de la recherche dix-septiémiste en Allemagne : le style de Spitzer, la mimésis d’Auerbach et l’anthropologie négative de Stierle », XVII e -siècle, n° 254, (2012/ 1), pp.-7-27. 12 Voir Hélène Merlin-Kajman, « Un siècle classico-baroque ? », XVII e - siècle, n°- 223 (2004/ 2), pp.-163-172. 6 Rainer Zaiser divergent tout au long du XVII e - siècle. Ces modulations du discours littéraire sont ancrées selon Hélène Merlin dans la conscience du nouveau qui s’est imposée à l’individu à la suite des nouveaux acquis au seuil de la première modernité : « la nouvelle religion » dite réformée, le « Nouveau Monde », « l’astronomie nouvelle » (pp.- xx). Dans ce contexte épistémologique, qui nourrit de prime abord l’angoisse, l’insécurité et le doute face à l’inconnu, naît une littérature traitant des questions fondamentales de l’homme et donnant par là à la société de l’époque des œuvres « digne[s] de devenir un bien public » (pp.- xx), car ces œuvres s’avèrent susceptibles de réagir de façon symbolique aux problèmes existentiels des membres de cette société et de former ainsi leurs mythes identitaires. Sont donc œuvres classiques celles qui sont capables de captiver le public contemporain grâce aux questions perturbantes qu’elles soulèvent et celles qui réussissent en outre à réactualiser ces mêmes crises auprès des générations postérieures, ne fût-ce que pour stimuler ces dernières à poser de nouvelles questions résultant de leurs propres expériences de la vie. C’est justement sur ce dynamisme sémantique que sont axées les réflexions que Delphine Reguig a consacrées aux traits spécifiques des œuvres du classicisme. En analysant les articles que Roland Barthes a écrits sur cette problématique (notamment dans Plaisir aux classiques et dans ses Réflexions sur un manuel), elle constate que le maître de la sémiologie a résolument libéré les œuvres du XVII e -siècle de la « langue morte » du métadiscours tautologique de l’histoire littéraire. Sont notamment « morts » selon Barthes les lieux communs d’un classicisme répandu par les manuels et institutions scolaires, parce qu’ils ne tiennent aucunement compte de la richesse des significations émanant des œuvres littéraires du XVII e - siècle. C’est pourquoi Delphine Reguig plaide pour une redéfinition du terme « classique » d’après la proposition de Barthes qui, lui, ne rejette pas du tout ce terme, mais confère à son acception devenue creuse une nouvelle force qui, quant à elle, découle de l’œuvre et non pas d’un processus monotone de la réception. Entre dorénavant en ligne de compte la « langue vivante » du texte littéraire, encline à générer au fil des siècles des significations multiples auprès des lecteurs, car le langage littéraire parle à ces derniers, les fait réfléchir et leur fait découvrir dans l’œuvre quelque chose qui est en rapport avec eux-mêmes et le monde dans lequel ils vivent. Il en résulte que les œuvres classiques sont celles dont les signes sont suffisamment ouverts à l’interprétation autant à l’époque de leur création qu’aux siècles suivants, parce que les problèmes qu’elles abordent sont profondément humains. Et la littérature du XVII e -siècle abonde de telles œuvres. Les contributions qui suivent les articles soulignant la nécessité de réévaluer les termes de « classique » et de « classicisme » dans la critique littéraire de notre époque montrent chacune à son tour combien la récente extension Introduction: où vont les études sur le classicisme? 7 des acceptions de ces termes est utile à la compréhension du statut classique du XVII e - siècle et de ses œuvres littéraires. Avec son plaidoyer « Pour un Sainte-Beuve », Delphine Denis découvre dans les Causeries du Lundi et les Portraits littéraires un critique qui se montre déjà bien conscient du caractère hétéroclite du discours littéraire de l’âge classique, car il inclut dans ses observations sur cette époque des écrivains et des genres longtemps tenus pour des minores dans l’historiographie littéraire. La prise en considération des mémoires et des correspondances, de la littérature galante et féminine met en lumière l’intérêt porté par Sainte-Beuve non seulement au caractère littéraire de ces genres, mais aussi aux contextes sociaux dans lesquels ils s’inscrivent. C’est ainsi qu’il remplace la méthode positiviste de l’histoire littéraire, qui néglige en grande partie les données des textes mêmes, par une analyse du discours littéraire et de son rapport avec la société de son temps. Cette approche amène Sainte-Beuve à enrichir le champ littéraire du XVII e -siècle d’œuvres qui, à son époque, n’ont pas encore droit de cité dans la république des lettres. Ralph Albanese explore à partir des Caractères de La Bruyère les raisons pour lesquelles cet auteur est considéré dès le début du XIX e - siècle comme « un maître de style » et « un modèle de la prose classique » (p.- xx) dans l’enseignement scolaire, et figure incontournablement dans les programmes de l’École de la Troisième République. Les résultats de son étude montrent une fois de plus que la canonisation d’un auteur comme classique est plutôt favorisée par la polyvalence sémantique que par la forme esthétique de son texte. L’analyse d’un bon nombre d’histoires littéraires et de manuels scolaires en usage à l’École française entre 1880 et 1940 amène Albanese à conclure que les portraits anthropologiques du moraliste se prêtent alternativement à des interprétations d’ordre éthique, politique et chrétien. C’est dire que le succès des Caractères dans l’enseignement scolaire de la Troisième République s’explique moins par l’exemplarité du style de l’auteur que par le potentiel herméneutique de son langage. Cette disponibilité de l’ouvrage de La Bruyère à l’interprétation est particulièrement propice à sa réception dans la période en question, où, comme le signale Albanese, l’enseignement confessionnel se dispute avec « une société en voie de laïcisation » (p.-96) et les adhérents autant de l’un que de l’autre système éducatif trouvent dans les textes des Caractères les valeurs respectivement conformes à leur vision cléricale ou laïque du monde. À l’article focalisé sur La Bruyère succèdent trois contributions consacrées à la fortune qu’a connue dans la critique et sur la scène des XX e et XXI e- siècles l’auteur dramatique par excellence du classicisme français, Jean Racine. Toutes les trois études mettent en lumière que, dans le cas de Racine, il convient également d’élargir le concept du classicisme pour appréhender les données complexes de son théâtre, qui dépassent de loin 8 Rainer Zaiser les stéréotypes généralement attribués aux pièces de l’auteur. Stella Spriet fait observer que ce sont surtout les metteurs en scène de la deuxième moitié du XX e - siècle, comme Antoine Vitez, et à sa suite son élève Daniel Mesguich, qui ont libéré le théâtre de Racine de son image monolithique de « classique des classiques » (p.-100). En se concentrant sur les mises en scène, entretiens et essais de Mesguich, elle souligne que ce metteur en scène est bien susceptible de jouer les vibrations, les ruptures et les contradictions du texte racinien, de sorte qu’il met « la notion de “classicisme” … à l’épreuve de la scène contemporaine. » (p.-113) Placé sous le signe d’une « improbable rencontre », Gilles Declercq aborde « la question de la transmission de la tragédie du XVII e - siècle dans notre modernité » (p.-xx), et ce à partir d’un exemple bien concret, à savoir de la réalisation de la Phèdre racinienne par Patrice Chéreau aux Atéliers Berthier en 2003. La rencontre de « Chéreau/ Racine » paraît à première vue improbable à cause de l’écart entre l’esthétique de retenue de l’auteur ancien et l’esthétique d’ostentation du metteur en scène moderne n’hésitant pas à ensanglanter la scène pour rendre visible la cruauté de la tragédie classique. Mais cette rencontre a pourtant eu lieu. Le fait que Chéreau a visualisé le fameux récit de Théramène en présentant sur scène le corps d’Hippolyte couvert de sang semble transgresser non seulement la règle classique de la bienséance mais aussi l’effet de sourdine par lequel Leo Spitzer a voulu justifier la présentation barbare de la mort d’Hippolyte, qu’il estime atténuée chez Racine par le simple récit de cet incident, c’est-à-dire par sa limitation à la rhétorique des mots et à l’imaginaire du spectateur. Gilles Declercq révèle, par contre, que dans la tragédie classique du XVII e - siècle, l’imaginaire et la perception visuelle ne forment pas de stricts opposés, mais tendent à converger. Par conséquent, le récit d’une scène d’horreur est conçu pour faire naître chez le spectateur du XVII e -siècle la même impression que si la scène se passait sous ses yeux. Il y a donc moins d’écart entre Chéreau et Racine qu’entre les doctes du XVII e - siècle bannissant l’horreur des yeux du spectateur et les auteurs dramatiques de l’époque cherchant à activer le visuel du spectateur quand ils font appel à son imaginaire avec la rhétorique de leur langage dramatique. En montrant sur scène le corps ensanglanté d’Hippolyte, Chéreau fait, en réalité, simplement ressortir un effet suggéré par les vers de Racine dans le récit de Théramène. Moins sensible à la parole qu’au visuel, le spectateur du XXI e - siècle a cependant plus besoin du spectacle que son homologue du XVII e croyant voir de ses propres yeux les scènes d’horreur que la parole de l’acteur suscite dans son imagination. C’est ainsi que Chéreau/ Declercq révèlent une dimension ambivalente du principe de la bienséance : même si les scènes d’horreur ne sont que rapportées sur scène, elles visent à faire voir l’horreur au spectateur, ne serait-ce que dans son imagination. Leur objectif est que l’imaginaire et le Introduction: où vont les études sur le classicisme? 9 visuel aillent de pair à ce moment-là. Cette ambivalence qui, quant à elle, remonte également au théâtre de l’Antiquité, a été passée sous silence par la plupart des doctes du XVII e - siècle et par les historiens de la littérature des siècles suivants, qui ont repris d’une manière stéréotypée les principes poétologiques élaborés par les théoriciens du théâtre de l’âge classique. En partant de la formule « Racine est Racine » avec laquelle Roland Barthes a dénoté ironiquement le statut classique de l’auteur dramatique, notre article, qui clôt ce volume, se propose d’expliquer pourquoi l’image de Racine auteur classique par excellence s’est maintenue obstinément jusqu’aujourd’hui dans l’opinion publique malgré les révisions qu’ont connues les notions de « classicisme » et de « classique » ces dernières décennies dans la critique savante. Compte tenu de cet objectif, nous considérerons moins les faits concrets de la réception du théâtre racinien que les mécanismes qui ont contribué à la construction et au maintien de l’image de Racine auteur classique lors de la réception de son théâtre au XX e -siècle. A y regarder de plus près, c’est notamment l’instruction publique qui transmet cette image d’une génération à l’autre et l’inscrit dans la mémoire collective et le patrimoine culturel de la France. En revanche, dès les années 1960, la critique savante a affranchi l’image de Racine des règles pour révéler sa véritable portée comme classique : un auteur dont l’œuvre s’adresse et agrée au public, invite à la lecture, anime la réflexion, touche le cœur, ouvre de riches perspectives sur l’homme, la vie, la société ou le monde, toujours lisibles à plusieurs niveaux, que ce soit aux siècles passés ou à l’époque actuelle. Il va de soi que la littérature française du XVII e - siècle dispose d’un corpus riche en œuvres qui remplissent ces fonctions à leur lecture, indépendamment de la question de savoir si elles s’accordent ou non avec la doctrine classique. Néanmoins, il reste à souligner que considérer le long XVII e - siècle français comme une époque classique se justifie également par le fait que la plupart de ses œuvres sont en effet nées sous l’impact du premier classicisme, celui de l’Antiquité grecque et latine. Or, cet impact ne se laisse pas cantonner dans la poétique aristotélicienne et horatienne, mais englobe toute la richesse et diversité d’une littérature et culture qui, quant à elles, s’étendent à plus de siècles que l’ensemble des époques des temps modernes de la Renaissance jusqu’à présent. Compte tenu de ce fait, il n’est pas étonnant que le classicisme du XVII e -siècle s’avère un phénomène hétérogène et complexe admettant de nombreux discours littéraires tantôt convergents, tantôt divergents, influencés, certes, par les modèles antiques, mais toujours soucieux de les actualiser, ne fût-ce que sur le plan d’un humanisme moderne qui correspond à celui du XVII e -siècle.