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Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2013
4078
Vol. XL No. 78 2013 Editor Rainer Zaiser 78 P F S C L Papers on French Seventeenth Century Literature Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature ISSN 0343-6397 Biblio 17 Derniers titres parus 194 Benoît B OLDUC , Henriette G OLDWYN (éds.) Concordia Discors I (2011, 252 p.) 195 Benoît B OLDUC , Henriette G OLDWYN (éds.) Concordia Discors II (2011, 245 p.) 196 Jean G ARAPON , Christian Z ONZA (éds.) Nouveaux regards sur les Mémoires du Cardinal de Retz (2011, 213 p.) 197 Charlotte T RINQUET Le conte de fées français (1690-1700) (2012, 244 p.) 198 Francis B. A SSAF (éd.) Antoine Houdar de La Motte: Les Originaux ou L’Italien (2012, 76 p.) 199 Francis M ATHIEU L’Art d’esthétiser le précepte: L’Exemplarité rhétorique dans le roman d’Ancien Régime (2012, 233 p.) 200 François L ASSERRE Nicolas Gougenot, dramaturge, à l’aube du théâtre classique (2012, 200 p.) 201 Bernard J. B OURQUE (éd.) Abbé d’Aubignac: Pièces en prose (2012, 333 p.) 202 Constant V ENESOEN Madame de Maintenon, sans retouches (2012, 122 p.) 203 J.H. M AZAHERI Lecture socio-politique de l’épicurisme chez Molière et La Fontaine (2012, 178 p.) 103412 PFSCL 78 10.01.13 13: 43 Seite 1 90.00 90.00 90.00 58.00 58.00 58.00 103412 PFSCL 78 10.01.13 13: 43 Seite 2 Papers on French Seventeenth Century Literature Papers on French Seventeenth Century Literature Review founded by Wolfgang Leiner Volume X (201 ) Number 7 Editor Rainer Zaiser Editorial Staff , Béatrice Jakobs Jana Mücke, Frederike Rass, Stephanie Schmidt-Janus PFSCL / Biblio 17 Tübingen Gunter Narr Verlag Tübingen Papers on French Seventeenth Century Literature / Biblio 17 Editor: Rainer Zaiser © 201 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG P.O. Box 2567, D-72015 Tübingen All rights, including the rights of publication, distribution and sales, as well as the right to translation, are reserved. 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Internet: http: / / www.narr.de E-Mail: info@narr.de Printed in Germany ISSN 0343-0758 PFSCL XL, 78 (2013) Sommaire F RANCIS A SSAF Singeries baroques......................................................................................... 7 A NDREW B ILLING Animal Thinking in La Fontaine’s Fables ..................................................... 19 B RUCE E DMUNDS Hoarders and Parasites in the Fables of La Fontaine.................................... 35 D EBORAH S TEINBERGER Obstinate Women and Sleeping Beauties in the Kingdom of Miracles: Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda ...... 49 N ANCY A RENBERG Idyllic Spaces : Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence ........................................................................................... 65 K ALERVO R ÄISÄNEN Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid ....................................... 81 S ARAH T HALIA P INES Between Freedom and Tyranny: The Figure of the King in Corneille’s Le Cid and Racine’s Britannicus .................................................. 99 S TELLA S PRIET Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques: La Mort de Sénèque de Tristan (1644) et La Mort d’Agrippine de Cyrano (1647) ..................................................................................... 111 B ERNARD J. B OURQUE La paternité du Martyre de S te Catherine (1649) ........................................ 129 J OE C ARSON Rewriting Roman History: Thomas Corneille’s La Mort de l’empereur Commode ................................................................. 143 M ICHAEL H AWCROFT Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle : mise en page et mise en scène ................................................................... 161 Sommaire 6 COMPTES RENDUS Hélène Baby (éd.) Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre (B ERNARD J. B OURQUE ) ........................................................................... 197 J AN C LARKE , P IERRE P ASQUIER , H ENRY P HILLIPS (éds.) La Ville en scène en France et en Europe (1552-1709) (G OULVEN O IRY ) ..................................................................................... 199 François Lasserre Nicolas Gougenot, dramaturge, à l’aube du théâtre classique. Étude biographique et littéraire, nouvel examen de l’attribution du « Discours à Cliton » ( EMMANUEL MINEL ) ................................................................................. 204 Véronique Lochert (éd.) André Mareschal, Comédies. (C ARINE BARBAFIERI ) ............................................................................... 206 Alain Riffaud (éd.) Pierre Corneille, Cinna, Tragédie. (N INA E KSTEIN ) ....................................................................................... 209 Aurore Évain, Perry Gethner, Henriette Goldwyn (dir.) Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. Volume 3 : XVII e -XVIII e siècle (E DWIGE K ELLER -R AHBÉ ) ......................................................................... 211 Pascale Thouvenin (éd.) René Rapin, Les Réflexions sur la poétique et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes (1684) (V OLKER K APP ) ....................................................................................... 215 LIVRES REÇUS ......................................................................................... 221 PFSCL XL, 78 (2013) Singeries baroques F RANCIS A SSAF (T HE U NIVERSITY OF G EORGIA , A THENS ) […] je m’étais ici particulièrement arrêté à faire voir que, s’il y avait de telles machines, qui eussent les organes et la figure d’un singe, ou de quelque autre animal sans raison, nous n’aurions aucun moyen pour reconnaître qu’elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux ; […] (79) Ainsi Descartes se sert-il du singe dans la cinquième partie du Discours de la méthode comme exemple (entre autres) pour démontrer que les animaux sont des machines, alors que les hommes ne le sont pas, parce qu’ils sont doués de raison, ce que Descartes refuse aux animaux, dont, justement, les singes : […] il n’est pas croyable qu’un singe ou un perroquet, qui serait des plus parfaits de son espèce, n’égalât en cela [la capacité d’avoir un langage raisonné] un enfant des plus stupides, ou du moins un enfant qui aurait le cerveau troublé, si leur âme n’était d’une nature du tout différente de la nôtre (80). Descartes adopte donc la doctrine augustinienne qui veut que l’homme soit la seule créature douée de raison (Janson 75). Pour lui, alors, le singe n’est pas une espèce d’imitation d’homme, ou une sorte d’humain limité, mais bien un être appartenant à une catégorie entièrement différente, sans égard à ses similitudes physiques, similitudes qu’il ne nie pas, bien entendu, mais dont il ne parle pas non plus, sauf en termes généraux, reconnaissant que les (grands) animaux possèdent des organes internes fort semblables à ceux des êtres humains. Dans son article de 2006, Frédéric Tinguely énonce une vérité première : « Tenir un discours sur l’animal, c’est toujours tenir un discours sur soi. » (79) Comment pourrait-il en être autrement ? Il n’y a qu’à se rapporter à ce que dit Descartes (supra) pour s’en rendre compte. Or, dans les textes que j’examine ici, c’est-à-dire Francion (1623 → 1633), Le Page disgracié (1643) et Les États et empires de la lune (1657), le singe revêt une signifi- Francis Assaf 8 cation particulière, focalisée sur la notion de distorsion de l’humain et qui s’exprime de façon disséminatoire par une altérité coexistant de façon ambiguë avec une similitude toutes deux inhérentes au signe que constitue le singe. Dans un précédent article (q.v.), comme dans d’autres interventions, j’ai invoqué les deux régimes imagologiques formulés par Gilbert Durand dans son ouvrage Les structures anthropologiques de l’imaginaire : il parle de régime diurne ou schizomorphe pour les images qui signifient conflit, différence ou séparation, de régime nocturne pour ce qui rassemble, assimile, inclut. Dans son article sur l’imaginaire baroque (q.v.), Jean-Jacques Wunenburger ajoute un troisième pôle, le pôle disséminatoire, qui présente en alternance le diurne et le nocturne. Tout en étant d’accord avec ces catégories, je précise que, d’un point de vue narratif, il est inévitable de présenter le disséminatoire comme une alternance du diurne et du nocturne, vu la nature obligatoirement syntagmatique du texte mais que, du point de vue existentiel, je pense que le disséminatoire inclut le diurne et le nocturne dans une combinaison simultanée mais distincte, qui exclut la synthèse. Dans Le procès du roman, Martine Debaisieux accouple la notion de singe à celle de signe en citant un passage du Francion, dans lequel le héros éponyme ne doit parler que latin au collège, sous peine de recevoir le signe 1 (170). Elle s’interroge ensuite sur la signification de ce terme, sur laquelle A. Adam et E. Roy sont en désaccord (Romanciers du XVII e siècle 1377). Adam le décrit comme « une plaque ronde en cuivre que le surveillant donnait au premier élève qu’il avait surpris à prononcer un mot français. Cet élève s’efforçait ensuite de surprendre la même faute chez un de ses camarades et lui passait le signe. L’élève qui avait sur lui la fatale pièce à la fin de la journée était l’objet d’une punition. » Roy, lui, parle d’un billet de convocation. Je favorise l’interprétation d’Adam, ayant été moi-même sujet à une pratique similaire au petit collège des Frères des Écoles chrétiennes dans ma jeunesse en Égypte. Pour renforcer la pratique du français, l’élève surpris à parler arabe recevait un objet appelé le signal, qu’il devait ensuite passer à celui qui se rendait coupable de la même infraction. Le parallèle est ironique : Francion était puni pour parler français, alors que mes camarades et moi l’étions pour ne pas le faire. Penchons-nous sur l’épisode du singe dans Francion. Nous avons posé plus haut la question : de quoi le singe est-il signe ? Quelle image représente-t-il ? De toute évidence, il renvoie à l’homme ; mais, comme un miroir déformant, l’image qu’il reflète est celle d’une sorte d’humain distordu, limité, un être dont le comportement à la fois imite celui de l’homme et s’en 1 En italiques dans le texte. Singeries baroques 9 distancie ; autrement dit, c’est une contrefaçon. Si on applique à la relation homme-singe les critères de l’imaginaire baroque, on serait tenté de dire que le singe entretient avec l’homme un rapport diurne, c’est-à-dire mettant en relief la différence, la scission fondamentale entre humain et animal. Rappelons brièvement les circonstances qui mettent le jeune Francion en contact avec le singe : Tandis un maistre Singe que nourissoit secrettement depuis peu un de nos voisins, sortit de dessous ma couche, où il s’estoit caché, et ayant veu, pensez, d’autres fois donner de la bouillie aux enfans, prit un peu de la mienne et m’en vint barbouiller tout le visage. Apres il m’apporta mes habits et me les vestit a la mode nouvelle, faisant entrer mes pieds dans les manches de ma cotte, et mes bras dedans mes chausses : je criay beaucoup, à cause que cest animal si laid me faisoit peur, mais la servante estant empeschée ne se hastoit point de venir pour cela, d’autant que mon pere et ma mere estoient a la Messe. Enfin le singe ayant accomply son bel ouvrage, sauta de la fenestre sur un arbre, et de là s’en retourna chez luy (Francion 165). On voit comment ce passage illustre le rapport diurne qu’entretient le singe avec l’homme. L’action humaine de nourrir devient action de barbouiller, ce qui implique une conscience caricaturale de l’anatomie faciale humaine : le singe sait que la bouche du petit garçon existe quelque part sur son visage mais ne peut pas la trouver pour y introduire proprement la bouillie. Notons également que le singe lui-même est « nourri » (secrètement) par un voisin, c’est-à-dire que cet être humain accomplit correctement ce que le singe transforme en imitation grotesque. Ensuite le passage concernant les habits. A noter que la séquence des actions, donner à manger puis habiller, est en elle-même correcte, ce qui nous mènerait à introduire un nouveau principe d’imaginaire baroque dans le comportement simiesque : il n’est pas totalement aliéné du comportement humain. Cela signifie qu’en fait il existe une similitude homme-singe qu’on peut appeler nocturne (au moins partiellement) c’est-à-dire mettant l’accent sur la similitude et l’inclusion plutôt que sur la différence et l’exclusion. Cela complique notre examen du singe dans Francion car il assume, comme on vient de le voir, des fonctions d’abord diurnes ensuite nocturnes. Et de nouveau le diurne, lorsqu’il passe à Francion ses habits, mais à l’envers. Donc on peut voir que, dans ce passage, le singe assume les deux régimes imagologiques de façon séquentielle, c’està-dire qu’il relève en fait du pôle disséminatoire formulé par Wunenburger. Mais Sorel est trop ingénieux pour nous laisser assigner de façon définitive ces catégories au singe. Il termine l’épisode sur ces mots : « Enfin le singe ayant accomply son bel ouvrage, sauta de la fenestre sur un arbre, et de là s’en retourna chez luy. » (Ibid.) Il faut voir dans cette conclusion une Francis Assaf 10 réversion du singe à l’animalité : il sort par la fenêtre, contrairement à un être humain, qui sortirait par une porte pour aller dans la rue. Le singe saute dans un arbre, résidence du non-humain. C’est-à-dire que Sorel, après nous avoir fait voir le singe comme une alternance de l’humain et de l’animal, le fait revenir à sa nature première, laissant là le petit Francion sans doute terrifié et en larmes par sa rencontre avec l’Autre, alors, notonsle avec Wim De Vos, qu’il a été successivement abandonné par les humains qui normalement prennent soin de lui, à savoir sa mère, partie à la messe, et la servante, partie on ne sait où (De Vos 66). L’épisode de la bouillie et des vêtements n’est pas le seul mettant en cause l’animal, puisqu’il revient la nuit suivante. Cette fois-ci, ce n’est pas pour contrefaire la servante, mais pour imiter une autre fonction : Le meschant singe revint encore chez nous la nuict suivante, et ayant estalé tous les gettons 2 d’une bourse sur la table de la salle, comme s’il les eust voulu compter, et ayant aussi renversé beaucoup d’escuelles en la cuisine, s’en retourna avant le jour par entre les barreaux d’une petite fenestre, qui n’avait point de volet, et qui luy avoit desja servy de passage (Francion 166). De Vos cite le Dictionnaire universel de Furetière (67) pour préciser que les jetons sont utilisés pour compter. Le Dictionnaire de l’Académie française dit essentiellement la même chose. De même que les actions du singe envers Francion sont des imitations grotesques de soins (nourriture, habillement), ce qu’il fait avec les jetons est également grotesque. Si l’emploi des jetons était de servir à compter, le singe ne peut évidemment le faire mais il l’a sans doute vu faire et manifeste par ses manipulations - encore une fois - qu’il est une imitation baroque d’homme. On verra plus loin dans le récit que, contrairement aux servantes de la maisonnée qui ont cru en la présence d’un lutin ou d’un diable, le père de Francion réussit à élucider le mystère et à déterminer que les déprédations attribuées à un esprit malin ne sont que le fait d’un animal, exotique il est vrai, mais bien réel et sans attributs surnaturels, conclusion bien libertine. Revenons brièvement à la citation de F. Tinguely, en l’appliquant au narrateur éponyme du roman de Sorel. Si Francion parle du singe, c’est qu’il parle de lui-même, c’est-à-dire qu’il se pose en homme (être doué de raison, complet, unifié) par rapport au non-humain. Et donc, effectivement, le singe devient signe. N’oublions pas que les servantes de la maisonnée avaient pris cet animal pour un diable, terme qui signifie calomniateur, semeur de zizanie, de désunion, donc figure éminemment diurne qui, paradoxalement, 2 Le Dictionnaire de l’Académie française (1778) orthographie « jeton ». Singeries baroques 11 n’intervient que la nuit, posant ainsi au sein du temps qui devrait être celui de l’union une activité qui fragmente, dérange, perturbe. Le Francion passe-t-il vraiment sous silence l’intelligence du singe, comme le prétend F. Tinguely (87) ? Il est vrai qu’on le voit surtout imiter de façon déformée le comportement humain et que d’autre part Montaigne, dans l’« Apologie de Raymond Sebond » (II, 12 des Essais) parle surtout de sa laideur (463), sans lui attribuer aucune des qualités qu’il donne même aux abeilles, aux tigres et aux crocodiles, tout en reconnaissant que c’est l’animal qui ressemble le plus à l’homme. Toutefois, on pourrait déceler un embryon de raison chez cet animal, comme lorsque, ayant fait une imitation de nourrir le petit Francion, il lui apporte ses vêtements et essaie de le vêtir. Bien sûr, l’épisode suivant dans la cuisine nous indique que le singe est doué de raison - à un niveau très primitif - puisqu’il sait dénouer les cordons d’une bourse et étaler les jetons de compte sur une table, mais la simple imitation dévoyée est-elle suffisante pour parler de raison ? En définitive là n’est pas le propos de Sorel. Image déformée de l’homme, le singe du Francion ne saurait être vraiment raisonnable car alors il n’existerait en lui aucune différence par rapport à l’homme et son altérité baroque s’évanouirait avec son intérêt. Le singe du Page disgracié l’est-il vraiment plus ? F. Tinguely attribue le traitement du thème simiesque par Tristan à une influence du Discours de la méthode, des Méditations et des objections d’Arnauld et de Gassendi à la doctrine cartésienne (87). C’est possible. Notons cependant tout d’abord que Tristan parle d’un « grand singe », vraisemblablement un chimpanzé 3 , terme importé en France en 1638 par le naturaliste Guy de La Brosse (1586 ? - 1641) 4 sous la forme quimpezé, qui n’apparaît pas chez Tristan. Il lui attribue l’âge de 14 ou 15 ans, ce qui en fait un jeune adulte, la longévité des chimpanzés étant en moyenne de 45 ans 5 . Contrairement au singe de Sorel, l’analyse de F. Tinguely fait voir celui de Tristan comme singulièrement anthropomorphe. Il faut cependant faire la part des choses. Le singe de Sorel ne semble pas être un chimpanzé, mais quelque chose de plus petit, puisqu’il peut se faufiler entre les barreaux d’une petite fenêtre (citation supra), alors que celui de Tristan semble bien 3 Le premier chimpanzé arrivé en Europe est celui de la ménagerie du duc d’Orange. Il mourut en 1641 et fut disséqué. http: / / fr.wikipedia.org/ wiki/ Chimpanz%C3%A9. Interrogé le 19 avril 2011. 4 Médecin de Louis XIII et fondateur du Jardin du roi, qui deviendra par la suite le Muséum national d’histoire naturelle. http: / / fr.wikipedia.org/ wiki/ Guy_de_La_Brosse. Interrogé le 17 avril 2011. 5 http: / / fr.wikipedia.org/ wiki/ Chimpanz%C3%A9. Interrogé le 17 avril 2011. Francis Assaf 12 se rapprocher plus de l’homme. Comme le fait voir le texte de Tristan, son comportement est très peu simiesque, en définitive : Il ne se passait guère de jours qu’on ne découvrît en ce maudit animal quelque nouvelle méchanceté. Il courait souvent après les filles pour essayer de les prendre à force, il faisait semblant de vouloir mordre les petits garçons pâtissiers, afin de les épouvanter et manger toute la marchandise qu’ils portaient. Il avait appris à ruer des pierres, à voir combattre les enfants ; et tous les jours il se rendait hors la ville pour prendre parti dans leurs combats, et l’on voyait presque toujours que le côté où s’était rangé le singe avait l’avantage. Je l’ai vu souvent aller quérir du vin au cabaret, pour un valet de pied qui le gouvernait, et poser en chemin sa bouteille en quelque lieu sûr, pour jeter des pierres aux petits enfants qui le suivaient, et lorsqu’il les avait repoussés, il continuait son voyage (184). « Maître Robert » exhibe un comportement très « humain » : agressivité sexuelle, bellicosité, gloutonnerie, mais aussi précaution lorsqu’il met en lieu sûr sa bouteille de vin avant de prendre part à des combats entre gamins à coups de pierres. Il sait discerner ce que c’est qu’une femelle, même si elle n’est pas de son espèce, et aussi faire preuve de prévoyance. Ce dernier trait n’est pas surprenant. Dans son ouvrage On Becoming Human, Nancy Makepeace Tanner cite à partir des observations de la célèbre primatologue Jane Goodall le cas de chimpanzés (à l’état sauvage) préparant et transportant des brindilles pour « pêcher » des termites, remplaçant par des brindilles droites celles qui se tordent et deviennent de ce fait inutilisables (126). Un autre comportement très « humain » du grand singe est son rapport avec l’argent. Est-ce raisonnement ou dressage ? Toujours est-il qu’il s’attend toujours à recevoir la monnaie de sa pièce lorsqu’il va faire remplir sa bouteille de vin (Tinguely 88). F. Tinguely met l’accent sur les différences qui séparent le singe de Sorel de celui de Tristan. Il n’aborde pas toutefois le problème de la vraisemblance. Un simple chimpanzé est-il capable d’un comportement aussi varié, aussi volontaire et contraire à l’instinct, surtout en ce qui concerne les transactions financières, centrées sur l’achat et la consommation de vin ? Il faut dire que le texte de Tristan est muet là-dessus et qu’il passe sans aucune transition au chapitre suivant, sans avoir fait réflexion sur le degré d’humanisation (dans le mauvais sens) du « grand singe ». Néanmoins, F. Tinguely analyse en détail ce qu’il considère comme le cœur du chapitre, l’épisode où le singe jette à pleines poignées dans la rue la paie des troupes : Singeries baroques 13 La première chose qu’il fit, ce fut de remplir ses bouges 6 de pistoles qu’il trouva étalées sur la table, comme cela parut après, et, s’étant muni de ce dont il s’imaginait avoir besoin pour trafiquer au cabaret, il prit un sac de pièces d’or et, montant sur la couverture de la maison, se mit à les jeter à poignées. Au commencement ce n’était que pour avoir le plaisir de les voir tomber et faire bruit sur le pavé ; mais ensuite ce fut pour avoir le divertissement de voir tout le monde se battre à qui en aurait. Cela le fit rentrer dans la chambre pour aller querir d’autres sacs quand celui-là fut vidé, et le nombre fut si grand des personnes qui se pressèrent pour arriver à l’endroit où maître Robert faisait largesse qu’on ne pouvait plus entrer dans la rue, tellement que le payeur, tout transi de douleur, et son commis fondant en larmes, ne purent approcher de leur maison et furent de loin spectateurs du désastre, sans pouvoir jamais y donner ordre (185) . L’analyse que fait F. Tinguely de ce passage est fort intéressante. Sans parler de baroque, il évoque fort pertinemment l’inversion spatiale qui met le singe au faîte de la maison et ses « bénéficiaires » en bas, dans la rue. La supériorité à la fois spatiale et factuelle du singe en fait, au moins provisoirement, un être supérieur par l’inversion des rôles entre homme et animal, puisque c’est lui qui donne et les humains qui reçoivent. Mais l’inversion ne s’arrête pas là : le singe donne de l’argent qui n’est pas à lui à des gens qui le prennent sachant fort bien qu’ils n’y ont pas droit. Cette excursion hors de la légalité et du droit achève de donner à la scène son caractère baroque et en même temps se relie à la thèse de F. Tinguely, qui voit dans ce rabaissement de l’homme au-dessous de la bête un brouillage de la ligne de démarcation qui sépare l’humain de l’animal et donc a le potentiel de mettre en question l’immortalité de l’âme (Tinguely 89 et n. 20). On peut cependant se poser la question : tout libertin qu’il est, Tristan a-t-il vraiment voulu soulever cette question, ou n’a-t-il simplement fait que s’inspirer d’un texte antérieur ? F. Tinguely lui-même rapporte l’existence d’une traduction française de l’ouvrage de l’Inca Garcilaso de la Vega, effectuée par Jean Baudoin en 1633, dix années donc avant la parution du Page disgracié. Cet ouvrage rapporte des extraits de récits du jésuite José de 6 D’après Jean Nicot (Thresor de la langue françoise - 1606) « Et est un mot naïf Gaulois, comme dit Sext. Pompon. Festus, duquel les Gaulois appeloient ces petits sacs de cuir, que ceux qui alloient aux champs portoient pendants à leurs bras, (comme adjouste Nonius Marcellus) ausquels ils mettoient leurs petites besongnes, comme se peut comprendre de ce vers du 16. livre des Satyres de Lucilius, parlant d’un qui n’avoit nul equippage » On peut donc penser que ce singe soit portait un habit, soit avait des pochettes ou petits sacs accrochés à l’épaule, indice supplémentaire de son anthropomorphisme, qui va plus loin que la casaque verte que porte le singe de Sorel. Nous regrettons, faute de place, de n’avoir pu donner la citation entière de Nicot, qui offre de très intéressants aperçus culturels. Francis Assaf 14 Acosta, auteur de l’Historia natural y moral de las Indias, publié en 1590. Le titre français de l’ouvrage de Garcilaso est Histoire des Yncas, roys du peru. F. Tinguely rapporte les similitudes qui existent entre un passage cité du p. Acosta et un passage semblable dans Le Page disgracié : [E]stant dans Cartagene 7 en la maison du Gouverneur, j’y vis un de ces animaux, duquel on me dit des merveilles presque incroyables. Qu-d on luy envoyoit querir du vin au cabaret, il faisoit põctuellement les choses qui luy estoient eniointes, tenoit le pot d’une main, & de l’autre son argent, qu’il ne donnoit jamais qu’il n’eust du vin en mesme temps. Que si de hazard en se retirant il trouvoit par la ruë des ieunes garçons qui luy ruassent des pierres, ou qu’ils luy fissent la huée, alors il posoit son pot d’vn costé, & prenoit des cailloux, à force desquels il se faisoit faire place, puis voyant le chemin libre, il prenoit son pot, & passoit outre (Acosta in Histoire des Yncas 1087). Tous les fameux cabaretiers connaissaient le singe, et leurs garçons étaient faits en prenant sa bouteille à lui faire tirer l’argent qu’il avait dans ses bouges, et selon la valeur de la pièce qu’il leur portait, ils lui remplissaient sa bouteille du meilleur vin et lui rendaient son reste ; le singe aussi, que l’on appelait maître Robert, était accoutumé à remporter quelque monnaie, quand ce n’eût été qu’un double ou deux ; et si l’on pensait le renvoyer sans lui donner quelque chose à mettre dans ses gifles 8 , il apprenait à coups de dent au cabaretier à faire exactement son devoir. Souvent il allait se mettre au guet dans la salle des gardes du prince. lorsqu’il voyait jouer aux dés, pour ramasser subtilement l’argent qui tombait quelquefois à terre et s’enfuir au cabaret, car il était fort grand ivrogne (Le Page disgracié 184). Les deux passages ne sont pas identiques. Tristan a vraisemblablement développé le passage du p. Acosta en le « démultipliant » plus ou moins et en l’enjolivant quelque peu. Il n’est pas clair quelle sorte de singe le gouverneur entretenait et faisait servir d’échanson, mais il n’est pas 7 Cartagena de Indias, dans l’actuelle Colombie, sur la côte est (caraïbe). 8 Ses joues. Singeries baroques 15 probable que ce fût un primate sud-américain ; ils sont tous d’assez petite taille et probablement peu capables de porter un pot de vin suffisant pour abreuver le gouverneur et ses invités. On pourrait spéculer qu’il s’agirait là aussi d’un chimpanzé, importé d’Afrique occidentale et offert en cadeau au gouverneur. Quoiqu’il en soit, on voit que ces deux singes ont un comportement fort semblable, qui dément formellement la théorie cartésienne des animaux-machines, surtout celui de Tristan, qui a acquis des vices bien humains. A la lecture des passages pertinents de Sorel et de Tristan, il est aisé de voir que le singe, dans les deux cas, est présenté comme un facteur de désordre, d’inversion de la normale et de perturbation tout en présentant, surtout pour le singe de Tristan, des aspects anthropomorphiques ; c’est-àdire que, du point de vue de l’imaginaire baroque selon Durand et Wunenburger, il relève du pôle disséminatoire, encore qu’il faille considérer cette catégorie avec précaution, vu que les instances du comportement perturbateur cité plus haut semblent plus particulièrement lui assigner un caractère diurne. Voyons à présent comment Cyrano présente son voyageur dans Les États et empires de la lune. Ce dernier est guidé et porté par le démon de Socrate, qui a pris la forme d’un Sélénien. Son altérité impressionne plus le peuple que les nobles, comme le ferait celle d’un singe sur Terre : Cet entretien [avec le démon de Socrate] n’empêchait pas que nous continuassions de marcher, c’est-à-dire mon porteur à quatre pattes sous moi et moi à califourchon sur lui. Je ne particulariserai point davantage les aventures qui nous arrêtèrent sur le chemin, tant y a que nous arrivâmes enfin où le roi fait sa résidence.[…] Les Grands me reçurent avec des admirations plus modérées que n’avait fait le peuple quand j’étais passé dans les rues. Leur conclusion néanmoins fut semblable, à savoir que j’étais sans doute la femelle du petit animal de la reine (75). Cyrano connaît les ouvrages de Sorel et de Tristan. Sans faire explicitement mention des épisodes simiesques dans l’un et dans l’autre, il nous rappelle que l’altérité du singe est relative à la classe sociale ; moins habitué à voir des animaux exotiques, le peuple est plus apte à s’en étonner. Notons cependant l’existence de véritables singes dans le palais du roi. Ils portent fraise et haut-de-chausses (75). D’où viennent-ils ? Comment sont-ils arrivés sur la Lune ? Le récit ne le dit pas, non plus qu’il ne révèle pourquoi sur la Lune les singes sont habillés à l’espagnole, si ce n’est que « par hasard » (76). Autrement dit, Cyrano nous donne le singe comme un acquis, dont il fait un des trois pôles de la vie sur la Lune. Il le met au bas de l’échelle, comme non seulement complètement dépourvu de raison, mais aussi d’intérêt car les (vrais) singes ne jouent aucun rôle dans l’opposition Francis Assaf 16 humain/ sélénien qui informe la dynamique du récit lunaire. Le véritable échange intellectuel se fait non point entre le narrateur et ses « maîtres » séléniens, mais entre lui et son compagnon de captivité, Domingo González, protagoniste du roman de Francis Godwin The Man in the moone (ca. 1615, publié posthumément en 1638 et traduit en français par Jean Baudoin en 1648). Il faut noter que Domingo González dans Les États et empires de la lune n’a absolument rien à voir avec le personnage du roman de Godwin et que les Séléniens de celui-ci ne ressemblent en rien à ceux de Cyrano. Ces derniers ont leurs propres philosophes et penseurs qui, comme le commun du peuple et les aristocrates, semblent incapables de dépasser la notion que ces « nouveaux singes » sont identiques à ceux qu’ils ont déjà et donc sont privés de raison. Le dualisme homme-singe sur la Lune ne pose donc aucune des questions que soulèvent les textes de Sorel et de Tristan. Celles qui surviennent dans les deux volumes du roman de Cyrano sont d’un autre ordre. Le nombre considérable des travaux sur Cyrano en atteste l’importance. Comme le dit F. Tinguely, les textes de Sorel et de Tristan mettent en question le fossé ontologique qui sépare le singe de l’homme (93), mais en même temps, ils font voir les limites de la pensée qui circonscrit la raison aux seuls êtres humains. Les recherches anthropologiques et scientifiques contemporaines ne font que rapprocher grands singes et hommes, comme on le sait. En fait, l’anthropologue et géographe Jared Diamond s’est penché sur la question de la parenté biologique et éthologique de l’homme et du chimpanzé dans un important ouvrage, Le troisième chimpanzé, paru en français en 2000 et en édition de poche en 2011. En faire une présentation détaillée dépasserait de loin le cadre de cette étude, mais c’est un livre important pour la compréhension de notre place dans l’échelle des primates dits supérieurs. Sans avoir son savoir scientifique, nos auteurs, Sorel, Tristan et aussi Cyrano ont émis des considérations qui nous rapprochent d’un point de vue à la fois biologique, éthologique et esthétique du singe. Cette assimilation serait-elle une limitation de l’humain ? Ne serait-ce pas plutôt une libération de l’humain, le sortant de la cage cartésienne de l’exclusivité de la raison pour lui donner sa place dans le grand théâtre de la vie ? Singeries baroques 17 Bibliographie Académie française. Dictionnaire. Nîmes : Pierre Baume, 1778. Assaf, Francis. « Francion : travesti du roman, roman du travesti. » Cahiers du Dixseptième, an Interdisciplinary Journal. XI, 1 (2006) : pp. 147-160. Cyrano de Bergerac, Savinien. Les États et empires de la lune et du soleil. Édition critique de Madeleine Alcover. Paris : Champion Classiques (Honoré Champion), 2004. De Vos, Wim. Le singe au miroir : emprunt textuel et écriture savante dans les romans comiques de Charles Sorel. Leuven : Universitaire Pers ; Tübingen : Gunter Narr (Études littéraires françaises 62), 1995. Debaisieux, Martine. Le procès du roman : écriture et contrefaçon chez Charles Sorel. Saratoga, Anma Libri, 1989. Descartes, René. Discours de la méthode. Paris : Garnier-Flammarion, 1966. 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Thinking the Animal Point of View in Literature and Philosophy In his 1997 essay “L’Animal que donc je suis” that has become an important reference for current theoretical debates on the animal/ human relation, 1 Jacques Derrida asserts that western philosophy, unlike poetry and literature, has been marked by a constitutive inability to think the animal: “la pensée de l’animal, s’il y en a, revient à la poésie, voilà une thèse, et c’est ce dont la philosophie, par essence, a dû se priver” (23). 2 Derrida tentatively suggests that we turn from philosophy to our traditions of poetry and literature to find a “pensée de l’animal” that testifies to the qualities of diversity, responsiveness, and awareness that have habitually been denied animals in the western philosophical tradition. Derrida’s essay includes several allusions to the work of sympathetic poets and literary authors, including Montaigne, Baudelaire, Rilke, and Lewis Carroll. However, it is notable that one of the best-known representations of animals in the French literary canon, Jean de La Fontaine’s Fables, obtains no more than the briefest reference in the essay (26). 3 In fact, Derrida marks out an exception for the fable in the otherwise hospitable space of literature, claiming that it is an irremediably anthropocentric and allegorical genre, an “apprivoisement anthropomor- 1 For an excellent study of animality in Derrida, see Leonard Lawlor’s This is Not Sufficient: An Essay on Animality and Human Nature in Derrida. 2 Derrida’s essay originated in his presentation at the conference on his work held 11 to 21 July 1997 at the Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, and was first published in 1999 in the edition of the conference proceedings by Marie- Louise Mallet. The essay is also reprinted in Derrida’s 2006 work of the same name, from which the quotations in this article have been taken. 3 Derrida observes, in order to differentiate it from the “irremplaçable singularité” encountered in an early-morning encounter with his cat, “l’immense responsabilité symbolique dont notre culture a depuis toujours chargé la gent féline, de La Fontaine à Tieck” (26). Andrew Billing 20 phique, un assujettissement moralisateur, une domestication” (60). For Derrida, like the animal figures it employs the fable remains subservient to conceptual discourse, to a philosophical anthropology, and to a traditional and domesticating representation of animality: “[t]oujours un discours de l’homme; sur l’homme; voire sur l’animalité de l’homme, mais pour l’homme, et en l’homme” (60). This essay evaluates the applicability of Derrida’s conception to La Fontaine’s Fables, and concludes that although most do employ anthropomorphic animals for allegorical purposes, something like a “pensée poétique de l’animal” in Derrida’s sense can be identified in the later fables. Derrida’s critique of the fable genre is underpinned in “L’Animal que donc je suis” by his broader critique of western representations of animality. Derrida claims that despite their divergent methodological orientations, philosophers have consistently subsumed the vast diversity of animal species under a single totalizing concept of animality, in order to define human specificity through its opposition to an animal Other. Yet Derrida rejects the alternative view that the animal/ human relation can be understood in terms of a biological continuism. In fact, he insists emphatically on the discontinuity, rupture or abyss that separates human and animal species. Nonetheless, he distinguishes this discontinuity from the traditional metaphysical opposition in which the animal is conceived in terms of an isolatable and fully representable property or set of properties. 4 Derrida argues that the multiplicity and heterogeneity of animal species pluralize relations of identity and difference and complicate without fully erasing the human/ animal boundary. This critique of essentializing representations of animality is coupled in the essay with a critique of the refusal of ethical philosophers to conceive of animals as bearers of the singular perspective, look or address that Derrida views as the condition of ethical relations. Derrida associates this refusal above all with the legacy of Descartes, as evinced by Descartes’s claim in the Discours de la méthode that although it is possible to conceive that an animal might “proférer des paroles”, it is not possible to imagine that it might arrange them “pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire” (57). The prejudices of the philosophical tradition are encapsulated in this Cartesian distinction between an animal reaction that remains automatic and deter- 4 “Au-delà du bord soi-disant humain, au-delà de lui mais nullement sur un seul bord opposé, au lieu de ‘L’Animal’ ou de ‘La-Vie-Animale’, il y a, déjà là, une multiplicité hétérogène de vivants [...] Il suit de là que jamais on n’aura le droit de tenir les animaux pour les espèces d’un genre qu’on nommerait L’Animal, l’animal en général” (53). Animal Thinking in La Fontaine’s Fables 21 mined even when it feigns the use of linguistic signs, and a human response recognized as a manifestation of the freedom that constitutes the ethical subject. 5 Against this dogma, Derrida sets an apparently insignificant morning encounter with his cat, in which his experience of seeing himself being seen naked by the animal elicits a sense of shame that gives rise to a meditation on the singularity of its point of view: “il peut se laisser regarder, sans doute, mais aussi, la philosophie l’oublie peut-être, elle serait même cet oubli calculé, il peut, lui, me regarder. Il a son point de vue sur moi. Le point de vue de l’autre absolu” (28). In this anecdote, the Cartesian problem of the animal’s capacity to respond has been displaced. Derrida’s experience of the singularity of an animal Other recognized as a perceiving subject with a unique point of view is an experience of passivity and also of a passion, the emotion of shame, and thus of the theorist’s own response to a form of animal initiative. 6 Yet in this very displacement Derrida signals the extent to which the question of animal responsiveness has been bound to a philosophical problematic in which animals have been constituted as little more than simple objects of knowledge. Numerous recent studies in fields as diverse as ethology, zoology, genetics, and cognitive psychology support Derrida’s criticisms of the traditional ontological and ethical presuppositions concerning the animal/ human distinction. 7 Yet just as Derrida’s argument that philosophy suffers from a constitutive inability to think the animal discounts a counter-tradition of marginal and alternative voices within philosophy since antiquity 8 , his claim that the fable is a narrowly anthropocentric literary genre and a vehicle for philosophical prejudices passes too quickly over the complexity of the fable tradition. Derrida’s distinction between philosophical discourse and “poetry” or literature can be mapped onto an internal distinction in the Fables between La Fontaine’s discursive, expository writings (prefaces and 5 The point is made forcibly in Derrida’s subsequent seminar: “De Descartes à Lacan inclus, de Kant et Hegel à Heidegger inclus [...] le préjugé le plus puissant, le plus impassible, le plus dogmatique au sujet de l’animal ne consistait pas à dire qu’il ne communique pas, qu’il ne signifie pas et n’a pas de signe à sa disposition, mais qu’il ne répond pas. Il réagit mais il ne répond pas” (Séminaire: La bête et le souverain, Volume I, 90). 6 For a sympathetic but critical reading of Derrida’s essay, see Donna Haraway, When Species Meet, pp. 19-23. 7 Some selected examples from a bibliography too vast to list here: Cary Wolfe, Animal Rites (40); Florence Burgat, Animal, mon prochain; Dominique Lestel, Les Origines animales de la culture; Franciscus B. M. Waal, The Ape and the Sushi Master: Cultural Reflections by a Primatologist. 8 See for example Elizabeth de Fontenay, Le Silence des bêtes, pp. 49-195. Andrew Billing 22 Discours 9 ) and his fictional fables, and within the fables themselves between the discursive morals and the fictional apologues that illustrate them. It is true that the prefaces that outline La Fontaine’s plan for the Fables largely support an anthropocentric interpretation of the work, 10 while La Fontaine’s often fêted Discours à Madame de La Sablière only superficially breaks with Cartesian doctrines and ultimately preserves a conventional hierarchy between man and animal grounded in a concept of ontological difference. Moreover, within the fables themselves La Fontaine’s morals usually emphasize the allegorical function of their apologues. Nonetheless, in several of the later fables the apologues bear witness to an animal responsiveness and point of view on human affairs that resemble Derrida’s plea for a “pensée de l’animal,” and that raise difficult questions concerning the ethics of the human exploitation of animal species. II. Discourse and the Limits of Animal Reasoning Despite appearances, Derrida’s principal charges against the fable—its anthropocentrism, its “domestication” and anthropomorphic erasure of animal difference, and its complicity with a traditional metaphysics—find echoes throughout La Fontaine’s paratexts and discursive writings. In the Préface to his first 1668 collection of fables, 11 La Fontaine initially claims that the fables offer a naturalistic representation of animal diversity in addition to instruction in moral reasoning: “[Les Fables] ne sont pas seulement Morales, elles donnent encore d’autres connaissances. Les propriétés des Animaux et leurs divers caractères y sont exprimés” (49). However, the poet almost immediately subordinates this supplementary knowledge to an anthropological focus; the study of the characters of animals will reveal “par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes l’abrégé de ce qu’il y a de 9 For a discussion of La Fontaine’s use of the term discours see Russell Ganim, “Scientific Verses,” pp. 102-104. 10 Jean-Pierre Collinet insists on the importance of La Fontaine’s prefatory texts: “La Fontaine n’a jamais publié d’œuvre importante sans l’accompagner de son commentaire, sous forme d’avertissement ou de préface, de prologue ou d’épilogue, de remarque incidente ou de note. Ces réflexions de l’auteur sur son art constituent un ensemble critique considérable et d’une remarquable cohésion, une poétique où, d’un ouvrage à l’autre l’écrivain expose ses vues, les approfondit” (7). See also his chapter on the Fables, pp. 147-162. 11 According to the editors of the Flammarion edition consulted in this study, the 1668 edition includes what are now numbered as the first six books of fables. The 1678-79 edition includes books 7-11, while the final 12th volume is included in La Fontaine’s 1694 edition (505-506). Animal Thinking in La Fontaine’s Fables 23 bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables” (49). The poet clarifies this reference to the “abrégé”—the notion that human character is a condensation or synopsis of animal traits—by an invocation of the figure of the microcosm: “Quand Prométhée voulut former l’homme, il prit la qualité dominante de chaque bête: de ces pièces si différentes il composa notre espèce; il fit cet ouvrage qu’on appelle le petit Monde” (49). The study of animal characters provides a solution to a problem of representation insofar as it affords an amplified, panoramic view of what is abbreviated and consequently potentially difficult to discern in humans. Furthermore, La Fontaine concedes here that the purpose of this amplification is, after all, to provide the moral instruction “qui confirme les personnes d’âge avancé dans les connaissances que l’usage leur a données, et apprend aux enfants ce qu’il faut qu’ils sachent” (49). Although the analogy between human and animal species presupposed by this didactic function means that its conception of animality remains at odds with the most reductive Cartesian discourses on the animal in the seventeenth Century, the Préface nonetheless proposes an anthropocentric erasure of animal difference in the name of a conventional pedagogical end. La Fontaine’s insistence on the fabulous qualities of his animals also initially appears at odds with Derrida’s accusation that the genre domesticates animal species. In his authorial comment at the beginning of Le Lion et le chasseur, La Fontaine refers to the power of the fables as “un enchantement” (13), and in the dedication to his second collection he claims that the fictional apologue fascinates and captivates attention, permitting a poet to overcome the resistance of an audience and sweeten an otherwise bitter moral truth: “proprement un charme: il rend l’âme attentive, / Ou plutôt il la tient captive” (A Madame de Montespan, 7-8). 12 Furthermore, this seductive power is based on a form of deception in which animals assume marvelous qualities: “Les Fables ne sont pas ce qu’elles semblent être / Le plus simple animal nous y tient lieu de Maître” (Le Lion et le chasseur, 1-2). Nonetheless, the effectiveness of the enchantment derives from a paradoxical combination of the fabulous with the familiar. In pagan times, “la Vérité a parlé aux hommes par paraboles; et la parabole est-elle autre chose que l’Apologue, c’est-à-dire un exemple fabuleux, et qui s’insinue avec d’autant plus de facilité et d’effet, qu’il est plus commun et plus familier? ” (Préface, 48). Animals possess the very qualities of ordinariness and ubiquity, through both their barnyard presence and their real or codified resemblances to humans, that allow them to take on fabulous attributes in the apologue while remaining transparent symbols. In short, it is their 12 See also Le Pouvoir des fables: “Le monde est vieux, dit-on: je le crois, cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant” (69-70). Andrew Billing 24 domesticated familiarity that permits the reader’s assimilation of the fable’s moral message. 13 In a sign of the bad faith of anthropomorphic discourse, La Fontaine also reaffirms the differences between animals and humans at points at which the animal/ human distinction risks disappearing altogether. The real or supposed resemblances that make animals vehicles for the figuration of human traits risk unsettling traditional human prerogatives and privileges. Moreover, the allegorical function of animal figures requires no more than a simulacrum of human qualities, in which both proximity and distance are essential components for successful representation. In the prefatory verse dedication A Monseigneur le Dauphin La Fontaine initially plays with overtly continuist arguments: “Tout parle en mon Ouvrage, et même les Poissons / Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes” (4-5). Although these verses imply that the attribution of a power of speech to all creatures is perhaps no more than a poetic artifice (“en mon Ouvrage”), the attribution is coupled with the provocative suggestion that the moral message the talking creatures convey is potentially suitable for all living beings (“à tous tant que nous sommes”). Nonetheless, the hint that both humans and animals participate in a shared sphere of moral concern is contradicted in the following verse, where the poet reveals his animal speakers to be simple masks for a ventriloquist: “Je me sers d’Animaux pour instruire les Hommes” (6). A similar view appears in two suggestive and well-known fables that explore the theme of metamorphosis but in which the insistence on difference appears discursively in La Fontaine’s authorial voice in the morals. In La Chatte métamorphosée en femme, the man who falls in love with his cat and transforms her into a woman is disconcerted to see his new wife compelled instinctively to hunt mice, and La Fontaine concludes: “Tant le naturel a de force [...] Qu’on lui ferme la porte au nez / Il reviendra par les fenêtres” (42). Similarly, La Souris métamorphosée en fille, the fable of the mouse transformed into a girl who will only accept a rat for a suitor, concludes with a moral whose verdict is that “Tout débattu, tout bien pesé, / Les âmes des souris et les âmes des belles / Sont très différentes entre elles” (73-75). Fictional likenesses give way to a discourse that reestablishes species boundaries, and that insists on the profound differences underlying apparent identities. 14 13 For a reading that emphasizes the significance of this ordinariness or familiarity in La Fontaine’s animal parables, see Andrew Calder, The Fables of La Fontaine: Wisdom Brought Down to Earth, p. 30. 14 Fables like La Chatte métamorphosée en femme might in fact be read as meta-textual commentaries on typical examples of the fable genre, in which the search for an Animal Thinking in La Fontaine’s Fables 25 As Derrida suggests, an insistence on the differences between animal species and humans does not necessarily entail an essentializing conception of animality. Nonetheless, what is usually read as La Fontaine’s most substantive and generous discourse on animals and animal reasoning, the Discours à Madame de La Sablière, confirms La Fontaine’s commitment to such a metaphysics. Elizabeth de Fontenay notes that the content of the Discours is usually attributed to the author’s discovery of the philosophical thought of Gassendi in Madame de La Sablière’s salon, 15 although its ostensible critique of Cartesian assumptions about animals is also colored by the general dependence of the Fables on relations of analogy between animals and humans. La Fontaine concludes an initial summary of Descartes’s concept of the animal-machine with a farcical remark that, as in A Monsieur le Dauphin, postulates a form of continuism: Voici de la façon que Descartes l’expose; Descartes, ce mortel dont on eût fait un Dieu Chez les Païens, et qui tient le milieu Entre l’homme et l’esprit, comme entre l’huître et l’homme Le tient tel de nos gens, franche bête de somme. (53-57) Although the gradations of reason between oyster, man and spirit respect a traditional hierarchy of beings, La Fontaine’s satirical positioning both of Descartes and his own domestic servant at positions between these gradations—as luminary genius or beast of burden—opens a vista onto intermediate forms and a flux or unexpected passages between identities. This continuism reappears stripped of its satire in subsequent lines, in a series of examples intended to adduce the range, the subtlety and even the human-like quality of animal thought. Against the partisans of the animalmachine doctrine, La Fontaine finds evidence of animal reasoning in the old stag who distracts the dogs of the hunt with “cent stratagèmes / Dignes des plus grands chefs” (78-79); in the partridge who distracts the hunter and his dogs, “détourne le danger, sauve ainsi sa famille” (88); in the family of equilibrium between identity and difference is inscribed textually in the traditional structure of the fable itself. The fictional apologue establishes a proximity between human and animal that is partly undone in the discursive moral that explains its allegorical significance. For a discussion of the generic features of the fable, see David Lee Rubin’s A Pact with Silence: Art and Thought in the Fables of La Fontaine, pp. 1-50. Note, however, that sometimes La Fontaine’s fables dispense with an explicit moral. See the Préface, pp. 50-51. 15 For a good, brief overview of the relationship between La Fontaine, Madame de La Sablière and Gassendi see Elisabeth de Fontenay, Le Silence des bêtes (366-374). For a reading of the Discours that also emphasizes the influence of Gassendi, see Russell Ganim’s “Scientific Verses,” especially pp. 101-102 and 117-119. Andrew Billing 26 Beavers skilled in arts of construction and of whom “La république de Platon / Ne serait rien que l’apprentie” (105-106); or finally of the variety of foxes who make war such that “Jamais la guerre avec tant d’art / Ne s’est faite parmi les hommes” (127-128). This critique of Descartes and his assertion of the capacity of animals to reason is nonetheless qualified by La Fontaine’s belief that strict limits, a specific and essential difference, separate animal from human thinking. Animal thought lacks the capacity for reflexivity characteristic of human thought and remains essentially captivated by its object: “Or vous savez, Iris, de certaine science / Que, quand la bête penserait / La bête ne réfléchirait / Sur l’objet ni sur sa pensée” (61-64). This distinction between a specifically human faculty of reflection and a general if often quite sophisticated capacity for thought shared by both animals and humans is pursued in the Discours in a subsequent analogy between animal thought and that of children. The story of two rats who devise a means to escape from “maître Renard” (292) while making off with an egg illustrates both the scope and the limits of animal cleverness: Qu’on m’aille soutenir après un tel récit, Que les bêtes n’ont point d’esprit. Pour moi, si j’en étais le maître, Je leur en donnerais aussi bien qu’aux enfants. Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans? Quelqu’un peut donc penser ne se pouvant connaître. (198-201) Here, the similarity between the reasoning power of animals and children rests on a distinction between thought and self-understanding or self-consciousness. Both children and animals think, but “ne se pouvant connaître” lack the capacity to posit themselves as the object of their reflection. La Fontaine probably senses the risks and consequences of the proximity that this argument establishes between animals and children. It is questionable, for instance, whether this non-reflexive thought or thought without self-consciousness would permit children to be recognized as ethical subjects, unless the moral status of animals were to be entirely reevaluated. An appreciation for this difficulty plausibly accounts for the more definitive differentiation between human, child and animal introduced at the end of the Discours: J’attribuerais à l’animal Non point une raison selon notre manière, Mais beaucoup plus aussi qu’un aveugle ressort: Je subtiliserais un morceau de la matière, Que l’on ne pourrait plus concevoir sans effort, Quintessence d’atome, extrait de la lumière, Animal Thinking in La Fontaine’s Fables 27 Je ne sais quoi plus vif et plus mobile encor Que le feu: car enfin, si le bois fait la flamme, La flamme en s’épurant peut-elle pas de l’âme Nous donner quelque idée... (204-213) Gassendian fire imagery cannot disguise the fact that this animal reason, although represented as intermediate between human reason and Descartes’s “aveugle ressort,” is fundamentally dissimilar to the former in nature. The brightness of the flame cannot disguise the materiality of its origins in wood; there is not just a difference but a qualitative opposition between the two reasons, between that of the animal “Capable de sentir, juger, rien davantage, / Et juger imparfaitement” (215-216) and between that of the human soul with its “double trésor” (220), including both the material soul shared with animals and “une autre âme, entre nous et les Anges / Commune en un certain degré” (224-225). From this perspective, the previously posited similarity between the animal and the child proves to be no more than an appearance: Tant que l’enfance durerait, Cette fille du Ciel en nous ne paraîtrait Qu’une tendre et faible lumière; L’organe étant plus fort, la raison percerait Les ténèbres de la matière, Qui toujours envelopperait L’autre âme, imparfaite et grossière. (231-237) The logic of this apparition in the maturing child of the second, immaterial soul that La Fontaine identifies like the Cartesian tradition with the reason is contorted, if not opaque. The physical maturation of the material body or “organe” paradoxically permits reason’s penetration and thus the disclosure in the child of the spirit. Nonetheless, the distinction affirms a radical difference between child and animal, insofar as the child follows a developmental trajectory firmly denied to the latter. These passages suggest that a metaphysical division between the spiritual, human and the material, animal souls, and consequently a conception of ontological difference defined by the possession or lack of an essential property, underpin La Fontaine’s conception of the animal/ human relation in the Discours à Madame de La Sablière. It is certainly reasonable to question the extent to which the poet truly subscribes to this dualism. Elizabeth de Fontenay suggests that it is motivated by the desire to avoid charges of impiety: “[c]ette continuité et cette rupture sauvent la différence zoo-anthropologique requise par la religion, en même temps qu’elle assure la continuité psychique des vivants” (366). Such an interpretation is supported by another discursive text, the Discours à Monsieur le Duc de la Andrew Billing 28 Rochefoucauld, in appearance more radical. The Discours begins with the poet’s observation that “L’homme agit et [...] se comporte / En mille occasions, comme les animaux” (2-3), an observation that gives rise to the speculation that nature “A mis dans chaque créature / Quelque grain d’une masse où puisent les esprits: / J’entends les esprits corps, et pétris de matière” (6-8). Despite the insinuation that man shares with the animals their faults as much as their reason, there is potentially a flirtation with a generalized materialism here, where the notion of “esprits corps... pétris de matière” anticipates the materialist positions of later thinkers such as La Mettrie. Nonetheless, La Fontaine’s attribution of a material soul to each living creature is not incompatible with the thesis of the “double trésor” from the Discours à Madame de La Sablière. The more plausible interpretation is that La Fontaine’s thought remains bound to the philosophical and religious tradition here, as elsewhere in his discursive writings. III. “C’est de l’homme qu’il faut se plaindre”: Animal Ethics in the Later Fables This review of La Fontaine’s reflections on his art largely supports Derrida’s view that the fable is an anthropocentric literary genre subordinated to the authority of a traditional philosophical anthropology. However, the examples we have considered have been drawn from texts that are explicitly discursive if not theoretical or philosophical in their orientation, such as La Fontaine’s para-texts and his two Discours, or from the discursive segments with the fables themselves, namely the morals. Before forming a definitive conclusion on La Fontaine’s representation of animality and animal thinking in the Fables, it is necessary to consider whether a distinction might be drawn between his discursive writings and the representations of animals within the fables’ fictional apologues. Is there some support there, perhaps, for Derrida’s tentative hypothesis that it is possible to find traces in poetic and literary texts of a “pensée de l’animal” habitually excluded from philosophical discourse? Although in the first edition of the Fables La Fontaine’s apologues serve a traditional function of allegorical representation, critics have sometimes noted a movement towards a greater naturalism between the first book and the later poems, beginning with the second recueil published in 1678-1679. In a recent article, Sarah Cohen notes that the Fables themselves “play with the association between humans and animals, not just by anthropomorphizing animals, but by animalizing humans as well. The case for animals as natural subjects emerges more subtly in the comportment of La Fontaine’s creatures, who sometimes display a prosaic realism within their anthropo- Animal Thinking in La Fontaine’s Fables 29 morphic actions” (54-55). 16 This perspective can be enriched by an interpretation proposed by Patrick Dandrey, who suggests that the analysis of the naturalistic aspects of the Fables cannot be limited to the context of the intellectual debates that shape the Discours à Madame de La Sablière but must also be related to the development of the natural sciences in the seventeenth Century. Dandrey identifies two perspectives on animals in La Fontaine: a traditional, erudite perspective that draws on the Aesopian legacy, and a new naturalistic and empirical one that is not, however, incompatible with La Fontaine’s desire to employ animals to symbolize human weaknesses. 17 The publication of the second collection of fables marks a turning point in La Fontaine toward naturalistic representations of the animal world, and, as Dandrey notes, in the second recueil a number of La Fontaine’s fables are novel and without an antecedent in the Aesopian and classical traditions. Probably the most convincing evidence for an increasing naturalism is the last fable in the final book XI of the second recueil, titled Les Souris et le Chat-huant. The story of the owl who creates a feed store of live mice in the trunk of a pine tree by dismembering them to prevent their escape is presented by La Fontaine as “prodige, et tel qu’une fable / Il a l’air et les traits, encor que véritable” (6-7), and the author insists on the apologue’s veracity in a prose note at the end of the text: “Ceci n’est point une fable; et la chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement arrivée“ (331). Naturalistic observation ostensibly substitutes here for the fabular dimension of the tale itself, disrupting the conventional relation between fictional apologue and discursive moral and promising a new discourse on the animal liberated from the imprint of the Cartesian and theological traditions. Nonetheless, the novelty of Les Souris et le Chat-huant should not be overstated. Despite its naturalistic dressing and the intelligence attributed to the owl in the apologue, the conception of the animal/ human relation espoused in the moral and prose note is not significantly different from those of earlier fables or texts like the Discours à Madame de la Sablière, which in fact also appears in the second recueil (Book 16 Russell Ganim also notes that “[w]hile La Fontaine’s Discours [à Madame de La Sablière] constitutes the poet’s firmest rejection of Descartes’s propositions, other texts echo the same sentiment. Along with the Discours à Monsieur le Duc de la Rochefoucauld, fables such as L’Homme et la couleuvre and La perdrix et les coqs discuss the qualities of animals in their own right” (109). 17 “Au lieu donc de sacrifier l’animal à sa fonction de représentation d’un travers humain, il convient pour mieux illustrer celui-ci, de peindre la nature animale avec le plus de vérité possible. Et par conséquent de trouver des espèces qui permettent des évocations réalistes” (151). Andrew Billing 30 IX, 19). Although in the apologue the poet writes that the prévoyance of the owl who brings food and grain to her captive mice “allait aussi loin que la nôtre” (25), in the prose conclusion he adds the qualification: “J’ai peut-être porté trop loin la prévoyance de ce Hibou; car je ne prétends pas établir dans les bêtes un progrès de raisonnement tel que celui-ci” (331). The poet’s own reason intervenes to account the attribution of a human-like reasoning power to the owl not to naturalistic observation but to the hyperbole of fable and fiction: “ces exagérations sont permises à la poésie, surtout dans la manière d’écrire dont je me sers” (331). On the evidence of Les Souris et le Chat-huant, a naturalistic shift in La Fontaine does not per se equate to a substantive change in the theoretical and ethical status of animals in the Fables. Yet it is possible to find other signs of a recognition of animal singularity and difference in the later poems, anticipating a “pensée poétique de l’animal” in Jacques Derrida’s sense. This difference is defined not as a metaphysical lack or a reasoning power that approaches but remains qualitatively inferior to that of humans, but instead as an otherness both strange and intimate and whose implications are above all ethical in nature. Unlike earlier poems that are clearly allegories of human power relations but that include only animal characters, such as Le Lion, Le Loup et le renard, Le Loup et le chien, Les Animaux malades de la peste 18 or even Le Loup et l’agneau, the apologues in these later fables often include dialogues between humans and animals in which La Fontaine speaks from the position or point of view of the animal as such, imagining the judgments of animals on the human world. 19 Moreover, unlike some earlier fables that also imagine animal judgments on human affairs but that take aim at human narcissism, 20 these later fables thematize the injustice of the human treatment of animals, and make judgments on human inconsequence and cruelty and the kind of unthinking species-ism that reflexively 18 Note, however, that in Les Animaux malades de la peste, which in fact appears at the beginning of the second recueil after the dedication to Madame de Montespan, La Fontaine’s fox refers to the shepherd “digne de tous maux, / Etant de ces genslà qui sur les animaux / Se font un chimérique empire” (39-42). 19 In the Préface, La Fontaine notes that “Aristote n’admet dans la fable que les animaux; il en exclut les Hommes et les Plantes” (50). The presence of humans alongside animals interferes with the traditional fable logic of figuration, and obliges the reader to consider the possibility that the fable is an allegory for relations between animals and humans. 20 See for example Le Lion abattu par l’homme, in which a passing lion remarks to the human spectators of the painting “Avec plus de raison nous aurions le dessus, / Si mes confrères savaient peindre” (III, x). Animal Thinking in La Fontaine’s Fables 31 prioritizes human concerns. 21 This work of sympathetic imagination contributes to the Fables not just the idea that humans might pity animal suffering or that animals fall within the sphere of human moral concern, but also the idea that humans betray their own humanity in their relations with animals. 22 While the fable in Book X L’Homme et la couleuvre is in some respects a reprise of Le Loup et l’agneau, this time the power relation analyzed in the apologue is framed in terms of relations between human and animal species. At the outset, the poet himself insinuates that the common attributions of perversity and ingratitude to the snake are anthropocentric projections: “l’animal pervers / (C’est le serpent que je veux dire / Et non l’homme: on pourrait aisément s’y tromper)” (4-6). However, it is above all the snake’s judgment on human affairs in its address to its human captor that pinpoints the self-interestedness and cruelty informing human conceptions of justice as far as animals are concerned: “ta justice, / C’est ton utilité, ton plaisir, ton caprice” (20-21). As in Le Loup et l’agneau the fable shows man to be a wolf, but this time with respect to other animals. At the conclusion of the fable, after enduring the adverse judgments of the cow, the ox and the tree, the human figure in the poem resorts to violence to settle a dispute with his animal interlocutors that he can no longer win in the court of reason: “L’Homme trouvant mauvais que l’on l’eût convaincu / Voulut à toute force avoir cause gagnée.” (79-80). It is true that the fable’s moral suggests that it may be taken as a symbolic reflection on hierarchy and power relations between humans: “On en use ainsi chez les grands. / La raison les offense; ils se mettent en tête / Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens, / Et serpents.” (84-87). Once again, the author’s discursive voice seems to intervene in order to control and limit the implications of the fiction. Nonetheless, unlike those in which both exploiter and exploited appear in animal 21 Maya Slater notes that such texts portray a La Fontaine “champion of his animal creations, and critic of man” (109), although Slater usually emphasizes the anthropocentric qualities of the Fables: “The poet stresses the fact that his numerous animal characters exist primarily to make points about human beings, not about their own species” (97). 22 Such a testimony is arguably even present in the text of the Discours à Madame de La Sablière itself, in which the internal passage from discursive reasoning to poetic examples of animal thought and behavior, rather than the usually celebrated Gassendianism, might point to where the work is most provocative and original. Although La Fontaine’s characterization of the ruses of the stag as “dignes des plus grands chefs, dignes d’un meilleur sort! ” indicates that the poet’s plea for compassion is based on its resemblance to a human figure, the subsequent verse “On le déchire après sa mort” (80) clearly links the spectacle of animal suffering to an awareness of human injustice. Andrew Billing 32 form the presence of a human figure in the fable as well as the inclusion of quadrupeds and serpents in the ranks of the exploited mean that the text’s allegorical sense cannot be limited to exclusively human relations. The critique of the injustice of the human treatment of animals remains, along with the suggestion, perhaps, that the privileged defend their exploitation and domination of their fellow humans by means of their figurative animalization. La Perdrix et les coqs is another fable from Book X whose text resists a purely allegorical or anthropocentric reading. Although the fable’s naturalistic quality has often been noted, 23 La Fontaine also links its observation of the relations between animal species to the theme of human cruelty. The female partridge pecked mercilessly by the roosters excuses the behavior of the latter—“Ce sont leurs mœurs, dit-elle, / Ne les accusons point”—since this aggressivity is ingrained in their nature, and “Il est des naturels de Coqs et de Perdrix” (14-18). Instead, she assigns responsibility to the human master who insists on housing both species in the same enclosure: Le maître de ces lieux en ordonne autrement Il nous prend avec des tonnelles, Nous loge avec des Coqs, et nous coupe les ailes: C’est de l’homme qu’il faut se plaindre seulement (21-24). A similar reflexion on human cruelty and animal natures appears in another fable in the same collection, Le Loup et les bergers (X, 5). The fable begins with the mise en scène of another animal reasoner, here a “loup rempli d’humanité” (1), although unlike the thinking beast in the Discours à Madame de La Sablière who “ne réfléchirait / Sur l’objet ni sur sa pensée” this wolf notably proves capable of self-awareness via a “réflexion profonde” on his own cruelty “[q]uoiqu’il ne l’exerçat que par nécessité” (4-5). Moreover, La Fontaine’s ironic attribution of “humanity” to the wolf should not be allowed to mask the serious point that the fable constitutes a critique not only of the bad faith of human judgments on animals but also of what the poet describes in his own voice at the end of the fable as a war of species: Est-il dit qu’on nous voie Faire festin de toute proie, Manger les animaux, et nous les réduirons Aux mets de l’âge d’or autant que nous pourrons? Ils n’auront ni croc ni marmite? (34-38) 23 See for example Russell Ganim, “Scientific Verses,” p. 109. Animal Thinking in La Fontaine’s Fables 33 The rhetorical “est-il dit” points to what has in fact, here and now, become a “dire,” a discursive statement on a form of human ethical blindness which in this example condemns the necessary predations of the carnivorous wolf but is unable to recognize and avow its own aggressive and gluttonous meat-eating. The sympathetic identification with an animal point of view we have noted in the apologues in late fables such as L’Homme et la couleuvre is now fully assumed in the moral. As La Fontaine concludes, in a statement that repeats the themes of Le Loup et l’agneau but that this time allows for no ambiguity in its targeting of human attitudes towards nonhuman creatures: “le loup n’a tort / Que quand il n’est pas le plus fort” (39- 40). 24 In these late texts, a space opens up in the Fables, in the apologues and then increasingly in the morals, as a consequence of an apparently growing curiosity about animals in their diversity as non-human others. Beyond any new naturalism, this curiosity is reflected in an increasing recognition of the possibility of an animal point of view on the world of human affairs. In these poems, La Fontaine’s animals are neither simply figures for humans, humanized animals or animalized men, but instead elements in a literary discourse that however fleetingly entertains the possibility of a “point de vue des bêtes.” Certainly, this discourse is a “speaking-for,” a discourse that positions itself in the place of the animal, just as the speaking animals who condemn human hypocrisies and cruelty clearly retain anthropomorphic traits. Yet to speak, however clumsily, for an other who is inarticulate does not necessarily entail the betrayal of its interests. Furthermore, to imagine the value of such a gesture presupposes the realization that that other has an ethical claim, predicated on its possession of awareness and sensibility. There is a sense in which the animal is no longer simply instrumentalized here, or, in the terms of the snake in L’Homme et la couleuvre, a servant for human utility, pleasure, or caprice. In producing a “dire,” in giving voice to an animal point of view on the human, La Fontaine in his later fables both begins to elaborate a reflection on human rights and duties with respect to animals, and recognizes and records a literary response to an elusive but insistent animal subjectivity. 24 See also Le Chien a qui on a coupé les oreilles (X, 8), in which the mutilated dog apostrophizes man: “O rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans, / Qui vous ferait choses pareilles? ” (5-6). It is true that similar themes appear occasionally in the earlier fables, although without the same emphasis on human cruelty. See Le Cheval s’étant voulu venger du cerf (IV, 13): “De tout temps les Chevaux ne sont nés pour les hommes. / Lorsque le genre humain de gland se contentait, / Ane, Cheval, et Mule, aux forêts habitait” (1-3). Andrew Billing 34 Works Cited Burgat, Florence. Animal, mon prochain. Paris: Odile Jacob, 1997. 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Animal Rites: American Culture, the Discourse of Species, and Posthumanist Theory. Chicago: University of Chicago Press, 2003. PFSCL XL, 78 (2013) Hoarders and Parasites in the Fables of La Fontaine B RUCE E DMUNDS (T HE U NIVERSITY OF A LABAMA , T USCALOOSA ) To justify his collection of fables, La Fontaine makes the gesture essential to all prefaces of the time, but the way he imagines the pleasure and the instruction occurring merits some further consideration. The parable, he states, is an apologue, an “exemple fabuleux, et qui s’insinue avec d’autant plus de facilité et d’effet, qu’il est plus commun et familier.” 1 The goal is to please and instruct, but manifestly not to surprise or provoke admiration in the full Cartesian sense, nothing so exalted or ambitious. A more detailed comparison will help illuminate La Fontaine’s position. In articles 75-78 of Les Passions de l’Âme Descartes shows both the value and danger of admiration, which arises when one encounters something unfamiliar. It may spur learning but also has the power to entrap attention and fix it in a kind of passivity that makes learning impossible. To instruct, for La Fontaine, does not imply the kind of revolution admiration entails, nor does it carry the same risk. It is not necessary to create novelty either. In other words, caution and modesty both appear to dictate La Fontaine’s understanding of “instruction.” To find the most authentic of the many La Fontaines inhabiting the text, then, one might well leave the most visible, impressive paths in favor of the smaller, hidden ones. I borrow this delightful image from Patrick Dandrey. For him, the fables are a “jardin français” in which one finds “longue allées thématiques et esthétiques,” to be sure, but also, and more relevant to my purpose, “des bosquets plus secrets où l’association de textes sinon disparates, du moins divers, ménage le plaisir de l’imprévu tout en offrant de nouveaux points de vue biaisants mais pittoresques sur les avenues majeures” (85). It is just one of these bosquets that Michel Serres 1 See page 9 of the Gallimard Edition of the Œuvres complètes. References to La Fontaine will be to this work. For the Fables I will indicate the book, the fable and the verse by number. Bruce Edmunds 36 sets off to explore in his book Le Parasite. The parasite, like the apologue, is all the more compelling in that it is common and familiar, and insinuates itself easily. Indeed, parasites abound, notes Serres, feeding on both organisms and signals. The relationship between host and parasite, moreover, is both primordial and necessary, an observation that bears within itself a warning: any effort to ignore, suppress, or destroy the parasite imperils the host. 2 Diverse strategies deploy themselves to this end, of course, but many, I would argue, constitute a form of hoarding. This strategic affinity emerges when one follows Serres’ suggestion and reads the parasite as a solicitation from the collectif (31). To be specific, one may foolishly seek to achieve definitive freedom from this parasite by hoarding knowledge, food, or stories. In L’Enfant et le Maître d’Ecole (1, 19) the solicitation takes the form of a child’s call for help. The teacher creates the possibility of dismissing this call by diminishing its source, in the first instance by naming the child in such a way as to deprive him of humanity: “Ah, le petit babouin” (v. 12). La Fontaine, it is true, often seems to prefer animals to human beings, and many fables show human beings to be paradoxically the least humane of creatures, but here the term issues from the mouth of the teacher and serves to admonish (“tancer”, v. 12). It is the more scandalous in that the act results from a decision (“s’aviser”, v. 11) rather than from a regrettable but understandable lapse of compassion and good sense. La Fontaine reinforces the sense of cruelty by indicating that the words are uttered in a “ton fort grave” (v. 11). The teasing, far from being the badinage of “gaieté”, appears mean-spirited and petty. One is tempted to say that such a tone is always “à contretemps” (v. 11) for La Fontaine, but in any case it is clearly so here. If the fabulist acts as a teacher of sorts, he does not do so in the mode of the magister, a mode of pedantry antithetical to the ethic of honnêteté. 3 The honnête homme rein- 2 See pp. 9-12 of the preface to the Hachette Littératures edition, and part 2, “nouveaux repas interrompus,” in which Serres writes: “Le parasite est toujours là, il est inévitable. Il est en tiers sur le schéma trivial, sur l’étoile à trois branches. Voici la relation inanalysable, j’entends par là qu’il n’en est aucune plus simple” (116). All references will be to this edition. 3 Many moralists wrote about honnêteté, but none, I think, with more verve than Pascal. I’m thinking for example of his famous statement concerning style: “ Tout ce qui n’est que pour l’auteur ne vaut rien ” (Lafuma, 798). Nicolas Faret’s description is very a propos here as well: “Un honnête homme… doit tâcher d’être utile à sa patrie, et, en se rendant agréable à tout le monde, il est obligé de profiter nonseulement à soi-même, mais encore au public, et particulièrement à ses amis qui seront tous des vertueux.” Sociability, one might say, emerges as the sunnier side Hoarders and Parasites in the Fables of La Fontaine 37 forces solidarity by attempting, in conversation, to celebrate others and make them look good. The pedant intimidates and diminishes others to make himself look good. Hoarding words and bits of information allows the pedant to fill so completely the space of discourse that he crowds out both the honnête homme and the poet, shutting off the solicitation of the collectivity, extirpating the parasite, creating his own social death. As a competition for attention the sides are hardly equal. A child must pit himself against this hoarder of words, in fact a child in physical distress. In this way the pedant ensures his own victory by deploying his words when he perceives a situation advantageous to him. In this sense one might argue that for La Fontaine the pedant always positions himself as magister, the interlocutor as weak, vulnerable child. In this instance he pushes his victim still further towards the border of social existence, away from genuine relationship by referring to him in the third person in his response to the call for help: “Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise” (v. 13). The magister then justifies his coldness by using labels indicative of some moral flaw (“fripon” and “canaille”, vv. 14 and 16). This is all the more surprising in that the child’s “crime” is a moment of inattention due to his badinage, a harmless pastime, especially when compared to the one practiced by those La Fontaine summons for judgment, the “babillard,” the “censeur,” and the “pédant” (v. 20). Badinage, as both the source and the expression of a certain legitimate verbal pleasure, reinforces social bonds, diminishes the distance between individuals and ensures the health of the collectivity. In these aspects it opposes all three of the above figures. In its spontaneity and sense of play it further opposes both the censeur and the pedant. True, in some cases La Fontaine mocks inattentiveness itself, but this is so when it arises from some deeper error or misdeed. In L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits (2, 13), the “victim” is guilty of fraud, practicing an “art mensonger” (v. 45). After apologizing for digressing, for getting carried away in the expression of indignation, La Fontaine cruelly trivializes the astrologer’s fate: “Je m’emporte un peu trop: revenons à l’histoire/ De ce spéculateur qui fut contraint de boire” (vv. 44-45). If the astrologer “drinks” from the bottom of the well surely he drinks his last. The milkmaid of La Laitière et le pot au lait (2, 9) also suffers for her inattention, though she will survive the mishap. We find her contemplating her impending punishment after she has dropped the milk which was to have been the origin of her imagined prosperity: “La dame de ces biens, quittant d’un œil marri/ Sa fortune ainsi répandue,/ va s’excuser à son mari/ En grand danger d’être of honnêteté, the darker side of which, as Albanese has shown, is fear. See his book Le Dynamisme de la peur chez Molière. Bruce Edmunds 38 battue” (vv. 24-27). La Fontaine does not judge her as harshly as the astrologer. Indeed he expresses solidarity with her and indicates the universality of her flaw. Everyone, he states, gets carried away by grandiose schemes and dreams: “Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux” (v. 34). Why then does the severity of the punishment vary so greatly in the two cases? Again I think the answer must have something to do with the individual’s relationship to the community. The milkmaid’s moment of weakness occurs in the context of the basic struggle to live, and does not threaten the social fabric. The astrologer’s activity is described as solitary. This is not criminal in itself, but here it serves neither to regenerate the individual nor to allow any larger contribution to others. Rather it benefits only the astrologer and does so through fraud, which does threaten the social fabric by promoting delusion, and by disseminating false information which will then form the basis for decision and action. In contrast to the astrologer and the milkmaid, the child is innocent and in no way merits the “punishment” of the teacher’s harsh words. It is not only a child, but a young child (v. 3). Moreover it is a child that benefits from divine protection: “Le Ciel permit qu’un saule se trouva/ Dont le branchage, après Dieu, le sauva” (vv. 5-6). The pedant, in contrast, is far from innocent. His folly (“sot”, v. 3) results from a kind of intellectual laziness disguised as productive labor: “Dans ce récit je prétends faire voir/ d’un certain sot la remontrance vaine” (vv. 1-2). I have written of this theme elsewhere and will not repeat the contents of that article here. 4 It will suffice to observe that for La Fontaine, the simple stockpiling of words is easier, but less enriching, than true dialogue. In the context of the parasite one could say that the pedant’s refusal to establish and maintain an evolving, therefore genuine, relationship to the other equates to a doomed and potentially dangerous attempt to cut the parasite out of all communication. For any system, writes Serres, “le couple bruit-message est du système, et son rapport est un indice juste de la bonne marche et de l’âge dudit équipage” (124). In other words, the pedant’s effort entails the enshrinement of a false kind of suffisance. For La Fontaine true and workable suffisance, which equates to competence or quality, entails recognizing the need for a continuing, indeed perpetual, relationship with solicitation of the collectivity even if that solicitation embodies itself in a specific individual. 5 4 “Oisiveté and danger in La Fontaine’s Fables”. 5 Larry Riggs has traced this theme in numerous works, especially those of Molière. See his book, Molière and Plurality: Decomposition of the Classicist Self. I use suffisance in describing the pedant’s aspiration in the way Pascal means it when speaking of the Jesuits, that is to say, behavior indicative of vanity and of the Hoarders and Parasites in the Fables of La Fontaine 39 Reviewing the pedant’s moves one cannot fail to notice a contradiction. If the child is at the very border of human being and thus merits no consideration, he must occupy the same amoral space as the wolf of Le loup et l’agneau (1, 10). He cannot, in this logic, contain a moral flaw because he is not a moral being at all. This move would seem to render nonsensical the pedant’s labels (“fripon” and “canaille”, vv. 14 and 16), used also to justify his, the pedant’s, callousness. What are we to make of this apparent lack of coherence? I would argue that it is not the poet’s flaw but the pedant’s. It indicates that the pedant opportunistically uses whatever he finds, unconcerned with principal or logical consistency. The pedant, in other words, exhibits exactly the same pattern as the wolf. It is the pedant, not the poor child, who removes himself from all ethical and human space in his illconceived effort to remove definitively the very possibility of exchange, with its requirement of openness to transformation. True, the relationship of teacher to pupil could scarcely be cast as a relationship among equals, but hierarchy does not imply movement in one direction only, or the impossibility of exchange. In fact, no less influential a thinker than Montaigne had already penned a thorough critique of the “educational” system the maître d’école embodies: “On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir, et notre charge ce n’est que redire ce qu’on nous a dit” (119). In fact, for Montaigne, the student must be free to accept or reject what is offered as he sees fit: “Qu’il lui fasse tout passer par l’étamine et ne loge rien en sa tête par simple autorité et crédit” (120). The continuing education of both teacher and pupil depends on exchange, nourished by travel, reading or conversation, for “Il se tire une merveilleuse clarté pour le jugement humain, de la fréquentation du monde” (124). Nothing indicates that the contact occurring in a pedagogical context is somehow exempt from this deeper human need, either for Montaigne or for La Fontaine. Toward the end of the fable we learn that those who fail to respect the necessary and proper relationship to the collectivity exist in great numbers, and that God has blessed their growth: “Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense./ Tout babillard, tout censeur, tout pédant,/ Se peut connaître au discours que j’avance: / Chacun des trois fait un peuple fort grand; / Le Créateur en a béni l’engeance” (vv. 19-23). Here the papillon du Parnasse (as La Fontaine dubs himself in the Discours à Madame de La Sablière that closes Book 9 of the Fables) seems to have adopted a surprisingly apocalyptic tone. attempt to be sufficient unto oneself. The accusation is made repeatedly throughout the Provinciales. As to the second meaning, it occurs, for example in the pensée on the imagination: “Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tête sans une opinion avantageuse de sa suffisance” (Lafuma, 44). Bruce Edmunds 40 Of course, to explore the implications of these verses would require another study. I note them only to raise the issue of danger and to further refine the description of the parasite La Fontaine has under the magnifying glass. Close scrutiny of the pedant reveals him to be that variety of parasite who refuses (or tries to refuse) to participate in the fundamental relationship of the individual to the larger collectivity. The danger emerges when one considers the proper sequence, action then harangue, which the pedant fails to respect. Discourse fills the scene, substituting itself for useful action and excluding any real exchange or communication. The order the pedant observes shows where his real interest lies: maintaining his reputation by producing a censorious account of the event. The poet reverses the pedant’s order, indeed pushes what is first for the pedant to the very last, harangue being the last word of the fable: En tout affaire ils ne font que songer/ Aux moyens d’exercer leur langue./ Hé, mon ami, tire-moi de danger: / Tu feras après ta harangue” (vv. 24-27). He had already in fact diminished the speech’s importance by labeling it “remontrance vaine” (v. 2). From the perspective of the récit, La Fontaine uses the harangue to frustrate the reader’s wish to arrive at the resolution. The harangue makes the reader wait, just as it makes the poor child wait. At a diegetic level it is not just extraneous, but positively nefarious. Words are hoarded then used to maximize the distance between the pedant and his interlocutor. At the extradiegetic level the poet’s “harangue” serves to reveal and mark that of the pedant as inappropriate and even cruel. 6 Viewed in the context of Serres’ parasite, one could say the pedant exemplifies a cowardly and ultimately doomed way of responding to the solicitation of the collectivity; he attempts to create a “self” that cannot be assailed or subject to outside pressure because a hoard of words protects it. The misguided, false form of suffisance also appears in a very different fable, Le Chêne et le Roseau (1, 22). While it is true that classical mythological references suffuse the literature of the period, in the tree’s mouth (! ) they express the same kind of galling suffisance as the pedant’s harangue and form a stark contrast to the reed’s far simpler, less pretentious language, devoid as it is, of mythological references and poetic figures. The oak’s words enact a distancing, a refusal of genuine connection that disguises itself as its finest expression: compassion. The oak opens the conversation with a statement that seems to indicate empathy: “Vous avez bien sujet d’accuser la Nature” (v. 2), but his repeated expression of the contrast between his greatness and the reed’s weakness ends up creating the 6 I use the terms as they were first developed by Gérard Genette in his book, Figures III, pp. 288-9. Hoarders and Parasites in the Fables of La Fontaine 41 impression that the oak is using the reed to elevate himself (vv. 3-16). The reiteration of the expression of empathy that closes the oak’s speech sounds quite hollow and unconvincing : “La Nature envers vous me semble bien injuste” (v. 17). The poet emphasizes the act of distancing by having the oak lament the physical distance that separates the reed from him (vv. 11-16), and by designating its cause as unfortunate birth (vv. 11-15). Note that I wrote “that separates the reed from him,” and not the more natural sounding “that separates him from the reed”. This choice of words reflects the fact that the oak represents himself as occupying the privileged space, the center, while the reed must exist on the periphery. In this dantesque cosmology one suffers to the degree that one is distant from God (the oak). Plants don’t change location, of course, so their “birth” determines their existential standing. It is telling, though, that the oak uses a form of the word “naître” twice in one sentence and that the “vous” shifts from the singular to the plural with the adverbial modifier “le plus souvent” (v. 15). It seems ultimately to function as a designation of caste. Given La Fontaine’s aversion for the court one might well suspect that the oak’s statement of “compassion” represents in fact the reflexive gesture of a nobility whose dignity had come under attack from numerous directions: the assertion of high birth. Like the hoarding of knowledge that allows the pedant in his harangue and the oak in his literary statement of compassion to define once and for all their relationship to the collectivity, thus silencing its solicitation, birth, once established, permits a stable definition of place. Or does it? The fact that oak finds it necessary to assert it twice bespeaks a lack of confidence in its talismanic power. This reading agrees with Albanese’s characterization of honnêteté as a strictly aristocratic ethic rooted in sentiments of fear and insecurity, and plays out a drama of reversal: “Profondément religieuse, cette vision consiste à accorder à ceux qui se trouvent les plus proches de la source du Pouvoir (c’est-à-dire, Dieu) un prestige et un respect manifestes; grâce à la proximité de la Divinité, ceux-ci se prévalent de la pureté religieuse de leur sang” (19). The oak, described as “Celui de qui la tête au ciel était voisin (v. 31) would appear to be the being most worthy of respect, the highest born. La Fontaine boldy uproots it coupling “voisine” with “déracine” (v. 30). The humiliation is the greater in that description of the oak’s fate precedes the statement of his greatness, the precedence on the page representing visually precedence in fact: “Le vent redouble ses efforts,/ Et fait si bien qu’il déracine/ Celui de qui la tête au Ciel était voisine” (vv. 29-31). Finally, then, the assertion of noble birth fails as surely as the hoarding of special knowledge. The furie that punishes the oak (v. 25) shows that the Bruce Edmunds 42 misdeed is hubris, though hubris of a special kind. For the oak does worse than try to step outside the place a hierarchical society appoints for him. He attempts to place himself beyond the order entirely by putting into circulation figures and references that aggrandize him in precise ways and do so by their mere use. The parasite, the vent paraclet, the whisper of the collective, are all the wind that one must hear and bend to. They are parasite in the sense of the static, the bruit de fond that accompanies the carrier wave of all audible communication (Parasite 177). The oak learns that one ignores this parasite at one’s peril; it blows right through his words and strategies, destroying him utterly, for the gravity of the crime elicits an equally grave punishment. Logic would dictate a similar fate for the ant in La Cigale et la Fourmi (1, 1) though the reader never sees it. The poet’s wonderfully terse observation regarding the ant’s refusal to offer a loan, “C’est là son moindre défaut” (v. 16) begs the question: “What is his greatest flaw? ” 7 Serres’ parasite helps provide an anwer. Here the collectivity takes the form a mouth that speaks and demands to be fed. Refusing to heed it the ant fails to make his obligatory contribution. The biblical injunction to show charity plays a role here, to be sure, but so does the requirement that one’s behavior sustain the social order by binding its members in relationship. To share what one has (even if it is only a bit of tobacco, as in Sganarelle’s panegyric in the opening lines of Molière’s Dom Juan) founds, authorizes and sustains social intercourse. 8 This also is the insight contained in Panurge’s (not so) paradoxical praise of debt: out of that basic business arrangement the entire social order spins itself and perpetuates its existence. To refuse to participate is nothing less than diabolical: “Qui rien ne preste est creature laide et 7 In his annotation of this fable in the Gallimard édition of the Œuvres complètes (671-2) René Groos distinguishes between the apparent meaning, which he states as “N’être pas prêteuse, c’est le moindre de ses défauts,” and the ironic one: “Prêteuse! être prêteuse! ah! c’est là le défaut qu’elle a le moins, le défaut que l’avare fourmi a le moins à se reprocher.” He then chides the reader who stops at the apparent meaning for being too hasty. Surely one need not choose only one reading as legitimate then discard the other. From my perspective the apparent or hasty reading has proved the richer of the two. 8 See Serres’ book Hermès ou la Communication. On this particular scene Alabanese’s exploration of fear and its social dynamics goes a bit astray. For him it is a display of the magical power of tobacco which can, he writes “douer le consommateur d’un air d’honnêteté indispensable à tous ceux qui veulent réussir dans le monde” (46). This cannot describe Sganarelle who cannot conceivably have such pretentions. Also, Sganarelle claims that it inspires “des sentiments d’honneur et de vertu” and a sentiment is not the same as an aspiration, delusional or otherwise. Hoarders and Parasites in the Fables of La Fontaine 43 mauvaise: creature du grand villain diantre d’enfer” (Ch. 3, 571). Debts are the binding force of the social order, and the key to human survival: Bien pis y a, je me donne à sainct Babolin le bon sainct, en cas que toute ma vie je n’aye estimé debtes estre comme une connexion et colligence des Cieulx et Terre, un entretenement unicque de l’humain lignaige; je dis sans lequel bien tost tous huymains periroient; estre par edventure celle grande ame de l’univers, laquelle, scelon les Academicques, toutes choses vivifie. (Ch. 3, 573) A world full of lending is a terrestrial paradise: Entre les humains Paix, Amour, Dilectin, Fidelité, repous, banquetz, festins, joye, liesse, or, argent, menue monnoie, chaisnes, bagues, marchandises troteront de main en main. Nul process, nulle guerre, nul debat: nul n’y sera usurier, nul leschart, nul chichart, nul refusant. Vray Dieu, ne sera ce l’aage d’or, le regne de Saturne? (Ch 4, 579) La Fontaine obviously does not represent the cicada as heroic in the same way Panurge represents the debtor, but Rabelais’ text does make assigning some legitimate function to the cicada credible. Here then is the situation: The cicada begs (v. 9) and promises (v. 12), the ant commands (v. 22), and he commands a performance that should be witnessed by others. After all, when the king himself commands a performance it is not so he may enjoy it alone. It will be the cicada’s last performance - he will dance until he dies, waiting for the charity that will never come. The ant will have silenced the voices enjoining charity and even simple decency in his effort to destroy the parasite. That the cicada is a parasite and a rascal is clear from his promise to repay both principal and harvest “avant l’oût (vv. 13-14). This is not an act of duplicity so much as a jest. It requests charity, not exchange. It exists at a second register that founds the literary or poetic act and hints at the identification of the poet and the cicada. As Jules Brody writes in his discussion of the contrasting figures of the poet and the pedant, “Le poète dit vrai en paraissant mentir; Malheur à qui ment en se donnant pour véridique” (101). The cicada’s false promise of repayment contains the truth concerning relationship. The ant’s flat enactment of the command “If anyone will not work let him not eat” (2 Thessalonians 3: 10) expresses the lie that self-sufficiency is achievable or even possible. In Brody’s scheme the cicada is the poet, the ant the pedant. Returning to the context of the fable, one might say that the ant’s hoard of food, or so he appears to believe, allows him to refuse all relationship, to be a self-contained entity, a monad, to be, finally, self-sufficient. If Harpagon had a glimmer of intelligence, this would have been his dream as well. Bruce Edmunds 44 The cicada does not discriminate in his giving (vv. 19-20) while the ant does not discriminate in his withholding. The cicada sings, the poet writes, and any who care to listen or read benefit. The cicada is both the ideal patron in his generosity and every artist seeking a patron in his need; the ant is that patron who requires that what he purchases (for it is no longer a question of giving, but exchange) be politically useful. From this perspective the fable laments the shift form Henri IV to Louis XIV, from giving to exchange, 9 and exchange, as Serres demonstrates, is grafted upon the more fundamental and primordial relationship of parasite and host. Thus the ant’s “refusal” must fail, his gesture be futile: “Le retour des cigales ne va plus cesser, le retour des exclus, le retour des refoulés, des poètes, des fabulistes, des parasites à la table du Château de Vaux” (179). One might think that the cicada is the pariah for failing to enter into a relationship of true exchange, but that merely projects a 21 st century perspective into the classical period. The cicada, the parasite, attempts to establish a connection which the ant flatly refuses in the name of an illusory and corrosive ideal of suffisance. This is the greatest flaw concealed within the lesser one of refusing to lend. As Jean-Marie Apostolides shows, only the king may lay claim to such an ideal. In the context of Versailles the architects of absolutism create a representational imbalance that cannot be righted: “La multiplicité des petits sacrifices quotidiens tentera d’être une réponse à long terme au don du roi, sans qu’elle constitue cependant un contre-don qui ait assez de valeur pour rétablir l’équilibre des partenaires” (31). One might argue that if the king is giving he could not be guilty of the ant’s kind of suffisance. From the perspective of any network of relations, however, this turns out to be exactly the case, for in the multiple fêtes “Toute trace de vie commune et de travail étant dissimulée, l’existence à Versailles prend l’apparence d’un enchantement” (32). In other words, charity, exchange, and lending all become emptied of meaning in that the infinite gulf separating monach from subject transforms the individual into a mere sign of royal power (34). The king, as Apostolides describes him, and the ant have the same solipsistic aspirations. Not that the poet, or any of us, he suggests, is entirely free of this fantasy to create a place free of need, free of negotiation, free of the possibility of loss. La Fontaine’s ant may repel us in his cold refusal, but his milkmaid elicits a very different response, as we have seen; let us call it one of wry compassion. First the wry part: her (purely imaginary) projects are advancing through her “soin diligeant” (v. 11); her leap in response to her 9 Marc Fumaroli has documented this shift and delineated many of its consequences in his book Le Poète et le Roi. Hoarders and Parasites in the Fables of La Fontaine 45 vision provides a moment of slapstick (vv. 21-33); and the event is recorded in the form of a farce (v. 28), the passive construction creating maximal distance between the reader and the hapless milkmaid. The invitation to compassion and a clearer definition of the milkmaid’s flaw appear in the remaining verses (30-43). The interrogative in itself recalls the famous chiding statement “Let him who is without sin among you be the first to throw a stone at her.” (John 8: 7). The poet then insists on the universal character of the flaw (vv. 32-33), and avers that nothing is sweeter (v. 34) than to be carried away by a comforting error (v. 35). I have translated as “comforting” La Fontaine’s “flatteuse,” but that doesn’t quite capture it. The error makes us feel good by supporting our tendency to inflate the self. The poet encourages the reader to suspend his harsh judgment by a judicious use of subjects. The questions (vv. 30, 32), “tous” (v. 32), and “chacun” (v. 34) are all in third person, but give way to first person plural (nos âmes, v. 35; nous, v. 36) then finally to that most intimate because most confessional of pronouns, first person singular (vv. 38-43), which closes the poem. La Fontaine encourages the reader to be gentle here, but again, what is the misdeed? All of us, the poet asserts here, wish to step out of the stream in some way (vv. 36-38). He repeats the adjective tout three times, using a different form each time (nearly all the forms of tout, all): “tout le bien du monde” (v. 36), “tous les honneurs,” “toutes les femmes” (v. 37). We wish to arrive at that place where we possess everything and are freed from further effort. The total passivity of the parasitic enjoyment so devoutly to be wished La Fontaine expresses with a glorious image combining wealth and weather: “Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant” (v. 42). The poet’s fall is no less brutal than the milkmaid’s (vv. 42-43). Indeed, one may hoard stories themselves, just as one may hoard information or wealth. This is the error of the hapless pigeon of Les deux pigeons (9, 2) but the tale also points to a possible solution: toleration of both need and boredom. A bored pigeon longs for adventure and leaves his companion in search of it. One suspects it is a matter of the “adventure” of infidelity, though the nature of their relationship remains unclear despite much debate (are they friends? are they mates? ) so one can’t assert this with any confidence. If his restlessness is of the latter kind, he must, of course, offer another, more legitimate explanation to the companion he is leaving. We see him casting about for some pretext, but perhaps he has managed, quite by chance, to discover his true underlying motive: to collect stories (vv. 23-29). This is, after all, one verbally sophisticated pigeon. In a handful of lines he makes four promises interspersed with a proverb (vv. 25- Bruce Edmunds 46 26). The last of the four evokes the pleasure of ekphrasis 10 and constitutes in itself an example of the figure, as we see the poignant tableau of this emotionally intense parting. The promised stories that result, paid for by great suffering, turn out to be unnecessary. One has no need to seek out then hoard stories as the minutiae of daily life provide ample material. This is the sense of the verses in which the poet offers his advice: “Amants, heureux amants, voulez-vous voyager? / Que ce soit aux rives prochaines; / Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau,/ Toujours divers, toujours nouveau; / Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste” (vv. 65- 69). To establish true and workable suffisance is, paradoxically, to remain open to the parasite taken as the solicitation of the collectivity. Seeking to close oneself off leads to ugly distortions (the pedant), injury (the pigeon) and even death (the oak). As Serres points out, La Fontaine makes the point forcefully in both Le Rat de Ville et le Rat des Champs (1, 9) and Le Jardinier et son Seigneur (4, 4): trying to eradicate rats and rabbits can only bring about the utter devastation of house and garden (163). The various hoarders exhibit a flaw that threatens something much deeper than the shifting and contingent order of the Ancien Régime. Seeking to free themselves from the endless task of negotiating their place within the collectivity they threaten the continuing elaboration and very existence of the social order itself. Their crime corrodes more deeply than that of Molière’s Jourdain, more deeply even than that of Oedipus. Works Cited Albanese, Ralph Jr. Le Dynamisme de la Peur chez Molière: une Analyse Socioculturelle de Dom Juan, Tartuffe, et L’Ecole de Femmes. University, Mississippi : Romance Monographs Inc., 1976. Apostolides, Jean-Marie. “Le spectacle de l’abondance.” L’Esprit Createur (vol. XXI, no. 3): pp. 26-34. Brody, Jules. Lectures de La Fontaine. Charlottesville, Virginia: Rookwood Press, Inc., 1994. Dandrey, Patrick. “La Fontaine, Poète Arcadien.” Et in Arcadia Ego, Actes du XXVII e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature, 1977: 77-95. Descartes, René. Les Passions de l’Ame. Paris: Flammarion, 1996. Edmunds, Bruce. “Oisiveté and danger in La Fontaine’s Fables.” Papers on French Seventeenth-Century Literature, 2004; 31 (60): 139-50. 10 I use the term in the broader sense that does not limit it to representations of works of art. Hoarders and Parasites in the Fables of La Fontaine 47 Faret, Nicolas. L’honnête homme ou l’art de plaire à la cour. Edited by Maurice Magendie. Geneva: Slatkine Reprints, 1970. Fumaroli, Marc. Le Poète et le Roi. Paris: Éditions de Fallois, 1997. Genette, Gérard. Figures III. Paris: Aux Éditions du Seuil, 1972. La Fontaine, Jean de. Œuvres complètes, v. 1. Ed. René Groos and Jacques Schiffrin. Paris: Éditions Gallimard, 1954. Molière, Jean Baptiste Poquelin de. Œuvres complètes. 2 vols. Paris: Garnier Frères, 1962. Montaigne, Michel de. Les Essais. Ed. Claude Pinganaud. Paris: arléa, 2005. Pascal, Blaise. Pensées. Ed. Lafuma. Paris: Editions du Seuil, 1962. — Les Provinciales. Paris: Éditions Garnier frères, 1965. Rabelais, François. Les Cinq Livres. Paris: Librairie Générale Française, 1994. All references are to the Tiers livre, and indicate the chapter followed by the page number. Riggs, Larry W. Molière and Plurality: Decomposition of the Classicist Self. New York: Peter Lang, 1989. Robert, Paul. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 2 nd edition. Ed. Alain Rey. Paris: Le Robert, 1986. Serres, Michel. Le Parasite. Paris: Hachette Littératures, 1997. Originally published by Editions Grasset et Fasquelle, 1980. — Hermès ou la Communication. Paris : Éditions de Minuit, 1968. Dictionnaire de l’Académie française, 8 th edition. Paris: Hachette, 1932. The New Oxford Annotated Bible, Revised Standard Edition. Ed. Herbert G. May and Bruce M. Metzger. New York: Oxford University Press, 1973. The New Princeton Encyclopedia of Poetry and Poetics. Ed. Alex Preminger and T.V.F. Brogan. New York: MJF Books, 1993. PFSCL XL, 78 (2013) Obstinate Women and Sleeping Beauties in the Kingdom of Miracles: Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda D EBORAH S TEINBERGER (U NIVERSITY OF D ELAWARE ) Le Mercure galant has recently been called a “revue féminine” because of its generally pro-woman stance, its coverage of subjects traditionally of interest to women, its promotion of literary works by women, and its overall “gallant” or respectful attitude toward the fair sex. 1 But with Louis XIV’s crackdown on French Protestants, culminating in his revocation of the Edict of Nantes in 1685, the periodical, a propaganda vehicle for the King’s policies, highlights a range of portraits of female behavior. Some of these are cast in a flattering light—for example, the admiring descriptions of Mme de Gourgues (Mercure galant December 1685, 227-228) and of Mme la Duchesse de Guise (January 1686, 224-225), tireless and goodhearted converters of souls to Catholicism. 2 However, when it comes to members of the Religion Prétendue Réformée, women are not the paragons of good sense and modesty that are the staples of the Mercure’s female portraiture, but rather, unreasonable creatures who pride themselves on their intransigence. In the many pages devoted to Louis’s anti-Protestant campaigns, we learn that women are the last holdouts when Calvinist strongholds convert to Catholicism: “On a remarqué presque dans toutes les villes, que les femmes ont toujours esté les dernières à recevoir les instructions qu’on a voulu leur 1 I am referring to Monique Vincent’s 2005 work, Le Mercure galant: Présentation de la première revue féminine d’information et de culture (Paris: Honoré Champion). A note on editorial policy in the September 1684 issue attests to the periodical’s sensitivity to its female readership: “On ne prend aucun argent pour les Memoires qu’on employe dans le Mercure. On mettra tous ceux qui ne désobligeront personne, et ne blesseront point la modestie des dames” (n.p.). 2 All quotations from the Mercure used in this article are drawn from the microfilm reproduction of the Paris original (BN côte 8 0 LC 2 33). Copies of the microfilm are held by a number of research libraries in the U.S. and worldwide. Deborah Steinberger 50 donner” (Mercure galant January 1686, 255). Though accounts of the conversion of men in the Mercure outnumber those dealing with women (and of course, the real “prizes” for converters were Calvinist ministers or other male elders), in many articles women seem symbolically linked to the wayward Protestant soul, as they are in this contemporary engraving (Fig. 1), La Religion pretenduë reformé au abois [sic], where a female figure who represents Protestantism is seen on her deathbed. In the period surrounding the Revocation, Donneau de Visé, founder and editor in chief of the Mercure galant, fills its pages with endorsements of the King’s handling of his Protestant subjects. 3 In January 1686, for example, the Mercure deplores the recalcitrance of Protestant women as it announces a new royal edict that punishes wives and widows who fail to convert to Catholicism: Elles s’appuient sur le préjugé de leur naissance, qui leur fait fermer l’oreille à tout ce qu’on peut leur dire pour les convaincre de la vérité, et il y en a quelques-unes qui voient leurs maris se convertir, sans que leur exemple les puisse obliger à renoncer à l’erreur. Comme l’obstination avec laquelle elles font gloire de se distinguer, met de la division dans les familles, et empêche ou retarde la conversion de leurs enfants, le Roy voulant y pourvoir, a déclaré par un Edit qui vient d’estre publié, qu’il veut que les femmes des nouveaux Catholiques qui refuseront de suivre l’exemple de leurs maris, ainsi que les veuves qui persisteront dans la Religion Prétendue Réformée un mois après l’enregistrement et la publication de cet édit, demeurent déchues du pouvoir de disposer de leurs biens, soit par testament, donation entre vifs, aliénation ou autrement. (Mercure galant January 1686, 255-256; emphasis mine) The stubborn refusal of these Protestant women to accept the truths of the Catholic faith is seen as dangerous because it unravels the fabric of society. The insubordination of these women to their husbands (“Elles refusent de suivre l’exemple de leurs maris”) causes discord in families, and prevents 3 Donneau de Visé (1638-1710), who founded the Mercure galant in 1672, shared the title of editor in chief with Thomas Corneille from 1682 until Corneille’s death in 1709. Attribution of most of the publication’s contents is difficult, since bylines were generally not used. For the purposes of this article, I attribute all of the periodical’s anonymous, apparently editorializing text, as well as any unattributed nouvelles, to Donneau de Visé. At the same time, I recognize that Corneille, his nephew Bernard de Fontenelle—another Mercure collaborator—and some as-yet unidentified writers may have had a hand in the texts I cite. For a complete account of the periodical’s history, see Monique Vincent, Le Mercure galant. On the question of anonymity and authorship in the Mercure, see Jennifer R. Perlmutter’s 2009 article, “Journalistic Intimacy and Le Mercure galant.” Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda 51 children from becoming Catholics. The Mercure galant builds upon a family metaphor in its condemnation of the Huguenots as it contrasts these bad mothers, who deny their children salvation, with the good Mother, the Catholic Church. In March 1685, for example, the Mercure publishes a sonnet by Grammont de Richelieu, entitled “Sur les soins que le Roy prend de détruire l’hérésie”. In the poem’s last tercet, the author lauds Louis’s handling of his Protestant subjects: “Mais bien loin de les perdre, il fait comme un bon père, / Qui ne lève le fouet sur des enfants ingrats, / Que pour les engager d’obéir à leur Mère” (March 1685, 319). Here the “Mère” is, of course, “la sainte Mère église”. In June 1685, the Mercure again praises the King’s “truly paternal means” of dealing with Protestants: Ce qui a achevé de les persuader, c’est la différence qu’ils trouvent entre les moyens vraiment paternels et remplis de charité, dont sa Majesté se sert pour les rappeler à l’Eglise, et ceux que la Reyne Jeanne employa pour contraindre ses sujets Catholiques à embrasser la Religion Prétendue Réformée, qu’ils furent forcez de suivre, par la saisie de leurs biens, et par le massacre des prestres séculiers, et des religieux. (22-23) Louis XIV, the Good Father, sets an example that is the polar opposite of the one set in the previous century by a cruel and coercive Bad Mother, his own great-grandmother, Jeanne d’Albret. Were Protestant women in fact more stubbornly resistant to conversion than their male counterparts? I have thus far found no gender-specific statistics on conversion rates, only on imprisonment for failing to convert: while the gender ratio for Huguenots held at the Bastille under Louis XIV was 78.8% men to 21.2% women, of the 1,006 Protestants held in all Parisian penal institutions between 1685 and 1700, 56% were men and 44% women (Strayer, graph 4, n.p.; Strayer 228). These figures suggest at least that a substantial proportion of women were refusing to convert. Letters from the ministers Louvois and Seignelay to provincial officials who were enforcing Louis’s policies express concern about individual Calvinist women who clung with particular tenacity to their faith (Strayer 228, 236). Brian Strayer tells us that when, after the Revocation, many Religionnaires fled to the Cévennes, “often it was their women who led the way, walking by night and hiding by day. Illiterate though they were, these Miriams and Deborahs knew their Bibles well, stood uncompromisingly for their faith, and encouraged their men folk not to convert to Catholicism” (Strayer 294). He adds, …the strongest Reformed models were sisters, wives, and mothers who preserved the faith in the “little church,” the family. Through family worship and home schooling, mothers instilled in their children a firm Protestant foundation and a life-long fear of Catholicism. […] The bishop Deborah Steinberger 52 of Alais felt that these “new women” were the primary reason why their children resisted conversion. Forcing their offspring to memorize passages of scripture fortified them against Catholic indoctrination and made them capable of winning doctrinal disputes with local clergy. (Strayer 371-372) If women indeed resisted conversion more vigorously than men, it may have been because freedom of conscience was one of the few liberties they could enjoy. “Je sçay bien que la Foy ne souffre point de Maistre…”, writes Jean de Sabatier, member of the Royal Academy of Arles, in an epistle to a new convert that is cited in the Mercure galant (January 1685, “A Mr d’Arbaud, sur son abjuration de l’hérésie”, 241). Of course, this statement seems ironic in light of the forced conversions of the period. Sylvie Cadier suggests that if Protestant women were less fearful than their male counterparts of retribution by the authorities (for example, financial penalties, or loss of social status), it was because they had even less to lose than the men. 4 It goes without saying that Louis’s 1686 edict (quoted above), mandating punishment for women who refuse to convert, does not constitute chivalrous treatment of ladies in distress. In its desire to take up the matter, the Mercure galant is faced with the fact that the repression of Calvinists and their forced conversion are anything but gallant themes. This is problematic for a publication that seeks primarily to entertain polite society and that wishes to appeal to the fair sex. The 1685 engraving, “La Religion prétendue réformée aux abois” (Fig. 1)—which, while it did not appear in the Mercure, is consistent with and evocative of the publication’s anti-Protestant propaganda—seems by juxtaposition to emphasize the contrast between the secular and the religious realms, the gallant or worldly and the sacred, in its presentation of familiar images of the ruelle, such as the one portrayed in the well-known 1633 engraving by Abraham Bosse, “La visite à l’accouchée” (Fig. 2). The propaganda poster may be seen as a re-working of Bosse’s illustration depicting a happy new mother surrounded by her friends. In this macabre adaptation, the Protestant religion (as we have seen, depicted as a woman) lies on its deathbed, attended by an ineffectual doctor, a dejectedlooking Calvin, and a mournful Theodore de Bèze, whose treatises are about to be burned. 4 “De même que la résistance huguenote et la reconstruction de l’Église du Désert fut d’une manière générale le fait du peuple, de tous ceux qui n’avaient rien ou moins à perdre, nobles et bourgeois se contentant dans le secret de leurs maisons du seul culte domestique, de même les femmes, qui au fond vivaient dans une société d’hommes où elles n’avaient pas véritablement leur place, semblent avoir été moins sensibles à la déchéance sociale et à la perte de leurs biens, et par là moins timorées que leurs époux face aux autorités, et à l’ordre établi” (Cadier 277- 278). Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda 53 In the Mercure galant of the 1680s, there is a similar tension between the religious and the secular, as themes and images of religious conflict are made to coexist with descriptions of worldly pleasures and diversions, with the ruelle and the salon. For instance, an account of the pious good works of Mme la Duchesse de Meckelbourg in Châtillon-sur-Loing recalls the opulent fêtes galantes described at length elsewhere in the Mercure: “Elle a chassé l’hérésie d’un lieu qui fut le refuge des Prétendus Réformés… Sa maison estoit le lieu de la magnificence, et en mesme temps de l’assemblée des fideles. Elle a tenu table ouverte pendant deux mois, sa charité la faisant estre tout à tous” (January 1685, 217-218). One might say that the Mercure specializes in adapting difficult or technical subjects and making them more attractive for its readership. As the editor declares in the July 1684 issue, any material can be crafted into something beautiful by an inspired writer. One example is a sonnet published that month, an unusual piece designed to help readers of battle accounts retain fortifications terminology, the better to appreciate the battle prowess of the King’s armies. In a preamble to this sonnet, the editor explains the author’s intention (“que la douceur de la Poësie rendist les termes de Fortification plus aisez à retenir”), and he remarks, “Il n’y a point de matiere si sauvage, qui n’ait dequoy fournir des beautez aux Muses” (July 1684, 5-6). 5 Likewise, in his quest for innovative literary means of encouraging the Mercure’s readers or their Calvinist friends to convert, as in his cheerleading for Louis’s repressive anti-Protestant campaigns, editor-in-chief Donneau de Visé creates or promotes hybrid texts, crosses between salon literature and propaganda, many of which are centered on the character of the stubborn woman. The conversion of women holds special challenges, for the fair sex, it is implied, is less likely to appreciate or understand the livres de controverse where religious doctrine is discussed. Taking this belief into account, the Mercure galant furnishes alternative, supposedly female-friendly means of reaching the recalcitrant souls who were refusing to abandon their Protestant faith. For example, the Mercure published two madrigals in February 1686 to serve this purpose. The first is said to have accompanied a painting of the Flight into Egypt given by M. Vignier, a frequent Mercure 5 He presents the sonnet in these terms: “Si la quantité des termes de Guerre que vous avez trouvez dans [la relation] du Siege de Luxembourg, a pû vous causer quelque surprise, elle augmentera quand vous les verrez réduits en vers d’une maniere agréable. L’Ouvrage qui suit, vous fera voir qu’il n’y a point de matiere si sauvage, qui n’ait dequoy fournir des beautez aux Muses. Il est de Mr de Tinelis, Sr de Castelet, Professeur aux Mathématiques, en la citadelle de Valenciennes, qui l’a composé exprés, afin que la douceur de la Poësie rendist les termes de Fortification plus aisez à retenir” (July 1684, 5-6). Deborah Steinberger 54 contributor, to a Protestant lady considering fleeing France. Vignier writes to the lady, Voici les fugitifs que vous me demandez[.] Leur fuite n’est pas un mystère Qui puisse autoriser ce que vous voulez faire, Ni vous faire espérer ce que vous attendez. De sortir du royaume, Iris, perdez l’envie, Tous trois fuyaient la mort, et vous fuiriez la vie. (February 1686 I: 262) We are told that the lady, inspired by these verses, decided to remain in France and to become a Catholic, and that she in turn has used this madrigal to convince other Protestants to follow her example: “J’ai su que la dame ne parle plus de se retirer, et que donnant tous ses soins à se faire instruire, elle se sert de ce madrigal, pour engager ceux qu’elle voit encore dans l’aveuglement où elle estoit, à imiter son exemple” (February 1686 I: 263). The Mercure then cites a second madrigal dealing with religious matters, “qu’on a tourné d’une manière galante” : La France sous Louis, prend des faces nouvelles, Plus de schisme, plus de Calvin; Il n’est plus d’hérétique [sic] enfin, Mais il est bien encore, Iris, des infidèles. (February 1686 I: 263) While these madrigals cater to women’s presumed affinity for poetry, a nouvelle published in January 1686 addresses the feminine desire to find a suitable husband, suggesting that conversion may lead to marital bliss. In this story, the ten-year courtship of a Protestant woman by a Catholic man, a relationship that seemed to be stagnating, is reinvigorated and ends in marriage when the woman converts after the Revocation. The King himself signs their marriage contract: “Sa Majesté loua fort cette action, qui fut approuvée de toute la Cour.” The author adds a remark that seems geared to husband-hunters of the Protestant persuasion: “Ce changement de religion a déjà donné des maris à plusieurs filles, et apparemment il en donnera encore à beaucoup d’autres” (January 1686, 112). Another nouvelle that blends the marriage plot typical of the genre with religious polemic appeared in the pages of the Mercure the following month: the Histoire singulière de deux amants calvinistes (February 1686 II). As he announces the story’s imminent publication, the editor emphasizes its singularity, as well as its entertainment value: …le sujet en est si nouveau, qu’on peut dire qu’elle est l’unique de ce caractère qu’on ait encore veue. Elle regarde aussi la religion; et quoi que tout s’y passe avec la galanterie ordinaire entre les amants, la diversité de leur religion, fait que les points de controverse les plus délicats, y sont Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda 55 traitez d’une maniere si claire et si débarrassée des grands et longs raisonnements des livres qui ne traitent que de cette seule matière, que ceux qui ne l’aiment point, et n’en lisent jamais y peuvent prendre plaisir. (Mercure galant February 1686 I: 316-317). In prefatory remarks he again praises the story’s educational value, and its accessibility: “on [y] voit beaucoup de choses concernant la religion, traitées d’une manière aisée et intelligible à tout le monde. Cette histoire peut être utile en divertissant, et rendre habiles en matière de religion ceux même qui ne se sont jamais appliqués à lire des livres de controverse” (Vincent, Anthologie 352-353). 6 The nouvelle is set in the days immediately following the demolition of the temple at Charenton, an influential center of Protestant worship. The characters appear to be composites, their story a fictional adaptation of a number of news items about the regime’s conversion campaign that appear elsewhere in the Mercure. 7 In the story, a Calvinist couple who had planned to marry at the Charenton temple faces a second obstacle when the young man, encouraged by his father’s example, decides to convert to Catholicism. The young woman refuses to follow his lead, and the rest of this long nouvelle—the longest that Donneau de Visé ever published in the Mercure (Vincent, Anthologie 352)—deals with the young man’s attempts to convince his beloved to leave the Protestant faith. His impassioned plea in favor of what he now knows to be the true religion is bolstered by a series of intercalated texts, including a posthumous missive by Charles II of England explaining the reasons for his own conversion. When, as in this nouvelle, resolute Protestant women are described in the Mercure, they are almost always shown resisting patriarchal power (their father’s or husband’s example). Their insubordination is depicted as a scandal almost as grave as their heresy. We have seen in the 1686 edict 6 Unless otherwise noted, all citations from this story are taken from Monique Vincent’s Anthologie des nouvelles du Mercure galant (1672-1710). I have only cited the original text when the passage in question is not quoted in the anthology (this is the case for some of the editor’s prefatory remarks). 7 For example, this account: “Je ne dois pas oublier de vous marquer une chose singulière touchant les conversions. Mr Mahais, Ministre de l’église d’Orléans, s’estant converti il y a déjà quelque temps, Mr de la Busière, son père, Ancien de Charenton, ne le voulut point voir, ni permettre même qu’il entrast chez luy. Ce père obstiné ayant esté relegué à Bourges depuis la révocation de l’Edit de Nantes, Mr Mahais, dont il ne pouvoit souffir la présence, l’est allé trouver, et luy a fait voir si clairement les erreurs de sa religion, qu’il l’a obligé d’y renoncer. On peut dire que rien n’est plus sincère qu’une pareille conversion, puis qu’elle se fait entre des gens qui sçavent à fond de quoy il s’agit” (Mercure galant January 1686, 249- 250). Deborah Steinberger 56 Louis’s harsh treatment of “les femmes des nouveaux Catholiques qui refus[ent] de suivre l’exemple de leurs maris”. Such challenges to patriarchy could not be tolerated. In the Histoire singulière, the young Calvinist woman’s Catholic male cousin condescendingly tells her, “On souffre [l’obstination des enfants] à cause de leur jeunesse, comme on souffre celle des femmes à cause de leur sexe” (Vincent, Anthologie 379). But, he warns, there can be no such indulgence in matters of religion. In a letter the young fiancé writes to his stubborn beloved (upon whom the narrator bestows the trivializing epithet “la belle obstinée”), he cites an argument by which “un homme, généralement reconnu pour un des plus beaux esprits de France, trouva moyen de vaincre l’obstination de sa femme, qui ne voulait pas suivre son exemple en se convertissant” (368-369). He hopes this line of argument will work for him, too. But la belle obstinée will not be swayed. Although, she concedes, “Il est naturel que je me rende aux clartés d’un frère, de mon père, de mon amant” (377-378), she glories in her “unnatural,” “miraculous” independence from male authority figures: […] puisque vous attendez de moi un miracle, j’en veux faire un plus grand que vous ne le demandez et qui sera sans doute estimé tel. Ce miracle est que je ne quitterai jamais ma religion, que je ne suivrai point les sentiments de mon frère, que je ne me rendrai point aux volontés de mon père... mon amant n’obtiendra rien lorsque, pour acquérir ma personne, il peut consentir à perdre mon âme. (378) She feels she has expressed her views cogently, even eloquently, but her cousin criticizes her debating style, which he ascribes to the entire sex: “Les femmes, n’étant pas ordinairement savantes, n’approfondissent jamais une matière et… elles en changent sitôt que la réplique les embarrasse” (380). When her cousin reads to her one of the intercalated persuasive letters, which in his view offers solid proof of Catholicism’s superiority, and he asks for her reaction, she replies that she has no comment, because, not wishing to be persuaded, she had decided from the outset not to listen to him: “Aussitôt que j’ai connu la matière qui était traitée dans cette lettre, j’ai songé à autre chose et ne vous ai point du tout écouté.” The cousin laughs, “Voilà… pousser l’obstination jusqu’où elle peut aller” (388). This exchange is emblematic of the Mercure’s lighthearted approach to weighty subject matter. The cousin is careful to mitigate his anti-feminist criticism with gallant comebacks: “Si [les femmes] ont peu accoutumé de raisonner, poursuivit-il avec un air un plus enjoué et plus galant, c’est parce qu’on a accoutumé de leur céder en toutes choses et que, pour se faire obéir, elles n’ont besoin que d’un coup d’œil” (379). Taking things a step further, one could say that this young man’s playful remarks camouflage the misogyny and repressiveness that some historians and critics associate with the Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda 57 Counter-Reformation (Farr 392; Duggan 210). The cousin makes a laughing matter out of the woman’s quest for independence, belittling her pursuit of self-determination. He embodies the clash between the pro-woman, gallant tone of the Mercure and the misogynistic tendencies of the Counter-Reformation. Louis XIV is ultimately responsible for la belle obstinée’s change of heart. In the nouvelle’s final pages, the lady reflects on a conversation she had had with her cousin and her fiancé, not about religious precepts and doctrine, but about the King’s excellence. Improbably, the Calvinist had joined her Catholic interlocutors in lauding Louis’s “zèle pour le salut de ses sujets” and had gone even further, adding “beaucoup de louanges” of the monarch (383). Sensing an opportunity, her fiancé sends her a follow-up letter in which he cites the King as proof that Catholicism is the one true religion: Dieu l’aurait-il fait naître si parfait, lui aurait-il donné de si vives clartés et un discernement si juste? L’aurait-il rendu les délices du monde et se seraitil servi de lui pour exécuter tant de merveilles et imposer la paix à l’Europe entière? L’aurait-il enfin rendu le plus grand des hommes, s’il ne lui avait pas donné la véritable religion et s’il était vrai qu’il ne l’eut pas possédée? (Vincent 390) The letter provokes deep reflection on the part of the young woman. Her attachment to the false faith suddenly melts away: “Elle sentit tout à coup diminuer la grande fermeté qu’elle avoit pour la religion protestante” (391), and she concludes: “La [religion] catholique est celle d’un Roi, qui ne se peut tromper” (392). Simultaneously, she submits completely to patriarchal rule: “Je me rends à mon devoir, à la nature et à l’amour, puisque j’obéis à mon Roi et à mon père, et je fais ce que mon amant souhaite... Mon Roi me commande, mon père me presse, mon époux me prie, et tous trois ont droit d’agir avec moi en maîtres” (392). 8 How should this dénouement be interpreted? On the one hand, it represents a nod to the nouvelle galante, the genre that launched Donneau de Visé’s literary career and with which he was perhaps more comfortable with (and more adept at) than propaganda. It may in fact be seen as a hybrid of these two genres. The lady’s final “surrender” is assimilated to amorous conquest: she writes to her fiancé, announcing her decision to convert: “Il n’est pas honteux à une place de se rendre, lorsqu’elle a souffert plusieurs 8 It is tempting to compare this heroine’s sudden illumination with that of Pierre Corneille’s Émilie, who at the end of Cinna realizes her error, renounces her rebelliousness, and vows submission to the absolute monarch, Auguste: “…je me rends, Seigneur, à ces hautes bontés; / Je recouvre la vue auprès de leurs clartés; / …/ Le ciel a résolu votre grandeur supreme…” (V, 3, 1715-1721). Deborah Steinberger 58 assauts et qu’elle est forcée par des vainqueurs à qui l’on peut céder avec gloire” (392). Despite the fact that patriarchy triumphs in the Charenton tale, I also think that this ending constitutes a subtly gallant gesture on the part of the writer, a tip of the hat to the fair sex, for the keys to the lady’s conversion are contained within her own judicious, sensible discourse, that is, her praise of the King, and not ultimately imposed upon her by male authority figures. Still, the ending doesn’t make sense: how could a Protestant facing dispossession and exile praise the King’s handling of religious dissent? The story seems as incoherent as its heroine’s debate arguments are said to be. In light of its implausibility, one wonders whether this blend of gallant literature and religious polemic could be effective as propaganda. I think not, despite the Mercure’s testimonials to the success of its madrigals and stories in fostering conversions. I believe rather that this conversion story falls short as propaganda or persuasion, but evokes, announces, and in some ways functions as another genre that would be popularized in the pages of this periodical in the following decade: the fairy tale. La Belle au bois dormant, the famous story attributed to Charles Perrault, was first published in the Mercure in 1696. At first glance, the stories may seem very different from one another. The Charenton story is inspired by current events, and it cites historical figures (Louis XIV, Charles II); La Belle au bois, on the other hand, like most fairy tales, takes place in a non-specific time and place (it begins with the classic phrase, “Il était une fois…”). But the sudden conversion of the Mercure’s belle obstinée to Catholicism—after this “heureux changement” (393), her name changes in the final pages to la belle convertie—seems akin to Cinderella’s miraculous metamorphosis from a poor servant girl into an elegant princess, or to the Sleeping Beauty’s magical awakening after a century’s rest. Furthermore, the 1697 frontispiece of La Belle au bois dormant was to be a bedside scene (Fig. 3); as such, it forms an interesting triptych with the Bosse ruelle (Fig. 2) and our example of “pure” propaganda, the anti-Protestant engraving, La Religion prétendue réformée aux abois (Fig. 1). Unlike the anti-Protestant image (but like La visite à l’accouchée), the fairy tale frontispiece represents not death, but bright new beginnings. Like the Bosse engraving, it evokes the ruelle, a space that represents the conversation and sociability at the heart of the Mercure’s mission. The fairy tale frontispiece captures the ethic of gallant sociability so important in salon society: as the prince kneels by Sleeping Beauty’s bed after awakening her, their first priority is to engage in hours of pleasant conversation: “Enfin il y avait quatre heures qu’ils se parlaient, et ils ne s’étaient pas dit la moitié des choses qu’ils avaient à se dire” (Perrault 103). In sum, the Mercure’s Histoire singulière de deux amants calvinistes Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda 59 conversion story resembles more closely the fairy tale than the morbid propaganda engraving: Louis XIV plays the role of the charming prince who awakens the “sleeping beauty,” la belle convertie; she in turn represents all the nouveaux catholiques that the King was guiding back into the fold. Here the harsh historical realities of religious discord, the dragonnades and forced labor, are replaced by peace, harmony, and rosy-colored royal encomium. The Mercure follows the official line (which in turn follows a sort of fairytale logic): the Edict of Nantes was revoked simply because it was no longer relevant, since all the Protestants were converting of their free will. Protestants no longer required special protections, because Protestantism had vanished. Louis’s benevolent paternalism “broke the spell,” and freed his benighted subjects, bewitched by Calvin, from their long sleep in the false religion. For these reasons, the Mercure declares France a “kingdom of miracles”: Toutes ces conversions, et surtout celles qui se sont faites à Saint Jean d’Angely, doivent passer pour un miracle, si l’on considère que l’hérésie de Calvin y avoit étably son siege d’une maniere si absolue, qu’il n’y avoit aucune apparence qu’il pust être renversé en si peu de temps. L’endurcissement des coeurs y faisoit prendre plutôt le parti de vivre sans religion, que de rentrer dans l’Eglise. Parler de conversion à ces obstinez, c’estoit les aigrir […]. Cependant voilà ces peuples convertis sous l’heureux Règne des Miracles, de leur bon gré, sans la moindre violence, et après des conférences publiques sur tous les points dont ils ont souhaité d’estre éclaircis. (December 1685, 229-230) Similarly, in June 1684, the Mercure called Louis “un Monarque dont le regne n’est remply que de miracles” (“Au lecteur”, n.p.), and in November 1685 the publication cites a letter from Grenoble, penned by an official named Mr Allard, who celebrates the fact that the country has been unified under the one true religion, thanks to “the greatest King on earth” and his “Reign of Miracles” (295-309). Allard foresees a happily-ever-after future for his country: “Ce fameux changement devoit arriver sous le règne du plus grand Monarque de la terre, sous un règne tout rempli de miracles, et dont l’histoire étonnera la postérité la plus éloignée” (November 1685, 301). In the end, it seems, the imperative (and probably the impact) of the Histoire singulière de deux amants calvinistes, like that of the religion-themed light verse the Mercure published during the period of the Revocation, is not to convert readers. The Mercure galant seems ill-suited to this task, which is so out of tune with its entertainment mission and its anchorage in the secular world of the salon. In his preface, the editor had after all promised his readers above all that they would find the Histoire singulière enjoyable and that they would get pleasure (“prendre plaisir”) from the piece. The aim Deborah Steinberger 60 of the nouvelle appears not to have been to lead the Mercure’s audience to theological truths, but rather to entertain and charm them with astonishing stories about a king whose magical powers transformed his nation. Works Cited Cadier, Sylvie. “Les femmes du Désert.” Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français 129 (1983): 277-284. Corneille, Pierre. Cinna. Paris: Larousse, 2004. Donneau de Visé, Jean. Le Mercure galant. 1672-1710. Duggan, Anne E. Salonnières, Furies and Fairies: The Politics of Gender and Cultural Change in Absolutist France. Newark, Delaware: University of Delaware Press, 2005. Farr, James R. “The Pure and Disciplined Body: Hierarchy, Morality, and Symbolism in France During the Catholic Reformation.” Journal of Interdisciplinary History 21.3 (1991): 391-414. Perlmutter, Jennifer R. “Journalistic Intimacy and Le Mercure galant.” Origines. Actes du 39 e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature. Ed. Russell Ganim and Thomas M. Carr, Jr. Tübingen: Gunter Narr Verlag/ Biblio 17, 2009: 223-231. Perrault, Charles. Contes. Paris: Garnier Frères, 1967. Strayer, Brian E. Huguenots and Camisards as Aliens in France, 1598-1789: The Struggle for Religious Toleration. Lewiston, Maine: Edwin Mellen, 2001. Vincent, Monique. Anthologie des nouvelles du Mercure galant (1672-1710). Paris: Société des Textes Français Modernes, 1996. — Le Mercure galant: Présentation de la première revue féminine d’information et de culture. Paris: Honoré Champion, 2005. Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda 61 Fig. 1. La Religion Prétendue Réformée au Abois [sic], 1685, anonymous engraving. Bibliothèque Nationale de France, cote EST QB-1 (1685/ 1686)- FOL. Deborah Steinberger 62 Fig. 2. La Visite à l’Accouchée, Abraham Bosse, 1633. Bibliothèque Nationale de France, http: / / gallica.bnf.fr/ ark: / 12148/ btv1b8403205r. Conversion Stories in the Mercure galant’s Anti-Protestant Propaganda 63 Fig. 3. Antoine Clouzier, Frontispiece from Charles Perrault’s Contes de ma mère l’Oye, 1697. Bibliothèque Nationale de France, Rés. p Y2 263. PFSCL XL, 78 (2013) Idyllic Spaces: Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence N ANCY A RENBERG (U NIVERSITY OF A RKANSAS ) The duchess of Montpensier, also known as “La Grande Mademoiselle,” was a remarkable, independent woman who played a key role during the Fronde; but her rebellious involvement ultimately resulted in a period of prolonged absence from the court. As punishment for her subversive activity, Louis XIV had her banished from Paris to her château at Saint-Fargeau in 1653. During her exile, the duchess occupied herself by writing prose, renovating her home, pursuing leisure activities and working on her memoirs. She also had significant time to reflect on a variety of social questions such as marriage and its inevitable constraints on women. Montpensier was very outspoken about her position regarding marriage and was, in fact, thirtythree, and still single at the time she composed these letters. In particular, she frowned upon the familial obligation of marriage, especially because it deprived women of their power. Her opposition to the cultural practice of selecting a husband demonstrated a critical stance against imposed, loveless marriages, one which smacked of resistance to accepted female role expectations. The duchess, nonetheless, had to eventually emerge from her exile in the country, since her presence was required for a royal event. Therefore, she returned to court in 1660 to celebrate the nuptials of Louis XIV with the Infanta of Spain on the border between Spain and France. It was at this important occasion in Saint-Jean-de-Luz where Montpensier unexpectedly encountered her friend, Madame de Motteville. 1 While awaiting the ceremonial rituals to begin, the duchess contemplated the advantages of the 1 Abby Zanger, “Marriage on the Margins of Monarchy: Politics and the Marriage Plot in the Motteville-Montpensier Correspondence,” Papers on French Seventeenth Century Literature 33.65 (2006): 340-346. Also see Anne-Marie-Louise d’Orléans, Duchesse de Montpensier Against Marriage: The Correspondence of La Grande Mademoiselle, trans. and ed. by Joan DeJean. Chicago : University of Chicago Press, 2002, pp. 11-14. Nancy Arenberg 66 solitary life, a subject that she began to discuss in a conversation with Madame de Motteville. The choice to retreat from court was also the catalyst for a project that she intellectually contemplated before putting pen to paper, thus initiating this correspondence. Together, the two women engaged in a fascinating epistolary dialogue in which they discussed their views on solitude, retreat from the court and freedom for women, while envisioning the creation of an idyllic space. This essay will focus on selected epistles in the Montpensier-Motteville correspondence, consisting of eight letters in Joan DeJean’s 2002 bilingual edition. 2 The emphasis, however, will be on the first four missives because the recently translated last four letters deviate from the projected blueprint for this ideal territory. Moreover, these core epistles form a unity in the correspondence because of their philosophical focus on marriage and politics. To begin our discussion, it is important to situate the letters within the historical context of the correspondence, as it serves as a framework for the overarching topic. As will be shown in her missives, Mlle de Montpensier proposes a plan for an alternative community outside of the court, an idyllic space which is inherently progressive, yet quietly subversive in its political tenor. Furthermore, Montpensier’s project for this unique community reveals some fascinating gender reversals, which are directly related to her philosophy of power. Before looking at the correspondence, it is useful to comment on some of the seminal facts about the lives of these two women. Mlle de Montpensier was one of the richest women in France, mainly because she was the sole heiress of the wealth of her mother, Marie de Montpensier. This important status, in addition to her lineage, augmented her prospect on the marriage market, for Mlle de Montpensier was also the granddaughter of Henri IV and was related to Marie de Medici as well as Marguerite de Valois. 3 Most notably, she was a first cousin to Louis XIV and as a young girl even believed she might be chosen to marry him later in her teens. As Abby Zanger observes, Mlle de Montpensier was renowned at court for her consistency in refusing countless matches. Despite her resistance, Louis XIV, after his own wedding, proposed numerous suitors; but she defiantly turned them all down. Her opposition to the institution of marriage sparked her cousin’s anger, and he had her exiled again until she eventually was allowed to return to court in 1664. DeJean includes an interesting postscript to her personal story, as, ironically, the duchess eventually fell in love with an inappropriate suitor, the count of Lauzun, in 1670. 4 But since he was not of 2 All of the quotes from the letters are taken from DeJean’s Against Marriage. 3 Zanger 341-343. 4 DeJean 14-15. Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence 67 her class and lacked wealth, the relationship was doomed to failure, not to mention the overt disapproval of the king. To curtail the marriage plan and protect Montpensier’s valuable lands and other financial assets, Louis had Lauzun arrested, and he remained in prison for ten years until Montpensier paid to set him free. As DeJean points out, there was a rumor circulating that Mlle de Montpensier may have secretly married her suitor after his release from prison. To perpetuate the mystery, there are no official documents attesting to the actual union. Like Mlle de Montpensier, Françoise Bertaut de Motteville was single at the time of their correspondence; however, she had been married off at the age of 18 to a rich magistrate, Nicolas Langois, le sieur de Motteville. Unfortunately, there was a striking age disparity between them. He was in his nineties, and so it was not surprising that after two years of marriage he died, leaving Madame de Motteville a widow. Since she did not have children, she was not entitled to his assets. 5 Nevertheless, the Queen Mother, Anne of Austria, invited her to court to serve as one of her ladiesin-waiting, where she remained until the death of the queen. Although the two friends did not share the same social status, they both understood the politics of what Zanger calls the marriage plot and its consequences for women as a commodity in a male dominated market. 6 As shown in her Mémoires, the duchess also shows an avid interest in the political implications of marriage for women. In her analysis of Montpensier’s Mémoires, Faith Beasley notes that Montpensier was not only skeptical about the institution, but did not wish to place herself in the position of being a marriage pawn for men. 7 As Montpensier writes, “As one will see, from everything I have written in these memoirs, I had no desire to marry, unless it was to find the glory that would accord with my birth” (120). Beasley also posits that Montpensier encouraged women to develop their own sense of power, mainly through reason (121). To reinforce this aspect, one may add the observation that the two friends had significant experience in watching countless marital intrigues played out at court. The complexity of these nuptial melodramas fueled their fascination with the relationship between power and politics. In her role as Montpensier’s interlocutor, Madame de Motteville not only shares a mutual interest in these issues, but appears rational and discerning in penning her responses to Montpensier’s plans. At times, she offers subtle objections and introspective thoughts on 5 DeJean 16-17. 6 Zanger 342-343. 7 Faith Beasley, Revising Memory: Women’s Fiction and Memoirs in Seventeenth-Century France. New Brunswick: Rutgers UP, 1990, pp. 119-121. Nancy Arenberg 68 the topic of marriage, while carefully pointing out potential flaws in her friend’s project for her ideal community. We begin our study with the first letter penned in 1660. The reader is immediately aware of the intention of Montpensier’s opening epistle, which is to lay out the foundation for her idyllic realm. It is her fragmented recollection of the original conversation with her friend about the advantages of living in seclusion that constitutes the catalyst for the letters. As one of the key aspects of epistolary writing in the seventeenth century, Montpensier mimics a spoken conversational style in transferring their previous conversation to text, which, in turn, imparts a lively quality in her writing. 8 It is as if the two women were actually occupying the same space and talking to one another in a spirited dialogue about the advantages of pursuing the solitary life. The duchess immediately states that her community would prefer “qu’il n’y eût point de gens mariés et que ce fussent toutes personnes veuves, ou qui eussent renoncé à ce sacrament” (I, 28). At the same time, she does not exclude men from entering the community, as she believes that both sexes are important to maintain the pleasurable art of conversation. She then turns to how her ideal community would be constructed, thus establishing the groundwork for the organization of this alternative space. Although Mlle de Montpensier was not writing during an abundant period for utopias and did not create a fictional narrative of a fantastic journey as in so many utopias of the day, her vision of this ideal space points to some important resemblances with characteristics found in literary utopias. For instance, the very notion of a utopia was identified with the creation of a nowhere, imaginary area. This space not only evoked the idea of equality between the sexes, but was governed on a political level by laws emphasizing order, clarity and control. As Frank and Fritzie Manuel observe, utopias actually elevated the social status of women, freeing them from their role dictated by the patriarchal structure of society. 9 Angelika Bammer has compared male and female utopias from a modern perspective, stating that male utopias tend to be structured around an escape from liberty, whereas women’s idealized spaces represent a means by which one can attain freedom. 10 Indeed, Mlle de Montpensier demonstrates all of these traits in devising her laws against the institution of marriage in her 8 Elizabeth Goldsmith, Exclusive Conversations: The Art of Interaction in Seventeenth- Century France. Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1988, pp. 28-29. 9 Frank E. Manuel and Fritzie P. Manuel, eds., French Utopias: An Anthology of Ideal Societies, New York: The Free Press, 1966, pp. 6-16. 10 Angelika Bammer, Partial Visions : Feminism and Utopianism in the 1970s. Routledge: NY & London, 1991, pp. 22-27. Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence 69 idealized territory, while shifting the power solely into the hands of female leadership. Mlle de Montpensier’s plan for her perfect kingdom envisions simple structures where each individual would choose how he or she would build a house. She also provides a description of the landscape by stating her preference for wooded areas with a view of water. Within this dense space, she believes each occupant should be able to cultivate his or her own garden to produce the necessary food sources to ensure the community’s autonomy. She also considers the importance of fostering social communication amongst the inhabitants to promote harmony and good will. Curiously, she suggests a blend of the old world, horseback, with more contemporary means of transportation such as carriages as with the nobility in Paris. The aristocratic context of her own life further influences her plan, mainly with the importance of sociability, as she advocates a combination of intellectual and leisure activities such as building individual libraries, reading, poetry, music, and a game known as “mail.” Here, DeJean mentions in a note that this game dated back to the sixteenth century and was similar to croquet or boules (I, 30). Interestingly, Montpensier notes that this game is important because the citizens must strive for health of the mind and body, a concept evoking the Renaissance ideology of Michel de Montaigne and François Rabelais. The main part of the letter includes a reference to the pastoral life, recalling Honoré d’Urfé’s bucolic utopia, Forez. 11 Other key similarities include role reversal, for women in Forez are cast in a superior role in which they rely on their ability to analyze their views on love. Ian Maclean observes in L’Astrée that “this reversal is essentially feminist in inspiration and expression, for women are raised to the level of men and men reduced to that of women” (166). Maclean adds that other male attributes are transferred to women such as resolution, an independent mind, and the ability to initiate decisions and actions. 12 Similar to d’Urfé’s pastoral paradise, the duchess envisions maintaining herds of sheep with shepherds and shepherdesses to take care of them, but she deviates from d’Urfé’s Forez on a romantic level. For instance, she would replicate these pastoral aspects, but introduce some key modifications : “qu’on imitât quelquefois ce qu’on a lu dans l’Astrée sans toutefois faire l’amour, car cela ne me plâit point” (I, 30). In this case, the fundamental deviation from d’Urfé’s utopia can be explained by Montpensier’s rejection of love and courtship in her idyllic space. Another important distinction can be identified here because d’Urfe’s 11 Honoré d’Urfé, L’Astrée, Paris: Gallimard, 1984. 12 Ian Maclean, Woman Triomphant: Feminism in French Literature 1610-1652. Oxford: Clarendon Press, 1977, pp. 156-169. Nancy Arenberg 70 artistocratic readers were attracted to the imaginary pastoral ambiance of Forez, offering escape from the pressures of life at court. In sharp contrast, Montpensier replaces the imaginary kingdom with a more realistic plan for her ideal community, substituting the pursuit of amorous play with the enduring bond of friendship amongst the citizens. The final part of this first letter concentrates on the philosophical quest for happiness. For the duchess, happiness is linked to the practice of Christianity, however, only if a citizen seeks spirituality. Therefore, she outlines a plan to include a convent of Carmelites in their wilderness or “désert” (I, 32). These theologians would live apart as hermits, but offer sermons to those who wished to participate. Regarding religion, Montpensier emphasizes the importance of preferences for each inhabitant, revealing an interesting political implication. In contrast to the absolute power of her cousin, Montpensier in her first epistle provides several examples of personal choices for the citizens such as how they construct their homes, embrace Christianity and even how they choose their leisure activities. Here, the duchess seems to envision a more moderate approach to executing her power. As DeJean puts it, Montpensier’s approach to governing “would be kinder and gentler than her cousin’s monarchy” (17). As the next exchange will show, this idea becomes more focused in the ensuing epistolary discussion. The first letter concludes with a sustained emphasis on religion, for Montpensier proposes that their community include a hospital to not only serve the less privileged, but also to assist in aiding the poor and feeding children. In essence, the altruistic tenor of the last few lines underscores the importance of leading a moral life. If Montpensier’s theory of governance points to a quiet subversion of absolute power, the form of this correspondence also reinforces the underlying current of feminine dissidence. In particular, the structure of this correspondence is an epistolary dialogue in which Madame de Motteville composes her responses to these initial plans for Montpensier’s community. Moreover, the fact that the two engage in a dialogue about marriage and politics points to a plurality of female voices in concert, thus signifying a subtle subversion of the very notion of Louis’s absolutism. But this other notion of “feminocentric power” is veiled behind the imaginary space of Montpensier’s envisioned community, which reduces any overt threat from the established patriarchal order. 13 Interestingly, Madame de Motteville opens her letter, the second one in the correspondence, with an allusion to the political organization of the projected community. She begins by approving Montpensier’s plan for this utopia, for she, too, believes in the 13 DeJean 17. Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence 71 importance of living a simpler life, one which offers a purer existence in contrast to the corruption of city life. She then turns to the political structure of the community by elaborating on the power structure: “je ne m’étonne pas de ce que sans y penser vous vous êtes établie notre Souveraine” (II, 36). Here, there is an intertextual reference to another literary utopia, which undoubtedly inspired Montpensier’s vision. Specifically, the allusion recalls Scudéry’s post-Fronde feminist kingdom, or the land of the Sauromates. As DeJean explains, “it is a domain governed by a queen, in which courts of love both regulate the economy of desire and give legal status to unions outside of marriage”(49). 14 With regards to Montpensier, the juncture of resemblance revolves around the erasure of a patriarchal figure, which is replaced by the duchess, acting as the representation of matriarchal power. Once again, Motteville’s use of the word “sovereign” points to subtle feminine dissidence, as Louis is written out and Montpensier appropriates his power in this imaginary, idyllic space. Éva Pósfay offers an insightful reading of Beasley’s interpretation of Montpensier’s view of power in her Mémoires. As Pósfay puts it, “Mademoiselle réécrit l’histoire à partir d’une perspective utopique matriarcale qui la dote d’un pouvoir politique parallèle, voire supérieure à celui de Louis XIV” 15 Beasley also posits that Montpensier’s creation of a powerful matriarchal figure in her Mémoires shows that she crosses gender boundaries (124). Indeed, the duchess in her epistles not only blurs gender boundaries, but chooses to reverse gender roles by appropriating masculine dominance. This idea is further buttressed by the complete absence of any men in this idyllic land who exercise power. On the contrary, Mlle de Montpensier upholds singlehandedly the leadership role in her community. Interestingly, Madame de Motteville even contrasts Montpensier’s virtuous leadership to the widespread debauchery and corruption in the Greek and Roman Empires. Once again, there is a subtle appropriation of the patriarchal model, reinforced by the substitution of the moral perfection of their savvy feminine sovereign for male leadership. Motteville elaborates on the unique kind of power and leadership that her friend would provide, as she deftly guides her subjects onto the path leading to wisdom and virtue in this newly coined term for this idyllic community, the Republic (II, 39). It is important to consider the allusion to Plato’s Republic, especially the political implications. For Plato, the idea of governance in his ideal society also elevated the status of women, mainly as philosophers committed to the application of reason in their capacity to 14 Joan DeJean, Tender Geographies: Women and the Origin of the Novel in France. New York: Columbia UP, 1991, pp. 48-50. 15 Éva Pósfay, “Ecrire l’utopie féminine en 1660,” 6.1 Cahiers du dix-septième siècle (1992): 224. Nancy Arenberg 72 rule. As Natalie Bluestone explains, “Socrates proposed an ideal society in which superior men and women would rule together equally” (3). Although Mlle de Montpensier does not share her power with a man, she, nonetheless, mirrors the Platonic concept as a “philosopher queen.” 16 In the remaining part of this second letter, Motteville shifts her tone from highlighting the moral qualities of her queen offering her own perspective on the philosophical advantages of leading a solitary life in a pastoral setting. While she concurs with the previous ideas outlined in Montpensier’s first letter, she emphasizes the spiritual benefit of this unique kind of lifestyle: […] nous croyons que la longue habitude à la vie solitaire nous fera acquérir ce que vous possédez naturellement, nous donnera de l’esprit et de la lumière, nous élevera l’âme à la contemplation des choses célestes et nous rendra dignes d’être gouvernées par la plus grande princesse du monde! (II, 36). In addition, Motteville also insists on the importance of freedom, a key term linked to the success of this Republic. With this example, she seems to prefigure a vision of a pre-eighteenth-century model. According to her, “la liberté gouvernée par la raison et la justice ferait un de nos plus sensibles plaisirs” (II, 38). Although Motteville concurs with the majority of her friend’s proposed ideas, she, nonetheless, quietly expresses her disapproval regarding the duchess’s refusal of marriage in her kingdom. In fact, she considers Montpensier’s interdiction of marriage unrealistic, mainly because it would be impossible to prevent gallantry. As she describes it, “La politesse que vous introduisez parmi vos solitaires sujets me fait craindre qu’ils n’aient l’esprit gallant” (II, 38). On a political level, it is possible to interpret Motteville’s reservation about Montpensier’s marriage ban as a veiled, gentle warning not to abuse her power because she might find herself espousing a form of “feminine” absolutism. Here again, Montpensier’s governance unveils a reversal of the gender roles; but there is also an unexpected paradox in which she ostensibly reverts to her cousin’s patriarchal model. At the same time, she seems to shift her executive power into a matriarchal configuration, emphasizing a feminist stance. It is as if her plan sketched out on paper revealed a form of transvestism in her writing, an alternative expression of feminine and masculine signifiers, or a form of intersexuality. 17 In any case, Motteville softens her objection by advocating 16 Natalie Bluestone, Women and the Ideal Society: Plato’s Republic and Modern Myths of Gender. Amherst: University of Massachussetts Press, 1987, pp. 10-19. 17 See the reference to Severo Sarduy in Marjorie Garber’s, Vested Interests: Cross- Dressing & Cultural Anxiety. New York: Harper Perennial, 1993, p. 150. Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence 73 the idea of choice for the citizens: “je souhaite qu’elles soient sages par leur choix et qu’elles fuient plutôt par inclination que par la défense que vous leur en feriez” (II, 40). Madame de Motteville’s opposing position on the prohibition against marriage introduces the main topic of discussion in the third letter. Here, Montpensier pens her response to the previous missive, thereby intensifying the tone of the exchange and sparking an animated debate between the two interlocutors. As Montpensier writes, “je suis dans un extreme étonnement lorsque vous me voulez prouver par de vives raisons qu’il est non seulement à propos, mais aussi nécessaire de se marier” (III, 40). At first, the duchess criticizes her friend’s reasoning and then momentarily justifies her superior position by reasserting her power as sovereign. As she puts it, “mon avis doit être le maître des autres” (III, 42). But then she unexpectedly softens her tone, stating that she will prove her point through a series of convincing examples. For instance, she refers to the Marquise de Senecé who supposedly told Montpensier that in the town of Randan in Auvergne no widow ever remarried, young or old, because the late Comtesse de Randan had never remarried; thus all of the widows in Randan chose to model themselves after her admirable character. In her interpretation of this positive custom in the town of Randan, Mlle de Montpensier formulates a moral conclusion in which goodness prevails over human flaws. From this example, Monpensier then applies the lesson of Randan to her own kingdom, viewing herself as a role model of goodness for her subjects. With strong conviction, she expresses her disagreement with Motteville’s objection by declaring that she is not practicing absolutism in her marriage interdiction, mainly because she is tolerant of her people’s opposing views. As she puts it, “j’étendrais ma bonté jusqu’à permettre que ceux qui auraient envie de se marier nous quittassent plutôt que de rendre notre solitude une habitation de gens sujets aux imperfections de la nature” (III, 42). This statement also shows a persuasive strategy in the underlying tone of the letter. In particular, the duchess demonstrates her natural inclination for espousing a moral philosophy, enabling her to make her case to justify her enforcement of the marriage ban. The moral tone of the letter is sustained in the next part of the third letter in which Mlle de Montpensier considers the interrelated theme of love. At first, she states that her subjects must be willing to renounce personal ambition and self-interest, as they are pitfalls of love. Once again, Montpensier’s goal is to persuade her friend that her position against marriage is justified. To achieve this goal, she constructs a series of feminist arguments that were popular in the salons of the day. For instance, she points to the idea of prioritizing friendship or “l’amitié” over romantic love. Nancy Arenberg 74 To buttress her argument, she inserts a maxim to forewarn her subjects of the difficulty of transforming friendship into love. As she describes it, “Mais quand il faut changer l’amour en amitié/ Que l’âme qui s’y force est digne de pitié! ” (III, 44). But at the same time, she believes in relying on the power of freedom to guide her subjects to protect them from marriage. To emphasize the importance of liberty, she states: “La raison et le bon sens seraient notre seul voeu et nos seules obligations” (III, 44). According to the sovereign, friendship is what is reasonable and comfortable, whereas love is characterized as irrational, a veritable state of emotional turmoil. She then considers another entity associated with love: the question of gallantry. Here again, the text reveals that she reverts to her years of acquired social experience in courtly etiquette. For example, she states that gallantry is good if it does not have bad intentions: “cette galanterie générale et sans objet est ce qui se peut permettre parmi nous” (II, 46). This affirmation of the positive side of gallantry is further supported by her praise for men and women who uphold the aristocratic code of honnêteté, especially in their sartorial appearance, refined manner of speaking and courteous behavior. Although she does not delve into the negative connotation of gallantry in this letter, Montpensier views it as a potential danger to a woman’s reputation. According to her, women must conduct themselves impeccably to avoid calumny, or even malice, by men. 18 Montpensier then returns to the main theme of the marriage ban to conclude her argument. This final section of the letter smacks of precious rhetoric, as she emphasizes the battle between the sexes in a candid, rational manner: “ce qui a donné la supériorité aux hommes a été le mariage, et que ce qui nous a fait nommer le sexe fragile a été cette dépendance ” (III, 46). She also insists that women must extricate themselves from this form of slavery, for it has contributed to the inequality between the sexes. As she puts it, “Enfin tirons-nous de l’esclavage, qu’il y ait un coin du monde où l’on puisse dire que les femmes sont maîtresses d’elles-mêmes, et qu’elles n’ont pas tous les défauts qu’on leur attribue” (III, 46-48). Here, Pósfay, Beasley and DeJean underscore the influence of the salon debate on la querelle des femmes in Montpensier’s militant criticism of marriage. 19 Moreover, Montpensier envisions a more perfect space for women, one which empowers them. At the same time, she reaffirms her role as the matriarch in this plan for her idyllic territory. Madame de Motteville’s lengthy fourth letter reveals a lively discussion of questions related to love and marriage. It is particularly interesting to consider her response to Montpensier’s proposed marriage ban. Once again, 18 DeJean provides a clear explanation of the various meanings of gallantry. See the note on p. 39. 19 See Pósfay p. 22, Beasley pp. 124-128, and DeJean Against Marriage, pp. 13-16. Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence 75 she begins by acknowledging her respect and admiration for their sovereign leader. There is also an internal echo in the dialogue, as Motteville’s fourth missive mimics Montpensier’s rhetoric by including her moral and philosophical stance on the notion of liberty. Like the duchess, Motteville subscribes to the idea of freedom, a concept she embraced after she lost her husband. There is, however, a curious contrast to the ideal of freedom, one which reveals another subtle objection to her friend’s interdiction of marriage. Initially, Madame de Motteville seems to veil her disagreement with Montpensier by reaffirming key ideas discussed in previous epistles such as the importance of virtue, reason and order to assure a peaceful environment in this ideal space for the citizens, but then she delves into the opposing notion of tyranny. It is this sharp opposition between freedom and tyranny that ostensibly structures the core of her argument throughout this exchange. Adopting Montpensier’s militant rhetoric, Motteville suggests that male tyranny has contributed to the cultural perception that women are the weaker sex (IV, 50). Here, Motteville builds her attack on men, which also mirrors Montpensier’s previous “precious” criticism of the opposing gender in the concluding part of the third letter. Motteville’s writing style reveals a curious resemblance to Montpensier’s, as she shows her own experience in navigating aristocratic etiquette by taking a philosophical stance to expose the dangerous ways in which men manipulate conversation, especially to woo women. As she writes, “Ils cachent sous ces beaux mots d’adoration, de respect, et de passion les armes dont ils offensent la gloire de celles qu’ils paraissent estimer, et qu’ils méprisent en effet[.] Elles souffrent par leurs trahisons de violentes douleurs, et l’amour légitime par la froideur de son poison les prive souvent de bonheur” (IV, 50). Motteville then formulates her own kind of moral maxim, highlighting the fact that only fools are duped by the idea of equating love with pleasurable emotions. To her way of thinking, affairs of the heart only cause pain. Motteville also echoes Montpensier in recasting these observations about love into truths to further reflect on the problem of gender inequity. In observing how men are socially conditioned to dominate women, she reveals a feminist, rational perspective: “je sais qu’ils les ont faites injustes à notre égard et trop avantageuses pour eux, ils usurpent sur le commandement de la mer et de la terre, les sciences, la valeur, la puissance” (IV, 50). If men attempt to control everything under the guise of their inherent tyrannical rights, Motteville also asserts that there is no real basis to justify their dictatorial role. In fact, she wonders just how they acquired their predisposition toward tyranny. To buttress her position, she relies on historical examples of formidable, virtuous women who governed empires, commanded armies, or were renowned for their intellectual prowess. She acknowledges the Nancy Arenberg 76 political savvy of women such as Isabella of Castilo, Elizabeth of England and Catherine de Médicis, while expressing her admiration for the sharp minds of Elizabeth of Bohemia, Madame de Bressac and, most notably, Mlle de Scudéry. By citing these noteworthy, historical figures, Motteville emphasizes her point that there are countless examples of wise and glorious women. In the next section of this fourth letter, Motteville praises the potential for perfection that women innately possess. Although she concurs with the duchess in recognizing the inequality between the sexes and the power system, Motteville changes the tone of her missive as she considers other aspects identified with the complex subject of tyranny. She begins by raising the point again that men allowed in their utopia would not only bring corruption, but undoubtedly participate in gallantry. Motteville’s rationale is based on the example that not everyone can follow her sovereign’s example by living a virtuous life, highlighting the reality that the less perfect would inevitably succumb to love. She endeavors to convey to her friend that it is to her advantage as a sovereign to accept the less perfect, mainly as she embodies the ideal of moral perfection for her subjects. Motteville imitates Montpensier’s previous argument pertaining to the positive and negative aspects of love, while introducing a variant in which she focuses on the psychological flaws of the queen’s subjects. In fact, Motteville structures her contention around the idea of human weakness to subtly persuade her sovereign to practice tolerance, especially since her subjects are not as strong as she. According to her, women’s most common weaknesses are vanity, pride and even idleness, which recalls La Rochefoucauld’s negative view of human nature in his famous Maximes. In some instances, she observes that a woman’s desire to attain glory is predicated on her beauty and her ability to receive praise from others. To correct these human weaknesses, Motteville stresses again that their queen serves as an inspirational role model. Through this philosophical reflection on human flaws, Motteville takes a stand for the weak, hoping to convince Montpensier to protect these citizens to assure the overall well-being of the kingdom. Moreover, it is possible to read Motteville’s lengthy diatribe on tolerance as part of a gentle, but nonetheless persuasive, strategy to ensure the successful enforcement of the laws and freedom in the queen’s ideal territory. At the same time, Motteville’s veiled intention may be to forewarn her friend to tread carefully to avoid espousing tyranny by banning legitimate love, or marriage, in her idyllic space. In the next part of the epistle, she turns to a related topic associated with a previous theme embedded in Montpensier’s third letter, the struggle between friendship and love. Motteville considers the topic of friendship Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence 77 from a philosophical perspective, underlining the idea that friendship is inherently universal, virtuous and reasonable. In particular, Motteville suggests that from birth people seek to cultivate friendships with people who are close to them, since all human beings are inherently good and possess a personal sense of justice. But, contrary to the moral perfection of their queen, many citizens experience difficulty, through personal life experiences, in following this virtuous path. Here, Motteville points to the passions as one of the seminal examples to show how affairs of the heart can derail an individual from following the moral path in life. When the force of passion usurps reason to control the human heart, it inevitably overshadows virtue to produce torment and pain. According to Motteville, it is the power of emotional disorder which ultimately destroys the innocence of friendship: “il est plus rare de trouver des criminels dans l’amitié que dans l’amour, parce que la raison et l’innocence sont les ordinaires compagnes de l’amitié et que le dérèglement et la trahison sont naturellement celles de l’amour” (IV, 56). Curiously, this part of her letter shows how she reprises Montpensier’s rhetoric in her third letter, thus creating an internal echo in the epistolary dialogue. At the same time, her resounding agreement with Montpensier’s dark view of love as a menacing, irrational emotion stands in stark contrast to introduce one of the fundamental, social principles for their idyllic space. For Motteville, the happiness of the citizens depends on structuring their territory around the concept of a society of friends. Here, Motteville alludes to one of the key traits of a seventeenth-century utopian society, which is undoubtedly influenced by their refined aristocratic skill of subscribing to sociability. As Myriam Yardeni observes, “ce qui importe, c’est leur bon fonctionnement et leur capacité d’assurer le bonheur de l’homme en société” (65). After underscoring the importance of living in social harmony, Motteville seems to retreat from her bold stance by stating that civility and order in the kingdom can only be maintained by following their queen’s model of honor and reason. But then Motteville reaffirms her position by again carefully attempting to persuade her friend why it is in her interest to allow marriage, mainly as a model of moral perfection for the citizens of the kingdom. She even develops a detailed reflection on legitimate love to justify her position, stating that God created this union for noble reasons: “le mariage doit être révéré comme celui qui règle la naissance et les biens de tous les hommes, qu’il établit l’ordre sur la terre et qu’il est le seul lien qui puisse engager l’homme et la femme à s’aimer avec innocence” (IV, 58). It is Motteville’s belief that such a ban would not only destroy legitimate love, but possibly lead to decadence amongst her subjects. By outlawing marriage, these passionate citizens, mainly young men, would inevitably Nancy Arenberg 78 seek out illicit liaisons to satisfy their desire. Zanger comments on the political ramifications of Montpensier’s mandate: “In so doing, she underscores that a utopia that prohibits marriage is no utopia at all, but just an inversion of the order of things, a substitution of one center of power for another” (353). Zanger’s analysis also points to gender implications. It could be argued that Montpensier is unconsciously switching gender roles in her conviction to prohibit marriage. By proclaiming this policy she seems to appropriate, once again, the absolutist discourse of her cousin, while veiling it under her own feminine form of militant power. The Montpensier-Motteville correspondence offers a rare look at the duchess’s blueprint for a utopian society. Her vision not only espouses an alternative “feminocentric” philosophy on the interdiction of marriage, but also reveals some fascinating gender reversals within the fabric of the political structure of this idyllic space. It is the dynamic epistolary dialogue between the two friends which reveals a quiet tone of dissidence throughout the correspondence, one that revolves around the ideal image of how the sovereign would execute her matriarchal power. As a ruler, the duchess would not only free women from facing their social fate of nuptial enslavement, but would offer an alternative model based on choice for each citizen regardless of one’s gender. Within the dense, lush forest of this pastoral environment, “La Grande Mademoiselle” reprises her role as a post- Fronde warrior carving out a space for those who seek freedom in a transcendental kingdom where peace prevails and all live by her rules. Works Cited Beasley, Faith. Revising Memory: Women’s Fiction and Memoirs in Seventeenth- Century France. New Brunswick: Rutgers UP, 1990. Bammer, Angelika. Partial Visions: Feminism and Utopianism in the 1970s. New York: Routledge, 1991. Bluestone, Natalie. Women and the Ideal Society: Plato’s Republic and Modern Myths of Gender. Amherst: University of Massachusetts Press, 1987. DeJean, Joan. Tender Geographies : Women and the Origin of the Novel in France. New York: Columbia UP, 1991. Garber, Marjorie. Vested Interests: Cross-Dressing and Cultural Anxiety. New York: Harper Perennial, 1993. Goldsmith, Elizabeth. Exclusive Conversations: The Art of Interaction in Seventeenth- Century France. Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1988. Maclean, Ian. Woman Triomphant: Femininism in French Literature 1610-1652. Oxford: Clarendon Press, 1977. Manuel, Frank E. and Fritzie P. Manuel, eds., French Utopias: An Anthology of Ideal Societies. New York: The Free Press, 1966. Marriage and Politics in the Montpensier-Motteville Correspondence 79 Monpensier, Anne-Marie-Louise-Henriette d’Orléans, duchesse de. Against Marriage: The Correspondence of La Grande Mademoiselle. Ed. and trans. Joan DeJean. Chicago: University of Chicago Press, 2002. Pósfay, Éva. “Ecrire l’utopie féminine en 1660,” Cahiers du dix-septième siècle 6.1 (1992) : 221-234. D’Urfé, Honoré. L’Astrée. Paris : Gallimard, 1984. Yardeni, Myriam. Utopie et révolte sous Louis XIV. Paris: Nizet, 1980. Zanger. Abby. “Marriage on the Margins of Monarchy: Politics and the Marriage Plot in the Motteville-Montpensier Correspondence,” Papers on French Seventeenth Century Literature 33.65 (2006): 339-354. PFSCL XL, 78 (2013) Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid K ALERVO R ÄISÄNEN (U NIVERSITE DE T AMPERE ) 1. Jalons S’il existe une pierre d’angle du pathétique cornélien, c’est sans doute la représentation du conflit intime. Corneille était lui-même conscient de cette particularité de son œuvre et cherchait à la justifier dans ses Trois discours sur le poème dramatique (1660). Une des distinctions que Corneille y introduit est l’opposition entre deux types de tragédies. L’action du premier s’appuie sur ce qu’Aristote appelle l’anagnôrisis, c’est-à-dire sur le « passage de l’ignorance à la connaissance » (Aristote 1996 : 97 1 ). C’est le cas de la tragédie Œdipe roi de Sophocle, dont le héros éponyme apprend qu’il a tué son père et épousé sa mère, confirmant la fatalité qui pèse sur lui. À ce type de drame, Corneille oppose les tragédies où les personnages agissent en pleine connaissance de ce qu’ils entreprennent. Il considère que, parmi ces deux genres, le dernier est doué d’une force dramatique supérieure, car il permet d’introduire dans la pièce le thème du conflit, propice d’après lui à susciter la pitié des spectateurs : […] lorsqu’on agit à visage découvert, et qu’on sait à qui on en veut, le combat des passions contre la nature, ou du devoir contre l’amour, occupe la meilleure partie du poème ; et de là naissent les grandes et fortes émotions qui renouvellent à tous moments et redoublent la commisération. […] Je sais que l’agnition est un grand ornement dans les tragédies : Aristote le dit ; mais il est certain qu’elle a ses incommodités. Les Italiens l’affectent en la plupart de leurs poèmes, et perdent quelquefois, par l’attachement qu’ils y ont, beaucoup d’occasions de sentiments pathétiques qui auraient des beautés plus considérables. (Corneille 1910 [1660] : 70) Nous ne saurons peut-être jamais si un tel souci esthétique guidait la composition du Cid. Mais nous pouvons constater que cette pièce se définit 1 Sur la théorie aristotélicienne de l’anagnôrisis, voir Poétique, chapitres 11 et 16. Kalervo Räisänen 82 à merveille comme une de ces tragédies que Corneille esquissa dans les Trois discours. Les identités y sont connues, et l’essentiel de son intrigue se noue autour des sentiments contrariés. Dans les tragédies de Corneille, ni les visages ni les sentiments sont masqués : le conflit cornélien se manifeste par des divulgations abondantes sous la forme de stances, de peintures et de délibérations. L’objet d’étude de cet article est la métaphore, qui constitue chez Corneille la figure majeure de la dramatisation du conflit. Nous allons mettre en évidence comment le thème du dilemme est mis au jour dans Le Cid en étudiant quelques leitmotivs métaphoriques de la pièce. Nous divisons les métaphores en trois groupes : 1. Un dilemme renvoie, par définition, à un choix entre deux alternatives. Le premier groupe de métaphores s’applique à l’un des enjeux du dilemme, l’honneur perdu qu’il s’agit de rétablir ou non. 2. Les dilemmes de la pièce culminent avec plusieurs délibérations qui concernent des préférences et des arguments moraux et rationnels. Un genre d’expression qui revient dans ces examens, ce sont les métaphores qui projettent le schéma d’image BALANCE sur des domaines conceptuels abstraits qui concernent les choix et les jugements. 3. Le Cid est connue, par tradition, pour son thème du combat ou du conflit entre l’honneur et l’amour. En véhiculant une idée de force, le troisième groupe de métaphores sert à dynamiser les émotions, les devoirs, etc. qui entrent en conflit dans la pièce. Dans notre analyse, nous nous appuyons sur la théorie cognitive de la métaphore. Cette théorie s’éloigne considérablement de la rhétorique et de la poétique traditionnelles, qui voient dans la métaphore un ornement langagier. On trouve cette idée notamment chez Aristote, qui insère la métaphore sous la rubrique de la lexis, c’est-à-dire le choix des mots. Pour lui, « [la] métaphore est le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce ou d’après le rapport d’analogie » (1996 : 119). La rhétorique classique l’inclut dans l’elocutio, domaine des figures et des ornements du discours. La thèse fondamentale de la théorie cognitive de la métaphore est que la métaphore ne réside pas seulement dans la langue ; elle réside aussi dans la pensée et son essence est d’appréhender une chose en termes d’une autre. La théorie fait une distinction fondamentale entre la pensée métaphorique et le langage qui sert à l’exprimer 2 . 2 Voir par exemple Lakoff et Turner (1989 : 55) et Kövecses (2002 : 4). Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid 83 George Lakoff et Mark Turner, deux pionniers de la théorie, illustrent la nature de la pensée métaphorique avec l’exemple suivant. Quand nous concevons les chiens comme des êtres dotés d’un museau, quatre jambes, etc., nous les comprenons en termes non métaphoriques ; mais quand nous les concevons comme des êtres loyaux, nous les comprenons en termes métaphoriques via un trait qui s’applique aux humains (1989 : 55). Lakoff et Turner affirment que nos concepts ne sont en général ni complètement métaphoriques ni complètement non métaphoriques (ibid.). Quand un domaine conceptuel cible A est conçu en termes d’un domaine conceptuel source B, il s’agit d’une métaphore conceptuelle. On désigne les métaphores conceptuelles avec des formules du type A EST B. Les métaphores ordinaires établissent des correspondances (mappings) entre des éléments du domaine source et des éléments du domaine cible, et ces derniers sont compris au moyen des premiers (id. p. 63). La pensée métaphorique nous permet aussi de prêter des formes de raisonnement que nous utilisons pour comprendre un domaine afin de les appliquer à d’autres domaines (id. p. 64). Lakoff et Turner illustrent ces deux mécanismes avec la métaphore conceptuelle LA VIE EST UN VOYAGE : […] un voyageur a des points forts et des points faibles qui affectent la façon dont il fait le voyage, surmonte les obstacles, et ainsi de suite. Cela correspond à l’idée d’une personne qui a des points forts et des points faibles, qui surmonte ses problèmes et ainsi de suite. Du coup, si nous disons de quelqu’un qu’il est assez fort pour franchir tout ce qui se trouve sur son passage, nous disons avec cette métaphore quelque chose de ses moyens pour affronter les difficultés dans sa vie. […] Si, lors d’un voyage, nous nous engageons dans une impasse, nous devons trouver un nouveau chemin pour progresser. De même, si nous pensons que notre situation dans la vie constitue une impasse, nous pouvons raisonner que nous sommes amenés à y rester bloqués et à ne pas progresser ou chercher un autre chemin pour atteindre nos objectifs 3 . (id. p. 63, 65) Lakoff et Turner montrent que les métaphores poétiques s’appuient le plus souvent sur des métaphores conceptuelles quotidiennes. Les métaphores poétiques n’y sont pas pour autant réductibles, car les poèmes ont tendance à combiner et élaborer nos métaphores quotidiennes sous des façons nouvelles ainsi qu’à les mettre en question (voir id. p. 67-72 ; Kövecses 2002 : 43-49). Les métaphores textuelles constituent aussi - et ce fait est capital - des objets qui existent et qui peuvent être étudiés à part entière. On appelle les métaphores textuelles individuelles micrométaphores et les métaphores qui 3 Nous traduisons de l’anglais. Kalervo Räisänen 84 rendent le texte cohérent mégamétaphores ou métaphores étendues (Kövecses 2002 : 51). Ce sont ces métaphores textuelles qui feront l’objet de notre étude sur Le Cid. En sus d’examiner des métaphores sous-jacentes à la pièce, nous examinerons les correspondances métaphoriques qui s’y accomplissent et comment ces correspondances contribuent à dramatiser les dilemmes qui s’y présentent. En insistant sur la distinction entre les métaphores étendues et conceptuelles, nous voulons souligner que l’accent de notre étude ne porte pas sur la découverte des modes de pensée (universels ou culturellement, voire individuellement spécifiques) que sont les métaphores conceptuelles, mais sur un texte dont il s’agit d’analyser les figures et leur cohérence latente. Ce qui vaut pour les personnes réelles vaut tout autant pour les personnages dramatiques : les métaphores ne servent pas seulement à verbaliser leur pensée et leur expérience ; c’est souvent le fonctionnement même de leur pensée qui est mis au jour via la métaphore 4 . Comme les métaphores du Cid ne reflètent pas des pensées idiosyncrasiques mais des élaborations assez simples de nos métaphores quotidiennes, il serait de peu d’intérêt de les étudier sous l’angle de leur spécificité. Ce que nous voulons mettre en évidence, c’est que les personnages de la pièce non seulement exposent leurs dilemmes par le langage figuré mais aussi les appréhendent et raisonnent sur eux en termes métaphoriques. 2. La métaphore et l’enjeu du conflit dans Le Cid : l’honneur perdu Une des métaphores que le comte de Gormas utilise dans son dialogue avec don Diègue est L’HONNEUR EST UN OBJET BRILLANT, tournure dont il se sert pour ironiser l’idée d’un mariage entre Rodrigue et sa fille : « À des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre ; / Et le nouvel éclat de votre dignité / Lui doit enfler le cœur d’une autre vanité 5 » (acte I, scène IV). Le dialogue se convertit bientôt en une altercation dans laquelle le comte et don Diègue étalent leurs prouesses. Don Diègue, le plus âgé des deux, 4 D’après Semino et Steen (2008 : 240), la métaphore peut ainsi refléter les conceptions du monde des personnages littéraires ou dramatiques. Par exemple, une étude sur le roman One Flew Over the Cuckoo’s Nest de Ken Kesey (Semino et Swindlehurst : 1996, dans ibid.) a mis en évidence que les particularités de son narrateur fou et de son protagoniste se traduisent par l’intermédiaire des métaphores qui s’appuient sur le domaine de source MACHINERIE. 5 Pour les citations, nous utilisons l’édition de 1682 du Cid des Œuvres complètes de Corneille (La Bibliothèque des introuvables, 2007). Les italiques sont de nous. Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid 85 oppose ses exploits du passé à la valeur présente du comte. Il appréhende le respect qu’il impose comme une émanation lumineuse : « L’éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan. » C’est la perte de cette dignité de sa maison, conçue comme un objet brillant, qui constitue un des enjeux du dilemme de Rodrigue, qui doit venger en duel l’offense au père de sa bien-aimée. Cette métaphore sousjacente se manifeste dans le monologue de don Diègue : Nouvelle dignité fatale à mon bonheur ! Précipice élevé d’où tombe mon honneur ! Faut-il de votre éclat voir triompher le comte, Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ? (acte I, scène V) Rodrigue la reprend dans la sienne : « Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie ». Quitte envers son père après avoir tué le comte, il cherche à s’acquitter envers sa maîtresse, en cherchant la mort dans un duel contre don Sanche, autre amoureux de Chimène. Il considère qu’il peut ce faisant grandir sa gloire au lieu de la perdre : « Ainsi donc vous verrez ma mort en ce combat, / Loin d’obscurcir ma gloire, en rehausser l’éclat » (acte V, scène I). Dans ces deux dernières métaphores, la perte et le gain de dignité sont compris en termes de lumière qui est émise ou reflétée par un objet physique. Comme nous l’avons déjà constaté, les métaphores établissent des correspondances d’un domaine conceptuel à un autre. On peut représenter la mégamétaphore L’HONNEUR EST UN OBJET BRILLANT par le tableau suivant, qui indique les rapports entre les deux domaines. L’objet lumineux ⇒ L’honneur La lumière émis par l’objet ⇒ L’émanation du respect Le gain de luminosité ⇒ Le gain de l’honneur La perte de luminosité ⇒ La perte de l’honneur Tableau 1. La métaphore étendue L’HONNEUR EST UN OBJET BRILLANT 6 Après la mort de son père, Chimène fait face au même dilemme de l’amour et de l’honneur que Rodrigue : elle doit choisir entre la vengeance et l’ignominie. En se vengeant, elle sauverait son honneur mais nuirait à une per- 6 On utilise des tableaux de ce type pour décrire la structure des métaphores conceptuelles, c’est-à-dire pour illustrer comment notre pensée d’un domaine conceptuel est dépendante d’un autre domaine conceptuel. Ici, les correspondances sont celles par lesquelles nous comprenons les métaphores textuelles. Kalervo Räisänen 86 sonne aimée ; en ne se vengeant pas, elle deviendrait méprisable. Chimène, don Diègue et Rodrigue conçoivent leur abjection par la métaphore LE DÉSHONNEUR EST UNE SOUILLURE, et chez les deux derniers, cette métaphore définit aussi la façon dont ils raisonnent sur leurs dilemmes. Les deux métaphores que nous avons repérées se ressemblent en ce qu’elles servent à décrire l’honneur sous l’aspect de la perte ou du gain. On peut considérer que la première métaphore sert à motiver la seconde (ou vice versa), car se souiller, c’est aussi perdre l’éclat. Dans les extraits suivants, la métaphore étendue de la souillure est évoquée par don Diègue pour décrire son opprobre : Va contre un arrogant éprouver ton courage : Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage (acte I, scène VI). Il m’a prêté sa main, il a tué le comte ; Il m’a rendu l’honneur, il a lavé ma honte (acte II, scène VIII). Viens baiser cette joue, et reconnais la place Où fut empreint l’affront que ton courage efface (acte III, scène VI). L’idée d’une souillure est véhiculée ici par les verbes laver et effacer, qui participent du domaine conceptuel SOUILLURE. Le troisième exemple joue sur la double référence du mot affront : l’affront empreint sur la joue renvoie dans un premier temps au soufflet et à la joue meurtrie de don Diègue ; mais il renvoie aussi à l’humiliation qui en résulte et qui est conçue en termes d’une souillure, maintenant effacée. Cette même métaphore est aussi évoquée par Rodrigue, qui explique à Chimène les raisons qui l’ont conduit à poursuivre sa vengeance. Déshonoré par l’avanie du comte, il n’aurait jamais pu être digne de sa maîtresse ; c’est en partie pour la mériter qu’il s’est vengé : L’irréparable effet d’une chaleur trop prompte Déshonorait mon père, et me couvrait de honte. […] Je t’ai fait une offense, et j’ai dû m’y porter Pour effacer ma honte, et pour te mériter. (acte III, scène IV) Quoique Chimène continue d’aimer Rodrigue, il est aussi avili à ses yeux. Comme le déshonneur, cet avilissement est métaphorisé par les amants via le domaine conceptuel SOUILLURE. Cette métaphore est évoquée par Chimène dans la première scène de l’acte V, où elle est concomitante avec la mégamétaphore personnifiante L’HONNEUR EST UN ÊTRE VIVANT (voir plus bas) : « Ton honneur t’est plus cher que je ne te suis chère, / Puisqu’il trempe tes mains dans le sang de mon père […] ». Notons que le syntagme verbal en italique renvoie littéralement au duel sanguinaire entre le comte et Rodrigue et qu’il renvoie aussi, par métaphore, à l’infamie qui en résulte. Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid 87 Ce jeu sylleptique sur des taches à la fois réelles et symboliques constitue un des leitmotivs du couple Chimène-Rodrigue. Quand Rodrigue, après sa victoire sur le comte, apporte l’épée de son père à Chimène pour qu’elle accomplisse sa vengeance, elle proteste : « Quoi ! du sang de mon père encor toute trempée ! » 7 (acte III, scène IV), exprimant à la fois l’horreur du sang réel et l’horreur du crime dont la tache sur l’épée est métaphoriquement et métonymiquement le symbole. Le sang versé comme métonymie de l’homicide apparaît aussi chez don Diègue et Rodrigue, qui la combinent avec des inférences métaphoriques. Ces raisonnements proviennent du domaine de la souillure, et on peut les résumer ainsi : quand nous voulons nous débarrasser d’une souillure d’un objet physique, nous pouvons soit le laver soit le plonger dans une substance de sorte que la tache disparaisse. Nous avons déjà vu que, quand don Diègue se sent souillé par l’outrage du comte, il ordonne à son fils de laver cette souillure dans le sang (voir plus haut). Le deuxième expédient est suggéré par Rodrigue à Chimène : Chimène Ôte-moi cet objet odieux, Qui reproche ton crime et ta vie à mes yeux. […] Il est teint de mon sang. Rodrigue Plonge-le dans le mien, Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien. (ibid.) Cette suggestion sylleptique s’applique, notons-le bien, autant à l’épée de Rodrigue qu’à l’offense que ce sang symbolise. Rodrigue affirme d’une part que le sang sur l’épée perdra sa teinture si l’épée est plongée dans son sang. D’autre part, il raisonne par métaphore que, si Chimène le tue, son offense (désignée métonymiquement par le sang sur l’épée) perdra sa teinture 8 . Cette offense est évoquée aussi sans syllepse dans la scène qui finit la pièce, où Rodrigue souhaite la compenser par ses exploits : Faut-il combattre encor mille et mille rivaux, Aux deux bouts de la terre étendre mes travaux, Forcer moi seul un camp, mettre en fuite une armée, Des héros fabuleux passer la renommée ? Si mon crime par là se peut enfin laver, J’ose tout entreprendre, et puis tout achever […]. (acte V, scène VII) 7 Elle reprend cette même expression quand Don Sanche vaincu lui présente son épée après son duel contre Rodrigue, car elle croit que son amant est mort : « Quoi ! du sang de Rodrigue encor toute trempée ? » (acte V, scène V). 8 Dans le langage classique, ce mot a désigné une « marque, impression laissée par le passé » (Le Grand Robert s.v. teinture). Kalervo Räisänen 88 La pièce finit sur l’annonce par le roi d’un mariage possible entre Chimène et Rodrigue. Le dilemme de l’amour et de l’honneur est résolu dans la mesure où Chimène abandonne ses poursuites contre Rodrigue, mais il se pose maintenant sous une autre forme : peut-elle épouser l’assassin de son père, car elle deviendrait ainsi sa complice ? Pour elle, commettre une pareille ignominie, ce serait se souiller les mains dans le sang de son père : Si Rodrigue à l’État devient si nécessaire, De ce qu’il fait pour vous dois-je être le salaire, Et me livrer moi-même au reproche éternel D’avoir trempé mes mains dans le sang paternel ? Dans Le Cid, l’honneur compromis est conçu encore par l’intermédiaire de deux métaphores étendues : L’HONNEUR EST UN ÊTRE VIVANT et L’HONNEUR EST UN OBJET EN DANGER DE S’ÉCROULER. Dans les métaphores du premier type, l’atteinte à la dignité de don Diègue correspond à une atteinte à la vie d’un être vivant : Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ? Ô cruel souvenir de ma gloire passée ! Œuvre de tant de jours en un jour effacée ! Nouvelle dignité fatale à mon bonheur ! Précipice élevé d’où tombe mon honneur ! Le premier passage en italique combine cette métaphore avec la métonymie lauriers pour ‘gloire’. Cette métonymie, déjà relevé par Scudéry lors de la querelle du Cid 9 , apparaît huit fois dans l’édition de 1682 10 , et elle se combine trois fois avec la métaphore L’HONNEUR EST UN ÊTRE VIVANT. Elle est évoquée par l’Infante, amoureuse de Rodrigue, qui imagine les exploits futurs qui le rendront digne d’elle. Que je le vois assis au trône de Grenade, […] Le Portugal se rendre, et ses nobles journées Porter delà les mers ses hautes destinées, Du sang des Africains arroser ses lauriers. (acte II, scène V) Aux lauriers de Rodrigue, Chimène oppose ses cyprès, symbole par métonymie de sa perte et de son deuil : « [Que Rodrigue] soit environné des plus vaillants guerriers, / J’irai sous mes cyprès accabler ses lauriers ». Dans ces exemples, la métaphore est indiquée par les verbes arroser et accabler : 9 Voir Scudéry (1893 [1637] : 605). 10 D’après Scudéry (ibid.), il y en a neuf dans l’édition de 1637. Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid 89 entretenir la gloire, c’est nourrir une plante ; y porter atteinte, c’est l’écraser. Bien que Chimène aime Rodrigue, elle s’applique à le persécuter, car si elle n’agissait pas, elle serait avilie. Elle métaphorise ce danger au moyen d’une personnification : « Et je pourrai souffrir qu’un amour suborneur / Sous un lâche silence étouffe mon honneur ! » (acte III, scène III). Pour elle, les moyens d’éviter ce danger sont des soins qu’on applique à un être mourant, le duel entre Rodrigue et Don Sanche étant « le dernier remède » (acte III, scène II). Les deux mégamétaphores apparaissent dans le monologue délibératif de Rodrigue, où l’honneur n’est pas seulement en danger de mort mais en danger de s’écrouler : « Rechercher un trépas si mortel à ma gloire ! / Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire / D’avoir mal soutenu l’honneur de ma maison ! (acte I, scène V). Suivant l’exemple de Rodrigue, Chimène apprend qu’elle est, elle aussi, engagée à défendre son honneur, dont il s’agit d’empêcher l’écroulement : Ta funeste valeur m’instruit par ta victoire ; Elle a vengé ton père et soutenu ta gloire : Même soin me regarde, et j’ai, pour m’affliger, Ma gloire à soutenir, et mon père à venger. (acte III, scène IV) Dans Le Cid, ce thème aristocratique de l’effondrement de l’honneur se double, et c’est un des enjeux de la pièce, d’un danger de l’effondrement de l’État. Rodrigue, en tuant le comte, a aussi tué un grand guerrier et compromis la sécurité nationale. Chimène, qui demande justice au roi don Fernand, explique cela moyennant la métaphore que voici : « [Rodrigue] a de votre sceptre abattu le soutien ». (acte II, scène VIII) 11 . Don Fernand promet de lui rendre justice, tout en estimant que le comte a mérité son châtiment par ses excès 12 ; mais Rodrigue échappe in extremis à la justice royale par son combat victorieux contre les Mores, qui fait de lui un héros. Au regard du roi et de la cour, Rodrigue a réparé sa faute et s’est avéré si précieux qu’il serait injuste de le punir. Pour l’Infante, si Rodrigue périt, c’est tout l’État qui s’écroule : Ce qui fut juste alors ne l’est plus aujourd’hui. Rodrigue maintenant est notre unique appui, L’espérance et l’amour d’un peuple qui l’adore, Le soutien de Castille, et la terreur du More. Tu poursuis en sa mort la ruine publique. (acte IV, scène II) 11 Notons que ces métaphores sont assez nombreuses dans la pièce. Le comte dit par exemple « [mon] bras du royaume est le plus ferme appui » (acte I, scène IV) et « ma tête en tombant ferait choir sa couronne » (acte II, scène I). 12 Voir la scène VII et la fin de la scène VIII de l’acte II. Kalervo Räisänen 90 3. Le schéma BALANCE et le thème de la justice dans Le Cid Un grand nombre de métaphores dans Le Cid constituent des projections du schéma d’image BALANCE. D’après la définition de Lakoff (1987 : 267), Les schémas d’image sont des structures relativement simples qui se reproduisent constamment dans nos expériences corporelles quotidiennes : CONTENANTS, CHEMINS, LIENS, FORCES, BALANCE et dans certaines orientations et relations : HAUT-BAS, DEVANT-DERRIÈRE, ENSEMBLE- PARTIE et CENTRE-PÉRIPHÉRIE 13 . La théorie sur le schéma BALANCE remonte à l’ouvrage de Mark Johnson The Body in the Mind (1987), qui s’interroge sur les fondements corporels de la raison et de la signification 14 . Selon la thèse de Johnson, nous apprenons ce schéma et la signification du concept de balance quand nous marchons ou nous tenons debout, quand « nous portons des objets d’un poids identique dans l’une et l’autre de nos mains » et par « l’expérience d’une homéostasie à l’intérieur de nos organes » 15 (id. p. 96). Les métaphores ordinaires de la BALANCE regroupent des domaines cibles aussi variés que les équations mathématiques, les formes dans les arts visuels et la « balance » psychologique, que nous concevons via un modèle homéostatique, où les diverses émotions sont appréhendées en termes de forces ou de pressions physiques 16 . En s’appuyant sur des exemples tirés de l’anglais, Johnson affirme que la projection de ce schéma domine aussi notre compréhension du domaine des arguments rationnels et les domaines conceptuels de la justice et de la moralité (id. p. 95). Ce constat semble juste aussi dans le contexte français et pour les symboles non langagiers qui font partie de ces domaines : si deux arguments contraires sont d’un poids égal, nous pouvons jeter un poids dans la balance par nos arguments ou amasser des faits pour la faire pencher en notre faveur ; le symbole de la justice est une balance et sa personnification, la 13 Nous traduisons de l’anglais. 14 La théorie cognitive de la métaphore repose sur une conception expérientaliste de la signification : les concepts (même les concepts abstraits) dérivent leur sens de l’expérience corporelle directement ou indirectement (par exemple via une projection métaphorique). Sur ce sujet, voir Lakoff 1987 : 266-268. 15 Nous traduisons de l’anglais. 16 Pour une discussion détaillée sur ces métaphores, voir Johnson 1987 : 66-100. Une de ces métaphores homéostatiques concerne la conceptualisation de la haine, qui est conçue dans un grand nombre de langues par l’intermédiaire de la métaphore conceptuelle LA HAINE EST UNE SUBSTANCE (GAZ/ LIQUIDE) À L’INTÉRIEUR D’UN CONTENANT (voir Kövecses 1999 : 146). Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid 91 déesse Thémis, une femme aux yeux bandés qui porte un glaive et une balance. Les personnages du Cid sont partagés entre deux mobiles. Le premier est l’idéal aristocratique de la générosité, dont Descartes a fourni une des définitions les plus connues dans Les passions de l’âme (1649) : Ainsi je crois que la vraie générosité […] consiste seulement partie en ce qu’il connaît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, […] et partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures. Ce qui est suivre parfaitement la vertu. […] Ceux qui sont généreux […] sont naturellement portés à faire de grandes choses […]. (Descartes 1996 [1649] : 195) Malgré leurs tergiversations, Chimène et Rodrigue se décident à agir en généreux, c’est-à-dire selon ce qu’ils croient juste, comme l’affirme la première : « […] Ma générosité doit répondre à la tienne : / Tu t’es, en m’offensant, montré digne de moi ; / Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi ». (acte III, scène IV) Dans un premier temps, elle affirme que, en dépit de ses divisions tragiques, elle suivra la voie de la vengeance sans hésitation : « Je cours sans balancer où mon honneur m’oblige. » (acte III, scène III) Le dilemme de justice dans Le Cid apparaît comme une question de ce que Johnson (1987 : 95) appelle la mathématique morale, forme de raisonnement dominé par le schéma BALANCE : si les conséquences bonnes d’une action emportent la balance sur les conséquences mauvaises, elle est juste ; si les bonnes actions d’une personne sont plus considérables que ses mauvaises actions, cette personne ne peut pas être réprouvée. Pour don Fernand, Chimène fait preuve d’obstination ou d’attitude simpliste précisément parce qu’elle se refuse à concevoir la justice via le schéma BALANCE et ne pèse pas l’offense du comte ni la valeur ni les mérites de Rodrigue : Ma fille, ces transports ont trop de violence. Quand on rend la justice on met tout en balance : On a tué ton père, il était l’agresseur ; Et la même équité m’ordonne la douceur. […] Et quoi qu’ait pu commettre un cœur si magnanime, Les Mores en fuyant ont emporté son crime. (acte IV, scène V) Kalervo Räisänen 92 Le Cid pourrait se définir ainsi comme une tragédie de l’obstination, pour emprunter un terme de Mark William Roche 17 , si la fin n’était heureuse et si Chimène ne s’était abaissée par les deux quiproquos humiliants non exempts de comique qui font connaître ses vrais sentiments à l’égard de Rodrigue 18 . Le deuxième mobile, c’est le calcul égoïste, aussi appréhendé par la projection du schéma BALANCE. Si Rodrigue choisit ce qu’il croit être la bonne action, il y est porté, dans un premier temps, par intérêt, et non par élan spontané comme le sont les natures généreuses d’après Descartes. Il met en balance deux sortes d’éventualités, dont il poursuit la plus profitable : dans les deux cas, il perd Chimène ; mais en se vengeant, il pourrait sauver son honneur. Démarche digne d’un bourgeois, dont Rodrigue ressent la contradiction avec l’idéal aristocratique : N’écoutons plus ce penser suborneur, Qui ne sert qu’à ma peine. Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur, Puisqu’après tout il faut perdre Chimène. […] Je m’accuse déjà de trop de négligence ; Courons à la vengeance ; Et tout honteux d’avoir tant balancé, Ne soyons plus en peine, Puisqu’aujourd’hui mon père est l’offensé, Si l’offenseur est père de Chimène. (acte I, scène VII) Une métaphore similaire apparaît dans le premier dialogue entre les amants (acte III, scène IV), où Rodrigue explique ses motifs et son calcul par lesquels il s’est résolu à tirer vengeance : J’ai pu délibérer si j’en prendrais vengeance. […] Et ta beauté, sans doute, emportait la balance, À moins que d’opposer à tes plus forts appas Qu’un homme sans honneur ne te méritait pas […]. 4. La métaphore et le conflit de l’amour et de l’honneur dans Le Cid Comme l’a noté Robert Garapon, l’amour se présente essentiellement sous deux formes dans la dramaturgie cornélienne. La première est l’amour géné- 17 Dans les tragédies de l’obstination, le héros soutient opiniâtrement une position invalide et en meurt ou en souffre, mais fait aussi preuve de vertus comme le courage, la loyauté ou la discipline (Roche 1998 : 60). 18 Voir l’acte IV, scène V et l’acte V, scènes V-VI. Les sentiments de Chimène se font jour aussi dans ses deux dialogues avec Rodrigue (voir l’acte III, scène IV ; l’acte V, scène I). Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid 93 reux ou idéal, librement consenti et mérité par son objet. Elle s’oppose à l’amour-désir, sentiment à la fois charnel et asservissant. (1985 : 151-152) Corneille fait lui-même une distinction similaire dans l’adresse de La Place Royale : […] j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit être toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais aimer en un point qu’on ne puisse n’aimer pas ; que, si on en vient jusque-là, c’est une tyrannie dont il faut secouer le joug ; et qu’enfin la personne aimée nous a beaucoup plus d’obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de son mérite, que quand elle vient d’une inclination aveugle, et forcée par quelque ascendant de naissance à qui nous ne pouvons résister. (Corneille 2007 : 134) Le sentiment de l’amour dans Le Cid se définit avant tout comme une force tyrannique, telle que Corneille l’expose dans ce passage. Il s’oppose au devoir, ce qui provoque une triple situation cornélienne, c’est-à-dire un triple conflit de l’amour et de l’honneur : en plus des dilemmes de Rodrigue et de Chimène, la pièce présente les flottements de l’Infante, tragiquement partagée entre les devoirs de sa naissance et son amour illégitime pour Rodrigue. Comme c’est le cas en général pour les forces mentales dans le langage psychologique, cet amour-désir est appréhendé comme un principe dynamique par l’intermédiaire des métaphores provenant principalement de domaines conceptuels plus concrets. Cette dynamisation s’accomplit dans Le Cid par une multitude de métaphores étendues. Parmi les plus importantes sont : L’AMOUR EST UNE PERSONNE 19 , L’AMOUR EST UNE MALADIE 20 , L’AMOUR EST UN POISON 21 , L’AMOUR EST UN POUVOIR MAGIQUE 22 , L’AMOUR EST UN PIÈGE 23 et L’AMOUR EST UNE ENTITÉ QUI MENACE D’ÉCLATER 24 . 19 Chimène : Mon honneur est muet, mon devoir impuissant ! / Silence, mon amour, laisse agir ma colère […]. (acte IV, scène I). 20 L’Infante : […] Et lorsque le malade aime sa maladie, / Qu’il a peine à souffrir que l’on y remédie ! (acte II, scène V). 21 L’Infante : Ah ! qu’avec peu d’effet on entend la raison, / Quand le cœur est atteint d’un si charmant poison ! (ibid.). 22 Elvire : […] dans un mal si cuisant / Votre vertu combat et son charme et sa force […] (acte I, scène II). 23 Elvire : […] Votre vertu […] en rejette l’amorce […]. (acte I, scène II) L’Infante : […] Ma gloire et mon amour ont pour moi tant d’appas, / Que je meurs s’il s’achève ou ne s’achève pas. 24 Chimène : Éclate, mon amour, tu n’as plus rien à craindre : / Mon père est satisfait, cesse de te contraindre […]. (acte V, scène V). Kalervo Räisänen 94 Mais la métaphore étendue qu’on pourrait qualifier comme le plus propre au style classique, c’est sans doute L’AMOUR EST DU FEU. Zoltán Kövecses (2002 : 116-117) a déjà donné une analyse des métaphores conceptuelles provenant du domaine de source FEU : par ces métaphores, la situation ou l’événement en question est saisi sous l’aspect de son intensité, et cette intensité est caractérisée par la correspondance « La chaleur du feu ⇒ l’intensité de la situation ou de l’événement ». La tragédie classique présente des moyens d’intensification additionnels, dont les principaux sont repérables dans les extraits suivants : L’Infante Je te répondrais bien que dans les belles âmes Le seul mérite a droit de produire des flammes ; Et si ma passion cherchait à s’excuser, Mille exemples fameux pourraient l’autoriser […] (acte II, scène V). Chimène Malgré des feux si beaux qui troublent ma colère, Je ferai mon possible à bien venger mon père […] (acte III, scène IV). Plus j’apprends son mérite, et plus mon feu s’augmente : Cependant mon devoir est toujours le plus fort, Et malgré mon amour va poursuivre sa mort (acte IV, scène II). La première de ces figures est le pluriel poétique, qui est un des moyens pour intensifier l’émotion 25 en faisant correspondre la quantité des feux ou flammes 26 à la force du sentiment. Dans le dernier exemple, l’intensité de l’émotion ne correspond plus à la quantité des feux mais aux dimensions physiques d’un feu qui s’étend. Ces exemples ne témoignent pas seulement de la violence de l’amour dans Le Cid : ils montrent que l’amour se conforme à l’idéal de Corneille car c’est le mérite qui le fortifie. Les métaphores L’AMOUR EST UNE PERSONNE et L’AMOUR EST DU FEU donnent lieu à des inférences métaphoriques chez l’Infante, laquelle croit pouvoir échapper à sa passion en unissant Rodrigue avec Chimène : Si l’amour vit d’espoir, il périt avec lui <1> ; C’est un feu qui s’éteint, faute de nourriture <2> ; 25 L’autre moyen, c’est naturellement l’hyperbole. 26 Notons que les occurrences métaphoriques des noms feu et flamme dans l’édition de 1682 du Cid sont 11 et 16. Le premier ne renvoie seulement au domaine conceptuel de l’amour mais aussi (dans un cas) à celui de la haine : « La haine que les cœurs conservent au-dedans / Nourrit des feux cachés, mais d’autant plus ardents » (acte I, scène II). Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid 95 Et malgré la rigueur de ma triste aventure, Si Chimène a jamais Rodrigue pour mari Mon espérance est morte, et mon esprit guéri […]. (acte I, scène II) Pour comprendre l’héroïne, il faut d’abord noter que ce passage contient deux inférences métaphoriques <1-2>. Le premier passage en italique joue sur la personnification et comporte les projections métaphoriques suivantes : La personne ⇒ L’amour La nourriture de la personne ⇒ L’espoir à l’égard de l’amour La vitalité de la personne ⇒ L’intensité de l’amour La mort de la personne ⇒ La fin de l’amour Tableau 2. Les correspondances métaphoriques dans le passage <1> Le deuxième exemple est une manifestation de la mégamétaphore L’AMOUR EST DU FEU et établit des correspondances similaires à la première : Le feu ⇒ L’amour Le combustible du feu ⇒ L’espoir à l’égard de l’amour La chaleur du feu ⇒ L’intensité de l’amour L’extinction du feu ⇒ La fin de l’amour Tableau 3. Les correspondances métaphoriques dans le passage <2> Ces correspondances simples accompagnent deux projections d’inférence des domaines source. Le premier raisonnement s’autorise sur le savoir que les humains périssent sans nourriture. Le deuxième repose sur le fait que les feux s’éteignent s’ils sont sans combustible. Ce sont ces projections et l’appréhension de l’espoir comme combustible et comme nourriture de l’amour qui mènent l’Infante à conclure que, si son amour est sans espoir 27 , il périra (de faim) et s’éteindra faute de combustible 28 . Outre L’AMOUR EST DU FEU, deux métaphores fondamentales chez Corneille sont L’AMOUR EST UNE TYRANNIE et L’AMOUR EST L’EXCLU- SION DE LA LIBERTÉ. Par la première, la personne aimée devient un tyran 27 Comme l’amour, l’espoir est personnifié dans l’extrait <1>, car sa fin correspond à la mort d’une personne. 28 Le feu est également personnifié, car son combustible est désigné par le mot nourriture. Kalervo Räisänen 96 et son pouvoir celui d’une autorité oppressive ; par la deuxième, le sentiment amoureux se définit comme une prison, une personne amoureuse comme un esclave et la liaison amoureuse comme une chaîne. Ces métaphores sont évoquées surtout par l’Infante, qui en fait un usage constant : […] Ainsi de ces amants ayant formé les chaînes, Je dois prendre intérêt à voir finir leurs peines. […] L’amour est un tyran qui n’épargne personne […]. (acte I, scène II) D’un lien conjugal joindre ces deux amants, C’est briser tous mes fers et finir mes tourments. (acte II, scène V) Dans l’exemple suivant, l’Infante apostrophe son amour et sa probité altière, qu’elle qualifie aussi de tyrannique : T’écouterai-je encor, respect de ma naissance, Qui fais un crime de mes feux ? T’écouterai-je, amour, dont la douce puissance Contre ce fier tyran fait révolter mes vœux ? (acte V, scène II) Les rigueurs du devoir aristocratique sont aussi dépeintes par Rodrigue, qui oppose, comme le note Garapon (1985 : 154), la « Noble et dure contrainte » du devoir à l’« aimable tyrannie » de son amour pour Chimène (acte I, scène VII). Les métaphores les plus évidentes par lesquelles le conflit est dramatisé dans Le Cid sont sans doute celles qui définissent l’amour et le devoir comme des forces opposées. Selon la vue de Mark Johnson, ces métaphores auraient sans doute en commun le fait de projeter des schémas de FORCE pour appréhender le conflit psychique ou affectif. D’après lui, les schémas d’image sont constitués d’une ou plusieurs structures gestalt récurrentes et sont des entités dynamiques qui affectent notre entendement ainsi que notre organisation de l’expérience. (1987 : 22, 26, 44) La gestalt projetée dans ces métaphores est LA FORCE COMPENSATRICE, que Johnson définit comme celle dont les joueurs de ligne du football américain sont le plus familiers : les deux forces s’opposent de sorte que ni l’une ni l’autre ne peuvent agir (id. p. 46). Deux de ces métaphores se situent dans le monologue de Rodrigue « Que je sens de rudes combats ! / Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse : / Il faut venger un père, et perdre une maîtresse » (acte I, scène VII). Le premier de ces vers décrit le conflit par le biais de la métaphore étendue LE CONFLIT INTÉRIEUR EST UNE GUERRE, qui se manifeste surtout dans les dialogues que l’Infante et Chimène ont avec leurs confidentes : L’Infante Écoute, écoute enfin comme j’ai combattu, Écoute quels assauts brave encor ma vertu […]. Le dilemme et la métaphore étendue dans Le Cid 97 Léonor […] Mais puisque dans un mal si doux et si cuisant Votre vertu combat et son charme et sa force, En repousse 29 l’assaut, en rejette l’amorce […]. (acte I, scène II) Le dialogue entre Chimène et Elvire présente des figures d’un degré de complexité additionnel, car cette métaphore s’unit avec la métonymie étendue LA PERSONNE POUR LE SENTIMENT QU’ELLE INSPIRE. Dans l’extrait suivant, le nom propre Rodrigue renvoie métonymiquement au désir charnel qui s’oppose à la colère que Chimène ressent pour son amant, désignée métonymiquement par le syntagme mon père : C’est peu de dire aimer, Elvire, je l’adore ; Ma passion s’oppose à mon ressentiment ; Dedans mon ennemi je trouve mon amant ; Et je sens qu’en dépit de toute ma colère, Rodrigue dans mon cœur combat encor mon père. Il l’attaque, il le presse, il cède, il se défend, Tantôt fort, tantôt faible, et tantôt triomphant : Mais en ce dur combat de colère et de flamme, Il déchire mon cœur sans partager mon âme […]. (acte III, scène III) 5. Pour conclure La théorie cognitive de la métaphore et sa thèse fondamentale - à savoir que la nature de cette figure est de concevoir une chose à l’aide d’une autre - sont, nous croyons, d’un intérêt particulier aux études littéraires. La théorie offre, d’une part, un système de référence pour décrire la cohérence dans les métaphores des textes littéraires ainsi que leur rapport aux métaphores conceptuelles quotidiennes. Quant au domaine de la réception littéraire, elle propose un modèle d’explication qui peut nous éclairer sur la façon dont nous attribuons un sens aux métaphores, aux abstractions et aux raisonnements, en partant d’une conception expérientaliste de la signification. Dans notre étude du Cid, cette théorie nous a servi à mettre en lumière quelques métaphores fondamentales par lesquelles les dilemmes y sont 29 Le verbe repousser projette un autre schéma de FORCE décrit par Johnson : LA COMPULSION, où une force extérieure meut un objet le long d’un chemin (voir 1987 : 45). Le verbe céder (voir le dialogue entre Chimène et Elvire) combine cette gestalt avec LA FORCE COMPENSATRICE, car céder c’est s’assujettir volontairement à une force quelconque après y avoir résisté. Kalervo Räisänen 98 dramatisés et pour expliquer comment elles servent à dynamiser les forces qui entrent en conflit dans la pièce. Avec nos exemples sur les inférences métaphoriques, nous avons établi que la théorie a son mot à dire sur la psychologie des personnages de Corneille : en ne réduisant pas les métaphores au rang des ornements stylistiques, elle peut nous aider à comprendre comment les métaphores sous-tendent la raison même des héros cornéliens. Sous cette optique, nous avons montré par exemple que l’Infante raisonne sur ses émotions comme on raisonne sur les feux et sur les êtres humains. Bibliographie Aristote (1996). Poétique. Paris : Gallimard. Corneille, Pierre (1910 [1660]). « Discours de la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable ou le nécessaire », Œuvres de Corneille. Tome I, 52-97. Paris : Hachette. — (2007 [1682]). Œuvres complètes de Corneille. (s.l.) : Bibliothèque des introuvables. Descartes, René (1996 [1649]). Les passions de l’âme. Paris : Flammarion. Garapon, Robert (1985). « Amour et liberté chez Corneille », Cahiers de l’Association internationale des études françaises 37, 151-162. Johnson, Mark (1987). The Body in the Mind. Chicago : The University of Chicago Press. Kövecses, Zoltán (1999). Metaphor and Emotion. Cambridge : Cambridge University Press. — (2002). Metaphor. A Practical Introduction. New York : Oxford University Press. Lakoff, George (1987). Women, Fire, and Dangerous Things. Chicago et Londres : The University of Chicago Press. Lakoff, George et Turner, Mark (1989). More than Cool Reason. A Field Guide to Poetic Metaphor. Chicago et Londres : The University of Chicago Press. Le Grand Robert de la langue française (2005) [Version éléctronique]. Roche, Mark William (1998). Tragedy and Comedy. A Systematic Study and a Critique of Hegel. New York : State University of New York Press. Scudéry, Georges de (1893 [1637]). « Observations sur le Cid », Œuvres complètes de Corneille. Tome second, 595-605. Paris : Firmin Didot frères. Semino, Elena et Steen, Gerard (2008). « Metaphor in Literature », The Cambridge Handbook of Metaphor and Thought. Cambridge : Cambridge University Press, 232-246. Semino, Elena et Swindlehurst, Kate (1996). « Metaphor and Mind Style in Ken Kesey’s One Flew Over the Cuckoo’s Nest », Style 30(I), 143-166. PFSCL XL, 78 (2013) Between Freedom and Tyranny: The Figure of the King in Corneille’s Le Cid and Racine’s Britannicus S ARAH T HALIA P INES (S TANFORD U NIVERSITY ) I would like to return to the core of the French literary canon which is probably best represented by the 17 th century and within it, by the theatre of Corneille and Racine from whose oeuvre I have chosen the two plays Le Cid (1637) and Britannicus (1667). At first glance these plays have not much in common: they do not play in the same society, they do not deal with the same theme, they are not written in the same style. What they have in common though is precisely what I want to look at: I want to examine how Corneille and Racine shape and constitute their characters in dialogue with the poetological tradition of their time, the Aristotelian Poetics, on which the doctrine classique is based. In order to that, I take the character of the king as an example, Don Fernand and Néron respectively, in the above-mentioned plays (which will of course also lead me to speak about the king’s subjects). I will moreover include the prefaces of both plays, i.e. the Examen of 1660 for Le Cid and the first Pr face in Britannicus and of course the Aristotelian Poetics. Texts that further helped me to shape my questions and set the focus of the argumentation, especially due to the cultural and historical impetus they provided regarding French 17 th century court society were: Auerbach’s “La Cour et la Ville”, as well as his chapter “Le Faux-Devot” in Mimesis, Jean-Marie Apostolid s’ Le Roi-Machine, and La Bruy re’s Caract res (“De la Cour”). I have chosen Le Cid and Britannicus, because Le Cid has provoked the most intense querelle 1 , which was triggered by Corneille’s noncompliance with Aristotle. Britannicus is a play, which shows more weak spots then Phèdre, in the sense that Racine was accused by Corneille and his friends for having violated the rules regarding his conception of Néron. Moreover, 1 See Gasté, La querelle du Cid. Sarah Thalia Pines 100 Racine in his first preface to Britannicus in turn attacks Corneille and his conception of characters. When La Bruy re in Les Caract res points out that Corneille “peint les homes comme ils devaient être » and Racine « tells qu’ils sont » 2 , this can also be read as a statement regarding the king and his relation to his subjects. What kind of king did the audience of the 17 th century see onstage, i.e. la cour et la ville, according to Auerbach “the leading circles of the nation” - the court nobility and the upper bourgeoisie - “immediately before and during the reign of Louis XIV” 3 ? What is his relation to his subjects? First, it is important to note that the historical frame is double in both plays: on the content side it is medieval Spain in Le Cid and imperial Rome in Britannicus, their historical context is the beginning of Absolutism (Cid) and its triumph (Britannicus). In the first case, the audience of the time is perturbed by witnessing a king who is “pas assez absolu” 4 (Don Fernand), and in the second case the audience is perturbed by witnessing a king who is too strong, so that he can transform himself into a tyrant, a monster. In chapter 8 of his Poetics Aristotle states that tragedy needs the “highly renowned and prosperous” 5 character (a nobleman) who is however not too good, not too bad, not too virtuous, not too evil: she/ he is flawed due to her/ his hubris, or hamartia [error in judgement] and whose fortune changes from good to bad. It is only with a slightly flawed character that the audience can identify, which then enables catharsis, [i.e. pity and fear or eleos and phobos] on the side of the spectator and via the hero’s downfall purification of these feelings (with a purely virtuous character this change would be merely shocking, an evil character’s change of fortune would not satisfy the moral sense): “for pity is aroused by unmerited misfortune of a man like ourselves” 6 . In the case of Le Cid and Britannicus, the identification of la cour et la ville should take place with the subjects to supreme powers, as Don Rodrigue and Chim ne start out as the ‘tragic’ characters torn between devoir and love 7 , Britannicus dies, and Junie symbolically dies by entering 2 La Bruyère, Les Caractères, “Des ouvrages de l’esprit”, 54. 3 Auerbach, Mimesis, p. 364. 4 Le Cid, Examen, p. 703. 5 Aristotle, Poetics, XIII. 6 Aristotle, Poetics, XIII. 7 See: Pringent, Le héros et l’état dans la tragédie de Pierre Corneille, especially the chapter “La genèse du héros: sacrifice, singularité, exemplarité”, pp. 33-44 and “Le triomphe de la sensibilité: figures de la féminité”, pp. 79-86 ; also : Nadal, Le sentiment de l’amour dans l’œuvre de Pierre Corneille ; Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros ; and : Minel, Pierre Corneille, le héros et le roi. The Figure of the King in Corneille’s Le Cid and Racine’s Britannicus 101 the Vestales. 8 The king as “pouvoir suprême” causes a change of their fortune. However, in Le Cid, Don Rodrigue and Chim ne move from a bad to a good fortune, they can marry, which makes Corneille’s later renaming of the play as trag die inadequate and identification impossible. Apart from the subjects, both Corneille and Racine explicitly refer to their designation of the king as ‘not too good not too bad’ characters in their prefaces, and it is precisely this conception which causes them problems on the side of their critics. Le Cid It is important to know that although Le Cid was staged for the first time in the théâtre du Marais in 1637 as tragi-comédie, it was renamed as tragédie as from 1648 and edited with an Avertissement. The Examen belongs to the rewritten version of the 1637 Cid. In 1660, and after the querelle du Cid it mirrors stricter attitude regarding the rules, i.e. vraisemblance and biens ance, and - more hesitantly - the three units. The Cid edition of 1660 is published one year before the beginning of the official reign of Louis XIV. Through Corneille’s re-writing, Don Fernand changes from a weak monarch to a stronger monarch at the birth of Absolutism under Louis XIV. In Le Cid Corneille creates a transition from the love-theme to the theme of the state, in the course of which he creates a transition from old to new subjects to the king, and from an old to a young generation. In act I scene 3 Corneille shows the audience that the figure of the powerful and independent vassal (Don Gomez) to whom the king is mutually obliged is no longer possible; the old feudal society has come to an end. The place of the independent warlord will now be filled out by the “courtisan” (Don Diegue): Don Diegue wins the office of “gouverneur du prince”. For the Dauphin’s education, the king’s decision replaces “le métier de Mars » de Don Gomez, the concrete “bataille” as “l’exemple vivant” and ‘learning by doing’ with the “exemple” and “l’histoire de ma [Don Diegue’s] vie”, and ultimately by the instruction manual and wisdom that comes with age. With this scene, a weak king who “peut se tromper” now turns into the absolutist king: “on doit […] respect au pouvoir absolu, / De n’examiner rien quand un roi l’a voulu”. The independent vassal (DG: “ce bras du royaume est le plus ferme appui” 9 ) becomes a courtesan : “Vous l’avez eu par brigue, étant vieux courtisan” 10 . Or with the words of Apostolid s, the 8 See: Schröder, “Junie, Auguste et le feu de Vesta”. 9 Le Cid, p. 10. 10 Le Cid, p. 11. Sarah Thalia Pines 102 nobility replaces its weapons and strategies on the battlefield with court etiquette, intrigue and supervision. 11 I think that this scene prefigures what will reach its peak around the time Britannicus is written. Don Diegue’s new office as gouverneur foreshadows the compliant Burrhus who instructs N ron through texts and writing, while being subject to court intrigue, whereas Don Gomes’ objection to the decision of the king is a clear act of insubordination. The discussion of the king’s decision to change the warlord into a courtesan ends with a slap and provokes a duel which Don Fernand had prohibited. Thus, the “pouvoir suprême” of the king is questioned on both sides: Don Gomes has refused an apology and Don Rodrigue has to avenge his father. These two instances - the slap violating the biens ance, the duel the vraisemblance of the time - have provoked severe criticism. Corneille’s critics considered this as an affront to the king’s power and the state, and also Don Fernand states: “S’attaquer à mon choix, c’est se prendre à moi même / Et faire un attentat sur le pouvoir suprême” 12 . Thus, Georges Scud ry states in his critique that Don Fernand should have send his guards to prevent the duel and the Acad mie confirms this later, but Corneille knows well that the action would have collapsed without the duel. In the Examen he tries to comment on the lack of vraisemblance (the king’s lack of intervention) and astonishingly explains it with Aristotle’s claim for a character that is not too good not too bad! For Corneille a weaker Don Fernand is a more vraisemblable character, and thus turns away from the reality of his time and to Guillen de Castro’s Cid: Don Fernand „étant le premier roi de Castille [...] il n’était peut-être pas assez absolu sur les grands seigneurs de son royaume. [...] C’est sur cet exemple que je me suis cru bien fond à le faire agir plus mollement qu’on ne ferait en ce temps-ci » 13 . In spite of his intentions, Corneille weakens the king on the basis of Aristotle. However, the seeming lack of control over internal affairs finds compensation in the young generation, especially in Don Rodrigue. After the duel, he is re-appropriated by the king to fight the Moors, whose military success is then rewarded with marriage. Hence the abrupt change of topic of Don Fernand when confronted with the duel: “N’en parlons plus. Au reste, on a vu dix vaisseaux…” 14 etc. On the one hand, Corneille in Le Cid creates a profound transition, the old feudal relation of mutual obligation is canceled, the king reigns alone, and both Don Diegue and Don Rodrigue are his new integrated subjects. Don Rodrigue replaces Don Gomes (“ce qu’il [the king] 11 This is the main line of argumentation of Apostolid s in Le roi-machine. 12 Le Cid, p. 31. 13 Le Cid, Examen, p. 703 14 Le Cid, p. 31. The Figure of the King in Corneille’s Le Cid and Racine’s Britannicus 103 perd au Comte il le recouvre en toi ” 15 , with Don Rodrigue in battle and with Don Diegue in instruction - with them, the audience can perhaps identify. By means of the distribution of offices and particularizations of power he can dispose of more docile subjects and as servant to the state he defends its borders: “Je ferai seulement le devoir d’un sujet” 16 . What means the control of the borders means the loss of control in the inner realms of the state; the king cannot yet do both. Don Rodrigue’s reward of exterior success and affirmation of the king’s superior power by marriage is however as invraisemblable and not biens ant as Don Gomes’ revolt. This is because the marriage is another recourse to old feudal law, according to which the woman belongs to the strongest man; she is the price for Don Rodrigue’s victory in battle: “Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix” 17 . This is an end, which was no longer possible during the reign of Louis XIII and after the Fronde, let alone during the reign of Louis XIV. During the time after the Fronde and the end of the old feudal system no noblewoman would or could marry the murderer of her father. For Corneille it is therefore important to make the end as vraisemblable as possible: he avoids staging the marriage by postponing it for a year in order to grant the couple time for re-consideration, and creates a moment of resistance in Chim ne, who refuses to marry Don Rodrigue. This violates the Aristotelian poetics twice. First, where Aristotle claims for dramatic closure onstage, Corneille - as he explains in the Examen - leaves the play end remains relatively open: “avec incertitude de l’effet; et ce n’était que par là que je pouvais accorder la bienséance du théâtre avec la vérité de l’événement” 18 . Second, as Corneille knows that the marriage is in-vraisemblable, he turns away from Aristotle’s claim for a character that should neither be too good nor to bad and makes Chim ne stronger and more virtuous, and resisting the king’s will for marrying Don Rodrigue. In his Examen Corneille states that Chimène’s “haute vertu […] a quelque chose de plus touchant, de plus élevé et de plus aimable que cette médiocre bonté, capable d’une faiblesse et même d’un crime” 19 . Since Corneille knows that the audience does not recognize the strong hero on stage anymore, and since every subject eventually has to succumb to the king’s will, Corneille explains Chimène’s silence at the end of the play as an act of opposition to the king: “Je sais bien que le silence passe 15 Le Cid, p. 54. 16 Le Cid, p. 61. 17 Le Cid, p. 74. 18 Le Cid, Examen, p. 701-702. 19 Le Cid, Examen, p. 700. Sarah Thalia Pines 104 d’ordinaire pour une marque de consentement; mais quand les rois parlent, c’en est une de contradiction: on ne manque jamais leur applaudir quand on entre dans leur sentiments.” 20 The play finishes with Chimène’s identification of the new subject Don Rodrigue - „Rodrigue l’Etat devient si nécessaire“ 21 followed by her doubtful questioning of having to be his « salaire » and with her silence. It is Don Rodrigue who applauds the king’s decision, and the king’s last words could be Corneille’s own: “Le temps assez souvent a rendu légitime, / Ce qui semblait d’abord ne se pouvoir sans crime” 22 . Although the postponement of the marriage is ultimately Don Fernand’s decision - “Laisse faire le temps, ta vaillance, et ton roi“ 23 - what was supposed to be a strengthening of the monarch’s position is in fact another weakening. Although in the Examen Corneille declares Le Cid as “une tragédie parfaite” 24 , he takes away the audience’s basis of identification with Chim ne and the king; they are invraisemblable. By depicting Chim ne as purely virtuous, implicitly objecting the king’s decision, and her change of fortune as from bad to good, and Don Fernand as not strong enough to symbolize the absolute power which the characters cannot control, he invalidates his play as tragedy; in spite of his renaming and rewriting of the 1636 edition, it remains a tragi-com die and out of time with his own present. Thus, if the king of the version at hand (1660) is still weak, this is because he was already weak in the first version (1637). Corneille could not completely change the plot, if he wanted the play to continue existing. Between 1637 and 1660 the situation changes, the feudal lords (Don Diegue and Don Gomes) gradually lose their power and the monarch in 1660 realizes that he has to become an absolute king. Thus, Don Diegue accepts to become a courtesan and Don Gomes rebels against the king, threatens him (“un sceptre qui sans moi tomberait de sa main” 25 ) and becomes a criminal against the state. The difference between the two versions is that in the 1637 version the focus is on a feud between two clans, which is resolved by an appeasing king, and in 1660 Corneille focuses on disobeying feudal lords and felony (especially Don Gomes) who provoke the king and prefer to quarrel rather than unite their forces against invading Arabs. In 1660, it is only the young generation (Don Rodrigue and Chim ne) who knows that 20 Le Cid, Examen, p. 701. 21 Le Cid, p. 84. 22 Le Cid, p. 84. 23 Le Cid, p. 85. 24 Le Cid, Examen, p. 700. 25 Le Cid, p. 19. The Figure of the King in Corneille’s Le Cid and Racine’s Britannicus 105 “quand un roi commande, on lui doit obéir” 26 (in spite of Chim ne’s disagreeing silence, she however succumbs). But their obedience maybe has their love as its price, and the end remains vaguely open. Britannicus In Britannicus, written in the middle of Absolutism, Racine creates a different king from Corneille. Not the king of an emerging absolutist power, but the king at the peak of his power, and the fear it evokes in his subjects, which is the fear of tyranny. However, Racine, by presenting a (possible) period of transition, is, even if less drastically, confronted with a similar problem as Corneille was. Which is to create a newly emerging figure without transgressing the ‘old’ rules. In his first Préface Racine comments on his conception of N ron and implicitly refers to Aristotle : “Je leur ai déclaré [his critics] dans la Préface d’Andromaque les sentiments d’Aristote sur le Héros de la Tragedie, et que bien loin d’être parfait, il faut toujours qu’il ait quelque imperfection”. 27 He further states in his second Préface: Ainsi il [Néron] ne m'a pas été permis de le représenter aussi méchant qu'il a été depuis. Je ne le représente pas non plus comme un homme vertueux, car il ne l'a jamais été. Il n'a pas encore tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs; mais il a en lui les semences de tous ces crimes. Il commence à vouloir secouer le joug (...) En un mot, c'est ici un monstre naissant (...). 28 Racine chooses the interim time of „un monstre naissant“ 29 , because he cannot stage N ron at the peak of tyranny, for reasons of biens ance (his too cruel deeds), neither can he stage a purely virtuous Néron for reasons of vraisemblance (Nero is after all a historical figure). Agripinne and Albine, through which Racine evokes two poles of rulership, render Néron’s prehistory in the exposition: Agripinne speaks of Néron as tyrant, Albine naively states that Néron has qualities of emperor Augustus. It is between these two extremes, that the unfolding of excessive power takes place. 30 Racine omits the time of Néron’s virtue and trust in his instructors Burrhus and Seneca and in his mother who could govern in his name. At the 26 Le Cid, p. 84. 27 All quotations from Racine’s work, if not otherwise stated, are from Racine, uvres complètes, I, éd. Forestier, the above quotation from the Préface of Britannicus, p. 373. 28 Britannicus, p. 444. 29 Britannicus, p. 372. 30 Regarding the complex genealogy of the „monstre naissant“ Néron see the detailed analysis of Schröder in La tragédie du sang d’Auguste. Sarah Thalia Pines 106 beginning of the play Néron has decided to govern on his own, and this is the time his true nature begins to break through. Unlike the moderate pouvoir of Don Fernand, Néron’s power is more excessive and founded on passion. He is a roi jaloux, he wants to deprive Britannicus of his lover Junie and then destroys him. He kills Britannicus (or has him killed) out of jealousy, and in order to possess Junie himself, and only in the second instance to secure his power against Agrippine. Although the 17 th century NEVER put the ‘real’ king on stage, I want to ask again what kind of king and what subjects did the audience recognize in Néron? First it can be said, that Racine shows his audience almost a sequel to Le Cid, or more precisely: what might have happened to the Dauphin, the son of Don Fernand. A now adult king liberates himself from the influence of his mother and his gouverneurs Burrhus and Seneca and is faced with his own absolute power. What was valid for Don Fernand should also be valid for him: “Un roi dont la prudence a de meilleurs objets / Est meilleur menager du sang de ses sujets : / Je veille pour les miens, mes soucis les conservent » 31 . Don Fernand was at the beginning of the consolidation of absolute power, and Néron had already exercised it with virtue. Where Don Fernand took a step back from action to instruction (of the Dauphin) and began the taming of the noblesse at court, Néron leaves the realm of instruction and acts, or, he lets acts happen, and tyrannizes his noblesse. Sadism The play begins right after Néron’s first independent act, after he has sent his soldiers to kidnap Junie. Hitherto, Néron had never seen Junie and the night of the kidnapping falls in love with her, he desires her: “j’idolâtre Junie” 32 . He secretly observes the kidnapping, whereby her half-naked and captivated body and her tears provoke in him “un désir curieux” 33 . The birth of the monster is the birth of a sadist and of jealousy (“demon envieux”, “amant jaloux” 34 ), and Britannicus turns from a political rival to a personal one. Britannicus’ offstage death is the beginning of Néron’s tyranny. For reasons of biens ance it remains in the realms of sadistic voyeurism. Néron is a king who from a hidden place observes his court, not only the kidnapping of Junie, but also the meeting between Britannicus and Junie, which he had arranged himself and during which Junie is supposed 31 Le Cid, p. 31. 32 Britannicus, p. 389. 33 Britannicus, p. 389. 34 Britannicus, p. 400; 414. The Figure of the King in Corneille’s Le Cid and Racine’s Britannicus 107 to revoke her love for Britannicus. Néron, before the actual scene, is sadistically looking forward to witnessing the suffering and pain of Junie and Britannicus: “Elle aime mon rival, je ne puis l'ignorer; / Mais je mettrai ma joie à le désespérer. / Je me fais de sa peine une image charmante, / Et je l’ai vu douter du coeur de son amante.” 35 And even after the scene he longs for more. He tells Narcisse to further torment Britannicus: “Par de nouveaux soupçons, va, cours le tourmenter; / Et tandis qu'à mes yeux on le pleure, on l'adore, / Fais-lui payer bien cher un bonheur qu'il ignore.” 36 In Britannicus and as opposed to Le Cid, Racine creates a movement of concentration; he moves from exterior threats to the most inner realms of the court. Whatever challenges absolutist power is held under immediate surveillance, and it is inseparable from personal rivalry, jealousy and court intrigues. Hence the court is an invisible net of eyes, it is a panoptical space at the center of which is the king. Thus, Junie states: “Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance. / Ces murs même, […], peuvent avoir des yeux, / Et jamais l’empereur n’est absent de ces lieux” 37 . In Britannicus the king is not alone; his power is embedded in the wider network of the court. He lets his soldiers and ministers act, he himself is physically passive. He passively observes, he does not touch Junie but fantasizes about her from a distance. Also, it remains unclear who gave the cup with the poisoned drink to Britannicus; as Burrhus’ report skips this. Interestingly, Burrhus describes the courtesans who are present at the death of Britannicus almost in the words of La Bruyère: “ceux qui de la cour ont un plus long usage / Sur les yeux de César composent leur visage” 38 . People at the court of Néron are La Bruy re’s impenetrable statues: “la cour est comme un édifice bâti de marbre, […] composée d’hommes fort durs, mais fort polis” 39 ; they have mastered the art of dissimulation. Certainly, the audience - la cour et la ville - must have been uncomfortably familiar with the specific figure of the king whom they saw embodied on stage by Néron. Louis XIV’s enthronization was followed by a period of jealousy and suspicion as regards the ambitions of his then minister of finance Fouquet, whom he expropriated and imprisoned until the latter’s death in 1680. The imprisonment of Fouquet was one of his first independent acts after his mother Anne d’Autriche and Cardinal Mazarin had entrusted him with the state affairs - a constellation reminiscent of the triangular power constellation between Néron, Agrippine and Bhurrus that 35 Britannicus, p. 401. 36 Britannicus, p. 401. 37 Britannicus, p. 400. 38 Britannicus, p. 433. 39 La Bruy re, Les Caractères, 10, “De la cour”. Sarah Thalia Pines 108 is beginning to fall apart in the play. The play seems to moreover foreshadow the affaire des poisons - who put the poison in Britannicus’ cup, Néron himself, or one of the bystanders that belong to the wider network of the court? - and plays with the reality of courtly life as a life under constant surveillance. Regarding Britannicus and Junie, Racine adhered to the Aristotelian Poetics. As he states in his first Préface, all his characters are based on Tacitus’ Annals, which according to the Aristotelian Poetics allowed him to slightly modify the characters. He makes Britannicus two years older than he really was, in order to render him more vraisemblable. Moreover, Britannicus is neither too good nor too bad, he disposes of “qualités ordinaries” (“beaucoup de cœur, beaucoup d’amour, beaucoup de franchise, beaucoup de crédulité” 40 ). His flaw consists in hamartia due to his naïve youth: he misinterprets the situation and does not believe, in spite of Junie’s warnings, that Néron will do him harm, and perishes. Also Junie is presented “plus retenue qu’elle n’était” 41 ; she is not the purely virtuous but incestuous character in Tacitus, which would be equally invraisemblable and not biens ant to the audience. Let me conclude. Both, Corneille and Racine turn to historical subjects. The far past, i.e. the time of the Roman emperors and their power as whose heir Louis XIV considered himself was certainly more vraisemblable to la cour et la ville than medieval Spain and the old feudal society. However, seen from the perspective of the audience, both authors create kings and place them in a period of power transition. Corneille creates a king who is confronted with a strong noblessse that is in conflict with absolute power. While Don Fernand fails to successfully subject all his subjects to the raison d’état on an internal level (Chim ne and Don Gomes), he nevertheless manages to do so on an external level: with Don Rodrigue Corneille puts a new subject on stage, i.e. the ‘public servant’ who acts in accord with the monarch’s will, who is no longer an independent warlord but integrated into the body politic of the absolute state. Whereas in Le Cid the full establishment of absolutist power is an affair of the future, in Britannicus absolutist power as an exercise of virtue and prudence belongs to the past. Néron has integrated his subjects into the body politic to such a degree that he perverts the one sided power relation between him and Britannicus and Junie. The suppression of their will no longer serves the benefit of the state and Néron’s power assurance, but they turn into marionettes of Néron’s desire. 40 Britannicus, p. 444. 41 Britannicus, p. 373. The Figure of the King in Corneille’s Le Cid and Racine’s Britannicus 109 Amusement and plaisir, which, as Apostolid s in Le Roi-Machine explains 42 , fills out the lack of military power of the noblesse in the 17 th century after the Fronde is turned into a sadist and egocentric game at court, which is controlled by the panoptical gaze of the hidden king, and impenetrable courtiers. I will conclude with the Aristotelian Poetics. As I tried to show, both authors (Corneille in the Examen and Racine in his Préface) justify their conception of not only the king’s subjects, but also of the king against the background of the norm, i.e. Aristotle’s Poetics, in order to make them vraisemblable to the audience of their own time, and Corneille fails and Racine succeeds. Almost 30 years earlier the Académie Française had set up the rules of the doctrine classique in order to protect the intellectual interests of the state; art should act in conformity with the authority of the monarch, the taming of baroque démesure led to classical m sure. The question of the conception of characters in Le Cid and Britannicus is ultimately a question of Aristotelian mimesis, which is obliged to the principle of verisimilitude. This means that both action and character have to be credible for the audience. As I explained at the beginning, Aristotle therefore prefers a character who is morally neither to good nor too bad, and errs like Oedipus (hamartia) which then causes his downfall. Second, it means that the presented action does not have to be based on a historical event, but has to imitate an action such as it “may happen according to the law of probability and necessity” (IX). Starting from the same poetic norm, Corneille and Racine go into opposite directions. What is remarkable is that both write (rewrite) their plays around the same time, for the same audience, and with the same norm (Aristotle’s Poetics) in mind, but the outcome is almost a chiasm. Racine’s slight distancing from and variation of the historical model (the Annals of Tacitus) is conformity to the rules and vraisemblable characters, whereas Corneille’s stricter adherence to the historical model inevitably leads to a breaking of the rules in the eyes of the audience and the Académie due to invraisemblable characters. Thus, Corneille’s depiction of the particular event is precisely NOT what he is supposed to do according to Aristotle, because it means the reduction of the poet to a historian, and a reduction of character that resists identification. Corneille’s narrow conceptualization of mimesis to the audience means vagueness of character, which are alien to la cour et la ville. Racine’s wider conceptualization of mimesis means confinement of character and is accompanied by a reduction of space (the panoptical court, an overpowerful king and impenetrable courtisans) [of course reinforced by 42 Apostolid s, Le roi-machine. Sarah Thalia Pines 110 the three units] which leads to an explosion of the interior that is masked in the everyday according to La Bruy re, but whose outbreak on the stage finally produces the cathartic discharge of tension and anxiety on the side of the audience, and makes both Néron and his subjects vraisemblable to the present of la cour et la ville, while it reminds them of what they are outwards and inwards: outside “hommes fort durs, mais fort polis”, “il [leur] faut une disgrâce […] pour le[s] rendre plus humain[s]” 43 , and what should never happen: the fall from the king’s favour. Works cited Apostolidès, Jean-Marie. Le roi-machine. Specatcle et politique au temps de Louis XIV. Paris: Minuit, 1981. Aristotle. Poetics. 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PFSCL XL, 78 (2013) Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques : La Mort de Sénèque de Tristan (1644) et La Mort d’Agrippine de Cyrano (1647) S TELLA S PRIET (U NIVERSITY OF S ASKATCHEWAN ) Très jeune, Latron s’en était pris à ce que les Grecs appelaient « logos » et que les anciens Romains nommaient « ratio ». C’est la raison. Il commença ses paradoxes par la discussion suivante : « Celui qui l’emporte au cours d’une controverse peut avoir tort. Celui qui sait mal argumenter peut avoir raison. » Pascal Quignard, La Raison (1990 : 13) Dans plusieurs tragédies politiques du XVII e siècle, une conjuration est fomentée par les protagonistes dans le but d’assassiner un tyran qui fait régner la terreur. Ces pièces, même si elles peuvent être analysées conjointement 1 , présentent toutefois d’importantes divergences au niveau des stratégies mises en place par les conspirateurs pour ne pas divulguer le complot ourdi. En effet, dans La Mort de César de Scudéry (1637) par exemple, le secret n’est jamais éventé et les protagonistes ne sont donc pas directement mis en péril, alors que dans Cinna (1639), le héros capitule 1 Si les « tragédies de conjuration » peuvent former une catégorie spécifique, des écueils apparaissent toutefois puisqu’il est difficile d’établir des critères systématiques pour les caractériser et que la sélection même des œuvres pouvant être regroupées sous cette étiquette pose problème. En effet, R. Guichemerre (1982) et D. Moncond’huy (1998) par exemple, sélectionnent essentiellement quatre pièces : La Mort de César (Scudéry), Cinna (Corneille), La Mort de Sénèque (Tristan) et La Mort d’Agrippine (Cyrano), mais plusieurs autres auteurs critiques, répertoriés par Bruno Tribout (2010), élargissent progressivement le corpus. Stella Spriet 112 presque immédiatement. Face aux injonctions d’Auguste : « Parle, parle, il est temps » (V, 1), il rétorque : Je demeure stupide : Non que votre colère ou la mort m’intimide : Je vois qu’on m’a trahi, vous m’y voyez rêver, Et j’en cherche l’auteur sans le pouvoir trouver. (V, 1) Au contraire, les pièces de Tristan et de Cyrano, respectivement La Mort de Sénèque et La Mort d’Agrippine, sont emblématiques d’une pratique déconcertante du mensonge car le tyran a certes connaissance des plans tramés contre lui, mais il se heurte à une forte résistance lorsqu’il somme les conjurés de se dénoncer. Ces derniers s’appuient alors sur les preuves éthiques et logiques pour faire croire en leur innocence. En effet, dans les scènes de confrontation, le règne des apparences, fondé sur le pouvoir des masques oratoires, est sans cesse favorisé puisque les personnages voilent leurs véritables intentions et résistent aux menaces proférées. Il en résulte alors un « miroitement sans fin entre énoncé et énonciation, réel et imaginaire, sens et effets où nous reconnaissons les vertiges et fascinations de l’art baroque. (Marin, 1988 : 25) » L’illusion générée par la nécessaire (dis)simulation montre bien que la scène politique, tout comme la scène théâtrale qui en constitue un paradigme, suppose une véritable réflexion sur la labilité des signes et s’appuie sur l’art de l’acteur qui doit parfaitement maîtriser son rôle. De surcroît, en ce qui concerne les arguments développés, dans la mesure où le plus ingénieux des locuteurs l’emporte, les personnages doivent puiser dans toutes les ressources du langage afin de persuader et de séduire leurs adversaires. Certains cryptent donc leurs propos et misent sur l’étoilement du signifiant pour convoquer des sens multiples, alors que leurs opposants s’efforcent de déchiffrer chacune des paroles prononcées. Le processus herméneutique est ainsi à l’œuvre car il est nécessaire de déceler l’invisible sous le visible et de ne pas s’en tenir à la simple surface. Ces deux pièces, structurées autour d’affrontements oratoires, font pénétrer les spectateurs dans la sphère des arcana imperii. Les conjurés, pris en flagrant délit, devront développer maintes tactiques pour réfuter les accusations portées contre eux, tâche qui demande technique et maîtrise si l’on en croit Quintilien : […] Ce n’est pas sans raison que l’on a toujours cru, comme Cicéron l’atteste souvent, qu’il est plus difficile de défendre que d’accuser. D’abord, l’accusation est chose plus simple : il y a en effet une seule façon de la présenter ; il y en a beaucoup de la détruire ; il suffit en général à l’accusateur que les charges soient vraies, tandis que le défenseur, lui, nie, justifie, conteste la compétence, excuse, demande l’indulgence, adoucit, atténue, détourne, discrédite, ridiculise. Aussi, du côté de l’accusation, l’action Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques 113 oratoire, est-elle, en quelque sorte, directe, et, si j’ose dire, criarde ; de l’autre, il faut mille détours et mille artifices. De plus, l’accusateur apporte de chez lui la plupart de ses moyens déjà prêts ; le défenseur doit souvent même riposter à des allégations imprévues. (2003 : 183) Les plaidoyers pro domo développés par les accusés permettent de mesurer les conditions d’efficacité du discours et de voir dans quelle mesure la vraisemblance rhétorique, la vérité (re)construite, l’emporte ou non, sur le vrai. Il s’agira en effet, pour les conspirateurs, d’élaborer une fiction capable de justifier leurs actions et de susciter l’adhésion de leurs interlocuteurs, car en aucun cas l’écheveau du secret ne doit être démêlé. Dans les deux œuvres cependant, malgré l’éloquence déployée par les protagonistes, la tentative de coup d’État est finalement déjouée et le gouvernement en place pérennisé. Il en résulte une nécessaire interrogation sur les raisons de ces échecs et sur les éléments qui viennent parasiter les propos tenus par ces maîtres ès rhétorique, comme la confiance accordée ou non à l’orateur. Puisque la conjuration n’aboutit pas, il n’y a pas d’explosion de violence 2 dans ces pièces, (même si celle-ci irrigue toutefois les discours des protagonistes, en particulier chez Cyrano), mais les coups de théâtre sont nombreux car les personnages utilisent différentes techniques pour parvenir à leur fin, créant parfois la plus grande surprise des spectateurs. I. La Mort de Sénèque : une approche paradoxale de la vérité La pièce de Tristan reprend l’épisode de la conjuration de Pison évoqué dans les Annales de Tacite (XIV, 52) et commence au moment où le recours à l’action a été entériné par les conjurés car plus rien ne peut désormais convaincre Néron, le « monstre maudit » (II, 4) et le « fléau des dieux » (II, 4), de respecter les lois de la cité. En effet, dès la scène d’exposition, Sabine invite l’empereur à se défier des pouvoirs de la parole 3 alors qu’il s’apprête à recevoir Sénèque, son précepteur. Le portrait qu’elle campe de ce dernier met en avant la puissance de son discours : Il ne lui faut qu’un trait de sa vaine éloquence, Pour te faire excuser des mots de conséquence, Sa parole attrayante a des inventions Pour te faire approuver ses noires actions (I, 1, nous soulignons) 2 Seules les étapes préparatoires à l’action, la « phase de prudence » (Naudé), sont exposées. 3 Cet aspect peut être mis en rapport avec le genre de la tragédie. Stella Spriet 114 Les termes « inventions » et « actions », surdéterminés à la rime et mis en valeur par les diérèses, mettent en évidence l’efficacité persuasive de la sophistique, qui permet de justifier tous les comportements et de renverser toutes les conceptions préétablies en se fondant sur une argumentation logique. Même hostile, tout auditoire peut donc potentiellement être charmé puisque, comme le note Paul Ricœur, « bien dire » rend possible de « disposer des mots sans les choses ; et de disposer des hommes en disposant des mots (1997 : 15, nous soulignons) ». Cependant, à l’ouverture de la pièce, la déclaration initiale de Néron montre bien que les paroles de Sénèque n’auront plus de prise et que le discours n’aura plus d’effet pragmatique quels que soient les arguments proposés, car l’ethos de l’interlocuteur fait écran : « Vois si facilement on me peut abuser / Et lequel de nous deux sait le mieux déguiser. » (I, 1) Les propos de Sénèque témoigneront par la suite de cette nouvelle disposition de l’empereur, puisqu’il indiquera aux autres conjurés : Je pourrais essayer d’en arrêter le cours [de ses actions] S’il ne fallait user que de simples discours […] (II, 4) Le titre de la pièce signale donc la défaite oratoire de Sénèque qui se suicidera par la suite, et les conspirateurs, dont font partie Epicaris, Natalis et Sévinus, exhortent alors leurs partisans à agir, mais ils seront dénoncés par les traîtres Procule et Milicus. L’œuvre repose sur trois scènes de confrontation triangulaire au cours desquelles Néron est en position d’arbitre et où les conspirateurs mis sur le banc des accusés vont investir chacune des failles des discours de leurs adversaires pour prouver leur pseudo-innocence. La première et plus importante oppose Procule à Epicaris (III, 1), et est ainsi décrite dans l’argument de la pièce : « Néron averti par Procule qu’Epicaris forme une conjuration contre lui, l’interroge sur cet attentat, lui confronte son accusateur, et bien qu’elle se défende adroitement du crime, ordonne qu’on lui présente la question. » Au cours des scènes précédentes, des indications avaient déjà été données sur les deux personnages, permettant au spectateur de prendre immédiatement parti pour Epicaris. Celle-ci suscite effectivement l’admiration tout au long de l’œuvre et incarne les valeurs stoïciennes prônées par Sénèque, prête à se sacrifier pour ne pas trahir sa cause. Lorsqu’elle est présentée, c’est son habileté oratoire qui est valorisée : après le long discours délibératif prononcé pour inciter les opposants de Néron à l’action, Pison la décrit ainsi : Généreuse amazone, esprit tout héroïque, / Ce discours véhément nous émeut et nous pique ; […] (II, 1) Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques 115 Et dans la scène suivante, Lucain précise : « Fille égale à Minerve en beauté de visage, / En force d’éloquence, en grandeur de courage. » (II, 2) En revanche, quand il s’agit de brosser le portrait de Procule, celui-ci apparaît comme « une âme assez faible, ardente à l’intérêt » (II, 3) et revêt toutes les qualités du traître 4 alors qu’il n’est pas encore entré en scène ; les protagonistes se défient donc de lui. Interrogée tout d’abord par Néron au sujet de ses activités politiques, Epicaris nie les faits sans manifester le moindre trouble, d’où la perplexité de l’empereur, soulignée par l’interjection initiale : « Ah qu’elle est assurée en tenant ce langage ! » (III, 1) En effet, comme au XVII e siècle le corps est un support sur lequel s’inscrivent et se lisent aisément les émotions, le bon orateur, comme le bon acteur, doit savoir dissimuler et ne rien laisser paraître. Ne pouvant obtenir d’aveux, Néron va faire entrer en scène son témoin, et ouvrir le « procès » d’Epicaris. Au cours de cette dialectique éristique, aucune preuve formelle ne peut être fournie, ce qui rendra le jugement très difficile 5 : tout repose donc sur la capacité de chacun à convaincre et sur leur parfaite maîtrise de la parole, bien plus que sur la vérité des faits. La stratégie d’Epicaris consiste à disqualifier son adversaire et à reprendre sans cesse l’initiative dans le but de contre-attaquer. En effet, alors que Néron présente son accusateur sous un jour favorable, soulignant « qu’il commande à deux mille soldats », l’ethos du guerrier est immédiatement mis en question : « Je sais mieux qu’à l’amour il ne résiste pas » réplique l’héroïne. Cette indication, introduite avant même que Procule ne se soit exprimé, lui permet de renverser l’accusation. Elle opère ainsi un coup de force, puisqu’un passage a lieu de la sphère du pouvoir et des intérêts d’État au domaine privé : il ne s’agit plus, d’après la relecture proposée, d’une entreprise glorieuse menée par Procule, mais d’une simple scène de dépit amoureux. Ce dernier est ainsi décrédibilisé, ce qui incite logiquement Néron à mettre en doute ses propos. En effet, « l’ethos est pour Aristote la plus efficace des preuves quand l’argumentation repose non sur le vrai, mais 4 L’héroïne le décrit de la façon suivante : « Aussi quoi qu’il témoigne, et même avec fureur, / Que le nom du tyran lui donne de l’horreur ; / Et qu’il jure en plaignant la publique misère, / Qu’il pourrait bien traiter le fils comme la mère / Bien qu’à faire le coup il témoigne à s’offrir, / J’évite sa rencontre, et ne le puis souffrir : / Car je sais qu’à l’emploi d’une si belle tâche, / Il faut une âme noble et non pas une lâche / C’est un certain Procule. » (II, 3) 5 Selon Quintilien : « […] le type d’accusation (qu’on appelle « obscur »), à savoir ce qui concerne des faits qui se sont passés, dit-on, secrètement, sans témoins ni indices probants, est par nature assez faible. Il suffit en effet que l’adversaire ne puisse fournir de preuves. » (2003 : 187) Stella Spriet 116 sur le vraisemblable ou le douteux. Le crédit de l’orateur est alors un facteur décisif, car la mise en confiance de l’auditoire ouvre la voie de la persuasion. » (Declercq, 1993 : 47). L’image oratoire reconstruite affectera donc l’efficacité du discours de Procule et le rendra inapte à persuader : l’énonciation viendra constamment brouiller l’énoncé. En ce qui concerne les événements présentés dans le cadre de la fabula, le spectateur sait cependant, comme l’avait rappelé Epicaris à l’acte I, que Procule avait approché l’héroïne en simulant des sentiments amoureux dans le but de la mettre en confiance et de la pousser à révéler son secret : la ruse du guerrier se retourne contre lui. Lors de la confrontation, le soldat est interrompu à plusieurs reprises et l’héroïne peut ainsi recentrer chaque fois le débat sur la question amoureuse qui devient un véritable leitmotiv dans son discours : Ne me regarde point si tu veux réussir, / Mes yeux ont un éclat qui pourra t’adoucir. […] De quoi s’agit-il donc ? Mais ne te trouble pas. (III, 1) La topique de l’éblouissement par le regard est exploitée, engendrant une inversion des rôles : c’est désormais au soldat de se justifier et de révéler ses intentions. L’insistance sur le pseudo « trouble » est bien entendu calculée car elle invite à croire à la culpabilité de Procule. L’héroïne met donc l’accent sur l’actio de son adversaire dans le but de montrer qu’il est un bien mauvais acteur, et elle va ensuite souligner les contradictions de son discours. La pratique agonistique de la parole révèle la supériorité d’Epicaris, qui parvient à imposer sa version - mensongère - des faits et à convaincre l’empereur de son innocence. Il en résulte une approche paradoxale de la vérité, liée à l’écart qui se creuse entre une anti-rhétorique (Procule) et une rhétorique sophistique (Epicaris). En effet, comme l’a montré Michel Foucault (1974), la parfaite maîtrise de la parole est à double tranchants puisqu’elle représente, pour certains, une véritable force d’exclusion. Tel est ici le cas dans la mesure où la maladresse du guerrier est probante. Il commence sa déclaration en présentant les faits, mais chacune des questions que pose Epicaris vient subtilement introduire le doute dans l’esprit du juge, conformément à la méthode proposée par Quintilien : Pour le débat, il est donc besoin avant tout d’un talent prompt et mobile, d’un esprit disponible et pénétrant. Il ne s’agit pas en effet de réfléchir mais de répondre du tac au tac et il faut allonger un direct presque avant toute tentative de l’adversaire. (2003 : 199) Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques 117 Questionné sur les circonstances exactes dans lesquelles s’est déroulé l’aveu, la réponse du soldat semble donner raison à l’héroïne, qui met adroitement en valeur sa victoire oratoire et raille son interlocuteur : Epicaris : Ne fût-ce pas un soir ou parlant de services / De larmes, de soupirs, de maux et de supplices / En voulant avancer ta bouche sur mon sein, / Tu reçus à plein bras un soufflet de ma main ? Procule : C’était auparavant. Epicaris : Ô surprise plaisante ! […] Il s’est trahi lui-même, ô César, qu’en dis-tu ? M’en veut-il pour mon crime ou bien pour ma vertu ? (III, 1, nous soulignons) La tentative de manipulation des émotions de l’empereur est perceptible à travers la manifestation ostensible de son étonnement (« O surprise plaisante ! »). L’accusateur vient de tomber dans le piège et de témoin à charge, il devient témoin à la défense : cette réponse confirme en effet l’hypothèse d’Epicaris selon laquelle la jalousie est le ressort principal de cette mise en cause. L’hybridation du vrai et du faux permet à l’héroïne de s’ériger en innocente victime ; elle montrera que des informations capitales sont manquantes dans le récit des faits proposé par son adversaire. Alors que la conversation aurait été centrée sur la conjuration, elle s’étonne par exemple que Procule ne soit pas en mesure de donner un seul autre nom que le sien. Les deux récits étant bien entendu aporétiques, le mensonge vraisemblable d’Epicaris est plus crédible que le rapport des faits véritables établis par le guerrier. Les qualités essentielles de l’orateur, c’est-à-dire, selon Quintilien, le « souffle puissant » ajouté à « la force et la parure de l’éloquence » (2003 : 199) caractérisent le discours de l’héroïne et sont dénoncées par le soldat qui s’exclame : « Si tu parles toujours tu gagneras ta cause » (III, 1, nous soulignons). La sincérité de ce dernier, qui tente maladroitement de faire valoir la vérité, semble donc de peu de poids face aux arguments de l’héroïne : « Je suis rude et grossier, elle adroite et subtile : / Mais juge de mon cœur, et non pas de mon style » (III, 1). Il tente en cela d’éviter qu’une équation ne se crée entre éloquence et vérité, que le « bien dire » ne l’emporte sur le « dire vrai » 6 . Finalement, Epicaris interpellera directement Néron : « Crains-tu tant une fille ? » Son propre ethos, associé inéluctablement à tout un ensemble de poncifs, lui permet de se présenter comme un personnage incapable d’avoir un rôle déterminant sur la scène politique. L’empereur décide alors qu’une ultime vérification sera effectuée et la soumettra à la question. Le spectateur sera finalement informé par un tiers du fait que sa constance est 6 C’est la distinction établie par Ricœur (1997). Stella Spriet 118 telle qu’« [e]lle a tout renversé sur son accusateur, / Et Procule à Néron paraît un imposteur » (IV, 1). Le mensonge l’emporte donc ici sur la vérité, mais la vision proposée par Tristan reste cependant parfaitement éthique, puisque les conjurés agissent pour le bien de la Cité. Par ailleurs l’auteur avait bien pris soin de faire de Procule un traître. La victoire oratoire d’Epicaris et sa supériorité technique sont encore redoublées par la défaite d’un autre conjuré : Sévinus (III, 4), ce qui renforce parallèlement la tension dramatique. En effet, dénoncé par son ancien affranchi Milicus, une seconde confrontation triangulaire se met en place. Le Sénateur, après avoir répondu à toutes les questions de Néron tentant de le forcer à se démasquer, utilise la même stratégie qu’Epicaris, visant à décrédibiliser son adversaire et misant sur la preuve éthique. A Néron qui lui demande de tout confesser et qui relaie les accusations du traître, il répond : Moi je dis le contraire. Lequel va de nous deux passer pour imposteur ? Doit-on croire un esclave ou bien un Sénateur ? Celui qui porte encor les marques de sa chaîne, Ou celui qui travaille à la grandeur Romaine ? […] (III, 4) Les rimes établissent de très claires oppositions : « imposteur / Sénateur », « chaîne / grandeur romaine », dans le but d’attester de la supériorité du conjuré sur son adversaire. Cependant, contrairement à la scène précédente, un coup de théâtre va avoir lieu, créant un important suspense puisque la scène s’achève sur une conversation entre Néron et l’esclave qui laisse le spectateur dans l’expectative : Milicus : César, ce Sénateur saura bien se défendre S’il peut parer un trait dont je le vais surprendre ; Nous le verrons au bout de sa subtilité, Il ne te pourra plus cacher la vérité, Fais... Néron : Qu’avec Sévinus quelqu’un des miens demeure ; Attends dans ce jardin, Je reviens dans une heure. (III, 4, nous soulignons) Un plan, qui n’est pas connu par le spectateur, a donc été orchestré par Milicus et la conversation reprend après une courte ellipse, à l’acte IV, scène 4. On apprend par Rufus à la scène 1 de ce même acte, que « Son affranchi (celui de Sévinus) l’accuse avec tant d’assurance / Que César en ce fait trouve de l’apparence. » Lorsqu’il est question de Natalis 7 , un autre conjuré 7 Pison avait effectivement déclaré lors de la préparation de l’attentat : « Pour voir donc en ce jour nos souhaits accomplis, / Il faut que Sévinus aille voir Natalis » (II, 4). Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques 119 chargé d’aider aux préparatifs de l’assassinat, Néron relève les signes qui trahissent le Sénateur : « À ces mots tu pâlis ? » (IV, 4), première marque de faiblesse du personnage. Cependant, ce dernier parvient à masquer quelque temps sa surprise grâce à une parade qu’il trouve, endossant le masque de la vertu et prétendant être accusé à tort : « C’est de douleur que j’ai de voir mon innocence / Par de mauvais rapports suspecte à ta puissance. » (IV, 4) Après quelques répliques, Néron va finalement porter le coup fatal en posant une question directement sur la conversation avec Natalis, montrant qu’il connaît certes le projet d’assassinat, mais également les circonstances exactes dans lequel celui-ci doit se dérouler : Néron : Ô long déguisement ! Sont-ce là tous les propos que vous eûtes ensemble ? Sévinus : C’est tout ce qu’il fut dit, au moins comme il me semble. Néron : Et de Lateranus n’en fut-il point parlé ? Sévinus : Ô Natalis perfide ! As-tu tout révélé ? Fut-il jamais parlé de lâcheté plus haute ! Ô que de gens de bien vont périr par ta faute ! Et comme Lateranus avait justement été chargé d’administrer les coups mortels 8 , cette attaque fait définitivement capituler Sévinus. Une rétrolecture permet alors au spectateur de comprendre le piège préparé plus tôt par Milicus, piège qui a parfaitement fonctionné : se voyant trahi par ses alliés, le conjuré demande pardon à l’empereur et va dès lors révéler le nom de ses complices. C’est dans ce contexte qu’a lieu la troisième et dernière confrontation, qui oppose, et ceci constitue un nouveau coup de théâtre, Sévinus à Epicaris. Ceci instaure un doute quant aux motivations des conjurés dans l’esprit du spectateur puisque le Sénateur prend ici le rôle du traître, tentant d’arracher des aveux à l’héroïne qui « garde un secret dangereux » (V, 2). Elle réplique à son ancien acolyte, niant tout d’abord d’être impliquée dans la conjuration, et refusant ensuite de donner le moindre nom : Moi ? Je ne connais rien que ta seule imprudence : Et si visiblement tu la fais éclater, Qu’il n’est pas de besoin de la manifester. (V, 3) Figure de la résistance face à la tyrannie, elle déclare finalement, face aux menaces : « Ma vie en dépend bien, mais non pas mon honneur », ajoutant 8 Le projet d’assassinat est décrit de la façon suivante : « Il faudra que d’abord Lateranus l’arrête / Feignant de le supplier de lire une requête, / Et donne le signal à tous les conjurés / Lui tenant de ses bras les deux genoux serrés / Et lors étant mêlés avec les gens de guerre, / De cent coups de poignard nous le mettrons par terre. » (II, 4) Stella Spriet 120 un peu plus loin que si Brutus est mort, son nom ne l’est cependant pas. L’empereur, ne pouvant rien contre elle, la condamne finalement à une mort cruelle. Ainsi, Néron triomphe donc, parvenant à démanteler la conjuration, mais Epicaris, l’héroïne tragique qui incarne la magnanimitas 9 , a bien entendu la faveur des spectateurs, et sa victoire est incontestable. 2. La Mort d’Agrippine : équivoque et torsion sophistique Si l’héroïne de Tristan parvient à remporter l’adhésion de son juge dans la principale scène de confrontation et à rendre vraisemblables les mensonges qu’elle énonce, les personnages de Cyrano n’en sont pas moins inventifs. L’intrigue de La Mort d’Agrippine 10 est particulièrement complexe car les rebondissements sont très nombreux. La libido dominandi caractérise ici tous les protagonistes, d’où le recours permanent à la métis, à la parole captieuse et au discours trompeur 11 . Les propos de Machiavel s’appliquent ainsi par- 9 Selon Marc Fumaroli, la magnanimitas est « la grandeur d’âme des optimates, celle qu’illustre sa propre conduite [Cicéron], celle de Pompée et celle de Caton. Imprégnée d’éléments stoïciens, elle est respectueuse de l’ordre républicain, elle est l’égide héroïque qui résume et protège l’héritage de la vertu romaine » (2000 : 333-334). Cette qualité se distingue de la magnitudo animi « des populares, celle de Catilina, héritier romain de Calliclès, celle de César […] » (2000 : 334), qui caractérise ici Néron. M. Fumaroli ajoute « identiques dans leur source, ces deux magnanimités s’opposent dans leur fins : l’une est au service d’un ordre traditionnel et universel, celui de la Rome républicaine, l’autre est au service d’une ambition ou d’une vengeance particulières, qui n’hésitent pas à mettre en péril l’ordre universel pour s’élever sur ses ruines » (2000 : 334). 10 Cette pièce a fait scandale au XVII e siècle à cause des thèses subversives qu’elle expose, comme en témoigne notamment Tallemant des Réaux, examinant les « belles impiétés » qu’elle contient. Il s’agit, pour Maurice Blanchot, de la pièce la plus audacieuse de son époque (1962 : 153). Dans cette pièce, Tibère devient empereur après avoir assassiné Germanicus mais la veuve de ce dernier, Agrippine, tentera par tous les moyens de se venger du meurtrier. Comprenant la menace qu’elle représente, Tibère essaiera à son tour de l’éliminer, d’où la mise en place de plusieurs stratagèmes de la part des deux protagonistes dans le but de nuire à leur adversaire et de se défendre contre les accusations. Entre eux, le trouble personnage de Séjanus agit pour son compte, rêvant lui aussi de s’emparer du pouvoir. A cette fin, favori de l’empereur, il fait également semblant d’être l’allié d’Agrippine, étant ainsi au cœur de la double conspiration qui se trame. 11 Nous renvoyons en particulier aux études de Barbara Cassin sur la sophistique (1995). Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques 121 faitement aux protagonistes de cette pièce, qui pourraient tous reprendre à leur compte ces déclarations : Il y a beau temps que je ne dis jamais ce que je crois, et que je ne crois jamais ce que je dis, et s’il m’échappe parfois quelques brins de vérité, je l’enfouis dans tant de mensonges qu’il est difficile de la retrouver. (In Cavaillé, 2002 : 167-168) 12 Les protagonistes de Cyrano s’appuieront alors sur les pouvoirs de l’équivoque, qui entremêle des sens contraires, sur l’herméneutique et sur la labilité des signes, pour justifier leur comportement et les propos tenus à leur entourage. En ce sens, à la scène 1 de l’acte III, Agrippine, est prise en flagrant délit et le piège qui se referme sur elle semble ne lui laisser aucune possibilité de se disculper. En effet, l’empereur surprend des propos secrets qu’elle tient à sa confidente : Oui, moi, de César, je veux percer le flanc, / Et jusque sur son trône hérissé d’hallebardes, / Je veux, le massacrant au milieu de ses gardes, / Voir couler par ruisseaux de son cœur expirant / Tout le sang corrompu dont se forme un tyran. (III, 1) Le projet d’assassinat est énoncé très clairement et le locuteur assume parfaitement ses propos comme le montre l’emploi récurrent des pronoms « je » et « moi », accompagnés du verbe de volition. La décision semble inébranlable et ces paroles sont tressées avec des images d’une extrême violence : « percer le flanc », « massacrant », voir le sang « couler par ruisseau », procurant semble-t-il une réelle jouissance à son énonciatrice. Tibère ayant cependant manifesté sa présence, Agrippine va proposer un décryptage qui fera ressortir la polysémie, tâchant de nier le sens obvie. Ce discours à l’oblique créera un véritable coup de théâtre 13 puisque les déclarations précédentes vont être englobées dans un contexte très différent : Écoute donc, Seigneur, le songe que j’ai fait, / Afin que le récit en détourne l’effet […] / Oui, César, je t’ai vu menacé du trépas, / Mais comme à ton secours je volais, ce me semble / Nombre de meurtriers qui couraient tous ensemble, / T’ont percé sur mon sein ; Brutus les conduisait, / Qui, loin de s’étonner du grand coup qu’il osait : / « Oui, moi, de César, je veux percer le flanc, / Et jusque sur son trône hérissé d’hallebardes, / Je veux, le 12 Une adéquation entre amour du pouvoir et mensonges apparaît également dans ces mots attribués à Louis XI : « Qui nescit dissimulare, nescit regnare. » : « Il ne sait régner celui qui ne sait dissimuler. » 13 Selon B. Tribout : « Il y a […], dans La Mort d’Agrippine, une véritable gradation dans la puissance dramatique attachée au dévoilement progressif du secret, qui culmine dans un coup de théâtre […] (2010 : 180). Stella Spriet 122 massacrant au milieu de ses gardes, / Voir couler par ruisseaux de son cœur expirant / Tout le sang corrompu dont se forme un tyran ». J’en étais là, Seigneur, quand tu m’as entendue. (III, 2) La topique du songe, que l’on retrouve très fréquemment dans le théâtre de cette époque, est détournée de son usage habituel. Grâce à cet artifice, Agrippine peut assigner ses propos à une voix autre, venue de l’au-delà, et faire entrer en scène le personnage de Brutus, symbole de la rébellion contre César et de la lutte romaine contre la tyrannie. Cette tactique est particulièrement astucieuse puisque, pour le spectateur, un lien est dès lors établi entre Agrippine et Brutus, alors que Tibère doit au contraire croire en l’instauration d’une distance. Il résulte de ce changement au niveau de l’émetteur, une transformation du message qui devient un avertissement et non plus une menace. L’encadrement proposé pour la reprise exacte des termes employés, renvoie l’image oratoire d’une protectrice bienveillante. La ruse consiste donc ici à nier non pas les propos eux-mêmes comme l’on pourrait s’y attendre, mais leur caractère secret. La fiction créée est projetée devant l’empereur, comme le souligne l’usage de l’impératif « Écoute » ainsi que les hypotyposes qui permettent de convoquer les images d’une scène à venir. La véridicité est assurée par le caractère prophétique de ce récit ainsi que par la profusion de détails. L’utilisation de l’équivoque permet donc à la veuve de Germanicus de (dis)simuler 14 c’est-à-dire à la fois de simuler son innocence et, dans le même temps, de dissimuler des idées dangereuses. La répartie de Tibère montre cependant qu’il décèle parfaitement la tromperie et qu’il maîtrise aussi bien qu’elle les codes langagiers : « La réponse est d’esprit et n’est pas mal conçue. » (III, 1) La stratégie ne fonctionne donc pas ici dans la mesure où cette figure dépend de la subtilité du récepteur apte ou non à décoder correctement le message proposé. De plus, l’ethos d’Agrippine fait obstacle à son ingéniosité car Tibère a d’emblée un a priori négatif. L’équivoque sera utilisée une seconde fois dans la scène suivante (III, 3), lorsqu’Agrippine, face à Tibère, fait peser la responsabilité du conflit sur Séjanus, qu’elle croit pourtant son allié 15 . Le passage précédent semble alors se dupliquer puisque le personnage incriminé surprend à son tour des propos qu’il ne devrait pas entendre (nous sommes décidemment bien dans un univers baroque ! ). Entrevoyant la trahison qui s’annonce, Séjanus se jette aux pieds de l’empereur, avouant, pour mériter son pardon : « J’ai 14 Le fonctionnement de l’équivoque dans les écrits libertins a été analysé par Jean- Charles Darmon (2004). 15 Cet aspect est confirmé par la réplique suivante : « Agrippine continue sans voir Séjanus : Séjanus te trahit, / Il empiète à pas lents ton trône, et l’envahit, / Il gagne à son parti les familles puissantes, […] (III, 3) ». Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques 123 conjuré ». Les brèves répliques d’Agrippine qui font suite à cette intervention le justifient cependant 16 , et il est alors sommé par Tibère d’expliquer son entrée en scène théâtrale : J’ai conjuré cent fois ta profonde sagesse / De ne point écouter ces lâches ennemis / Qui te rendent suspects Agrippine et son fils, / Ne souffre pas, Seigneur, qu’une âme déloyale / Dégorge son venin sur la maison royale […] (III, 3) Préviens de grands malheurs, César, je t’en conjure ! Je t’en conjure encore par l’amour des Romains, / Et par ces tristes pleurs dont je mouille tes mains. » (III, 3, nous soulignons) Sa défense est fondée sur la reprise du verbe « conjurer » dont les différentes valeurs sémantiques sont explorées : le sens « conspirer » est ainsi recouvert par celui de « supplier ». Cette description est par ailleurs ironique dans la mesure où elle comporte un portrait en creux du personnage, comme le montre le champ lexical de la trahison. La confusion entre les sens, permise par l’amphibologie, est repérable à plusieurs reprises dans l’œuvre de Cyrano, qu’elle soit intradiégétique et caractérise les propos des personnages, ou qu’elle soit davantage destinée aux spectateurs lorsque des thèses dangereuses apparaissent en filigrane. En effet, Jean-Charles Darmon (2004) voit, dans ces scènes de l’acte III, une mise en abyme de la pratique de l’équivoque qui s’apparente à un art d’insinuer et est très présente à travers les écrits libertins. Ce passage offre donc une clé de lecture au vers désormais célèbre à cause de son aspect provocateur : « Qui les [les dieux] craint, ne craint rien. » (II, 4) Peu après, à la scène 3 de l’acte IV, Agrippine sera de nouveau mise en accusation et pour se défendre, elle recourra cette fois-ci à la manipulation des signes, mettant en lumière la possible confusion axiologique entre le crime et la vertu. Elle tentera en effet de montrer que son comportement concorde parfaitement avec les valeurs morales et revêtira le masque de l’héroïne vertueuse, tentant ainsi de transformer son image oratoire. A la scène 2 de l’acte IV, Tibère avait révélé son plan à Séjanus, ignorant le rôle de ce dernier dans la conjuration : Je feindrai de savoir qu’elle en veut à mes jours Afin que si son front pâlit à ce discours, Il soit, pour la convaincre, un indice contre elle Ou si, plein de fierté, son front ne la décèle, 16 En effet, Agrippine poursuit : « On peut te dire pis encore de lui, de moi ; / Mais à de tels rapports il est d’un Prince sage / De ne pas écouter un faible témoignage. » (III, 3) Stella Spriet 124 Me croyant en secret du complot averti Elle abandonne au moins l’intérêt du parti. (IV, 2) Dans la scène suivante, l’empereur prétend donc connaître les projets de la veuve de Germanicus et lorsque celle-ci demande qui l’accuse, il répond : « Demande à Séjanus », nommant par un complet hasard, celui qui connaît justement tous les plans d’Agrippine, comble de l’ironie tragique. Il en résulte des signes visibles de confusion que l’empereur interprète comme une preuve de culpabilité. Pour le spectateur, il est évident qu’Agrippine est déstabilisée parce qu’elle se croit trahie par son complice, et elle devra dès lors expliquer son trouble, reprenant de la sorte : Pour paraître innocente, il faut être coupable : / D’une prompte réplique on est bien plus capable, / Parce que l’on apporte au complot déclaré / Contre l’accusateur un esprit préparé. (IV, 3) Ces propos mettent en question le jeu des apparences et rendent compte d’une possible crise sémiologique liée à l’inversion de deux valeurs aux antipodes. La structure même du vers permet un rapprochement des noms « crime » et « vertu » puisqu’ils sont surdéterminés à la rime et à l’hémistiche, marquant par là le recouvrement potentiel de l’un par l’autre. Si en effet, comme l’a montré Quintilien, la défense est plus difficile que l’accusation, nécessitant « mille détours et mille artifices » (2003 : 183), alors le coupable doit être prêt à réfuter toutes les attaques, quelles que soient les circonstances. De nouveau cette technique ne fonctionne pas et Tibère enjoint à la veuve de Germanicus alors de mieux se défendre. De la même façon, à l’acte IV, scène 3, Tibère insiste sur la culpabilité de son ennemie grâce à une quadruple anaphore du pronom personnel « tu » : Tu débauches le peuple à force de largesses / Tu gagnes dans le camp mes soldats par promesses, / Tu parais en public, tu montes au Sénat, / Tu brigues pour les tiens les charges de l’Etat. (IV, 3) La réponse d’Agrippine, fondée sur la réversibilité argumentative des preuves, inscrit son comportement dans une démarche éthique. Bien entendu, l’empereur évoque une tentative de coup d’Etat, mais elle pare ainsi les coups portés : Tibère ne reproche à mon âme royale / Que d’être généreuse, affable et libérale. (IV, 3) Tout repose donc sur l’interprétation factuelle et celle-ci est sujette à caution : les défauts sont retournés en qualités. Elle feint de croire que Tibère questionne sa conduite et déplace ainsi l’accusation puisqu’il insistait en réalité sur l’aspect excessif et systématique de ses démarches : Les réfutations sophistiques dans les tragédies politiques 125 Tibère : La vertu devient crime en faisant trop de bruit. Agrippine : Elle passe du moins pour cela sous ton règne. (IV, 3) Cette inversion tente de jeter une lumière différente sur les personnages dans la mesure où les attaques de l’empereur se retournent contre lui : son incapacité à apprécier une conduite généreuse prouve paradoxalement l’aspect tyrannique de son régime. A la fin de la scène, l’insistance de Tibère aura raison d’elle et elle jettera finalement son poignard à terre, dans une attitude de totale soumission. Elle déclarera cependant peu après à sa confidente : « Ah, qu’il est à propos de savoir se contraindre. » (IV, 4), montrant donc, pour la plus grande surprise des spectateurs, que rien n’est encore joué. Lors du dernier acte, Séjanus et Agrippine sont condamnés par Tibère à se rejoindre dans les « plaines infernales » (V, 8) et seront remis au bourreau. Une conjuration apparaît donc au centre de ces deux pièces et les conspirateurs tenteront de prouver leur innocence en réfutant les thèses de leurs accusateurs. Comme il est capital de ne pas dévoiler le secret, les protagonistes auront recours à différentes stratégies pour contrer leurs adversaires. Dans La Mort de Sénèque de Tristan, Epicaris parvient à imposer sa version des faits en ayant raison de la maladresse de son interlocuteur. Elle commence en effet par établir une image oratoire qui le discrédite immédiatement puis, en mettant l’accent sur l’actio, elle en fait un mauvais acteur et donc un mauvais menteur. C’est l’absence de sincérité de ce dernier qu’elle fait semblant de pointer et par la suite, les arguments qu’elle propose montrent sa parfaite maîtrise de la parole ainsi que la défaite de Procule est patente. Dans cette recherche de la vérité menée par l’empereur, le mensonge l’emporte grâce à l’éloquence déployée par l’héroïne. La victoire de cette dernière est par la suite redoublée par l’échec de Sévinus qui finit par avouer son rôle dans la conjuration. Finalement, mise en présence de son ancien complice, Epicaris aura encore le dessus, niant tout d’abord toute implication puis, une fois les faits avérés, refusant de dénoncer ses complices. Dans La Mort d’Agrippine, l’héroïne éponyme souhaite la mort de l’empereur Tibère et lorsque ce dernier surprend les propos qu’elle tient en secret à sa confidente, elle recourt à l’équivoque pour ne pas révéler la vérité. Au lieu de nier ses propos, elle va au contraire les reprendre, mais cette fois-ci sans les assumer et en les plaçant dans la bouche d’un autre personnage, comme s’il s’agissait de propos rapportés. Un glissement polysémique se produit donc, permettant à Agrippine de prétendre vouloir protéger son ennemi. Un peu plus loin, déstabilisée par les accusations de l’empereur qui semble connaître parfaitement ses plans machiavéliques, elle se défend en soulignant la confusion possible entre « vertu » et « crime » car Stella Spriet 126 les signes évocateurs de son trouble peuvent être interprétés de l’une ou l’autre façon. La crise sémiologique est encore plus marquée par la suite puisque le comportement de la veuve de Germanicus pourrait être soit de la simple générosité, visant à favoriser le régime, soit, au contraire, la preuve ultime de sa volonté de nuire par tous les moyens à Tibère. Dans ces deux œuvres, le secret engendre donc à la fois la ruse des personnages qui veulent découvrir le non-dit et la mise en place d’une contreruse de la part des protagonistes qui vont en permanence devoir (dis)simuler. Même si ces derniers sont très persuasifs et que leurs arguments, aussi spécieux soient-ils, mettent en avant l’effet pragmatique du discours, les tyrans ne sont toutefois pas dupes - ou pas longtemps - car, soit le contexte vient parasiter la situation de communication (Tibère se défie d’Agrippine), soit un plan est tramé pour faire tomber un conspirateur dans un piège, et ce dernier entraîne les autres conjurés dans sa chute. Bibliographie Blanchot, Maurice. « Cyrano de Bergerac », Tableau de la littérature française, préface de Jean Giono. Paris : Gallimard, 1962. Cassin, Barbara. L’effet sophistique. Paris : Gallimard, 1995. Cavaillé, Jean-Pierre. Dis/ simulations. Jules-César Vanini, François La Mothe Le Vayer, Gabriel Naudé, Louis Machon et Torquato Accetto. Religion, morale et politique au XVII e siècle. Paris : Honoré Champion, 2002. Corneille, Pierre. Cinna in Corneille, Œuvres complètes. Paris : Le Seuil, 1963. Cyrano de Bergerac, Savinien. La Mort d’Agrippine. 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Il est incontestable que d’Aubignac écrivit trois pièces en prose : La Pucelle d’Orléans (1642), La Cyminde ou les deux victimes (1642) et Zénobie (1647). 1 Toujours est-il que plusieurs documents du dix-huitième siècle attribuent une quatrième tragédie à cet écrivain, Le Martyre de S te Catherine. L’œuvre conservée, qui est en vers, fut publiée à Caen, chez Eléazar Mangeant, en 1649. 2 Elle parut aussi à Lyon, chez Pierre Compagnon, soi-disant la même année. Ce fut une œuvre très populaire - un succès de lecture - à en juger par les nombreuses éditions de la pièce publiées entre 1649 et 1718. 3 La question portant sur la paternité 1 Abbé d’Aubignac, La Pucelle d’Orléans, tragédie en prose, Paris : François Targa, 1642 [Bibliothèque nationale de France : RES-YF-3955] ; Abbé d’Aubignac, La Cyminde ou les deux victimes, tragédie en prose, Paris : François Targa, 1642 [BNF : 8-BL-13899] ; Abbé d’Aubignac, Zénobie, tragédie, où la vérité de l’histoire est conservée dans l’observation des plus rigoureuses règles du poème dramatique, Paris : Augustin Courbé, 1647 [BNF : RES-YF-329]. Voir mon édition critique de ces trois pièces : Abbé d’Aubignac, Pièces en prose, Tübingen : Narr, « Biblio 17 », 2012. 2 BNF : YF-4836. C’est l’unique exemplaire de la pièce à la BNF. 3 En plus des éditions publiées en 1649, nous trouvons : Paris : E. Loyson, 1666, in- 12 0 ; Rouen : J.-B. Besogne, 1700, in-12 0 ; Troyes, sur la copie imprimée à Rouen, chez J.-B. Besogne, 1700, in-12 0 ; Caen : J.-J. Godes, 1705, in-12 0 ; Troyes : Vve de Jacques Oudot, 1718, in-12 0 ; Troyes : Pierre Garnier, sans date, in-12 0 ; sans date ou lieu de publication, in-12. La pièce fut publiée aussi chez G. de Luyne, à Paris en 1666, dans Recueil de tragédies saintes, contenant trois autres pièces : L’Illustre Olympie ou le Saint Alexis (1644 et 1645) par Nicolas-Marc Desfontaines (mort en 1652), Saint Eustache (1649) par Balthazar Baro (v. 1590-1650) et Saint Genest (1647) par Jean de Rotrou (1609-1650). Bernard J. Bourque 130 de l’œuvre est donc significative à l’égard de l’histoire du théâtre au dixseptième siècle. Le travail ici présenté vise à réfuter l’opinion généralement répandue que d’Aubignac est l’auteur soit de cet ouvrage dramatique, soit d’une pièce originale en prose sur laquelle la version versifiée aurait été basée. Nous verrons que la paternité de d’Aubignac de la pièce en vers est invraisemblable. De même, la théorie selon laquelle l’œuvre conservée est une adaptation d’une pièce en prose écrite par d’Aubignac est aussi mise en doute. La Pièce en vers La conjecture que l’abbé d’Aubignac est l’auteur du Martyre de S te Catherine en vers est fondée sur les assertions d’historiens du théâtre français du dixhuitième siècle. Maupoint fait mention de la pièce, mais sans préciser la date de publication : Sainte Catherine. Nous avons cinq Tragédies sous ce titre, la première de M. Boissin de Gallardon en 1618, la seconde de M. Puget de la Serre imprimée avec figures en 1643, la troisième de M. de Saint Germain en 1649, la quatrième de M. l’Abbé d’Aubignac en 164... la cinquième de M. des Fontaines en 1650. 4 Dans ses Recherches sur les théâtres de France, Beauchamps aussi attribue Le Martyre de S te Catherine en vers à d’Aubignac : « Sainte Catherine, T. in-4 0 . 1650. sur la copie imprimée à Caen chez Eleazar Mangeant ». 5 Les mêmes renseignements se retrouvent chez les frères François et Claude Parfaict : « Ce sujet a été encore traité par M. l’Abbé d’Aubignac, sa pièce n’a jamais été représentée, elle se trouve In-4 0 , Caen, 1650 ». 6 La Bibliothèque du théâtre français de La Vallière parle de la même œuvre par d’Aubignac : « LE MARTYRE DE SAINTE CATHERINE, Tragédie en vers, sur la copie imprimée à Caen, chez Eléazar Mangeant, 1650. in-4 0 ». 7 Seul le catalogue de Soleinne, qui date du dix-neuvième siècle, fait mention d’une édition de la tragédie qui fut publiée à Lyon, chez Pierre 4 Maupoint, Bibliothèque des théâtres, Paris : Prault, 1733, p. 276. 5 Pierre-François Godard de Beauchamps, Recherches sur les théâtres de France : depuis l’année onze cent soixante-un jusques à présent, « Théâtre français depuis 1552 jusqu’en 1735 », Paris : Prault père, 1735, p. 170. 6 François et Claude Parfaict, Dictionnaire des théâtres de Paris, 7 vol., Paris : Rozet, 1767, t. II, p. 63. 7 Louis-César de La Baume Le Blanc, duc de La Vallière, Bibliothèque du théâtre français depuis son origine, Dresde : Michel Groell, 1768, p. 19. La paternité du Martyre de S te Catherine (1649) 131 Compagnon, en 1649. Nous savons qu’il s’agit de la même œuvre que celle de Caen grâce aux six vers de l’édition de Lyon qui sont cités dans le catalogue : Les Trônes sont trop bas pour mon ambition, Les Rois valent trop peu pour mon affection ; Mon espoir qui s’élève au-dessus de leurs têtes Regarde et se promet de plus nobles conquêtes ; Je l’ose, et puis sans crainte avouer en ce lieu, Maximin n’est qu’un homme, et je prétends un Dieu. 8 Il est rare qu’une pièce de théâtre soit publiée séparément la même année chez deux différents libraires. Malheureusement, l’édition de Lyon est maintenant perdue. Il est probable qu’elle parut après 1649, vraisemblablement en 1650, suivant la copie imprimée à Caen. Une vérification possible de cette théorie est la correction d’un vers fautif que l’on retrouve dans la première édition. Le troisième vers cité ci-haut dans le catalogue de Soleinne s’écrit ainsi dans la publication de Caen : « Mon espoir qui s’étend au-dessus de la terre ». Ce vers est manifestement fautif puisqu’il ne rime pas avec celui qui suit : « Regarde et se promet de plus nobles conquêtes ». La publication chez Compagnon aurait donc corrigé le vers 1387 pour qu’il forme un distique rimant avec le deuxième vers. Comme nous le rappelle Henry Carrington Lancaster, aucun contemporain de d’Aubignac ne lui attribue Le Martyre de S te Catherine en vers. 9 Une information qui établit un lien entre l’œuvre et notre auteur est la note manuscrite dans l’édition de Caen de 1649, qui indique, juste au-dessus de la marque de l’imprimeur, « Par l’abbé Hédelin d’Aubignac ». Faut-il attacher de l’importance à ces mots écrits à la main ? Puisqu’il est impossible d’identifier l’origine de la note, nous ne pouvons conclure qu’elle a de grande valeur historique. Lancaster soutient que d’Aubignac n’est pas l’auteur du Martyre de S te Catherine en vers puisque le théoricien n’était pas favorable aux pièces religieuses. 10 En fait, d’Aubignac fut d’avis que les pièces chrétiennes devraient seulement être lues et jamais représentées publiquement à cause des comédiens impies du théâtre français : 8 Paul Lacroix, Bibliothèque dramatique de M. de Soleinne, 9 parties en 6 volumes, Paris : Administration de l’Alliance des Arts, 1843-1845, §1190, t. I, p. 264. Il s’agit des vers 1385-1390. 9 Henry Carrington Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, 5 parties en 9 volumes, Baltimore : Johns Hopkins Press, 1929- 1942, t. II, vol. II, p. 669. 10 Lancaster, t. II, vol. II, p. 669. Bernard J. Bourque 132 Les pièces de cette qualité peuvent être lues avec plaisir et même avec fruit, mais elles ne peuvent être jouées publiquement sans produire tous les mauvais effets dont nous avons parlé ; parce que celui qui lit, entre dans les sentiments de l’Auteur et ne voit rien alentour de lui qui porte sa pensée à la profanation des choses saintes. […] Mais d’exposer ces choses aux yeux et au jugement du public, je ne vois pas qu’on le doive faire, et que jamais elles puissent avoir quelque favorable succès. 11 Par conséquent, nous ne pouvons accepter l’argument de Lancaster. En outre, La Pucelle d’Orléans de d’Aubignac peut être considérée comme une pièce religieuse en plus d’être une œuvre politique. Même La Cyminde ou les deux victimes a un thème religieux, bien qu’il s’agisse dans cette tragédie du miracle païen. Pour ces raisons, le fait que Le Martyre de S te Catherine appartient au domaine sacré n’élimine pas l’abbé d’Aubignac comme l’auteur de la pièce. En revanche, il est significatif que d’Aubignac ne reconnût jamais sa paternité d’une pièce en vers même lorsque ses talents de versificateur furent remis en question par les écrivains de son époque. N’oublions pas qu’au théâtre du dix-septième siècle, la forme versifiée fut l’objet d’un sentiment de révérence. En particulier, les moqueries de Jean Donneau de Visé (1638-1710), concernant le manque de talent de l’abbé, furent impitoyables. Parlant du sonnet, dédié à la Duchesse de R***, qui se trouve à la fin de la Seconde dissertation de d’Aubignac, le jeune critique tourne les vers de l’abbé en ridicule : Si j’étais un censeur bien sûr, je dirais quelque chose des soixante et treize Monosyllabes qui s’y rencontrent ; mais je passe par-dessus, pour m’arrêter à ce qu’il y a de méchant, de superflus et d’impropre. […] Si vous avez fait ces Vers, pour prouver au public, que vous en savez bien faire que Monsieur de Corneille, je laisse à juger si vous avez raison. 12 Plus loin dans sa Défense du Sertorius, de Visé continue à dénigrer le talent de notre auteur : Vous aboyez toutefois en vain, il y a tant de distance entre Monsieur de Corneille et vous, que vous ne pourrez jamais donner la moindre atteinte à sa réputation. 13 Il convient de noter que Donneau de Visé ne fait pas mention du Martyre de S te Catherine en vers dans ses railleries contre d’Aubignac. Pour sa part, 11 Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, éd. Hélène Baby, Paris : Champion, 2001 ; réimpr. 2011, p. 457. 12 Jean Donneau de Visé, Défense du Sertorius de Monsieur de Corneille, Paris : Claude Barbin, 1663, pp. 111, 114. 13 Donneau de Visé, p. 123. La paternité du Martyre de S te Catherine (1649) 133 l’abbé n’en parle pas lui non plus. Ce silence est révélateur puisque d’Aubignac était toujours sur la défensive et ne répugnait jamais à rechercher son avantage personnel. En fait, d’Aubignac fut du même avis que Jean Chapelain (1595-1674) que « la tyrannie de la rime ôte toute la vraisemblance au théâtre et toute la créance à ceux qui y portent quelque étincelle de jugement ». 14 Les mots du libraire de La Pucelle d’Orléans reflètent les pensées de l’auteur de la pièce : [...] bien que la Poésie ait beaucoup plus d’agréments, elle a toujours la contrainte de la mesure et des rimes qui lui ôte beaucoup de rapport avec la vérité : et j’estime que la vraisemblance des choses représentées, ne donne pas moins de grâce et de force à la prose, que la justesse et la cadence aux vers. 15 Son Apologie de la Prose contre les Vers, mentionnée dans « L’Avis des libraires au lecteur » de Zénobie, ne vit jamais le jour : Plains seulement la perte que tu fais d’un Avant-Propos qui contenait les raisons des augmentations, et des changements faits en l’Histoire de cette Tragédie, et l’Apologie de la Prose contre les Vers, avec beaucoup de règles peu communes pour la construction du Poème Dramatique. Si nous le pouvons tirer des mains de l’Auteur avec la PRATIQUE DU THÉÂTRE achevée depuis longtemps, nous ne refuserons pas nos soins pour en enrichir le public. 16 La sensibilité de d’Aubignac quant à son manque de talent de versificateur se manifesta lorsque Pierre Corneille, en 1660, lança le défi suivant à ses critiques : Il est facile aux spéculatifs d’être sévères, mais, s’ils voulaient donner dix, ou douze poèmes de cette nature au public, ils élargiraient peut-être les règles, encore plus que je ne fais, sitôt qu’ils auraient reconnu par l’expérience, quelle contrainte apporte leur exactitude, et combien de belles choses elle bannit de notre théâtre. 17 Les remarques de Corneille se rapportent à la difficulté de respecter les trois unités, en particulier celle de lieu. Cependant, d’Aubignac répondit au grand dramaturge en parlant de son propre talent de versification : 14 Jean Chapelain, Lettre sur la règle des vingt-quatre heures, in Opuscules critiques, éd. Alfred Hunter, Paris : Droz, 1936, p. 126. 15 « Le Libraire au lecteur », La Pucelle d’Orléans. 16 « Avis des libraires au lecteur », Zénobie. 17 Pierre Corneille, Discours des trois unités, in Œuvres complètes, 3 volumes, éd. Georges Couton, Paris : Gallimard, 1980-1987, t. III, p. 190. Bernard J. Bourque 134 Ce n’est pas que M. Corneille puisse absolument faire agir sa maxime erronée contre moi ; car vous savez, Madame, que j’ai quelque connaissance de la poésie, et que quand il me plaît, je fais des vers qui ne déplairaient pas au Théâtre. […] et si j’avais voulu les [les vers] appliquer à diverses tragédies que j’ai faites en prose, pour justifier à Monsieur le Cardinal de Richelieu que je connaissais la justesse et la beauté des règles, peut-être n’auraient-ils pas eu moins d’applaudissement que Zénobie que feu M. le Comte de Fiesque avait accoutumé d’appeler la femme de Cinna. […] Enfin pour ne pas m’étendre sur la considération de mon intérêt, je ferai des vers quand il me plaira. 18 De toute évidence, d’Aubignac ne publia pas d’ouvrage dramatique en vers. Se défendant contre les moqueries de Donneau de Visé et contre les critiques de Corneille, il aurait probablement signalé sa paternité de la pièce en vers publiée à Caen en 1649. Une autre confirmation que d’Aubignac n’est pas l’auteur du Martyre de S te Catherine en vers se révèle dans le dénouement de la tragédie. Ce dénouement ne répond pas à l’attente du public que Maximin doit être puni pour ses crimes. La pièce se termine par les paroles suivantes de l’empereur romain : Tournons notre pensée au salut de l’Empire, L’Afrique se révolte, et le Sénat conspire, Allons par un effort digne de notre État, Dompter encor l’Afrique, et Rome, et le Sénat. Cette fin n’est pas conforme à la théorie de d’Aubignac énoncée dans La Pratique du théâtre : La principale règle du poème Dramatique, est que les vertus y soient toujours récompensées, ou pour le moins toujours louées, malgré les outrages de la Fortune, et que les vices y soient toujours punis, ou pour le moins toujours en horreur, quand même ils y triomphent. 19 D’ailleurs le dénouement du Martyre de S te Catherine se trouve en désaccord avec la pratique de d’Aubignac dans ses trois pièces en prose, où l’auteur 18 Abbé d’Aubignac, Seconde dissertation concernant le poème dramatique, en forme de remarques sur la tragédie de M. Corneille, intitulée Sertorius. À Madame la duchesse de R***, Paris : J. du Brueil, 1663, pp. 34-35. 19 D’Aubignac, La Pratique, p. 40. C’est aussi l’opinion de Georges de Scudéry (Observations sur le Cid, in Corneille : Œuvres complètes, t. I, pp. 787-788) et d’Hippolyte-Jules Pilet de La Mesnardière (La Poétique, Paris : Sommaville, 1639 ; réimpr. Genève : Slatkine, 1972, p. 107), règle énoncée par Scaliger au seizième siècle. Voir l’ouvrage de Bernard Weinberg, A History of Literary Criticism in the Italian Renaissance, 2 volumes, Chicago : University of Chicago Press, 1961, p. 748. La paternité du Martyre de S te Catherine (1649) 135 précise le sort de tous les personnages importants et où tous les vices sont punis. Qui est donc l’auteur du Martyre de S te Catherine en vers ? Les catalogues de la Bibliothèque nationale de France attribuent la pièce soit à d’Aubignac, soit à Marthe Cosnard (1614-v. 1659). La seule œuvre certaine de cette dernière dramaturge est Les Chastes martyrs, tragédie chrétienne, publiée en 1650. 20 Il semble que le thème du martyre est le seul renseignement qui établit un lien entre Cosnard et Le Martyre de S te Catherine. Aucun écrivain de son époque ne lui attribue la pièce. Les historiens du théâtre français, tels que Maupoint, les frères Parfaict, Beauchamps, la Vallière et Soleinne, sont silencieux à cet égard. Il est donc vraisemblable que l’œuvre est attribuée à tort à cette auteure. En revanche, ces cinq historiens du théâtre nous amènent à conclure que la paternité du Martyre de S te Catherine appartient au sieur de St. Germain, 21 c’est-à-dire à l’auteur de la tragi-comédie Le Grand Timoléon de Corinthe. 22 Maupoint affirme que St. Germain est l’auteur d’une Sainte Catherine publiée en 1649 : « […] la troisième de M. de Saint Germain en 1649c ». 23 Les frères Parfaict aussi font mention d’une Sainte Catherine par St. Germain qui fut représentée en 1644 : « Catherine, (Sainte) Tragédie de M. Saint Germain, représentée en 1644, in-4 0 , la même année, Paris ……His. Du Th. Franç. année 1644 ». 24 Selon les Recherches sur les théâtres de France de Beauchamps, St. Germain est l’auteur d’une Sainte Catherine publiée en 1649 : « S. Germain. […] Sainte Catherine, T. S. in-12. 1644.1649 ». 25 La Bibliothèque du théâtre français de La Vallière fait mention de cette citation, bien que la date de publication de la pièce ne corresponde pas à celle qui est donnée par Beauchamps : « M. de Beauchamps cite encore une Tragédie, intitulée : SAINTE CATHERINE, imprimée en 1642. in-12 ». 26 Selon le catalogue de Soleinne, la Sainte Catherine qui fut publiée à Lyon est celle de St. Germain. Le Grand Timoléon de Corinthe, tragi-comédie (5a. v.), par le Sieur de St Germain. Paris, Toussaint Quinet, 164l, in-4, parch. = Sainte Catherine, 20 Marthe Cosnard, Les Chastes martyrs, tragédie chrétienne, Paris : N. et J. de la Coste, 1650. Cette tragédie fut publiée sous le patronage de Pierre Corneille. 21 St. Germain est impossible à identifier avec certitude avec l’un des auteurs du dixseptième siècle du même nom. 22 St. Germain, Le Grand Timoléon de Corinthe, Paris : Toussaint Quinet, 1642. 23 Maupoint, p. 276. 24 Parfaict, p. 63. 25 Beauchamps, p. 168. 26 La Vallière, t. III, p. 17. Bernard J. Bourque 136 tragédie (5 a. v., par le même). Lyon, Pierre Compagnon, 1649, in-4, parch. (en mauvais état). 27 Comme nous l’avons déjà démontré, l’édition de Lyon et celle de Caen sont la même œuvre. Le catalogue de Soleinne commente la rareté de la pièce publiée à Lyon et explique pourquoi St. Germain voulait que sa paternité de la tragédie ne soit pas connue : La Sainte Catherine est une pièce tellement rare, que le duc de La Vallière ne la possédait pas, quoique Beauchamps l’eût citée. M. de Saint Germain la publia sans y mettre son nom, parce que ce nom était alors peu considéré, pour avoir figuré en tète d’une foule d’écrits de polémique en faveur de la reine-mère et du cardinal Mazarin. L’auteur était un écrivain distingué qui eut le malheur de vendre sa plume. Ces vers de Sainte Catherine ne sont-ils pas dignes de Polyeucte ? 28 St. Germain aurait donc décidé de garder l’anonymat à cause des troubles de la Fronde qui agitèrent la monarchie française entre 1648 et 1652 pendant la minorité de Louis XIV. Son apparent appui de Mazarin et d’Anne d’Autriche lui fit adopter une attitude discrète qui ne lui permit pas de mettre son nom à la tragédie. Nous en concluons que Le Martyre de S te Catherine, publié à Caen en 1649, est peut-être l’œuvre de l’auteur du Grand Timoléon de Corinthe. Il est peu probable que le Martyre de S te Catherine en vers soit écrit par l’abbé d’Aubignac, théoricien qui préférait la prose au théâtre grâce à son dévouement à la règle de la vraisemblance. En revanche, il est tout à fait possible que la paternité de la tragédie appartient à St. Germain, dramaturge qui écrivait en vers et qui, selon plusieurs sources, fut l’auteur d’une Sainte Catherine qui fut représentée et publiée entre 1644 et 1649. Le catalogue de Soleinne est surtout révélateur à cet égard, puisqu’il identifie St. Germain comme l’auteur de l’édition de la tragédie publiée à Lyon. La Pièce en prose Dans son ouvrage Les Théories dramatiques au XVII e siècle, publié en 1887, Charles Arnaud déclare que l’œuvre conservée du Martyre de S te Catherine est l’adaptation d’une pièce qui fut écrite en prose par l’abbé d’Aubignac : 27 Lacroix, § 1190, t. I, p. 264. 28 Lacroix, § 1190, t. I, p. 264. La paternité du Martyre de S te Catherine (1649) 137 Je n’en ai vu que la traduction en vers, dans deux éditions : l’une faite à Caen, en 1649, chez Eléazar Mangeant, sans nom d’auteur, in-12 ; l’autre à Troyes, 1700, avec cette mention : « Tragédie de M. d’Aubignac ». 29 En 1927, Pierre Martino fait mention de la pièce dans la préface de son édition de La Pratique du théâtre. Cependant, il est plus circonspect qu’Arnaud en établissant la paternité de l’œuvre : En 1642 il [d’Aubignac] avait publié une tragédie en prose La Pucelle d’Orléans… selon la vérité de l’histoire et les rigueurs du théâtre ; en 1647 une autre tragédie en prose, Zénobie, la seule pièce qu’il ait avouée. Il semble aussi qu’il ait écrit en prose Cyminde ou les deux victimes, tragédie mise en vers par Colletet (1642), et qu’il ait eu quelque part à un Martyre de Sainte Catherine (1649). 30 Dans l’introduction de son édition de La Pratique du théâtre, Hélène Baby se montre d’accord avec Arnaud concernant la paternité de d’Aubignac d’une S te Catherine en prose : En ce qui concerne Sainte Catherine, les trois exemplaires que j’ai consultés ne correspondent qu’à la version versifiée de la pièce […] : la pièce originale en prose de d’Aubignac est perdue 31 Le seul indice qui date du dix-septième siècle concernant l’existence de la version en prose provient des mots de d’Aubignac lui-même. Dans sa Quatrième dissertation (1663), l’auteur parle d’avoir donné trois pièces en prose au cardinal de Richelieu (1585-1642), « qui les fit mettre en vers ». 32 Deux de ces ouvrages dramatiques sont bien connus. Il s’agit de La Pucelle d’Orléans et de La Cyminde ou les deux victimes. 33 Composées à la demande de Richelieu, les adaptations en vers de ces deux pièces avaient été jouées à Paris l’année précédente. 34 Selon la Bibliothèque du théâtre français de La Vallière, La Pucelle d’Orléans fut versifiée soit par Isaac de Benserade (1613- 29 Charles Arnaud, Les Théories dramatiques au XVII e siècle : étude sur la vie et les œuvres de l’abbé d’Aubignac, Paris : 1887 ; réimpr. Genève : Slatkine Reprints, 1970, p. 274. 30 Pierre Martino, « Préface », in La Pratique du théâtre, éd. Pierre Martino, Alger : Jules Carbonel, 1927, p. XXIII. 31 Hélène Baby, « Introduction », in La Pratique du théâtre, p. 15n. 32 Abbé d’Aubignac, Quatrième dissertation concernant le poème dramatique, servant de réponse aux calomnies de M. Corneille, Paris : J. du Brueil, 1663, p. 167. 33 La Pucelle d’Orléans, tragédie, Paris : Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, 1642 [BNF : RES-YF-540] ; Guillaume Colletet, Cyminde ou les deux victimes, tragicomédie, Paris : Augustin Courbé et Antoine de Sommaville, 1642 [BNF : RES-YF- 212]. C’est l’unique ouvrage dramatique de Colletet. 34 Lancaster, pp. 357, 359, 361, 367. Bernard J. Bourque 138 1691), soit par Hippolyte-Jules Pilet de La Mesnardière (1610-1663). 35 La pièce en vers fut montée à l’Hôtel de Bourgogne ou au Théâtre du Marais, alors que Cyminde ou les deux victimes, de Guillaume Colletet (1598-1659), fut représentée au théâtre aménagé par Richelieu dans son Palais Cardinal. 36 Mais quelle est l’identité de la troisième pièce en prose ? Nous sommes en plein accord avec Lancaster que si l’œuvre en question était Le Martyre de S te Catherine, l’adaptation en vers n’aurait pas été publiée par des libraires inconnus à Caen et à Lyon. 37 Après tout, c’est le cardinal de Richelieu que la fit versifier ; la pièce aurait été publiée à Paris. Il est vrai que la tragédie fut imprimée pendant la Fronde, les troubles qui agitèrent la France entre 1648 et 1652 ayant peut-être empêché sa publication à Paris. Dans sa lettre du 6 mars 1649 à Constantin Huygens, seigneur de Zuylichem (1596-1687), Corneille affirme que la Fronde l’avait empêché de faire jouer ou de faire imprimer quoi que ce soit : « Les désordres de notre France […] ont réservé dans mon cabinet ce que je préparais à lui donner ». 38 Néanmoins, cette théorie est non pertinente puisque Richelieu est mort le 4 décembre 1642, ce qui signifie que l’œuvre en question aurait parue avant ou peu après cette date. Certainement pas sept ans plus tard ! N’oublions pas que La Pucelle d’Orléans fut achevée d’imprimer le 11 mars 1642, et La Cyminde ou les deux victimes le 13 mars 1642. L’adaptation de la pièce mystérieuse aurait vu jour vers cette même année. Nous en concluons que l’existence d’une Sainte Catherine en prose écrite par d’Aubignac est fort douteuse. 35 « LA PUCELLE D’ORLÉANS, Tragédie. Paris, Ant. De Sommaville, 1643. in-4 0 . C’est la même pièce que est dans le théâtre de Benserade ; mais comme il est incertain lequel des deux en est l’Auteur, j’ai mis cette pièce, quoique la même, dans leur Théâtre à tous deux. Il est cependant plus vraisemblable qu’elle est de Benserade ». (La Vallière, t. III, p. 22.) Lancaster declare : « The fact that d’Aubignac and Benserade were both tutors to Brézé would indicate Benserade as the author, but a community of tastes also existed between d’Aubignac and La Mesnardière, for they composed the two chief works of dramatic criticism of their generation » (t. II, vol. I, p. 360). 36 Cf. Lancaster, t. II, vol. I, pp. 357, 359, 361, 367. 37 Lancaster signale que la tragédie fut l’œuvre de quelque dramaturge provincial dont l’identité est inconnue et que la version en prose n’a sans doute jamais existé (pp. 668-669). Jacques Scherer est silencieux à ce sujet. René Bray affirme que d’Aubignac fut l’auteur de quatre tragédies sans identifier les titres (La Formation de la doctrine classique en France, Lausanne-Genève-Neuchâtel : Payot, 1931, p. 358). 38 Corneille, Œuvres complètes, t. II, p. 625. La paternité du Martyre de S te Catherine (1649) 139 La troisième pièce en prose n’est certainement pas Zénobie non plus puisque, dans sa Quatrième dissertation, d’Aubignac fait la distinction entre les trois pièces qu’il donna à Richelieu pour être versifiées et sa tragédie qui traite de la reine de Palmyre : J’en ai même donné trois en prose à feu M. le cardinal de Richelieu, qui les fit mettre en vers ; mais les poètes en changèrent tellement l’économie, qu’ils n’étaient plus reconnaissables. […] Enfin, Zénobie est la seule pièce dont j’ai été le maître, au sujet, en la conduite et au discours ; c’est la seule que j’avoue, et que je n’aurais pas fait néanmoins, sans l’exprès commandement de cet incomparable ministre à qui les rois et toute l’Europe n’ont pu résister. 39 D’ailleurs, nous ne trouvons aucune adaptation en vers de cette pièce dans les années 1640, la Zénobie de d’Aubignac n’ayant été imitée qu’en 1660 par Jean de Magnon (1620-1662). 40 Selon Lancaster, il se peut que la troisième pièce en prose soit Palène (1640) ou La vraie Didon (1643) de François Le Métel, seigneur de Boisrobert (1592-1662), 41 deux œuvres dont d’Aubignac aurait contribué à la composition. 42 Cependant, la participation de d’Aubignac à la création de ces pièces fut minime. Dans La Pratique du théâtre, l’abbé parle d’avoir « eu quelque part au sujet et à la disposition » 43 de Palène. Dans la préface de Sophonisbe, Corneille fait mention du rôle de d’Aubignac dans la composition de La vraie Didon : Le grand éclat que Monsieur de Scudéry a donné à sa Didon n’a point empêché que Monsieur de Bois-Robert n’en ait fait voir une autre trois ou quatre ans après, sur une disposition, qui lui en avait été donné, à ce qu’il disait, par Monsieur l’Abbé d’Aubignac. 44 L’abbé contribua aussi à la composition de Manlius Torquatus (1662), tragicomédie de Marie-Catherine Desjardins (1640-1683) qui fut jouée en 1662. Cependant, comme dans le cas des deux autres pièces, il s’agit d’un rôle mineur de la part de d’Aubignac. S’adressant à Corneille, dans sa Quatrième 39 D’Aubignac, Quatrième dissertation, pp. 167, 168. 40 Jean de Magnon, Zénobie reine de Palmire, Paris : Christophle Journel, 1660. 41 François Le Métel, seigneur de Boisrobert, Palène, Paris : Antoine de Sommaville et Toussaint Quinet, 1640 ; La vraie Didon ou la Didon chaste, Paris : Toussaint Quinet, 1643. Avec Pierre Corneille, Guillaume Colletet, Claude de l’Estoile et Jean Rotrou, Boisrobert fut un des « Cinq Auteurs » qui écrivaient des pièces de théâtre sous la direction du cardinal de Richelieu. 42 Lancaster, t. II, vol. II, p. 669. 43 D’Aubignac, La Pratique, éd. Baby, p. 151. 44 Pierre Corneille, « Préface », Sophonisbe, Paris : Guillaume de Luyne, 1663. Bernard J. Bourque 140 dissertation, l’auteur minimise sa participation à la création de l’œuvre de Desjardins : Vous avez une étrange aversion contre Mademoiselle des Jardins ; il vous fâche qu’une fille vous dame le pion, et vous lui voulez dérober son Manlius par l’effet d’une jalousie sans exemple. Je confesse bien qu’elle m’en a montré le dessein, et que je lui en ai dit mon avis en quelques endroits, dont elle a fait après ce qu’elle a jugé pour le mieux […]. 45 D’Aubignac répète ce message, à propos de toutes les pièces auxquelles il contribua, à la page suivante de sa dissertation : Quels sont les cinq ou six poèmes dramatiques dont j’ai conduit le sujet ? Je ne les connais pas ; on m’en a montré plusieurs dont j’ai dit mes sentiments qui n’ont point été suivis ; j’ai donné l’ouverture de quelques sujets que l’on a fort mal disposés ; j’ai d’autrefois fait en prose jusqu’à deux ou trois Actes, mais l’impatience des Poètes ne pouvant souffrir que j’y mise la dernière main, et se présumant être assez forts pour achever sans mon secours, y a tout gâté. 46 Il est donc clair que la troisième pièce en prose que d’Aubignac soumit à Richelieu pour être versifiée n’est pas Palène, La vraie Didon ou Manlius. D’Aubignac distingue entre ces œuvres et les trois pièces en prose qu’il donna à Richelieu pour être versifiées : Il est possible que la pièce mystérieuse soit L’Heureux prodigue. Nous trouvons l’extrait suivant dans La Bibliothèque du théâtre français de La Vallière : L’HEUREUX PRODIGUE, ou les Accidents merveilleux de la fortune, Comédie en cinq actes, en vers. Elle est suivie de cinq entr’actes, aussi en vers ; de plusieurs traductions en vers d’Horace, d’un prologue de pièce dramatique, en vers ; d’un dialogue aussi en vers, etc. MS. in 8 0 . Ce manuscrit paraît original de la main même de l’Auteur, qui est vraisemblablement l’Abbé Hédelin d’Aubignac : ce manuscrit vient de sa Bibliothèque. 47 De toute évidence, cette pièce ne fut jamais publiée. Il se peut que le manuscrit soit l’adaptation en vers d’une pièce qui fut écrite en prose par d’Aubignac. Mais c’est là pure spéculation. Il faut avouer que la question portant sur l’identité de la « troisième » pièce en prose écrite par notre auteur est encore en suspens. 45 D’Aubignac, Quatrième dissertation, p. 166. 46 Ibid., p. 167. 47 La Vallière, p. 19. La paternité du Martyre de S te Catherine (1649) 141 * La paternité de d’Aubignac du Martyre de S te Catherine est invraisemblable puisque l’œuvre est écrite en vers, convention à laquelle l’auteur ne porte qu’un soutien réticent dans sa Pratique du théâtre. D’ailleurs, le dénouement de la tragédie va à l’encontre de la pratique de d’Aubignac dans sa trilogie tragique, La Pucelle d’Orléans, La Cyminde ou les deux victimes et Zénobie, les seules ouvrages dramatiques certains de ce théoricien-dramaturge. La fin de l’intrigue de la S te Catherine se trouve aussi en désaccord avec la théorie énoncée par l’abbé dans sa Pratique du théâtre. Comme nous l’avons démontré, il y a une forte accumulation de preuves que la paternité de la pièce appartient à St. Germain, l’auteur mystérieux du Grand Timoléon de Corinthe. L’hypothèse selon laquelle Le Martyre de S te Catherine en vers est l’adaptation d’une pièce en prose écrite par d’Aubignac n’est fondée que sur l’affirmation de l’auteur qu’il donna trois pièces au cardinal de Richelieu pour qu’elles soient versifiées. Il est douteux que la troisième pièce soit Le Martyre de S te Catherine à cause de la date et du lieu de publication des deux premières éditions de la tragédie en vers. PFSCL XL, 78 (2013) Rewriting Roman History: Thomas Corneille’s La Mort de l’empereur Commode J OE C ARSON (U NIVERSITY OF S T A NDREWS ) If the Roman emperor Commodus (161-192 A.D.) is known today beyond the confines of the academic study of Roman history, it is most likely because of Joaquin Phoenix’ portrayal of him as an unsympathetic, patricidal, tyrannical sociopath in Ridley Scott’s film Gladiator. 1 Such a portrayal might be assumed to be a simplistic attempt to create a suitably black background against which may shine the ‘idea that was Rome’ as embodied, inter alia by Russell Crowe as Maximus and Derek Jacobi as Gracchus. However, whilst there is no truth in the notions that Commodus murdered Marcus Aurelius or that he died in the arena, although he was assassinated, there is abundant evidence in contemporary histories to support the portrayal of him as a tyrant, and a very unpleasant one. 2 Scott is not the first to embody Commodus in dramatic form, Thomas Corneille having done so with his La Mort de l’empereur Commode. 3 As Julia 1 Dreamworks LLC and Universal Studios, 2000. 2 Details of Commodus’ life are to be found in: Dio’s Roman History, with an English translation by Earnest Cary on the basis of the version of Herbert Baldwin Foster, 9 vol. (London: Heinemann, 1914-1927), 9; Herodian, with an English translation by C.R. Whittaker, 2 vol. (London: Heinemann, 1969-1970), 1; and The Scriptores Historiae Augustae, with an English translation by David Magie, 3 vol. (London: Heinemann, 1922-1932), 1 [hereafter SHA or the Historia Augusta]. Whilst the manner of Marcus Aurelius’ death in Scott’s film is fictional, Dio states that he did not die entirely of natural causes: “he passed away on the seventeenth of March, not as a result of the disease from which he still suffered, but by the act of his physicians, as I have been plainly told, who wished to do Commodus a favour” (61). Neither Herodian nor SHA suggests suspicious circumstances. 3 First performed in 1657, published in 1659. In Œuvres de Thomas Corneille, tomes 1 à 9 (Genève, Slatkine Reprints, 1970), pp. 254-276. Facsimile of volumes 1 to 9 of the edition offered by Valeyre fils, Paris, 1758, IV, pp. 1-91. References given as follows (Act & scene; Slatkine page number(s); Valeyre page number(s)). Joe Carson 144 Prest has demonstrated recently, 4 there is not much extant work on the younger Corneille; whilst he was, unquestionably and by common accord, a less talented dramatist than Pierre, not every play he wrote should be dismissed out of hand. Such is the case for La Mort de l’empereur Commode: as this article intends to show, this play demonstrates a firm grasp of the histories of the Roman period, coupled with the ability to select salient details from these sources before amending and moulding them into a form which would be palatable for the Parisian audiences of the late 1650s, with the result that what Corneille in essence produced was a mort de Commode: lue, revue et corrigée. There are also, although we lack the space to study them here, political undertones in this play which cannot have failed to resonate in a court on the cusp of absolutism and which echo in other plays by the same author. 5 Additionally, in keeping with the tragédies romanesques or galantes which are a truer reflection of his ‘serious’ theatrical production up to this time, 6 there are salon inspired discussions between characters on love, constancy and the need to sacrifice one’s love as proof of a true lover’s générosité. Where the ancient sources are concerned, both Dio (c.163-c.235 A.D.) and Herodian (c.170-c.240 A.D.) were contemporaries of Commodus, and both provide eye-witness accounts of selected events from later in his reign. The Historia Augusta dates from much later, possibly towards the end of the fourth century. Commodus inherited the Roman Empire in 180 A.D. 7 on the death of his father, Marcus Aurelius, whom he was accompanying in the German war. There was an attempt on Commodus’ life in Rome probably towards the end of 182, which seems to have been inspired by his sister Lucilla and which was foiled when the supposed assassin, rather than simply stab the emperor, attempted to preface his strike with a statement attributing his action to the senate. 8 Dio (79) ascribes Lucilla’s motives to her dislike for her husband, Pompeianus, whom she urged to arrange the 4 Julia Prest, “Thomas Corneille (1625-1709): beyond the triumvirate”, in French Studies, (2009) 63 (3): pp. 323-329. Of the extant work, the most recent monograph is David A. Collins’ Thomas Corneille: Protean dramatist (Mouton: The Hague, 1966). For the most part descriptive, the section dedicated to this play (pp. 93-96) indicates no awareness of the ancient sources we identify here. 5 There are elements of Le Charme de la voix (1658) and Antiochus (1666), for example, which seem to be overtly critical of raison d’état as a political principle. 6 Timocrate (1656, publ. 1658) and Bérénice (1659) are properly romanesque, deriving, respectively, from episodes in La Calprenède’s Cléopâtre and Scudéry’s Le Grand Cyrus. 7 Dio, 73; SHA, 201-03; Herodian, 21. 8 Dio, 77; SHA, 273; Herodian, 49. The sources differ as to the identity of the foiled assassin. Rewriting Roman History 145 attempted assassination. Herodian (47) asserts that the motive was Lucilla’s jealousy of Crispina, her brother’s new wife, who now enjoyed the imperial privileges which she had herself enjoyed until his marriage. The Historia Augusta (271) suggests, albeit unconvincingly, that Lucilla’s motive was more noble, arising from revulsion at the depravity of her brother. As a result, along with the predictable execution of all participants, suspected participants and most of their families, Commodus exiled his sister to Capri where she too was subsequently executed. 9 Leaving the running of the empire to others, 10 Commodus gave himself over to pleasure, “rioting in the palace amid banquets and in baths along with 300 concubines, […], and with minions, also 300 in number” (SHA, 275). He also liked to disport himself in the arena, variously killing substantial numbers of wild and exotic animals, or appearing as a gladiator or charioteer, actions, as all three sources are at pains to point out, entirely unbecoming of an emperor. 11 The biographies are equally candid when it comes to Commodus’ brutality, providing litanies of the executed and murdered. Dio wryly remarks: I should render my narrative very tedious were I to give a detailed report of all the persons put to death by Commodus, of all those whom he made away with as the result of false accusations or unjustified suspicions or because of their conspicuous wealth, distinguished family, unusual learning or some other point of excellence. (85) Commodus descended further into megalomania, termed madness by the contemporary historians, by insisting that Rome be renamed Commodiana in his honour and that all the months should bear one of his names (cf. Dio, 101-103). He was finally assassinated on 31 st December 192. In all three accounts, Commodus is poisoned then strangled, although the sources vary in their attribution of motive. According to the Historia Augusta (305) the plot was undertaken by “Aemilius Laetus, prefect of the guard, and Marcia, [Commodus’] concubine” in the interest of the state, arising from an accumulation of bad omens combined with the plotters’ distaste for Commodus’ depravity, favouritism and murderous madness. More significantly for Corneille’s purposes, Dio and Herodian attribute Commodus’ death to the unquestionably less noble, but perhaps more compelling motive of self-preservation, 9 As such, her presence at Commodus’ death in Scott’s film is historically inaccurate. 10 Perrenis, until about 184, then Cleander, until 189, both of whom set about making themselves very wealthy until they overreached themselves and fell terminally foul of the emperor. 11 Dio, 91 passim; Herodian, 99-103; SHA, 293-97. Joe Carson 146 the emperor having decided on the death of yet more citizens, among them Marcia, Eclectus and Laetus. 12 Dio, it is true, suggests that there is more than this at play: “Laetus and Eclectus, displeased at the things [Commodus] was doing, and also inspired by fear, in view of the threats he made against them because they tried to prevent him in acting in this way, formed a plot against him” (115, my emphasis). They also make Marcia their “confidant” (Dio, 117). The “things” which displeased Laetus and Eclectus included, specifically, Commodus’ intention to emerge for the end of year festivities from the gladiators’ barracks, not the imperial palace, thereby debasing yet further the office of emperor. Herodian narrates events in much greater detail, taking this unbecoming intention as the starting point and explanation for the events which would unfold. In his version, Commodus first reveals his intention to Marcia “his favourite mistress” (111) who “fell on her knees earnestly begging him with tears in her eyes not to bring disgrace on the Roman empire” (ibid.), all to no avail. Laetus, the praetorian prefect, and Eclectus, the chamberlain, are summoned and ordered to make preparations for Commodus to spend the night in the barracks. They, too, try to “dissuade him from any action unworthy of an emperor” (113). One of Commodus’ character traits, made clear in all three histories, is his visceral dislike of contradiction or argument, a dislike fundamental to Herodian’s version of events, because the emperor, irked by the remonstrations of the others, “wrote down [on a writing tablet] the names of those who would be executed that night. Heading the list was Marcia; then Laetus and Eclectus, followed by a great many leading senators” (ibid.). The writing tablet having been picked up by his favourite boy lover while Commodus was in his bath, it came into Marcia’s possession at which point self-preservation for her, then Laetus and Eclectus became the sole motive for the assassination. 13 Once Commodus had been killed, Helvius Publius Pertinax, one of the few to survive Commodus’ reign from among the councillors (amici) appointed to his son by Marcus Aurelius, was made emperor. A grasp of this detail is important when it comes to understanding how Thomas Corneille moulds his version of events from what was available to him. Antoine Adam, who is often quite scathing in his observations on the 12 Dio, 115-17; Herodian, 111-21. 13 N.B.: SHA also makes mention of a writing tablet, but not in the context of Commodus’ assassination, and much earlier in the account: “He had planned to execute many more men besides, but his plan was betrayed by a certain young servant, who threw out of his bedroom a tablet on which were written the names of those who were to be killed” (287). Rewriting Roman History 147 younger Corneille, 14 has already provided a partial synopsis of the plot of La Mort de l’empereur Commode: Commode s’est épris d’Helvie, fille de Pertinax. Elle le repousse. Il fait savoir qu’en conséquence Pertinax mourra. Elle cède alors mais pendant la cérémonie du mariage, elle essaie de tuer Commode […]. Comparaissant devant Commode, elle le brave. A la fin on découvre que le tyran a décidé la mort de Pertinax, de ses filles et de la moitié des sénateurs. On se débarrasse du monstre avec une coupe empoisonnée, et se voyant près de mourir, il préfère se poignarder. (343) This is at best a simplification of a much more complex and interesting cast of characters. Helvie’s sister, to whom Adam alludes obliquely, plays a substantial role in the play and is called Marcia; Corneille also includes two other significant male characters not mentioned by Adam: Lætus and Électus. That Corneille should have used these names, and chosen Pertinax as the pater familias, indicates already that he is familiar with the original histories. Furthermore, and before one progresses any further than the list of characters, Thomas Corneille’s attempt to mould these personnages to the tastes of his day becomes immediately evident. Firstly, Marcia is no longer a concubine or mistress, but a daughter of one of those appointed among the amici by Marcus Aurelius, thereby significantly elevating her status. Lætus and Électus rise above the mundane levels of praetorian and chamberlain, with an invented character, Flavian, replacing the former as capitaine des gardes de l’empereur. Helvie is also an invention, although the use of one of the familial names of the historical Pertinax suggests that Corneille was familiar at least with the Historia Augusta, as it is the only work to name him fully: “Publio Helvio Pertinaci pater libertinus Helvius Successus fuit” 15 . In addition, the plot is much more complex than Adam indicates. In the first act, it is Marcia, unashamedly covetous of the position of empress, who is supposed to be marrying Commode, while her sister is scathing regarding his tyranny: Helvie […] dans les cruautés qu’il nous fait éprouver Qui peut souffrir son choix semble les appuyer. Marcia […] Il est vrai que Commode a d’injustes maximes, 14 Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVII e siècle, 5 vol. (Paris: Domat, 1948-56), II, 339-343. 15 SHA, 314, translated as “Publius Helvius Pertinax was the son of a freedman, Helvius Successus” (315). Joe Carson 148 Mais le trône, ma sœur, appaise bien des crimes, Et peu dans les plus noirs verroient assez d’horreur, Pour y refuser place auprès d’un empereur. (I.i; 257; 14) Interestingly, both sisters will remain true to these sentiments as events unfold until the need for self-preservation obliges Marcia to change her position at the beginning of the final act. Corneille further complicates matters by his adaptation of the roles of Lætus and Électus, who become, respectively, the amants of Helvie and Marcia. Moreover, Commode wishes to marry his sister to Lætus with the result that in the initial situation each of the proto-couples seems to face a potentially disjunctive obstacle created by the wishes of the emperor. As a consequence a dilemma is created for each couple, opposing, in properly cornelian (Pierre) style, duty and love. Alongside the invention and distortion of historical characters, there are many historical allusions culled from the sources underpinning Corneille’s exposition, which facilitate the creation of the character of the tyrant and of the atmosphere of repression and fear which surrounds him. This use of apparent fact allows Corneille room for manoeuvre when it comes to the vraisemblance of some of his characters’ behaviours, motivations and actions. In the first instance, Marcia, seeing in her marriage recognition of their father’s service alongside the other amici, remarks that he is the only one left alive: “Et de ces vieux amis resté seul aujourd’hui | C’est le zéle de tous qu’il récompense en lui” (ibid.; 15). The idea of the sole survivor is to be found in Herodian: “[Pertinax] was also the only one of the respected councillors left to Commodus by his father who had survived execution” (131). 16 Helvie’s immediate riposte to her sister’s assertion, “Soit qu’il ait craint le peuple, ou respecté son âge, | Dites qu’il est le seul qu’ait épargné sa rage” (TC, ibid.), might equally have been suggested by the subordinate clauses which finish the sentence from Herodian begun above: “[…] execution, perhaps because Commodus stood in awe of his prestige as the most highly honoured of all the companions and generals of Marcus, or perhaps because his poverty kept him alive” (ibid.). The grammatical structure of the first of Helvie’s lines replicates Herodian where the notion of fear, or awe, is also present. The Greek original (less diacritics) reads η δια σεμνοτητα αιδουμενοζ η ωζ πενητα τηρησαζ (130). Here, the soit / soit opposition of the French is present in the η / η construction, while the particple αιδουμενοζ , along with the gloss attributed to it by Whittaker (“stood in awe of”), may also carry a sense of fear, and especially of not flouting 16 Whittaker points out Herodian knew this not to be true (130, n. 1). Rewriting Roman History 149 social conventions, which one might reasonably surmise to be at the root of qu’il ait craint le peuple in Corneille’s text. 17 The essential dialectic as constructed by Corneille is, then, clearly present in the ancient source. Further evidence of Corneille’s willingness to use the ancient sources to create the atmosphere of oppression is to be found in the incorporation of other details from those sources. We have mentioned, above, the implication of Lucilla in a plot against her brother and her subsequent demise as a result of this. Corneille adduces this fact, although, again, Helvie and Marcia view events differently: Helvie En effet, sa fureur au meurtre toujours prête, Des meilleurs citoyens n’a pas proscrit la tête, Et nous n’avons pas vû ce cruel empereur Tremper dès-lors ses mains dans le sang de sa sœur. Marcia De cette indigne sœur l’orgueilleuse manie D’un injuste attentat fut justement punie, Lucilla conspirant crut trop sa passion, Et sa mort était dûe à son ambition. (ibid.; 258; 16) In this instance, Helvie’s biting irony is met with an interpretation of events which seems to be heavily influenced by the manner in which Herodian presents them (cf. supra, p. 2). The orgueilleuse manie and ambition of Corneille’s text are an effective means of conveying what Herodian remarks upon: “But with [Commodus’] marriage to Crispina, precedence was bound to be assigned to the wife of the emperor. Lucilla was angered by this honour paid to Crispina, which she considered to be an insult to herself” (47). Helvie is not prepared to back down, and her immediate response continues the borrowing from the ancient sources: “Et sur quelques soupçons, si j’en crois un bruit sourd, | L’impératrice même eut un destin bien court” (ibid.). Importantly, the source here is not Herodian, although Corneille has been rather coy about the “quelques soupçons”: “His wife, whom he caught in adultery, he drove from his house, then banished her, then put her to death” (SHA, 277); “Commodus also put Crispina to death, having become angry with her for some act of adultery” (Dio, 79). In this case, therefore, since Herodian does not mention this, it seems reasonable to conclude that Corneille was not working from a single source, but must have been familiar with at least one of the others. We can also see further evidence of his 17 My thanks are due to Dr Alex Long of the School of Classics, University of St Andrews, for assistance for this article with nuances in ancient Greek. Joe Carson 150 willingness to temper the more sordid details of the source texts in keeping with the tastes of his audience. Finally in his attempt to use the exposition to give as complete an introduction as is possible to Commode’s character, Corneille turns to what the histories record as the emperor’s desire to emerge for the celebrations of the festival of Janus, not from the imperial palace, but from the gladiators’ quarters. Once again, and for the purposes of consistency of characterisation and dramatic tension, the sisters’ perspectives do not completely tally, however, we notice that Corneille’s Marcia is less sure of herself when she finds herself opposing Commode’s desires: Helvie Ce grand titre pour lui n’est plus qu’une ombre vaine, Tel qu’un gladiateur il descend dans l’arêne; Et jaloux de cet art qu’il croit justifier, Dans ce vil équipage il veut sacrifier. Avec sa lâche troupe il doit aller au temple. Marcia Je lui fis voir dés hier ce dessein sans exemple; Mais comme en son pouvoir il en trouve l’aveu, Qui veut le partager doit le combattre peu. (ibid.; 16-17) We have already cited Herodian’s description of Marcia’s entreaties to Commodus (cf. supra, 4) and it is possible to see Corneille’s vil équipage and lâche troupe as having been suggested by Herodian’s μονομαχοιζ και απεγνωσμενοιζ ανθροποιζ (110). 18 Dio mentions Commodus’ desire to “issue forth both as consul and as secutor from the gladiators’ quarters; in fact he had the first cell there”. The Historia Augusta does not specifically mention his plan for New Year’s eve, but it does report that he “moved his residence from the Palace to the Vectilian Villa on the Caelian hill” (303), the Vectilian Villa, according to Magie, being the “school for gladiators” (302, n. 2). To add further weight to the notion of the inappropriate nature of Commode’s desire to appear with the gladiators, Corneille carefully includes the disapproval of both Laetus and Eclectus as recorded in Herodian (111- 13) and Dio (115-17). Unlike the female characters, the men are allowed by Corneille to express their sentiments directly to the emperor, sentiments which are couched very much in terms of the concern of Rome regarding the propriety of her emperor’s actions and for his safety. 18 Translated by Whittaker as ‘gladiators and desperadoes’ (111). απεγνωσμενοιζ conveying the notion of desperation might especially be associated with the lâche troupe in Corneille. Rewriting Roman History 151 Électus […] si Rome se plaint, ses murmures secrets Ont pour but votre gloire, et non ses intérêts. Dans un grand empereur elle tient tout auguste, Elle sait qu’il n’est rien qu’il n’ait pu rendre juste; […] Mais elle souffre enfin si-tôt qu’elle contemple Le rebut de la terre enflé de votre exemple, De vils gladiateurs dans l’opprobre vieillis, En oser hautement paroître enorgueillis. (I.iv; 260; 24) Corneille even makes it seem as if Commode is acquiescent to the demands of the people, but his words are very deliberately weighted in order to commit himself to nothing. Speaking to Laetus, he gives the order: Vous, faites qu’on apprête Tout ce qui de Janus peut ennoblir la fête, Ordonnez-en la pompe avec un plein éclat, Et, sur-tout, ayez soin d’assembler le sénat. (ibid.; 27) By the end of his first act, Corneille has already shown substantial skill in using the details of Commodus’ life as presented to him in the three histories we believe he was using for reference. Not only does he use the source material to help him create an atmosphere of oppressive fear based on the behaviour and character of the tyrant, but he sensitively tempers the factual excesses of the sources to make his creation palatable to his audience. After his exposition, Corneille effectively leaves the ancient histories aside as sources for action or historical detail until he reaches his dénouement. However the plot complications of the nœud, mostly not addressed by Adam, depend in no small part for their credibility on the atmosphere as created by the exposition and its use of the sources. In the second act, Commode reveals he regards Marcia as little more than an arriviste, speaking of “L’impatient orgueil de son ambition” (II.v; 263; 38), going on to reveal shortly afterwards to Lætus that his true love is for Helvie. This single peripeteia is to have far-reaching consequences, not the least of which is the creation of more multiple dilemmas of which the elder Corneille might easily have approved. In the first instance, Commode reveals his passion for Helvie to Lætus, who is of course in love with her. The immediate effect of this action is to increase our sympathy for the already stricken Lætus, given that he is Joe Carson 152 already sacrificing his love for Helvie in order to marry Commode’s sister. 19 The emperor then compounds the agony by charging Lætus with the task of being the bearer of these happy tidings to Helvie, although one might argue that Corneille misses a trick here, in that, unlike Racine’s Pyrrhus when he makes Oreste his messenger boy, Commode is not aware of his rival’s passion. Nevertheless, Corneille still manages the dramatic irony (and the comédie grinçante) of the situation with some skill in Commode’s words: Enfin, pour lui ôter cet amour glorieux, Lætus, c’est sur toi seul que j’ai jetté les yeux. Va charmer ses désirs avec cette nouvelle; Plus le bonheur est grand, plus la surprise est belle, Contre toute apparence on aime à s’élever. (II.iv; 263; 39) Corneille follows the logical progression of the Commode / Helvie plot according to the manner in which he has drawn their characters, in that Helvie rejects Lætus’ embassy out of hand, and then Commode himself, when he appears, hints at the iron fist beneath the velvet glove: Mais songez que l’amour est sensible à l’outrage, Et qu’à se trop permettre on peut tout hazarder, Quand l’esclave qui prie a droit de commander. (III.ii; 266; 49) Ultimately, in keeping with his character, and in another manner which prefigures the situation in Andromaque, he resorts to emotional blackmail, creating a dilemma which pits Helvie’s filial duty against her revulsion for the ways of the tyrant, 20 although, again unlike Pyrrhus, he does not communicate the threat personally, preferring to leave it to Flavian, who reveals that he has strict instructions concerning Pertinax, should Helvie not accede to Commode’s wishes: Par la perte d’un pere il croit mieux vous punir; Et si pour son hymen vous n’êtes toute prête, Je ne puis le revoir qu’en lui portant sa tête. (III.iii; 267; 53) Unlike Pyrrhus, again, we feel that Commode would have no hesitation in carrying out his threat, so skilfully has Corneille breathed life into the monster portrayed in the ancient sources. Thus far, the dramatist has not yet fully exploited the conflictual situations which his principal peripeteia had created, since he has yet to present us with the woman scorned. After exposing Helvie to the full 19 There is nevertheless an element of pragmatic self-preservation in his agreeing to marry this unnamed sister. 20 At the end of III.iv (267; 54), she laments: “O nature, ô devoir, où me réduisezvous? ”. Rewriting Roman History 153 menace of Commode’s brutality, he brings Marcia immediately into the fray to engage in a jealous spat with her sister, whom she does not believe to be acting in the defence of their father’s life, but rather out of sororial spite. This then engenders a further situation in which parallels may be drawn with Andromaque. As will be the case for Hermione and Oreste after Pyrrhus’ final rejection of the former, Marcia, in a fit of jealous pique, and feeling that Commode’s rejection of her is a stain on her honour, makes herself the prize of the vengeance she demands of Électus, to wit, the murder of the head of state. 21 Corneille’s character, however, while not as conflicted, might be considered to be more calculating than Racine’s, in that she uses a deliberately masculine line of reasoning when trying to persuade Électus, going beyond the simple jealous rage of Hermione: Dans le honteux revers qui dégage ma foi, Le rebut d’un tyran est indigne de toi. Purge-le par sa mort d’une tache si noire, Pour l’oser accepter, rens-moi toute ma gloire. (III.vi; 268; 58) As far as the male characters are concerned, like Oreste, Électus is reticent, although his reticence is not as a result of qualms over regicide, and is more due to a dilemma which, again, pitches his heart against his duty, the latter born out of loyalty to an emperor who has treated him well: Marcia Que devient ta vertu? Que devient ton amour? Électus L’une et l’autre a sur moi toujours le même empire, Mais leurs droits sont divers, et c’est dont je soupire, Puisque des deux côtés mon cœur trop combattu, Voulant tout par amour, n’ose rien par vertu. (ibid.) Ultimately, while Électus’ reaction remains more ambiguous than will be Oreste’s, Corneille unfortunately fails to manage his situation effectively, his black and white portrayal of the tyrant overcoming the subtleties of developing the dilemmas of the other characters. As Adam indicates, Helvie does indeed attempt to assassinate Commode, in the entr’acte between acts three and four, ostensibly therefore during the marriage ceremony. Corneille thus creates a dilemma for his emperor, a dilemma which might be intended to render him less antipathetic, but 21 It is worth noting that Collins draws a parallel (97-98) between the behaviour of Marcia and that of Émilie in Cinna. Such a parallel overlooks the significantly more spiteful nature of Marcia’s desire for vengeance, more akin to Hermione’s jealousy, and the generally less sympathetic nature of the character drawn by the younger Corneille. Joe Carson 154 which above all allows the dramatist to indulge himself in an extended antithesis: [Mon cœur] a beau se résoudre à prononcer contre elle, S’il la connoît coupable, il la voit toujours belle, Il céde à des attraits qu’il ne peut soutenir; Et, punissant son crime, il craint de se punir. (IV.i; 269; 62) Commode even attempts to reason that Helvie is not the principal guilty party, if paranoia can be called reasoning, by attempting to convince himself that she cannot be acting alone, and must therefore be subject to the desires of other conspirators, Lætus being the most likely candidate. The potentially rich dramatic seam of the juxtaposition of a tyrant’s paranoia with a lover’s desire to exculpate the object of his passion may be intended to engage us a little more with the character, but Corneille is incapable of sustaining for long such sophisticated levels of dilemma, making paranoia the almost immediate victor by having Commode decide that Flavian, the faithful captain of his guards and his interlocutor in this first scene, is the only person he can trust. The dramatic irony inherent in this decision will only become clear later when even Flavian is moved to betray his master. As Adam has also indicated, Helvie stands up to Commode, but there is more to her position than Adam allows for, since she resolutely defends her actions as being on behalf of Rome rather than herself. Whilst Corneille moved away from the ancient sources until the dénouement, there is perhaps a memory of their content in Helvie’s words during her confrontation with Commode, when she blames his lack of control over those he has appointed to rule in the provinces as being the reason he is feared and hated in equal measure. She asks him to cast his eyes over those provinces: Vois-y, vois-y par tout ce funeste ravage Qu’exercent d’autre part l’avarice et la rage, Lorsque de ton pouvoir leurs tyrans revêtus, Se font de tes forfaits d’éclatantes vertus; Et que, pour t’imiter dans tes noires maximes, Regardant tes sujets comme autant de victimes, Ces demi-souverains par de lâches rigueurs, S’en immolant les biens, t’en dérobent les cœurs. (IV.ii; 270; 66) All three of the source histories deal with the manner in which both Perennis (Perennius in Herodian) and Cleander abused their positions of power while the emperor indulged himself in pleasure, 22 unaware of their exactions on the people, apparently in his name, and it seems reasonable to 22 Cf. supra, 3, n. 10. Rewriting Roman History 155 conclude that Corneille has used their, sometimes quite detailed, accounts to fuel Helvie’s republican rhetoric in this instance. 23 By the middle of the fourth act, Commode has convinced himself that he is surrounded by conspirators, Électus included, although Marcia persuades herself that she has won the emperor back from her sister, seemingly blind to the inherent ambiguity of his declaration: Mais j’atteste les dieux que rien n’est plus capable D’altérer de ce cœur le decret immuable, Et que l’effet demain justifiant ma foi, Vous serez hors d’état de vous plaindre de moi. (IV.iv; 271-72; 71-72) The events of Corneille’s final act are heavily influenced by the ancient sources, quite substantially modified in order not to offend the mores and tastes of his contemporaries, and, again, Adam’s description does not do the author justice. This act opens with Marcia “tenant les tablettes de l’empereur”, followed by a list of intended victims which must have been influenced by Herodian, who is the only source to go into such detail: “Heading the list was Marcia; then Laetus and Eclectus, followed by a great many leading senators” (113). In Corneille, Marcia is talking to Lætus: Le barbare! A sa haine abandonner ma vie! S’immoler Électus, vous, Pertinax, Helvie, Et, pour porter sa rage au dernier attentat, Proscrire en même temps la moitié du Sénat! (V.i; 273; 77) There is surely little coincidence in the fact that Corneille should have used the three persons offered to him directly by Herodian before inserting firstly Pertinax, then his own invented character into the list in advance of the unnamed senators. As of this point, while following the essential chain of events in the sources, especially Herodian, Corneille moderates the details. In the first instance, the manner in which Commode’s list of those to be executed comes into Marcia’s hands is changed significantly. In Corneille, in keeping with the dramatic irony mentioned above, it is Flavian who, disgusted by the emperor’s behaviour, communicates the tablettes to Marcia: si par un faux zéle, Flavian à son maître eût craint d’être infidéle, S’il n’eût pas trahi les ordres inhumains, Mon aveugle injustice achevoit ses desseins. (ibid.; 78) 23 Herodian, 51-85, who writes specifically of Cleander: “the Romans hated him because they held him responsible for their troubles and loathed his never-ending greed for money” (77); Dio, 89-99; SHA, 275-83. Joe Carson 156 Such honourable behaviour is likely to have been much more palatable to a seventeenth-century audience than the account of Herodian which imputes homosexual paedophile behaviour to Commodus: After writing on the tablet he left it on the couch, thinking no-one would come into his room. But he forgot about the little boy, who was one of those that fashionable Roman fops are pleased to keep in their households running around without any clothes on, decked out in gold and fine jewels. Commodus had such a favourite whom he often used to sleep with. He used to call him Philocommodus, a name to show his fondness for the boy. (115) The boy, having picked up the tablet, “by some extraordinary chance […] happened to meet Marcia” (ibid.), who, on retrieving it, discovers Commodus’ intentions. Therefore, not only does Corneille’s version of events do away with salacious details unsuitable for his contemporaries’ tastes, it also, whilst attributing honourable intent to Flavian, 24 removes the substantial element of chance inherent in Herodian’s account, thereby replacing fate with human will. As is the case in all of the histories, Corneille’s conspirators first administer poison to Commode, however it is no longer Marcia who passes him the poisoned chalice, but Électus. Perhaps, like Racine some years later with Phèdre, Corneille considered this to be behaviour unbefitting his female character, it being enough that she was an active conspirator. Nevertheless, he retains one important detail in that he attributes the actions of passing and accepting the chalice to an habitual action, based on Herodian, according to whom Marcia “normally mixed and handed the emperor his first drink so that he could have the pleasure of drinking from his lover’s hand”, which he happily does on this occasion “toss[ing] it off without a thought” 25 . Corneille introduces the idea of the habitual action, and a notion of doubt, first: “Si, contre sa coutume, un scrupule incertain | Lui faisoit refuser la coupe de sa main” (ibid.; 79). Marcia’s worries are soon calmed by Électus: “Un plein calme en ses yeux déguisant son courage, | Il a pris sans soupçon le funeste breuvage” (V.ii; 274; 80). As such, Corneille has, to a certain extent, sanitized events in terms of the behaviour of his female character, whilst remaining relatively true to the facts as presented in the ancient histories. 24 Flavian’s character is further redeemed when it transpires that should anything go wrong with the plot, he is standing by to kill Commode himself: “Flavian qui l’observe assure l’entreprise” (V.ii; 274; 80). 25 119. Dio says that the poison was administered by Marcia “in some beef” (117). SHA is unspecific. Rewriting Roman History 157 It is worth noting, before we come to Commode’s last moments, that Corneille nevertheless ensures Marcia’s involvement in matters, allowing her proudly to proclaim her part in affairs to Commode: “[…] à Rome Électus voulant prouver sa foi, | T’a donné le poison qu’il a reçu de moi” (V.iv; 275; 84). This comes as a neat codicil to a remark previously made by Corneille’s emperor, which might also be seen as an acknowledgement by the dramatist that he has used known written sources, imbuing it with a subtle level of irony: 26 je veux que l’histoire Avecque tant d’éclat en consacre la gloire, Que ce que de mon sort elle voudra marquer, Sans nommer Marcia, ne se puisse expliquer. (ibid.; 274; 83) Finally, as is the case in the sources, although, once again, Corneille is careful not to follow them to the letter, it is not the poison which finally kills Commode. In all three instances, the poison seems not to be terminal to Commodus’ existence, with both Herodian (121) and Dio (117) suggesting that he regurgitated the majority of it, Dio also speculating that he may have taken an antidote. As a result, the conspirators send in an athlete, named by Herodian and Dio as Narcissus, to finish the job by strangling Commodus to death. In Corneille, once Commode begins to feel the true effects of the poison, he takes his leave of the other characters, and his demise is eventually reported in properly classical style in a récit by Flavian, in which Corneille’s emperor remains true to his character to the bitter end: Dieux, dont l’être n’est dû qu’à notre folle erreur, A-t-il dit d’une voix qu’animoit la fureur, Vains dieux, aveugles dieux, dont la jalouse envie Destinoit le poison pour la fin de ma vie, Malgré vous jusqu’au bout je reglerai mon sort, Et vous démentirai jusqu’au choix de ma mort. Là, saisi d’un poignard, sa rage impatiente Presse à coups redoublés la mort qu’il voit trop lente; Et goûte au moins ce bien, s’il se perce le flanc, Qu’au moment qu’il expire il voit couler du sang. (V.vii; 275; 87) This alteration to the details of the historical sources may have been effected in part, at least, for the purposes of bienséance, it being truly ignominious, not to say ignoble, for the character of an emperor, even if he 26 It is the case that those sources, especially Dio, would have been familiar to the educated contemporary reader and theatre-goer, thereby rendering the irony immediately effective. The irony is only evident today after not insubstantial exegesis. Joe Carson 158 is a tyrant, to die such a sordid death as strangulation, especially if meted out by a mere servant. Moreover, his eventual hastening of his own death through the much more noble act of stabbing himself might be seen as an attempt in some way to redeem the character, were it not for the fact that he is beyond redemption, a fact underlined by his defiantly blasphemous last words. Furthermore, and more importantly than any notion of bienséance, this account of his demise serves further to alienate the character from the audience, even in death, in keeping both with the thoroughly unsympathetic portrayal of him by Corneille, and with the unambiguous depiction of him as a loathsome despot in the historical sources. In addition to the blasphemy, Corneille cleverly, and finally, and thus emphatically, in Flavian’s account reminds us of the character’s blood lust (il voit couler du sang) coupled with his desire to be in absolute control (choix de ma mort). The blood which flows is that of neither tragic victim nor tragic hero: it is the blood of the criminal, the despot, which, as it drains, so returns her dignity to Rome, true victim of the tyrant. By not attributing any tragic value to Commode, we differ from Collins, who attempts to find something, anything, tragic in the character, whilst at the same time completely ignoring any aristotelian precepts. Firstly he observes that: the tragic sense in [Corneille’s] plays arises not from an accident, not directly from an unfortunate event, not even from the spontaneous outburst of grief occasioned by such an event, but finally from the victim’s lucid comprehension of his failure. Thomas Corneille’s most striking heroes and heroines die fully appreciating the causes which have brought about their destruction. […] in his better plays Thomas Corneille conceived of the tragic as the full consciousness of futility. (183-84) Commode’s suicide thus becomes his noblest gesture, since, “having failed in all else, here at least was a victory and a release” (184). This is not entirely consistent with what he had earlier written; describing Commode as a “villainous hero” (91) being a villain “first of all” and a hero “incidentally, accidentally, or, to be perfectly exact, only theatrically” (92), he next remarks: “[Commode] is the hero because the tragedy celebrates his death and because he acts positively and defiantly toward the accomplishment of his ideals. He is villainous because his means are perfidious, treacherous, and perverse” (93). It seems as if Collins is convinced that since the title of the play mentions Commode, and that the play is given as a tragedy, then the eponymous character must therefore somehow be the tragic hero. This interpretation strikes us as rather naive, at best. Even if one were to forget Aristotle completely, Commode has absolutely no redeeming features. In an Rewriting Roman History 159 aristotelian sense, he is the antithesis of the tragic hero, being entirely bereft of any characteristics which might encourage the spectator to identify with him. Racine’s famous distillation of the aristotelian notion of a bonté médiocre is completely absent since Commode is possessed of no bonté to start with. As such he becomes an even more monstrous anti-hero than Cléopâtre or Médée. Collins, it is clear, was either unaware of, or chose to ignore, Corneille’s ancient sources; it is equally clear that he is attempting to impose, anachronistically, a twentieth-century mode of thinking. Corneille’s text is not about futility, it is about the dangers of tyranny, of despotism, of, dare one say it, absolute rule. If we are to accept the play as a tragedy, 27 then the tragic characters would be Laetus, Électus and, especially, Helvie. All of these characters at least have to face up to dilemmas, opposing love and duty, not of their own making and in a situation over which they had no initial control. Corneille’s Marcia does not count here, being too onedimensionally self-centred. Of these central characters, Helvie is surely the most interesting as she is Corneille’s invention. In purely romanesque terms, she helps to create one of the two proto-couples threatened by Commode’s desires. But she is much more than a functional object to balance the plot. She is an idealised embodiment of Rome and Roman values, those of Pertinax and Marcus Aurelius; she serves as a constant counterpoint to her sister’s greed for position, and is horrified by the notion that she should become the emperor’s wife, since to do so would be to abandon Rome and her Roman principles. She, as weak and powerless as Rome, strikes feebly at Commode in an attempted double liberation; finally, she has no part in the conspiracy, but is freed by it. As Corneille’s symbolic invention, once the tyrant has been removed, she can return to being the obedient daughter of a benevolent father in the same way that the citizen owes obedience to a benevolent emperor, where father and emperor are rolled into the person of Pertinax. The value of such an allegorical character can only fully be appreciated with a knowledge of the historical sources which have been used quite extensively by an author who is aware of the need to make those sources correspond to contemporary mores, and who sees in those sources an exemplary warning of the dangers of tyranny. 27 There might be an argument for seeing it more in the tragicomic mould, where the threat to the lives and well-being of characters is removed in extremis, allowing a “happy ending” for those so menaced. PFSCL XL, 78 (2013) Documents écrits dans le théâtre français du dixseptième siècle : mise en page et mise en scène M ICHAEL H AWCROFT (K EBLE C OLLEGE , O XFORD ) Prolégomènes Dans beaucoup de pièces de théâtre du dix-septième siècle, tragiques aussi bien que comiques, les documents écrits jouent un rôle dramaturgique très considérable : la lettre qui trahit Atalide dans Bajazet, les poèmes qui font entrer en conflit Trissotin et Vadius dans Les Femmes savantes. Servant souvent à nouer ou à dénouer l’intrigue, les documents écrits, et surtout les lettres, révèlent des intentions ou apportent des informations qui influencent de façon significative le développement de l’action dramatique. Remarquant que dans les pièces qu’il a examinées entre 1625 et 1650 la lettre a une importance quantitative capitale (dépassée seulement par celle de l’épée), Marc Vuillermoz esquisse les éléments d’une étude dramaturgique de cet objet. 1 Approfondir ce genre d’étude dramaturgique n’est pourtant pas mon propos. 2 1 Marc Vuillermoz, Le Système des objets dans le théâtre français des années 1625- 1650 : Corneille, Mairet, Rotrou, Scudéry (Genève : Droz, 2000), pp. 54-55 (statistiques), p. 199 (moteur de l’action), pp. 201-04 (obstacle), p. 211 (dénouement), p. 224 (suspens), p. 239 (ornement poétique). Dans son très riche ouvrage sur l’écriture didascalique de l’époque pré-moderne, Véronique Lochert fait le résumé du rôle dramaturgique de la lettre : « Trouvées, « baillées », montrées, lues, déchirées, les lettres transmettent des informations plus ou moins falsifiées et sont la source de révélations ou de méprises et le support de jeux de scènes toujours renouvelés » (L’Ecriture du spectacle : les didascalies dans le théâtre européen aux XVI e et XVII e siècles (Genève : Droz, 2009), p. 233). 2 Je ne vais pas non plus développer l’approche de Larry Norman qui considère les poèmes insérés dans les pièces de théâtre du point de vue de leur oralité sur scène : « Entendre les vers comiques : l’intervention du poème écrit dans Mélite, Les Visionnaires et La Comédie des Académistes » dans A haute voix : diction et Michael Hawcroft 162 Je voudrais explorer le document écrit dans le texte théâtral sous deux angles qui, de prime abord, peuvent paraître nettement distincts. Dans un premier temps il est intéressant d’observer la manière dont ces documents sont présentés au lecteur sous forme imprimée ; et dans un second temps il est également intéressant d’interroger les implications de ce genre d’accessoire pour les acteurs sur la scène. Quoique les perspectives du lecteur et du professionnel de théâtre soient différentes, elles se rejoignent précisément dans le détail de la mise en page. Du moins, je vais m’efforcer de le montrer. Cette double perspective demande une élucidation qui servira à orienter ma discussion. On peut croire que les dramaturges du dix-septième siècle se rendaient de plus en plus compte de la possibilité de deux genres de réussite. Ils pouvaient espérer réussir au théâtre en tant que fournisseurs de spectacles à une troupe d’acteurs. En même temps, la pratique, de plus en plus courante à partir des années 1630, de faire publier une pièce de théâtre après la fin de la première série de représentations, offrait aux dramaturges la possibilité de devenir auteurs. Donc deux sortes de bénéfice financier, deux sortes de gloire. La carrière d’auteur pouvait séduire même les dramaturges qui tenaient le plus à la vie théâtrale. C’est la leçon de l’étude d’Edric Caldicott sur Molière. 3 La tentation de la gloire associée à l’impression se voit très clairement dans les recueils collectifs des auteurs à succès, notamment dans les œuvres de Pierre Corneille publiées en 1660, 1663 et 1682, dans les ouvrages collectifs de Racine publiés en 1675/ 76, 1687 et 1697, et dans les œuvres de Molière en huit volumes publiées en 1682 par les soins de Vivot et La Grange, monument posthume à la gloire d’un ami à la fois acteur et auteur. 4 Tous ces ouvrages collectifs sont de très beaux travaux d’édition. On pourrait même croire que l’auteur et l’imprimeur se donnent souvent la peine spécifique de re-façonner un texte théâtral pour en faire un objet de lecture. Il est vrai que certains aspects de la forme imprimée d’une pièce de théâtre montrent, sans ambiguïté aucune, les efforts de l’auteur, de l’éditeur et de l’imprimeur pour proposer un document conçu spécifiquement pour la lecture : la page de titre, l’épître dédicatoire, la préface, la gravure, l’argument, la liste des personnages, la division en actes et en scènes numérotés, la ponctuation, les rubriques de scène, les didascalies explicites, l’usage des prononciation entre 1550 et 1640, éd. Olivia Rosenthal (Paris : Klincksieck, 1998), pp. 177-89. 3 Edric Caldicott, La Carrière de Molière : entre protecteurs et protecteurs (Amsterdam : Rodopi, 1998). 4 Sur la publication des pièces de théâtre en recueil, voir notamment Le Parnasse du théâtre : les recueils d’œuvres complètes de théâtre au XVII e siècle, éd. Georges Forestier, Edric Caldicott et Claude Bourqui (Paris : PUPS, 2007). Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 163 majuscules, l’alternance des caractères italiques et romains. Or ce n’est une chose ni facile ni évidente de transformer en un livre capable de plaire à un lecteur un texte manuscrit ayant servi, dans son état originel, de support à une représentation théâtrale. Les habitudes éditoriales adoptées au dixseptième siècle doivent beaucoup aux expériences des éditeurs de pièces de théâtre grecques et latines depuis la fin du quinzième siècle ; 5 mais ces habitudes changent selon les modes de l’édition en général, selon l’économie nationale (crise financière après les années de la Fronde), 6 et selon les idées des auteurs (Corneille parle, par exemple, de l’orthographe innovatrice qu’il a voulu mettre en œuvre dans l’édition collective de 1663). 7 Malgré tout ce qu’on faisait pour transformer un support de spectacle en véritable livre, il demeure vrai que la forme imprimée d’une pièce de théâtre est un texte hybride. Ce n’est ni entièrement un livre tout court, ni entièrement la transcription d’un manuscrit théâtral. Partout dans son ouvrage sur l’écriture du spectacle, Véronique Lochert pose une question fondamentale sur un des éléments clé du texte dramatique - les didascalies : à qui s’adresse le texte didascalique ? 8 Tantôt c’est au lecteur, tantôt à des acteurs éventuels, tantôt au censeur. La forme imprimée d’une pièce de théâtre est un texte qui souvent, dans une édition soignée par exemple, donne l’impression de se vouloir un texte stable, mais qui, par sa nature même, a nécessairement peine à l’être. Ces réflexions sont destinées à établir un contexte assez large pour l’examen que je me propose de faire de la mise en page de lettres et de poèmes dans le texte théâtral. Disons tout de suite qu’il y a deux types fondamentaux de ce genre de document. En premier lieu, il y a le document qui est présent sur scène, auquel les personnages font allusion, mais qui n’est pas lu à haute voix, comme la lettre écrite par Agamemnon dans l’Iphigénie de Racine (I.1) pour empêcher l’arrivée de Clytemnestre et d’Iphigénie, mais que Clytemnestre reçoit trop tard (II.4). De cette lettre n’est 5 Voir James Ambrose, « The Reception of Seneca the Tragedian in early modern France : Editions, Translations, Commentaries », thèse de doctorat (Université d’Oxford, 2008). 6 Voir Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVII e siècle, 2 vol., Genève : Droz, 1999, II, 555-96 (sur la « crise de l’édition » dans les années 1643- 65). 7 Le Théâtre de Pierre Corneille, 2 vol. (Paris : Guillaume de Luyne, 1663), I, iii-vi (« Au lecteur »). 8 Elle conclut que le texte dramatique est « à la fois une œuvre littéraire et la partition d’un spectacle » (p. 619). Mais tout l’intérêt de ces analyses montrent que c’est tantôt l’une, tantôt l’autre, selon les détails qu’on examine. D’où l’instabilité foncière de ce genre de texte. Michael Hawcroft 164 faite aucune lecture sur scène, quoiqu’Agamemnon en fasse rapidement le résumé (v. 150). En deuxième lieu, et plus intéressant pour mon propos, il y a des documents qui, à tel moment de l’action dramatique, sont présents sur scène et qui sont lus à haute voix. Nous allons commencer par faire l’analyse de ce deuxième type de document. Mise en page des documents accessoires C’est le document qui est lu à haute voix sur scène qui pose à l’auteur et à l’imprimeur des problèmes de mise en page. Comment représenter sur la page imprimée le fait qu’un personnage cesse de parler dans sa propre voix pour lire à haute voix un document qu’il tient à la main ? Quels sont les enjeux, pour le lecteur d’une pièce de théâtre, des choix présentationnels adoptés ? La variété des réponses apportées à ces questions nous suggère que, pour les auteurs et les imprimeurs du dix-septième siècle, imprimer un document accessoire n’était pas chose simple. J’organise la présentation de mes exemples de mise en page en trois groupes. D’abord, les deux pôles : celui où la réalité matérielle du document est le moins mise en évidence pour le lecteur et celui où cette réalité est le plus mise en évidence. Je passe ensuite à une variété d’exemples se situant entre ces deux pôles. On pourra se référer aux figures reproduisant les pages dont je fais l’analyse. L’exemple le plus extrême d’une mise en page ne mettant pas en valeur la réalité matérielle des documents dont il s’agit se trouve dans la première scène du Malade imaginaire (Fig. 1). 9 Le lecteur lit ce qui paraît être un long monologue d’Argan. Rien, typographiquement, n’indique qu’il s’agit tantôt du discours supposé spontané d’Argan, tantôt du texte des « Parties d’Apotiquaire » dont Argan lit des extraits à haute voix. Est ainsi établie une sorte de dialogue avec Monsieur Fleurant, représenté, sur scène, par ses « Parties ». C’est au lecteur de déduire ce jeu de dialogue à partir de la didascalie externe en tête de son discours. Tout est d’Argan jusqu’à la phrase « Les entrailles de Monsieur, trente sols », qu’il faut reconnaître comme une citation d’une des « Parties d’Apotiquaire ». Le lecteur n’est pas non plus très informé par la mise en page des lettres dans Dom Garcie de Navarre. Done Elvire insiste pour que Dom Garcie lise une lettre qu’elle vient de recevoir (1.3) (Fig. 2). Presque aucune distinction typographique n’indique le statut différent des mots lus à haute voix. Le lecteur doit se fier à la didascalie externe « lit ». Comme tout autre discours, le texte de la lettre est en caractères romains, et aligné à gauche. Le lecteur 9 Je donne, en appendice, les détails de toutes les éditions consultées. Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 165 peut pourtant observer une nouvelle métrique, un nouvel agencement de rimes, l’usage d’une interligne au milieu de la lettre et une signature ‘D. IGNES’, alignée à droite, à la fin de la lettre. Le lecteur doit quand-même être très attentif pour identifier la nature épistolaire de ce discours. Dans ces deux exemples, tirés de l’édition 1682 des Œuvres de Molière, le lecteur doit prendre conscience de l’apparition de deux modes de discours juxtaposés par la présence d’une seule didascalie. Pour bien appréhender le contraste entre les différentes façons de mettre en page un document écrit, il est instructif de comparer ces pages de Molière avec quelques pages tirées de la première édition de Mélite de Pierre Corneille. On verra que l’imprimeur de Corneille fait tout son possible pour aider le lecteur à comprendre qu’il s’agit de discours différents du discours supposé spontané des personnages. Dans le deuxième acte de la pièce, deux documents différents sont lus à haute voix sur la scène et donc imprimés dans la version publiée de la pièce : un sonnet et une lettre. Dans les deux cas, toute une gamme d’éléments typographiques est mise en œuvre pour rappeler au lecteur qu’il s’agit de documents ayant une existence matérielle sur la scène. Considérons d’abord le sonnet que Tirsis montre à sa sœur Cloris et qu’il a rédigé de la part d’Eraste pour exprimer l’amour de celui-ci pour Mélite (II.5) (Fig. 3, 4). La lecture du sonnet est interrompue par Cloris au bout du premier vers. Quand elle est reprise, le sonnet est lu en entier. Il faut surtout noter la distinction typographique qui caractérise la présentation du sonnet. Avant la lecture du premier vers une ligne horizontale sépare le sonnet du discours précédent. Ensuite il y a un titre « SONNET », aligné au centre avec caractères majuscules et romains, tandis que les discours des personnages sont imprimés en caractères italiques. Le premier vers du sonnet est, lui aussi, en caractères romains, et les deux premières lettres du premier mot « Apres » sont imprimées en majuscules. Pour la reprise de la lecture du sonnet, la distinction typographique est encore plus frappante. Une page entière est accordée à l’impression du sonnet. Au lieu d’une ligne horizontale, il y a une belle frise ornée. Le titre en majuscules romaines est suivi d’un petit dessin en arabesques aligné au centre. Le sonnet lui-même est mis en page comme dans un recueil de poésies : les quatrains et les tercets sont imprimés séparément avec alinéa pour le premier vers de chacun. La première lettre du sonnet est une majuscule ornée, et tout est en caractères romains. Tout l’effort de l’imprimeur vise à faire en sorte que le lecteur ait sous les yeux ce qui pourrait ressembler à un document écrit et autonome. Tandis que, pour Le Malade imaginaire et Dom Garcie, le lecteur doit faire très attention pour bien distinguer discours lu et discours spontané, pour Mélite le lecteur est dispensé de cette obligation par le travail soigné de l’imprimeur. Et cependant le sonnet paraît tellement séparé de tout ce qui Michael Hawcroft 166 l’entoure que le lecteur de Mélite doit faire attention pour saisir l’identité de celui qui lit le sonnet. Aucune didascalie externe n’indique que c’est Tirsis. Mais il y a une didascalie interne, « je vay recommencer », et il est à présumer que le sonnet est lu par le dernier personnage qui a été nommé, donc Tirsis. L’autre lettre qui est lue à haute voix dans le même acte montre une distinction typographique comparable, mais crée de nouveaux problèmes pour le lecteur (II.7) (Fig. 5, 6). Cliton donne à Philandre une lettre qui a été rédigée par Eraste, mais Eraste veut faire croire à Philandre que c’est une lettre de Mélite. Le discours de Cliton est suivi d’une frise ornée. Ensuite il y a un titre, aligné au centre avec grandes majuscules pour « LETTRE SUPPOSEE » et petites majuscules pour « DE MELITE A PHILANDRE ». Le texte de la lettre est en prose, imprimé en caractères romains et aligné à gauche et à droite ; et la première lettre, « M », est une majuscule ornée. Ainsi l’autonomie du discours épistolaire est-elle garantie typographiquement pour le lecteur. Et cependant, le lecteur doit savoir qui lit cette lettre. Le dernier personnage nommé est Cliton, mais une didascalie interne suggère que la lettre était déjà dans les mains de Philandre. Cliton vient de lui dire : « Ouvrez-la seulement ». Après le texte de la lettre, le premier personnage à prendre la parole est Eraste, qui en fait un commentaire. Il est donc à présumer que Philandre lit la lettre quoiqu’il ne soit pas nommé. On l’apprend, mais seulement après coup, en s’appuyant sur une didascalie marginale accompagnant la réplique d’Eraste : « Cependant que Philandre lit [ … ] ». La présentation de la lettre soulève un problème supplémentaire : le titre. Nous avons peut-être imaginé que dans le cas du sonnet, le titre « SONNET » est censé être présent sur la page manuscrite et destiné à être lu à haute voix. Dans le cas de la lettre, le lecteur ne peut imaginer que le titre « LETTRE SUPPOSEE DE MELITE A PHILANDRE » soit censé être présent sur la page manuscrite ou lu à haute voix. Tout doit amener Philandre à croire que la lettre est véritablement de Mélite, quoiqu’elle ne le soit pas. A quoi sert le titre alors ? Il ne fait pas partie du texte épistolaire ; il peut être interprété comme une sorte de didascalie rappelant au lecteur la fausseté de la lettre. Le spectateur, lui, est privé de ce genre de rappel. J’en viens à un dernier exemple d’un document que sa présentation typographique distingue nettement du texte à l’entour, mais différemment des documents dans Mélite. Le Grand et Dernier Solyman ou la mort de Mustapha de Mairet est une pièce riche en documents écrits. Il y en a six qui sont lus à haute voix au cours de la pièce et d’autres qui sont physiquement présents sur scène sans être lus. Bajazet donne une lettre à Mustapha, disant : « Ah Seigneur ce billet n’est point coup d’aventure / C’est pourquoy hastez vous d’en faire la lecture » (III.1) (Fig. 7). C’est de cette didascalie Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 167 interne que le lecteur doit déduire que la lettre est lue par Mustapha. Aucune ligne horizontale, aucune frise ne la distingue. Mais le titre, aligné au centre et en grandes minuscules romaines, suffit. Il faut ajouter que la forme métrique la distingue très clairement de ce qui l’entoure : deux quatrains d’alexandrins en rimes croisées. Et cette distinction est soulignée typographiquement par la grande majuscule « P » au début et par le petit dessin en arabesques qui sépare les quatrains. Il peut paraître bizarre, si c’est Mustapha qui lit la lettre, que le texte soit immédiatement suivi par son nom en majuscules, aligné au centre, indiquant que c’est lui qui parle après la lecture de la lettre. C’est peut-être une autre façon de bien distinguer le texte épistolaire pour le lecteur et de lui indiquer, sans aucune ambiguïté, quels mots sont lus et quels mots sont supposés être prononcés spontanément par le personnage qui parle. La plupart des documents écrits qui se trouvent dans les pièces de théâtre sont situés, d’un point de vue typographique, entre ces deux pôles : c’est-à-dire que leur mise en page ne fait d’eux ni des textes presque entièrement incorporés dans le discours d’un personnage ni des textes presque autonomes du discours des personnages. C’est le cas, par exemple, pour la première lettre lue à haute voix dans l’Amélie de Rotrou (II.7) (Fig. 8). Une didascalie marginale indique que Dionys lit la lettre qu’il vient de recevoir. La lettre a pour titre le nom du destinataire (quoiqu’il y ait une coquille). Elle est distinguée du texte qui l’entoure par l’usage de caractères romains, par le fait d’être imprimée en retrait, et par un changement de versification (trois quatrains en rimes croisées). Mais l’imprimeur n’a pas employé de lignes horizontales, de frises, de lettres ornées, de dessins en arabesques. D’ailleurs, à l’aide d’un tout petit détail, il rend clair, pour le lecteur, la distinction entre lettre et discours spontané en même temps qu’il rend clair l’identité de celui qui parle. Ce détail est la didascalie externe « continuë ». L’imprimeur répète, en majuscules romaines, le nom de celui qui parle, comme dans l’exemple tiré du Solyman plus haut ; mais il ajoute la didascalie « continuë » pour que le lecteur n’ait pas de doute que c’est Dionys qui vient de lire le texte de la lettre mais qui parle maintenant dans sa propre voix. La même didascalie « continuë » est employée à deux reprises dans le quatrième acte de la première édition du Dépit amoureux de Molière (1662) pour indiquer clairement qu’Eraste parle après sa lecture de la lettre de Lucille et que Lucille parle après sa lecture de la lettre d’Eraste (IV.3) (Fig. 9). Pour ces deux lettres, il n’y a ni ligne horizontale, ni frise, ni caractères italiques qui auraient pu créer un contraste avec les caractères romains utilisés pour les discours des personnages. Mais dans les deux cas il y a une métrique différente, un agencement de rimes différent de ceux adoptés pour Michael Hawcroft 168 les discours des personnages, et l’usage de l’alinéa pour certains vers. Il y a aussi une didascalie d’introduction (« lit ») qui identifie sans ambiguïté l’identité du personnage qui lit la lettre. Il y a enfin, en majuscules romaines, alignée à droite, une signature à la fin de la deuxième lettre. Il y a un exemple curieux non seulement de l’usage d’une signature, mais aussi de la présentation métrique d’une lettre dans Le Menteur de Corneille (II.8) (Fig. 10). Lycas donne un billet à Dorante, qui dit dans sa propre voix « Autre billet », faisant ainsi allusion à un billet qu’il a déjà reçu et lu dans la scène précédente. Après le texte du billet, l’imprimeur répète le nom de Dorante en majuscules romaines avant de donner les commentaires de celui-ci sur ce qu’il vient de lire. La didascalie « apres avoir leu » revêt la même fonction que la didascalie « continuë » dans d’autres textes. Or, après les mots « Autre billet » nous lisons en majuscules romaines, et aligné au centre, le titre du billet « BILLET D’ALCIPPE A DORANTE ». Nous lisons ensuite les mots d’Alcippe, suivis de sa signature en majuscules romaines, alignée à droite. Ici c’est le titre, le changement de caractères (en romains) et la signature qui distingue clairement le billet de ce qui l’entoure, mais non pas la métrique, qui, elle, ne crée aucune rupture avec le discours supposé spontané de Dorante. Les mots « Autre billet » constituent la fin du premier hémistiche de l’alexandrin. Le deuxième hémistiche de ce même alexandrin est composé des premiers mots de la lettre d’Alcippe, « Une offense receuë ». Ce qui nous indique que le titre du billet est présent pour guider le lecteur, ne pouvant pas être prononcé sur scène sans créer un nonsens métrique. Encore plus intéressante, ici, est la présentation de la signature. Quoiqu’elle soit alignée à droite en majuscules romaines, elle constitue les sixième et septième syllabes de l’alexandrin qui commence par « Je vous attends au mail » et qui termine par « Ouy volontiers ». Par la métrique cette lettre se rattache au discours qui l’entoure, mais par sa mise en page elle s’en détache nettement. Observations sur la mise en page Essayons de faire des observations générales sur les exemples dont nous venons de faire l’analyse. Le lecteur a besoin de savoir que certains mots ne font pas partie du discours supposé spontané du personnage qui parle, et que ce sont des mots supposés contenus dans un document écrit qui est lu à haute voix. Pour saisir le statut particulier de ce discours, le lecteur a besoin d’une indication typographique. Or il s’avère que, selon les choix typographiques adoptés, la forme imprimée peut insister tantôt sur le changement de statut du discours, tantôt sur la réalité d’un document matériel que le lecteur est invité à envisager. Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 169 Cependant, le lecteur a besoin d’autre chose. Non seulement il doit se rendre compte que le statut du discours change ; il doit savoir aussi qui parle, et plus précisément qui lit le document écrit à haute voix. Or, si la forme imprimée insiste plutôt sur le changement de statut du discours, les choix typographiques adoptés ont généralement pour effet d’identifier très clairement le personnage qui parle. En revanche, si c’est la réalité d’un document matériel qui se trouve mise en valeur pour le lecteur, il y a plus de risques que le personnage qui parle soit moins clairement identifié. Toutes ces considérations reposent sur les choix adoptés entre les différents éléments de présentation que nous avons pu observer. En voici la liste complète : didascalies externes et internes ; alternance de caractères romains et italiques ; choix entre prose et vers, et choix de forme métrique ; majuscules grandes ou ornées ; titrage des documents ; identification d’un destinataire ; présence d’une signature ; usage de l’alinéa ; présentation d’un texte en retrait ; identification du personnage qui parle ; lignes horizontales, frises ornées, petits dessins en arabesques ; changement d’interligne. Bref, pour toute impression de document accessoire, beaucoup d’options se présentaient. Qui opérait un choix ? Pour certaines options, c’était évidemment l’auteur. Les didascalies internes, le choix entre prose et vers, le choix de la forme métrique, par exemple, ne dépendent que de lui. Peut-être que, la plupart du temps, les didascalies externes, l’identification d’un destinataire, la présence d’une signature dépendaient aussi de lui. Pour d’autres (changement d’interligne et tout ce qui est de l’ordre de l’ornementation), c’était certainement le personnel de l’imprimerie, motivé par les habitudes de la maison, la mode, les considérations financières (il est clair, par exemple, qu’après 1650 environ, quand l’industrie de l’impression connaissait une crise financière, les choix faits tendaient toujours vers l’économie, c’est-à-dire qu’on utilisait de moins en moins de papier, l’élément le plus coûteux de toute l’opération de l’imprimerie (Martin, II, 583-85)). Si, pour les exemples que j’ai présentés, j’ai presque toujours cité la mise en page de la première édition de chaque pièce, il est clair que les mêmes options ne furent pas toujours retenues pour les éditions ultérieures. Par exemple, la belle frise mettant en valeur le sonnet dans la première édition de Mélite ne se trouve plus dans l’édition de 1663, ni dans celle de 1682. Je n’ai pourtant pas fait une comparaison systématique entre les différentes éditions. La tâche du lecteur n’est pas d’attribuer tel ou tel choix typographique à tel ou tel individu responsable de telle ou telle édition, c’est de bien comprendre et bien apprécier une pièce de théâtre dans la forme imprimée qu’il a sous ses yeux. L’étude de la mise en page de documents écrits nous révèle le défi que ce genre de discours spécialisé lançait au lecteur désirant accomplir cette tâche. Michael Hawcroft 170 Mise en scène des documents accessoires Pour étudier la mise en page, nous disposons des solides preuves de l’imprimé. En nous penchant maintenant sur la mise en scène des documents accessoires, nous entrons dans le domaine de l’hypothèse. Il y a pourtant une bonne raison de traiter ensemble ces perspectives apparemment différentes à propos de ce genre de document : il existe, peut-être, dans leur forme imprimée, des indices qui nous permettraient de mieux comprendre leur forme scénique. Cependant il est à noter que ce changement de perspective va nous amener parfois à prendre le contre-pied des observations que nous avons déjà faites plus haut où nous avons mis en valeur le rôle du lecteur. Nous nous tournons maintenant vers celui des professionnels de théâtre du dix-septième siècle. La question essentielle que je me pose est celle-ci : ces documents écrits, dont les lecteurs perçoivent l’existence sur la page imprimée (qu’ils soient lus à haute voix ou non), à quoi ressemblaient-ils sur scène ? Qu’ils aient eu une présence physique assez considérable ne fait aucun doute. Elle est souvent évoquée dans les textes eux-mêmes. Ces divers papiers sont enveloppés dans des mouchoirs qui tombent par terre avant d’être ramassés et dénoués pour que leur contenu soit révélé (Mairet, Le Grand et Dernier Solyman, III.1, p. 55). On écrit des lettres sur scène avec papier et plume, on les ferme et les rouvre à plusieurs reprises pour montrer son incertitude envers les messages qu’elles contiennent (Rotrou, Iphygénie, I.1, p. 2 ; I.5, p. 19). On les cache dans son sein pour que leur contenu ne soit pas révélé (Racine, Bajazet, IV.1, p. 58). Il arrive même qu’on les brûle sur scène au feu d’un flambeau (Corneille, Sertorius, V.6, p. 79). On les déchire en morceaux et les jette par terre (Corneille, La Place Royale, II.2, p. 27). Et, au moins une fois, les deux moitiés d’un document déchiré sont rassemblées pour que le sens puisse être rétabli (Molière, Dom Garcie, II.6, p. 33). Me basant sur les travaux de Tiffany Stern sur le théâtre anglais, j’avance l’hypothèse suivante. 10 Si un document écrit n’était pas destiné à être lu sur scène, les acteurs se servaient de feuilles blanches (ou du moins de feuilles contentant un texte n’ayant aucun rapport avec le texte de la pièce). Si, en revanche, le document était lu sur scène, les acteurs se servaient généralement de feuilles qui contenaient le texte à dire. Aucune preuve solide ne vient à l’appui de cette hypothèse dans le cas du théâtre français du dix-septième siècle. Aucun texte du dix-septième siècle n’ex- 10 Tiffany Stern, Documents of Performance in Early Modern England (Cambridge : Cambridge University Press, 2009), ch. 6 « Scrolls » (pp. 174-200). Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 171 plique ni ne suggère l’existence de deux types de documents tels que ceux que je viens de décrire. A ma connaissance, le hasard ne nous a pas fait parvenir le moindre document accessoire, ce qui n’est guère étonnant, étant donné le caractère éphémère et fragile d’une feuille de papier dans les coulisses d’un théâtre. Tiffany Stern a eu plus de chance dans le cas du théâtre anglais. Deux documents clé de l’époque lui fournissent des preuves intéressantes. Un seul rôle d’acteur manuscrit survit pour le théâtre anglais de la période prémoderne, celui d’Orlando dans la Historie of Orlando Furioso de Robert Greene (publiée en 1594). Tiffany Stern a noté que le texte des poèmes que, dans l’action dramatique, le personnage trouve attachés à des arbres et qu’il lit à haute voix, manquent dans le rôle manuscrit (p. 180). D’où elle conclut que les documents accessoires contenaient eux-mêmes le texte des poèmes. L’autre document auquel elle fait appel est un véritable document accessoire qui, miraculeusement, a survécu. C’est une lettre manuscrite qui devait faire partie des fêtes théâtrales des messieurs de Gray’s Inn et de Inner Temple entre Noël 1594 et mardi gras 1595 (pp. 186-87). Le texte indique, en tête, le destinateur et, en queue, la date et le lieu de provenance. Stern note aussi que la lettre a été pliée et que le nom du destinataire est indiqué au verso (« To the Greate Turke »). Si les documents écrits destinés à être lus à haute voix étaient systématiquement traités de cette façon, cela aidait l’acteur qui avait ainsi quelques phrases de moins à apprendre par cœur ; cela aidait en même temps le copiste qui, s’il recopiait le texte du document écrit pour en créer l’accessoire, n’avait plus besoin de recopier le même texte dans le rôle de l’acteur. Si nous transposons ce traitement du document écrit dans le contexte français, nous devrons ré-envisager quelque peu la manière dont travaillaient ensemble le copiste, les acteurs, et le décorateur. Le copiste, selon Chappuzeau, est responsable des « originaux » de toutes les pièces jouées par la troupe. 11 Il doit recopier le rôle de chaque personnage, et c’est en utilisant ce manuscrit que l’acteur apprend ses vers. Enfin il doit « tenir la piece dans une des aîles du Theâtre » pendant les représentations et suppléer à des trous de mémoire éventuels de la part des acteurs (p. 225). Heureusement, un certain nombre de documents qu’un copiste du dixseptième siècle aurait pu tenir dans les coulisses du théâtre ont survécu aux Archives de la Comédie-Française (MS 1-17). Il ne s’agit pas de manuscrits d’auteur, mais de textes recopiés par le copiste, contenant des indications indispensables pour la bonne conduite de la représentation de la pièce. 11 Samuel Chappuzeau, Le Théâtre françois, éd. C. J. Gossip (Tübingen : Gunter Narr, 2009), p. 225. Michael Hawcroft 172 Selon notre hypothèse, le copiste devait aussi recopier le texte de chaque document écrit destiné à être lu sur scène. Or, en examinant bien les copies de souffleurs contenant des pièces où un ou plusieurs documents écrits sont des accessoires nécessaires, on trouve de tout petits signes du statut très particulier de ce genre de texte. Une lettre est lue à haute voix dans l’Ariane de Thomas Corneille (V.4). Dans la copie du souffleur (MS 8), le texte se présente ainsi (p. 89) : Ariane. Lisons …. mon amour tremble à se voir éclaircir. Lit Thésée à Pirithoüs. Pardonnez une fuite ou l’Amour me condamne, Je pars sans vous en avertir. Phèdre du même amour n’a pû se garantir, Elle fuit avec moi. Prenez soin d’Ariane. Prenez soin d’Ariane ! Il viole sa foi, Me desespere, et vient qu’on prenne soin de moi. Le copiste emploie une encre noire sauf pour deux éléments qui ont été ajoutés ultérieurement dans une encre marron : le mot ‘Lit’ et la ligne horizontale, tous deux insérés dans l’espace entre deux lignes de texte. Ces deux ajouts ne nous montrent pas forcément que le copiste aurait recopié le texte de la lettre dans un document accessoire, quoiqu’ils distinguent très nettement ce qui aurait pu paraître dans un tel document. En revanche, ils montrent très clairement que le copiste/ souffleur réfléchit au statut particulier de ces vers et à ce que ce statut pourrait impliquer pour la représentation de la scène. Il est intéressant de noter qu’une édition de la pièce publiée en 1672 reproduit le texte tel qu’il paraît ci-dessus, sans la didascalie ‘Lit’, sans la ligne horizontale, mais avec l’usage de caractères italiques pour le texte de la lettre. On pourrait faire une analyse comparable de la présentation du texte d’une lettre dans la copie de souffleur du Dom Japhet d’Arménie de Scarron (II.2). Le nom de celui qui lit la lettre (Le Baillé, dans le manuscrit ; Le Bailly dans les éditions imprimées) est suivi de la didascalie ‘lisant l’inscription’ (MS 9, p. 21). Cette didascalie est reproduite dans les éditions imprimées. Cependant, comme pour être sûr du statut particulier de l’inscription, le copiste ajoute entre parenthèses ‘il lit’, cette didascalie supplémentaire ne figurant pas dans les éditions imprimées. Encore une fois, ceci ne montre pas de façon concluante que le copiste devait préparer un document accessoire contenant le texte de la lettre ; mais le fait d’insister sur l’acte de lecture suggère fortement que l’acteur devait bien lire le texte sur scène. Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 173 Que peut-on savoir, ou imaginer, à propos de la gestion des documents accessoires au théâtre ? Chappuzeau nous dit que le décorateur s’occupait des « enjolivemens du Theatre » et des « choses necessaires » (p. 229). Effectivement les notices du Mémoire de Mahelot semblent nous confirmer que les décorateurs successifs de l’Hôtel de Bourgogne avaient charge non seulement du décor mais aussi des accessoires (puisqu’il est souvent question d’accessoires dans les notices). 12 Cependant, pour les documents écrits, surtout dans les pièces où il y en a plusieurs, il aurait fallu une gestion extrêmement soignée pour que chaque acteur entre en scène avec précisément le document qu’il lui fallait. En fait, Chappuzeau nous fait voir la manière dont les troupes assuraient l’entrée de chaque acteur au bon moment : « Durant la Comedie [ les acteurs ] observent un grand silence pour ne troubler pas l’Acteur qui parle, et se tiennent modestement sur des sieges aux aîles du Theâtre pour entrer juste, en quoy il se peuvent regler sur un paper attaché à la toile, qui marque les entrées et les sorties » (p. 172). Qui était responsable de la rédaction de ce papier ? Nous ne le savons pas. Peut-être le copiste. Mais on peut se demander si c’était un travail collectif et si, tout en indiquant les entrées, ce papier indiquait aussi les accessoires qu’il fallait à chaque entrée. En tout cas, que ce papier indiquât les accessoires ou non, chaque document accessoire devait être clairement identifié pour que l’acteur entrât avec celui qui convenait. Pour bien apprécier l’importance et l’éventuelle complexité de la gestion des documents accessoires, il est intéressant de nous pencher sur une pièce où il en faut plusieurs. Pour représenter la Mélite de Corneille il faut quatre documents écrits ; tous sont lus à haute voix ; chacun n’est lu qu’une seule fois, quoiqu’ils paraissent tous dans plus d’une scène. Dans la cinquième scène de l’acte II Tirsis doit entrer avec le sonnet qu’il a rédigé de la part d’Eraste pour que celui-ci l’envoie à Mélite. Dans cette même scène il le lit à haute voix à sa sœur Cloris. Tirsis sort pour revenir dans la huitième scène du même acte, toujours avec le sonnet qu’il donne à Eraste. Celui-ci le lit tout bas et le laisse tomber par terre. Tirsis le ramasse, le place discrètement dans le sein de Mélite, qui quitte la scène. Le sonnet ne réapparaît plus. Mais il faut, dans les coulisses, que le sonnet soit récupéré du sein de Mélite et gardé pour l’entrée de Tirsis au deuxième acte dans la suite de la représentation de la pièce. Pour son entrée dans la sixième scène de l’acte II, Eraste a besoin d’un document écrit. C’est la première « lettre supposée de Mélite à Philandre ». Eraste la donne à Cliton, qui, dans la scène suivante, la donne à Philandre 12 Le Mémoire de Mahelot, ed. Pierre Pasquier (Paris : Champion, 2005). Michael Hawcroft 174 qui la lit à haute voix avant de sortir avec la lettre. Lorsque Philandre entre de nouveau sur scène (III.1) il lui faut deux autres documents écrits dans sa poche qu’il montre à Tirsis dans la scène suivante. Ce sont les deuxième et troisième « lettres supposées de Mélite à Philandre ». Tirsis les lit à haute voix, les garde après la sortie de Philandre, les montre à sa sœur, qui les lit silencieusement (III.4) et qui les garde. Elle les montre, après, à Philandre pour observer sa réaction quand il les voit dans ses mains ; et Philandre essaie en vain de s’en saisir (III.7). Entrant en scène dans le quatrième acte, Cloris a toujours ces deux lettres qu’elle donne à Mélite, celle-ci horrifiée par l’imposture qu’elles lui révèlent (IV.2). Dans les coulisses, la première lettre doit être récupérée de Philandre et les deuxième et troisième de Mélite pour que la première soit prête pour l’entrée d’Eraste (II.6) dans la suite de la représentation de la pièce et les deux autres pour l’entrée de Philandre (III.1). Si, selon notre hypothèse, le texte du sonnet et des lettres est recopié dans ces documents accessoires, il est important que les acteurs ne se trompent pas de document en entrant sur scène. On peut donc présumer que chaque document comporte une indication très précise de son identité. Nous pouvons maintenant revoir les témoignages imprimés de ces documents à la lumière de l’hypothèse que nous venons d’avancer à propos de leur existence scénique. Nous avons remarqué une variété de façons de mettre en page le texte d’un document écrit et nous les avons présentées comme étant des manières différentes d’indiquer aux lecteurs de la pièce qu’il s’agit d’un texte non-spontané qui est censé être lu sur scène d’après un document écrit. D’où l’usage de didascalies, titres, et ainsi de suite. Cependant, un autre facteur qui pourrait nous aider à expliquer certains phénomènes appartenant à la mise en page de ce genre de document serait les conditions dans lesquelles travaillaient les professionnels de théâtre. L’auteur vend le texte de sa pièce à la troupe. Le copiste procède ensuite au recopiage des rôles et, éventuellement, d’autres documents associés à la mise en scène de la pièce. Le manuscrit de l’auteur doit donc être présenté de sorte que le copiste voie tout de suite où il peut cesser de copier un rôle d’acteur et où il doit commencer à créer un document accessoire ; il doit également voir où il doit recommencer à recopier le rôle de l’acteur. Dans cette perspective, nous voyons que le manuscrit de l’auteur devait forcément contenir des indications destinées principalement au copiste, mais dont les traces se retrouvent plus tard dans la forme imprimée de l’œuvre où, heureusement, les mêmes indications peuvent servir également à guider le lecteur. Considérons encore une fois les lettres dans Mélite. En II.7 la première lettre a comme titre « LETTRE SUPPOSEE DE MELITE A PHILANDRE » (Fig. Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 175 5, 6). Cliton donne cette lettre à Philandre, qui doit croire qu’elle provient véritablement de Mélite. Il ne lit donc pas le titre à haute voix et nous devons croire que le titre n’est pas censé être présent sur le document luimême. Nous avons proposé plus haut que le titre sert à rappeler au lecteur que la lettre est une pure fiction, quoique le spectateur se passe parfaitement bien de ce rappel et que le lecteur n’en ait pas vraiment besoin. On peut imaginer aussi que le titre s’est retrouvé dans le manuscrit que l’auteur aurait remis au copiste, et qu’il a servi à indiquer au copiste d’abord qu’il fallait créer un document accessoire, et ensuite ce qu’était le statut de ce document dans l’action dramatique. En III.2 la deuxième lettre, dans sa forme imprimée, porte exactement le même titre et revêt la même fonction, sauf que nous devons imaginer que, si le copiste recopiait ces titres sur les documents accessoires, ceux-ci devaient obligatoirement comporter d’autres indices qui auraient servi à les différencier les uns des autres pour les décorateurs et les acteurs. Il est intéressant de noter que la troisième lettre se trouve dans la même scène que la deuxième et que celle-ci porte un titre légèrement modifié : « AUTRE LETTRE SUPPOSEE DE MELITE A PHI- LANDRE ». Si ce titre se trouvait dans le manuscrit de l’auteur, on pourrait croire que l’ajout du mot « autre » servait à indiquer au copiste qu’il lui fallait absolument créer un nouveau document accessoire qu’il ne devait pas confondre avec le précédent. Plusieurs signes pouvaient aider le copiste à bien distinguer la fin du document écrit et la reprise du discours du personnage. Pour bien comprendre quel personnage lit un document à haute voix et que ce personnage continue à parler une fois la lecture achevée, le lecteur d’une pièce de théâtre imprimée n’a pas besoin d’autre signe qu’un changement de caractères en romains ou en italiques (par exemple). Il n’a pas vraiment besoin de tous les signes qui sont souvent présents dans le texte imprimé. Il y a, par exemple, très souvent, répétition du nom du personnage qui continue à parler, en majuscules romaines : c’est le cas pour Mustapha dans le Solyman de Mairet (III.1) (Fig. 7), comme pour Eraste dans le Dépit amoureux (IV.3) (Fig. 9), avec ajout de la didascalie « continuë », et pour Dorante dans Le Menteur (II.8) (Fig. 10), avec, cette fois, ajout de la didascalie « apres avoir leu ». Il est vrai qu’on peut interpréter tous ces signes comme des tentatives pour éviter toute erreur éventuelle de la part du lecteur. Ils sont tout de même quelque peu redondants. Pourtant, ils ne sont pas redondants par rapport au copiste qui doit absolument savoir qu’il a fini de recopier le document accessoire et qu’il doit reprendre le recopiage du rôle de l’acteur. Alors les reprises de noms de personnages qui parlent et les didascalies qui les accompagnent se laissent souvent interpréter comme des traces d’indications originellement conçues à l’attention du copiste. Michael Hawcroft 176 Remise en cause de notre hypothèse sur la mise en scène Il n’y a aucun témoignage sûr venant à l’appui de cette hypothèse. Cela mis à part, y aurait-il d’autres obstacles nous empêchant de l’accepter ? A vrai dire, un certain nombre de problèmes se posent. Il y a, d’abord, le problème des lettres déchirées. L’action dramatique exige parfois qu’une lettre soit déchirée. Ceci ne pose aucun problème s’il s’agit d’un document qui n’est pas lu à haute voix et qui peut donc être représenté sur scène par une simple feuille blanche. En la faisant déchirer, la troupe ne perd que le prix d’une seule feuille de papier. C’est le sort de deux documents déchirés à la scène 6 du premier acte de Solyman, non seulement sans être lus à haute voix mais aussi sans même être transmis à leur destinataire (p. 22). Si, en revanche, une lettre est lue à haute voix et déchirée après, le cas est plus délicat. C’est ce qui arrive à la « lettre supposée d’Alidor à Clarice » que celui-là lit à haute voix « entre les mains d’Angélique » dans La Place Royale de Corneille (II.2, pp. 25-26). Après qu’Alidor a lu la lettre, Angélique, jalouse, la déchire et « en jette les morceaux », selon la didascalie (p. 26). Or c’est une lettre de dix vers. Si le texte de la lettre est recopié dans le document accessoire suivant notre hypothèse, le copiste (ou quelqu’un d’autre) devait forcément recopier la lettre avant chaque représentation pour qu’à chaque fois elle soit de nouveau déchirée. Ou bien, puisque cette lettre avait pour destin d’être déchirée, l’acteur devait-il apprendre les vers et une nouvelle feuille blanche servait-elle d’accessoire dans chaque représentation ? Aucune possibilité, dans l’état actuel de nos connaissances, de répondre à cette question. Ensuite, il y a le problème des lettres courtes. Il y en a qui sont tellement courtes que le plus simple était peut-être d’employer une feuille blanche dans la représentation et de recopier le texte de la lettre dans le rôle de l’acteur. C’est peut-être le cas pour une des lettres lues à haute voix dans le Solyman de Mairet (V.6, p. 131, Fig. 11, 12). En tant que lecteurs, nous savons, grâce à une combinaison d’éléments différents, qu’il s’agit d’une lecture à haute voix faite par Hermine : une didascalie externe (« lit la lettre de Rustan mourant »), un changement de métrique, et l’emploi de caractères romains. Hermine continue à parler tout de suite après sa lecture de la lettre, et nous autres lecteurs y sommes sensibilisés grâce à un retour aux caractères italiques et un changement d’interligne. Cependant il n’y a pas de répétition du nom du personnage qui parle, comme on en a vu dans des exemples plus haut (en l’occurrence, Hermine) ; il n’y a pas, non plus, de didascalie externe, comme « continue ». C’est par de tels signes que l’auteur, dans son manuscrit, peut indiquer, sans ambiguïté, au copiste qu’il doit terminer le recopiage du document accessoire et recommencer celui du Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 177 rôle de l’acteur. Le texte de cette lettre faisait peut-être partie du rôle de l’acteur à moins que le copiste n’ait fait suffisamment attention au sens du manuscrit de l’auteur pour en créér un document accessoire sans être guidé par les signes habituels indiquant la fin de la lettre. Autre exemple, encore plus intéressant : le billet d’Alcippe à Dorante dans Le Menteur (II.8, Fig. 10). Beaucoup d’indications subsistant dans la forme imprimée de la lettre pourraient nous mener à croire qu’il s’agit d’un texte que le copiste aurait pu recopier facilement dans un document accessoire : le titre, le changement de caractères, la signature (en majuscules), et surtout la répétition du nom de Dorante qui continue à parler et la didascalie externe « apres avoir leu ». Et cependant l’extrême brièveté de la lettre (26 syllabes) et le fait qu’il n’y ait pas de changement de métrique (même la signature y est incorporée) tendraient plutôt à nous faire croire que, dans ce cas, le texte de la lettre faisait partie du rôle de l’acteur et que celui-ci n’avait pour tout accessoire qu’une feuille blanche. A ce sujet, on peut considérer les manuscrits de Lekain, célèbre acteur du dix-huitième siècle, qui, exceptionnellement, aimait recopier ses rôles lui-même pour mieux les apprendre. Ils sont conservés aux archives de la Comédie-Française (MS 20014-20017). Quand il préparait le rôle de Clitandre dans Le Misanthrope en 1752, il recopiait non seulement les vers de Clitandre mais aussi le court extrait de la lettre de Célimène à Acaste qu’il est censé lire sur scène (MS 20014, rôle 26). Il indique très clairement le statut du texte cité en plaçant des guillemets au début de chacune de ses lignes. Nous avons donc, ici, le texte d’un document écrit, recopié dans un rôle d’acteur. Cependant, il est difficile d’en tirer des conclusions générales, le texte cité étant court et le cas de Lekain exceptionnel. Ensuite il y a le problème des documents écrits qui ont été explicitement appris par cœur par les personnages. Dans Le Prince déguisé de Scudéry, Cléarque « a un papier à la main » selon une didascalie (II.1, p. 27). Ce papier contient des vers qu’il se dit fier de pouvoir réciter par cœur : « J’en garde la mémoire » (II.5, p. 35) ; et il récite cinquante heptasyllabes (pp. 36-38). Or ces vers ont dû se trouver dans le rôle manuscrit de l’acteur s’il les récitait véritablement par cœur ; et le document accessoire pouvait être une feuille blanche. Effectivement, quoique ses vers soient séparés de ses mots précédents par une ligne horizontale et par un titre en majuscules (« STANCES »), ils sont imprimés en italiques comme le reste du dialogue, ce qui pourrait nous indiquer qu’ils faisaient partie du rôle de l’acteur. En général, pour les textes poétiques incorporés dans le dialogue dramatique, il reste souvent des doutes sur leur mise en scène à l’époque. Dans la célèbre scène du Misanthrope où Oronte récite son sonnet (I.2, pp. 15-16), nous ne savons pas s’il avait un document accessoire qui était censé Michael Hawcroft 178 contenir le texte du sonnet ou s’il récitait par cœur sa nouvelle composition. Le texte du sonnet est certes imprimé en italiques, tandis que le reste du dialogue est en caractères romains, mais aucune autre indication typographique ou didascalique ne nous suggère la présence sur scène d’un document accessoire, sauf peut-être l’appréciation définitive proposée par Alceste : « Franchement, il est bon à mettre au Cabinet » (p. 18). Cette expression sonne plus juste si le papier censé contenir le texte du sonnet est visible sur scène. Mais nous ne pouvons pas en être sûrs, d’autant que le texte de la chanson récitée par Alceste immédiatement après (I.2, p. 18) est présenté sur la page imprimée de la même façon que le sonnet (en italiques), et il est important, précisément, que ce texte n’ait pas de présence physique et qu’il soit récité spontanément par Alceste. Ensuite il y a le problème des lectures interrompues. Si une lettre ou un poème a forcément une présence physique sur scène, mais que la lecture du texte est souvent interrompue soit par le personnage qui lit, soit par d’autres, qu’est-ce qui était écrit sur le document accessoire ? On peut considérer les exemples de la lettre lue par Acaste dans Le Misanthrope, dont il interrompt lui-même la lecture pour en faire un commentaire (V.4, p. 79), et le sonnet récité par Trissotin dans Les Femmes savantes (III.2, pp. 40-41), dont nous savons la présence physique grâce à une didascalie externe (« à chaque fois qu’il veut lire elle l’interrompt » (p. 40)). Il est impossible de croire que le copiste aurait recopié dans les documents accessoires l’ensemble de la lettre et l’ensemble du sonnet, ce qui n’aurait servi qu’à dérouter l’acteur qui, en l’occurrence, ne récite ni le texte de la lettre ni le texte du sonnet d’un seul trait. En fait, l’acteur doit faire très attention d’arrêter sa lecture soit pour en faire le commentaire soit pour laisser parler un autre personnage ; et il doit savoir quand reprendre sa lecture. Ce qui m’amène à avancer une hypothèse complémentaire : si la lecture d’un document accessoire est souvent interrompue, non seulement le copiste recopiait le texte du document, mais aussi il donnait la réplique. 13 Alors le document accessoire qu’employait Acaste contenait peut-être ses propres commentaires (« Il devroit estre icy », etc.) aussi bien que le texte de la lettre. Pareillement, le document qu’employait Trissotin contenait peut-être, par exemple, les répliques de Bélise (« Prestons l’oreille au reste ») et de Philaminte (« Superbement, et magnifiquement ! ») aussi bien que le sonnet lui-même. Des documents accessoires pareils auraient pu servir beaucoup à l’acteur, mais ils restent une hypothèse. On peut, bien sûr, imaginer une autre hypothèse selon laquelle les passages de lecture interrompue seraient 13 J’emprunte cette hypothèse aussi à Tiffany Stern (pp. 189-90). Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 179 tellement difficiles que les acteurs auraient fait tout aussi bien d’apprendre tout par cœur. Il y a enfin le problème de la divergence entre les documents accessoires qu’une lecture attentive des textes semblent exiger et les documents accessoires indiqués pour certaines pièces dans les notices contenues dans le Mémoire de Mahelot. Pour Les Femmes savantes, la notice indique qu’il faut « du papier » (p. 339), peut-être le papier sur lequel le notaire est censé écrire le contrat de mariage en V.3-4 ; mais aucun autre document écrit n’est indiqué. Pourtant il faut absolument trois lettres dont le texte est lu à haute voix en IV.4 et V.4, sans compter les trois poèmes dont deux sont récités à l’aide d’un texte écrit (III.3). Si le Mémoire n’indique pas suffisamment de documents écrits pour Les Femmes savantes, il en indique trop pour la Bérénice de Racine, « 2 lestre » (p. 329), tandis qu’il n’en faut qu’une seule, qui fut lue à haute voix par Titus dans la toute première représentation, mais qu’il lisait silencieusement à partir de la seconde représentation (V.5). 14 Dans le cas de Mélite, le texte du Mémoire indique correctement qu’il faut trois « billets » (p. 327), précisant incorrectement qu’il en faut un au premier acte et deux au deuxième. Or, selon le texte imprimé de la pièce, il en faut deux au deuxième acte et un au quatrième. D’ailleurs, selon notre hypothèse, une simple feuille blanche suffirait pour les deux documents apparaissant en II.7 et IV.6, tandis que le document représentant la lettre lue à haute voix en II.8 pourrait contenir le texte de la lettre. En fait, selon le Mémoire, tout document accessoire n’est que « billet » ou « lestre ». N’y est jamais faite aucune distinction entre feuille blanche et document écrit. Les notices du Mémoire infirment-elles nos hypothèses ? Certes, elles ne viennent pas à leur appui. Mais elles ne les infirment pas non plus. Pour les accessoires notamment, mais aussi, parfois, pour des éléments de décor, les notices du Mémoire sont souvent insuffisantes, voire erronées. Pour comprendre pourquoi, il faut bien saisir la fonction du Mémoire telle qu’elle est présentée par son éditeur récent, Pierre Pasquier, très sensible aux lacunes des notices. Si certaines peuvent s’expliquer par référence à des modifications éventuelles effectuées au texte d’une pièce avant l’impression ou même à l’étourderie du rédacteur, « il n’empêche que ces écarts et ces distorsions [ … ] ont le mérite de nous montrer que le Mémoire de Mahelot n’est pas une pièce d’archives d’une rigueur parfaite et d’une exactitude infaillible. C’est un document de travail destiné à évoluer, un aide-mémoire à usage interne » (p. 30). Il est intéressant que Pierre Pasquier imagine que, 14 Villars, « La Critique de Bérénice », dans Jean Racine, Théâtre, Poésie, éd. Georges Forestier (Paris : Gallimard, 1999), pp. 511-19 : « Les Comédiens ont été d’avis de supprimer ce billet funèbre à la seconde représentation » (p. 516). Michael Hawcroft 180 pour faciliter la régie des spectacles, il y a « fort à parier que le Mémoire de Mahelot n’est pas un document unique en son genre et que l’on en a utilisé d’autres » (p. 28), ce qui complète ma suggestion qu’un document comme celui identifié par Chappuzeau qui visait à régir les entrées et les sorties des personnages aurait pu, en même temps, indiquer précisément l’usage des accessoires. Conclusion Nous avons mis en examen l’usage de documents écrits dans le théâtre du dix-septième siècle sous deux angles différents, mais ayant un rapport l’un avec l’autre. Les documents écrits qui sont lus à haute voix posent des problèmes à l’auteur et à l’imprimeur, soucieux de créer un texte intelligible pour le lecteur. Nous avons vu que toute une variété de méthodes (didascalies, ressources typographiques de toutes sortes) ont été employées pour figurer sur la page imprimée le texte d’un document déviant du discours supposé spontané d’un personnage. Tantôt c’est l’autonomie du document écrit, voire sa matérialité, qui est mise en valeur ; tantôt celle-ci est obscurcie et la mise en page insiste plutôt sur la continuité du discours du personnage qui parle et qui lit. L’étude de la forme imprimée de ces documents écrits aurait pu en rester là. Nous aurions pu observer les différentes constructions du lecteur de pièces de théâtre au dix-septième siècle et les différentes compétences exigées du lecteur selon les choix typographiques adoptés par l’imprimeur. J’ai laissé de côté les éditions modernes, qui, toutes fidèles qu’elles soient aux éditions du dix-septième siècle, présentent sous une forme moderne et standardisée le genre de document que nous avons étudié. Cependant, certains aspects de la présentation de ces documents sur la page imprimée (notamment leur titrage et certaines didascalies) nous invitent à considérer leur mise en scène ; à imaginer le genre de document que les acteurs pouvaient tenir à la main ; à voir, dans la forme imprimée, les vestiges de certaines instructions qui, dans le manuscrit originel de l’auteur, auraient pu aider le copiste de la troupe à créer des documents accessoires écrits. Cette approche va à l’encontre des observations d’Eve- Marie Rollinat-Levasseur, qui insiste plutôt sur la littérarité du théâtre imprimé : « Que l’édition théâtrale livre si peu de traces concrètes sur les représentations des pièces et que les auteurs ne fassent pas du livre le lieu de mémoire du spectacle sont avant tout le signe de leur volonté de faire Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 181 entrer le théâtre sur la scène littéraire ». 15 Dans l’ensemble, elle a peut-être raison, mais nos observations suggèrent que les traces de représentations sont peut-être à trouver là où, de prime abord, on ne se serait pas attendu à les voir. La distinction capitale que nous avons établie, suivant les travaux de Tiffany Stern sur le théâtre anglais, entre feuilles blanches et documents écrits (et aussi, dans le cas des documents dont la lecture est interrompue à plusieurs reprises, documents accessoires avec répliques indiquées) reste une hypothèse jusqu’à ce que des documents du dix-septième siècle soient découverts qui l’infirment ou la confirment. C’est pourtant une hypothèse qui est sensiblement confortée par des documents du dix-huitième siècle qui se trouvent dans les Archives de la Comédie-Française. Dans ces documents, où étaient notés les accessoires qu’il fallait pour les représentations, on se servait systématiquement des phrases « lettre blanche » ou « lettre écrite » pour distinguer les lettres qui étaient lues à haute voix et celles qui ne l’étaient pas. Ainsi il fallait « une lettre blanche pour Titus » dans Bérénice, mais « Une lettre écrite pour Acaste, une lettre écrite pour Clitandre » dans Le Misanthrope. 16 S’il nous manque ce genre de preuve pour les représentations du dix-septième siècle, on peut légitimement croire qu’en ce qui concerne les documents accessoires, la pratique scénique du dix-huitième avait ses racines dans celle du siècle précédent. 17 Editions de pièces de théâtre consultées Pierre Corneille, Mélite, Paris : François Targa, 1633, Bibliothèque nationale de France Rés.YF-708. Pierre Corneille, La Place Royale, Paris : Augustin Courbé, 1637, BnF Rés.YF-717. Pierre Corneille, Le Menteur, Paris : Antoine de Sommaville, Augustin Courbé, 1644, BnF Rés.YF-715. Pierre Corneille, Sertorius, Paris : Augustin Courbé, Guillaume de Luyne, 1662, BnF Rés.YF-3968. Pierre Corneille, Le Théâtre de P. Corneille, 2 vol., Paris : Guillaume de Luyne, 1663, BnF Rés.YF-37/ 38. Pierre Corneille, Le Théâtre de P. Corneille, 4 vol., Paris : Guillaume de Luyne, 1682, BnF Rés.YF-3000/ 3001/ 3002/ 3003. 15 Eve-Marie Rollinat-Levasseur, « Du théâtre à la scène littéraire : la permanence du livre ou l’effacement de l’éphémère », Revue d’histoire du théâtre, 60 (2008 - 1), 43- 50, p. 50. 16 Je remercie infiniment Sabine Chaouche qui m’a fait profiter des notes qu’elle a prises aux Archives de la Comédie-Française : voir Matériel de décoration : circa 1734-circa 1755 [575 1 ], circa 1723-circa 1800 [575 2 ]. 17 Je remercie Yvan Loskoutoff d’avoir eu la gentillesse de me relire et de me corriger. Michael Hawcroft 182 Thomas Corneille, Ariane, Sur l’imprimé à Paris : Guillaume de Luyne, 1672, BnF 8-YTH-1093. Jean Mairet, Le Grand et Dernier Solyman ou la mort de Mustapha, Paris : Augustin Courbé, 1639, BnF YF-512. Molière, Dépit amoureux, Paris : Claude Barbin, 1663, BnF Rés.YF-4154. Molière, Le Misanthrope, Paris : Jean Ribou, 1667, BnF Rés.YF-4188. Molière, Les Femmes savantes, Paris : Pierre Promé, 1672, BnF Rés.YF-4168. Molière, Les Œuvres de Monsieur de Molière, 8 vol., Paris : Denys Thierry, Claude Barbin, Pierre Trabouillet, 1682 (vol. 7 Dom Garcie de Navarre ; vol. 8 Le Malade imaginaire), BnF Rés.YF-3161-62 (vol. 7-8). Jean Rotrou, Amélie, Paris : Antoine de Sommaville, 1638, BnF Rés.YF-378. Jean Rotrou, Iphygénie, Paris : Antoine de Sommaville, 1649, BnF Rés.YF-1289. Jean Racine, Bérénice, Paris : Claude Barbin, 1671, BnF Rés.P-YF-54. *Jean Racine, Bajazet, Paris : Pierre Le Monnier, 1672, British Library, Londres C.34.a.27. Jean Racine, Iphigénie, Paris : Claude Barbin, 1675, BnF Rés.YF-3910. Paul Scarron, Dom Japhet d’Arménie, Paris : Augustin Courbé, 1653, BnF R8906. Paul Scarron, Dom Japhet d’Arménie, Paris : Augustin Courbé, 1659, BnF YF-7189. Paul Scarron, Dom Japhet d’Arménie, Paris : Guillaume de Luyne, 1668, BnF 8-YTH- 9309. Georges de Scudéry, Le Prince déguisé, Paris : Augustin Courbé, 1636, BnF YF-6865. *Tous les volumes sauf celui marqué d’un astérisque ont été consultés sur le site Gallica de la BnF. Liste des Figures 1. Le Malade imaginaire (1682), I.1, p. 135. 2. Dom Garcie de Navarre (1682), I.3, p. 21. 3. Mélite (1633), II.5, p.38. 4. Mélite (1633), II.5, p. 39. 5. Mélite (1633), II.7, p. 49. 6. Mélite (1633), II.7, p. 50. 7. Le Grand et Dernier Solyman (1639), III.1, p. 55. 8. Amélie (1638), II.7, p. 31. 9. Dépit Amoureux (1662), IV.3, p. 102. 10. Le Menteur (1644), II.8, p. 51. 11. Le Grand et Dernier Solyman (1639), V.6, p. 131. 12. Le Grand et Dernier Solyman (1639), V.6, p. 132. Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 183 Michael Hawcroft 184 Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 185 Michael Hawcroft 186 Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 187 Michael Hawcroft 188 Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 189 Michael Hawcroft 190 Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 191 Michael Hawcroft 192 Documents écrits dans le théâtre français du dix-septième siècle 193 Michael Hawcroft 194 COMPTES RENDUS PFSCL XL, 78 (2013) Hélène Baby (éd.) : Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre. Paris : Champion, 2011. 675 p. + Annexes, Bibliographie, Index. Cette édition critique est une réimpression sans changements de l’ouvrage d’Hélène Baby publié en 2001, la première édition de La Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac depuis celle de Pierre Martino (1927). Paru le 6 octobre 2011, le livre broché fait partie de la série Littératures des Éditions Champion. L’édition comporte une introduction, les variantes de la première édition de 1657, plus de 1.000 notes et une analyse critique intitulée Observations sur la Pratique du théâtre. Trois dissertations qui suivaient La Pratique dans l’édition originale sont présentées en annexe : l’Analyse d’Ajax, le Jugement de Penthée et le Projet pour le Rétablissement du Théâtre Français. L’édition est présentée avec grand soin. Les notes marginales de d’Aubignac sont maintenues à la place où elles se trouvent dans le texte originale. L’ouvrage comporte une bibliographie divisée en cinq catégories : les œuvres antiques ; les textes théoriques des XVI e et XVII e siècles ; les œuvres dramatiques du XVII e siècle ; les œuvres de d’Aubignac ; les textes critiques postérieurs à 1700. Il est regrettable que, sur la liste des œuvres de l’abbé, la réimpression comporte deux erreurs que l’on retrouve dans l’édition de 2001. Premièrement, le libraire de la tragédie en prose La Pucelle d’Orléans, de l’abbé d’Aubignac, est Targa et non Sommaville et Courbé, qui publièrent l’adaptation en vers de la pièce (724). La première cote qui est indiquée par Baby, [Yf.1152], correspond à un exemplaire à la Bibliothèque nationale de France de la pièce versifiée par Benserade ou La Mesnardière. En second lieu, la cote indiquée pour la tragédie en prose de d’Aubignac La Cyminde ou les deux victimes, [Rf.5370(2)], est celle de l’adaptation en vers par Colletet (723). Les cinq index à la fin de l’édition sont d’une grande utilité, permettant au lecteur de rechercher les noms et les œuvres cités dans La Pratique du théâtre et dans le reste de l’ouvrage, ainsi que les notions dramaturgiques contenues dans La Pratique. L’introduction de l’ouvrage présente de façon concise une biographie de d’Aubignac, « le seul au XVII e siècle à traquer ce qu’on appelle aujourd’hui la théâtralité » (20). Les principes éditoriaux de l’édition y sont précisés : modernisation complète de l’orthographe, respect de l’orthographe des noms propres et de l’usage des majuscules aux noms communs, aucune modification d’ordre syntaxique, respect de la ponctuation du remaniement manuscrit de l’abbé. Baby choisit d’utiliser un système de ponctuation pour signaler les changements effectués par d’Aubignac dans le texte corrigé : des crochets pour les passages enlevés, des chevrons pour les lettres et les mots modifiés. Comme l’affirme Baby elle-même (29), cette approche pourrait PFSCL XL, 78 (2013) 198 importuner certains lecteurs qui préféreraient peut-être des appels de notes aux deux versions juxtaposées du texte. L’ouvrage de Baby est très impressionnant. Les nombreuses notes en bas de page servent à élucider le texte, traitant de façon détaillée les éléments langagiers distinctifs, les sources et les références savantes. En outre, les citations latines, grecques et italiennes présentées par d’Aubignac en notes marginales sont traduites par Baby dans ses propres notes, identifiant, le cas échéant, l’inexactitude des passages ou des références erronées. À la note 198 du Livre Premier, par exemple, Baby déclare : « Cette référence à Scaliger est fautive. Il s’agit du chapitre III, 26 intitulé Prudentia, et non du chapitre IV, 26. De même, d’Aubignac supprime quelques lignes au sein du passage qu’il cite » (194). Cette érudition rigoureuse est caractéristique de l’ouvrage tout entier. Bien que la doctrine aubignacienne soit traitée en détail dans les Observations, certaines questions dramaturgiques sont aussi abordées dans les notes en bas de page. Parlant de la notion de l’unité de l’action chez d’Aubignac, l’auteur affirme : « Il est remarquable que le sens de la subordination d’une intrigue à l’autre soit si mal perçu. [...] D’Aubignac décrit en fait, et à juste titre, une action une, où l’épisode appartient sans conteste à l’intrigue principale, qu’il nourrit et qu’il dénoue : partant, la notion d’épisode disparaît » (152). Les commentaires de Baby, pénétrants et mesurés, ne résistent pas toujours à la tentation de se moquer un peu de notre abbé. Lorsque d’Aubignac se prononce sur les « histoires à deux fils », Baby déclare : « Il n’y a vraiment que lui qui sache composer une intrigue ! » (152). Ailleurs, elle souligne de nouveau l’égoïsme du théoricien : « Mais cela ne veut pas dire [...] que, dans la Querelle des Anciens et des Modernes, d’Aubignac eût défendu les premiers nommés ; car il existe à ses yeux au moins un Moderne capable d’égaler et de surpasser les Anciens : lui-même ! » (561) Ces remarques pleines d’esprit sont à la fois instructives et rafraîchissantes. Un des aspects les plus notables de l’édition de Baby est les 182 pages d’analyse critique intitulés Observations sur La Pratique du théâtre. Avec une vaste érudition, l’auteur présente une étude perspicace du système dramaturgique aubignacien. Les Observations se composent de trois sections : I. Poétique critique ; II. Les Lieux de mémoire ; III. D’Aubignac et Corneille, ou de la vraisemblance. L’analyse méticuleuse et approfondie de Baby lui fait subdiviser les trois sections en plusieurs catégories, qui sont par la suite, elles aussi, subdivisées, agencement qui pourrait gêner certains lecteurs. L’auteur examine d’abord la question de l’ambivalence du destinataire de La Pratique, affirmant qu’avec cet ouvrage, l’abbé écrit « sa propre légitimation en tant que dramaturge » (513), le destinataire étant et le poète dramatique et le critique savant. En outre, d’Aubignac crée un public très large, évo- Comptes rendus 199 quant parfois un spectateur/ lecteur naïf, parfois un récepteur savant. Baby en conclut que le traité théorique est écrit pour « un destinataire privilégié, qu’il est facile de confondre avec le poète dramatique établi (reconnu ou à venir) » (502). Identifiant les nuances et les incohérences de la méthode critique de l’abbé, Baby réussit remarquablement à démontrer que La Pratique se fonde sur la raison substituée à l’autorité des Anciens, mais que cette raison est celle de d’Aubignac lui-même, qu’il propose comme « ultime référence du bon sens » (552-553). Dans la section intitulée Les Lieux de mémoire, Baby soutient que malgré les nombreuses citations grecques et latines en notes marginales, d’Aubignac n’a probablement jamais lu les auteurs antiques qu’il évoque, à l’exception d’Aristote, se fiant aux écrits d’Athénée et du père Jules-César Boulenger pour les références savantes. Le silence absolu sur Jean Chapelain dans La Pratique démontrerait l’égoïsme de l’abbé, qui préfère vanter ses connaissances des Italiens du XVI e siècle, plutôt que de citer les ouvrages français de ses contemporains. Dans la troisième section des Observations, Baby nous rappelle que, malgré les quelques reproches des œuvres de Corneille, La Pratique du théâtre de 1657 était un véritable éloge du grand dramaturge. La décision de Corneille de répondre à d’Aubignac sans jamais le nommer signifierait un désir de laisser l’abbé dans l’obscurité, « moins une opposition théorique absolue que la crainte de laisser apparaître la moindre parenté intellectuelle » (626). Examinant la notion du vraisemblable, Baby soutient que la véritable différence entre la théorie de d’Aubignac et celle de Corneille porte sur le concept de fiction littéraire : « En effet, Corneille, en affirmant choisir des sujets indépendamment de toutes contraintes littéraires, loin de se soumettre, par un attachement borné, à l’histoire ou au vrai, permet l’avènement de la fiction théâtrale » (658). L’édition de Baby est un magnifique ouvrage qui est indispensable à tous les chercheurs dans le domaine du théâtre français du dix-septième siècle. De façon magistrale, l’auteur réussit non seulement à éclairer La Pratique du théâtre, mais aussi à éclaircir les subtilités et les contradictions du système dramaturgique de l’abbé d’Aubignac. Bernard J. Bourque Jan Clarke, Pierre Pasquier, Henry Phillips (éds.) : La Ville en scène en France et en Europe (1552-1709). Bern : Peter Lang, 2011 (« Medieval and Early Modern French Studies », vol. 8). 225 p. Les actes du colloque intitulé « La Ville en scène : représentations de l’espace urbain dans le théâtre français et européen aux XVI e et XVII e PFSCL XL, 78 (2013) 200 siècles », qui s’est tenu au Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours les 8 et 9 janvier 2009, ont été publiés à la fin de l’année 2011 sous la direction de Jan Clarke, Pierre Pasquier et Henry Phillips. La Ville en scène en France et en Europe (1552-1709) renouvelle considérablement le regard sur la dimension urbaine du théâtre de la fin de la Renaissance et du XVII e siècle. L’introduction de Henry Phillips inscrit le théâtre européen post-médiéval dans le contexte d’une montée en puissance des villes. Le propos pose efficacement un faisceau d’interrogations problématiques. La question centrale est celle de la relation qu’entretient l’art dramatique, notamment dans ses formes comiques, à la réalité sociale. Ce rapport est-il de l’ordre du mimétisme référentiel ou bien de la distanciation affabulatrice ? Entre ces deux pôles, où placer le curseur d’un « réalisme » toujours épineux à évaluer ? Ne faut-il pas déplacer le problème, penser le théâtre comme une forme de re-création de la ville ? Outre ce texte liminaire, Henry Phillips signe une synthèse sur la place de « la ville dans le théâtre français du XVII e siècle ». Le travail cherche à voir si la cité fait office d’« espace dominant » ou d’« espace dominé ». Il établit que le théâtre n’est pas seulement le reflet d’un état de la société urbaine, mais aussi une façon de l’anticiper. La poésie dramatique ne se contente pas d’enregistrer les évolutions sociales, elle peut aussi les induire. Elle serait vectrice d’urbanité plus que simple réceptacle. Le lien entre le théâtre et la ville engage en définitive un rapport d’action-rétroaction. L’approche, pour être stimulante, reste peu explicite - le recours aux textes s’avère limité. Elle laisse de surcroît apparaître un biais problématique : Henry Phillips réduit le « théâtre du XVII e siècle en France » à Corneille et Molière, qui sont eux-mêmes réduits à leurs pièces les plus fameuses - les grandes comédies moliéresques ne sont même évoquées que de façon allusive. L’exception se donne comme représentative de la règle. La démarche est problématique. La contribution de Christian Biet, placée dans le sillage d’Elie Konigson et intitulée « Le Théâtre et la ville / le théâtre est la ville », distingue d’abord deux types de mises en œuvre de la fonction dramatique. Le « théâtre de tréteaux » est assumé par des comédiens professionnels, extérieurs à la cité. Le « théâtre de plateau » est le fait d’amateurs habitant la ville et se présente comme une cérémonie sociale fédératrice. Les acteurs qui viennent de loin sont au Moyen Âge des artisans spécialisés, ce sont eux qui peuvent représenter la ville en l’envisageant de façon critique. Les citadins-comédiens visent de leur côté, par le jeu ritualisé qu’ils assument, à renforcer l’harmonie du corps civique. Comptes rendus 201 A la suite de ce préambule, l’article montre que si le théâtre, notamment comique, prend en charge la réalité de la ville, c’est pour mieux décaler les perceptions qui lui sont attachées. La troisième et dernière partie du raisonnement déplace le regard, pour s’intéresser au théâtre comme espace social. Christian Biet affirme que le théâtre ne se contente pas de représenter fictivement la ville : il la représente réellement puisqu’il se conçoit de façon croissante comme une cité. Il figure la ville par la fiction qu’il déploie, mais aussi par la façon dont il opère. Le rassemblement théâtral, qui se conçoit au fil du XVII e siècle comme une activité spécifique, est une synecdoque de la cité. Le moment de la vie urbaine consacré au théâtre déborde le temps du jeu proprement dit et s’offre comme un temps de sociabilité. Les habitants viennent au spectacle pour se voir autant que pour voir mises en scène - et en question - les valeurs sociales dominantes. Le théâtre est finalement défini comme un « espace juridique » capable de faire « comparaître » la cité dans sa diversité contradictoire. La réflexion d’Anne Surgers sur la scénographie du premier XVII e siècle (« Logis, portes et fenêtres : le jeu des lieux de mémoire dans le décor du théâtre baroque, une ‘caresse pour l’âme et le corps’ ») propose une lecture allégorique des modules topologiques de la dramaturgie baroque - maisons, huis, interfaces diverses. Basé sur des études de cas, le raisonnement montre que la représentation de ces limites fait signe vers les affects. Le fonctionnement figuratif de la poésie dramatique est bien éclairé. Portes ou fenêtres, explique Anne Surgers, font office d’imagines agentes lestées de sens cachés, religieux ou grivois. L’article privilégie l’étude des liens entre le texte et l’image, et notamment des rapports entre le théâtre et les emblèmes. De la sorte, les décors sont efficacement replacés dans une culture iconographique plus vaste. La méthodologie, qui revient à expliquer l’art par l’art, livre assurément des fruits intéressants. Elle présente néanmoins un revers : on regrette qu’un raisonnement anthropologique ne vienne pas relancer le propos. Jean-Claude Ternaux étudie les représentations de la ville dans la comédie humaniste. Centrée sur l’Eugène de Jodelle (représenté en 1552), la réflexion ne s’interdit pas quelques rapprochements ponctuels avec La Trésorière de Grévin (publiée en 1558), La Reconnue de Belleau (1577), La Néphélococugie de Le Loyer (1579), Les Contens de Turnèbe ou Les Néapolitaines d’Amboise (1584). L’article montre que la cité est dépeinte comme une nouvelle Babylone, dans une perspective souvent farcesque. Il note également les liens qui rattachent le thème urbain au souvenir des conflits. Dans Eugène, les allusions aux batailles de Metz, Damvillers et Ivoy peuvent être comprises comme un hommage à la campagne victorieusement menée par Henri II, en 1552, contre les armées de Charles Quint. PFSCL XL, 78 (2013) 202 Jean-Claude Ternaux décrit la comédie humaniste comme un télescopage du « principe de plaisir » et du « principe de réalité ». L’articulation des motifs amoureux et guerrier, ombres portées d’Eros et Thanatos, reste néanmoins à expliciter. Les « représentations de la ville dans La Foire de Madrid de Lope de Vega (1587) sont au cœur du propos de Juan Carlos Garrot Zambrana. De façon intéressante quoiqu’assez convenue, l’analyse décrypte l’ancrage madrilène de la comédie en prouvant que la représentation de la ville dépasse le stade du simple effet de réalité. La pièce cherche à peindre un « tableau de mœurs » (p. 89) et à « matérialiser la ville sur scène » (p. 95) en sollicitant les imaginations des spectateurs. Dans un article dédié aux rapports entre « espace urbain et espace champêtre dans les comédies pastorales de Rotrou » (La Diane, La Célimène, Le Filandre, La Clorinde, La Florimonde), Sandrine Berrégard établit de manière convaincante la contiguïté des deux espaces, en s’attachant à en décrypter les valeurs symboliques. La recherche en vient à rassembler les espaces citadin et bucolique dans une commune « urbanité ». Marie-Claude Canova-Green quant à elle montre que l’exhibition des gueux dans les ballets se charge non seulement d’une fonction ludique d’exorcisme, mais aussi d’une dimension critique : elle porte une satire corrosive des faux-semblants de la cour (« La Cour des Miracles dans le ballet de cour : du motif pittoresque à la leçon morale »). Le travail de Karen Newman (« De Londres à Paris : l’imaginaire urbain sur la scène comique du XVII e siècle ») prouve, par une enquête minutieuse relative au Palais et à la Place Royale, que l’ancrage topographique des comédies cornéliennes est tout sauf superfétatoire. La chercheuse anglaise insiste sur les fonctionnements commerciaux de l’espace urbain. La Galerie du Palais ou La Place Royale brosseraient un Paris dédié essentiellement à l’échange (marchand) et à la consommation. Le propos a le défaut de réduire la « scène comique » du Grand Siècle à Corneille, mais il a le mérite de répondre tout à fait au titre de ces actes de colloque : les comparaisons tissées avec les City comedies anglaises illustrent à merveille le « caractère profondément européen du théâtre de la Renaissance » (p. 134). Jan Clarke centre son article consacré à « l’espace urbain dans la scénographie du dix-septième siècle » sur deux lieux, la Place Royale et les Tuileries. Elle sollicite en priorité Corneille (La Comédie des Tuileries, La Place Royale, Le Menteur), mais convoque également son frère (L’Inconnu, 1675), ainsi que Rayssiguier (La Bourgeoise, ou la Promenade de Saint-Cloud, 1633 ; Les Thuilleries, 1636), Hauteroche (Le Souper mal-apprêté, 1669 ; La Dame invisible, 1684), Baron (Le Rendez-vous des Tuileries, ou le Coquet trompé, 1685), Biancolelli (La Thèse des Dames, 1695) et Mongin (Les Promenades de Comptes rendus 203 Paris, 1695). Les exemples gagnent en diversité ce que l’interprétation perd en précision. La revue est fort intéressante et agréable à lire. On peut cependant reprocher à l’analyse de se limiter le plus souvent au repérage et à l’explicitation, certes impeccables, des références topographiques. L’ultime partie de la contribution infléchit le point de vue, et pose des jalons stimulants pour une histoire du théâtre classique. Jan Clarke rappelle que l’expansion de l’activité dramatique est liée à celle de la capitale. Elle retrace de façon synthétique le mouvement de construction de salles fermées, depuis la création de l’Hôtel de Bourgogne (1548) jusqu’à l’installation de la Comédie-Française dans la Salle des Machines des Tuileries (1770). Portée par une réjouissante verve humoristique, l’étude que propose William Brooks de « la topographie urbaine dans L’Amant indiscret de Quinault » s’avère également extrêmement minutieuse. A Tours, par Powerpoint interposé, le chercheur anglais avait déployé la logique spatiale de la pièce sur le « plan de Turgot » de 1739 - l’idéal est de lire l’analyse avec ce document sous la main (le lien électronique nécessaire pour envisager cet aller-retour entre le texte et l’image est donné à la page 162). De façon passionnante, William Brooks explique que la comédie sollicite les imaginations du public parisien. Le théâtre ne représente pas la ville à la manière d’un « Blay-Foldex » ou d’un « Michelin dramatique », il procède davantage par « autosuggestion » (p. 173). Le repérage des lieux joue de la connivence avec les spectateurs. Les deux dernières communications portent sur Molière. Michael Hawcroft (« Molière architecte de la société parisienne ») comble en partie le manque d’études sur les représentations de la ville dans son œuvre. Mais le parcours chronologique qu’il propose, qui envisage successivement Le Dépit amoureux, Les Précieuses ridicules, Sganarelle, L’Ecole des Maris, Les Fâcheux, L’Ecole des femmes, La Critique de l’Ecole des femmes et L’Impromptu de Versailles, reste assez classique. Dans le sillage de l’équipe de Georges Forestier, Hawcroft dépeint l’auteur des Fourberies de Scapin comme un auteur d’abord et avant tout « galant ». Molière esquisse une image de Paris susceptible de plaire à son public, la représentation de la ville est le pivot d’une « esthétique de participation » (p. 180) : difficilement contestable, cette conclusion n’en reste pas moins un peu courte. Le travail de Noël Peacock envisage pour sa part la façon dont les metteurs en scène de Molière, au XX e siècle, ont conçu l’ancrage urbain de L’Ecole des femmes et des Fourberies de Scapin. L’article évoque de façon riche et précise les interprétations réalistes, post-réalistes ou métathéâtrales qu’ont données de l’une ou l’autre de ces comédies André Antoine (1908), Jacques Copeau (1917-1920), Charles Grandval (1921), Lucien Guitry PFSCL XL, 78 (2013) 204 (1924), Georges Berr (1924), Louis Jouvet (1936), Fernand Ledoux (1937), Jacques Charron (1961), Jean-Paul Roussillon (1973), Jacques Echantillon (1973), Laslo Marton (1976), Roger Coggio (1981), Jacques Rosner (1983), Bernard Sobel (1985), Jean-Pierre Vincent (1990), Jean-Luc Boutté (1992), Jean-Louis Benoît (1997), Eric Vigner (1999), Jacques Lassalle (2001) et Coline Serreau (2006). La Ville en scène en France et en Europe s’adosse essentiellement aux œuvres de Corneille et de Molière, bien éclairées. Cette focalisation de l’attention sur les « grands » dramaturges du Grand Siècle court toutefois le risque de la généralisation abusive. Les arbres de La Place Royale, de L’Illusion comique et du Menteur en viennent à cacher une forêt largement inexplorée. Or on sait que les arbustes ne sont pas toujours du bois dont Corneille ou Molière aiment à se chauffer. On peut donc regretter que le texte de l’intervention de Véronique Sternberg qui, le 8 janvier 2009, portait sur les comédies du premier XVII e siècle, ne figure pas dans cet ouvrage collectif. On peut également regretter que l’ouvrage ne comprenne ni bibliographie, même succincte, ni conclusion. La logique de ces actes de colloque reste éclatée. Loi du genre ? Il n’en manque pas moins des éléments de synthèse susceptibles de transcender la diversité des contributions. Goulven Oiry François Lasserre : Nicolas Gougenot, dramaturge, à l’aube du théâtre classique. Étude biographique et littéraire, nouvel examen de l’attribution du « Discours à Cliton ». Tübingen : Narr Verlag, 2012 (« Biblio 17 », 200). 200 p. Le livre réexamine le Discours à Cliton et son « Traîté de la disposition », La Comédie des comédiens de Gougenot, La Fidèle Tromperie et Le Roman de l’infidèle Lucrine, du même. François Lasserre apparaît ici comme un critique majeur de la décennie par la cohérence de son travail d’investigation (poursuivi depuis les années 1990) et par la puissance des renouvellements qu’il nous propose. L’un des moteurs du livre est l’attribution du Discours à Cliton à Gougenot et non à Durval. La querelle érudite qui l’oppose à J.-M. Civardi n’est pas anecdotique car - et c’est une des clartés du propos - elle rejoue celle qui opposait à l’époque deux philosophies du théâtre (p. 70 à 78). F. Lasserre a longtemps fait figure de héros solitaire (avec cependant l’appui de Pierre Pasquier) mais son argumentation présente ne semble plus guère laisser de doutes : Comptes rendus 205 D’un bras vengeur et fort, Lasserre va balayant Du parti de Durval les échafauds branlants ! (cf. p. 58) On lui accordera donc maintenant l’attribution à Gougenot du Discours à Cliton. La connaissance progresse. Tant mieux pour tout le monde. On se félicitera au passage que la recherche érudite continue d’avancer sur ses deux jambes : celle de la critique universitaire (dont les voix ont parfois à composer avec les influences sur la carrière de tel ou tel désaccord) et celle de la critique d’amateurs désintéressés, qui, forte d’un honnête héritage la mettant à l’abri du besoin, poursuit son chemin dans une liberté utile à tous. Il faut saluer en F. Lasserre un tel érudit, et saluer sa patiente et courageuse obstination en faveur de Gougenot. Si le lecteur devine en plusieurs occasions qu’il a été blessé des critiques dédaigneuses, il doit le féliciter d’avoir à chaque fois remis l’ouvrage sur le métier et apporté de véritables précisions dans ses argumentations. Mais l’intérêt du livre dépasse cette polémique et fait véritablement émerger un nouvel auteur, avec biographie, œuvre diversifiée, et portrait ! Souhaitons que le personnage attachant de Nicolas Gougenot, chaînon manquant du théâtre français entre Hardy et Corneille, bénéficie de cette étude précise, savante et suggestive, qui ouvre mainte perspective de réflexion sur le théâtre hors des règles chapelaines. Sa biographie de protestant dijonnais, maître calligraphe et inventeur de notre « ronde » moderne, se trouve éclairée de façon extraordinaire. Son portrait intellectuel est enrichi avec finesse et minutie. Né avant 1580, héritier d’une famille ayant eu à souffrir des Ligueurs mais aussi des interdits sur le travestissement, Gougenot fait entrer dans sa réflexion sur le théâtre toute la tradition humaniste renaissante du travail sur soi et de la concorde sociale. Auteur tardif, sans doute à la fois stimulé et interrompu par la cécité, il ne fut ni inconnu ni méprisé par Corneille. La liste de ses ouvrages disponibles est ici augmentée par F. Lasserre de deux odes de qualité, Sur le Ballet du Véritable Amour, à la duchesse de Montmorency, et à son maître d’hôtel, fils du sculpteur Germain Pilon (Appendice A). Le critique nous propose également de façon très convaincante l’élucidation des mystérieuses dédicaces de Corneille dans La Suivante et dans Médée (« à Monsieur P.T.N.G. »). Au total, un certain nombre de points d’histoire littéraire seront donc à revoir à partir de ce livre : sur Corneille, sur Rotrou, Du Ryer, Scudéry, etc., sur l’esprit humaniste et le théâtre des années 1630, sur l’esprit gallican et sur l’héritage des temps de la Ligue, sur les différentes philosophies du « théâtre dans le théâtre » (sociale vs illusionniste), sur la Querelle du Cid. PFSCL XL, 78 (2013) 206 Si, dans sa polémique avec Jean-Marc Civardi ou Georges Forestier, F. Lasserre a parfois quelque chose de la solitude persécutée d’un Rousseau (2012 oblige ! ), il est toujours d’une grande honnêteté et ne ménage pas l’éloge quand il convient - ainsi dans sa note 179 sur Camus et Sorel (Civardi) ou à propos de Maurice Lever (p. 72). On attend avec intérêt sa réédition de La Fidèle Tromperie (Champion 2013) et la poursuite des investigations sur les rivaux de Cliton (Scudéry (note 142), Du Ryer) ; l’on reprendra aussi volontiers les éditions critiques de Gougenot déjà publiées, ouvrages dont ce livre est au fond une grande préface, ou l’important travail sur les « Cinq auteurs » (Champion 2008), car si Corneille semble avoir conduit F. Lasserre à Gougenot, Gougenot ramène à Corneille et à ses démêlés avec le théâtre de Richelieu. Emmanuel Minel Véronique Lochert (éd.) : André Mareschal, Comédies. Paris : Classiques Garnier, 2010 (« Bibliothèque du théâtre français », 2). 408 p. André Mareschal est aujourd’hui surtout connu pour des textes de critique littéraire et théâtrale, préface de La Chrysolite (1627) sur le roman défini comme un mensonge habilement « habillé des couleurs de la vérité » d’une part, préface de La Généreuse Allemande (1631) qui constitue un manifeste en faveur de la dramaturgie irrégulière d’autre part. Cette dernière préface, qui mentionne pour la première fois ensemble les trois unités, avait été signalée dès le début du siècle par H. C. Lancaster, puis avait été rendue accessible dès 1973 dans un article important de Catherine Maubon, avant d’être publiée en 1989 par Daniela Dalla Valle puis éditée en 1996 par Giovanni Dotoli dans sa célèbre anthologie Temps de préfaces. Toutefois, loin d’être quasi exclusivement un critique à la manière de Chapelain qui fut son exact contemporain, André Mareschal, polygraphe, écrivit de la poésie, du théâtre et des romans. Son œuvre dramatique se révèle particulièrement abondante, puisqu’il compose neuf pièces entre 1630 et 1648, cinq tragicomédies, deux comédies et deux tragédies. Dans ce théâtre, La Généreuse Allemande a récemment été l’objet d’une édition critique, établie par Hélène Baby ; l’édition des deux comédies de Mareschal, Le Railleur et Le Véritable Capitan Matamore établie par Véronique Lochert, lui fait suite chronologiquement, au sein de la même maison d’édition qui devrait publier l’ensemble du théâtre de Mareschal dans les prochaines années. C’est au milieu des années 1630 que Mareschal célèbre Thalie, en donnant à jouer au jeune théâtre du Marais deux comédies, Le Railleur créé Comptes rendus 207 en 1635, Le Véritable Capitan Matamore, représenté pour la première fois au cours de la saison 1637-1638. Comme celles de Corneille, ces comédies se caractérisent par l’ancrage de la fiction dans l’époque contemporaine, le Paris des années 1630. Toutes deux s’inspirent aussi fortement, à travers le personnage du capitan en particulier, de Plaute qui, s’il n’est traduit en français qu’en 1658, bénéficie de nombreuses adaptations théâtrales dans les années 1630. C’est cette tension entre héritage (antique et humaniste) et modernité qui constitue l’angle d’approche de V. Lochert, qui livre dans les introductions des pièces une étude fondée sur une perspective historique précise, tandis que les textes eux-mêmes sont dotés d’une ample annotation. Le Railleur, qui fut un succès à l’époque, avait déjà retenu l’attention de la critique actuelle qui la considère comme une des premières comédies de mœurs du XVII e siècle : aussi existait-il déjà des éditions critiques modernes de cette comédie qui met en scène, avec un regard satirique, la sociabilité mondaine. L’édition de V. Lochert toutefois, loin d’être redondante, s’avère très utile, extrêmement complète, qui étudie, dans la notice, la création de la pièce (p. 10-20), l’action (« une agréable comédie à l’italienne », p. 20-30) et les personnages (p. 31-64), avec beaucoup de rigueur et d’honnêteté, sans masquer ainsi les zones d’ombre qui demeurent encore (pourquoi les représentations du Railleur furent-elles interrompues ? ). L’attention portée aux « influences littéraires » permet au lecteur de mesurer l’importance de la filiation de Plaute, par le biais de la Comédie Française humaniste mais également par le biais de l’Italie, de la commedia erudita autant que de la commedia dell’arte. De façon pertinente, l’influence de cette dernière n’est pas envisagée uniquement sous l’angle de la circulation des textes mais aussi sous celui des déplacements des comédiens eux-mêmes (p. 22). Parce que le railleur Clarimand fait la satire du temps, tout en étant lui-même aussi léger que l’époque qu’il dénonce, la comédie rejoint les terres de la satire et « Le Railleur préfigure ainsi, à plus d’un titre, le développement de la comédie dans la seconde moitié du siècle, conçue comme un art de la fine raillerie » (p. 48), si bien que Le Railleur apparaît comme un ancêtre direct du Misanthrope. V. Lochert propose alors une poétique de la comédie satirique, en examinant la raillerie comme une pratique mondaine mais aussi comme une structure proprement théâtrale (p. 49-52), en étudiant les modèles poétiques et théâtraux de la satire des années 1600-1630 (p. 52- 54), en se penchant sur la réalité historique du Paris des années 1630 (mode vestimentaire, hiérarchie sociale encore dominée par la noblesse d’épée même si « la maîtrise des signes tend à remplacer la maîtrise des armes », p. 54-61). Le Véritable Capitan Matamore se présente quant à lui, dans son titre même, comme une imitation du Miles gloriosus de Plaute (« comédie... PFSCL XL, 78 (2013) 208 imitée de Plaute par A. Mareschal ») mais apparaît véritablement comme une comédie moderne et originale, en particulier grâce à la transformation du capitan adapté à la nouvelle réalité contemporaine. V. Lochert étudie très minutieusement la création de la pièce, s’intéressant à l’acteur Bellemore qui créa très probablement le Taillebras du Railleur et le Matamore de L’Illusion comique, comparant la composition de la troupe du Marais entre la création des deux comédies (p. 184-186), situant la pièce par rapport à sa rivale anonyme de l’Hôtel de Bourgogne, Le Capitan ou le miles gloriosus (p. 187-190). Une deuxième partie de l’introduction, particulièrement bien menée, montre comment la pièce est « une adaptation moderne de Plaute », Mareschal se proposant, dans l’avertissement de la pièce, d’« habiller ce vieil Auteur à la moderne » en corrigeant l’irrégularité de la pièce antique et en la soumettant aux principes de la bienséance et de la vraisemblance (p. 191- 203). La troisième partie de l’introduction déplie le type du capitan qui « réfléchit l’association de l’ancien et du moderne qui caractérise la pièce » (p. 203) : type dramatique issu de la tradition antique du soldat fanfaron mais commun au théâtre européen depuis la Renaissance, le Capitan a, en France même, une longue histoire avant que Mareschal ne s’en saisisse et ne l’ancre dans l’actualité de la guerre entre la France et l’Espagne (p. 209- 214), ou de la folie littéraire à la manière de don Quichotte (p. 219-222). La dernière partie de l’introduction porte sur les enjeux de la pièce, marquée par une importante dimension réflexive autant que par un réel souci de faire rire. « Le motif des sœurs jumelles et le déguisement de Placide reflètent les enjeux d’une comédie qui cherche à se distinguer de ses rivales et à revêtir la pièce antique d’un costume à la mode française » (p. 225), tandis que l’éloquence hyperbolique du fanfaron peut se lire comme une allégorie satirique de la prose de Guez de Balzac. Du côté du rire, Le Véritable Capitan Matamore adopte un ton qui repose largement sur la moquerie, les bons mots (« Gallas n’est qu’un galeux » v. 169), la satire de celui qui ignore les codes de la société mondaine (p. 229-231). Les deux caractéristiques, réflexive et comique, sont alliées dans les deux feintes successives (littéralement des burles) conduites dans la pièce, qui prennent chacune la forme d’une représentation théâtrale (p. 231-236). Le spécialiste de théâtre en somme ne pourra que se réjouir de l’excellente édition de ces deux comédies, suivies, pour la commodité de sa lecture, d’un glossaire, d’une bibliographie et d’un index des noms. Non seulement les introductions des pièces donnent beaucoup de matière à la réflexion, mais l’établissement des textes lui-même est très soigné, et la généreuse annotation profite aussi bien aux spécialistes qu’aux honnêtes gens qui voudraient découvrir des comédies mineures du XVII e siècle. Les premiers toutefois auraient peut-être aimé avoir davantage de commentaires Comptes rendus 209 de langue, et savoir si tel écart par rapport à la langue française actuelle tient à la nature même de la langue du XVII e siècle, ou à une licence poétique. Mais toute annotation correspond à une position particulière du critique et V. Lochert a légitimement privilégié, en spécialiste du théâtre européen des XVI e et XVII e siècles, des commentaires dramaturgiques et comparatistes. Carine Barbafieri Alain Riffaud (éd.) : Pierre Corneille, Cinna, Tragédie, 1643. Genève : Droz, 2011 (« Textes littéraires français »). 237 p. Alain Riffaud’s new edition of Corneille’s Cinna is a rich addition to Droz’s “Textes littéraires français” collection, which until now has only published ten of Corneille’s plays. The editor’s fifty-page introduction has both strengths and weaknesses. Riffaud does a fine job discussing the play in the context of his fellow playwrights and dramatic theory, both contemporary and ancient. The unqualified success of Cinna is described and Riffaud uses the earlier Querelle du Cid in order to explain how Corneille finally managed in Cinna to respond successfully to all the criticisms made by the doctes; he also situates the play with reference to Aristotle’s theories. Riffaud clearly delineates the Senecan source material, pointing out how little Seneca provided (the conspiracy and Auguste’s final judgment) and how much Corneille himself devised (the reason for the conspiracy, its betrayal and all the secondary characters). Riffaud compares Cinna at some length to another conspiracy play, Georges de Scudéry’s 1636 La Mort de César. He also contrasts Cinna with Scudéry’s Le Prince déguisé, a much less felicitous choice, both because in Corneille’s play it is the courtier and not the prince who is disguised and because Le Prince déguisé is a tragicomedy. A significant weakness of the introduction is Riffaud’s insistence on Cinna’s status as the hero of the play, “un héros vertueux” (p. 28): “comme il [Cinna] ne passe pas à l’acte, il se “conserve innocent” (v. 1736)” (p. 29). Riffaud looks closely at the scene where Auguste asks the advice of Cinna and Maxime, describing well the paradoxical situation in which Cinna finds himself, but he doesn’t acknowledge that Cinna’s behavior costs him his claim to heroism. Auguste receives considerably less attention from Riffaud than Cinna and the word “héros” is never associated with the emperor; instead Riffaud discusses him in the context of clemency and legitimacy. In another section, Riffaud focuses on the role of reflexion and deliberation in Corneille’s play. While the numerous references to such action in other contexts (e.g., in the work of Loyola and François de Sales, in a Rembrandt PFSCL XL, 78 (2013) 210 painting) contribute little to our understanding of the play, Riffaud makes an important point: “L’exercice de la délibération s’oppose à toute dissimulation, éprouve la force d’âme, et surtout fait émerger la résolution” (p. 40). The introduction, despite its length, is not the strongest part of this edition; it suffers from an excessively reverential stance in which Cinna is the greatest of all of Corneille’s plays and Cinna the perfect Cornelian hero. Riffaud refuses to consider or even acknowledge the fascinating, problematic aspects of the play: that Cinna is not the Cornelian hero that Rodrigue is because he does not act, that there is a radical shift in focus from Cinna to Auguste as the play progresses, and that Auguste’s clemency comes only after Livie suggests clemency and he rebuffs her suggestion. The introduction is laudably wide-ranging, but Riffaud seems more comfortable outside the play than within it, occasionally escaping into the playwright’s role (“Corneille fabrique sa tragédie de manière méthodique. Imaginons-le à Rouen, rue de la Pie, dans son cabinet de travail, alors qu’il cherche à concevoir sa prochaine œuvre dramatique,” pp. 13-14) or overbroad generalization (“Le théâtre de Corneille n’est pas accueillant pour le fourbe tandis qu’il l’est pour le magnanime,” p. 50). The true strength of this edition is in the other materials that Riffaud includes. The “Établissement du texte” provides enlightening information concerning punctuation practices. Riffaud chooses to place the paratextual material—the Épitre dédicatoire, Seneca’s De Clementia, a passage from Montaigne in which the latter translates much of the pertinent De Clementia material, the laudatory 1643 letter from Guez de Balzac to Corneille about Cinna, and Corneille’s 1660 Examen—after the play; each item is followed by Riffaud’s commentary (what he calls a “note”) addressing the importance of the given text. Then the editor provides act-by-act plot summaries of Georges de Scudéry’s La Mort de César and Le Prince déguisé, each again accompanied by an enlightening “note” contrasting them with Corneille’s play. Next we find some of the standard apparatus of a scholarly edition: a list of variants and the endnotes for the play itself. The endnotes deal with substantive matters while the notes at the bottom of the page in the play are supposed to clarify the meaning of certain words or lines. The difference between the two is at times blurred and many of the notes at the bottom of the page strike me as unnecessary. The following section is more original: what Riffaud calls a “dossier critique” including short articles on the multiple sources of Corneille’s Cinna (Riffaud accords Scudéry once again a substantial role); a brief performance and publication history of the play, in which the editor focuses on dating the first performance, the probable distribution of roles, scenic elements, Corneille’s innovative system of financial compensation, and the play’s Comptes rendus 211 publication; a graphic depiction of the play’s action; an introduction to the art of rhetoric as it pertains to the classical theater, including a rhetorical analysis of Émilie’s opening monologue; a brief and rather sketchy chronology covering 1) Corneille’s career, 2) history and politics of the period, and 3) literature, science, and arts; and most original, an essay entitled “Actualité de Cinna,” in which Riffaud argues Corneille’s modernity as a geopolitical thinker. Ranging broadly in this final essay, Riffaud discusses a recent political tendency toward oligarchy and plutocracy as well as the problem of legitimacy. He quotes political scholars and also makes reference to Sarkozy, the Arab uprisings (and the overthrow of tyrants), and finally argues that the self-consciousness of Corneille’s characters in this play, particularly Auguste, is distinctly modern. He concludes: “La tragédie de Corneille atteste ainsi cette émergence de la modernité au XVII e siècle” (p. 237). Finally, the edition ends with a bibliography in which surprisingly the shortest section is “Ouvrages et articles sur Corneille.” It includes only twenty-one items, a number of which contain only brief sections on Cinna. I was particularly struck by the absence of Jacques Ehrmann’s excellent “Les Structures de l’échange dans Cinna.” A further weakness is the absence of anything written on the play in English or even published outside of France. In conclusion, this is a careful, well-crafted edition, with only a few typographical errors (“derrière” instead of “dernière,” p. 30; “luis” instead of “lui,” l.57; “prudence” instead of “clémence,” p. 210; and a linenumbering problem on page 120). There is a rather heavy emphasis on Georges de Scudéry, but Corneille’s rival and opponent provides a novel perspective from which to consider Cinna. Overall, what Riffaud lacks in depth in terms of his analysis of the play, he makes up convincingly in breadth. This is an exceptionally wide-ranging edition that succeeds admirably at placing the play in numerous contexts, thereby illuminating one of Corneille’s greatest tragedies from multiple angles. Nina Ekstein Aurore Évain, Perry Gethner, Henriette Goldwyn (dir.) : Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. Volume 3 : XVII e -XVIII e siècle. Saint- Étienne : Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2011 (« La cité des dames »). 609 p. On sait que les femmes dramaturges de l’Ancien Régime, en particulier celles du XVII e siècle, ont été redécouvertes grâce aux gender studies dès les années 1990. Outre-Atlantique, plusieurs chercheurs ont ainsi mis en lu- PFSCL XL, 78 (2013) 212 mière une véritable terra incognita 1 et permis de saisir « la condition inhumaine » 2 de ces femmes de lettres. En 1993, Perry Gethner faisait paraître une première anthologie en deux volumes intitulée Femmes dramaturges en France (1650-1750), pièces choisies 3 . Depuis quelques années, il poursuit son entreprise éditoriale en collaboration avec Henriette Goldwyn et Aurore Évain, dont les travaux, plus récents, sont tout aussi déterminants pour le domaine. Et ce à travers la monumentale anthologie du Théâtre de femmes de l’Ancien Régime (trois volumes parus à ce jour 4 , deux à paraître 5 ), couvrant la période du XVI e au XIX e siècle, et réunissant « pour la première fois en France » les pièces d’une trentaine de femmes dramaturges, soit une cinquantaine de pièces 6 . Le troisième volume présente neuf pièces de dramaturges de la fin du XVII e siècle et du début du XVIII e siècle (1680-1725) : 1/ Catherine Bernard : Laodamie, reine d’Épire, tragédie (1689) ; Brutus, tragédie (1690) ; 2/ Mme Ulrich : La Folle enchère, comédie (1691) ; 3/ Catherine Durand : Comédies en proverbes, proverbes dramatiques (1699) ; 4/ Louise-Geneviève de Sainctonge : Griselde, ou la princesse de Saluces, comédie (entre 1692 et 1714) ; 5/ Marie-Anne Barbier : Arrie et Pétus, tragédie (1702) ; Le Faucon, comédie (1719) ; 6/ Madeleine-Angélique de Gomez : Habis, tragédie (1714) ; Marsidie, reine des Cimbres, tragédie (1724). L’anthologie débute par une « Introduction » de Perry Gethner, laquelle précise les évolutions socio-historiques et les caractéristiques esthétiques de la 1 Cecilia Beach, French Women Playwrights Before the Twentieth Century : A Checklist, Greenwood Press, 1994. 2 Henriette Goldwyn, « Femmes auteurs dramatiques au dix-septième siècle : la condition inhumaine », Les Cahiers du dix-septième siècle, vol. IV, n°1, 1990, p. 51- 62. 3 Perry Gethner, Femmes dramaturges en France (1650-1750), pièces choisies, vol. 1 et 2, Tübingen, Gunter Narr Verlag, « Biblio 17 », 1993 et 2002. Voir également la version anglaise : The Lunatic Lover and Other Plays by French Women of the 17th & 18th Centuries, Portsmouth (NH), Heinemann, 1994. 4 Volume 1 : XVI e siècle, 2006 ; volume 2 : XVII e siècle, 2008 ; volume 3 : XVII e - XVIII e siècle, 2011. 5 Volume 4 : XVIII e siècle ; volume 5 : XVIII e -XIX e siècle. 6 Pour en savoir plus sur la description et les objectifs du projet éditorial, voir le site compagnon de l’anthologie (http: / / www.theatredefemmes-ancienregime.org/ ), et tout particulièrement Aurore Évain, « Théâtre de femmes : les enjeux de l’édition » (http: / / www.theatredefemmes-ancienregime.org/ presentation/ ). Comptes rendus 213 période envisagée, la création de la Comédie-Française servant de délimitation chronologique. La distance critique vis-à-vis du règne de Louis XIV, des modèles et des valeurs qui l’accompagnent, s’est accentuée. La nouvelle génération d’autrices en témoigne avec une acuité vive, au point qu’elles « figurent parmi les dramaturges les plus subversifs à l’origine [de] transformations » thématiques (p. 9) : « démantèlement de l’héroïsme » et « décadence du patriarcat », allant de pair avec « l’exaltation des femmes héroïques » (Catherine Bernard, Marie-Anne Barbier) ; émergence du thème de l’amitié féminine (Mme de Sainctonge, Mme de Gomez, Catherine Durand) ; satire morale d’une société mue par l’argent et la cupidité (Mme de Sainctonge) ; cynisme accru envers l’institution du mariage (Mme Ulrich, Mme Durand). Perry Gethner montre que la prise de distance se manifeste aussi à travers un réseau d’intertextualité, les femmes dramaturges se plaisant à reprendre des grands textes classiques (ceux de Corneille et de Racine) tout en leur faisant subir des décalages, sources de connivence avec les lecteurs-spectateurs (Marie-Anne Barbier). Autre domaine d’innovations, celui des formes : sous l’effet de la montée des valeurs bourgeoises, le registre pathétique et larmoyant s’impose progressivement (Catherine Bernard, Mme de Gomez, Marie-Anne Barbier, Mme de Sainctonge), avant de trouver à s’épanouir chez Mme de Graffigny. Des avancées décisives ont également lieu sur le plan éditorial puisque toute cette production, à l’initiative même des dramaturges, vient à être publiée dans des œuvres mêlées ou des œuvres complètes, signe incontestable de l’affirmation d’une persona d’auteur. Perry Gethner rappelle enfin le succès scénique de la plupart de ces pièces, qui atteste la parfaite intégration des femmes dramaturges dans l’univers théâtral de leur époque. Pour preuve ultime, leur ouverture aux nouveaux genres et formes : livrets d’opéra (Catherine Durand) et proverbes dramatiques des théâtres de société (Catherine Durand), gages d’expression libre. En somme, la première qualité de cette anthologie, outre qu’elle redonne sa visibilité à un corpus méconnu du grand public et qu’elle éclaire le contexte dans lequel ces femmes ont écrit, publié et fait jouer leurs pièces, est de souligner combien elles évoluèrent dans des réseaux littéraires et des circuits éditoriaux tout à fait identiques à ceux de leurs homologues masculins. Le présent volume prouve qu’en dépit des préjugés et des accusations qu’elles durent subir (dont le fréquent déni d’auctorialité), les femmes dramaturges osaient s’investir dans les mêmes genres - tragédie et comédie -, se permettaient des incursions dans les mêmes territoires de l’histoire antique et contribuaient largement, elles aussi, aux mutations thématiques et formelles de leur art. PFSCL XL, 78 (2013) 214 L’autre mérite de l’anthologie est d’ordre méthodologique et tient dans le fait que chaque autrice et chaque pièce est introduite au moyen de notices élaborées par des spécialistes. Riches et denses, elles apportent l’éclairage nécessaire sur des points essentiels (genèse, sources, éditions, réception), et délivrent quelques éléments d’analyse. Un discret appareil de notes élucide les références historiques et lexicales, de même que le « Glossaire » en fin d’ouvrage. Quant au « Complément bibliographique », il parachève l’orientation critique des notices en suggérant des lectures aussi précises que récentes. Si l’attention est prêtée aux discours liminaires (préfaces, épîtres), tous reproduits, on peut regretter que soient absents d’autres éléments cruciaux du paratexte, à savoir les privilèges d’impression. Comme le souligne Perry Gethner à propos de Marie-Anne Barbier, ces textes fourmillent d’indices précieux pour cerner les stratégies éditoriales et auctoriales des femmes dramaturges (p. 21). Au-delà, ils permettent d’appréhender les modalités d’affichage de leur nom : ainsi le privilège de Brutus est-il délivré le 18 janvier 1691 à M.B. pour une durée de six ans, et ladite M.B. a cédé son droit de privilège à la veuve de Louis Gontier. Or, il est amusant de voir que ces initiales prêtent toujours à confusion puisque le catalogue de la BnF continue à attribuer la pièce à Marie-Anne Barbier, laquelle, ce n’est pas un hasard, met en scène le personnage de Brutus dans sa tragédie La Mort de César (1709). Une autre curiosité se trouve dans le privilège du Théâtre de Mademoiselle Barbier (Paris, Briasson, 1745) : le privilège est accordé le 19 juillet 1743, pour neuf ans, à la Demoiselle Barbier pour les Tragédies, & autres Poésies de Mademoiselle Barbier. Mais la cession jette le doute sur l’identité de l’exposante : « Je soussigné Marie-Anne Barbier, reconnois avoir cédé à M. Briasson le Privilége que j’ai obtenu pour les Ouvrages de ma mère, conformément aux conventions faites entre nous. A Paris ce 23. Juillet 1743. »… Au final, l’ensemble se distingue par son esprit d’exigence et ses objectifs ambitieux (au sens noble du terme) : faciliter l’accès à un corpus éparpillé, rééditer bon nombre de pièces qui ne l’avaient jamais été, « les rendre accessibles à la fois à des étudiants, des praticiens, des lecteurs et des spectateurs de théâtre. » (p. 29-30). Le tout à un prix modéré. On se prend dès lors à rêver que ces pièces, après avoir fait l’objet d’une telle édition, ne reprennent vie sur scène, à l’exemple du Favori, de Mlle Desjardins 7 . Edwige Keller-Rahbé 7 Voir l’expérience théâtrale réalisée par la Compagnie TAL - Jean-Louis Bihoreau (http: / / www.theatredefemmes-ancienregime.org/ dvd-le-favori/ ). Comptes rendus 215 Pascale Thouvenin (éd.) : René Rapin, Les Réflexions sur la poétique et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes (1684). Édition critique et présentation par Pascale Thouvenin. Paris : Honoré Champion, 2011 (« Champion classiques, Série littératures »). 821 p. Les spécialistes connaissent cet ouvrage par l’édition critique procurée par E. T. Dubois et publiée par Droz (Genève) en 1970, non en 1975 comme le prétend l’éditrice de ce volume (299) qui prend vivement son prédécesseur à partie. Mme Dubois a publié l’édition de 1675, la première reconnue par Rapin, en la contaminant malheureusement avec des éléments provenant de celle de 1684 que Mme Thouvenin préfère avec des arguments convaincants. Son choix de la dernière version publiée du vivant de l’auteur est juste et les variantes des trois éditions bien enregistrées (623-679). Le volume précédent comprenait 198 pages, celui-ci plus de 800, différence qui s’explique par des annexes utiles (Lettre de Chapelain à Rapin (643-645) et la Réponse de Rapin aux Remarques de Vavasseur (655-695), document important). La « présentation » (7-296) et l’étude « Éditer Les Réflexions sur la poétique » (297-324) sont longues, les commentaires abondants. Les lecteurs peu familiers de la tradition humaniste sauront gré à l’éditrice de pouvoir se passer d’encyclopédie pour comprendre les multiples allégations ou allusions du jésuite, ceux, par contre, qui connaissent Horace, Virgile, Térence, Pétrone, Homère, Lope de Vega, Garnier, etc. préféreraient peutêtre une réduction des notes, souvent enrichies d’indications des études sur ces auteurs. La commentatrice se révèle toutefois bien informée et l’utilisateur du volume n’est jamais déçu. La présentation, divisée en trois chapitres, équivaut à une monographie sur Rapin. Le titre « Un jésuite passeur de culture » (9) caractérise bien le personnage. Notre jésuite conçoit « ses écrits critiques comme une œuvre de synthèse culturelle » (39) et complète ses relations à la bonne société par une correspondance avec Bussy-Rabutin afin de s’assurer de sa conformité au goût mondain. Ses confrères l’associaient à Bouhours en méprisant ces deux Pères « comme les agents au sein des lettres d’une désertion de la haute science, abâtardie au profit de la culture mondaine » (53). Les doutes sur les compétences en grec de Rapin, diffusés par Vavasseur et le Menagiana, sont réfutés ici par des preuves convaincantes (648-652). Qu’on ne se trompe pas sur la stratégie de notre jésuite d’occulter « une attitude jugée trop ostensiblement érudite » (308), qui caractérisait l’édition de 1675, intitulée Réflexions sur la poétique d’Aristote : il supprime le nom d’Aristote en intégrant par contre les « valeurs galantes dans le canon classique » (320). Mais il soutient toujours « qu’il ne paraît dans nos ouvrages que peu de cette sublime poésie, dont nous avons de si beaux modèles dans les poètes an- PFSCL XL, 78 (2013) 216 ciens, surtout dans Homère et dans Virgile » (429). S’il préfère avec beaucoup d’autres l’Énéide aux épopées d’Homère, il sait assez de grec pour les lire dans l’originale. D’après l’éditrice, Rapin discute le rapport entre Aristote et Longin dans l’optique de la « science des textes » (83) et attire l’attention sur l’émergence du « plaisir littéraire » (217). L’achevé d’imprimer « devance de sept mois celui des Œuvres diverses de Boileau » (14), ce qui justifie l’insistance sur la « promotion affirmée de la catégorie du « sublime », dans l’édition de 1684, et […] la récurrence des notions mondaines de goût et de délicatesse, l’analyse du plaisir littéraire et l’essai de saisie de l’« ineffable » (I, XXXV) de l’émotion poétique » (15). Mme Thouvenin situe le Traité « au stade épistémologique flou où rhétorique et poétique évoluent vers la réflexion esthétique » (168). Elle préfère sans aucun doute l’esthétique à la rhétorique et, s’autorisant des travaux de Baldine Saint-Girons, elle lit Rapin dans l’optique de Batteux et Du Bos pour insister sur sa « contribution à la naissance de l’esthétique » (61) philosophique. Les énoncés du jésuite perpétuent toutefois des théorèmes rhétoriques où il reconnaît l’importance du « génie » en le soumettant aux « règles » puisque, « si ce génie n’est réglé, ce n’est qu’un pur caprice, qui n’est capable de produire rien de raisonnable » (380). La contrainte de la rime « ne doit être une difficulté que pour les petits esprits, qui se laissent maîtriser par cette servitude, dont se servent les grands génies pour donner plus de force à leurs pensées et plus de grandeur à leurs sentiments » (618). Cette insistance sur les grands génies, qui annonce l’esthétique des Lumières, se trouve également chez Du Bellay et Boileau dont les poétiques présupposent la rhétorique traditionnelle. Lier le sublime au bouleversement du cœur et aux larmes, c’est une manière d’annoncer l’esthétique philosophique pour laquelle il représente « le summum du plaisir littéraire » (188). Mais on pourrait repérer dans Les Réflexions sur la poétique bien des propos qui enracinent notre jésuite dans l’art oratoire, ce qui montre les limites de l’interprétation exclusive à clé esthétique de la présente édition. Tant la présentation que les commentaires s’appuient sur la critique récente pour situer Rapin à l’intérieur de l’antagonisme entre jansénistes et jésuites, cadre qui permet de mettre en évidence les arguments où Rapin épouse les positions de son ordre. L’avantage incontestable de cette démarche est de prendre ses distances avec le « schéma critique commode d’une esthétique « baroque », construit dans les années 1950 » (200) où l’on séparait nettement le classicisme du baroque. Le Moyne en profite quand l’éditrice cerne des « fondements communs » chez les deux auteurs sans nier « une évolution significative en accord avec les mutations intellectuelles et esthétiques internes du classicisme » (203). On comprend dès lors mieux Comptes rendus 217 l’affirmation de notre jésuite, selon lequel « nous n’avons aucun ouvrage en notre langue où il y ait tant de poésie que le poème du Père Lemoine, jésuite, en son Saint Louis » (449). Rapin cherche à « libérer la fiction de l’accusation mortifère de mensonge […] et de définir dans la poésie une aire de surnaturel […] tolérable pour la raison » (152). Il se distingue par là du Père Le Bossu, intitulé par erreur « abbé » (ibid.), dont le Traité du poème épique recourt sans cesse au concept de fable et d’allégorie. Les Réflexions sur la poétique sont restées dans l’ombre de l’Art poétique et des Remarques sur Longin de Boileau. La présente édition, corrigeant cette bévue, restitue à Rapin l’importance qu’il mérite grâce à l’originalité de sa doctrine et la pertinence de ses interprétations. Volker Kapp LIVRES REÇUS PFSCL XL, 78 (2012) Livres reçus ASSAF, Francis B. (éd.) : Antoine Houdar de la Motte, Les Originaux ou L’Italien. Édition établie par Francis B. Assaf. Tübingen : Narr Verlag, 2012 (« Biblio 17 », 198). 76 p. BOURQUE, Bernard J. (éd.) : Abbé d’Aubignac, Pièces en prose. Édition critique par Bernard J. Bourque. Tübingen : Narr Verlag, 2012 (« Biblio 17 », 201). 333 p. CHEDOZEAU, Bernard : Le Nouveau Testament autour de Port-Royal. Traductions, commentaires et études (1697 - fin du XVIII e siècle. Paris : Champion, 2012 (« Lumière Classique », 95). 325 p. + Bibliographie, Index. CONESA, Gabriel : Le pauvre homme ! Molière et l’affaire du Tartuffe. Roman. Paris : L’Harmattan, 2012. 268 p. DUCHENE, Roger ; FREIDEL, Nathalie (éds.) : Madame de Sévigné, Lettres de l’année 1671. Texte établi par Roger Duchêne. Édition de Roger Duchêne, revue et présentée par Nathalie Freidel. Préface de Nathalie Freidel. Paris : Gallimard, 2012 (« Folio Classique »). 549 p. JENNINGS, Neil, JONES, Margaret (eds.) : A Biography of Samuel Chapuzeau, a Seventeenth-Century French Huguenot Playwright, Scholar, Traveller, and Preacher. An Encyclopedic Life. With a Foreword by Christopher Gossip. Lewiston, Queenston, Lampeter : The Edwin Mellen Press, 2012. 192 p. + Bibliography, Index. KARSENTI, Tiphaine : Le mythe de Troie dans le théâtre français (1562-1715). Paris : Champion, 2012 (« Lumière Classique », 90). 820 p. + Annexes, Bibliographie, Index des noms de personnes. LANDY-HOUILLON, Isabelle : Entre philologie et linguistique : approches de la langue classique. Paris : Classiques Garnier, 2012 (« Lire le XVII e siècle », 13). 437 p. + Bibliographie, Index nominum, Index rerum. LASSERRE, François : Nicolas Gougenot, dramaturge, à l’aube du théâtre classique. Étude biographique et littéraire, nouvel examen de l’attribution du « Discours à Cliton ». Tübingen : Narr Verlag, 2012 (« Biblio 17 », 200). 200 p. LESAULNIER, Jean : Jean Racine, Abrégé de l’histoire de Port-Royal. Édition établie, présentée et annotée par Jean Lesaulnier. Préface de Philippe Sellier. Paris : Champion, 2012 (« Sources classiques », 110). 413 p. + Bibliographie choisie, Index des noms propres. MATHIEU, Francis : L’art d’esthétiser le précepte : l’exemplarité rhétorique dans le roman d’Ancien Régime. Tübingen : Narr Verlag, 2012 (« Biblio 17 », 199). 233 p. Livres reçus 222 ODDOS, Jean-Paul : Isaac de Lapeyrère (1596-1676). Un intellectuel sur les routes du monde. Paris : Champion, 2012 (« Libre pensée et littérature clandestine », 50). 303 p. + Index des noms. PIOFFET, Marie-Christine (dir.), avec la participation de Marie Lise Laquerre et de Daniel Maher : Dictionnaire analytique des toponymes imaginaires dans la littérature narrative de langue française (1605-1711), suivi en annexe de la Lettre d’Ariste à Cleonte, contenant l’Apologie de l’Histoire du Temps ; ou la Defense du Royaume de Coqueterie (1660) de François Hédelin, abbé d’Aubignac. Édition critique par Marie-Christine Pioffet. Presses de l’Université de Laval, 2011. 546 p. + Bibliographie générale, Index des lieux. SELLIER, Philippe : Port-Royal et la littérature, II. Le siècle de Saint-Augustin, La Rochefoucauld, M me de Lafayette, M me de Sévigné, Sacy, Racine. Deuxième édition augmentée de six études. Paris : Champion, 2012 (« Champion Classiques, Série Essais »). SHIOKAWA, Tetsuya : Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes. Paris : Champion, 2012 (« Lumière classique », 97). 252 p. + Index des noms de personnes, Index des textes pascaliens cités ou étudiés. VENESOEN, Constant : Madame de Maintenon, sans retouches. Tübingen : Narr Verlag, 2012 (« Biblio 17 », 202). 122 p. PFSCL, XL, 78 (2013) Adresses des auteurs de ce numéro NANCY ARENBERG University of Arkansas Dept. of Foreign Languages Fayetteville, AR 72701 FRANCIS ASSAF The University of Georgia Dept. of Romance Languages Athens, GA 30602 ANDREW BILLING Macalester College Dept. of French and Francophone Studies St. Paul, MN 55105 BERNARD J. BOURQUE University of New England School of Arts Dept. of French Armidale, NSW 2351 Australia JOE CARSON University of St Andrews School of Modern Languages St Andrews, Fife KY16 9PH Scotland BRUCE EDMUNDS The University of Alabama Dept. of Modern Languages and Classics Tuscaloosa, AL 35487-0246 MICHAEL HAWCROFT Keble College Oxford, OX1 3PG England SARAH THALIA PINES Stanford University Dept. of French and Italian Stanford, CA 94305 KALERVO RÄISÄNEN Université de Tampere Lipunkantajankatu 5 B 19 20360 Turku Finland STELLA SPRIET University of Saskatchewan Dept. of Languages and Linguistics Saskatoon, SK Canada S7N 5A5 DEBORAH STEINBERGER University of Delaware Dept. of Foreign Languages and Literatures Newark, DE 19716 Narr Francke Attempto Verlag GmbH+Co. KG ! "# $ www.narr.de JETZT BES TELLEN! J. H. Mazaheri Lecture socio-politique de l’épicurisme chez Molière et La Fontaine % " & % $ ' & ( ) * +, - (& .) & ISBN 978-3-8233-6766-6 / * "01 2" * 33" * * * * 453 0 2 * 3 5 " " 3" * 60 $ **5 *0 ! 7 $0 89: : ; < 3 * $40 *0 $5* 5 $ $ 0 3 ; $ =" ; Les Femmes savantes et Don Juan * 3"; 2 $ > " * $0 1 9: : : $ Fables : 4 * $40 *0 5*" 60 & 2 ** * 4 * 0 23 * >4 $5 3 3 60 $5 $ * * 60 453 0 2 & 3 " "3 * " * 2" $5 5 & 1 *5 ? * $ "0 " & 60" 60 0* 0 5*0$ 5 & "22 $4 0* 02 * $ 0 * 23 & 4 * " 2 2 * $5! $0 0 0 3 * 0 ; $ 0 " 5*5 90.00 90.00 90.00 58.00 58.00 58.00 103412 PFSCL 78 10.01.13 13: 43 Seite 2 Vol. XL No. 78 2013 Editor Rainer Zaiser 78 P F S C L Papers on French Seventeenth Century Literature Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature ISSN 0343-6397 Biblio 17 Derniers titres parus 194 Benoît B OLDUC , Henriette G OLDWYN (éds.) Concordia Discors I (2011, 252 p.) 195 Benoît B OLDUC , Henriette G OLDWYN (éds.) Concordia Discors II (2011, 245 p.) 196 Jean G ARAPON , Christian Z ONZA (éds.) Nouveaux regards sur les Mémoires du Cardinal de Retz (2011, 213 p.) 197 Charlotte T RINQUET Le conte de fées français (1690-1700) (2012, 244 p.) 198 Francis B. A SSAF (éd.) Antoine Houdar de La Motte: Les Originaux ou L’Italien (2012, 76 p.) 199 Francis M ATHIEU L’Art d’esthétiser le précepte: L’Exemplarité rhétorique dans le roman d’Ancien Régime (2012, 233 p.) 200 François L ASSERRE Nicolas Gougenot, dramaturge, à l’aube du théâtre classique (2012, 200 p.) 201 Bernard J. B OURQUE (éd.) Abbé d’Aubignac: Pièces en prose (2012, 333 p.) 202 Constant V ENESOEN Madame de Maintenon, sans retouches (2012, 122 p.) 203 J.H. M AZAHERI Lecture socio-politique de l’épicurisme chez Molière et La Fontaine (2012, 178 p.) 103412 PFSCL 78 10.01.13 13: 43 Seite 1