eJournals Oeuvres et Critiques 41/1

Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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2016
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La Bruyère à l’École républicaine

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2016
Ralph Albanese
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Œuvres & Critiques, XLI, 1 (2016) La Bruyère à l’École républicaine : la réception critique des Caractères (1880-1940) Ralph Albanese The University of Memphis Au début de son essai sur La Bruyère, Barthes reconnaît la place primordiale du moraliste dans le système scolaire français : l’École républicaine « … met en maximes son art, son rôle historique en sujets de dissertation » 1 . Culturellement « déshérité, » La Bruyère échapperait, selon lui, à la modernité et sa vie posthume ne s’avérerait guère remarquable. Toutefois, dans la mesure où le moraliste fait figure d’- « anachronisme, » il a droit à s’inscrire dans l’héritage culturel des Français grâce au « poids de la culture scolaire » (222). Nourri par l’image mythique du Grand Siècle, Barthes évoque alors le statut ambigu de La Bruyère dans le canon scolaire républicain. Afin de sonder la place des Caractères dans le canon pédagogique du XIX e -siècle, il convient de noter que dans les classes de seconde et de rhétorique, La Bruyère est présenté comme un maître de style, car l’enseignement s’appliquait à amener les élèves à reproduire l’écriture formelle du moraliste 2 . Dans les programmes de français avant 1880, La Bruyère apparaît comme un modèle de la prose classique, et les morceaux choisis font partie des programmes de la classe de rhétorique à partir de 1803. En fait, il faut remonter à 1697 pour témoigner de l’utilisation scolaire des Caractères par un oratorien dans son cours de latin (730). La Bruyère représente donc le classique par excellence des écoliers et ses passages se prêtaient parfaitement au découpage en morceaux choisis. Etant donné la portée éducative de l’écriture moraliste, on ne s’étonne guère que Lanson voie en La Bruyère un auteur canonique dans l’enseignement secondaire. C’est ainsi qu’il constate la prédominance du discours scolaire sur le moraliste : « Ni les troubles, Zénobie, qui agitent votre empire, etc. (« Des Biens de Fortune, » 78) ». Le lecteur trouvera, s’il veut poursuivre, dans n’importe quel recueil de Morceaux choisis, cette page fameuse, que tous les élèves de tous les lycées de France ont admirée à tour de rôle, depuis qu’il y a des 1 « La Bruyère, » dans Essais critiques, Paris, Seuil,1964, p.-221. 2 A. Chervel, Histoire de l’enseignement du français du XVII e au XX e -siècle, Paris, Retz, 2006, p.-432. 86 Ralph Albanese lycées. C’est de la rhétorique ; mais c’est de la rhétorique pittoresque, et non morale : ce n’est plus le lieu commun, c’est le pompier. Et ce fut neuf à son jour. 3 Outre leur valeur documentaire, les Caractères en viennent à représenter, au cours du XIX e -siècle, « … un recueil d’exercices littéraires. » 4 Symbole-exemplaire de l’enseignement à l’École républicaine, Lanson témoigne de l’impératif littéraire de la pédagogie de la Troisième République 5 , qui visait à canoniser laïquement La Bruyère en mettant en évidence ses valeurs morales et idéologiques. À cela s’ajoute l’autorité morale propre au style même de cet auteur 6 . Nous allons ainsi tenter de comprendre l’enjeu de la transformation de la critique universitaire sur les Caractères (Sainte-Beuve, Nisard, Taine, Lanson et Brunetière, parmi d’autres) en discours scolaire, telle qu’elle se révèle dans les manuels laïques et catholiques entre 1880 et 1940. Dans son Génie du christianisme (1802), Chateaubriand loue la diversité ainsi que le style de La Bruyère. Il le tient avec Pascal pour un des grands apologistes de la religion chrétienne 7 . À l’en croire, s’il revenait au monde, le moraliste serait choqué de voir à quel point le christianisme a été dégradé au cours du XVIII e - siècle. Compte tenu de la déperdition du code de l’honnêteté mondaine et de la politesse du siècle classique, tous les vices abordés par La Bruyère se manifestent avec encore plus de force dans une époque post-révolutionnaire marquée par l’impiété, et le noble vicomte cite ce passage des Caractères : Si ma religion était fausse, je l’avoue, voilà le piège le mieux dressé qu’il soit possible d’imaginer : il était inévitable de ne pas donner tout au travers, et de n’y être pas pris. Quelle majesté, quel éclat des mystères ! quelle suite et quel enchaînement de toute la doctrine ! quelle raison éminente ! quelle candeur, quelle innocence de vertus ! quelle force invincible et accablante des témoignages rendus successivement et pendant trois siècles entiers par des millions de personnes les plus sages, 3 L’Art de la prose, Paris, Fayard, 1923, pp.-118-119. 4 R. Picard, Génie de la littérature française, Paris, Hachette, 1970, p.-34. 5 Voir M. Jey, La Littérature au lycée. Invention d’une discipline (1880-1925), Metz, Centre d’Études Linguistiques, 1998. 6 Il convient de citer, à ce sujet, A. Fouillée, professeur de philosophie à la Sorbonne : « Considérée philosophiquement, la grammaire a sa moralité », L’Enseignement du point de vue national, Paris, Hachette, 1909, p.- 305. Le propos de Fouillée met en valeur le rapport fondamental entre le culte de la langue et de la littérature françaises (y compris les normes classiques de la correction et de la clarté) et la mise en place d’une morale républicaine. Voir M. Martin Guiney, Teaching the Cult of Literature in the French Third Republic (New York, Palgrave Macmillan, 2004, pp.-177-181). 7 Génie du christianisme, II, Paris, Garnier, 1926, p.-22. La Bruyère à l’École républicaine 87 les plus modérées qui fussent alors sur la terre, et que le sentiment d’une même vérité soutient dans l’exil, dans les fers, contre la vue de la mort et du dernier supplice ! (Des Esprits Forts, 34). 8 Aux antipodes du jugement de Chateaubriand, Sainte-Beuve met en doute l’intention apologétique de La Bruyère en matière de christianisme (1844). Il attribue plutôt au moraliste « un spiritualisme fortement raisonné » et considère son dernier chapitre, « Des Esprits Forts, » comme « une précaution ménagée d’avance contre les attaques qui n’ont pas manqué, et à une conviction profonde. » 9 À l’instar de Molière, La Bruyère s’en prend au règne grandissant de la fausse dévotion. Par ailleurs, il a dû, d’après Sainte- Beuve, s’efforcer de ne pas s’en tenir aux modèles esthétiques de Pascal et de La Rochefoucauld en faisant preuve d’innovation stylistique. Sainte-Beuve admire le premier chapitre des Caractères, « Des Ouvrages de l’Esprit, » qu’il considère comme « son Art poétique et sa Rhétorique » (1013). Il exalte, en particulier, le souci du moraliste de cultiver-« le mot juste ». Dans son effort pour se distinguer nettement du style de Pascal et La Rochefoucauld, La Bruyère témoigne, dans les Caractères, d’un rajeunissement formel. Sainte- Beuve prône également l’esthétique « minimaliste » du moraliste : « le mieux dans le moins, c’est sa devise » (1021). En privilégiant, chez La Bruyère, la forme sur le fond, l’auteur des Nouveaux Lundis semble s’orienter vers un idéal moral républicain, c’est-à-dire, aux antipodes de la morale chrétienne. Le cas de Sainte-Beuve illustre à quel point la critique universitaire va s’appliquer à intégrer la problématique du style de La Bruyère au sein de la morale positiviste et républicaine. Après avoir évoqué le danger inhérent à la satire, le critique exalte- « la hardiesse et l’adresse » de l’auteur des Caractères 10 . Il se livre alors à l’éloge de son livre qui, dans sa version définitive de la cinquième édition (1690), met en valeur « l’esprit français à l’étranger » : … c’est … un des livres les plus substantiels, les plus consommés, que l’on ait, et qu’on peut toujours relire sans jamais l’épuiser, un de ceux qui honorent le plus le génie de la nation qui les a produits. Il n’en est pas de plus propre à faire respecter l’esprit français à l’étranger… (239). Sainte-Beuve observe par la suite que les Caractères font ressortir l’image royale de Louis le Grand, située au beau milieu de l’œuvre. Malgré la 8 Toute référence aux Caractères renvoie à l’édition d’E. Bury, Paris, Livre de Poche, 1995, p.-586. 9 « Portraits littéraires, » dans M. Leroy, éd., Œuvres, Paris, Gallimard, 1956, p.-1012. 10 « La Bruyère, » dans La Littérature française des origines à 1870, Paris, Renaissance du Livre, 1926, p.-232. 88 Ralph Albanese sincérité de sa foi, le critique estime que la pensée du moraliste côtoie les courants philosophiques « rationalistes, néo-cartésiens, éclectiques » propres à ceux qui « … auront des tendances et des convictions religieuses intellectuelles plus encore que des croyances. … cette pointe finale vers le Ciel était, après l’éloge du roi, un second paratonnerre » (241). Bien qu’il admire la variété des sujets abordés dans les Caractères, ouvrage nettement tourné, dit-il, vers l’avenir, Sainte-Beuve reproche à La Bruyère son soutien de la Révocation de l’Édit de Nantes (245). Directeur de l’École Normale Supérieure dès 1857, Nisard a joué un rôle significatif dans la formation des professeurs sous le Second Empire et encore au-delà grâce à son Histoire de la littérature française, paru en 1840, qui constitue la première histoire systématique des lettres françaises. Nisard juge, d’abord, que la popularité de La Bruyère réside dans le fait qu’il vise à améliorer le sort d’une humanité imparfaite par sa morale - c’est-à-dire, des préceptes de convenance - qui s’inspire de Montaigne, de Molière et de La Fontaine 11 . Cette morale, « plus philosophique que chrétienne, » prend une dimension universelle et repose d’ailleurs sur une justice rémunératrice. Conformément à Sainte-Beuve, Nisard met en question l’inspiration chrétienne de La Bruyère. Sur un autre plan, il soutient que le moraliste, en raison de sa prise exceptionnelle sur la cour et sur la ville, peut s’interroger sur les travers humains alors que La Rochefoucauld s’attaquait aux « grands vices » (225). Loin d’examiner des caractères mus par de grandes passions, La Bruyère traite les manières quotidiennes et les habitudes de divers types. « Moraliste littérateur, » il adopte une philosophie éclectique qui fait songer à Victor Cousin. Aussi invite-t-il ses lecteurs à envisager « la vérité toute nue » comme la conséquence de leur propre sagesse (229). S’adressant davantage à l’imagination de son lecteur plutôt qu’à sa raison, ses portraits finissent par enseigner mieux que la morale plus dogmatique de Pascal et de La Rochefoucauld. Nisard affirme alors que « (les chapitres de la première édition des Caractères) comprennent à peu près toute la morale pratique dans une société monarchique et chrétienne » (231). Ayant loué l’enrichissement du texte grâce à ses multiples éditions, le critique estime que les Caractères, à l’instar du théâtre de Molière, permettent aux lecteurs de s’identifier à tous les divers types dépeints. On se rend compte alors de la valeur morale des portraits de La Bruyère, qui se répercutent à travers les classes sociales. C’est ainsi que Nisard définit la démarche critique du moraliste : « Philosophe, écrivain satirique, moraliste chrétien, esprit mordant, libre, fier, d’une indépendance qui ne fléchit que sous le devoir, il est tour à tour sévère jusqu’à une certaine amertume et enjoué jusqu’au caprice » (235). 11 Histoire de la littérature française, Paris, Didot, 1857, p.-220. La Bruyère à l’École républicaine 89 Dans cette optique, La Bruyère voit avec lucidité et parfois avec une sobre indignation les vices des Grands. Soucieuse d’éviter le dogmatisme qui tend à ennuyer le lecteur, sa morale s’apparente à celle de La Fontaine dans la mesure où La Bruyère n’offre aucun remède aux divers maux de la condition humaine. Son enseignement étant raisonnable, tout se passe comme si le moraliste s’appliquait à rehausser la pensée de son lecteur. Si Nisard exalte la richesse de ses portraits, c’est pour démontrer que ceux-ci tendent à fortifier l’esprit français de la médisance (240). Afin de créer une série remarquable de types comiques, La Bruyère fait preuve aussi d’un degré considérable de variété, à savoir « la finesse, l’originalité des formes et des tours » (241). Voilà ce qui constitue, selon Nisard, la nouveauté de son style. Fondée sur le déterminisme scientifique, la doctrine de Taine a exercé une influence notable sur l’Université française sous la Troisième République. Tous les lycéens de l’époque ont dû rédiger des dissertations sur « … les sentiments qu’on appelle aujourd’hui démocratiques » tels qu’ils apparaissent dans les Caractères de La Bruyère 12 . Dans ses Nouveaux Essais de critique et d’histoire (1886), Taine s’interroge sur la vie personnelle du moraliste et fait ressortir le dédain « brutal » et « farouche » que son patron, le grand Condé, lui a témoigné ainsi que la méchanceté de Mme la Duchesse (41). Il signale par ailleurs le mépris souverain des Grands envers le peuple et les gens de lettres. À cause de sa condition subalterne, La Bruyère a été marqué, selon Taine, par un vif ressentiment qu’il serait possible de noter dans le portrait de Chrysante et Eugène (« Des Biens de Fortune, » 54), illustrant dans quelle mesure l’inégalité sociale finit par corrompre les rapports entre des individus de rangs différents (42-43). Rapprochant à maintes reprises le cas de La Bruyère de celui de Rousseau, Taine met en évidence le décalage frappant entre « … leur génie et leur fortune » (43). Dans cette perspective, on s’aperçoit qu’en faisant la morale, La Bruyère ne peut s’empêcher d’être emporté par la colère. Du reste, sa souffrance rend compte de sa compassion envers les pauvres. Victime de l’oppression sociale attribuée à l’Ancien Régime, La Bruyère aurait pressenti alors « L’esprit de la Révolution » ; (voir notamment « De l’Homme, » 128 et « Des Grands, » 25) : « L’oppression produit toujours la révolte, et l’on aime l’égalité cent ans d’avance, lorsque cent ans d’avance on a souffert de l’inégalité » (44). Dans cet ordre d’idées, le portrait sympathique qu’il brosse du-moraliste se montre révélateur : « Par son christianisme, la Bruyère est du dix-septième siècle. Par sa tristesse et son amertume, il est notre contemporain » (45). 12 Ce sujet découle du propos de Taine (Nouveaux Essais de critique et de littérature). Voir « La Bruyère était-il un démocrate ? , » dans M. Morel, et al., La Composition française, Paris, Nathan, 1964, pp.-156-157. 90 Ralph Albanese Bien que le style de La Bruyère ait été caractérisé par la verve, il lui manquait, d’après Taine, l’esprit de synthèse car il s’en tient aux « vérités de détail » (45). Par rapport aux grands moralistes du XVII e -siècle, l’originalité faisant défaut à l’auteur des Caractères, il ne parvient pas à s’adresser à l’humanité. Toutefois, Taine en arrive à transposer la critique socio-politique de cette œuvre aux « sentiments démocratiques » de la Troisième République. Il termine son analyse en insistant sur la nécessité qu’éprouvait La Bruyère de se rabattre sur l’art d’écrire. « Né chrétien et Français » 13 , il ne lui restait plus qu’à se livrer exclusivement-à sa seule passion pour l’écriture : « Là est sa dernière tristesse et son dernier mot » (50). Maître de la critique universitaire sous la Troisième République, républicain et dreyfusard, Lanson a fondé sa notion d’histoire littéraire sur l’idéal d’érudition scientifique et positiviste. Il envisage La Bruyère comme un véritable artiste de la prose (1923). Selon lui, l’esthétique formaliste de cet auteur l’amène à répugner aux clichés 14 . Au demeurant, La Bruyère excelle à mettre en relief l’ensemble des figures de rhétorique. Quant au chapitre sur « Des Esprits Forts, » Lanson valorise sa dimension laïque : « Le chapitre des Esprits forts n’est autre chose que le catéchisme philosophique d’un honnête homme qui ne pense pas par lui-même sur ces matières, et qui a lu Descartes. » 15 Éditeur de la Revue des deux mondes sous la Belle Époque et professeur à l’École Normale Supérieure, Brunetière voue, à l’instar de Nisard, un culte au classicisme. Il considère La Bruyère comme un écrivain de transition, bref, un satirique (1912) 16 . S’inscrivant dans la tradition moraliste de Pascal et La Rochefoucauld, l’auteur des Caractères cherche avant tout à édifier ses lecteurs tout en faisant œuvre utile (610). Soulignant la primauté, chez lui, des qualités de style, Brunetière affirme : « … les Caractères sont le répertoire de la rhétorique classique » (611). Le critique dogmatique rejette catégoriquement la boutade célèbre de La Bruyère portant sur la « contrainte » qu’éprouverait le moraliste né « chrétien et Français » dans le registre satirique (« Des Ouvrages de l’Esprit, » 65). Étant donné la mise en vigueur de la satire sociale et politique dès la quatrième édition (1689), aucun groupe social - courtisans et grands, magistrats et partisans, dévots et libertins - 13 « Un homme né chrétien et Français se trouve contraint dans la satire ; les grands sujets lui sont défendus : il les entame quelque fois et se détourne ensuite sur de petites choses, qu’il relève par la beauté de son génie et de son style » (« Des Ouvrages de l’Esprit, » 65, les Caractères, éd. E. Bury, p.-154). 14 L’Art de la prose, 124-125. 15 « Influence de la philosophie cartésienne sur la littérature française, » dans H. Peyre, éd., Essais de méthode de critique et d’histoire littéraire, Paris, Hachette, 1965, p.-220. 16 Histoire de la littérature française classique, II, Paris, Delagrave, 1912, p.-603. La Bruyère à l’École républicaine 91 n’échappe à cette critique. Une telle visée communément répandue sert, selon Brunetière, à conforter l’idéal humanitaire du satirique. Quoiqu’il ait un tempérament « frondeur, » on ne peut guère traiter La Bruyère de révolutionnaire (614). Se réclamant de Taine, le critique estime en plus que la pensée systématique fait défaut au moraliste, qui « ne découvre que des vérités de détail »-(615). Les limites de cet essai nous empêchent de tenir compte de l’ensemble de la critique exégétique sur La Bruyère sous la Troisième République 17 . Cependant, nous voudrions examiner le discours critique de J. Benda pour nous faire une idée plus complète des perspectives universitaires sur le moraliste à cette époque. Dans son analyse des Caractères, J. Benda discerne chez le moraliste un esprit progressiste (1939). Se référant explicitement au discours scolaire de la Troisième République sur La Bruyère, il se fait une image laïque et républicaine d’un écrivain qui a pris à partie « les privilèges du sang » et a témoigné d’une compassion sincère à l’égard des pauvres 18 . Sur le plan politique, le critique fait remarquer dans les Caractères l’idée qu’un régime démocratique relevait au XVII e - siècle de l’utopie sociale (160). Aussi Benda voit-il en La Bruyère un moderniste avant la lettre, un maître laïque qui avait le goût de la stylisation ou, plus précisément, « La religion de l’effet littéraire » (166). Dans son éloge, le critique va jusqu’à prêter un statut « métaphysique » à l’écriture de La Bruyère, c’est-à-dire, qu’il admire chez lui la finalité de l’art, la primauté absolue de la forme par rapport au fond (168). D’où son exaltation des multiples innovations stylistiques de La Bruyère : « … vous êtes bien le père de nos impressionnistes, de nos stendhaliens, de nos nietzschéens, de nos gidiens, de tous nos miliciens de l’écriture sporadique » (162). Tout se passe comme si Benda finissait par s’approprier l’écriture du moraliste : « vous êtes des nôtres par votre style » (167). Remarquons que le critique finit par mettre en question la validité du discours scolaire sur La Bruyère puisqu’il évoque les maîtres et les manuels qu’ils ont utilisés pour transmettre une image conventionnelle de l’apport politique des Caractères. Après avoir signalé l’ensemble des problèmes sociaux de son époque abordés par La Bruyère (cf. « Des Biens de Fortune, »- « De la Ville, » « De la Cour » et « Des Grands »), Benda constate- la décadence de l’idéal classique dans 17 Voir notamment V. Fabre, Éloge de La Bruyère, 1810 ; M. Pellisson, La Bruyère, 1891 ; A. Rébelliau, « Les Moralistes : La Rochefoucauld et La Bruyère, » dans Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française, 1898 ; A. Vinet, Moralistes des seizième et dix-septième siècles, 1904 ; M. Lange, La Bruyère critique des conditions et des institutions sociales, 1909 ; G. Michaut, La Bruyère, 1936 ; et F.-Taver, L’Idéal moral et l’idée religieuse dans-les ‘Caractères’ de La Bruyère, 1940. 18 « La Bruyère, » dans Tableau de la littérature française, II, Paris, Gallimard, 1939, p.-156. 92 Ralph Albanese les Caractères. Par ailleurs, il situe le « problème politique » au sein des réflexions du moraliste (158). Dans son édition des Caractères, le critique soutient que cette œuvre marque un tournant réel dans l’histoire littéraire française 19 . Dans « Du Souverain et de la République, » il décèle une mise en accusation du régime louis-quatorzien : le despotisme du Roi a pour effet, selon lui, de nuire au sentiment patriotique. Alors que La Bruyère dénonce le luxe cher à la bourgeoisie montante, il privilégie le salut de l’État par rapport à sa louange de la figure royale. Benda érige La Bruyère, en définitive, en écrivain politique. Si l’écriture de La Bruyère s’avère peu méthodique aux yeux du critique, c’est que le moraliste est mû par son humeur capricieuse. Comme on l’a vu, Benda voit en lui le précurseur de l’esthétique impressionniste. Il fait remarquer que la modernité de La Bruyère se manifeste, plus précisément, par l’importance qu’il attache aux gestes (xx). Marqué par les dogmes chrétiens, le moraliste estime que son œuvre devait viser à l’édification des Chrétiens de son temps. Enfin, la vraie modernité de La Bruyère réside, selon Benda, dans le fait qu’il annonce l’écriture moderne (xxii). Le discours scolaire qui relève des manuels de cette époque met en évidence une mise en opposition entre les valeurs laïques et les valeurs cléricales. Cet antagonisme reflète, de toute évidence, les « guerres culturelles » du XIX e - siècle. Il convient d’examiner maintenant quelques exemples des manuels et éditions ecclésiastiques qui faisaient partie intégrante des programmes de l’enseignement confessionnel. Dans l’ensemble, ces livres scolaires visaient à rattacher La Bruyère à la tradition catholique et monarchique et envisageaient le christianisme comme le fondement exclusif de la morale. Dans ses Leçons de littérature française classique (1867) 20 , L. Pylodet estime que La Bruyère, soucieux avant tout de démontrer la vérité, fait preuve d’une vision chrétienne qui l’amène à se livrer au combat contre l’athéisme et l’impiété. À ses yeux, c’est la religion qui soutient la « saine morale » de La Bruyère (332) ; il va de soi, dans cette optique, que la base de la vertu s’inscrit dans le christianisme. Conformément aux prédicateurs, le moraliste livre bataille contre l’incrédulité (cf. « Des Esprits Forts, » 2, 12, 13). Quant à son écriture, elle échappe à l’imitation puisque sa force-stylistique s’avère la plus originale. Dans son édition des Œuvres de La Bruyère (1818) 21 , G.B. Depping affirme qu’en tant que moraliste, La Bruyère se tenait à l’écart de la société mondaine. En raison de sa piété profonde, il soutenait l’expulsion des 19 La Bruyère, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1951, p.-xvii. 20 L. Pylodet, Leçons de littérature française classique, New York, Holt, 1867. 21 G.B. Depping, éd., Œuvres de La Bruyère, Paris, Belin, 1818. La Bruyère à l’École républicaine 93 hérétiques à la suite de la Révocation de l’Édit de Nantes. Par ailleurs, ses croyances religieuses l’ont empêché de pousser sa critique sociale à la limite. Honnête homme exemplaire, les observations de La Bruyère se montrent susceptibles d’être utiles aux jeunes gens désireux de s’engager dans une carrière littéraire (vii). Enfin, son insistance sur les problèmes contemporains des Grands qui appartiennent au « grand monde » marque l’évolution des mœurs à la fin du XVII e -siècle. Professeur de rhétorique, l’auteur anonyme (P.M.) témoigne d’une perspective chrétienne et monarchique sur les Caractères (1889) 22 . Quant à la variété exceptionnelle des tours stylistiques dans cette œuvre, il observe que Littré trouve chez La Bruyère « un inventaire des richesses de notre langue » (192). P.M. met en valeur alors la profondeur de la foi chrétienne du moraliste : les travers et les vices de son siècle s’expliquent chez les divers caractères, selon lui, en fonction de leur « oubli de Dieu » (196). Se réclamant de Chateaubriand, il fait remarquer que la démarche apologétique de La Bruyère dans les « Esprits Forts » n’atteint guère l’envergure rhétorique de Pascal (194). P.M. exalte, enfin, la vision aristocratique, voire anti-démocratique qui se manifeste dans les Caractères : La peinture de la Bruyère sera lue avec intérêt et profit, aussi longtemps qu’il y aura en France une société digne de ce nom, tant que la démocratie, avec son grossier sans-gêne, n’aura pas prévalu sur ces traditions de savoir-vivre et de bon ton que nos pères nous ont léguées « et qui, mieux peut-être que leurs victoires et que leurs livres, ont assuré la prépondérance de l’esprit français en Europe » (202). À l’encontre des manuels d’inspiration cléricale se trouvent les ouvrages de P. Albert, F. Hémon et E. Faguet qui illustrent, à des degrés divers, la perspective laïque et républicaine sur les Caractères. Dans La Littérature française au dix-septième siècle (1873), P. Albert affirme que La Bruyère dévoile les divers abus des puissances établies : « Gouvernement, religion, état social, voilà les causes premières de cette décadence dont les preuves surabondent… » (391). Cette prise de position suppose une critique de la flagornerie des courtisans : « … contre les vices des hommes tout est permis ; le roi voit sans déplaisir ses sujets critiquer ses sujets, mais à une condition, c’est que lui et les siens, le trône et l’autel, ces maîtres, ces princes de l’édifice, nul n’y tombera qu’avec les genoux et en se prosternant » (391). Dans cet ordre d’idées, il n’était pas question d’émettre des doutes sur la vision idéalisée du Roi. Notons, à cet égard, qu’Albert fait un rapprochement idéologique de La Bruyère et de Bossuet (393). Après avoir observé que La Bruyère s’est livré 22 Études littéraires sur les auteurs français, Paris, Delhomme et Briguet, 1889. 94 Ralph Albanese à la satire tout en restant un subalterne respectueux (394), le critique fait ressortir les aperçus pertinents du moraliste sur la misère des pauvres (398). F. Hémon envisage La Bruyère en tant que précurseur des Lumières qui met en cause les abus des Grands, portés le plus souvent à faire le mal : « La Bruyère ne s’emporte pas ; il analyse froidement, précisément, scientifiquement les motifs de haine que, vers 1690, au milieu des souffrances et de la misère croissantes, un bon chrétien croit avoir contre les grands qui environnent le prince. » 23 En plus, le moraliste fustige le dédain des Grands à l’égard des bourgeois ainsi que leur oppression du peuple. Quant à la Cour, il s’y adonne à une critique virulente. D’autre part, La Bruyère a bien noté l’idolâtrie royale, mais il ne l’a guère mise en question (20). À cela s’ajoutent la décadence de la noblesse besogneuse et le déplacement de l’idéal aristocratique par suite de la primauté de l’argent (21). E. Faguet décèle une compassion réelle de la part de La Bruyère quand il évoque le sort des paysans de son époque (cf. « De l’Homme, » 128 : « L’on voit certains animaux farouches… ») ; (« Des Grands, » 25 : « Faut-il opter ? … je veux être peuple ») 24 . Ensuite le critique, qui a occupé une chaire de poésie française à la Sorbonne (1905), signale la situation paradoxale dans laquelle se trouve La Bruyère qui, malgré son statut laïque, s’est appliqué à défendre le christianisme 25 . Après avoir perçu que la volonté de réforme sociale rapproche le moraliste des partisans de la démocratie, voire du socialisme, Faguet le traite de « propagateur laïque » qui se donne pour tâche de vulgariser les propos des sermonnaires catholiques du XVII e - siècle, que le critique tient pour « démocrates, » « anticléricaux » et « socialistes » (795). On s’aperçoit alors que La Bruyère aurait repris à son compte l’ensemble des « idées subversives » mises en avant par les prédicateurs chrétiens. Aux yeux du critique, il s’agit d’une vision nettement laïque de la pauvreté et de la misère. D’où sa formule parodique : « Au Clergé catholique du XVII e -siècle la Révolution reconnaissante. » Aussi le moraliste s’engage-t-il personnellement dans ce plaidoyer social : « Il y a dans La Bruyère un peintre avant tout ; puis un psychologue, un critique, un philosophe, un sociologue, un théologien même, un elégiaque aussi et quelquefois charmant, - et enfin il y a un ambitieux déçu qui fut envieux » (802). Vivant dans une résignation hargneuse, La Bruyère éprouve, dans cette optique, une jalousie inextinguible à l’égard des Grands. On aurait intérêt, en fin de compte, à relever quelques sujets de composition portant sur les Caractères ; il s’agit, bien évidemment, d’une pratique scolaire communément admise tant dans l’enseignement confessionnel 23 Cours de littérature, II, Paris, Delagrave, 1894, p.-17. 24 Dix-septième siècle, Paris, Boivin, s.d. 25 « De la démocratie dans La Bruyère, » Revue des deux mondes, 52 (1909), 795-808. La Bruyère à l’École républicaine 95 que dans l’enseignement laïque. On peut se pencher d’abord sur un sujet tiré des Nouveaux Essais de critique et d’histoire de Taine : « La Bruyère était-il un démocrate ? » 26 Dans son plan de dissertation, M. Morel fait remarquer que malgré la grossièreté du peuple, La Bruyère admire sa bonté foncière. Bien que le moraliste mette en évidence l’inégalité des fortunes, il s’en remet avec sérénité à la vision traditionnelle de la hiérarchie sociale. De même, quoiqu’il dénonce les abus dans les institutions de son temps, La Bruyère n’est guère pour autant mû par une idéologie révolutionnaire (157). Un autre sujet de baccalauréat, proposé à Paris en 1931, reprend le propos de Jules Lemaître qui soutenait que La Bruyère est « l’homme le plus intelligent du XVII e -siècle » et « … de tous les écrivains de ce temps-là, celui qui, revenant au monde, aurait le moins d’étonnement. » 27 Dans les conseils qu’il offre aux élèves, D. Mornet juge que Molière s’avère bien plus moderne que La Bruyère puisqu’ « il enseigne une morale toute laïque » (118). Dépourvu du modernisme moliéresque, l’auteur des Caractères,- « un chrétien très convaincu, » a mené, par contre, une vie bien plus méditative et peu conforme à l’idéal laïque. Les sujets suivants s’apparentent davantage à l’enseignement laïque. Voici que Vauban, économiste et ingénieur militaire, remercie La Bruyère d’avoir attiré l’attention de ses lecteurs sur l’existence misérable des paysans français : « Vauban écrit à La Bruyère pour le féliciter d’avoir, dans son livre des Caractères, appelé l’attention de ses lecteurs sur le sort misérable des paysans de France » (Baccalauréat ès lettres, Paris, 1884) 28 . À propos d’un passage tiré de « La Société et de la Conversation » (82, « Nicandre s’entretient avec Élise… il veut se remarier ») 29 , M. Jasinski explique aux élèves que La Bruyère distribue avant tout des leçons de morale ; le moraliste illustre, dans ce portrait, le principe fondamental de l’inégalité sociale : La Bruyère nous peint des gens de son temps ; il met en présence deux castes de la nation, différentes par les sentiments, l’éducation, le costume même. Mais, en quoi il est bien du XVII e -siècle, il fait aussi une peinture morale, d’un intérêt éternel : l’opposition de la jeunesse pauvre, mais belle et fine, et d’une vieillesse désillusionnée, cupide, au cœur bas, qui, pour arriver à ses fins, tâche d’éveiller des sentiments vils dans le cœur d’autrui. 30 26 M. Morel, et al., La Composition française, op.-cit., p.-156. 27 D. Mornet, La Littérature française enseignée par- la dissertation, Paris, Larousse, 1936, pp.-117-118. 28 Cité par A. Chervel dans La Composition française au XIX e -siècle dans les principaux concours et examens de l’agrégation au baccalauréat, Paris, INRP, 1995, p.-315. 29 Bury, éd., Les Caractères, pp.-257-258. 30 La Composition française au baccalauréat, Paris, Vuibert et Nony, 1907, p.-78. 96 Ralph Albanese Dans le sujet suivant, le candidat au bac est invité à réfléchir à la honte en tant que phénomène social : lorsqu’on assiste aux souffrances d’autrui, n’est-il pas normal d’éprouver de la compassion ? Plus précisément, le moraliste valorise ici la primauté des « devoirs sociaux » : La Bruyère a dit dans son chapitre De l’homme : « Il y a une espèce de honte d’être heureux à la vue de certaines misères » - 1) Vous montrerez la valeur morale de cette pensée et vous donnerez des exemples qui en prouvent la justesse. - 2) Vous chercherez d’où naît ce sentiment de ‘honte’ dénoncé par La Bruyère, quels devoirs sociaux il nous rappelle et quels principes de conduite nous en devons tirer » (Faculté de Nancy, août 1897). 31 Malgré la grande divergence des perspectives critiques sur La Bruyère, il est évident qu’il occupe une place privilégiée dans le Panthéon scolaire de la Troisième République. Les Caractères témoignant souvent des éléments constitutifs d’une société en voie de laïcisation, il importe de faire ressortir, en guise de conclusion, l’apport du moraliste à l’évolution des mentalités à la fin du XVII e -siècle 32 . A. Rébelliau invoque l’éloge de Basnage, un écrivain protestant de l’âge classique, qui a décelé dans les Caractères « une noble intrépidité » évoquant « la liberté d’un républicain. » 33 Plus proche de nous, R. Pomeau considère La Bruyère comme « (un) conservateur critique - sinon révolutionnaire » 34 et signale, en plus, dans une formule paradoxale, son « monarchisme d’inspiration républicaine » (136). Si l’on admet, avec Barthes, que les Caractères s’apparentent à une série de fragments, il faut-reconnaître qu’il existe, dans cet ouvrage, un équilibre précaire sinon un enchevêtrement perpétuel entre les fragments monarchiques et les fragments républicains. En soulignant la mise en place d’une écriture fragmentaire, Barthes rattache La Bruyère à la modernité. Grâce à une vision du monde moderniste, le moraliste s’engage sur le plan éthique et politique 35 . Outre la mise en question implicite de la doxa monarchique, Barthes estime que le lecteur des Caractères doit s’appliquer à déchiffrer la signification sous-jacente à cette « écriture du discontinu » chère au moraliste (134). La forme étant, chez La Bruyère, le véhicule du sens, Barthes finit, à en croire J. Brody, par revaloriser « le discontinu radical-du 31 Chervel, La Composition française …, p.-431. 32 Voir sur ce point F.-X. Cuche, Une Pensée sociale catholique : Fleury, La Bruyère et Fénelon, Paris, Éd. du Cerf, 1991, p.-509. 33 Les Auteurs français du brevet supérieur, Paris, Hachette, 1909, p.-xxxi. 34 « La Bruyère, » L’Âge classique, III, Paris, Arthaud, 1971, p.-132. 35 C. Coste, Roland Barthes moraliste, Presses Universitaires du Septentrion, 1998, p.-55. La Bruyère à l’École républicaine 97 langage ». 36 Le critique juge, d’autre part, que le moraliste opère une sorte de découpage anthropologique de la société monarchique. S’ouvrant sur la littérature dans les « Ouvrages de l’Esprit, » - c’est-à-dire, le classicisme scolaire qui repose sur une culture laïque -, les Caractères s’achèvent sur la religion (cf. l’apologétique chrétienne propre aux « Esprit Forts ») 37 . L’imaginaire de La Bruyère étant fondé sur la notion de la « clôture » sociale, le moraliste en arrive à dégager le « partage économique » dont témoignait le règne de Louis XIV (227). La Bruyère s’avère assujetti, dans cette perspective, au culte royal et dispose seulement de son écriture comme arme principale, et l’on songe finalement à la réflexion de Taine. L’immobilité du « regard du roi-dieu » se ramène alors, en dernière analyse, à une contrainte intellectuelle (231)- et Sainte-Beuve et Taine, parmi d’autres, parviennent, en fait, à récupérer les valeurs du Grand Siècle au nom de la laïcité 38 . 36 J. Brody, Du style à la pensée. Trois études sur-« Les Caractères » de La Bruyère, Lexington, French Forum, 1980, p.-58. 37 Essais critiques, p.-223. 38 Je tiens à remercier Denis Grélé et M. Martin Guiney de leurs excellentes suggestions lors de l’élaboration de cet essai.