eJournals Oeuvres et Critiques 42/2

Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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2017
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Où le lilas criait pour aveugler

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2017
Philippe Richard
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« Où le lilas criait pour aveugler » Philippe Richard Grâce à la manifestation de ces fragments d’existence qui ressuscitent une vraie plénitude de vie et acquièrent une nouvelle présence dans le bruissement même de la langue - « Mémoire et lieux qui fuyaient dans les mots » (Jables) -, l’écriture poétique de Vargaftig manifeste un constant travail d’exhaussement du verbe en direction d’un monde soudainement rendu à sa visibilité première, par l’événement de son apparition soudaine et retrouvée - « Stupeur brusquement si ouverte » (Distance nue) - comme par l’acquiescement de son émotion vitale et jaillissante - « L’ailleurs surgit/ L’ailleurs/ Brûlure ô réel » (Lumière qui siffle). L’affect morphogène qui régit la littérature est dès lors recréé par le propre mouvement d’un texte toujours nouveau - « Espace comme rien ne se referme » (Dans les soulèvements) - plus qu’il n’est traduit à partir de l’impression passée d’un vécu parfois égarant - « Trembler tendresse imperceptible » (Description d’une élégie). Vargaftig se fait ainsi le poète de l’expérience - traversant le réel (per) grâce à cette conscience surprise qui arrache le monde (ex) au strict plan de l’immanence - quand il devient pour nous l’écrivain de l’éclat - travaillant la langue au feu de cette attente qui laisse surgir (sub) les choses de façon naturellement imprédictible. En un éclair authentique - « La clarté tout à coup d’un éraflement » (Comme respirer) - apparaît donc l’histoire qui ne peut s’effacer - « Comme un oubli ne se soumet pas en moi » (Trembler comme le souffle tremble). Un texte miraculeusement énigmatique du recueil Si inattendu connaître de 2006 porte d’ailleurs cette vie qui, loin de se rêver autre qu’elle ne fut, s’invente autrement qu’elle n’exista pour vivre à présent le plus réellement possible. Méditons avec lui l’appropriation du vivant, dans l’étonnement même d’être encore là, comme en-deçà de la mort qui aurait pu nous prendre mais nous a laissé fuir, « où le lilas criait pour aveugler » : Aucune syllabe ne devient la même Quel acquiescement laisse ouvert Si vite dans le commencement En tremblant comme l’oubli se produit 70 Philippe Richard Comme déchiré sans cesse Quand la détresse n’humilie pas Ni l’énigme qui par espoir Précède compassion et fauvette Envol et terreur qu’avec la rue éparse Le dévalement s’approprie Qu’y a-t-il eu que fuit le silence Où le lilas criait pour aveugler La première strophe du poème manifeste immédiatement le jaillissement d’une nouveauté : l’indétermination du sujet associée à l’idée de renouvellement perpétuel (« Aucune syllabe ne devient la même »)- et l’acceptation de l’horizon lié à l’idée d’enfantement possible (« Quel acquiescement laisse ouvert ») laissent apparaître un mouvement de genèse (« Si vite dans le commencement »), dans la fragilité d’une promesse qui traverse le monde sans trop savoir où l’emmèneront les choses (« En tremblant comme l’oubli se produit »). Les finales ouvertes de chaque vers, isolant la fermeture du troisième segment qui souligne le terme essentiel du poème en sa valeur d’origine, laissent se déployer une musique douce donnant à l’élancée ici figurée par les mots un caractère aussi morphogène que pacifiant. L’exclamation du deuxième vers, commentée par les deux initiales qui la suivent (« si vite » et « en tremblant »), met en évidence la liberté contenue dans le verbe « laisser » et maintenue par l’allitération en sifflante. Ce mouvement de communion au monde, pas même éteint par les termes restrictifs des vers un et quatre contextuellement transfigurés en teneurs positives, est d’ailleurs magnifié par une éthique de l’humilité portée en deux termes euphoniques (« acquiescement » et « tremblant ») pour être enchâssée en une strophe de rythme régulier (10/ 9/ 9/ 10). Aucun oubli ne s’impose donc, puisque le « comme » du cinquième vers, qu’il soit exclamatif ou comparatif, affirme que l’oubli est « déchiré sans cesse », c’est-à-dire perpétuellement ouvert et en ce sens réfractaire au vrai oubli qui ne pourrait être qu’oubli de l’oubli. Le poème sera par conséquent un combat surmonté, par-delà le tremblement invoqué qui est certes aussi celui du sens mais ne vaut jamais démission de la confiance en l’ouverture perpétuelle du monde - le chuchotement général de l’allitération en sifflante incarne bien aussi ce secret que délivrera le poème au sein de l’orbe maternel et protecteur dessiné par l’entrelacs des syllabes en écho (« acquiescement », « commencement », « tremblant »). La deuxième strophe du poème, entée sur une syllabe ouverte (« sans cesse ») qui se difracte ici partout (« détresse », « espoir », « précède »), y compris du reste en échos multipliés (« compassion et fauvette »), forme une vaste harmonie imitative exhaussant une détresse qui n’a rien d’humiliant « Où le lilas criait pour aveugler » 71 mais qui a tout de glorifiant - les deux termes négatifs des vers cinq et six, « déchiré » et « détresse », se changeant dès lors en deux termes positifs aux vers sept et huit, « espoir » et « compassion », avec cette connotation fondamentale d’ouverture au monde et à autrui dont nous parlions déjà plus tôt. Si l’on s’avise que le vers cinq poursuit le vers quatre (thème de l’oubli) tout en désignant le vers deux (« sans cesse » signe en effet « acquiescement »), lorsque l’ouverture au monde (deuxième vers) inaugure une nouveauté perpétuelle (quatrième vers) ouvrant le cœur de l’être (cinquième vers), on comprend alors que le poème, résolument non visuel, n’en est pas moins parfaitement expérientiel. L’allitération en rugueuses souligne du reste aussi cet effort créateur, lui-même à l’unisson de nos ordinaires et nécessaires confrontations au monde, rendant compte d’une détresse qui ne saurait nous humilier puisqu’elle caractérise bien plutôt en propre notre condition même de finitude - les finales de la strophe étant bien à cet égard en parfaite synesthésie : « déchiré sans cesse »/ « la détresse n’humilie pas »/ « espoir ». Or la centralité signifiante du mot « énigme » (lorsque l’on sait que le poème n’est mystérieux que parce que le monde l’est aussi toujours déjà) s’associe littéralement ici au mot « espoir » (lorsqu’il est clair que la médiation du désir est toujours nécessaire pour s’engager réellement dans le monde), tandis que l’alternance de sonorités sourdes et de sonorités ouvertes dans un dernier vers alliant concrétude et abstraction (« Précède compassion et fauvette »)-ne se sépare jamais du mouvement vital - ici naturellement conféré par la fauvette. L’énigme précède donc tout mais se trouve aussi dénouée par tout, et surtout par l’ouverture du monde jouée dans l’alliance incessible entre objectivité (« fauvette ») et subjectivité (« compassion ») ; elle ne saurait dès lors humilier l’être puisqu’elle lui offre la fondamentale possibilité de dire, en registre vargaftigien, l’aveu même d’être là. La troisième strophe du poème manifeste un envol - de la fauvette, du souvenir, de la compassion, du poète. Elle ouvre ainsi l’espace. La rue devient l’horizon, comme si la vie rejoignait la création pour l’imiter, en ce paradigme de la fuite salvatrice dont on sait l’importance chez Vargaftig. Entre le « dévalement » du dixième vers et l’« acquiescement » du deuxième vers se tissent alors des liens étroits, encadrant le poème par ce fondamental abandon au descellement du monde qui préside à toute poésie. Ainsi le mouvement s’approprie-t-il toute chose (« Le dévalement s’approprie »), absolument et à proprement parler, y compris le corps même de l’être qu’il refonde alors (« le lilas criait pour aveugler »). Le bouleversement de la syntaxe dit en ce sens moins le bouleversement du sens dans les arcanes de la mémoire qu’il ne dit la reconfiguration nécessaire du corps par la marche du monde, l’objet de la quête poétique étant bien, on le sait à présent, de nous approprier le réel par la matière-émotion de son sens. Les sons heurtés du vers « Qu’y a-t-il eu que fuit le silence » et la mention du cri dans le vers 72 Philippe Richard « Où le lilas criait pour aveugler » signent à cet égard la lente conquête de l’humanité transcendant l’effrayant silence quotidien et désirant le rythme bienheureux de l’extase, jusqu’à la synesthésie finale du douzième vers - en son alliance d’ouverture (« criait ») et de fermeture (« aveugler ») qui renoue avec l’acceptation liminaire du vers deux (« Quel acquiescement laisse ouvert ») et rappelle encore le désir d’Hölderlin caractérisant l’ensemble de la démarche poétique de notre poème (« viens dans l’Ouvert, ami »). L’ultime « cri » du dernier vers, en reprenant la « syllabe » initiale et en affirmant ainsi le surgissement de cette nouveauté radicale qu’est toujours pour nous l’advenue du réel - « où » -, incarne finalement la modernité d’une écriture alerte enchâssée au lyrisme de la tradition pindarique. À la question « Qu’y a-t-il eu que fuit le silence » ne peut donc être énoncée que la résistance fondamentale de l’âme de la parole bienheureusement colorée par le lilas. Enraciné en ces affects de l’enfance qui sont moins derrière lui que devant lui, Vargaftig demeure dès lors un survivant qui se tient debout et vit en explorant la langue. Or le poème que nous lisons dans Si inattendu connaître s’éclaire naturellement aussi à l’aune de cette quête de l’homme en marche - toujours en avant de soi pour mieux se posséder soi-même. Le paysage intérieur de l’enfant ne nous est-il pas ici présenté en sa première vivacité, de l’apprentissage du discours nécessitant la distinction des syllabes dont « aucune [en effet] ne devient la même » à la mémorisation d’usages laissant le novice sans cesse « tremblant comme l’oubli se produit » ? Les premiers pas de celui qui découvre le monde ne peuvent-ils aussi rendre compte des termes de « commencement » et d’« envol » dont l’importance forme le sens même du texte ? Les premiers jeux enfantins ne sont-ils pas surtout contenus dans l’« énigme » que l’on s’échange avec malice pour remporter un amusant concours ou dans la « fauvette » que l’on identifie avec fierté parmi bien des espèces différentes d’oiseaux ? La candeur de celui qui sait bien que « la détresse n’humilie pas » et qui comprend que les peines se rédiment immédiatement si l’on sait se précipiter dans les bras ouverts d’un parent ne donne-t-elle pas à la personnification du lilas qui « criait » une saveur toute particulière, moins immédiatement onirique que fondamentalement vraie ? En la petite musique de ces sons qui toujours reviennent comme en une comptine (« acquiescement », « commencement », « tremblant », « dévalement », « envol ») se montre en somme une enfance fière d’avoir été ce qu’elle fut et de pouvoir continuer à faire vivre le monde - songeons là au titre du recueil de 2008 (Ce n’est que l’enfance). Mais, loin d’être univoque, notre motif peut se déplacer aussi de l’innocence au traumatisme, en un gage assez sûr de sa réalité la plus authentique. Enchâssée à une allitération sifflante qui en donne le climat, la douleur se montre ici non seulement dans l’encadrement général du poème (« aucune » et « aveugler ») mais encore dans le symbole ambivalent de l’ouverture qui le « Où le lilas criait pour aveugler » 73 fonde, signifiant à la fois la liberté, nous l’avons vu, et la blessure mentale toujours béante, comme en témoignent les échos « terreur » (à implication psychique) et « tremblant » (à implication physique) que l’on trouve naturellement liés par un même écho phonique signifiant. Le fait d’être « comme déchiré sans cesse » rappelle au demeurant un traumatisme aigu tandis que le tremblement qui sourd « comme l’oubli se produit » évoque la peur du manquement au devoir de mémoire le plus élémentaire. Chez Vargaftig, c’est le dramatique événement de la traque de l’enfant juif qui se trouve là ressuscité en filigrane.-Un silence absolu risquait alors de tout enfermer sous son ombre (« Qu’y a-t-il eu que fuit le silence »).- Le dévalement de la « rue éparse » incarne en ce sens cette fuite aussi angoissante que nécessaire, aussi terrible que vitale, dans l’« envol » du corps et la « terreur » de l’esprit, alors même que tout semble crier autour de soi (« où le lilas criait pour aveugler »). Nommer ce passé au présent, dans la métaphore obsédante de l’enfance, revient ainsi à en rendre l’oubli impossible et à rendre présent l’espoir de son salut. Comme le dévalement s’approprie la rue, le souvenir s’approprie par conséquent le monde et le monde s’approprie à son tour le souvenir - en un entrelacs fondamental des subjectivités, du poète au lecteur et du lecteur au poème (que l’on songe encore aux pronoms possiblement interrogatifs qui jalonnent ici les strophes et nous mettent en demeure de répondre à ce qui réellement se passe dans le texte - « quel », « quand », « qu’y a-t-il »). Mais à rebours de toute peur anesthésiante, l’ensemble des sens convoqués par le poème - « criait » mobilise l’ouïe, « aveugler » convoque la vue, « lilas » appelle l’odorat, « tremblant » désigne le toucher - dessine effectivement un être debout et conscient d’exister par-delà le désastre du monde - l’alternance des temps, de « tremblant » à « déchiré » et de « précède » à « criait », soulignant du reste encore ce surplomb gagné par le poète. C’est que le temps de la vie, entre le « commencement » (la naissance), l’« espoir » (l’existence) et le « silence » (la mort), au cœur de la finitude d’être, semble naturellement le bien le plus précieux et le plus louable, comme le disait Œdipe en répondant à cette énigme du sphinx qui le sollicitait et qui occupe bien ici le cœur de notre texte. On sait que l’écrivain Vargaftig n’eut d’ailleurs de cesse de résoudre l’énigme du vivant, pour rester en vie et advenir à soi dans la quotidienneté même de ses jours. Il est clair que la partition musicale de Si inattendu connaître le donne vraiment à saisir. La voix du lecteur donne en effet corps à ce mouvement de résurrection qui est réellement celui de notre poème. Que l’on scande les mots dominés par une teneur en [k] - « aucune », « acquiescement », « commencement », « comme », « quand », « qui », « compassion », « que », « criait » -, les mots dominés par une teneur en [m] - « même », « acquiescement », « commencement », « comme », « humilie », « énigme », « dévalement » - ou les mots dominés par une teneur en [v] - « devient », « ouvert », « vite », « envol », 74 Philippe Richard « dévalement » -, on rejoint en tout cas toujours par eux l’ample allitération en [s] qui organise en sous-main l’ensemble du texte - « syllabe », « acquiescement », « commencement », « laisse », « si », « se », « sans cesse », « détresse », « espoir », « précède », « compassion », « éparse », « silence », « se ». On se fond alors en une ample musique qui devient le propre rythme du vivant - jamais altéré par quelque signe de ponctuation - ; les mots se rejoignent simplement les uns les autres en un mouvement que le souffle doit seul définir, comme dans la vie même, selon une logique de modulation manifestement post-claudélienne (aussi l’alternance des syllabes ouvertes et fermées devient-elle paradigmatique de l’acte de lire le poème chez Vargaftig, lorsque la respiration pure fait dès lors sonner les vers - « Comme déchiré sans cesse ») ; c’est par conséquent sans aucun artifice que l’on peut dire que la lecture d’une expérience devient en poésie une expérience de la lecture. Le réel est ici recréé conformément au titre donné au recueil, l’inattendu de la parole engendrant la co-naissance du lecteur à sa propre vie. Si le poème dévale en effet, c’est qu’il sait s’arracher au silence pour le conjurer en un cri de délivrance, sa naissance se réalisant avec et dans les mots - « Où le lilas criait pour aveugler ».- Voilà pourquoi le doute n’est plus permis : Si inattendu connaître nous place au cœur d’une poésie fondamentale où le monde sensible se trouve saisi et où le monde intérieur se trouve réordonné - une écriture qui articule l’être à son enfance en présentant poétiquement ces deux instances au réel même et en les abouchant à lui par la grâce d’une parole qui, en ce rythme à la fois classique et singulier d’un vers mouvant, nous fait marcher avec son souffle. Et voilà pourquoi l’œuvre entière du poète est donc à redécouvrir au plus vite. À l’aventure pourrons-nous y retrouver, toujours liés entre eux par une cohérence inaliénable, les motifs de la fauvette - lorsque le corps du monde rejoint soudainement le corps de l’être - et de la fuite - lorsque le mouvement est nécessaire pour réordonner le réel même -, de la fragilité du mot - lorsque la conscience ne dispose plus que de ces instants fugitivement ressuscités que seul le verbe peut d’ailleurs vraiment récréer pour elle - et du salut miraculeusement trouvé - lorsque la certitude d’être encore là éclate finalement comme un cri -, comme ici notamment dans un poème de Distance nue : Tout venait de face Fauvettes Crique arbustes Et ciel pli après pli Je fuyais fuyais Bras ouverts Et comme On ne m’a pas brûlé « Où le lilas criait pour aveugler » 75 Vent mêlé aux fleurs Ravin Quand plus tard La lumière éparpille Clairière vivante Un roncier Un bond Où les mots sont si brefs Ne seront pas non plus oubliés, en ces échos sans cesse repris qui fondent véritablement une poétique vivante, les motifs du dévalement et de l’enfance - lorsque l’élan imprime son sens historial à la mémoire et au poème- -, les motifs de la parole reconquise et de la route appréhendée comme évasion - lorsque la libération de l’être se donne simultanément comme acte du monde extérieur et du monde intérieur -, les motifs de la flore à l’unisson de la course et de l’aveuglement rédimant le silence - lorsque l’imminence d’un événement réenvisage le réel en une expérience unitive -, particulièrement avec cet autre poème de Distance nue : Un ruissellement A vif Un récit Aucun vent une enfance La suite la suite Nuée herbe Chemin Eboulis embrassés Quand le précipice Echappe Toujours un Rosier où je vacille Comme est le silence Que charniers Et grives Et présent aveuglaient On songera dès lors à la réflexion de Jean-Claude Renard sur le caractère étymologiquement religieux de toute poésie de l’énigme. Chaque texte fondé par la tension de deux visages du même être cherchant à se rejoindre pour s’accomplir mutuellement n’appelle-t-il pas en effet « une présence constamment différée mais réelle », « un chiffre qui transcende toujours son déchiffrement » ou « une autre énigme que la sienne » (Une autre parole, Paris, 76 Philippe Richard Seuil, 1981, p.- 64) ? Or l’expression si singulière de Vargaftig correspond précisément à cet espace religieux que dessine la parole poétique, tandis que l’entrelacs fondateur de l’angoisse et de l’enfance y donne évidemment naissance à cette « énigme » qui, en notre poème, « précède compassion et fauvette ». Dans l’orbe esthétique qu’est le mode d’être métaphysique du poème, son écriture s’élabore donc patiemment comme cette vraie présence capable de questionner la transcendance de l’être encore au monde et de rejoindre en ce sens les questions les plus fondamentales du monde contemporain. Notre tâche ne demeure-t-elle pas d’ouvrir l’espace de l’histoire, en la singularité d’une tension (poétique) qui sait qu’il est impossible de rien réécrire mais qui croit que le fait même d’écrire l’énigme pourra bien un jour la rédimer ? Alors se rencontre le vrai lieu de Vargaftig, en l’effacement même du poète cédant l’initiative au propre rayonnement du monde. Si inattendu connaître ne pouvait certes pas répondre plus adéquatement à l’espérance de Philippe Jaccottet : « pour nous qui vivons de plus en plus entourés de masques et de schémas intellectuels, et qui étouffons dans la prison qu’ils élèvent autour de nous, le regard du poète est le bélier qui renverse ces murs et nous rend, ne serait-ce qu’un instant, le réel ; et, avec le réel, une chance de vie » (L’Entretien des Muses, Paris, Gallimard, 1968, p.-301). Stupéfaction qui précipite Quel saisissement est de m’avoir nommé Fugacité nue de plus en plus Brouhaha où l’éclaircie comme s’ouvre