Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2014
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Papers on French Seventeenth Century Literature Papers on French Seventeenth Century Literature Review founded by Wolfgang Leiner Volume X I (2014) Number 8 Editor Rainer Zaiser Editorial Staff , Béatrice Jakobs Lydie Karpen, Anna-Marie Frick Stephanie Schmidt-Janus PFSCL / Biblio 17 Tübingen Gunter Narr Verlag Tübingen Papers on French Seventeenth Century Literature / Biblio 17 Editor: Rainer Zaiser © 2014 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG P.O. Box 2567, D-72015 Tübingen All rights, including the rights of publication, distribution and sales, as well as the right to translation, are reserved. No part of this work covered by the copyrights hereon may be reproduced or copied in any form or by any means - graphic, electronic or mechanical including photocopying, recording, taping, or information and retrieval systems - without written permission of the publisher. Internet: http: / / www.narr.de E-Mail: info@narr.de Printed in Germany ISSN 0343-0758 PFSCL XLI, 81 (2014) Sommaire In memoriam Marie-Odile Sweetser...........................................................231 EXPERIMENTATIONS QUEER G UILLAUME P EUREUX Expérimentations queer. Pistes pour un nouveau XVII e siècle ? .................237 J ULIEN G ŒURY La relation dévote, une relation queer ? Le cas des Théorèmes de Jean de La Ceppède...............................................................................243 J EAN L ECLERC « Je ne codamne point vos manières » : la littérature burlesque au confluent du queer et du gay .................................................................257 A UDREY C ALEFAS -S TREBELLE « Amours dénaturées » et autres débauches. L’homosexualité à la cour du Grand Turc .............................................................................273 C HARLOTTE T RINQUET DU L YS Travestissement, ambiguïté sexuelle et homosexualité dans les contes de femmes-soldats de la fin du XVII e siècle................................................283 ETUDES DIVERSES F RANCIS A SSAF Les paratextes du Francion ou la mise en fiction de l’écriture....................303 N INA E KSTEIN Dramatic Point of View. L’École des femmes and Le Misanthrope ................315 J OHN P HILLIPS The Princess and the Death of Clèves ........................................................343 Sommaire 230 T HERESA V ARNEY K ENNEDY A Mind of Her Own : La Princesse de Clèves and the Making of the Female Hero in Seventeenth-Century Women’s Tragedy .................365 V OLKER K APP Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe. Cyrano de Bergerac, Fontenelle, Fénelon ...............................................................379 J ENNIFER R. P ERLMUTTER Heritage, « Bricolage » and Free-play : Restructuring the Ana Genre ........403 S TEPHANIE B UNG De la « chambre bleue » au « royaume de Tendre » : les salons français dans les manuscrits du XVII e siècle ............................................................421 COMPTES RENDUS Bernard Chédozeau L’Univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal. Les Préfaces de l’Ancien Testament. Une théologie scripturaire (1672-1693). Les Préfaces du Nouveau Testament (1696-1708) V OLKER K APP ...........................................................................................435 Mathilde Levesque, Olivier Pédeflous (dir.) L’emphase : copia ou brevitas ? (XVI e -XVII e siècles) V OLKER K APP ...........................................................................................438 Craig Moyes Furetière’s ‘Roman bourgeois’ and the Problem of Exchange F RANCIS A SSAF .........................................................................................440 Anne Piéjus (dir.) Jean Racine, Jean-Baptiste Moreau. Athalie S TEPHEN F LECK ........................................................................................442 LIVRES REÇUS............................................................................... 447 PFSCL XLI, 81 (2014) In memoriam Marie-Odile Sweetser Marie-Odile Sweetser, née Gauny, professeure émérite de l’Université de l’Illinois à Chicago, éminente spécialiste de la littérature française du XVII e siècle, membre de longue date de la North American Society for Seventeenth- Century French Literature et du conseil de rédaction des PFSCL, nous a quittés le 6 avril 2014. Tous ceux et celles qui l’ont connue se souviennent avec émotion de sa gentillesse, de sa générosité, de sa collégialité et de son amitié. Marie-Odile Sweester naquit le 28 décembre 1925 à Verdun en France. Elle fit des études à l’Université de Nancy et y obtint une licence ès lettres en 1945 avant de partir pour les États-Unis où elle continua ses études au Bryn Mawr College. C’est là qu’elle passa son master en 1950. Ensuite elle enseigna comme lecturer à la McGill University à Montréal et à partir de 1952 comme instructor à l’Université de Pennsylvanie où elle obtint le PhD en 1956. Puis elle occupa successivement des postes d’instructor au Cedar Crest College à Allentown en Pennsylvanie et au Mills College à Oakland en Californie. De 1960 à 1969, elle fut assistant professor au City College de New York avant d’accepter le poste de professeure de littérature française du dix-septième siècle à l’Université de l’Illinois à Chicago, poste auquel elle devait rester fidèle jusqu’à sa retraite en 1997. Les travaux de Marie-Odile Sweetser montrent une ampleur qui va de Corneille à Racine, de Molière à La Fontaine, de Tristan L’Hermite à Madame de La Fayette, de Madeleine de Scudéry à Madame de Sévigné. La liste de ses publications, parue dans les Mélanges publiés en son honneur en 1993, témoigne de la richesse de ses recherches. 1 Néanmoins, au cours de sa longue carrière universitaire, c’est vers deux auteurs déjà cités que ses intérêts ne cessèrent de la porter, Pierre Corneille et Jean de La Fontaine. Les œuvres du premier étaient déjà l’objet de sa thèse de doctorat qu’elle avait publiée, remaniée et développée, sous le titre Les conceptions dramatiques de Corneille d’après ses écrits théoriques en 1962 chez Droz. Y succéda un deuxième livre sur La dramaturgie de Corneille, paru en 1977 dans la 1 Voir Création et Recréation. Un dialogue entre Littérature et Histoire. Mélanges offerts à Marie-Odile Sweetser, éd. Claire Gaudiani, Tübingen, Narr, 1993, pp. 11-21. In memoriam Marie-Odile Sweetser 232 même maison d’édition. En 1987, elle publia une monographie sur La Fontaine dans le Twayne World Authors Series et en 2004 elle réunit ses nombreuses études sur La Fontaine dans un volume intitulé Parcours lafontainien et paru dans la collection Biblio 17 chez Gunter Narr à Tübingen. Les études cornéliennes de Marie-Odile Sweetser ont fait date. A une époque où l’approche biographique prédominait dans les études littéraires en France - c’est l’époque des travaux de Georges Couton (La vieillesse de Corneille, 1949), de Louis Herland (Corneille par lui-même, 1954) et de René Jasinski (Vers le vrai Racine, 1958) - elle examina, de l’autre côté de l’Atlantique, les paratextes des pièces de Corneille, ses préfaces, ses lettres dédicatoires, ses examens, ainsi que ses trois Discours et les écrits autour de la Querelle du Cid pour en dégager la poétique du théâtre de Corneille. Toujours soucieuse de tenir compte des différentes approches de la critique littéraire - sans omettre à partir des années soixante celles de la nouvelle critique -, Marie-Odile Sweetser reste, dans ses propres analyses littéraires, surtout fidèle au texte en soi sans pourtant oublier le contexte historique dans lequel l’œuvre littéraire a été créée. Ceci se manifeste de toute évidence dans ses études lafontainiennes qui, certes, examinent la période de Vaux et le mécénat de Fouquet, mais ne cessent de revenir sur des questions poétiques de la fable et sur les mécanismes de l’art fabuliste de l’auteur. 2 En outre, Marie-Odile Sweetser compte parmi celles qui ont stimulé les études féminines avant la lettre. En témoignent ses contributions sur la femme et le pouvoir, sur les voix féminines à l’âge classique et sur l’image de la femme chez Corneille, La Fontaine et Racine. 3 2 Voir surtout les rubriques de la table des matières de son Parcours lafontainien, Tübingen, Narr, 2004 (« Biblio 17, 150). 3 Voir « La Femme abandonnée : esquisse d’une typologie », PFSCL, No. 10, 1 (1978- 79), pp. 143-178 ; « Women and Power : Reflections on some Queens in French Classical Tragedy », in Proceedings of the Western Society for French History, ed. John F. Sweets, The University of Kansas, 1984, pp. 60-67 ; « Les femmes et le pouvoir dans le théâtre cornélien », in Pierre Corneille, éd. Alain Niderst, Paris, P.U.F., 1985, pp. 605-614 ; « Racine : pour une problématique de la ‘femme rompue’ », in Présences féminines. Littérature et société au XVII e siècle français. Actes de London, Canada, éds. Ian Richmond et Constant Venesoen, Paris, Seattle, Tübingen, 1987 (« Biblio 17 », 36), pp. 237-259 ; « La littérature et les femmes », in Le langage littéraire au XVII e siècle. De la rhétorique à la littérature, éd. Christian Wentzlaff-Eggebert, Tübingen, Narr, 1991 (« Études littéraires françaises », 50), pp. 51-65 ; « Images féminines chez La Fontaine : traditions et subversions », in Correspondances. Mélanges offerts à Roger Duchêne, éds. Wolfgang Leiner et Pierre Ronzeaud, Tübingen, Narr, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1992 (« Études littéraires françaises », 51), pp. 201-213 ; « Voix féminines dans la littérature classique », in Les femmes au Grand Siècle. Le Baroque : musique In memoriam Marie-Odile Sweetser 233 À toutes ses activités de recherche s’ajoute son engagement dans des sociétés savantes et professionnelles, que ce soit en Amérique du Nord ou en France. Elle a présidé de nombreuses séances lors des colloques de la NASSCFL qui lui a dédié un des volumes de son congrès de 2001 à l’Arizona State University à Tempe pour ses mérites dans le domaine des études féminines. 4 Elle était membre fidèle de la Société d’Étude du XVII e Siècle, de la Société des Amis de Jean de La Fontaine, de l’Association Internationale des Études françaises, sociétés qui l’ont invitée à maintes reprises comme oratrice à leurs réunions. Nombreux et nombreuses sont aussi les collègues qui, au début de leur carrière, ont bénéficié des conseils, des encouragements et du soutien de Marie-Odile Sweetser. Après le décès de Wolfang Leiner en 2005 et de Roger Duchêne en 2006 une autre doyenne des études dix-septiémistes a disparu, la dernière de notre communauté qui avait cultivé l’art de la plume à l’âge électronique et avait continué à correspondre par voie postale avec ses collègues et amis parsemés en Amérique du Nord et en Europe, une véritable Madame de Sévigné de notre temps, oserais-je dire pour rendre hommage à cette grande dame dont la douce voix ne m’est parvenue, ces dernières années, qu’à travers l’écriture fine de ses lettres, envoyées de Lake Bluff, son domicile sur le lac Michigan. Rainer Zaiser et littérature. Musique et liturgie, éds. David Wetsel et Frédéric Canovas, Tübingen, Narr, 2003 (« Biblio 17 », 144), pp. 41-52. 4 Voir Les femmes au Grand Siècle, éd. David Wetsel et Frédéric Canovas, 2003. EXPERIMENTATIONS QUEER Articles réunis par Guillaume Peureux PFSCL XLI, 81 (2014) Expérimentations queer. Pistes pour un nouveau XVII e siècle ? G UILLAUME P EUREUX (U NIVERSITE DE P ARIS 10 - N ANTERRE (CSLF)) Les quatre textes réunis ci-après sont des propositions de réponses à une interrogation formulée en français et en anglais, sous des formes non strictement équivalentes, à l’occasion de deux sessions du colloque annuel de la SE17 organisé à Wellesley College par Hélène Bilis en 2011 : « Y a-t-il un XVII e siècle queer ? / Queering Seventeenth-Century France ? » Si l’on veut penser que ces questions ont un réel intérêt heuristique pour qui s’intéresse à l’histoire de la littérature française du XVII e siècle, il convient de les traiter avec précaution et avec un souci constant de contextualisation. Il faut en effet prendre en considération certaines difficultés liées à l’usage dans le discours critique sur la littérature française du XVII e siècle de concepts et de questionnements qui lui sont triplement exogènes : 1) ils sont issus du monde intellectuel anglo-saxon 1 : le passage au français et à la culture française ne va peut-être pas de soi (outre la question de la traduction impossible du terme queer) ; 2) leur apparition les destinait à des applications dans le monde social et non aux constructions imaginaires sur lesquelles travaillent les critiques littéraires 2 ; 3) ils sont attachés à des 1 Il serait impossible d’essayer de citer tous les travaux fondateurs de cette veine critique, mais mentionnons pourtant Judith Butler, Bodies that Matter : On the Discursive Limits of « Sex », New York et Londres, Routledge, 1993 ainsi que Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity. Thinking Gender, New York et Londres, Routledge, 1990 (trad. : Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, « Poche », 2005 ; et Michael Warner, Fear of a Queer Planet. Queer Politics and Social Theory, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1994. 2 Sur les deux premiers points, voir Alan Sinfield, Cultural Politics - Queer reading [1994], 2 e éd., New-York et Londres, Routledge, 2005, pp. VII - VXI . Voir aussi les propositions méthodologiques synthétisées par G. Ferguson dans « Pour un passé queer : lire l’homosexualité aux débuts des temps modernes », Queer. Écritures de la Guillaume Peureux 238 mouvements intellectuels et idéologiques contemporains : quelle est leur pertinence quand il s’agit de textes vieux de presque quatre siècles et qui sont plus ou moins appréhendés comme des archives 3 ? Plus largement, en amont de ces questionnements, il convient aussi de se demander comment les écrits que nous classons comme « littéraires » expriment ou représentent le monde dans lequel ils ont été produits. Les difficultés posées par ces remarques ne sauraient être résolues dans l’espace consacré à cette introduction. La légitimité des interrogations initiales dépend cependant de quelques rappels concernant les enjeux propres aux théorisations queer. La notion de queer, à peu près intraduisible en français, renvoie à ce qui est étrange, à ce qui dérange (de manière éventuellement critique et contestataire), la dimension sexuelle à laquelle on tend à la restreindre parfois étant une spécialisation du champ d’application du terme. « Queer, propose François Cusset, est plus généralement cet art même du déplacement, […] l’art d’être où rien ne vous attend. 4 » Queer est le nom d’un mode de problématisation. Mobiliser cette notion dans des recherches littéraires, c’est faire un geste intellectuel, celui d’un déplacement critique, et, éventuellement, d’un ajustement de son optique, en l’occurrence sur le XVII e siècle. Il s’agit moins de déconstruire (on sait déjà que le « grand siècle » est pour partie une invention 5 ) que d’adopter une perspective à la fois historiographique et, pour ainsi dire, anamorphique : en changeant de perspective, on espère donner du sens à ce qui n’en a pas ou n’a pas pu être envisagé jusqu’à présent. On envisage que les formes d’expression artistiques et en particulier les œuvres que nous regardons comme littéraires sont des modes de communication qui appartiennent à, et dépendent entièrement d’un moment et d’un lieu, d’un monde sur lequel ils portent un discours. Ce discours peut exprimer ou promouvoir des possibilités offertes aux humains ; il peut aussi, au contraire, maintenir ou renforcer des relations de pouvoir (dans toute parcelle du monde social). Autrement dit, ce discours donne des difference ? 1. Autres temps, autre lieux, dir. P. Zoberman, Paris, L’Harmattan, « Identités, genres, sexualités », 2008, pp. 117-132. 3 Voir G. Ferguson, Queer (Re)Readings in the French Renaissance : Homosexuality, Gender, Culture, Adershot et Burlington, Ashgate, 2008 ; et Queer. Écritures de la difference…, op. cit. Pour une synthèse critique des imports de concepts et catégories exogènes dans la critique littéraire, voir Joe Moran, Interdisciplinarity. The New Critical Idiom, New York et Londres, Routledge, 2010. 4 Queer critics. La littérature française déshabillée par ses homo-lecteurs, Paris, PUF, « Perspectives critiques », 2002, p. 15. 5 Orchestrée dès le XVII e siècle et prolongée ensuite. Voir Stéphane Zékian, L’Invention des classiques. Le « siècle de Louis XIV » existe-t-il ? , Paris, CNRS éditions, 2012. Expérimentations queer 239 opportunités d’émancipation ou bien, au contraire, prévient le déploiement de pensées nouvelles, de nouveaux modes de compréhension du monde et de modes alternatifs d’existence. Il y a bien matière à faire une approche queer des textes français du XVII e siècle. Mais il faut prendre en considération que si, par exemple, comme on le sait bien, envisager une « homosexualité » masculine ou féminine, voire des communautés gay à cette époque, ou avant comme le fait John Boswell 6 , serait un anachronisme fondé sur des catégorisations médicales remontant du XIX e siècle décrites par Michel Foucault 7 , il convient aussi de se prévenir contre d’autres effets de simplification qui consisteraient notamment à imaginer l’Ancien Régime comme la translation, avec quelques ajustements, de notre société, de nos modes de vie et de nos modes de construction des identités dans ce passé lointain 8 : il existait des pratiques homo-érotiques parfaitement tolérées dans cette société pourtant hétéronormative ; ces pratiques trouvaient des justifications sociales, culturelles, qui variaient selon l’âge ou la position sociale des individus. L’organisation des sexes était différente de la nôtre ; et l’on ne peut pas supposer les mêmes effets de silence que dans nos sociétés modernes tels que les a étudiés Michael Lucey 9 . Ce sont autant de phénomènes au sujet desquels on sait finalement peu mais qui signalent un queer latent, à nos yeux de modernes et sans doute à ceux des hommes du passé (selon leurs appar- 6 Christianity, Social Tolerance, and Homosexuality. Gay People in Western Europe from the Beginning of the Christian Era to the Fourteenth Century, Chicago, University of Chicago Press, 1980 (trad. : Christianisme, tolérance sociale et homosexualité. Les homosexuels en Europe occidentale des débuts de l’ère chrétienne au XIV e siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1985) et Same-Sex Unions in Pre-Modern Europe , Oxford et New York, Villard Books, 1994 (trad. : Les Unions du même sexe. De l’Europe antique au Moyen Âge, Paris, Fayard, « Nouvelles études historiques », 1996). 7 Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1976. 8 Sur ces difficultés à saisir dans le passé ce qui constitue pour nous des identités sexuelles, voir en particulier Eve Kosofsky Sedwick, Between Men : English Literature and Male Homosocial Desire, New York, Columbia University Press, 1985 ; David Halperin, How to do a History of Homosexuality, Chicago, University of Chicago Press, 2002. Dans une autre perspective, voir Jean-Louis Flandrin, « Mariage tardif et vie sexuelle. Discussions et hypothèses de recherche », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1972, pp. 1351-1378 repris dans : Le Sexe et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Paris, Seuil, « Points Histoire », 1981, pp. 251-278. 9 Never say I, Sexuality and the First Person in Colette, Gide and Proust, Durham, Duke University Press, 2006. Guillaume Peureux 240 tenances sociales, leur âge, leur genre, etc.) sans que l’on puisse pourtant fixer avec netteté les contours de ce qui leur était étrange. Avec son étude de l’homo-érotisme dévot dans la poésie lyrique, « qui échappe au domaine de la sexualité » mais se fonde sur la lyrique pétrarquiste, J. Gœury démontre que la poésie du Christ en croix repose sur une équivocité dont ont parfaitement conscience les poètes. Ils choisissent de mobiliser des énonciatrices féminines quand il s’agit de dire l’acmé de la méditation et de s’adresser au Christ lui-même ; il leur arrive de se présenter en « épouse du Christ », mais aussi de représenter le martyr de ce dernier avec les marqueurs stylistiques de la représentation pétrarquiste de la femme aimée et désirée. Les nécessités de l’écriture lyrique (le poids de la tradition pétrarquiste), les particularités du discours dévot (l’amour pour le Christ) et les solutions stylistiques (dédoublement ou clivage de l’instance énonciative) dévoilent une scène dévote étonnamment queer. J. Leclerc étudie la veine burlesque comme un fait queer : « le burlesque, écrit-il, s’exprime à partir d’une position marginale, frondeuse et effrontée, se permettant de remettre en question les représentations hétéro-normatives qui fondent l’édifice d’un ordre social apparent ». Fort de ces observations, il peut montrer que l’écriture burlesque, faite de parodies et de travestissements, est porteuse de ce qu’il nomme « une acceptation, une volonté d’interagir du moins avec l’idée, et peut-être avec les mœurs contemporaines », mais aussi le vecteur de pratiques homo-érotiques masculines dont la présence résonne à travers trois objets d’analyse : les figures androgynes et les mignons antiques, les attaques homophobes satiriques et l’obsession pour la sodomie. A. Calefas-Strebelle étudie les formes prises par la fascination exercée par « les Turcs » au XVII e sur les Français. Des textes comme L’Histoire du Sérail (1624) de Michel Baudier élaborent leurs figures de doubles déformés et ambivalents de la noblesse française. Les pratiques homo-érotiques, masculines et féminines, qui seraient omniprésentes au sérail, expliquent aux yeux de Baudier la décadence de la société turque. En écho au procès de Théophile de Viau, le passage par le sérail permet de formuler une menace et un avertissement : plus qu’une fiction turque, propose Calefas-Strebelle, c’est une représentation des élites aristocratiques qui est ainsi donnée - d’un point de vue clairement hétéronormatif. C. Trinquet du Lys perçoit à l’autre extrémité du siècle, chez des auteures, un intérêt prononcé pour les femmes-soldats et les implications sociales ou politiques de leur apparition dans le monde du conte. Des réécritures de Straparole par L’Héritier, D’Aulnoy et Murat traitent ce motif sous des angles divers et tendent, notamment en raison de l’effet de masse produit par ces trois reprises, à suggérer sa puissance de remise en cause du Expérimentations queer 241 patriarcat et de représentations hétéronormatives (et plus généralement politiques). Mais, de manière plus subversive encore, ces appropriations par des femmes signalent un geste féminin de contestation du modèle littéraire masculin. Ces quatre études montrent que la diversité des pratiques sexuelles, des identités et des genres est une problématique qui concerne les écrivains tout au long du siècle, sous des formes variées et en fonction de questionnements différents qui relèvent fondamentalement des perspectives queer : la recherche assumée d’une énonciation dévote et amoureuse, l’obsession burlesque (manifestation décalée d’une réalité non consensuelle), la crainte des effets socio-politiques du désir homo-érotique et la contestation de la domination masculine sont autant de perspectives queer - non seulement à nos yeux, mais sans doute aussi à ceux des lecteurs du temps : les différents exemples donnés par J. Gœury signalent l’aisance avec laquelle on pouvait alors aborder ce type de problématique, en même temps qu’il fallait mettre à distance toute sexualisation des poèmes ; les textes burlesques travaillés par J. Leclerc disent à la fois la réalité, complexe, des pratiques homoérotiques masculines, en même temps que les réticences morales qu’elles pouvaient susciter ; de même, les turpitudes turques supposées analysées par A. Calefas-Strebelle servaient de détour exotique à l’expression d’une inquiétude hétéronormative ; et les contes féminins qu’étudie C. Trinquet du Lys signalaient l’existence d’une conscience féminine d’opposition à la domination masculine en équivoquant les genres et leurs représentations. En d’autres termes, tous ces textes parfaitement orthodoxes, acceptés et pour ainsi dire appartenant à des courants dominants, contiennent de manière tout à fait explicite des éléments queer. Ceux-ci, me semble-t-il, nous apprennent autant sur la justesse historienne cette théorie que sur les fonctions attribuées alors à la littérature, c’est-à-dire de donner forme à des énoncés qui n’en trouvaient pas par ailleurs. PFSCL XLI, 81 (2014) La relation dévote, une relation queer ? Le cas des Théorèmes de Jean de La Ceppède J ULIEN G ŒURY (U NIVERSITE DE N ANTES ) La relation dévote, telle que la poésie lyrique l’a mise en scène au XVII e siècle, offre un terrain d’étude encore trop peu exploité en matière de représentations sexuées et/ ou genrées. Et dire qu’il y a là un « matériau queer » ne surprendra que ceux (ou celles) qui excluent par principe d’appliquer de telles grilles de lecture aux œuvres littéraires de l’époque moderne. En privilégiant la figure du Christ en croix, cette poésie a par exemple fait de la représentation d’un corps masculin dénudé une de ses principales topiques. Et quand elle est portée par une voix mâle, ce qui est presque toujours le cas, cette poésie, fortement érotisée, possède alors une dimension homo-érotique évidente. Cela n’a d’ailleurs pas échappé à certaines études portant sur les poètes métaphysiques anglais, comme Herbert Crashaw, Georges Herbert et John Donne 1 . Or de très nombreux poètes français mettent aussi en œuvre cet homo-érotisme dévot 2 quand ils figurent la rencontre entre ces deux corps masculins perméables : celui du sujet dévot et celui du Christ, avec leurs orifices (bouches, yeux, blessures réelles ou métaphoriques) et les liquides corporels (le sang, les biles [fiel ou phlegme], la sueur et les larmes) qu’ils sécrètent et qu’ils échangent, selon des modalités très variées, en cherchant à se pénétrer réciproquement. Une 1 Déjà relevé par E. Kosofsky Sedgwick dans son livre fondateur (Epistémologie du placard, Paris, Éd. Amsterdam, 2008 [1990]), cet aspect a été étudié de près par R. Rambuss dans son article « Pleasure and devotion : The Body of Jesus Christ and Seventeenth-Century Religious Lyric », Queering the Renaissance, J. Goldberg ed., Durham and London, Duke University Press, 1994, pp. 253-279. 2 Il suffit de faire un sondage dans les anthologies établies par J. Bastaire (La Passion du Christ selon les poètes baroques français, Paris, Orphée-La Différence, 1993) ou encore par T. Cave et M. Jeanneret (La muse sacrée. Anthologie de la poésie spirituelle française (1570-1630), Paris, J. Corti, 2007 [1972]) pour en avoir une illustration probante. Julien Gœury 244 telle érotisation de la relation dévote, qui échappe au domaine de la sexualité, ne doit pas prétendre pouvoir sonder les cœurs et les reins des poètes (tous des hommes) dont les désirs secrets seraient ici mis au jour. A côté d’une muse lascive radicalement hétéro-normée, la muse sacrée offre bien autre chose qu’un homo-érotisme paradoxal, dont l’évidence serait alors la force profondément subversive, les censeurs n’ayant pas la puissance d’analyse du chevalier Dupin. D’autres phénomènes textuels, plus labiles et plus instables, peut-être moins voyants, mais tout aussi significatifs, méritent en effet d’être pris en considération. On peut apprécier la façon dont beaucoup de ces poètes assument, ou bien au contraire cherchent à refouler, certaines caractéristiques de la relation dévote ainsi figurée, en observant la façon dont ils réinterprètent les codes pétrarquistes dont ils sont tous largement tributaires ; des codes assez impératifs en matière de genre et de sexualité 3 , et dont on sait qu’ils ont joué un rôle décisif dans le travail de conversion de la muse profane en muse sacrée après le concile de Trente 4 . Les Théorèmes de La Ceppède 5 , qui composent une vaste méditation en vers des cycles de la Passion et de la Glorification du Nouveau Testament, constituent à cet égard un terrain d’expérimentation d’une richesse remarquable. Ce double recueil de sonnets offre en effet une des réalisations les plus achevées dans le domaine français de cette entreprise de conversion, ou de reconversion chrétienne, du canzoniere pétrarquiste 6 . On a d’ailleurs parlé à son égard de 3 Voir à ce sujet les analyses très stimulantes de C. Freccero sur le pétrarquisme (Queer / Early / Modern, Durham & London, Duke University Press, 2006, p. 21 sq.). 4 Voir T. Cave, Devotional Poetry in France, Cambridge University Press, 1969. 5 Les Theoremes de M. M. J. de La Ceppede (...) sur le Sacré Mistere de nostre Redemption, Divisez en trois Livres, Avec quelques pseaumes, et autres meslanges spirituels, Toulouse, J. et R. Colomiez, 1613 ; La Seconde Partie des Theoremes de M. J. de La Ceppede (...) sur les mysteres de la descente de Jesus-Christ aux Enfers, de sa Resurrection, de ses apparitions après icelle, de son Ascension, et de la Mission du S. Esprit en forme visible, divisée en quatre Livres, Toulouse, R. Colomiez, 1622. Le double recueil des Théorèmes sera cité au cours de cette étude dans l’édition établie par J. Plantié (Les Théorèmes sur le Sacré Mystère de notre Rédemption, Paris, H. Champion, 1996). 6 D’abord relevée par Jean Rousset, à qui l’on doit la redécouverte du poète aixois (« Jean de La Ceppède et la chaîne des sonnets », L’intérieur et l’extérieur, Paris, J. Corti, 1968, pp. 13-43 ; « Les recueils de sonnets sont-ils composés ? », The French Renaissance and its Heritage, Essays Presented to Alan Boase, London, Methuen & Co ltd., 1968, pp. 203-215), cette composante pétrarquiste du recueil a été prise en considération aussi bien par L. K. Davidson (Poésie et méditation chez Jean de La Ceppède, Genève, Droz, 1969, p. 185 sq.) que par P. A. Chilton (The Poetry of Jean La relation dévote, une relation queer ? Le cas de Jean de La Ceppède 245 pétrarquisme pieux, même s’il ne s’agit pas seulement pour le poète de remplacer une femme (Laure) par un homme (Jésus Christ), en substituant une théophanie à l’autre. Le poète aixois conçoit en réalité une permutation plus complexe des rôles du canzoniere, en faisant du poète méditant (le sujet lyrique) un avatar de cette femme aimée de façon inconditionnelle, qui prend la parole afin de chanter cet amant (Jésus Christ) qui est mort pour elle. Il s’agit d’étudier ici, à partir de l’exemple de La Ceppède, certains effets de ce pétrarquisme pieux, toujours fortement polarisé entre un Je masculin et un Tu féminin, sur les modalités lyriques du poème, quand elles sont en charge de la relation dévote. Au-delà du travail de récupération des grands patrons rhétoriques du pétrarquisme profane, c’est la question des normes genrées du discours amoureux qui se pose ici de façon insistante 7 . Métamorphoses du sujet lyrique Ce n’est pas qu’un homme ne puisse légitimement chanter son amour pour un autre homme, quand il s’agit du Christ. Mais lorsque le modèle lyrique pétrarquiste, qui est pour sa part très normatif, entre en jeu, ne serait-ce que grammaticalement, le chant tend à conserver à tout prix sa dimension hétéro-sexuée. On le repère alors au fait que le Tu masculin (le Christ) tend à réclamer par feedback un Je féminin ou féminisé, ce qui conduit à toutes sortes de manipulations rhétoriques de la part d’un sujet méditant lui-même donné comme masculin, parce que conçu sur le modèle du poète-amant identifié à l’auteur, selon les règles de l’autofiction pétrarquiste. On peut à cet égard repérer des phénomènes de transfert (d’un sujet à l’autre) ou bien de clivage (du sujet unique), qui sont révélateurs de la façon dont La Ceppède négocie, non sans ambiguïtés, ce respect dû à la norme 8 . de La Ceppède. A Study in Text and Context, Oxford, Oxford University Press, 1977). Il appartient cependant à R. Mélançon d’avoir mis au jour les normes de ce jeu de rôle (voir « Le pétrarquisme pieux : la conversion de la poésie amoureuse chez Jean de La Ceppède », Renaissance and Reformation, février 1987, pp. 135-147) sans pour autant en tirer toutes les conséquences en matière de postures genrées. 7 C’est un aspect que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder - de façon très allusive - dans un travail consacré à l’œuvre du poète aixois (L’autopsie et le Théorème. Poétique des Théorèmes (1613-1622) de Jean de La Ceppède, Paris, H. Champion, 2001, pp. 111-139). C’est à un travail de réinterprétation de ce phénomène qu’on entend se livrer ici. 8 On s’inscrit en cela dans la démarche de C. Freccero dont les essais de définition de la notion de queer sont particulièrement stimulants : « meanwhile, queer can also be a grammatical perversion, a misplaced pronoun, the wrong proper name ; Julien Gœury 246 - Transferts Lorsque le discours dévot atteint son plus haut point d’intensité au cours de la méditation, le poète délègue ainsi presque systématiquement à des figures féminines de l’Evangile le rôle de haut-parleur lyrique. La Vierge Marie, Marie-Madeleine ou Marie de Magdala, les deux ou les trois Maries du cortège des myrrhophores en offrent les plus fameux exemples dans les Théorèmes. Ces épouses du Christ prennent en effet la parole pour s’adresser à lui. Il y a bien délégation de parole, au sens où une voix, identifiée comme féminine, parce que le Je prend comme référent un personnage féminin de l’Evangile, s’adresse directement au Christ. C’est là une façon évidente de rétablir la transitivité du code pétrarquiste, en profitant de ses ressources en matière de discours amoureux. Qu’il s’agisse de faire parler la mère du Christ : Tandis, Mère affligée, où es-tu ? Que fais-tu ? Vois-tu point ton cher Fils en ce triste équipage ? Tu le vois, et ton cœur de ses coups rebattu Fait ores à ta bouche éclore ce langage : « Le Sceptre d’Israël est ton juste héritage. Pour Israël ta Dextre a cent fois combattu, Cent fois ses ennemis à ses pieds abattu : Et pour tout cet ingrat d’une croix te partage. Belle Ame de mon Ame, Alme jour de mes yeux, Doux objet de mon bien, seul espoir de mon mieux, Tu ne fourniras point sans moi cette carrière. Ha ! ma vie ! » Elle eut dit et voulut l’embrasser ; Mais voici les sergents prompts à la repousser, Qui resserrent la file et la laissent derrière. (I, 2, 97) ou bien Marie Madeleine : « Quelle vois-je à ce coup, dit-elle, cette face, Cet objet désiré des bienheureux esprits, Qui toutes les beautés de ce bas monde efface, Qui serène l'azur de l'étoilé pourpris ? Quels vois-je ces flambeaux, qui des feux de Cypris Triomphant, ont mon cœur fait devenir de glace A l'amour impudique, afin de donner place A l'amour sacré-saint dont il est ore épris ? it is what is strange, odd, funny, not quite right, improper. Queer is what is and is not there, what disaggregates the cohérence of the norm from the very beginning and is ignored in the force to make sens out of the unintelligibilities of grammar and syntax. » (op. cit., p. 18). La relation dévote, une relation queer ? Le cas de Jean de La Ceppède 247 Quelles vois-je ces mains, qui les Cieux maçonnèrent ? Et quels vois-je ces pieds, qui les ondes calmèrent ? O méchef, ô désordre, ô mer d'afflictions. O trop fidele Amant, que seul je porte en l'âme, Voulez-vous que pour moi tant de perfections Tapissent désormais sous une froide lame ? » (I, 3, 98) Le poète parvient ici à conférer à l’échange lyrique une intensité hétéronormée en donnant la parole à ces figures féminines 9 . Or il s’agit moins de situations de dialogue que de dialogisme, au cours desquelles La Ceppède amplifie à partir des indications souvent elliptiques du texte évangélique, ou bien versifie certains passages des nombreux commentaires et méditations dont il s’inspire directement 10 . L’auteur allègue souvent dans les notes les « vray-semblables propos » tenus par l’une ou l’autre de ces épouses du Christ. Il les fait parler et le sujet méditant parle avec elle. D’où les effets de syllepse énonciative, qui sont partie prenantes de la relation dévote, parce qu’elles situent la voix du méditant (et par là même des lecteurs) sur les lieux mêmes de la Passion. On le repère ici au statut du « Je » : Jà les bourreaux voulaient le jeter sur le bois, L’étendre, le clouer, lorsque voici Marie, Qui l’approche, l’embrasse, et pleurante marie Ses larmes à son sang, et ses pieds à sa Croix. Sanglotante elle éclôt cette tremblante voix : « Rends, mon fils, à ce coup, rends, je te pri’ tarie La source de mes pleurs, permets que j’apparie 9 Marie-Madeleine a beaucoup servi la représentation du sentiment amoureux passionné chez un personnage féminin, en peinture, en sculpture comme en littérature. Un certain nombre de travaux consacrés à l’esthétique de la lamentation amoureuse dans le domaine chrétien (voir en particulier L. Beck-Chauveau, La déréliction. L’esthétique de la lamentation amoureuse de la latinité profane à la modernité chrétienne, A.D.R.A., Nancy, 2009) mobilisent ces figures (la Flebilis Magdala en particulier), en évoquant la gamme des « émotions féminines ». En prenant le risque de naturaliser le lamento féminin, ces auteurs contribuent à asseoir l’idée que la femme est faite pour pleurer, et rendent d’autant plus difficile à cerner la figure de « l’homme qui pleure » (on pense forcément à saint Pierre, dont les « larmes » ont donné lieu à de multiples représentations). 10 On trouverait évidemment dans ces volumes de commentaires, largement cités dans les annotations, des situations énonciatives de la même nature (voir Y. Quenot, Les lectures de La Ceppède, Genève, Droz, 1986). La relation dévote élaborée par La Ceppède ne possède pas de ce point de vue une nouveauté radicale, même si la réinterprétation du modèle pétrarquiste en modifie le sens et la portée. Julien Gœury 248 D’un soupir sans retour tes suprêmes abois. Las ! te voilà tout nu, ta robe sans couture Est le jouet du sort, au moins pour couverture De tes reins, prends ce voile ornement de mon chef. Ha ! ja déjà la mort t’a la vie ravie, Ha ! Mère infortunée ! ô douleur, ô méchef, Las ! pourrai-je survivre à la mort de ma vie ? » (I, 3, 12) C’est encore une fois la Vierge Marie qui prend la parole, mais sa voix se confond avec celle du sujet méditant dans les derniers vers. Le sens de l’apostrophe est en effet équivoque dans le vers 13 : elle s’adresse à ellemême et l’on entend le méditant s’adresser à elle en même temps, reprenant des mots qu’il utilise à d’autres occasions dans le recueil. On le repère ailleurs au statut du « nous » : « Allons doncques, suivons nos Chrétiennes pensées, Et n’appréhendons point tant de difficultés : Tous ces empêchements se trouveront ôtés Par les grâces d’en-haut à propos élancées. Portons soigneusement en nos mains amassées Des poudres, des senteurs : voyageons assistés Des œuvres de Justice, et de ces charités Par qui sont de Saba les odeurs effacées. Mais qu’un soin matineux nous éveille toujours Pour chercher le Sauveur au matin de nos jours. N’attendons paresseux le soir de la vieillesse. Ainsi nous aurons part à la félicité De ces femmes, voyant l’Angélique allégresse : Ainsi nous jouirons du Christ ressuscité. » (II, 2, 6) Ce sont les myrrhophores de la Résurrection qui semblent ici prendre la parole, mais on a en réalité affaire à un nous inclusif masculin. Pour « jouir du Christ ressuscité », le sujet lyrique se fait lui-même myrrhophore et invite les chrétiens (hommes et femmes) à faire de même. Toutes ces délégations de parole et tous ces transferts d’identité, motivés par un hypotexte évangélique qui reste ici finalement peu contraignant, permettent de rétablir, sur le modèle pétrarquiste, la transitivité lyrique dans les moments de grande intensité pathétique. Ils sont néanmoins assortis de nombreux phénomènes de syllepse énonciative, qui créent de l’équivoque. La Ceppède réussit à conserver une tension lyrique, jamais relâchée au cours du poème, en déléguant à des sujets multiples la place qui revenait chez Pétrarque à un seul. Cette démultiplication des voix est essentielle, car le modèle lyrique, fondé sur l’intimité du couple, se transforme ici en un enjeu communautaire. Mais les différentes voix doivent cependant conserver La relation dévote, une relation queer ? Le cas de Jean de La Ceppède 249 une dimension féminine parce que c’est la seule garantie pour maintenir la circulation de l’énergie lyrique du chant amoureux dans le recueil. - Clivages Le même mouvement qui conduit le sujet méditant à déléguer la parole à des figures féminines de l’Evangile, avec qui il finit par s’identifier par transfert, le conduit également à se cliver lui-même. La bonne marche de la méditation à trois temps de la tradition ignatienne (composition du lieu, analyse et prière d’intériorisation) exige en effet de la part du poète un engagement lyrique accru au stade des prières d’intériorisation personnelle. Or dans la plupart d’entre elles on repère ce phénomène de clivage quand elles sont directement portées par la voix du sujet masculin. Ce dernier accorde ainsi presque systématiquement à son âme le rôle féminin qu'il hésite lui-même à endosser face au Christ. L’âme du poète apparaît en effet souvent moins ici comme une notion théologique convoquée à dessein, que comme une synecdoque énonciative de genre féminin, facilitant encore une fois la transitivité lyrique. Il revient par exemple à cette âme de « se ranger à son flanc » : O mon âme, contemple ici ton Rédempteur, Seul, de nuit, tout couvert d’une rouge moiteur, Ou plutôt de pur sang : vois combien il endure. Veille donc, prie donc, et te range à son flanc, Pour toi ce dur combat doit vider en peu d’heure Ses artères d’esprits, et ses veines de sang. (I, 1, 38, v. 9-14) de « verser mille pleurs » : Mais c’est à vous, mon âme, à verser mille pleurs Puisque vos noirs méfaits lui causent ces douleurs : Il supporte pour vous ces maux insupportables. (I, 2, 61, v. 9-11) de « lui faire adhérence », pour reprendre une célèbre formule bérullienne : Où croupis-tu mon âme ? As-tu pas l’assurance De seconder celui, qui ta cause débat ? Si tu veux avoir part au fruit de ce combat, Il faut de près le suivre, et lui faire adhérence. (I, 2, 93, v. 1-4) d’« endosser son bois » : Sors après lui, mon âme, et t’endosse son bois Car tu n’as point ici de retraite innocente. Ta plus juste demeure est au pied de Sa croix. (I, 2, 100, v. 12-14) ou bien, plus explicitement encore, d’en être « l’épouse légitime » : Julien Gœury 250 Je parle à toi, mon âme, à qui le Christ adresse Sa plainte, ne refuse à la soif qui le presse Cette boisson, craignant les reproches futurs, Abreuve encor’ de l’eau d’une amour très intime Ses chameaux bien aimés, ses dévots serviteurs, Et tu seras d’Isâc l’épouse légitime (I, 3, 75, v 9-14) Si le sujet méditant, identifié à l’auteur, ne peut-être en effet « l’époux légitime » d’Isaac, c’est-à-dire du Christ (la figure matrimoniale est ici proscrite entre deux figures masculines), il peut en être « l’épouse légitime », mais à la condition de faire jouer un tel clivage, ne serait-ce qu’au niveau des marques du genre linguistique, dont le rôle demeure déterminant du point de vue de l’embrayage du discours amoureux. Quant à la célèbre méditation du motif des liens du Christ fait prisonnier, elle offre une illustration remarquable de ce processus complexe, qui autorise finalement le sujet lyrique, au prix de toutes sortes de circonvolutions rhétoriques et grammaticales, à s’identifier, par l’intermédiaire de son âme, à l’épouse du Christ, dont le corps est prisonnier du sien : O l’amour de mon âme, ô nonpareil Amant, Vous avec qui le crime oncques n’eut accointance Souffrez d’être lié pour moi si rudement ? Portez de mes péchés la dure pénitence ? J’ai commis le forfait, vous aurez la potence : A moi seul est l’offence, à vous le châtiment, Au moins que je vous fasse à cette heure assistance, Puisque je vous attache, et suis votre tourment. O trop ardent amour à nul autre semblable, Pour le serf malheureux, pour l’inique coupable, Le maître, l’innocent est saisi prisonnier. O mon âme, à le suivre ce coup soit hâtive, Que ton corps soit du sien maintenant prisonnier, Qu’en lui tu sois toujours heureusement captive. (I, 1, 94) On peut donc observer que le sujet méditant donné comme masculin (parce qu’identifié à l’auteur sur le modèle du poète-amant pétrarquiste) tend ici devenir femme par transfert (délégation de parole à un personnage féminin) ou bien à se féminiser par clivage (dédoublement d’identité). Cela permet au poète, qui en est soucieux, d’entretenir un chant d’amour, qui conserve, ne serait-ce que linguistiquement, la norme hétéro-sexuée imposée par le pétrarquisme ; ce qui constitue peut-être, dans ce cas précis, une forme de résistance - consciente ou inconsciente - à la dimension homo-érotique de la dévotion christique quand elle est portée par une voix masculine. Cela n’en crée pas moins une instabilité générique constante, puisque la syllepse La relation dévote, une relation queer ? Le cas de Jean de La Ceppède 251 crée de l’équivoque et que la synecdoque actualise une double nature. Et en cela, le sujet lyrique est un sujet queer. Figures iconiques du Christ Il s’agit maintenant d’évoquer en toute logique l’autre pôle de cet échange lyrique, soit le Tu. Le premier constat qu’on puisse faire, c’est que la figure du Christ tend pour sa part à conserver chez La Ceppède son identité masculine, même si l’on peut noter au passage que la figure de la croix pourrait faciliter une récupération hétéro-sexuée : « Ainsi sois-je obéissant à Christ pour être héritier de la Croix, et faire mariage de mon cœur avec elle » (I, 3, 4, n. 4), explicite le poète dans la note d’un sonnet qui propose pour sa part « De faire avec ce grand sceptre un célèbre hyménée » (v. 14). Non seulement la métonymie énonciative ne change pas le genre (le « cœur » du poète est masculin), mais la métaphore (la « croix » devient « sceptre ») participe - et cela à plusieurs niveaux - d’une masculinisation de la croix. Et de fait, on remarque que le poète mobilise dans le recueil des figuratifs de la croix qui sont presque exclusivement masculins : soit « le vieux arc bigarré » (I, 3, 22), « l’autel des vieux parfums », « le vieux pal », « le pressoir de la vigne » (I, 3, 23), « le sûr bâton », « le fort trident », et ce « grand sceptre » (I, 3, 4) évoqué plus haut ; tous masculins du point de vue du genre linguistique, mais également notoirement phalliques pour certains d’entre eux, mais c’est une autre question 11 . Ce Christ masculin (jusque dans ses figuratifs) autorise par ailleurs un travail de description physique. Celui-ci, fondé encore une fois sur le code pétrarquiste, réinterprète alors un idéal féminin, celui de Laure et de ses avatars, ce qui en fait un personnage littéralement travesti. La beauté du Christ est évidemment une topique chrétienne, largement prise en considération par les théologiens. Comme le Salomon du psaume 44, le Christ est en effet « le plus beau des enfants des hommes » (Speciosus forma prae filiis hominum). Et comme l’écrit Montaigne dans son essai De la Presumption, « Nostre grand Roy divin et celeste, duquel toutes les circonstances doivent estre remarquées avec soing, religion et reverence, n’a pas refusé la recommandation corporelle ». Cette beauté, La Ceppède la souligne et la donne à voir (composition du lieu oblige), comme la plupart des poètes dévots de son temps, qui rivalisent d’invention quand il s’agit d’en faire le portrait. Qu’il s’agisse alors du Christ « parfait amant » (embelli), ou du Christ « malheureux amant » (enlaidi), on observe que les modèles descriptifs se conforment, par excès ou par défaut, aux canons d’un idéal de beauté 11 Sur ce sujet, voir Léo Steinberg, La sexualité du Christ dans l’art de la Renaissance et son refoulement moderne, Paris, Gallimard, collection « L’infini », 1987 [1983]. Julien Gœury 252 féminine, ce qui n’est pas encore une fois sans jeter un certain trouble chez le lecteur-spectateur du poème. Le sujet lyrique énumère ainsi volontiers les traits physiques du Christ, selon les règles d’une combinatoire bien rodée, qui relève de la technique du blason 12 . Le poète opère en effet un travail de sélection des paradigmes physiques (cheveux, front, yeux, bouche, mains, etc.), le plus souvent associés à des matériaux précieux (les cheveux sont d’or, la peau ou le teint d’albâtre, les dents de perle, les lèvres de corail, etc.). C’est bien le « beau visage » (bel viso) d’un « Christ-Laure », qui apparaît alors devant les yeux émerveillés de Marie-Madeleine ou de la vierge Marie dans les sonnets cités plus haut. Le discours demeure hétérosexué, puisqu’il revient à une femme de chanter la beauté du Christ, mais la beauté de cet homme, qui n’en devient pas pour autant femme, est bien cependant celle d’une femme. En reprenant une des matrices descriptives les plus fécondes du Canzoniere, La Ceppède opère une permutation des rôles lyriques, mais il reste tributaire d’une codification inventée pour décrire la beauté féminine. Cette topique est d’ailleurs récurrente chez la plupart des poètes dévots contemporains, qui maîtrisent aussi parfaitement les codes pétrarquistes, comme par exemple César de Nostredame : Là son amant ne tenoit plus voilée Ny sa beauté, ny sa face étoilée, Là son poil d’or et de celeste lin Flottoit party d’un ruisseau cristalin, Montant du front, là ces ondes meslées Couroient à bons sur l’espaule annelees, Que la nature et le ciel admiroit, Où le ciel même estonné se miroit. Là de son œil l’esclatante prunelle Faisoit briller quelque chose plus belle Que feu, qu’esclair, qu’estoille, que Soleil Qui sort des eaux au point de son resveil. Ce n’est œillet, ny rubis que sa bouche, Car art aucun de peinture ne touche A ces beaux Arcs d’où coulerent jadis, Et vont coulant les eaux de Paradis. (César de Nostredame, Pièces héroïques et diverses poésies, 1608) 13 Lazare de Selve : 12 Pour une analyse plus complète des procédés descriptifs, voir R. Ganim, Renaissance resonance : lyric modality in La Ceppède’s « Théorèmes », Amsterdam- Atlanta, Rodopi, 1998. 13 T. Cave et M. Jeanneret, op. cit., p. 202. La relation dévote, une relation queer ? Le cas de Jean de La Ceppède 253 O beaux yeux qui lisant au plus profond des cœurs Y souliez allumer une si vive flamme, Illuminer soudain les sens, l’esprit et l’âme, Quel nuage a terni vos célestes splendeurs ? Quel beau visage où luisaient tant de graves douceurs, Quel désastre cruel te blêmit et te pâme ? O bouche d’où sortaient et la manne et la bâme, Où est ce beau corail de tes vives couleurs ? Belles mains qui donniez le secours et la vie, Où est votre vertu et qui vous l’a ravie ? Qui a percé ces mains, ces pieds et ce côté ? Hélas ce sont les yeux et les beautés mondaines, Les vicieux propos et les mains inhumaines, Qui sont causes, Seigneur, de cette cruauté. (Lazare de Selve, Œuvres spirituelles, 1620) 14 ou encore Zacharie de Vitré : Beautés de mon Sauveur à qui rendent hommage Et la pourpre, et le lait, et la rose, et le lis Des charmantes couleurs qui les ont embellis, Pourquoi n’êtes-vous plus sur ce divin visage ? Beau yeux dont le Soleil tient sa flamme en partage, Faut-il que vos rayons restent ensevelis Sous les vilains crachats dont vous êtes salis ; Et toi, Père, éternel, est-ce là ton image ? Blonds cheveux de qui l’or emprunte sa couleur, Mêlés sur cette tête aux traits de la douleur, Est-ce vous que le sang et l’enflure diffame ? O trop aimable horreur, sainte difformité, Marquez vos traits sanglants sur le fond de mon âme, Et de tant de laideurs elle aura sa beauté. (Zacharie de Vitré, Essais de méditations poétiques, 1659) 15 C’est un phénomène qu’on observe de la même façon dans les rares canzonieri composés par des femmes, comme celui de Louise Labé, dont l’amant pétrarquisé a aussi la beauté d’une femme, ce qui a évidemment prêté à d’autres interprétations 16 . Quand il s’agit maintenant d’exprimer au contraire l’horrible spectacle du Christ martyrisé, le poète n’abandonne pas pour autant l’univers pétrarquiste de la représentation. Il applique en effet aux descriptions du corps 14 J. Bastaire, op. cit., p. 60. 15 Ibid., p. 44. 16 Au sujet de L. Labé, voir C. Freccero, op. cit., p. 24 sq. Julien Gœury 254 d’un Christ lapidé, flagellé et crucifié, un modèle de portrait féminin travesti au sens esthétique du terme : VOICI L’HOMME, ô mes yeux, quel objet déplorable : La honte, le veiller, la faute d’aliment, Les douleurs, et le sang perdu si largement L’ont bien tant déformé qu’il n’est plus désirable. Ces cheveux (l’ornement de son chef vénérable) Sanglantés, herissés, par ce couronnement, Embrouillés dans ces joncs, servent indignement A son test ulceré d’une haie exécrable. Ces yeux (tantôt si beaux) rebattus, renfoncés, Ressalis, sont, hélas ! deux Soleils éclipsés, Le coral de sa bouche est ores jaune pâle. Les roses, et les lis de son teint sont flétris. Le reste de son Corps est de couleur d’Opale, Tant de la tête aux pieds ses membres sont meurtris. (I, 2, 70) On a là l’exemple d’un Ecce homo chrétien qui reproduit l’« Ecce Femina » pétrarquiste en « inversant les signes de l’éloge » 17 . Le spectacle de la réalité physiologique du corps ne prend toute sa mesure que par rapport au modèle pétrarquiste qu’il travestit. Parce que c’est une beauté féminine que cette tradition poétique a su codifier, la beauté du corps masculin, sans codification propre, lui emprunte ses caractéristiques. Cela ne veut pas dire encore une fois que le Christ soit féminisé, mais plutôt qu’il est beau, ou qu’il a été beau, comme seule une femme peut l’être dans cet imaginaire érotique. On pourrait facilement étendre cette observation à d’autres recueils, en collectant les portraits de ces Christ pétrarquisés. On peut par ailleurs relever que le corps tend à retrouver son identité masculine, lorsque le poète change de paradigme descriptif, qu’il emprunte ses modèles à la peinture (qui sait distinguer les corps masculins et féminins), et non plus à cette poésie d’inspiration pétrarquiste. Le discours relève alors de l’ekphrasis et il trouve dans la topique de la crucifixion tout une gamme de corps masculins morts ou à l’agonie à décrire avec force détails. La poésie dévote du XVII e siècle, fixée sur l’incarnation d’un Dieu entièrement humain et désigné comme masculin, donne la parole à un sujet méditant lui aussi désigné comme masculin. Mais parce que la tradition pétrarquiste dont elle est largement tributaire lui impose une représentation hétéro-normée en termes de genre et de sexualité, cette poésie est conduite à mettre en œuvre toutes sortes de manœuvres, aussi bien discursives (quand elles touchent au sujet lyrique) que figuratives (quand elles touchent 17 R. Mélançon, art. cit., p. 139. La relation dévote, une relation queer ? Le cas de Jean de La Ceppède 255 à la figure du Christ), qui tendent à maintenir coûte que coûte la transitivité lyrique originelle. Sans avoir jamais été théorisées, toutes ces manœuvres génèrent cependant des postures androgynes qui, parce qu’elles sont conduites à repenser ces représentations binaires à l’intérieur d’une norme imposée, sont fondamentalement queer. PFSCL XLI, 81 (2014) « Je ne condamne point vos manières » : la littérature burlesque au confluent du queer et du gay J EAN L ECLERC (U NIVERSITÉ W ESTERN O NTARIO ) 1 La littérature burlesque constitue avant tout le lieu d’un renversement des codes esthétiques en vogue à l’âge classique, notamment à travers un retournement de la grandeur et de la noblesse présentes dans un genre comme l’épopée. Travaillant contre le principe de convenance entre un style et un sujet, le burlesque se plaît à traiter dans un style bas des matières nobles et sérieuses, en empruntant une trame narrative aux grands textes de l’Antiquité, ceux d’Homère et de Virgile, d’Ovide ou de Lucain. Une désacralisation du mythe s’opère alors grâce à un arsenal de procédés relevant à la fois de l’invention et de l’élocution, consistant à confondre l’héroïsme avec la pleutrerie ou d’autres tares morales, à croiser les références antiques avec les réalités de la France du XVII e siècle, à juxtaposer l’idéalisation des vertus nationalistes avec une trivialité abaissante, à mêler le langage figuré de la poésie avec un parler populaire artificiellement reconstitué, à peindre des figures mythologiques en proie à des passions ou des appétits déréglés, et à mettre en valeur le bas corporel, les fonctions digestives ou reproductives. Ces jeux de renversement ébranlent le socle des valeurs morales, politiques et spirituelles sur lequel est fondée la société française du XVII e siècle, à tel point que le burlesque peut s’envisager comme un mode d’expression jouant sur la topique du monde renversé, en ce sens qu’il prend ses distances vis-àvis d’un code esthétique fondé sur la hiérarchie des genres poétiques, 1 Cet article est une version remaniée d’une communication prononcée dans la séance « Queer » présidée par Guillaume Peureux lors du congrès de la SE-17 à Wellesley College, en novembre 2012, qui a été rendue possible grâce à une subvention du Conseil canadien de Recherches en Sciences Humaines. Jean Leclerc 258 dynamique potentiellement queer à plusieurs égards 2 . En effet, tout comme le queer sur le plan identitaire, le burlesque s’exprime à partir d’une position marginale, frondeuse et effrontée, se permettant de remettre en question les représentations hétéro-normatives qui fondent l’édifice d’un ordre social apparent - et illusoire. Cette mise à distance des codes de comportement peut se mesurer par l’usage que l’on fait des exemples illustrant une sexualité dissidente et hors norme, du moins selon les poncifs de l’Église catholique. L’étude des textes fait voir un nombre surprenant de traces d’une sexualité appartenant à la catégorie moderne et anachronique du gay, non seulement dans les travestissements d’épopées antiques à proprement parler, mais dans toute une série de textes qui s’inscrivent dans une esthétique et un esprit burlesques. Certes, il ne s’agit pas ici d’appliquer cette étiquette aux contemporains de Louis XIV, même si elle pourrait convenir à des hommes comme Monsieur ou Boisrobert 3 , étiquette dont s’est servi Madeleine Alcover pour décrire le « gay trio » que forment Chapelle, Cyrano et Dassoucy, trois auteurs qui ont excellé dans le style burlesque 4 . Il s’agira plutôt d’interroger des représentations du désir homosexuel (surtout masculin) et des indices d’une ambivalence du gender, avant de remonter vers un questionnement plus général quant à l’hétéro-normativité et les codes sociaux, en somme de s’attarder sur les traces plus visibles d’une sexualité gay afin d’identifier les aléas d’une posture queer. La littérature burlesque du Grand Siècle fait une place discrètement imposante à tout ce qui touche à la marginalité, l’homosociabilité, le désir homosexuel, notamment à travers l’héritage antique de figures comme Orphée, Narcisse et Ganymède. Les mœurs font aussi partie des procédés que la satire et le pamphlet emploient pour stigmatiser ses cibles et détruire leur crédibilité politique, sociale ou économique. Ainsi, après avoir inter- 2 Il faut en profiter pour exprimer ma dette envers les travaux de Pierre Zoberman sur la question, notamment ses articles « A Modest Proposal for Queering the Past : A Queer Princess with a Space of Her Own », dans James Day (éd.), Queer sexualities in French and Francophone Literature and Film, Amsterdam - New York, Rodopi, « French Literature Series », XXXIV, 2007, pp. 35-49, et « Gender, Identity and Sexuality : French and American Approaches », dans Concordia discors : choix de communications présentées lors du 41 e congrès annuel de la NASSCFL, New York, éd. Benoît Bolduc et Henriette Goldwyn, Tübingen, Narr, « Biblio 17 », n° 194, 2011, pp. 75-84. 3 L’ouvrage de Maurice Lever apporte déjà quelques pistes à ce sujet : Les Bûchers de Sodome, Paris, Fayard, 1985. 4 Madeleine Alcover, « Un Gay Trio : Cyrano, Chapelle, Dassoucy », dans Ralph Heyndels et Barbara Woshinsky (éd.), L’Autre au XVII e siècle, Tübingen, PFSCL, 1999, pp. 265-275. La littérature burlesque au confluent du queer et du gay 259 rogé le substrat mythologique gréco-romain que la littérature burlesque réadapte selon ses propres codes esthétiques, j’examinerai les textes qui présentent une forte teneur référentielle afin d’établir un spectre des attitudes vis-à-vis de la représentation d’une sexualité gay. Je terminerai par l’analyse de quelques figures stylistiques formées à partir du mot « cul », images qui renversent l’ordre naturel et qui participent à la désacralisation des héros guerriers. En plus d’identifier et d’analyser les exemples les plus éloquents, j’aimerais en arriver à articuler la relation privilégiée entre un genre littéraire burlesque ou comique et la représentation de marginaux aux orientations sexuelles hors norme, en me demandant si le burlesque est un genre potentiellement favorable à l’adoption d’une posture queer, et si parallèlement des personnages ouvertement gay n’ont droit de cité à l’époque que dans des textes ou des genres marginaux. 1. L’héritage antique Les Anciens avaient donné depuis longtemps leurs propres mœurs à leurs dieux 5 , à commencer par l’enlèvement de Ganymède par Jupiter qui pouvait symboliser l’enseignement pédérastique encouragé par quelques sectes philosophiques. On trouve une allusion flagrante au sens de cette fable dans le Jugement de Pâris de Dassoucy, où l’échanson est qualifié de « beau mignon qui porte en crouppe 6 », expression qui signifie « admettre l’homme » selon le lexicographe Antoine Oudin, qui ajoute : « se dit d’une garce 7 ». Plusieurs couples à l’amitié ambiguë apparaissent d’ailleurs dans les poèmes épiques, qu’on pense à Achille et Patrocle, Oreste et Pylade ou Énée et Achate. Scarron imite Virgile de près en déclarant qu’Euryale est « Démesurément enflammé » du jeune Nisus 8 , vainqueur de la course au cinquième livre de l’Énéide, mais il ajoute un peu ironiquement que cet amour ne causait pas ouvertement le scandale, puisqu’une sorte de tabou entourait cette relation, à propos de laquelle « l’on ne pouvait rien dire 9 ». Au douzième livre de ce 5 L’article de Véronique Gely s’avère incontournable dans la compréhension de la réception des dieux au XVII e siècle : « Les sexes de la mythologie. Mythes, littérature et gender », dans Anne Tomiche et Pierre Zoberman, Littératures et identités sexuelles, Paris, Société Française de Littérature Générale et Comparée (SFLGC), 2007, pp. 47-90. 6 Charles Coipeau Dassoucy, Jugement de Pâris en vers burlesques, Paris, Toussaint Quinet, 1648, p. 5. 7 Voir Antoine Oudin, Curiositez françoises, Genève, Slatkine Reprints, 1993. 8 Paul Scarron, Le Virgile travesti, éd. Jean Serroy, Paris, Bordas, « Classiques Garnier », 1988, Livre V, p. 417, v. 1138. 9 Ibid., v. 1139. Jean Leclerc 260 même poème, les dons de médecine d’un dénommé Jäpis sont expliqués par l’amour que lui vouait Apollon, ce qui se traduit dans la version burlesque de Laurent de Laffemas par l’expression aimer « à la Bigarnaize 10 ». Le grand Hercule lui-même s’est épris de son jeune favori Hylas, à tel point qu’il a abandonné la mission des Argonautes quand des nymphes ont enlevé ce dernier, fable tirée d’Apollonius de Rhodes et reprise par François Colletet dans son Juvénal burlesque : Celles de ce Gargantua Qui seul tant de monstres tua, Hercule, qui perdit l’haleine Dessus le bord d’une fontaine Pour la perte du jeune Hylas À force de crier helas, Comme si ce grand vilain George Eût eu le poignart soubs la gorge 11 . Cyrano de Bergerac s’inspire pour sa part de la mythologie dans l’épisode des « Chênes de Dodone » dans les États et empires du Soleil, où il décrit au long les amours d’Oreste et Pylade avec leur métamorphose en arbre, et les effets merveilleux de leurs pommes sur tous ceux qui en mangent 12 . Loin d’être omis ou censurés, comme on pouvait s’y attendre, ou même atténués au point de perdre toute allusion à la sexualité, ces passages des originaux grecs et latins figurent en toutes lettres dans les textes burlesques, ce qui permet de tisser un lien fort entre la poésie burlesque et la littérature du siècle précédent telle qu’étudiée par Guy Poirier, qui observait : « il est parfois surprenant de constater jusqu’à quel point le nefandum peut être dit avant que le poète satyrique ne le condamne 13 ». La seule présence de ces passages ne prouve certes pas l’entière acceptation de ce fait social, mais constitue peut-être un acquiescement par rapport à un état de culture 10 Laurent de Laffemas, Virgile goguenard ou Le douziesme livre de l’Eneide travesty (Puisque Travesty y a), Paris, Antoine de Sommaville, 1652, p. 79. Étrangement, ce syntagme n’est pas répertorié par les dictionnaires de l’époque, ni par Claude Courouve dans son ouvrage Vocabulaire de l’homosexualité (Paris, Payot, 1985). La langue courante n’a conservé que l’expression « coiffé à la bigarnaise », qui semble de beaucoup atténuer la portée initiale de l’expression « aimer à la bigarnaise ». 11 François Colletet, Juvénal burlesque, dans L’Antiquité travestie : anthologie de poésie burlesque (1644-1658), éd. Jean Leclerc, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011, p. 392, v. 1359-1366. 12 Cyrano de Bergerac, Les États et empires de la Lune et du Soleil, éd. Madeleine Alcover, Paris, H. Champion, « Champion classiques », 2004, pp. 280-298. 13 Guy Poirier, L’Homosexualité dans l’imaginaire de la Renaissance, Paris, H. Champion, 1996, p. 186. La littérature burlesque au confluent du queer et du gay 261 antique mis à distance par le registre comique, voire une certaine connivence face à des pratiques intemporelles. Une place à part doit être faite à Narcisse et à Orphée, deux figures antiques particulièrement significatives pour l’étude du queer et du gay dans la littérature burlesque. Dans le cas de Narcisse, sa passion n’implique pas nécessairement le désir homosexuel d’un autre, mais occasionne une féminisation de soi qui entraîne un « trouble du genre » selon le titre d’un ouvrage bien connu de Judith Butler 14 , c’est-à-dire une ambivalence dans le gender qui provoque une distance entre l’être et le paraître. C’est du moins ce qu’on observe dans le traitement par Louis Richer du troisième livre des Métamorphoses d’Ovide, où le jeune homme se questionne sur son identité et ses désirs, passage d’autant plus queer que le garçon avait témoigné auparavant sa totale indifférence pour les personnes du sexe opposé en rejetant les avances de la nymphe Écho. Le face à face donne lieu à un blason du corps de l’être aimé qui emprunte au vocabulaire burlesque tout en déclinant les métaphores et les lieux communs de la poésie pétrarquiste : Il voit d’une œillade amoureuse, Une perruque non teigneuse, Son front sans ride & ses deux yeux Qui ne furent onc chassieux, […] Enfin de l’œil il environne Mademoiselle sa personne, Depuis la teste jusqu’aux piez, Qui ne sont point estropiez ; Et de quelque part qu’il regarde, Un petit Cupidon luy darde A chaque fois un trait nouveau, Qui le grille au travers de l’eau 15 . L’eau de la fontaine crée un dédoublement qui n’est pas étranger aux utilisations psychanalytiques du miroir, tout en opérant une féminisation de l’identité sexuelle - Narcisse amoureux de « Mademoiselle sa personne » - ce qui suscite en lui tout un débat intérieur que le poète s’amuse à traduire à partir de l’original latin : J’aime ; mais qui ? Je n’en sçais rien, Et si pourtant je le voy bien : Je connois bien que c’est moy que j’aime ; 14 Judith Butler, Trouble dans le genre : Pour un féminisme de la subversion, trad. par Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, 2005. 15 Louis Richer, L’Ovide bouffon, ou Les métamorphoses travesties en vers burlesques, Paris, Estienne Loyson, 1662, pp. 72-73. Jean Leclerc 262 Et pourtant ce n’est pas moy mesme ; Car pour moy je suis dans ma peau, Et ma Maistresse est dedans l’eau. O la plaisante Comedie ! Dieu nous gard de la Tragedie ; Je suis moy mesme à ce moment, Et ma Maistresse, & mon Amant ; Je suis galant, je suis coquette ; […] Serois-je bien fille & garçon ? Non, je connois sous ma roupille Que je suis masle, & non pas fille, Et pourtant je voy dedans l’eau D’une pucelle le museau : […] Je voy bien à ma couleur blesme Que je suis feru de moy mesme 16 . Les troubles de perception donnent lieu à une sorte de vertige identitaire transmis au lecteur à partir de structures binaires équilibrées par l’adverbe « pourtant » et opposant des doublets antithétiques fondés sur les codes culturels de la galanterie (amant-maîtresse, galant-coquette, fille-garçon), mais également sur des connaissances littéraires (comédie-tragédie). Cette scène entérine sur un mode comique les réserves que formulent les philosophes vis-à-vis des sens et des erreurs dont ils peuvent être la cause, tout en essayant de construire de nouvelles certitudes épistémologiques grâce à l’appui des données empiriques (la répétition des verbes « connaître » et « être », les signes distinctifs « couleur blesme », « sous ma roupille »). Orphée se recommande quant à lui pour avoir le premier enseigné aux garçons l’art « d’aimer les garçons 17 », après l’échec de sa descente aux enfers pour chercher sa femme Eurydice. Ce dédain des femmes explique chez Ovide la haine que lui vouent Vénus et les Bacchantes, responsables de sa mort brutale. Cette fin justifie l’homophobie face à « l’infâme engeance 18 » qu’il symbolise, intolérance qui apparaît autant dans la seconde partie de L’Orphée grotesque, une mazarinade reprenant assez fidèlement les Métamorphoses, que dans une traduction burlesque de L’Art d’aimer d’Ovide, texte 16 Ibid., p. 75. 17 D.L.B.M., L’Herato-technie, ou L’art d’aimer d’Ovide en vers burlesques, dans L’Antiquité travestie : anthologie de poésie burlesque, op. cit., p. 122, v. 1398. 18 Anonyme, Suitte de l’Orphée, avec les Bacchantes ou les rudes joueuses en vers burlesques, Seconde partie, dans L’Antiquité travestie : anthologie de poésie burlesque, op. cit., p. 66, v. 129. La littérature burlesque au confluent du queer et du gay 263 « straight » s’il en est, et qui décrit sur le mode anachronique les conséquences de ces amours : Ce fut alors que notre Chantre Se choisit pour logis un antre, Dit : « Filles ni femmes de bien Jamais plus ne me seront rien » : Aussi pour esteindre sa flame, Il se soüilla comme un infame, Et c’est de luy que les garçons Apprirent d’aimer les garçons. Certes il meritoit la Greve Aussi pour sa mine de Feve Il fut mis en plusieurs tronçons Comme on fait ici les Cochons 19 . Par ce commentaire, l’auteur de L’Herato-technie marque à quel point les représentations de personnages homosexuels peuvent entraîner des réactions hétéro-normatives visant à décourager cette forme de relations, non seulement par la menace d’un dispositif judiciaire en place afin d’enrayer de telles pratiques par une mort publique infamante, mais aussi par une dévalorisation du personnage vers l’animalité grotesque, elle-même destinée à une forme plus triviale de mort cérémonielle. Dans le contexte d’une littérature pédagogique visant à former le modèle du parfait amant, l’un des mythes fondateurs de l’amour homosexuel est érigé en contre-exemple servant à prévenir le lecteur des conséquences rattachées à de tels types d’amour. En plus de confirmer la présence de l’homosexualité antique dans l’imaginaire et les textes du XVII e siècle français, ces quelques exemples révèlent une double polarité vis-à-vis du phénomène gay, soit un rejet et une condamnation de ce qu’on perçoit comme une infamie, soit une sorte de complaisante tolérance, deux attitudes qui se maintiennent lorsqu’il s’agit de textes qui ne prennent plus la mythologie pour fondement de leur fiction poétique. 2. Représenter pour mieux dénoncer ? Il n’est pas surprenant de déceler une critique acerbe de l’homosexualité et de la sodomie dans les textes satiriques, dont le mandat consiste à se moquer des travers moraux et à corriger les mœurs des contemporains. À cet égard, le XVII e siècle hérite à la fois des accusations antiques contre les efféminés dans la Rome impériale, et des condamnations bibliques de Sodome et Gomorrhe. C’est ce qu’illustrent deux extraits du Juvénal burlesque 19 D.L.B.M, L’Herato-technie, op. cit., p. 122, v. 1391-1402. Jean Leclerc 264 de François Colletet, où la satire romaine peut s’appliquer à la société parisienne qui lit la pièce. Le premier passage réfère explicitement à Néron, mais la logique des attributions à un contemporain pouvait très bien faire voir un « Prince » encore vivant dont les relations homosexuelles étaient notoires : Pendant que ce Prince impudique, Dont l’infamie estoit publique, Brusloit d’une estrange façon, De l’Amour d’un jeune garçon Et s’en servoit ribon ribaine Comme Paris faisoit d’Heleine 20 . La présence de Pâris et d’Hélène marque ainsi la force du modèle hétéronormatif dans la dénonciation qu’appelle sur lui ce « Prince impudique », tout comme la mention du mot « mariage » dans le second extrait : La honte couvre mon visage Quand je parle de Mariage Puis qu’il s’en fait de si honteux Qu’ils me font dresser les cheveux. Ouy dirai-je que dedans Rome Tel Homme, est amoureux d’un Homme, Et qu’on en void publiquement S’epouser solemnellement 21 ? Le recours à l’enfer sert alors de dispositif attendu pour susciter la menace et dissuader le lecteur qui peut se laisser persuader que ses actions seront jugées après sa mort, ce qui est illustré par l’Enfer burlesque de Laffemas au moment où l’on énumère les fonctions du juge infernal Rhadamante, qui interroge les criminels avant de les châtier : Si c’est un Courtisan François, Il veut sçavoir combien de fois Il a fait le peché de Rome, Je voulois dire de Sodome : Mais si c’est un Italien, Il ne luy demandera rien 22 . 20 François Colletet, Juvénal burlesque, dans L’Antiquité travestie, op. cit., p. 370, v. 565-570. 21 Ibid., p. 374, v. 721-728. 22 Laurent de Laffemas, L’Enfer burlesque, ou Le sixiesme de l’Eneide travestie, et dédiée à Mademoiselle de Chevreuse. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps, Paris, Jouxte la Copie imprimée à Anvers, [s. n.], 1649, p. 23. La littérature burlesque au confluent du queer et du gay 265 À cet égard, et ce trait s’avère réciproque entre la France et l’Italie puisque l’Autre se révèlera toujours enclin à recevoir l’accusation d’infamie, on aime bien à prétendre depuis la Renaissance que la sodomie est une pratique privilégiée de l’Italie, et que les prélats romains s’en délectent en secret. Pendant la Fronde, le ministre Mazarin subit cette dénonciation des mœurs sodomites, et se voit accusé des pires obscénités, non seulement par rapport à son passé et à son ascension fulgurante dans la hiérarchie du Vatican, mais aussi depuis son arrivée en France et sa faveur auprès de Louis XIII et de Richelieu. On retrouve à nouveau l’expression « porter en croupe » dans une mazarinade intitulée l’Icare sicilien : Mais la vraye est qu’un Barberin 23 , Lequel on dit que Mazarin Dans ce temps-là portoit en croupe Quand il avoit le vent en poupe, Barberin qui Cardinal est Porta si fort son interest Que connoistre il le fit au Pape 24 . L’accusation d’homosexualité (ou de bisexualité) est topique dans les pamphlets contre le ministre, dont l’un des meilleurs exemples se trouve dans le Ministre d’État, flambé, attribué à Cyrano de Bergerac : Vous avez joüé tous les jours Et Createur et creature ; Et vous avez fait à rebours Le gaillard peché de luxure. […] C’est où vous estes trop sçavant Cardinal à courte priere, Priape est chez vous à tout vent, Vous trenchez des deux bien souvent Comme un franc cousteau de tripiere, Et ne laissez point le devant Sans escamotter le derriere 25 . La Mazarinade de Scarron va encore plus loin dans l’agressivité à l’égard des pratiques sexuelles du ministre, notamment dans la vulgarité du voca- 23 Antonio Barberini (1607-1671), cardinal depuis 1627. 24 Anonyme, L’Icare Sicilien, ou La cheute de Mazarin, avec sa metamorphose, dans L’Antiquité travestie, op. cit., p. 224, v. 365-371. 25 Cyrano de Bergerac, Mazarinades, éd. Marie-Madeleine Fragonard, Mugron, Éditions InterUniversitaires, 1989, p. 31. La suite à propos de ses pages mérite aussi d’être citée : « vous ne les avez laissez / Ny mains pures, ny gregues nettes » (p. 32). Jean Leclerc 266 bulaire : « Un vieil bougre enté sur Bardache / Et par-dessus tout un Gavache 26 », ou encore « […] tu devins la gouge / D’un autre bougre à bonnet rouge 27 ? », allusion transparente au cardinal Barberini déjà évoqué, dont Mazarin aurait été l’amant - gouge signifiant littéralement la pute. Dans ce pamphlet d’une rare violence où le ministre est comparé à Sardanapale et menacé de finir déchiré sur la place publique comme Concini, le terme « bougre » sert à créer un jeu verbal digne des grands Rhétoriqueurs, qui constitue l’apothéose de la méchanceté dans le poème 28 : Sergent à verge de Sodome, Exploitant par tout le royaume, Bougre bougrant, bougre bougré, Et bougre au suprême degré, Bougre au poil, et bougre à plume ; Bougre en grand et petit volume, Bougre sodomisant l’État, Et bougre du plus haut carat, Investissant le monde en poupe, C’est-à-dire, baisant en croupe ; Bougre à chévres, bougre à garçons, Bougre de toutes les façons, Bougre venant en droite ligne D’Onan, masturprateur insigne ; Bougre docteur in utroque, Piqueur, magicien quoque ! Homme aux femmes, et femme aux hommes […] 29 . L’agressivité des mazarinades n’est pourtant pas un indice fiable pour conclure à l’homophobie de Scarron ou de Cyrano, dans la mesure où cette accusation était topique et qu’elle figurait parmi les reproches les plus graves à lancer contre un ennemi public, on l’a vu, mais aussi parce que des enjeux politiques, sociaux ou financiers se mêlaient à ces accusations. La dynamique du bouc émissaire fait que Mazarin était susceptible d’être accusé de tout et de n’importe quoi, particulièrement des matières honteuses comme une orientation sexuelle ambivalente. L’accusation aurait très bien pu se retourner contre eux, surtout Cyrano, dont les écrits laissent une 26 Paul Scarron, La Mazarinade, dans Œuvres, Genève, Slatkine, 7 vol., t. I, 1970, p. 286. 27 Ibid., p. 288. 28 Ce terme était si vulgaire à l’époque qu’il est absent des trois principaux dictionnaires de la fin du XVII e siècle : le Richelet, le Furetière et celui de l’Académie. 29 Paul Scarron, La Mazarinade, op. cit., p. 295. La littérature burlesque au confluent du queer et du gay 267 place importante à l’homosociabilité et qui semble bien avoir eu des relations non seulement avec Chapelle, le fils de son hôte dans les États et empires de la Lune, mais encore avec le poète burlesque Charles Dassoucy, qui se déclarait lui-même « hérétique en fait d’amour 30 ». Leurs œuvres contiennent d’ailleurs plus d’un passage où les initiés pouvaient lire un éloge des plaisirs pris entre personnes du même sexe. Dans Les États et empires de la Lune, on se souvient de l’épisode où le narrateur est la « femelle » de l’Espagnol, ils couchent ensemble et essaient de multiplier l’espèce, tandis les Séléniens pensent qu’ils ont l’un pour l’autre un « instinct naturel 31 ». Il faut aussi considérer l’arrivée du narrateur chez l’hôte où quatre jeunes garçons le déshabillent pour manger la fumée, après quoi on le caresse et chatouille avant de le mettre au lit 32 . Chez Dassoucy, c’est le même type d’éloge des plaisirs simples pris avec ses pages qui le massent après une longue journée de marche, et lui chatouillent le gras des jambes 33 . Dans ce contexte, les questions « malicieuses » à propos du page de Dassoucy qui se trouvent dans le Voyage de Chapelle et Bachaumont 34 ne peuvent provenir que d’un désir de vengeance contre des parjures de la même secte, une délation à demi-mots par un ancien amant qui semble avoir trouvé l’amour auprès d’un nouvel homme. Le passage raconte la rencontre fortuite du poète après qu’il se soit sauvé de Montpellier, où il était menacé de périr sur le bûcher : Il nous prit envie de sçavoir au vray ce que c’estoit que ce petit garçon et quelles belles qualitez l’obligeoient à le mener si soigneusement avec luy. Nous le questionnâmes donc assez malicieusement, luy disans : « Ce petit page qui vous suit Et qui derriere vous se glisse, Que sçait-il ? en quel exercice, En quel art l’avez-vous instruit ? - Il sçait tout, dit-il ; s’il vous duit 35 , Il est bien à vôtre service ». 30 Cité par Maurice Lever, Les Bûchers de Sodome, op. cit., p. 127. Voir à ce sujet l’article déjà cité de Madeleine Alcover, ainsi que la biographie récente de Jean- Luc Hennig, Dassoucy et les garçons, Paris, Fayard, 2011. 31 Cyrano de Bergerac Les États et empires de la Lune et du Soleil, op. cit., pp. 75-76. 32 Ibid., pp. 69-72. 33 Voir Charles Coipeau Dassoucy, Aventures burlesques de Dassoucy, éd. Emile Colombey, Paris, Delahays, 1858 et 1876. 34 Chapelle et Bachaumont, Voyage d’Encausse, éd. Yves Giraud, Paris, Champion, 2007. Voir tout le passage où il est question de Dassoucy aux pp. 143-145. 35 Le verbe « duire » signifie « il convient ». Jean Leclerc 268 Nous le remerciâmes lors bien civilement, ainsi que vous eussiez fait, et ne luy répondîmes autre chose Qu’« Adieu, bon soir et bonne nuit. De vôtre page qui vous suit Et qui derriere vous se glisse, Et de tout ce qu’il sçait aussi, Monsieur d’Assoucy, grand mercy ; D’un si bel offre de service, Grand mercy, Monsieur d’Assoucy ». La réponse de Dassoucy « s’il vous duit, / il est à votre service » prouve bien que ces hommes entendaient parfaitement de quoi il s’agissait et qu’ils n’en étaient pas à leur première expérience avec des pages, d’où la malice de faire passer ces mœurs exclusivement sur Dassoucy alors qu’ils étaient peutêtre tout aussi coupables que lui quant à leur hérésie amoureuse. La répétition dans les deux strophes de la tournure équivoque à propos du « page qui vous suit / Et qui derriere vous se glisse », souligne le plaisir esthétique que leur procure la création d’une image où la sodomie est si transparente. La propension du burlesque à intégrer des éléments de la culture gay et queer trouve alors un moyen d’expression dans l’élocution des textes. 3. La surenchère burlesque Le style burlesque préconise l’emploi d’un vocabulaire bas qui se plaît à injecter une bonne dose de trivialité dans la narration de mythes antiques, en accumulant notamment des réalités corporelles comme la nourriture et la digestion. On observe à cet égard une omniprésence du mot « cul » et un nombre élevé d’images construites à partir de ce terme. Or, tandis qu’une littérature issue de la tradition rabelaisienne ou carnavalesque intègre à son élocution des composantes scatologiques, respectant ainsi les fonctions biologiques de la digestion et de la défécation, la littérature burlesque renverse parfois cet ordre naturel : le postérieur n’est plus le lieu d’une saine et normale évacuation, mais devient un orifice par lequel les objets du monde extérieur arrivent à pénétrer l’organisme humain, à le contaminer. Ces images sont quelquefois empruntées au langage courant, et se limitent alors à un sens métaphorique comme dans Le Virgile travesti de Scarron, quand Énée s’exclame après la tempête du premier livre : « Nous en avons eu dans le cul / Les vents à ce coup ont vaincu 36 », expression qui n’a en soi rien de queer et que Furetière traduit par : « On dit aussi, qu’un homme en a dans le cul, pour dire, qu’il a fait une grande perte, soit en procès, soit en jeu, soit 36 Paul Scarron, Le Virgile travesti, op. cit., Livre I, p. 87, v. 621-622. La littérature burlesque au confluent du queer et du gay 269 en autre affaire 37 ». Dans l’Ovide bouffon, Louis Richer s’inspire de la tradition médiévale et farcesque jouant sur la confusion entre l’âme, souffle divin, et le pet, afin de se moquer de la création de l’homme accomplie par le dieu Prométhée qui termine son ouvrage en lui « soufflant au cu 38 ». Quant à Dassoucy, il reprend le même épisode mythologique en s’attardant sur un autre aspect, c’est-à-dire le don du feu que fait Prométhée aux hommes, et qui lui vaudra le châtiment infernal qu’on connaît : Mais un Larron dit Prometée, Qui la Toillette aux Dieux plia, En disant cum licentia, Entreprit cet œuvre parfaire, Qui pour luy fut mauvaise affaire, Car humain Corps il figura, Puis au cul Torche luy fourra 39 […]. La forme phallique de l’objet inséré ainsi que le verbe employé au dernier vers forment une image qui rappelle la sodomie, en ce sens que le « cul » subit une pénétration qui n’est plus seulement métaphorique. Puisque le style burlesque s’amuse à créer de telles images, et qu’il ne condamne pas outre mesure les personnages qui commettent ces actions, il serait alors tentant d’avancer qu’il prend ses distances par rapport à l’hétéro-normativité et qu’il accomplirait à ce moment la rencontre entre le gay et le queer, du moins selon les réalités et les préoccupations d’une époque qui n’a pas encore inventé ces catégories modernes. Le contexte des combats héroï-comiques fait une large place à ce type d’images, où la pénétration par derrière vient désacraliser les vertus guerrières des combattants, et atténue par la même occasion la gravité des plaies reçues dans la mêlée, permettant de demeurer dans un registre comique. Scarron décrit la mort brutale du roi troyen Priam aux mains de Pyrrhus : « Il la mit [son épée] Capulo tenus, / Par l’endroit qu’on appelle anus 40 ». En empruntant l’expression « capulo tenus » directement à l’élocution de Virgile, qui signifie « jusqu’à la garde », Scarron prépare l’utilisation d’un autre mot latin à la rime, mais celui-ci relevant plutôt du discours anatomique et médical, transformant le coup de grâce en une sorte d’opération chirurgicale, voire en référant à la pratique très répandue des clystères. Ainsi, l’image sodomique aura pour effet de placer la victime dans 37 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, éd. Alain Rey, Paris, SNL - Le Robert, 1978, article « cul ». 38 Louis Richer, L’Ovide bouffon, op. cit., p. 37. 39 Charles Coipeau Dassoucy, Ovide en belle humeur, Les Métamorphoses d’Ovide en vers burlesques, Paris, Charles de Sercy, 1650, p. 23. 40 Paul Scarron, Le Virgile travesti, op. cit., Livre II, p. 210, v. 2256-57. Jean Leclerc 270 une situation de viol symbolique et de la priver de sa propre masculinité. La mort du serpent Python aux mains d’Apollon dans L’Ovide en belle humeur de Dassoucy joue sur les mêmes codes d’une sexualité passive et de la représentation d’une victime émasculée, situation d’autant plus claire qu’elle joue sur l’équivoque du substantif « trait » : Quelque temps apres la Bataille Du grand Pithon le Portécaille, Où, comme est dit, il fut vaincu D’un trait qu’il receut dans le cu 41 ; Certes, il serait encore possible d’y voir la dégradation non seulement des fables antiques symbolisées par la figure de Python, mais également de l’écriture fictionnelle mise à mal par le « trait de plume » des auteurs burlesques. Un cas similaire se lit enfin chez Scarron dans la « Relation véritable de tout ce qui s’est passé en l’autre monde au combat des Parques et des poètes sur la mort de Voiture », quand une Parque se venge d’avoir été fessée par Apollon sur le pauvre poète Clément Marot : Et la Parque, dont la furie S’augmenta par la raillerie, Enfonça, je ne sçay comment Sa quenouille en son fondement. Il gaigna l’huis, faisant des esses, Une quenouille entre les fesses, Tel qu’un Hanneton, quand au cu Luy pendille un brin de festu 42 . En plus de peindre vivement l’image d’une pénétration anale, Scarron déploie toute sa richesse verbale pour qualifier le « cul » selon trois synonymes différents, focalisant toute l’attention du lecteur sur cette partie du corps du poète Marot. Cette sodomie presque théâtrale au cœur d’un combat burlesque est d’autant plus intéressante sur le plan du gender qu’elle est conduite par un personnage féminin, et qu’elle est mise à distance par l’ironie de l’auteur, qui se permet un commentaire sceptique : « Enfonça, je ne sçay comment ». De plus, cette scène condense la portée plus générale de cette psychomachie, où Apollon et les poètes veulent se venger contre les Parques, qui ont mis fin à la vie de Vincent Voiture, car la Mort seule réussit à briser l’inspiration du poète. 41 Charles Dassoucy, Ovide en belle humeur, op. cit., p. 91. 42 Paul Scarron, « Relation véritable de tout ce qui s’est passé en l’autre monde au combat des Parques et des poètes sur la mort de Voiture », dans Poésies diverses, éd. Maurice Cauchie, Paris, Librairie Marcel Didier, 2 vol., t. I, 1947, pp. 373-374, v. 65-76. La littérature burlesque au confluent du queer et du gay 271 Il semble donc, pour clore ce tour d’horizon rapide et bien incomplet, que la littérature burlesque fasse une place non-négligeable aux représentations qui touchent aux catégories du queer et du gay, dans une sorte de ludisme qui se rapproche de la saine attitude de tolérance qui est formulée par Bussy-Rabutin dans son Histoire amoureuse des Gaules et qui servait de titre à ma contribution 43 . En effet, si l’on exclut les quelques pamphlets ou textes satiriques dont la première fonction est d’assurer la rectitude des mœurs ou de dévaloriser un acteur politique, une telle présence massive de personnages ou d’expressions dans les vers burlesques suggère une acceptation, une volonté d’interagir du moins avec l’idée, et peut-être avec les mœurs contemporaines. Cette observation pourrait non seulement soutenir l’hypothèse que la poésie burlesque se fonde sur la topique du monde renversé et qu’elle poursuit une esthétique du renversement des codes littéraires et moraux, mais permettrait en même temps de pointer vers le public aristocratique du burlesque, où l’un des buts premiers serait de plaire aux grands seigneurs destinataires de ces ouvrages, dans la mesure où il ne serait pas tellement abusif d’associer la noblesse à des usages sexuels plus permissifs que dans l’ensemble de la société 44 . Il est à noter que l’on ne ridiculise jamais le gay dans ces textes, de la même manière qu’on ne le représente jamais sur scène. Contrairement à la littérature moraliste et classique de la seconde moitié du siècle, la littérature burlesque ne craint pas de faire place aux marginaux, ce qui témoigne à la fois de sa volonté de représenter le monde ou la société dans son ensemble, de son penchant pour la tolérance et l’acceptation des personnages hors norme, mais aussi de son potentiel libertin, au sens propre de liberté de tout dire et de tout faire - privilège foncièrement élitiste. Ainsi, entre les mythes fondateurs du comportement queer et les mœurs de contemporains explicitement nommés, entre la satire convenue et le libertinage à la fois du langage et de la pensée, la littérature burlesque des années 1640 et 1650 dresse un tableau composite et complexe d’un imaginaire et d’un état social dans la France du XVII e siècle. 43 C’est lors de la partie de Roissy qu’il trouve de Guiche et Manicamp dans le même lit, et qu’il rétorque : « Pour moi, je ne condamne point vos manières ; chacun se sauve à sa guise. Mais je suis bien assuré de n’aller point à la béatitude par le chemin que vous tenez ». Voir tout ce passage dans Roger de Bussy-Rabutin, Histoire amoureuse des Gaules, éd. Roger Duchêne, Paris, Gallimard, 1993, pp. 147- 151. 44 Je m’appuie évidemment sur l’affirmation de Maurice Lever selon laquelle « L’homosexualité demeure à cette époque […] un caprice réservé à un très petit nombre : la noblesse, l’élite intellectuelle et artistique, les princes de l’Église » (Les Bûchers de Sodome, op. cit., p. 73). PFSCL XLI, 81 (2014) « Amours dénaturées » et autres débauches. L’homosexualité à la cour du Grand Turc A UDREY C ALEFAS -S TREBELLE (M ILLS C OLLEGE ) Le texte que nous nous proposons d’étudier dans cet article traite de l’image que l’on pouvait avoir en France, dans la première moitié du XVII e siècle, du Sérail turc, c’est-à-dire de la cour ottomane, et des mœurs qui y avaient cours. L’ Histoire du Serrail 1 écrit par Michel Baudier en 1624, connut un vif succès, comme le prouvent ses multiples rééditions (deux en 1624, puis une en 1626, 1631, 1638 et 1652). A titre de comparaison nous proposons également de consulter une seconde source composée d’une série de six lettres écrites par le Sieur du Loir 2 lors de son voyage en Turquie et publiées sous forme d’un volume en 1654. Les deux textes fournissent d’amples informations sur la vie à la cour du grand Turc, mais seul le texte de du Loir apporte un témoignage de première main, Baudier n’ayant jamais voyagé jusqu’à la Porte. Ce dernier reçut une charge d’historiographe du Roi en 1619 et c’est en cette qualité qu’il travailla à plusieurs volumes sur l’histoire des Turcs 3 , de leur religion et du Sérail 4 . Dans cette dernière, trois chapitres ont particulièrement attiré notre attention, celui relatif aux amours du Grand Seigneur, celui traitant des sales et dénaturées débauches des grands de la Porte, et enfin celui intitulé « Des amours des grandes Dames de la Cour du Turc, et des ardentes affections entr’elles’ » 5 . Nous voulons ici faire remarquer que ces chapitres traitent des amours des Grands, et de leur 1 Michel Baudier, Histoire du Serrail et de la cour du Grand Seigneur Empereur des Turcs, Paris, Claude Cramoisy, 1631. 2 Du Loir, Les Voyages du sieur Du Loir, contenus en plusieurs lettres écrites du Levant, Paris, François Clouzier, 1654. 3 Michel Baudier, Inventaire de l’histoire générale des Turcs, Rouen, Clement Malassis, 1641. 4 Michel Baudier, Histoire Générale de la Religion des Turcs, Paris, Claude Cramoisy, 1625. 5 Michel Baudier, Histoire du Serrail, op. cit, livre II, chap. XV. Audrey Calefas-Strebelle 274 pratique homosexuelle. Il est question du Grand Seigneur, des Grands de la cour, des Grandes Dames, il s’agit bien de l’ordre des seigneurs. Avant de présenter plus en détail le texte, il nous faut revenir sur notre travail de doctorat dans lequel nous avons étudié la représentation du Turc dans la littérature et l’histoire en France sur une période allant des guerres de religion à la fin du règne de Louis XIV en la comparant avec l’image que l’on avait de la noblesse guerrière à la même époque 6 . Mettre en relation le 6 Audrey Calefas-Strebelle, Têtes de Turcs : une étude comparée des représentations des grands seigneurs et des Turcs dans la France de l’Ancien Régime, thèse sous la direction de Dan Edelstein, déposée à Stanford en Juillet 2012. L’homosexualité à la cour du Grand Turc 275 Turc et le noble paraît à première vue bien paradoxal, surtout si l’on a à l’esprit l’analyse que Montesquieu fait du despotisme oriental : un système politique sans noblesse, sans honneur, dans lequel les sujets sont des esclaves, en tout point opposé au modèle de la monarchie telle qu’il l’entend 7 . Pourtant nous avons découvert, au cours de nos recherches, d’étonnantes similitudes entre un certain type de noble et le Turc. Il nous faut préciser à quel type de noble nous faisons référence. Le modèle aristocratique dont il est question décrit le noble d’avant le courtisan 8 et l’honnête homme 9 . C’est le guerrier d’avant la curialisation et la société de cour 10 , le type même du « grand seigneur » violent, glorieux, magnifique et autonome. A une époque de transition politique et de transformation des modes de vie et de la puissance nobiliaire correspond également l’apparition en masse du Turc sur la scène littéraire française. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse là d’une curiosité fortuite, mais plutôt que la fascination provoquée par le Turc, par sa « vertu bellique 11 », son aspect militaire et guerrier, sa violence, sa cruauté mais aussi par la magnificence qu’il déploie, et jusqu’à sa puissance érotique, correspond à ce moment précis à une image de la noblesse qui tend à devenir archaïque et à certaines de ses conduites qui commencent à ne plus être tolérées. Selon Edward Saïd 12 , la férocité, la magnificence, l’appétence sexuelle développée et l’arbitraire politique font partie d’un déploiement complexe d’idées orientales (despotisme oriental, splendeur orientale, cruauté orientale, sensualité orientale), mais à notre avis, ces caractéristiques n’ont rien de spécifiquement oriental ; on les retrouve également dans la représentation de la monarchie absolu (pour l’arbitraire) et surtout dans celle des nobles (pour la violence, la magnificence et la puissance sexuelle). Dans la société française aristocratique en transition en ce début du XVII e siècle, le Turc prend alors une place très intéressante et devient un outil, « un repoussoir » qui permet de se distancer de certaines coutumes en passe de devenir archaïques. Comparer des comportements que l’on aimerait bien voir disparaître en France à ceux des Turcs est 7 Montesquieu, De l’Esprit des Lois, éd. R. Derathé, Paris, Garnier, 1973. 8 Selon le modèle établi par Baldassare Castiglione dans le Livre du courtisan (Il Cortegiano), Venise, 1528. 9 Selon le modèle établi par Nicolas Faret dans L’Honnête homme ou l’Art de plaire à la cour, Paris, T. du Bray, 1630. 10 Norbert Elias, La Société de cour, Paris, Flammarion, 1985. 11 Le mot est d’Arlette Jouanna. Elle l’utilise afin de qualifier l’énergie belliqueuse et la force virile de la noblesse du début du XVII e siècle. Arlette Jouanna, Le Devoir de révolte : la noblesse française et la gestation de l'État moderne, 1559-1661, Paris, Fayard, 1989, p. 41. 12 Edward Saïd, Orientalism, New York, Vintage Books, 1994. Audrey Calefas-Strebelle 276 une manipulation politique, dès lors que violence, magnificence et liberté des pulsions sexuelles, de la norme qu’elles étaient plus ou moins dans l’ordre des seigneurs, deviennent dérèglement et déraison. Nous pensons que l’intérêt pour le Turc à cette époque s’explique bien plus par ce phénomène que par un attrait nouveau pour l’exotisme, puisque les comportements débusqués et critiqués chez les Turcs se retrouvent également dans les mœurs des grands seigneurs français. Le Turc est donc une image en miroir des nobles (mais aussi du roi) mais c’est une image déformée de sorte à réfléchir tel ou tel aspect de l’image d’origine afin de la critiquer. Nous pensons qu’il faut lire sous cet angle les chapitres de Baudier sur les pratiques homosexuelles des Grands de la cour ottomane. L’homosexualité n’est bien sûr pas le seul privilège des Grands en France au XVII e siècle mais c’est dans la société noble que la pratique semble la plus tolérée, simplement parce que lorsque l’on est grand seigneur ou frère du Roi, la liberté d’action est plus importante. C’est bien cette tolérance, cette liberté d’action que Baudier aimerait voir disparaître. Le chapitre qui traite des mœurs homosexuelles dans l’empire ottoman ne s’attache qu’à la bonne société et à la cour, comme si ces pratiques n’avaient pas lieu dans d’autres couches sociales ou que, si elles y avaient lieu, leur impact politique et social était insignifiant. Le vocabulaire que Baudier emploie à décrire la cour ottomane est révélateur : il n’est question, dans son chapitre sur « les sales et dénaturées amours des grands… » 13 que de Grands, de Courtisans, de Pages, de Mignon, de Grande Dame, de Ganymède et finalement du Prince. Ce vocabulaire renvoie de suite à des notions de culture française et classique qui entraînent un rapprochement dans les esprits entre les deux cours. Baudier s’abrite derrière un peu de couleur orientale en mentionnant les eunuques, le Bassa, les robes de fils d’or et le Sérail, mais pas suffisamment pour ne faire penser qu’à la Turquie. Baudier s’attaque à l’homosexualité en tant que pratique aristocratique, par un procédé qui sera plus tard à l’œuvre dans les Lettres Persanes, dissimulant (à peine) sa critique des pratiques homosexuelles des Grands en France sous un très fin voile turc et, forçant le trait, il présente une image grossièrement exagérée de la situation en Turquie. Selon lui, les pratiques homosexuelles sont si répandues à la cour du Turc qu’il est même difficile d’y trouver un seul Bassa qui ne s’y livre pas : Ce vice abominable est si ordinaire dans la Cour du Turc, qu’à peine y trouvera-t-on un seul Bassa qui n’y soit malheureusement adonné : Il sert de sujet à l’ordinaire entretien des plus Grands, quand ils sont ensemble ils ne parlent que des perfections de leurs Ganymèdes. 14 13 Michel Baudier, Histoire du Sérail, vol. 2, op. cit., chap. XIV. 14 Ibid., p. 155. L’homosexualité à la cour du Grand Turc 277 Ce désordre est si invétéré dans le Sérail, que de vingt empereurs qui ont jusqu’ici porté le sceptre des Turcs, à peine s’en trouve-t-il deux qui avaient été nets et purs de ce vice (…) sur les vingt empereurs ottomans seuls deux n’avaient pas de goût pour l’homosexualité 15 . Quant aux femmes, elles sont si communément lesbiennes que les hommes doivent sérieusement enquêter avant de demander la main d’une Dame turque : Ces amours de femme à femme sont si fréquentes dans le Levant, que quand quelque Turc se veut marier, le principal point dont il s’informe, est si celle qu’il recherche n’est point sujette à quelque femme qu’elle aime, ou dont elle soit aimée 16 . Il semble qu’en maniant l’exagération, Baudier cherche à présenter l’image frappante d’une société décadente, afin de mettre en garde contre le danger qui guetterait la France si les Grands et le Prince venaient à sombrer dans de telles pratiques. Rappelons ici qu’en 1624 (date de la première parution de L’histoire du Sérail) l’affaire Théophile de Viaux est très présente dans les esprits. Suite à l’arrestation du poète, une polémique passionnée s’engagea et pas moins de 55 brochures parurent sur le sujet. Au moment où Baudier publie L’histoire du Sérail le pauvre poète est emprisonné depuis un an pour avoir publié des vers malheureux en première page du Parnasse des Poètes satyriques dans lesquels il faisait vœu « désormais de ne foutre qu’en cul… » 17 . Quant à Louis XIII, c’est l’époque de son attachement pour de Toiras et pour Barradat choisi comme favori « non pour les affaires de l’Etat mais pour la chasse et les inclinaisons particulières du roi » 18 , comme le rapporte le diplomate Morosini, suivi par Tallement des Réaux, mauvaise langue notoire mais langue tout de même : le roi aima Barradat violemment, on l’accusait de faire cent ordures avec lui, il était bien fait. Les Italiens disaient ; « La bugerra ha passato i monti, passara ancora il concilio » (La bougrerie a pass les montagnes, le concile passera aussi) 19 . 15 Ibid., vol. 1, p. 53. 16 Ibid., vol. 2, p. 160. 17 « Mon Dieu je me repends d’avoir si mal vécu, Et si votre courroux a ce coup ne me tue Je fais vœu désormais de ne foutre qu’en cul ». Théophile de Viau, Le Parnasse des Poètes satyriques, Paris, Claudin, 1861, p. 8. 18 Cité par Pierre Chevalier, « Les étranges amours du roi Louis XIII », in Historiama 337 (1979), pp. 25-32. La citation se trouve à la page 29. 19 Ibid., pp. 30-31. Audrey Calefas-Strebelle 278 Du Loir dans sa quatrième lettre présente les circonstances de l’ascension de Mustapha Capoudan Pacha au rôle de favori du Sultan Murad IV dans des termes très similaires : Ce Mustapha était un jeune homme de vingt cinq ou vingt six ans, fort bien fait de sa personne, et qui avait été choisi autrefois parmi les enfants de tribut pour être mis dans le Sérail, les médisants disaient qu’il n’était parvenu à ce haut degré de faveur que pour ce qu’il avait servi au brutal plaisir de Murad. 20 C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les mises en garde de Baudier. Elles sont d’abord d’ordre politique. Baudier assimile la pratique homosexuelle à une maladie qui pourrait s’avérer dangereuse pour l’État si le Prince la contractait. Car si le Prince doit personnifier la conduite à suivre en s’abstenant de ce vice, il doit également être capable de prendre les décisions nécessaires à son éradication : Car de quoi sert-il à de si grands et si redoutables Monarques d’être si glorieux vainqueurs de tant de peuples, s’ils sont eux même captifs des vices ? Le Prince est le Médecin de l’Etat : mais comment se pourrait-il guérir si lui-même est malade ? 21 On suggère là qu’un Prince homosexuel ne serait peut-être pas à même de remplir toutes ses fonctions de roi puisque, rendu incapable de jouer son rôle de « guérisseur », il se pourrait qu’il ne puisse enrayer la contamination par « la maladie ». A moins qu’en dépit de ses propres pratiques il ne se lance dans une campagne de persécution des « sodomites ». Baudier insiste sur le fait que si la pratique est tellement courante à la Porte c’est parce qu’elle n’est pas punie par la loi, les Turcs laissant commodément ce soin à Dieu : Les Turcs ne le punissent point ; ils allèguent (…) que Dieu s’en est réserve le châtiment… De là ils disent que puisque la justice divine punit ellemême ceux qui sont coupables de ce forfait, il lui en faut laisser l’exécution, et permettent cependant à qui le veut cette dénaturée débauche. 22 De là la nécessité absolue d’appliquer la loi par des jugements sévères en France, si l’on ne veut pas voir le mal se propager, comme en Turquie. L’autre volet de la mise en garde politique concerne le choix que le sultan fait des favoris qu’il propulse aux plus hautes charges, pour le goût qu’il a d’eux. Baudier dénonce le danger pour l’État que représente un roi homosexuel dans le choix de ses favoris, auxquels il pourrait laisser prendre trop 20 Du Loir, Voyages, op. cit., p. 110. 21 Michel Baudier, Histoire du Sérail, vol. 1, op. cit., p. 53. 22 Ibid., vol. 2, p. 157. L’homosexualité à la cour du Grand Turc 279 d’ascendant. Car contrairement aux maîtresses royales, qui ne peuvent ouvertement ni se mêler de politique ni acquérir des charges (même si elles le font discrètement), l’amant du roi, par sa nature d’homme et d’aristocrate, le peut tout à fait, et l’on pourrait voir un favori parvenir aux plus hautes charges par le choix amoureux du roi, plutôt que grâce à ses compétences politiques (Baudier ne semble pas voir que les deux ne sont pas nécessairement incompatibles). Et le risque est grand que ce favori prenne goût au pouvoir et menace la stabilité de l’État, comme ce fut le cas de Cinq Mars dont Louis XIII dut se débarrasser malgré l’affection qu’il avait pour lui. Par ailleurs, et tout comme le roi, les aristocrates se doivent d’offrir un exemple de vertu aux autres couches sociales, surtout avec l’émergence du modèle moderne du courtisan, de « l’honnête homme » pétri de vertu et de courtoisie. Les traités de civilité 23 et les traités de pédagogie, les moralistes 24 sont très clairs sur le rôle de modèle que l’aristocratie doit de tenir. Plus tard dans le siècle, cette position se durcira encore et les grands seigneurs méchants hommes, ceux qui sont violents, irrévérencieux, méprisants, ceux qui pratiquent l’ostentation et la magnificence, sont dorénavant conspués et tenus de brider et restreindre leur liberté. Il en va de même en ce qui concerne la satisfaction des pulsions sexuelles : les comportements priapiques, les enlèvements de jeunes femmes sont sévèrement condamnés dès la fin du XVI e siècle et tout au long du XVII e siècle 25 . Rappelons que Dom Juan s’arme jusqu’au dent et se prépare même au meurtre afin de réussir le rapt qu’il fomente 26 . Gardons également en mémoire le jugement que Dom Luis pose sur son fils « Apprenez enfin qu’un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse » 27 , et enfin remarquons que Dom Juan est qualifié de « Turc » par Sganarelle 28 . L’homosexualité tend, dans ce contexte, à être 23 Voir à titre d’exemple François de L’alouette, Traité des nobles et des vertus dont ils sont formés, Paris, 1577. Pour une recherche plus approfondie sur les théories de l'honnêteté, voir Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l'honnêteté, en France au XVII e siècle, de 1600 à 1660, Paris, F. Alcan, 1925. 24 Voir à titre d’exemple chez le moraliste Pierre Charon le chapitre « Noblesse », dans De la sagesse trois livres, (1601). 25 L’ordonnance de Blois en 1579 sanctionne de la peine de mort les coupables de rapt de séduction. Cette ordonnance sera renouvelée par l’édit de 1629 et les déclarations de 1639 et 1740. Voir Jean-François Fournel, Traité de la séduction considérée dans l’ordre judiciaire, Paris, 1781. 26 Dom Juan s’adressant à Sganarelle lui dit : « Prends soin toi-même d’apporter toutes mes armes, afin que… ». Molière, Dom Juan, (1665), éd. George Couton, Paris, Gallimard, 1973, I.3. 27 Ibid., IV.4. 28 Ibid., I.1. Audrey Calefas-Strebelle 280 considérée comme faisant partie de cette activité sexuelle débridée, brutale, vicieuse, qu’on cherche à faire disparaître, et par cette assimilation tombe encore plus dans l’opprobre. Après avoir démontré les dangers politiques associés aux pratiques homosexuelles des grands, Baudier dans son étude du Sérail s’attache à démontrer les dangers que cette pratique représente pour la société. Le premier danger est le traitement des garçons en filles. Ces petits pages, enfants de tribus que l’on fait venir des quatre coins de l’empire, sont exactement traités en filles, ils deviennent corps passifs. Ils sont confiés aux eunuques, ce qui est d’ordinaire le seul traitement des femmes, et cela prouve bien leur glissement dans le genre « féminin ». Ces eunuques les préparent comme des courtisanes, et les parent comme des odalisques (c’est à dire « des filles de la chambre ») : Le soin qu’ils apportent à tenir proprement, et parer richement ces pauvres créatures destinées à un si damnable usage, n’est pas petit ; les Eunuques qui leur servent de garde sont toujours à les embellir extérieurement, ils leur tressent les cheveux à petits cordons de poil et d’or entortillé, quelquefois de perles, les parfument, les vêtent de belles robes de draps d’or, et ajoutent à leur naturelle beauté tout ce que peut leur artifice. Quelle vertu, quelle sagesse, quelle piété, se peut trouver dans une Cour composée de tels hommes ? Celui qui en est le Chef et qui leur commande, leur fournit ce pernicieux exemple ; car le Sérail du Sultan est plein de tels petits garçons choisis parmi les plus beaux du Levant, et voués à ces dénaturés plaisirs : c’est ce qui autorise ce désordre et cette corruption dans la Cour Ottomane ; tels sont ordinairement les courtisans, tel est le Prince qu’ils suivent. 29 Ces tout jeunes hommes sont offerts au sultan de la même façon que le sont les femmes. Et c’est ce renversement des rôles qui semble révolter Baudier, sans compter l’extrême jeunesse des ces garçons pervertis dès leur plus jeune âge, et, semble-t-il, de façon irrémédiable. Après les jeunes hommes, la perversion atteint le groupe des femmes. En effet, selon Baudier, c’est l’homosexualité des hommes à la cour qui entraînerait celle des femmes, auxquelles il ne resterait qu’à se satisfaire entre elles, non pas par manque d’hommes, mais par manque d’hommes intéressés par leurs appas. Baudier est l’un des premiers auteurs à mentionner les amours lesbiennes du harem, et le premier à le faire avec autant de détails. Plus tard, les fantasmes attachés au lesbianisme dans le sérail auront presque toujours pour origine le manque d’hommes et l’enfermement des femmes laissées à elles-mêmes. À cette vision simplificatrice, Baudier ajoute que c’est avant tout l’homo- 29 Michel Baudier, Histoire du Sérail, vol. 2, op. cit., pp. 155-156. L’homosexualité à la cour du Grand Turc 281 sexualité des hommes qui pervertit les femmes et leur fait chercher ailleurs la satisfaction de leur désir frustré : Les ardeurs d’un climat chaleureux, la servitude des femmes enfermées, et le mauvais exemple des maris lubriques, sont les principaux motifs des amours auxquelles les dames Turques s’abandonnent… de plus, la vengeance des amours dénaturées de leurs maris les y porte ; car la plupart des hommes du Levant, et les plus Grands, sont perdus cette sale, et brutale lascivité. 30 Alors que Baudier se contente d’invoquer les pratiques homosexuelles masculines sous des vocables tels que « sales débauches… contre nature… brutale lascivité » en nous laissant un peu curieux des détails, il s’étale dans de longues descriptions des amours lesbiennes, sa sévérité semble même faiblir à l’évocation des ardeurs de ces dames, jusqu’à donner l’impression qu’il est même émoustillé par les scènes brûlantes qu’il décrit. Celles qu’un si étrange amour rend esclaves des autres, les vont trouver dans le bain pour les voir nues, et s’entretenant sur le sujet dont elles languissent, se font de pareils discours en leur langue : (…) Fuyez les embrassements des hommes qui nous méprisent, et n’ont de l’amour que pour leurs semblables, et prenez de vous-mêmes avec nous les contentements qu’ils ne méritent pas. Après qu’une folle amante a fait de pareils discours, elle descend dans le bain, et va brûler d’une flamme, qu’elle est incapable d’éteindre, embrasse son amante, la baise, et fait avec elle, quoiqu’en vain, ce qu’il faut ici taire. 31 Eternelles mineures, les femmes n’ont pas la responsabilité de leurs déviances qui sont présentées comme la conséquence des mauvaises habitudes masculines. Il est bien entendu impensable pour Baudier qu’il s’agisse peutêtre d’un goût des femmes, d’un choix dissocié des pratiques homosexuelles masculines. Par contre Du Loir reconnaît aux dames turques le choix de leurs pratiques sexuelles sans autre influence que celle de leur inclinaison et aussi celle de la chaude proximité des bains ! Dans sa sixième lettre il nous apprend que les femmes turques au bain apprécient tant la compagnie les unes des autres qu’elles en viennent à abandonner leurs amants pour des amantes. Toutes les Dames y vont [aux bains] toujours parées comme les nôtres vont au bal, parce que ce sont les seuls lieux de leurs assemblées et de visites entre les amies. Elle y étalent librement, non seulement la richesse de leurs habits, et la beauté de leur visage, mais aussi celle de tout le corps pour le rendre plus aymable. D’où vient qu’elles s’y rendent amoureuses les unes 30 Ibid., p. 157. 31 Ibid., pp. 159-160. Audrey Calefas-Strebelle 282 des autres, avec plus de passion qu’elles ne le sont des hommes, et par mille attouchements lascifs, elles soulagent leurs amours avec tant de plaisir, que j’en ai vues quelques-unes quitter leurs amants qu’elles étaient venues trouver pour aller avec leurs amantes qui se recontraient dans le même lieu. 32 En conclusion, le texte de Baudier nous apprend que les pratiques homosexuelles des Turcs sont à l’origine de presque tous les maux de l’Empire ottoman et participent au dérèglement politique et social si fréquent à la Porte. Ce qui est principalement retenu par les textes de l’époque du Turc et de l’Empire ottoman, ce sont la brutalité et la décadence des mœurs, les rebellions violentes, l’instabilité politique, en somme un climat d’insécurité et de violence dont la France veut absolument se détacher. Barbariser les mœurs des nobles en instrumentalisant les Turcs encourage le changement d’idéologie de la noblesse qui est déjà en cours, et présente toute résistance à ces changements sous un jour extrêmement négatif. En brandissant l’épouvantail des déviances et des perversions qui ont cours à la Porte, Baudier dénonce les effets désastreux que pourraient avoir ces mêmes déviances si on les laissait se développer en France. On pourrait se dire qu’en tant qu’historiographe d’un roi sur lequel pèsent de très forts soupçons d’homosexualité, il prend là quelques risques. Mais au contraire, par une étrange manipulation, il se protège car le roi soupçonné d'homosexualité pourrait encore moins qu’un autre censurer un texte condamnant cette pratique, sans se dévoiler et confirmer les soupçons. Ce qui laisse à Baudier les coudées franches. Mais sans aller jusqu’à nommer sa cible véritable, et en tentant de nous faire croire qu’il ne s’agit que de Turcs et qu'après tout, eux seuls sauraient être si impunément violents, magnifiques et… déviants. Car enfin, qui serait assez fou pour se comporter en Turc et se voir associé à de si vilaines tendances ? Monsieur Jourdain aura le dernier mot… et le paiera d’un cuisant ridicule. 32 Du Loir, Voyages, op. cit., pp. 182-183. PFSCL XLI, 81 (2014) Travestissement, ambiguïté sexuelle et homosexualité dans les contes de femmes-soldats de la fin du XVII e siècle C HARLOTTE T RINQUET DU L YS (U NIVERSITY OF C ENTRAL F LORIDA ) La fin du XVII e et le début du XVIII e siècle semblent avoir eu une prédilection pour les héroïnes travesties, dont le nombre augmente substantiellement dans les romans et pseudo-mémoires, aussi bien qu’au théâtre (Billaud, 179). Si Honoré d’Urfé a lancé la mode du travestissement féminin au Grand Siècle avec L’Astrée, c’est à l’idéal des amazones de la fronde qu’il faut néanmoins relier l’héroïne déguisée en soldat qui se distingue dans la littérature de la fin de siècle. Par ailleurs, il est intéressant de mettre en corrélation cette faveur pour les femmes-soldats avec la multiplication du nombre de pamphlets politiques contre Louis XIV dans les dix dernières années du siècle. Selon Lisa Brocklebank, Louis XIV y est principalement représenté comme, d’un côté, fuyant ses responsabilités de chef de bataille, et de l’autre, comme un vieillard impotent. Par conséquent, dans le discours officieux de la représentation monarchique, la guerre devient une métaphore pour le sexe et vice-versa (Brocklebank 128). Du travesti et de l’émasculation à l’homosexualité, il n’y a qu’un petit pas que certaines auteures de contes de fées n’ont pas hésité à sauter, bien que la norme établie dans les contes soit celle d’une fin heureuse par un mariage hétérosexuel. En effet, il existe un très petit nombre de contes qui sont basés sur des histoires de femmes-soldats (ATU 884a) et qui, même s’ils finissent par un mariage hétérosexuel, arborent une approche à la sexualité en complet décalage avec le reste du corpus. Cet article a pour but d’analyser la façon dont trois célèbres conteuses, Mlle Lhéritier, Mme d’Aulnoy et Mme de Murat, reprenant la fable IV-1 de Straparole, se servent de l’homosexualité, des travestissements et de l’ambiguïté des sexes pour créer d’un côté une contestation évidente du système social en place, et de l’autre un véritable manifeste de leur écriture littéraire et proto-féministe. Il s’agira d’abord de regarder comment les conteuses traitent l’autorité patriarcale, représentée par l’idéal Charlotte Trinquet du Lys 284 masculin dont le sujet principal est, au XVII e siècle, évidemment Louis XIV. Ensuite, sous prétexte d’amour, il sera intéressant d’analyser la façon dont les trois contes représentent les différences entre les sexes et leur rôle dans la société. Et enfin, puisque nous restons somme toute dans le royaume de féerie, la place que les fées jouent dans les différents contes nous permettra de remarquer les différentes politiques du récit que les conteuses ont choisi d’établir pour leurs œuvres. Le conte de Straparole « Constance-Constantin » (IV, 1), a donné naissance à trois contes français entre 1696 et 1699 : « Marmoisan ou L’innocente tromperie, nouvelle héroïque et satirique » de Mlle Lhéritier, « Bellebelle ou le chevalier Fortuné » de Mme d’Aulnoy, et « Le Sauvage » de Mme de Murat. La version de Straparole doit être résumée ici pour pouvoir comprendre les apports que les conteuses ont faits à leur(s) source(s). 1 Le roi Richard de Thèbes et sa femme Valerianne ont trois belles filles prêtes à être mariées. Le vieux roi divise alors son royaume en trois parties égales et marie ses filles à trois puissants rois. Mais la reine tombe enceinte et accouche d’une très belle fille, qu’ils nomment Constance. Valerianne lui trouve une excellente nourrice, mais Constance prend sur elle de parfaire son éducation avec les disciplines qui seront essentielles à sa réhabilitation : Constance, estant parvenue à l’aage de douze ans, avoit desia apprins à broder, chanter, sonner, dancer, & toutes les bonnes qualitez qui appartiénent à une fille d’une bonne maison. Non contente de ce elle s’adonna aux lettres, qu’elle apprenoit de si grande affection, que non seulement elle y employoit le iour, mais aussi la plus part de la nuict, pour tousiours trouver choses exquises. Outre cela non pas comme femme, mais comme vaillant guerrier s’adonna à l’art militaire, en domptant chevaux, maniant les armes, & en courant la lance bien souvent demeuroit victorieuse, & emportoit le triomphe : tout ainsi que font les gentilz chevaliers dignes d’honneur. (231) 2 1 J’inscris déjà le pluriel aux sources parce que nous verrons plus tard que d’Aulnoy s’est également inspirée de deux contes de Basile pour réécrire sa propre version. Ce remaniement de plusieurs contes pour en faire un seul est typique de l’écriture de d’Aulnoy et porte souvent à confusion, dans le sens où elle nous donne l’impression d’une folkloriste avant la date. 2 Ce passage est important dans le sens où Mme de Murat le reprendra, mais en le renversant. En effet, chez elle Constantine apprendra d’abord à monter à cheval, tirer à l’arc et manier l’épée, pour ensuite « exceller en toutes les qualités de son sexe. » (Murat, Histoires Sublimes et Allégoriques, 8) La seule chose qu’elle ne fait pas, c’est de lire, comme si cette tâche était réservée à la fée avec laquelle elle fera son apprentissage social et intellectuel. L’homosexualité dans les contes de femmes-soldats 285 Le père, n’ayant plus les finances nécessaires pour la marier à un homme de son rang, lui propose Brunel, le fils d’un « amy domestique » (232). Mais Constance refuse en répondant qu’elle ne prendrait qu’un roi pour époux. L’héroïne prend alors un cheval et s’en va à l’aventure, avec le consentement de ses parents. Elle commence par changer de nom, « & de Constance, se fit appeler Constantin » (233). Pendant son long voyage, Constantin étudie à la manière d’un anthropologiste moderne les langues, sociétés et coutumes des peuples qu’il traverse, et finit par arriver à la ville de Constance. Le roi de Constance, admirant sa bonne mine, le prend tout de suite à son service, et la reine « en devint si fort amoureuse, que jour & nuict elle ne pensoit iamais qu’en luy, en luy donnat telles œillades, qui auroyent fait fendre les pierres » (234). Évidemment, Constantin reste fidèle au roi, et la reine se sentant refoulée, finit par le détester. 3 Suivant les conseils malintentionnés de la reine, le roi envoie Constantin chasser l’un des satyres qui ravageaient le pays parce qu’il « avoit grand desir d’en avoir un vif entre les mains » (236). Constantin accepte et fait porter dans le bois une grande bassine avec un tonneau de vin et du pain. Après avoir émietté le pain dans le vin et placé le tout dans la bassine, il monte dans un arbre pour attendre les satyres qui ne tardent pas à venir profiter de l’occasion, et qui s’endorment après s’être bien soûlés. « Alors Constantin voyant l’occasion venue descendit de l’arbre, & s’estant approché d’un, le lia par les mains, & par les piedz, aveq une corde qu’il avoit apporté aveq luy, sans faire aucun bruit le chargea sur son cheval, & l’emporta » (238). Lors de leur retour vers Constance, ils traversent le cortège de l’enterrement d’un enfant, et le satyre éclate de rire. De même lors de son arrivée dans Constance, il se met à rire en passant devant un homme pendu au gibet. Au palais, il éclate encore au nom de ‘Constantin’ crié par les courtisans. Enfin, il se met à glousser devant le spectacle de la reine entourée de ses demoiselles, au grand étonnement de la cour. Le roi, qui allait tous les jours regarder son satyre en prison, n’arrivait pas à le faire parler. Sur les conseils de la reine, qui entre temps n’était pas ravie de revoir son amant, il amène Constantin au cachot et ce n’est que lorsque celui-ci lui parle de délivrance que le satyre consent enfin à converser. Les questions de Constantin portent toutes sur l’amusement qu’il a eu lors de leur voyage, et amènent à la reconnaissance finale : le mort était le fils du prêtre qui chantait et non du père qui pleurait ; le pendu avait volé significativement moins que les badauds qui le regardaient ; Constantin était vraiment une fille déguisée en garçon ; les prétendues demoiselles de la reine étaient 3 Ce motif est similaire à celui qu’on trouve dans le lai de « Lanval » de Marie de France au XII e siècle. Charlotte Trinquet du Lys 286 toutes des jeunes hommes habillés en filles. « Et tout sur le champ le Roy fit allumer un grand feu au milieu de la place, & en la presence de tout le peuple fit routir la Royne aveq ses Damoiselles ; & considerant la loyauté de sa fidele Constance, & la voyant belle à merveilles, l’espousa devant tous les Barons, & Chevaliers » (242-3). Pour finir, les parents, les sœurs et leurs maris royaux sont tous prévenus que Constance est mariée à un roi, et tout le monde est content. « Constance Constantin » est donc typique du conte de restauration, pour lequel la magie n’est pas forcément nécessaire pour engendrer la résolution de l’intrigue. Ici, le manque initial est réparé par le mariage final qui suit une série de tâches imposées à l’héroïne. Il est articulé autour de deux éléments principaux : l’inversion (de femme en homme) de l’héroïne au début du récit, et la substitution (de la reine avec Constance) à la fin. L’axe de ces deux éléments est le satyre, l’homme sauvage que l’héroïne déguisée capture, et dont les révélations permettent la reconnaissance finale. L’agencement est absolument symétrique et manichéen : Constance, déguisée en homme, gagne la couronne, alors que la reine, qui déguise ses amants en femmes, la perd. Il n’est pas étonnant que cette version ait inspiré les plus proto-féministes conteuses de la fin du XVII e siècle. En effet, Constance- Constantin présente tous les attributs qui sont essentiels à en faire une héroïne française : elle est belle, bien née, extrêmement courageuse et tout à fait loyale. Murat, avec « Le Sauvage » reste assez fidèle à la structure du conte de restauration, sauf qu’elle fait intervenir une fée qui va comme toujours dans ses contes régir toutes les affaires. Lhéritier dans sa nouvelle « Marmoisan » et d’Aulnoy avec « Belle-Belle ou le chevalier Fortuné » modifient sensiblement le début du conte en utilisant, au lieu d’une fille qui part à l’aventure après avoir refusé une mésalliance, le prétexte d’un roi qui doit combattre son voisin. Les seigneurs des contes sont levés et envoient leur fille déguisée en chevalier à leur place. Pour la reconnaissance, elles utilisent toutes deux le motif du déshabillage de l’héroïne qui aboutit à révéler son identité. Leurs descriptions se font d’ailleurs écho : « mais quel fut l’étonnement de ceux qui étaient présents, lorsqu’ils virent une gorge qui charmait par sa beauté ! » (Lhéritier 94) ; « mais quel étonnement fut celui de cette nombreuse assemblée, quand on découvrit la gorge d’albâtre de la véritable Belle-Belle ! » (d’Aulnoy 131). La représentation de l’autorité La façon dont les trois conteuses symbolisent l’autorité, aussi bien royale que patriarcale, varie sensiblement d’un conte à l’autre, et s’écarte profondément de la peinture de la figure du père/ roi représenté chez Straparole. L’homosexualité dans les contes de femmes-soldats 287 Dans « Le Sauvage » de Murat, la juxtaposition de la jeune vierge et de la reine adultère du conte de Straparole est remplacée par celui des deux rois du conte : le père de l’héroïne Constantine, un vieux patriarche violent et autoritaire, est mis en parallèle avec le jeune roi de Sicile, vierge, doux et conciliant. Alors que le premier force sa fille à une mésalliance, le jeune roi est pris de remords d’avoir simplement commencé des pourparlers pour marier sa sœur à l’affreux roi Caribut. Quand il se rend compte de l’intérêt que sa sœur Fleurianne porte à Constantin, il n’hésite pas à la lui donner pour écuyer : Constantin devient monnaie d’échange et de galanterie dans l’amitié fraternelle. Mais si le roi de Sicile est toujours dirigé par des sentiments galants et dans le fond plus féminins que patriarcaux, il est néanmoins capable de sauvegarder son royaume lui-même. Dans cette version du type 884a, c’est le roi qui va chasser les satyres dans son pays, au lieu d’y envoyer la jeune héroïne, qui s’est déjà retirée chez la fée. En revanche, le vieux patriarche, père de l’héroïne, est émasculé par sa femme et sa fille dès le début du conte : c’est la reine qui donne les habits de chevalier du roi à Constantine pour qu’elle puisse échapper à son autorité. Privé du signe extérieur de son sexe (et de son épée), bafoué dans son autorité par les deux femmes qui constituent son entourage, on peut alors questionner - comme l’a fait Brocklebank à propos de la version de d’Aulnoy - la masculinité et le rôle du vieux roi en tant que représentation idéalisée de l’identité masculine au XVII e siècle. Du même coup, Constantine, devenue Constantin par les vêtements paternels et l’autorité maternelle, peut alors abandonner la faiblesse inhérente à la nature de son sexe et partir à l’aventure, un privilège réservé au sexe masculin. Par ailleurs, il est intéressant de noter que la seule action vraiment chevaleresque qui incombe à Constantin, alors qu’il est toujours à la cour, est de débarrasser la sœur du roi de Sicile d’un prétendant encombrant. Lors d’un duel avec le difforme Caribut, qui reconnaît Constantin pour son rival, ce dernier lui donne par accident un coup d’épée fatal, ce qui aboutira à son exil chez la fée. Ce duel lui impose donc une nouvelle fuite, qui est nécessaire dans l’économie du récit pour trois raisons : elle sert d’abord à retarder la révélation finale, et à faire d’un conte de quelques pages une version dans la tradition de la nouvelle galante. 4 Ensuite, sa fuite permet au roi vierge d’accomplir son rite de passage, qui est de montrer sa bravoure face à l’ennemi. Enfin, le moment où Constantine retourne chez la fée Obligeantine correspond à la fin définitive de son travestissement. Le seul moment où l’héroïne se retrouve 4 Selon Christine Jones, qui suit Joan DeJean, les nouvelles et nouvelles galantes sont le site des contestations sociales pour les écrivaines qui étaient contre les mariages arrangés. Jones explique que « Le sauvage » est un conte d’initiation écrit dans la tradition de ces nouvelles (160). Charlotte Trinquet du Lys 288 habillée en homme est réduit à son voyage et un petit moment à la cour de Sicile, coincé temporairement entre ses deux fuites. Elle utilise donc ses attributs masculins non pas pour se donner accès à un monde masculin, comme on le verra chez Lhéritier et d’Aulnoy, mais pour lui échapper (Jones 158). Au moment de la guerre avec les satyres, Constantine invisible se promène avec la fée dans les cours galantes du monde et fait du même coup son propre apprentissage. 5 Ce n’est qu’avec la fée Obligeantine qu’elle peut devenir heureuse dans sa condition de femme. Avec Murat, c’est donc dans l’empire de féerie, régi par un système féminocentrique et matriarcal, que l’héroïne a sa place. Dans « Marmoisan » de Lhéritier, la reine adultère est remplacée par la deuxième femme du roi qui intrigue contre lui, et n’a d’autre fonction que de laisser le vieux roi en dehors du champ de bataille. Elle n’a aucun contact avec Marmoisan, ce qui permet à la conteuse d’éliminer la notion de rivalité féminine. C’est pour sauver l’honneur de son père, lui aussi émasculé par le fait qu’il « n’était plus en état de servir » que l’héroïne Léonore part en campagne, prenant la place de son frère jumeau, Marmoisan, qui se fait tuer par un mari jaloux en essayant d’accéder aux fenêtres de sa femme. Si l’on compare cette situation à l’image de Louis XIV proposée par les pamphlets du moment, on ne peut alors s’empêcher de mettre en parallèle cette image d’un roi non-combattant et impotent avec celle du père et du frère de Léonore, l’un qui perdrait surement la vie sur le champ de bataille, et l’autre qui l’a perdue avant même d’accomplir un acte sexuel. Le fait d’éliminer la rivalité féminine qui existait chez Straparole permet ainsi à la conteuse de situer l’intégralité de l’action entre jeunes gens, sur le champ de bataille, hors du champ de l’autorité patriarcale. Endossant les armes, la mission et le nom de son frère, la nouvelle Marmoisan va surpasser tellement ses compagnons qu’elle devient la protectrice de la descendance royale : sans elle, le prince, fils unique, et vierge comme le roi de Sicile, serait mort sur le champ de bataille, et avec lui la lignée du monarque. Avec la version de Lhéritier, c’est donc sa nature féminine (honnêteté et vertu) combinée avec ses accoutrements masculins (chevalier exemplaire), qui rendent l’héroïne moralement et physiquement supérieure aux autres chevaliers et courtisans. Sans son mérite de soldat, il n’y aurait pas de prince à marier, mais c’est sa féminité découverte lors de la 5 Raynard remarque que l’invisibilité fait partie des plus grands « souhaits des dames » tels qu’ils sont décrits dans la Clélie de Scudéry (5e partie, Livre III, Genève, Slatkine Reprints, 1973 [1660], p. 1188 (442). Seifert précise que l’invisibilité est le déguisement magique le plus utilisé dans les contes de fées, et tout particulièrement dans ceux de Mailly. Elle est souvent liée à une tendance sexuelle, agressive ou passive (Fairy tales, Sexuality and Gender, 120). L’homosexualité dans les contes de femmes-soldats 289 reconnaissance qui lui vaut ultimement la couronne et son bonheur. Enfin, quand le roi consent au mariage de son fils avec Léonore (récompense), il donne au prince une conseillère raisonnable : « le Roy aimait mieux qu’il s’abandonnât aux conseils d’une epouse cherie, dont tous les sentimens sembloient n’aspirer qu’à la vertu, qu’à ceux de quelque favory ambitieux » (Lhéritier 111). Léonore-Marmoisan, en entrant dans la famille royale, prend des responsabilités donc plus civiques que familiales et pour Christine Jones, il s’agit de la part de la conteuse de montrer la place des femmes fortes au gouvernement (Jones 87). Le conte de d’Aulnoy, « Belle-Belle ou le chevalier Fortuné », est un mélange des contes de Basile, Straparole, et Lhéritier, avec probablement la version de Murat en tête. 6 Il s’ouvre sur un roi qui a perdu son royaume, ce qui n’existe pas dans les autres versions où, s’il y a guerre, il s’agit d’une invasion et non d’une reconquête. 7 De plus, les autres versions présentent d’abord l’héroïne avant de dévoiler sa future tâche, ce qui permet de porter l’attention sur l’héroïne elle-même. Ici au contraire, en renversant l’introduction du conte, d’Aulnoy insiste sur la déchéance de la monarchie représentée par la situation précaire du roi. Comme le remarque Adrienne Zuerner, dès le début, le conte détrône l’incarnation de la subjectivité masculine, représentée par le roi (Zuerner 201). Ensuite, le conte présente le triomphe d’un roi qui n’a pas lui-même chassé le dragon ravageant ses terres, comme chez Murat, mais qui envoie Fortuné à sa place, comme chez Straparole. Quand celui-ci revient avec le dragon presque mort, le roi plonge son épée dans le cœur du dragon et « acheva de tuer le plus cruel de ses ennemis ; tout le monde jetait des cris de joie et des acclamations pour un succès si inespéré » (d’Aulnoy 113). Pour Lisa Brocklebank, ce spectacle souligne la dynamique de la construction du pouvoir aussi bien dans le conte que sous l’ancien régime. La performance est orchestrée par une femme habillée en homme, ce qui déplace le pouvoir des mains des hommes à celles d’une femme, et du roi à son vassal (Brocklebank 135). Toutefois, le 6 D’Aulnoy a repris pour faire son conte des éléments des contes « Lo Gnorante » et « La Polece » de Giambattista Basile, qui font partie de l’ATU 514. Elle leur emprunte les personnages des doués (et leurs tâches), les véritables soldats actifs du conte, auxquels elle ajoute le mangeur et le buveur. Bien que Murat ait publié sa version du conte après d’Aulnoy, il y a des indices dans le conte de cette dernière qui tentent à prouver qu’il s’agit d’une écriture compétitive ou qu’au moins les deux conteuses en aient discuté ensemble. Voir l’avertissement de Murat dans Histoires sublimes et allégoriques dont « Le Sauvage » fait partie. 7 Il s’agit sensiblement de la même ouverture que dans son conte « Finette Cendron », qui est un amalgame des contes-types 327 et 510a que Perrault a interprétés dans ses « Petit Poucet » et « Cendrillon ». Charlotte Trinquet du Lys 290 spectacle est arrangé à partir d’une image biaisée de la réalité, parce que Fortuné n’est pas celui qui attrape le dragon, et le roi n’est pas celui à qui reviennent les ovations du public pour avoir terrassé l’ennemi. Les vrais héros de la scène - le cheval et les doués - restent dans l’ombre du pouvoir, et ne reçoivent pas les honneurs. On voit se profiler l’image stylisée d’un Louis XIV quand il reçoit les honneurs d’une victoire de son cabinet à Versailles plutôt que sur le champ de bataille, et que les pamphlets satiriques de la fin du siècle dénoncent. Mais ce roi sans royaume, sans peuple, sans trésors et sans armée, est aussi incapable d’autorité face à sa sœur, qui remplace la reine de Straparole et par laquelle le roi est complètement gouverné. Cette rivale est bien plus impertinente que dans les autres versions, au point de disputer sans arrêt le pouvoir avec le roi. Résultat de cette chicane permanente, personne n’a vraiment aucun pouvoir dans ce conte. Si d’Aulnoy choisit de remplacer la reine-femme par la reine-sœur, comme chez Murat, ce n’est pas pour insister sur la douceur du roi comme chez cette dernière, mais au contraire pour encrer plus profondément l’écroulement du royaume et tout le déroulement du conte sur l’émasculation du roi. Ce roi déchu, pour lever une petite armée afin de combattre son puissant ennemi Matapa et récupérer ses biens et ses gens, envoie une ordonnance à tous ses vassaux de lui envoyer un fils. Comme pour Léonore dans la version de Lhéritier, c’est ici Belle-Belle qui va aller servir à la place de son père, incapable de servir lui-même ni de payer l’amende. Encore une fois, la figure masculine de l’autorité patriarcale est montrée par d’Aulnoy comme décadente et incapable de tenir le rôle qui lui est attribué par les normes de masculinité au XVII e siècle. Dans le monde créé par d’Aulnoy, la position sociale d’un homme ne semble pas être très enviable ! La représentation de l’amour Le thème de l’amour est traité d’une manière complètement différente dans les quatre versions. Chez Straparole, l’intrigue très linéaire du conte fait que la reine adultère tombe amoureuse du nouveau favori de son mari. Pour elle Constance-Constantin est un homme, et il n’existe pas d’ambiguïté sur son sexe. Le roi ne s’amourache pas du nouveau chevalier, mais le respecte en tant qu’homme d’honneur et guerrier. Le comique de situation, c’est qu’alors qu’elle déguise ses amants en filles, la reine s’amourache d’une fille déguisée en garçon. Ce n’est que quand Constance est reconnue et la reine rendue coupable que le roi, « considerant la loyauté de sa fidele Constance, & la voyant belle à merveilles, l’espousa devant tous les barons, & Chevaliers » (Straparole 243). L’homosexualité dans les contes de femmes-soldats 291 Dans les contes des femmes-soldats de la fin du XVII e siècle, l’ambiguïté sur le sexe de l’héroïne prend une dimension beaucoup plus complexe et peut révéler non seulement les tendances voyeuristes du public, mais aussi les intentions subversives des conteuses. Dans sa version « Marmoisan », Mlle Lhéritier évite toutes relations lesbiennes en écartant d’emblée le rôle de la reine. Au contraire, « bien des dames » et le comte de Genac, que « son penchant entrainait malgré les apparences » (Lhéritier 42), se piquent du nouveau chevalier dès son arrivée. Les relations entre Marmoisan et les membres de la cour semblent ainsi rester au niveau de l’hétérosexualité. Cependant, le prince ressent pour Marmoisan de « l’inclination », et Zuerner remarque que le prince est torturé par ce désir interdit, le couple Prince- Marmoisan étant pervers par rapport au couple Prince-Léonore qui, lui, est dans les normes de l’hétérosexualité. La conteuse exploite donc les ramifications du travestissement pour titiller son audience à qui elle donne un rôle d’observateur voyeuriste d’un comportement homoérotique (Zuerner 202). En effet la conteuse développe une grande partie de son intrigue sur l’ambiguïté du sexe de Marmoisan : malgré ses exploits chevaleresques, sa contenance efféminée (pudeur, propreté, rougeur, retenue, modestie) éveille les soupçons de certains compagnons malintentionnés et jaloux qui lui tendront des pièges pour élucider le mystère jusqu’à la reconnaissance finale. 8 Mais en même temps, et d’une manière plus révolutionnaire, Lhéritier remet en question l’identité des sexes et la rigidité dans laquelle le siècle les a emprisonnés 9 : quand le prince apprend par Genac que Marmoisan pourrait être une femme, il s’écrie : « Je sens que je l’aimerai toute ma vie. Que de beauté ! Que de vertu ! Que de douceur et de courage tout ensemble ! » En combinant les qualités masculines et féminines considérées les meilleures à son époque, Lhéritier subvertit le rôle traditionnel des genres pour créer une héroïne hybride à l’image des amazones de la fronde. Avec « Le Sauvage » de Murat, le travestissement est un moyen par lequel la conteuse ouvre le débat sur l’homosexualité. Comme l’a remarqué Sylvie Cromer, c’est pour des raisons homosexuelles que le roi et sa sœur s’entichent de Constantin. D’abord, le seul partenaire hétérosexuel de l’équation, Caribut, est rapidement éliminé par le type androgyne représenté par l’héroïne lors de leur duel (Cromer 13). Reste alors et jusqu’à l’épisode avec le satyre, le triangle Constantin, Fleurianne et le Roi de Sicile. Alors que « le Roy étoit charmé des belles manieres de ce nouveau Gentilhomme » (Murat 18), ce que Fleurianne aime le plus chez Constantin, c’est son côté 8 Selon Isabelle Billaud, la rougeur, les larmes et la pudeur sont les marques visibles d’une femme, qui trahissent le véritable sexe des feints chevaliers (186). 9 Sur ce point voir aussi Zuerner 197. Charlotte Trinquet du Lys 292 féminin : « La princesse faisoit travailler ses filles à des ouvrages de broderies pour luy faire des habits & des meubles. Constantin leur donnoit toûjours quelques nouvelles inventions, & travalloit avec elles, ce qui surprenoit tout le monde, mais la Princesse Fleurianne en ressentoit augmenter sa passion » (21, mes italiques). Cromer fait une analogie intéressante entre la beauté et ces tendances homosexuelles qu’elle oppose à la laideur et les mariages imposés par le patriarcat. En effet, les mariages hétérosexuels se font entre gens très laids, comme dans le cas des trois sœurs de Constantine et de leurs maris repoussants, ou veulent se conclure entre un monstre, Caribut et une pure beauté, Fleurianne (Cromer 14). Isabelle Billot est aussi de cet avis : tout d’abord, « l’assignation de la beauté du corps à la femme... est devenue un lieu commun sous l’ancien régime » (Billot 185). Mais aussi, une héroïne déguisée en homme semble être plus belle qu’en réalité et attire particulièrement les dames, ce qui permet aux auteurs d’en tirer des quiproquos amoureux et des situations ambiguës (185). Chez Murat, les femmes préfèrent clairement la société des femmes, surtout celle des femmes fortes, et ceci est encore démontré par le fait que Constantine fera son apprentissage non pas chez son père ni à la cour du roi, mais sous la tutelle de la fée. La sauvagerie du satyre qui n’en est pas un est encore plus révélatrice. Alors qu’il est avec le jeune roi (vierge), ceux-ci entretiennent des rapports homosexuels qui vont permettre au jeune roi d’atteindre sa maturité : Il [le roi, pendant la bataille] commençoit à marcher lorsqu’il vit sortir de derriere un arbre un de ces monstres sauvages, qui se jetta avec une promptitude surprenante sur la croupe de son cheval, & l’embrassant lui empêchoit de se servir de ses bras, le Roy faisoit ce qu’il pouvoit pour se débarrasser, lors qu’il entendit ce monstre qui luy dit : Prince ne crains rien, je ne te ferai point de mal, pourveu que tu me promettes de faire ce que je te diray. (Murat 51) Après avoir ramené le satyre en secret au palais, « il entra avec le Sauvage qu’il tenoit par le bras, & ayant ouvert un petit cabinet où il serroit des bijoux rares & précieux, il y laissa le Sauvage » (52-3). Le roi lui apporte régulièrement des vivres en cachette, et reçoit en retour « mille caresses de cet animal, & il le remercioit en des termes qui lui donnoient de l’admiration » (54). Après ces quelques épisodes qui ressemblent à une scène de dépucelage suivie d’un mariage clandestin, le satyre fait préparer par le roi une chambre nuptiale, et lui ordonne d’y entrer avec Fleurianne et lui, laissant toute sa cour dans l’antichambre. Jusqu’à la dernière minute, Murat laisse le lecteur dans le trouble de ce mariage soit incestueux, entre le roi et sa sœur, soit homosexuel, entre le roi et le satyre. Ici aussi c’est donc en compagnie de gens de son sexe que le roi parvient à faire son initiation. L’homosexualité dans les contes de femmes-soldats 293 Loin de recréer une nouvelle héroïne comme Mlle Lhéritier, Mme de Murat présente de son côté l’homosexualité comme un rite de passage naturel et bénéfique aux héros de son conte. Une fois leur apprentissage terminé, les personnages peuvent alors rentrer dans la normalité des rôles imposés par la société. Le conte de d’Aulnoy est pour le moins déroutant. Il ne glorifie ni l’héroïne, ni sa nature masculine, comme si d’Aulnoy refusait de prôner l’amazone : si Belle-Belle est celle qui chasse chez elle pour son père, elle devient complètement inefficace dès qu’elle se transforme en Fortuné : ce sont ses qualités féminines - sa gentillesse, son amabilité - que la fée récompense au bord de la route. Fortuné ne prend ni décision ni risque réel, et c’est son cheval magique - cadeau de la fée - qui fait tout le travail de décision et d’organisation, et ses doués qui exécutent, pendant qu’il attend bien protégé la fin du danger. Il n’y a que dans les tournois amicaux et au bal qu’il se démarque, ce qui insiste sur le côté ludique du personnage. On est alors forcé d’accepter que Belle-Belle et non son alter-ego masculin mérite la couronne. Ce serait donc pour ses qualités féminines et sa capacité à se conformer à la vie de cour avec patience et gentillesse que Belle-Belle est gratifiée par un mariage. D’Aulnoy semble de ce fait récompenser l’héroïne et ses faiblesses dans ce conte, au détriment des qualités masculines de la femme-soldat. Mais si l’on ne peut qualifier ce conte de féministe, il désarçonne aussi le mécanisme patriarcal monarchique aussi bien que le système de la supériorité masculine sur le beau sexe. Comme le remarque Harold Neeman, ce dont Belle-Belle est amoureuse c’est la beauté du roi, une qualité attribuée au corps féminin comme nous l’avons vu auparavant. Aussi, d’Aulnoy n’octroie pas de qualités masculines à son roi : il apparaît efféminé, inactif, attendant chez lui le retour du héros qu’il n’hésite pas à envoyer vers une possible mort, juste comme une traditionnelle demoiselle en détresse laisse partir son chevalier risquer sa vie dans des exploits dangereux pour se laisser impressionner (Neeman 479). De plus, le dialogue entre le roi et Belle-Belle est emprunté aux conventions du discours amoureux des nouvelles du XVII e siècle, ce qui, dans le contexte de ce conte, implique aussi bien un sous-entendu homoérotique qu’un renversement de rôles. Le roi est en effet submergé par ses émotions féminines : il ressent une « profonde tristesse » et interjette : « quoi, vous êtes prêt à partir ? » quand son « cher favori » ne réfute pas ses ordres ; il se montre jaloux quand il pense que sa sœur reçoit ses confidences ; « il aurait donné la moitié de sa vie » pour sauver celui qu’il aime « d’une inclination particulière ». Pour Zuerner, ce discours amoureux démontre l’ambivalence et la faiblesse du roi qui place l’intérêt de l’État après sa passion pour Fortuné (Zuerner 202, 204). Force est donc de constater que le roi et son héroïne sont deux personnages Charlotte Trinquet du Lys 294 très beaux mais indiscutablement incompétents dans les rôles que leur a attribués la conteuse (chef d’état et chef de l’armée), et qu’ils sont par conséquent entièrement symétriques : tous les deux font ce qu’on leur dicte plutôt que d’être décisionnaires : le roi suit les conseils de sa sœur, Belle- Belle ceux de son cheval ; tous les deux représentent la faiblesse féminine, par leur passivité et leurs passions. Ils s’assemblent en fin de compte parfaitement bien dans leur complète inefficacité. Le rôle des fées et la résolution des contes Si l’héroïne finit toujours par se marier avec le roi ou le prince, la résolution se fait dans les quatre contes d’une manière complètement différente, ce qui reflète parfaitement l’originalité de l’écriture de chaque conteuse. Chez Straparole, la reconnaissance se fait lorsque le satyre révèle l’identité de Constance. Le satyre, animal mythologique doué de clairvoyance, est la seule part de merveilleux qui existe dans le conte, mais elle est essentielle : sans lui, il n’y aurait ni révélation, ni mariage. 10 Dans ce conte linéaire, la réparation remédie au méfait initial, et tout rentre dans l’ordre préétabli du conte de restauration. Chez Lhéritier, il s’agit de recréer une héroïne du type des femmes fortes, si vantées pendant le siècle entier. 11 Replaçant le conte dans la féodalité, c’est toute la période médiévale qui est admirée dans ce chevalier féminin. Il n’y a aucune magie, aucune mythologie, ce qui permet d’insister sur le réalisme de la fable et son opposition avec celles des Anciens. Mlle Lhéritier en fait un conte d’élévation, au sens propre aussi bien que sur un plan symbolique. La fille du comte de Solac ne pouvait prétendre à épouser un prince, tout au plus elle aurait pu convoiter le comte de Genac, son autre prétendant. Sur le plan structurel du conte, ce n’est pas son statut social mais son courage infini (elle sauve l’honneur de sa famille), sa noblesse de cœur (elle sauve une belle en détresse) et sa vaillance extrême (elle sauve la vie du prince) qui lui permettent d’obtenir un royaume. Comme Joseph Harris le note, en fille, elle n’aurait jamais eu accès au prince. C’est uniquement de par son armure qu’elle arrive à son but (Harris 205). Cela constitue 10 Dans la tradition, le satyre est un personnage merveilleux qui peut voir l’invisible, et qui donc, comme dans le conte de Straparole, faire office de médiateur et facilite l’exposition de l’héroïne et le mariage qui s’en suit (Delpech 308). 11 Christine Jones range les femmes-soldats en deux catégories: les amazones, celles qui affrontent l’autorité politique (dans la tradition des Frondeuses) et les femmes fortes, celles qui maintiennent l’ordre politique. Il s’agit ici de la deuxième catégorie, puisque l’héroïne se bat du côté du roi (25-27). L’homosexualité dans les contes de femmes-soldats 295 une entorse à la structure typique d’un conte d’élévation, dans lequel le héros acquiert un royaume avec l’aide invariable d’un être surnaturel. Il s’agit donc bien pour Mlle Lhéritier d’insister sur la vertu féminine à part entière. En reprenant à son compte les qualités masculines d’un chevalier médiéval - honneur, vaillance, courtoisie et loyauté - l’héroïne s’oppose aux hommes de son temps dont la masculinité est représentée par la violence, le manque de respect et l’excès (Harris 203), traits qui démontrent tous la faiblesse de caractère. Dans toutes les étapes de sa quête, Léonore est donc physiquement et moralement supérieure à ses homologues masculins : son père, son frère, ses compagnons d’arme, son prince. Elle devient donc par définition la vainqueur(e) du royaume, qui lui revient de droit. Sur le plan symbolique, « Marmoisan » peut être considéré comme l’avocat du conte féminin si nous le remettons dans le contexte de sa création. Mlle Lhéritier l’envoie à sa cousine, la fille de Perrault, dont l’histoire n’a gardé de trace que dans son contrat de mariage. Lhéritier encadre le conte dans une conversation de salon pendant laquelle on discutait de littérature, et je cite : ... la compagnie... le jugea si peu connu qu’elle me dit qu’il fallait le communiquer à ce jeune conteur... Je me fis un plaisir de suivre ce conseil ; et comme je sais, Mademoiselle, le goût et l’attention que vous avez pour toutes les choses où entre quelque esprit de morale, je vais vous dire ce conte tel à peu près que je le racontai... vous jugerez ensemble si cette fable est digne d’être placée dans son agréable recueil de contes. (Lhéritier 4-6, mes italiques) Le fait d’une part qu’elle l’envoie à la sœur, et non pas au frère (qu’elle a tué dans son conte) comme la compagnie le lui avait conseillé, lui permet de souligner la supériorité artistique et morale de Mlle Perrault sur son frère. Ce n’est qu’à partir du moment où celle-ci acquiesce à sa valeur qu’elle pourra alors, avec son frère, décider si la fable est « digne » de son recueil. Tout ceci est bien entendu une fabrication littéraire puisqu’elle a publié le conte dans ses Œuvres Meslees deux ans avant la parution des contes de Perrault. L’intention n’était donc pas de faire valoir son conte par le biais d’un conteur masculin, mais de critiquer la décision de la compagnie de le lui envoyer : en le faisant parvenir à cette sœur inconnue, elle remet le conte dans un univers tout féminin, mimétique de celui qu’elle représente dans son conte. Il ne s’agit donc pas pour Lhéritier de placer son conte au niveau de celui de ses homologues masculins mais de surpasser ce niveau, puisqu’en le remettant dans un milieu féminin, elle le considère d’emblée supérieur. La comtesse a conquis le royaume par ses qualités chevaleresques supérieures à celles des hommes de maintenant, la conteuse a conquis la République des Belles Lettres par la supériorité de son écriture sur celle des Charlotte Trinquet du Lys 296 conteurs contemporains. 12 C’est par leurs propres capacités, sans aides extérieures - pas de magie dans le conte, pas de patronage pour la publication - que la conteuse et son héroïne sont parvenues à leur élévation. Mme de Murat replace le conte de Straparole dans un univers tout aussi féminin que ne le fait Lhéritier, non pas dans la tradition historico-littéraire des amazones, mais dans celle de la tradition matrilinéaire du conte de cour : une fois l’influence de la mère de l’héroïne terminée - Constantine se retrouve sur un bateau de marchand, ce qui constitue la seule transition entre les deux mondes matrilinéaires - elle introduit une fée omnipotente qui exerce son pouvoir en dea-ex-machina et qui poursuit le rôle de la mère perdue. Celle-ci va prendre en charge la destinée des héros dès l’arrivée de Constantine dans la forêt et va, pour ainsi dire, réparer les égarements du monde fictif. Prenant deux chemins différents, Murat et Lhéritier se rejoignent donc dans le quotidien aristocratique du grand siècle, l’une lors des fêtes de cour, l’autre sur les champs de bataille. Pour insister sur l’importance des fées à la cour, comme elle le fait d’ailleurs dans sa Dédicace aux Fées Modernes qui ouvre le recueil, Murat insère ici un petit épisode amusant ; la fée et Constantine étant invisibles, elles peuvent assister en témoins voyeuristes à toutes les scènes publiques et privées qui constituent la routine de la famille royale (Versailles, 1697). Mais, je cite, « comme elles sortaient de la chambre [des nouveaux époux], le roy en sortoit aussi, & Constantine courant pour dire quelquechose à Obligeantine, elle poussa le Roy sans y penser ; Il fut d’autant plus surpris qu’il ne voyoit personne proche de luy, aprés avoir regardé avec quelque inquiétude il continua son chemin » (Murat 44). Cromer interprète cet épisode comme une bousculade à la monarchie vieillissante de Louis XIV (Cromer 11), et Jones en conclut que Murat perçoit une faiblesse dans la monarchie française (172). Au moment de l’épisode de la reconnaissance, rappelons que le satyre, le roi et sa sœur se retrouvent dans une chambre nuptiale. Ce qu’il y a d’intéressant, au niveau de l’écriture du conte, c’est que nous avons vu l’association homosexuelle entre le satyre et le roi de Sicile. Devant combattre l’armée des satyres, c’est lui qui se fait vaincre par l’un d’entre eux, auquel il reste soumis jusqu’à l’arrivée de la fée. On pourrait replacer cet épisode sur le plan allégorique de l’écriture du conte : le roi s’accouple avec le satyre, être mythologique, ce qui nous permet de rapprocher l’écriture masculine - le roi - avec celle des Anciens - le satyre - avant l’intervention finale et 12 Alain Viala différencie la République des Lettres, composée d’érudits humanistes, et la République des Belles Lettres, composée de ceux ou celles qui écrivent pour un public non-érudit de salon. (Naissance de l’écrivain : Sociologie de la littérature à l’âge classique, 162). Cité dans Seifert « Les Fées Modernes : Women, Fairy Tales, and the Literary Field in Late Seventeenth-Century France. », 131. L’homosexualité dans les contes de femmes-soldats 297 bénéfique de la fée. Pendant ce temps, Obligeantine et Constantine s’amusent dans les cours mondiales, associant la fée du conte aux fées modernes comme elles sont décrites dans la dédicace. Cet épisode d’homosexualité est remédié lors de la réparation par la transformation du satyre en roi des Isles Amantines, qui rien que par son nom indique que l’on rentre dans le cadre de l’empire de féerie qui règne dans tous les contes de cour. Ainsi, une fois le sauvage-satyre éliminé de l’équation, et avec lui toute réminiscence d’écriture masculine, tout peut rentrer dans l’ordre féerique, et loin de retourner à l’ordre patriarcal 13 , nous pouvons conclure comme le fait Sophie Raynard que : « nous devons rendre hommage à cette prise de pouvoir par les héroïnes des contes de fées » (457). L’ordre monarchique et patriarcal, ainsi que l’écriture masculine du conte, sont en effet complètement renversés par les personnages féminins, que ce soit Constantine qui prend la place de son père, tue Caribut, bouscule Louis XIV, et se fait déposer une couronne à ses pieds, récupérant du même coup les pouvoirs politique et matrimonial, ou que ce soit la fée qui élimine le satyre et replace ainsi l’écriture du conte de fées dans le domaine féminin. 14 A la fin du conte, ce sont les hommes qui sont transformés, civilisés, et peuvent enfin être acceptés dans le royaume féminocentrique : une fois la monarchie patriarcale ébranlée par la bousculade de Constantine à Versailles, l’empire de féerie, dirigé exclusivement par les femmes, s’établit dorénavant comme supérieur, sans possibilité de retour. En imposant une fée dès le début du conte, d’Aulnoy replace l’intrigue dans un univers de féérie mais pas forcément dans la lignée matrilinéaire du conte de fées comme chez Murat. Ici, c’est la fée qui baptise Belle-Belle avec le nom de Fortuné, et lui attribue une existence (son nom, son cheval, ses habits et son armure). Mais la fée omnipotente de d’Aulnoy ne fait pas assez confiance à ses personnages pour les doter d’une libre-pensée. Elle ne donne de pouvoir à personne, ni aux hommes, ni aux femmes, et en rejetant les attributs matrilinéaires du conte, présents chez Murat, le féminisme, glorifié chez Lhéritier, et en émasculant le peu de patriarchie qui aurait pu régner dans son récit, c’est toute la cour, la monarchie et l’État dont elle se moque. En dehors des galanteries refoulées et des tournois amicaux, Fortuné est incapable de se comporter héroïquement sans l’aide de la fée omniprésente dans le cheval et les doués. Ceci est répercuté sur le roi qui, sans être « appuyé sur le chevalier » (d’Aulnoy 113), est incapable de tenir son 13 Marin, Seifert, et Welch concluent sur les limitations du pouvoir féminin. Voir Raynard 453. 14 Notons également que le pouvoir traditionnel du satyre, la voyance, est donné ici à la fée qui par son invisibilité, peut aller voir les côtés les plus cachés de l’existence des Grands. Pour une conclusion similaire, voir Jones 167. Charlotte Trinquet du Lys 298 royaume. Les interactions entre les deux personnages se résument donc en un échange de portrait et le partage d’une gloire chimérique. Le reste n’est qu’une bouffonnerie théâtrale de l’image publique de l’héroïsme et de la monarchie tels qu’ils sont représentés dans l’histoire officielle sous Louis XIV. La fée, avec l’aide de ses créatures merveilleuses, est en fait seule à gérer ce royaume fictif, et l’on peut se demander si la fée d’Aulnoy ne cherche pas ici à désamorcer l’écriture du conte, en la présentant comme une activité ludique et sans conséquence : en noyant l’intrigue dans des conversations romanesques à n’en plus finir, la conteuse paraît se moquer de la littérature précieuse à laquelle elle emprunte le discours : toutes ses conversations, les galanteries et les jalousies du roi, de la reine et de sa confidente se calquent sur les dialogues galants de la nouvelle précieuse et fonctionnent comme une parodie de celle-ci. Alors que Lhéritier ancre ses contes dans cette tradition, d’Aulnoy au contraire semble s’en démarquer, comme si elle cherchait dans « Belle-Belle » à décliner l’affiliation avec la littérature de salon, comme pour rester autonome par rapport à une tradition qui s’impose. En conclusion, à partir de la réécriture de la structure linéaire du conte de Straparole, les conteuses françaises réussissent à faire trois versions qui, malgré leurs différences, aboutissent aux mêmes buts : d’un côté un manifeste de l’écriture féminine des contes des fées, de l’autre un combat contre la soumission féminine aux principes monarchiques. De par leurs amazones, les conteuses peuvent rejoindre incontestablement le monde des femmes fortes, comme l’ont fait avant elles Montpensier et Scudéry. Si Murat semble être restée plus proche de la source, dans le sens où le conte reprend plus de motifs de « Constance-Constantin » que ne le fait « Marmoisan » ou « Belle- Belle », c’est pourtant Lhéritier qui reste la plus fidèle au message moraliste et déjà féministe de Straparole. Mais en fin de compte, déniant à sa femmesoldat ses attributs masculins, d’Aulnoy, la fée on pourrait dire, se place elle-même dans son monde féerique comme une amazone qui désamorce et défie les systèmes politique et littéraire. Dans les trois cas, l’analyse du traitement qu’elles ont fait subir à leur source nous permet de reconnaître le véritable message subversif des conteuses ainsi que leur style spécifique d’écriture. L’homosexualité dans les contes de femmes-soldats 299 BIBLIOGRAPHIE Aulnoy, Madame d’. Cabinet des Fées, Tome I, vol. 3, Contes de Madame d’Aulnoy. Coll. dirigée par Elisabeth Lemirre. Arles : Ed. Picquier, 1996. Billaud, Isabelle. « Masculin ou féminin ? La représentation du travesti et la question des savoirs au XVII e siècle. » in Annie Cloutier, Catherine Dubeau et Pierre-Marc Gendron (éd. et préface). 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Alors, forcément, c’est un acte de ce que j’appelle « mise en fiction », principe aussi élémentaire qu’universel, et qui s’applique à toute épistémologie, car il démarque ipso facto la représentation de ce qui est représenté, c’est-à-dire le référent, surprenant, voire choquant quelquefois le destinataire, comme on peut le voir dans le tableau de Magritte La Trahison des images (1929) 1 . Ci-contre une version personnelle en photo. Les remarques sur le référent que fait Foucault sur la pipe de Magritte établissent et cernent nos habitudes langagières. Sans vraiment confondre la représentation avec le référent, il y a, dit-il, une habitude du langage : [C]’est un veau, c’est un carré, c’est une fleur. Vieille habitude qui n’est point sans fondement : car toute la fonction d’un dessin […] c’est bien de se faire reconnaître, de laisser apparaître sans équivoque ni hésitation ce qu’il représente. » (18) Or, mon ajout de l’idée d’un tramway n’est pas gratuit, ne cherche pas simplement à se distancier du tableau (et de l’intention) de Magritte ; il est là pour souligner à l’évidence à la fois le rapport et la distinction entre 1 Los Angeles County Museum of Art. Francis Assaf 304 représentation et objet représenté (le référent). Il est immédiatement évident que la photo ne représente en aucune façon un tramway, mais aussi que la photo n’ est pas une pipe non plus. On ne peut ni la bourrer ni la fumer. Quelque élémentaire que soit cette constatation, elle établit des limites en définissant ce qu’elle représente. Pour en revenir au véritable sujet de cette réflexion - lié à ce que dit Barthes (supra) - je pense raisonnable, dans cette perspective, d’attribuer au(x) paratexte(s) une fonction à la fois délimitante et représentative du texte. C’est-à-dire que le paratexte effectue à sa manière une mise en fiction du texte lui-même, de l’écriture - en somme, une mise en fiction au second degré (puisque l’écriture est elle-même fiction). Et c’est dans les multiples paratextes du Francion que je chercherai cette fonction. Je commencerai par le seuil de l’écriture, c’est-à-dire par le titre. Lu par Volaterran en présence de Charroselles, l’inventaire des livres de Mythophylacte comporte ce titre-ci : « R UBRICOLOGIE , ou l’inventaire des titres et rubriques où il est montré qu’un beau titre est le vray proxenete d’un livre, et ce qui en fait faire le plus prompt debit. Exemple a ce propos tiré des Pretieuses. » (Romanciers du XVII e siècle 1084-1085. Voir également Seuils 87) 2 . Commencer une réflexion sur les paratextes du Francion par une citation de Furetière, qui non seulement ne se rapporte pas à cet ouvrage, mais ne concerne même pas les paratextes semble une gageure. Le titre ne constituet-il pas cependant le paratexte du paratexte ? Je citerai un article qui date peut-être, mais qui n’en a pas moins, je crois, conservé sa pertinence : Gérard Genette ne considère pas, dans son vaste ouvrage sur le paratexte, le titre comme faisant partie de l’appareil préfaciel (Seuils 88), mais on peut tout de même l’y intégrer car non seulement il annonce le contenu, mais il en constitue souvent un résumé plus au moins significatif, ce contenu étant ensuite repris et présenté plus largement dans la préface (« Le Miroir dans le labyrinthe » 283) Bien entendu, cela ne veut pas dire que Genette passe sous silence la notion de titre ; au contraire : il y consacre une section aussi substantielle qu’élaborée dans Seuils, au terme de laquelle il réfléchit sur la pratique de l’indication générique (c’est-à-dire rhématique), le plus souvent séparée du titre thématique dans les ouvrages qu’il cite, pour la plupart ceux du XIX e siècle. Selon la thèse de J. Serroy (q.v.), peu d’histoires comiques intègrent cette 2 Notons que, dans le Dictionnaire universel, Furetière définit (implicitement) le mot proxénète comme signifiant simplement intermédiaire, courtier ou entremetteur dans une transaction légitime, excluant toute idée d’activité illégale ou immorale (T. II, 621-622). Les paratextes du Francion ou la mise en fiction de l’écriture 305 indication générique dans le titre : dans l’index des œuvres (736), je dénombre à part le Francion, les suivants : • Histoire comique de notre temps (on notera l’absence d’indication thématique) • Histoire comique des états et empires de la lune et du soleil (titre qui n’est pas de Cyrano) • Histoire comique ou les Aventures de Fortunatus 3 L’ouvrage de Sorel semble bien être le seul dont l’auteur intègre sciemment l’indication générique dans le titre 4 : Histoire comique de Francion. L’édition de 1633 renforcera le côté « proxénète » et aguicheur avec un adjectif supplémentaire : La Vraye histoire comique de Francion 5 . L’« Advis aux lecteurs touchant l’autheur de ce livre » (1267-1270) explique et justifie ce dernier titre en donnant les détails assez complexes de la genèse de ce qui a fini par devenir l’édition de 1633 - douze livres). Là encore Sorel, qui continue à se cacher derrière Nicolas du Moulinet, sieur Du Parc 6 , se contredit sciemment quant à l’importance de ces détails en disant « Mais cela n’importe en rien. Il suffit que nous reconnoissions l’excellence du livre. » (1269). On reviendra là-dessus. L’importance du Francion en fait un des textes de fiction narrative en prose du XVII e siècle les plus étudiés. Je me suis moi-même toujours efforcé en le lisant de garder en perspective les paratextes qui l’entourent, en constituent une sorte de rempart - c’est-à-dire à la fois protection et limitation - et conditionnent le lecteur à affronter le texte proprement dit. L’édition Adam offre les pièces qui composent ce paratexte, que je choisis de considérer comme étant d’un seul tenant. Voici la liste des pièces que je me propose d’examiner : 3 Édition de 1665 (Lyon : Vincent Moulu). 4 J. Serroy donne un historique succinct, mais bien organisé et persuasif du Fortunatus, ouvrage allemand anonyme qui a connu une diffusion européenne (62- 63). La traduction française (de 1665) est vraisemblablement de Jean Baudoin, si l’on en croit l’épigramme à la louange du traducteur. 5 Des sept livres de la première, le roman grossit jusqu’à en compter douze à la troisième, avec l’adjonction du Douzième Livre aux huitième, neuvième, dixième et onzième que comportait l’édition de 1626. Chacune de ces narrations s’accompagne d’un paratexte. 6 Nicolas du Moulinet, sieur du Parc (15 ? ? -16 ? ? ), a bel et bien existé. Consulter Émile Roy (430-432). Il donne une bibliographie assez étendue dans ces pages. Il est pratiquement certain que du Parc n’a eu aucune part à l’élaboration du Francion. Simple feinte de la part de Sorel. Francis Assaf 306 • Advertissement d’importance aux lecteurs (en tête de la première édition) • Epître « Aux Grands » (en tête de la deuxième - 1626) • Advertissement d’importance aux lecteurs (à la suite du Livre XI - 1626) • A Francion (En tête de l’édition de 1633) • Advis aux lecteurs touchant l’autheur de ce livre (Également en tête de la troisième édition). Nonobstant les entorses à la chronologie que cela implique, j’examinerai ensemble les deux « Advertissements » vu qu’ils présentent à la fois des affinités et d’importantes différences. Mais demandons-nous : dans ces paratextes, quelle sorte d’écriture l’auteur nous invite-t-il (nous oblige-t-il ? ) à lire ? Cet ensemble de textes a une importance cruciale à la fois comme mode d’emploi et comme aperçu des valeurs d’écriture chez Sorel - quelque chose où d’aucuns pourraient voir une contradiction. Tâchons de déterminer quel rôle ils jouent dans la « fabrication » de l’attitude du lecteur, consommateur (et aussi co-producteur ? ) d’écriture. L’histoire du roman, telle que la présente Adam (Romanciers du XVII e siècle 1257-1259) peut nous donner une idée assez claire des avatars de l’œuvre, mais la question qu’il n’aborde pas, c’est de savoir ce qu’a le lecteur d’aujourd’hui sous les yeux et que Sorel n’a jamais eu. Voilà donc une mise en fiction au premier degré de l’écriture sorélienne à nous livrée. Dans la section sur le « roman vrai » (217 ss) de sa thèse, Jean Serroy cite précisément l’ « Advertissement d’importance aux lecteurs », où Sorel s’en prend aux autres écrivains qui selon lui ne font que de vains écrits : « Ils s’amusent à parler d’un nombre infiny de choses vaines, qui ont esté dites beaucoup de fois jusqu’au centre de la verité… » (63-64). Qu’importe que le Francion soit un « roman vrai » ou non ? ce qui nous préoccupe ici c’est de savoir dans quelle mesure ses paratextes constituent un « texte vrai ». Il y a autant de raisons pour que de raisons contre cette proposition. Ce qui est sûrement le cas, c’est qu’ils délimitent le texte, le circonscrivent dans la conscience du lecteur de façon à l’obliger à ne lire qu’en tant que lecteur modèle, c’est-à-dire selon ce que prescrit la préface qui, paradoxalement, invite une scriptibilité quasi sans limites. Il faut rappeler ici, avec Barthes, que « l’enjeu du travail littéraire (de la littérature comme travail), c’est de faire du lecteur, non plus un consommateur, mais un producteur du texte. » (S/ Z 10). Or, pour ces deux catégories (la littérature comme travail et la co-production du texte), aucun autre auteur que Sorel, ni avant ni après lui, n’a jamais été plus explicite ni plus véhément sur ce point (1265). Le contraire, c’est la lisibilité. Le lisible, c’est un produit, non une production, nous dit Barthes (S/ Z 11). Mais chez Sorel, la contradiction n’est Les paratextes du Francion ou la mise en fiction de l’écriture 307 qu’apparente. En fait, ce qu’il veut, c’est qu’on apprenne à lire de façon à être à même de co-produire le texte. Il semble nous dire : « Seul sait écrire qui sait lire. » Je ne peux alors que conclure qu’à un « texte vrai ». L’auteur tend-il à réévaluer au fil du temps son esthétique, voire sa propre sémantique ? Si le titre, selon Furetière, sert à « accrocher le client », le paratexte, lui, est la posologie. Bien que Sorel invite explicitement le lecteur à la co-production du texte, il lui suggère surtout une attitude, dont le résultat pour l’auteur serait de bénéficier d’une captatio benevolentiae : « Lecteur, tu ne dois pas lire sottement car je me suis vraiment donné du mal pour t’éclairer », pourrait-on lui faire dire. On peut rapprocher cette mise en garde avec celle de Mateo Alemán dans la double préface du Guzmán de Alfarache : « Au vulgaire » et « Au lecteur prudent ». En une diatribe bien plus acerbe que les objurgations de son confrère français, l’auteur espagnol n’hésite pas à abreuver d’injures son « lecteur vulgaire », le traitant de rat, de mouche et de goupil (59-60), alors qu’il ne saurait faire montre d’assez de ménagements vis-à-vis du « lecteur prudent » : Certes, la libre carrière d’un esprit aussi rude que le mien et d’un si bref savoir a tout lieu d’inspirer de crainte, outre que cette mienne liberté et licence paraîtra d’aventure excessive. Mais si l’on songe qu’il n’est point de si mauvais livre qu’il ne s’y trouve quelque bonté, il se pourrait que si l’esprit fait défaut en celui-ci, mon souci de faire œuvre utile produisît de vertueux effets, qui serait chose bastante à récompenser de plus ardus travaux et digne pardon de ma hardiesse. Point n’est besoin d’adresser au Prudent de longs exordes ou prolixes harangues : il n’est point ébloui d’un éloquent babil, ni la véhémence de l’oraison ne le détourne de ce qu’il sait être juste; bref, l’assiette de son contentement n’est point qu’on capte sa bénévolence. J’acquiesce à sa censure, implore sa sauvegarde et me commets à sa protection (61). C’est dire qu’Alemán a un sens aigu de la captatio benevolentiae et une conscience non moins aiguë de ce qui constitue un lecteur modèle, ce dont Sorel a pu profiter, le Guzmán (1 re partie) ayant été traduit en 1600. Je méditerai à présent ce que nous dit Umberto Eco sur le texte dans Lector in fabula : « [il] postule la coopération du lecteur comme condition d’actualisation. » (65). C’est précisément ce que Sorel veut que fasse son lecteur. On y reviendra. Mais regardons à nouveau la notion de paratexte. Elle se rapporte, de toute évidence, à celle de texte (Le paratexte est aussi un texte). Mais qu’est-ce qu’un texte ? Genette définit ce dernier comme « une suite plus ou moins longue d’énoncés verbaux plus ou moins pourvus de signification. » (7) Il cite aussi (en français) in extenso J. Hillis Miller sur le sens du préfixe para, terme « antithétique » qui désigne à la fois le dehors et le dedans, qui en même temps sépare et fusionne le dedans et le dehors, Francis Assaf 308 tout en les maintenant, paradoxalement, distincts. Dans Lector in fabula, Eco nous dit : « Un texte, tel qu’il apparaît dans sa surface (ou manifestation) linguistique, représente une chaîne d’artifices expressifs qui doivent être actualisés par le destinataire. » (61) En résumé un texte, tout simplement, ce n’est ni plus ni moins qu’un ensemble fini de signes sur un support. Le texte n’est pas le paratexte, mais le paratexte « empiète » sur le texte (Le paratexte est un texte, comme je viens de le dire, mais n’est pas le texte). Je ne dirai pas qu’il le légitime forcément, mais il établit une liaison entre lui et ce qui n’est pas lui ; il le chevauche, en en faisant un mode d’emploi de lecture difficile à contourner. C’est un texte qu’il faut lire pour apprendre à lire. C’est le degré zéro de la lecture. Or, qu’est-ce que la lecture, sinon - encore une fois - l’actualisation d’une écriture ? Les considérations de Barthes sur le rôle limitatif du texte que jouent certains procédés d’écriture, comme le « je » auctorial, la troisième personne et l’usage du passé simple clarifient les paramètres du pacte de lecture : [L]a troisième personne […] est le signe d’un pacte intelligible entre la société et l’auteur ; mais elle est aussi pour ce dernier le premier moyen de faire tenir le monde de la façon qu’il veut. Elle est donc plus qu’une expérience littéraire : un acte humain qui lie la création à l’Histoire ou à l’existence (Le Degré zéro de l’écriture 29). Ce pacte, Sorel l’explicite avec force dans son appareil paratextuel, en particulier dans le premier « Advertissement ». Il parle et s’affirme abondamment par le « je » auctorial, un « je » auquel s’en substitueront d’autres - Agathe dans le Deuxième Livre, Francion et Raymond dans le Troisième et d’autres - pour laisser la place dans le récit-cadre à cette troisième personne à laquelle Barthes accorde une valeur démiurgique. Sorel s’attend à ce que son roman soit lu, mais pourquoi l’avertissement est-il « d’importance » ? Il est bien entendu très facile de répéter que c’est pour mettre le lecteur en garde contre la tentation de ne voir dans le roman qu’un divertissement. Mais quel rapport de l’auteur au lecteur ce (para)texte établit-il ? Si l’on s’en rapporte à Eco, dans Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs (20ss), Sorel se donne d’emblée comme Auteur Modèle, d’une façon bien moins compliquée, bien plus ouverte que - suivant toujours les exemples donnés par Eco - Nerval pour Sylvie ou Poe pour Les paratextes du Francion ou la mise en fiction de l’écriture 309 Arthur Gordon Pym. A l’encontre de l’un comme de l’autre, Sorel ne cache pas son jeu : Je n’ay point trouvé de remede ny plus aysé ny plus salutaire à l’ennuy qui m’affligeoit il y a quelque temps que de m’amuser a descrire une histoire qui tinst davantage du folastre que du serieux, de maniere qu’une melancolique cause a produit un facetieux effect (61) Autrement dit, Sorel se livre à une entreprise à plusieurs niveaux paradoxale : écrit-il comme acte de médiation thérapeutique ou le faitil pour instruire son lecteur ? Et si son histoire tient « davantage du folâtre que du sérieux », pourquoi s’acharner contre son lecteur potentiel, qu’il agonit d’injures si celui-ci ne fait qu’y chercher ce que lui-même avoue y avoir cherché en l’écrivant ? Car c’est explicitement un amusement pour lui. L’auteur modèle chercherait-il alors un lecteur modèle à qui il interdirait de lire comme lui-même a écrit ? Bizarre… Ce processus de mystification du lecteur est fondé sur une contradiction - apparente ? - lorsqu’on lit que II faut que i’imite les Apotiquaires qui sucrent par le dessus les breuvages amers afin de les faire mieux avaller. Une satyre dont l’apparence eust esté farouche eust diverty les hommes de sa lecture par son seul titre. Je diray par similitude que ie monstre un beau palais, qui par dehors a apparence d’estre remply de liberté et de delices, mais au dedans duquel l’on trouve neantmoins, lorsque l’on n’y pense pas, des severes Censeurs, des Accusateurs irreprochables, et des Juges rigoureux (62). Mais il ne s’agit pas seulement de créer un lecteur modèle se différenciant radicalement de l’auteur modèle, qui est en même temps, inévitablement, lecteur modèle lui-même (ur-lecteur), car autrement il n’y aurait moyen ni d’écrire, ni de raison de le faire. Cette censure des « vicieux » que propose l’auteur modèle et qu’il déclare faire en respectant les règles de la grammaire, il la dévalorise pourtant en disant qu’il l’aurait faite même en mauvais français : « et avec des discours negligents je pense encore que ce seroit assez » (62). Il problématise encore plus l’acte scriptural en faisant semblant de défier un (ou des) adversaire(s) imaginaire(s) de faire mieux que lui en décrivant ce qu’il fait comme une sorte de tour de force, voire une acrobatie : écrire trente-deux pages en un seul jour, sans relire ni (Umberto Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs [31]) Francis Assaf 310 corriger et en pensant à autre chose, qui plus est (63). Pourquoi ? Parce que, à l’en croire, l’imagination n’a aucune part à l’acte scriptural : il ne s’agit pour lui que de mettre en ordre des concepts formulés depuis longtemps (63) — N’est-ce qu’un travail de classification, de taxinomie, visant à établir une fois pour toutes sa prééminence en tant que scriptor ? Difficile à croire pour qui a lu le Francion de près… Ne serait-ce alors qu’une tentative de mystification du lecteur ? Sorel est on ne peut plus explicite dans la conclusion de son Advertissement. Pour lui, celui qui ne lit pas la préface est un sot : « Il [le sot lecteur auquel il s’adressait - prétendument ? ] me respondit qu’il les [les préfaces] croyoit toutes pareilles […] Que ceux qui auront mes livres entre leurs mains ne facent pas ainsi s’ils me veulent obliger à les avoir en quelque estime. » (65). N’est-il pas rare qu’un tel explicit 7 soit si catégorique ? Tout en en conservant les mots dans l’Advertissement de 1626 - devenu cette fois postface, puisque placé après le Livre XI - il le noie en se plaignant - de façon plutôt geignarde cette fois - des typographes négligents qu’il accuse d’avoir massacré son texte (Appendice). Mais l’écriture de quelqu’un qui rédige trente-deux pages d’un seul jet, en pensant à autre chose, est-elle lisible ? En tout cas, le début du texte dénote un esprit plus détendu, prônant le castigat ridendo mores cher au poète néo-latin Jean-Baptiste de Santeul 8 . Il faut noter cependant que l’« Épître aux grands », véritable préface de l’édition de 1626, maintient avec le deuxième Advertissement des liens sémantiques certains. Elle constitue une sorte de manifeste moral dans lequel l’auteur rejette l’appui et le patronage de la noblesse, désireux qu’il est de conserver à la fois sa liberté en tant que censeur des mœurs et son anonymat d’auteur, anonymat sur lequel il s’étend si longuement qu’on se demande à quoi rime cette tirade (1264-1265). Au portrait du lecteur modèle, il ajoute cependant un aspect aussi inattendu qu’illuminant : la vertu. Fondamentalement, pour lui cela consiste à être comme on doit être : « [J]’estime esgallement ceux qui ont la charge des plus grandes affaires, & ceux qui n’ont qu’une charge de 7 L’explicit est la dernière phrase d’un texte. La première en est l’incipit. 8 Jean-Baptiste de Santeul (1630-1697). Ami du comédien italien Dominique Biancolelli (1636-1688), il lui aurait « fait cadeau » de cette devise. Les paratextes du Francion ou la mise en fiction de l’écriture 311 cotrets sur le dos, si la vertu n’y met de la difference » (1260), dit-il vers la fin de l’Épître aux grands. Par là, il institue une déontologie de la lecture (et de l’écriture) Seul celui qui est comme il doit être peut lire comme il doit lire (et écrire). Voilà un aspect inattendu du lecteur modèle. Venons-en à la « dédicace » à Francion (1266-1267), signée par le fictif 9 Du Parc. Pour brève qu’elle soit, elle semble bien destinée à mystifier plus avant le lecteur quant à l’identité de l’auteur et du personnage. D’abord, elle est chargée d’ironie et contredit dans une grande mesure non seulement la substance du texte, mais aussi les allégations didactiques et moralisatrices qu’exprime l’auteur empirique dans les deux « advertissements », à moins qu’on ne veuille éliminer du texte écrit ce qui en fait largement l’intérêt narratif, c’est-à-dire - entre autres - le récit des débordements scatologiques (sixième livre) et sexuels (le sixième et les trois livres suivants) sur lesquels s’étend complaisamment l’auteur empirique. En fait, cette fausse dédicace crée une limite sémantique qui contredit formellement les intentions de l’auteur empirique, lorsque « Du Parc » déclare benoîtement : Qu’il suffise au peuple de se donner du plaisir de la lecture de tant d’agréables choses et d’en tirer aussi du profit, y apprenant de quelle sorte il faut vivre aujourd’huy dans le monde, sans vouloir penetrer plus oultre. (1267) C’est-à-dire que le plaisir prime (à présent) sur la didaxis morale. Nous sommes loin des objurgations de l’auteur empirique… L’« Advis aux lecteurs touchant l’autheur de ce livre », que j’ai évoqué plus haut, feint, comme on sait, d’accréditer Du Parc, comme auteur du Francion et bien d’autres histoires comiques, remontant à 1613. Pourquoi, après avoir posé des jalons aussi précis, tant pour la déontologie de la lecture et de l’écriture que pour l’élaboration du texte, Sorel se plaît-il à brouiller les pistes ? Cela semble bien gratuit, comme cette apologie tortueuse de l’auctorialité de Du Parc. On serait tenté d’accuser Sorel d’absurdité, voire d’une volonté de destruction du rapport nécessaire entre l’auteur et son livre, mais il n’en est rien. Voyons plutôt l’explicit de ce dernier morceau du paratexte : Il y a beaucoup de choses à dire pour la recommandation de son ouvrage : mais à quoy cela sert-il puisque le voicy present, et qu’il n’y a qu’à le considerer pour voir combien il est estimable. (1270) Si l’auteur écrit le texte, le texte « écrit » aussi l’auteur. Vérité élémentaire : c’est le texte qui fait l’auteur (et le lecteur qui fait le texte, n’est-ce pas ? ). 9 Fictif dans ce sens que ce n’est pas lui l’auteur. Voir note précédente (n. 6) sur ce personnage. Francis Assaf 312 Comment ce rapport établit-il les limites du texte ? La « fabrication » du Francion dans ce dernier paratexte, même si elle est fictive, voire mensongère, apporte un certain complément d’information dans ce sens qu’elle lui suggère - encore une fois ! - comment il doit le lire, maintenant qu’il « sait » comment il a vu le jour. Dans L’Œuvre ouverte, Eco énonce un certain nombre de vérités, élémentaires elles aussi, sur la transmission de l’information. Il traite ici du langage poétique, dont il dit : [L]e poète crée un système linguistique qui n’est plus celui de la langue dans laquelle il s’exprime mais qui n’est pas non plus celui d’une langue inexistante : il introduit des modules de désordre organisé à l’intérieur d’un système, pour en accroître la possibilité d’information (88) Je note en passant que c’est précisément ce que font les pratiquants de l’OULIPO mais, ce qui se rapporte plus à mon propos, c’est que si nous substituons écriture à langue nous constatons que cela s’applique bien à ce que fait Sorel dans l’« Advis aux lecteurs touchant l’autheur de ce livre ». Accroître la possibilité d’information, tout en donnant (ironiquement) au lecteur latitude de coproduire le texte, c’est paradoxalement le pousser à le lire comme il a été écrit : connaît-on des exemples de lecteurs qui aient jamais fait ce à quoi feint de les encourager Sorel dans le deuxième Advertissement ? Au moins pour Sorel - et sans doute pour d’autres : je pense à Furetière - la création d’une délimitation du texte, indispensable pour lui conférer corps et forme, processus qui passe par la mise en fiction consciente de sa propre écriture, c’est ça. Les paratextes du Francion ou la mise en fiction de l’écriture 313 APPENDICE Page 19, ligne 5, vous trouvez conversion, au lieu de conversation.P. 468, l. 8, n'en a, lisez n'a, P. 50, l. 2, tireroit, lisez tireroient. P. 53, l. 3, dont, lisez d'où. P. 60, l. 25, I'aborday, lisez je I'aborday. P. 71, l. 1l, avoit, Iisez avoit tant de. P. 74, l. 12, qui regnent, lisez qui y regnent. P. 78, l. 21, voir, lisez venir. P. 90, l. 1, plus, lisez pas. P.135 , l. 7, maistresse, lisez maistrize. P. 145, l. 26, servir, lisez aymer. P. 155, l. 4, representer, lisez presenter. P. 184, l. 10, ne vous, lisez vous ne. P. 216, l.13.ne pouvoir, lisez ne mc pouvoir, P. 221, l. 26, sur, lisez chez. P. 244l, 2, pensant, lisez passant, P, 268, l. 6, compagnie, lisez compagne. P. 370, l. 16, ostez vouloir, et l. t8, me voulant, lisez desirant me.P. 417, l. 3, luy, lisez leur. P. 429, l. 7, et qu'il, lisez et bien qu'il.P, 431, l. 24, et I'on, lisez et luy. P. 432, l. 14, ie ne les mis, lisez il ne les mist. P. 436, l.4, ostez pourtant. P. 469, l. 8, de leur moyen.lisez du mien. P. 470, l. 15, qui soient, lisez qui me soient. P. 473, I.1, leur, lisez les. P. 474, l. 16, que allons, lisez que nous allons. P. 492, l.5, sa bonne, lisez et sa bonne. P. 547, l. 12, Quelle, lisez Qul. P.658, l. 4, page, lisez laquait, P. 661, l. 20, ses merveilles, lisez son merite, P. 713, l. 20, reçoit de sa part, lisez reçoit le lendemain de sa part, P. 729, l. 2, plutost, lisez plus fort et mieux accompagné. P. 739, l. 2, serviroit, lisez servit. P. 874, l. 7, ostez cy. Francis Assaf 314 BIBLIOGRAPHIE Alemán, Mateo. Le Gueux, ou la vie de Guzman d’Alfarache, guette-chemin de la vie humaine. 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Etienne Souriau, Les Deux Cent Mille Situations dramatiques 1 The architecture of seventeenth-century French plays has always been a source of personal fascination. In this essay I propose to consider one aspect of that complex organization, specifically how the author may inscribe a point of view in the play. What I will argue is that certain plays are grounded or centered in one character to such a degree that the audience perceives the dramatic universe from the perspective of that character. One will immediately object that a play does not have a POV 2 because it does not have a narrator, because it is mimetic. Indeed, except for rare cases (e.g., Corneille’s Illusion comique 3 ), there is no narrator and only indirect signs of an implied author (in a preface or the stage directions). Every character who speaks may be understood to voice his or her own point of view. Yet certain plays, through their very construction as well as by other means, favor one character and his or her perspective over the others. Consider two extreme cases that also happen to be two of the most important plays of the period: Phèdre and Tartuffe. The former is the quintessential POV play: Racine ensures that we experience the world on stage 1 Souriau 184. 2 I will use this abbreviation for point of view throughout. 3 The magician Alcandre in Corneille’s L’Illusion comique at times recounts and at times conjures up Clindor’s adventures before the eyes of the latter’s father Pridamant and the audience. Nina Ekstein 316 through Phèdre. In the case of Tartuffe, the opposite is true: we do not have access to any interiority that would lead us to see the world through his eyes. Obviously I am speaking metaphorically when I refer to POV in theater, but then so are the fields of narratology and cinema studies when they use similar terminology. 4 Indeed a stable, singular POV is quite rare in both narrative and cinema. The classic example in cinema is The Lady in the Lake (Robert Montgomery, 1946) which scrupulously adopts the perspective of the main character throughout. The only time the POV character could be seen on screen was in a mirror. It was a complete failure (Wilson 86) and is remembered only as a cautionary experiment. Monologue novels or experimental novels such as Robbe-Grillet’s La Jalousie (1957) do employ a single perspective, but they are the exception. In most narratives, a single POV or focalization is generally not maintained throughout. Genette points out that even in À la recherche du temps perdu there is considerable varying of focalization, even beyond that of Marcel at different points in his life. 5 Subjectivity is quite clearly a feature of theater (see Richardson 204) and thus there is no reason not to extend the metaphor of POV to theater as well. The term point of view is problematic. The field of narratology rejected it because of its ambiguity, although terms chosen to replace it (e.g., focalization, filter/ slant) also have their critics. In the context of theater, it seems the best choice, although a few qualifications are in order. POV is not a question of visual perception, neither the character’s nor the spectator’s (more on the latter shortly). And POV is not a mental standpoint or opinion. Here the term will refer to a character—itself a construction, of course— who is not the author, the implied author, or the narrator, but who is not merely the protagonist of the play. The POV character is also, albeit figuratively, the dominant filter through which the spectator/ reader per- 4 The term “point of view” is rarely used at present in narratological studies; since Genette’s landmark 1972 “Discours du récit,” the norm has been to distinguish between the narrator (who speaks? ) and the focalizer (who sees? ), although discussion of these issues is ongoing. The distinction is not particularly pertinent to the stage, however. We will use the term “focalization” below, but to refer to gaining access to a character’s thoughts and feelings, a use employed by Genette as well (206-07). 5 The famous scene where Marcel spies on Mlle de Vinteuil and her friend is focalized through Marcel and what he is able to see (a great deal) and hear (nothing); however the focalization shifts to Mlle de Vinteuil when it comes to her thoughts and feelings, thereby giving the reader access to what Marcel could not possibly know (Genette 222). Dramatic Point of View 317 ceives the world of the play. 6 I am by no means the first to consider the issue of POV in theater. Souriau’s Les Deux Cent Mille Situations dramatiques introduced the notion in conjunction with his shorthand descriptions of dramatic plot and Barko and Burgess wrote a short book exploring POV and its application to four plays. I hope to build on their work both in terms of theoretical understanding of the concept and close analysis. In this article I will limit myself to two of Molière’s most well-known plays—Le Misanthrope and L’École des femmes—and attempt to raise and discuss the myriad issues that POV characters entail through the prism of these two works. The choice of Molière is hardly an arbitrary one; he explores the notion from different angles in a number of his comedies. One might explain the unusually high presence of POV characters in his theater by arguing that he sought to create privileged roles for himself as actor (see Scherer 27), but I prefer to imagine that the playwright was more interested in exploring dramatic possibilities. Hopefully, the plays will illuminate the concept of POV in theater and the concept will illuminate the plays as well. My primary interest is the inscription of a POV within the play by the author, but one cannot ignore two issues that complicate the terrain considerably. The first involves the spectator and his or her relation to the POV character. The spectator’s response to a character—whether emotional, ideological, or based on a set of values—may contribute to the construction of a POV character or, even more importantly, may deny that status to a character. 7 Employing the notion of an archi-spectator, Barko and Burgess devote a considerable amount of attention to the distance between character and spectator. While it is certainly true that the author relies on the existence and engagement of such a spectator and that in some respects (for instance, sympathy) it is not possible to avoid the issue, I will do my best to minimize my reliance on such a construct. As we shall see when considering the history of these two Molière plays, on stage and off, the spectator’s 6 Chatman opposes the notions of slant and filter: “I propose slant to name the narrator’s attitudes and other mental nuances appropriate to the report function of discourse, and filter to name the much wider range of mental activity experienced by characters in the story world - perceptions, cognitions, attitudes, emotions, memories, fantasies, and the like” (143). While Ubersfeld does not espouse the notion of a POV character, her formulation “une conscience centralisatrice” is perhaps pertinent (337). 7 To give a concrete example, I have on occasion encountered an undergraduate student who is so put off by Phèdre’s sexual desire that he or she refuses to adopt her POV. In such cases, the play is experienced by that student as a failure, because Phédre’s perspective is central to the audience’s engagement with the play. Nina Ekstein 318 reactions have hardly been unvarying. 8 Indeed, there are many plays that are no longer staged because the audience’s values have changed over time. The enduring success of Le Misanthrope and L’École des femmes may have many explanations, but I don’t believe that a stable audience, thus an archispectator, is among them. The second issue involves the object of study: is it the text or its performance? Because of the openness of dramatic texts in general (and these two are no exception), the director or actor has the room to modify, undermine, or accentuate what the author has provided to create a POV character. 9 Unfortunately we do not know enough about Molière’s staging of and performance in his own plays. In any event, each production of a play is significantly different from the next and available, in the vast majority of cases, only through second-hand reports. Performance, therefore, does not offer a stable object of study. Furthermore, actors and directors are under the obvious obligation to be original, an obligation that may have distorting consequences. We may not, however, ignore the implications of performance and the ever-varying openness of the dramatic text to differing interpretations. Thus I will consider the plays in light of their potential mises-enscène. A text’s inherent openness and its performance history have a legitimate place in this discussion. I will henceforth use the term “audience” to refer to readers and spectators alike. Several other basic choices remain in order to clarify our object of study. Barko and Burgess note that the question of POV in theater may be approached through character or plot (the sequence of events). I have opted for the first, clearly, but it is a choice that merits explanation. First, POV implies subjectivity, and subjectivity in theater inheres in the speaking subjects that are characters. For our purposes, characters are understood to be constructs, animated by language and, when staged, by a human actor. I will thus attempt to steer clear of any notion of character psychology. In contrast to character, plot lends itself far less readily to subjectivity. Barko and Burgess choose to focus on character rather than plot as well, saying 8 In the four plays Barko and Bennett examined (Le Misanthrope, Beaumarchais’s Le Mariage de Figaro, Musset’s Lorenzaccio and Beckett’s En attendant Godot), they encountered numerous points where it was impossible to determine which of two or more possible reactions the archi-spectator might have. They used the term bifurcation to describe such instances, but could go no farther than to identify them (91-92). 9 Souriau notes: “On voit que la mise en scène peut ici beaucoup—pour renforcer, préciser ce qu’implique le texte. Et je croirais assez que c’est pour cette raison que les grands effets de point de vue figurent surtout dans les œuvres des auteursacteurs” (131). Dramatic Point of View 319 that the former option proved to be “plus maniable et plus rentable” (87), but they express some regret at not focusing on the story (13). Yet their discussion of Beaumarchais’s Le Mariage de Figaro, the most plot-driven of the plays they examine, is unable to move beyond an inventory of shifts in POV character from scene to scene depending on the shifts in the plot. Implicit in the choice of focus on POV characters is the selection of plays that have a dominant character. In Le Mariage de Figaro the complex plot may be more important than any single character in the play, leaving no character with a commanding role. I am led to conclude that a reading of a play through POV is not likely to be particularly fruitful if the plot is complex and there is no preeminent character. While both contain dominant characters, the two Molière plays that we will consider differ from one another with respect to the intricacy of plot. It is rather elaborate in L’École des femmes, a classic combination of rivalry and young love confronting a blocking character; in contrast, as others have observed, Le Misanthrope has a considerably more pared-down plot (see Descotes 90, Brabant 260). 10 The next issue, not surprisingly given the discussion above, involves the potential shift of POV from one character to another. Such shifts are quite common in theater, but the larger the number of shifts, and especially the larger the number of characters who do a turn as the POV character, the less central the notion of POV is to the play. But before we may consider shifts in POV, we need to examine the process of mise en place and the functioning of the single POV character. Actantial analyses, whether focused on narrative or on theater, implicitly acknowledge a dominant POV through their use of categories such as subject, object, or rival. Obviously, it is the subject and not the rival who carries the POV, at least initially (see Souriau 72). We will return to the question of shifting and therefore multiple POVs later in order to consider the potential claims that other characters in our two plays make on the dominant position. Leaving aside some of these issues for the moment, we will turn to how a POV is constructed in theater, using the specific examples of L’École des femmes and Le Misanthrope. * The first components in the construction of a POV character are the most obvious, the most mechanical, and yet absolutely necessary: speech and presence. The character must have a substantial onstage role. Le Misanthrope’s Alceste and L’École des femmes’s Arnolphe have exceptionally large roles in their respective plays. Arnolphe speaks 49% of the lines of his play 10 Norman notes that 200 lines pass before Célimène, ostensibly the object of desire driving the plot, is even mentioned (163). Nina Ekstein 320 (871) and Alceste 41% (735). They dominate their plays through their onstage presence: Arnolphe only leaves the stage for a single scene out of 32 and Alceste is present for 17 out of 22 scenes and is the only character in the play to be onstage in all five acts. 11 Such exceedingly large numbers are not necessary for a POV character—Phèdre, for example, speaks only 476 lines and is onstage for less than half of the play—but significant numbers definitely are crucial. I am not prepared to offer a lower limit, because the POV character is built on considerably more than speech and presence, but without those two elements, it cannot be constructed. No doubt the same is true in the novel and in cinema, although techniques are quite different. There is simply no way to experience the dramatic universe through the perspective of a given character unless we hear and see him or her, unless the POV character takes part in the onstage action, unless he or she reflects on that action. It is reasonable to assume that a large number of characters in a given play will reduce the likelihood that there may be a POV character, or conversely, that a character with a predominant speaking role or onstage presence is more likely to have a privileged POV. Speech and presence may vary considerably in relation to one another. Silent presence may contribute significantly to POV. While outside the domain of the text proper, it is worth considering that the actor listening to other speakers may act and/ or emote as well, thus continuing and developing his or her POV through potentially eloquent presence alone. 12 While Alceste speaks only at the beginning and end of the long portrait scene in Le Misanthrope (II,4), it is easy to imagine a staging in which Alceste is physically separate from the others on stage and moves or gestures in such a way as to frequently call attention to himself. 13 11 Measuring in lines rather than scenes, Arnolphe is present for 98% of the lines spoken, and Alceste for 81%. 12 Descotes notes that actors “jouent presque aussi bien quand ils écoutent que quand ils parlent” (119). Could a character who was onstage almost throughout the play but spoke relatively little be the POV? Is presence sufficient? The question, while outside of the scope of this essay, is an interesting one. It would be difficult for the author to construct; he or she would have to rely on stage directions. For the reader those stage directions would have to carry the full weight of the POV, because mere presence, to say nothing of an attentive and reactive presence, is relatively difficult to communicate through words. Stage directions may become cumbersome and in any event are used sparingly in the seventeenth-century French theater. In the case of a staged performance, the POV status of the character would depend on the skill and interpretation of the actor and/ or director involved. All of which to say that the possibility is intriguing, but unlikely. 13 “Tartuffe, Arnolphe, and Alceste are all characters that hold the interest of the audience in a tight grip. On stage, even when they are silent, they remain within Dramatic Point of View 321 The relationship between onstage presence and plot may also influence POV. In L’École des femmes we do not see the young lovers together on stage until V,3, and even then Arnolphe is a silent but acknowledged witness to their conversation. The fundamental love scene between them is never shown on stage. In contrast, Arnolphe and Agnès are alone together onstage three times in the first half of the play and they have a long discussion concerning love in V,4. Arnolphe’s repeated onstage presence with the only desirable woman in the play is a subtle sign that his is the POV that matters. To understand fully the crucial relationship between presence and POV, consider Souriau’s brilliant example of a possible staging of Britannicus, Act II, scene 6, in which Néron, hidden, observes Junie and Britannicus. If Néron were placed on stage, he suggests, in silhouette in the foreground and silent, the audience would be inclined to watch the scene through his eyes, through his POV (236-37). If Néron is completely hidden, as is usually the case, our perspective for this scene shifts to Junie because we share with her the superior knowledge of Néron’s command to break off with Britannicus. The incipit is the privileged place in which to create a POV character. If an author wants to accentuate a particular POV then it is imperative to establish it early. 14 Discussing the post-Fronde vogue for abundantly present characters, Scherer asserts that the public wanted to see them immediately in the first scene of the play. While it was also quite common during the same period to delay the entrance of an important character until the first scene of the second act, such a substantial delay all but precludes that character taking the role of the POV. While I do not want to be categorical in asserting the need for the POV character to appear in the first scene of the play (after all, Phèdre doesn’t appear until scene 3), any delay makes it more difficult to construct such a POV. In the case of our two plays, Molière takes the same sledge-hammer approach to the incipit that he does to speech and presence: both Arnolphe and Alceste have the predominant role in an overly long opening scene in which they share the stage (and argue) with a friend. 15 In both cases the focus is strongly on these two and signifithe field of our vision and awareness. We remain conscious of Alceste’s brooding presence throughout Célimène’s display of wit and malice in the scène des portraits. During Horace’s naively confiding and circumstantial accounts of the ups and downs of his courtship it is Arnolphe we watch” (Hope 523). 14 Souriau describes the POV as “la porte d’entrée par où le spectateur voit en perspective l’intérieur de la situation” (124) and goes on to say, “C’est souvent l’art de l’« exposition », dans les premières scènes du drame, de nous faire entrer dans l’univers de l’œuvre sous l’angle voulu” (134). 15 Arnolphe has 120 of the 198 lines in the first scene (61%) and Alceste has 136 of 249 lines (55%). Nina Ekstein 322 cantly less on their sparring partner. Consider the opening two lines of L’École des femmes : Chrysalde: “Vous venez, dites vous, pour lui donner la main? ” Arnolphe: “Oui, je veux terminer la chose dans demain.” 16 The assignment of pronouns (Arnolphe’s “je” and Chrysalde’s “vous”) combined with volition (“veux”) make it very clear whose perspective is likely to be central. Similarly, in Le Misanthrope’s opening scene, Alceste makes 82 references to himself while Philinte’s makes only 29. Philinte’s opening barrage of questions also ensures that Alceste is the focus of interest. Furthermore, both Alceste and Arnolphe appear in the first scene of the second act, that other privileged site in the composition of a play (see above). An interesting corroboration of the force of the POV established in the incipit is the confrontation between Oronte’s sonnet and Alceste’s chanson. Critics and audiences alike have long been willing to perceive the sonnet as worse than mediocre, that is to say, through Alceste’s eyes. Positive assessments of Oronte’s poem are fairly rare, even in contrast to the unabashedly simple song that Alceste offers as superior. Because Alceste has been established as the POV character in the first scene, the audience almost automatically takes his side in the second. Considering only speech, presence, and the opening scene, we must admit that Molière could be writing a recipe (or a parody...) of how to set up a POV character. As a general rule, if a POV character has been established in the incipit, there will be considerable carry-over of that POV, even in the absence of the character on stage. Once the POV character has been put into place, other techniques, such as having the POV character be the subject of conversation, serve to reinforce his or her status. While Molière has created several virtually omnipresent characters (e.g., Sganarelle, Dom Juan, and Argan), a certain period of absence is normal even in plays with a POV character. Alceste has been so strongly established as a POV character in Act I that he can be absent for all of Act III but the last scene without threatening his POV position. Alceste is only mentioned twice during that extended absence, both times by Célimène, and both times in relation to Arsinoé’s affection for him. The fact that he is depicted as desirable works to counterbalance any danger of erasure through absence. Alceste’s return on stage in III,5 is followed by yet another absence as he follows Arsinoé to her home. During this second absence, Philinte recounts the offstage scene where Alceste is forced to make peace with Oronte (IV,1), a récit that Hope interprets as a means of keeping the play’s focus on Alceste and demon- 16 All quotes will be taken from the 2010 Pléiade edition of Molière’s Œuvres complètes. Dramatic Point of View 323 strating the latter’s domination of the action, even in his absence (524). In the sole scene in L’École des femmes during which Arnolphe is not present on stage a similar process occurs: he is talked about, but here by his two ignorant servants, resulting in a burlesque version of what we see in Le Misanthrope IV,1. 17 In both plays Molière has the POV character leave the stage before the last lines of the play, suggesting the possibility of an eclipse of their POV (Arnolphe sixteen lines and Alceste only two lines before the end). In the case of Arnolphe, he is also reduced to speechlessness: once he learns Agnès’s identity (l.1739) he utters only “Quoi? ...” (l.1739) and the famous “Oh! / Ouf! ” (l.1764) during the play’s last forty lines. Overall, the end seems to matter far less than the beginning: once a POV character has been established early in the play, there is a strong tendency to maintain that position. The play’s title is another feature of the incipit. The heading L’École des femmes gives us no indication that one character might be more important than another or that one character’s perspective will predominate. Indeed the plural femmes is strikingly unhelpful in a play with a single female character of any importance. Le Misanthrope, on the other hand, is related to POV. While we might wonder as the play opens to whom the title—and subtitle, L’Atrabilaire amoureux—refers, we do not long remain in doubt, as the positions that Alceste voices in the first scene make him the obvious referent. But the title is hardly neutral, presenting a jumble of traits that do not seem to readily cohere, an issue we will return to shortly. One further structural feature pertaining to the POV involves space. The fact that Arnolphe appears in his own space and has authority over that space (his house, or houses) abets his establishment as the POV character. The spatial element provides a physical and thus visual means of indexing his centrality. Alceste, on the other hand, is not at all in his own space, but rather in Célimène’s salon. His status as POV is modestly undermined through the consequent reduction in authority (see Hammond 58) and through the contrast between the norms of that space and Alceste’s values (e.g. sincerity) and characteristics (e.g. critical, angry, stubborn). When one examines these two plays from this particular perspective it is striking the degree to which Molière appears to be varying the structural elements and experimenting with the possibilities. * 17 Racine takes a different approach in Phèdre where the power of the queen’s desire and suffering voiced at length in I,3 and II,5 dwarfs those of Hippolyte and Thésée, thereby filling the gaps of her absences from the stage. Nina Ekstein 324 Speech and presence are also vitally important because they constitute an enabling condition for the establishment and development of spectator engagement with the character. Such engagement is associated with two terms, sympathy and identification, both of which we will consider now. The OED begins its definition of sympathy with “A (real or supposed) affinity between certain things,” here between spectator and character. The spectator’s feelings—antipathy, respect, affinity, even simple liking—cannot form the basis of the establishment of a POV character, but they cannot simply be dismissed either. The spectator must be drawn in to view the dramatic universe from the perspective of the POV character. On the one hand, it is impossible to gauge spectator reaction to a given character, as will become abundantly clear shortly when we look at the issue as it concerns Alceste and Arnolphe. Along the same lines, directors and, through them, actors have enormous leeway in constructing a character more or less likely to elicit spectator sympathy. On the other hand, the notion of spectator sympathy is vital to the concept of POV, because why would any spectator take the POV of a character, whatever strategies the author employed, if that character had no claim to our sympathy? There is endless opportunity for debate in deciding what qualities, if any, elicit universal sympathy. I hope to simplify the problem as much as possible by singling out only a very few features as worthy of universal approbation or disapprobation, while conceding that all the others are open to legitimate debate. For the time being, I will assert only that suffering makes a universal claim to sympathy in almost all cases. Identification suggests a deeper engagement than sympathy, requiring more of a commitment to a character’s POV than sympathy. The connotations are less emotional than those attached to sympathy and identity is more stable and enduring. Sympathy may be fleeting, and thus attach and detach itself quite readily from a given character, while identification does not. Is identification necessary in order to have a POV character? Perhaps partial or provisional identification will do for our purposes. Total identification may be a step too far. Consider the case of Jean-Jacques Rousseau and his famous comments on Le Misanthrope: he identified so completely with Alceste that he was outraged by the fact that Molière made him appear ridiculous as though it were Rousseau himself who was the injured party. 18 18 The following quote conveys the general tenor of Rousseau’s comments on Alceste and conveys his own identification with the fictional character: “Qu’est-ce donc que le Misantrope de Moliére? Un homme de bien qui déteste les mœurs de son Siécle et la méchanceté de ces [sic] contemporains; qui, précisément parce qu’il aime ses semblables, hait en eux les maux qu’ils se font réciproquement et les vices dont ces maux sont l’ouvrage. S’il étoit moins touché des erreurs de l’huma- Dramatic Point of View 325 The question remains whether the spectator is apt to adopt the POV of a character he or she finds unlikable. Eustis points to the centrality of this issue in terms of Molière’s theater: “One of our biggest difficulties in properly interpreting Molière comedies has been the obstinacy with which many generations have insisted upon categorizing his characters as sympathetic or repulsive, reasonable or unreasonable in order to identify with the ones and, by our laughter, reject the others” (181). It is in this domain—the creation of characters that will elicit and/ or repulse sympathy—that Molière departs most radically and most playfully from the norms for a POV character. Arnolphe and Alceste, despite their considerable similarity when it comes to speech, presence, and early introduction in their respective plays, differ markedly from one another when it comes to eliciting spectator sympathy and thus must be dealt with separately. In the case of Arnolphe, Molière creates an essentially unsympathetic character and lodges him structurally in the position of POV. While I am loathe to decree what is and what isn’t a sympathetic trait, it does seem abundantly clear that Molière offers little in the first scene of the play to incite a spectator to sympathize with Arnolphe. One might plausibly argue that his fear of being cuckolded may resonate on an unconscious level with the male members of the audience, but he is also self-satisfied, stubborn, scornful, arrogant, and seeks an unnatural level of control over the womanchild he has elected to marry, including the intention to keep her ignorant. If the above were a complete description of Arnolphe, the audience would be unlikely to adopt his POV and could consider his central position in the play as merely a function of Molière’s structural tour de force in which all significant action takes place off stage. But Molière complicates the situation by having Arnolphe develop and reveal feelings of love for Agnès and also suffering that his love is not returned. 19 And it is precisely genuine suffering that is a universal magnet for spectator sympathy. 20 Aside from a reference to Agnès as a small child (“[Elle] m’inspira de l’amour pour elle nité, moins indigné des iniquités qu’il voit, seroit-il plus humain lui-même? Autant vaudroit soutenir qu’un tendre Pére aime mieux les enfants d’autrui que les siens, parce qu’il s’irrite des fautes de ceux-ci, et ne dit jamais rien aux autres” (34). 19 “Ce qui est sûr, c’est que le spectateur a devant les yeux, en la personne d’Arnolphe, un homme qui souffre authentiquement” (Picard 772; see also Hubert 67 and Apostolidès 147). 20 If we have any doubt concerning the efficacy of suffering to arouse sympathy, Molière has taken pains to embed it within the play itself. The old woman recounts Horace’s affliction which she attributes to Agnès’s eyes (“C’est un homme à porter en terre dans deux jours,” l.526), thereby engendering sympathy in Agnès and inducing her to ignore Arnolphe’s explicit instructions to admit no one. Nina Ekstein 326 dès quatre ans,” l.130), a comment that we will read as innocent in order to not unduly complicate matters, Arnolphe shows no sign of affection for Agnès, much less of genuine love, for the first half of the play. He lectures her, instructs her, tells her she should feel enormous gratitude towards him, interrogates her, and repeatedly sends her off inside the house. 21 Whether in the opening scene with Chrysalde or alone in his numerous monologues, Arnolphe focuses primarily on unveiling or protecting his complex plan for obtaining a wife who will not cuckold him. It is only in Act III scene 5 that Arnolphe suddenly starts using the terms “amour” and “aimer” to describe his feelings for Agnès. The note of suffering that accompanies these terms is genuine: “Mais il est bien fâcheux de perdre ce qu’on aime” (l.993); “Elle trahit mes soins, mes bontés, ma tendresse, / Et cependant je l’aime, après ce lâche tour / Jusqu’à ne me pouvoir passer de cet amour” (ll.997-99). In the final two acts of the play, Arnolphe repeatedly expresses his love for Agnès and the suffering it has brought him. His anger is converted to love (“Et ces bouillants transports dont s’enflammait mon cœur, / Y semblaient redoubler mon amoureuse ardeur,” ll.1018-19); unaware of the notary’s presence he returns to the subject (“Je l’aime, et cet amour est mon grand embarras” l.1054); he even uses his pain to elicit the sympathy and aid of Alain and Georgette (IV,4). Arnolphe’s love and suffering reach their apex in his confrontation with Agnès in Act V, scene 4: he cajoles, he rails, he reprimands, he promises physical pleasure, all to no avail. The depth of his feeling is perhaps best confirmed by the concessions he is willing to make: Tout comme tu voudras tu pourras te conduire, Je ne m’explique point, et cela c’est tout dire. Jusqu’où la passion peut-elle faire aller! Enfin à mon amour rien ne peut s’égaler” (ll.1596-99). Through these two universal emotions, love and suffering, and despite everything else Arnolphe says and does, the spectator is led to sympathize with him, at least partially, during the almost two acts spanning from III,5 to V,4. The objection has been raised that Arnolphe is a comic character and that the spectator laughs at him, even when he suffers. Indeed, Molière mixes grotesque notes with the pitiful: “Écoute seulement ce soupir amoureux, / Vois ce regard mourant, contemple ma personne” (ll.1587-88), Arnolphe says to Agnès in his futile attempt to win her love. The problem of a comic Arnolphe as opposed to a sympathetic Arnolphe is however a false one. As Picard (778 and passim) and Clarke (126) understood very well, the 21 The three meetings between these two characters in the first three acts all end with Arnolphe telling Agnès “Montez là-haut” (ll. 241, 641) or “Rentrez” (l.806). Dramatic Point of View 327 two reactions of laughter and sympathy can coexist despite their seeming incompatibility. It may well be considerably more difficult for an actor, as opposed to a reader, to elicit the two reactions simultaneously, but to do otherwise and deliberately opt for either Arnolphe the buffoon or Arnolphe the tragic lover is to distort the play. Furthermore, as Picard notes, Molière complicates matters by giving Arnolphe two positive traits unrelated to cuckoldry, love, or suffering: he is a friend to both Chrysante and Oronte, and he is generous with his money when his friend’s son Horace appears (785). What is truly original here is that Molière impels us, through all the means we have described, to take the POV of someone who is largely antipathetic and then, relatively late in the play, he makes us feel sympathy for him. 22 In the case of Alceste, as we might conclude from the title and subtitle combined, Molière has created a jumble of a character. The variety of interpretations that he has received, both on the stage and in literary criticism is truly mind-boggling. Alceste’s contradictory characteristics have given interpreters great latitude and they have taken even more. 23 While direct reports of Molière’s acting in the role are lacking, several convincing arguments have been made supporting the idea that his Alceste was simultaneously appealing and ridiculous. 24 There exists little information about the role of 22 That sympathy may or may not be retracted in the last scenes of the play. Certainly, Arnolphe acts cruelly toward Horace and Agnès when Oronte appears, yet Arnolphe’s uncharacteristically laconic “ouf” leaves a great deal of room for the reader or the director/ actor to elicit sympathy or not. 23 Readers of the play have attached all manner of identities to Alceste. Descotes reports the following: “Le personnage a été conçu comme un véritable homme de bien (Rousseau), comme un janséniste (G. du Boulan), comme un socialiste (G. Renard), comme un jacobin et Philinte naturellement devient royaliste (G. Desmoulins), comme «le premier et le plus radical des républicains» (Sarcey) comme si par avance Alceste avait éprouvé une haine violente pour le Second Empire” (91). In the nineteenth century Alceste was glorified on moral grounds (L. Veuillot) (Albanese 91); more recently there has been an odd currrent of resistance to Alceste’s “charms” in the literary criticism of Guicharnaud, Hubert, Gossman, and Brody (Gutwirth 79). Indeed Gossman asserts that “no identification is encouraged” with any of the characters in the play (339). 24 First, the Duc de Montausier was delighted that everyone thought he was the model for Alceste, an unlikely reaction had Alceste been portrayed as merely laughable (Maber 130). Another contemporary, Donneau de Visé, suggests strongly in his Lettre écrite sur la comédie du Misanthrope that Molière avoided extremes: « le Héros en est le Plaisant, sans être trop Ridicule » (643). Herzel supports this reading of Molière’s interpretation by situating him and thus Alceste in terms of the actors playing Oronte and Philinte (355). Nina Ekstein 328 Alceste between Molière’s death in 1673 and the performances of the role by Baron (1720-29) (Sullivan "Actor's Alceste" 77). Baron played Alceste as a man of refined manners and went to great lengths to avoid appearing ridiculous, including delivering inconvenient lines as asides (Sullivan “Actor’s Alceste” 81). 25 Grandval (1710-84) continued Baron’s tradition of a thoroughly non-ridiculous Alceste, as did Molé (1734-1802) (Sullivan "Actor's Alceste" 494). The nineteenth century went even further in the same direction, depicting him as “a starkly tragic figure” (Sullivan, "Molé" 496; see also Albanese 98 and Descotes 109). Throughout the eighteenth and nineteenth centuries, Alceste was almost universally perceived to be largely sympathetic and not at all ridiculous. The contrast with Arnolphe may be illuminating. While both combine elements of the ridiculous and the tragic, Alceste does so throughout the play and he is a far more complex character than Arnolphe. 26 From the first, Alceste is endowed with an unusually large number of character traits and ideological or moral positions. 27 We could trace them through the play and label each as positive, negative, or questionable, but that would be to enter into the labyrinthine endeavor of laying claim to the “real” Alceste, and would do little to explain the construction of his POV in the play. For the sake of simplicity and to avoid debate, I want to severely limit discussion of Alceste’s character traits as the source of his POV, but to insist that he does have a claim to spectator sympathy through the specific trait of sincerity, a trait that has been and is held in universal high esteem. 28 In Alceste, Molière created a complex, multi-dimensional character who is virtually impossible to dislike, in part because he champions this universally respected value. 25 Curiously, Baron played Alceste immediately after Molière’s death (1673) in at least two performances and then reprised the role almost 50 years later in 1720! He continued as Alceste up until his death in 1729 at the age of 76. 26 While Arnolphe has on occasion been interpreted on stage as a tragic figure (see Descotes 32), the range of interpretations is far narrower than those Alceste has received. 27 In the first scene alone one can find evidence of the following traits: he is angry, stubborn, opposed to social hypocrisy, in favor of sincerity, possessed with sharp critical judgment, excessive, invested in moral values, happy to correct others, opposed to corrupt practices, inconsistent, self-confident, and possessive. 28 Indeed one could do a reading of the play as the triumph of sincerity: Eliante the good and pure is its champion: “la sincérité dont son [Alceste’s] âme se pique / A quelque chose, en soi, de noble et d’héroïque” (ll.1165-66). When declaring his love to Éliante, even Philinte supports sincerity: “je vous parle du meilleur de mon âme” (l.1214). Oronte too demands sincerity, however insincerely (I,2, of Alceste) or sincerely (V,2, of Célimène). And finally, Célimène is punished in the end for her insincerity towards her suitors. Dramatic Point of View 329 Furthermore, the playwright takes pains to underscore Alceste’s appeal within the play by having all three female characters, as different from one another as three women could possibly be, express romantic attraction to him. The appeal extends to males as well: Philinte is his devoted friend and even Oronte, although a complete hypocrite, makes amicable advances toward him. 29 And just as in the case of Arnolphe, the fact that we may well find Alceste ridiculous does not impede our sympathy for him. The consequences of interpreting Alceste as one or the other—ridiculous or sympathetic—are even greater than in the case of Arnolphe. Descriptions of eighteenthand nineteenth-century stagings make it clear that the play is distorted when Alceste is taken too seriously; a similar problem occurs if we only laugh at him. His charm, appeal, and the sympathy he arouses in others are central to the play. Worse yet, if we are prepared to dismiss him as merely ridiculous, as Gutwirth noted, we ally ourselves with Acaste and Clitandre “dont le rire perlé est d’un redoutable voisinage” (78). As in the case of Arnolphe, paradox may be the most fruitful course. As Molière himself said, “II n’est pas incompatible qu’une personne soit ridicule en de certaines choses et honnête homme en d’autres” (La Critique de L’École des femmes, scene 6). In both plays then, the POV is lodged in a character who who combines sympathetic and ridiculous traits, thereby offering some degree of resistance to the spectator’s adherence. It is clear that both Alceste and Arnolphe, albeit in very different ways, combine the tragic and the comic in their characters. Molière takes pains to integrate tragic traits, particularly tragic language, in his depiction of Arnolphe, mixing them freely with the comic plot of cuckoldry. Throughout, Arnolphe seems to be the victim of what he sees as tragic fate, combined with what the audience sees as the comic, but equally sad, fate of almost any rival to a far younger man. Whereas Molière juxtaposes comic and tragic in L’École des femmes, in Le Misanthrope he avoids the issue entirely by creating a character and a play that belong comfortably to neither category. The more general question remains whether a protagonist must have at least some serious, if not tragic, characteristics in order to be a POV character. Barko and Burgess find that “une distance . . . infranchissable nous sépare de tout personnage comique” (48). I think that they are correct in those cases where the comic character offers so few human traits that the audience can feel no sympathy for him or her, but I believe they go too far when they present characters in Le Misanthrope and Le Mariage de Figaro in those terms (38 and 48). I think it is safe to conclude that one is more likely 29 Goodkin calls Alceste “an object of universal desire” (560). Nina Ekstein 330 to encounter a POV character in a tragedy than in a comedy, but that the seriousness of subject matter is by no means determinant. A curious variant of sympathy for the POV character is what Picard calls biographisme (775), a critical stance popular from the nineteenth to almost the mid-twentieth century. In such a reading, characters stand in for the author. The most frequent focus of such biographical interpretations is Molière’s marriage to the much younger Armande Béjart. Molière is identified with both Arnolphe and Alceste and the two plays are read as explorations of the playwright’s marital difficulties (see Herzel 363). Picard does an excellent job of demonstrating the ill-founded nature of such biographical associations (774-75). The fact that audiences saw Molière and his real-world concerns in the characters of Alceste and Arnolphe suggests, however, the dominance of their POVs in their respective plays. * We have set out first a series of structural features associated with the establishment of a POV character and second we have examined the vital role of audience sympathy. We move now to the third consideration: the character as a construct and specifically how its interiority and vitality are developed to create a locus of POV. Audience reaction is implicated once again insofar as this category of features concerns access to the human traits of the character. The audience’s role, however, is far more passive and thus considerably less problematic than was the case for audience sympathy. In order to adopt the POV of a character, it is imperative that the audience has evidence of interiority suggesting a reasonably complex individual. That complexity can be constructed in several fashions, the simplest of which involves knowledge about the character. Is the audience provided with information about him or her beyond what we see on stage? Philinte’s account of Alceste’s visit to the maréchaux (IV, 1), discussed above, provides us with a glimpse of his conduct outside of the context of Célimène’s salon. We also learn that he has a propensity to become embroiled in lawsuits. Far more interesting is what Molière does with Arnolphe. First, he employs a récit, as in Le Misanthrope, but here it is homodiegetic and involves pre-dramatic and not offstage, action. Arnolphe recounts at some length in the first scene how he acquired Agnès (ll.129-48). The audience may well be put off by his conduct and attitude, but we get know him better; he takes on greater depth because we know something of his past. A homodiegetic récit will work more effectively to abet POV formation than a heterodiegetic one because the speaker is quite literally providing his or her perspective on events that have occurred off stage or in the past. Furthermore, Molière embeds the subject of knowledge in the play itself, as Arnolphe both seeks Dramatic Point of View 331 to keep Agnès from knowledge (writing, men, etc.) and also strives to know much more than those around him (“J’en veux... apprendre / Jusqu’où l’intelligence entre eux [Horace and Agnès] a pu s’étendre,” ll.379-80). The question of superior knowledge is thorny and has a bearing, however inconclusive, on POV. It happens fairly often in theater that the audience knows more than a given character, even more than a POV character: thus we have dramatic irony in its basic form. Does such superior knowledge undermine the POV character’s status as such? According to Harris, d’Aubignac found that “any superior knowledge on the spectators' part actually risks hindering their [the spectators’] emotional interest and engagement” (Harris 147-48). Indeed, it would seem that such superior knowledge on the part of the audience is a distancing factor, making it difficult to see the play’s action through the POV character. Yet the classic example of dramatic irony, Œdipus Rex, is explicitly mentioned by Souriau and Barko and Burgess as containing in Œdipus a dominant POV character. Souriau ties the detective plot of the play to the notion of POV and is categorical about Œdipus’s role: “L”action est solidaire de son point de vue et l’impose” (129). Yet who has ever seen or read the play unaware of what Œdipus will discover? The same holds true for numerous seventeenthcentury tragedies based on widely known classical sources. Despite the audience’s superior knowledge then, Œdipus remains the POV character for whom the audience feels sympathy and through whose eyes we experience the dramatic action. Le Misanthrope contains no examples of dramatic irony and thus the issue of superior knowledge is not raised, but L’École des femmes displays dramatic irony on two distinct levels. First, superior knowledge and dramatic irony indisputably abet the construction of Arnolphe as the POV character in III,4, IV,6 and V,2, scenes in which Horace recounts what Arnolphe already knows because the young man is unaware that the older one is in fact Monsieur de la Souche. The audience shares Arnolphe’s superior knowledge. Arnolphe makes Horace a victim of his irony when he makes comments to the young man such as, in relation to taking charge of Agnès on Horace’s behalf in V,2, “Et je n’ai jamais rien fait avec si grande joie” (l.1441). Horace hears a friend’s generosity while the audience understands that Arnolphe is using his words’ polyvalence to express his diabolical glee. In III,4, as Horace laments the problems he encounters in his courtship of Agnès, Arnolphe, seeming to revel in his superior knowledge and accentuating the dramatic irony, asks the young man,: “D’où, diantre, at-il [M. de la Souche] sitôt appris cette aventure? ” (l.863). When the audience shares knowledge with an onstage character at the expense of another character, as is so often the case in this play, a certain complicity is created between the knowledgeable character and the audience (see Barko Nina Ekstein 332 and Burgess 19-20). Second, we find what I call authorial dramatic irony, wherein the author establishes complicity with the audience through words spoken by a character, words whose full significance the speaking character is unaware of (see Ekstein 19-24). Here Arnolphe is Molière’s victim and the audience’s knowledge is superior to the protagonist’s. On several occasions, Arnolphe makes a comment that he doesn’t mean but that later proves to be true. For example, he reassures Horace that everything will work out, saying “la fille [Agnès], apres tout / Vous aime. ...Vous en viendrez à bout” (ll.890-91). Does this situation undermine Arnolphe as the POV character? One could argue that it does because the superior knowledge is shared by the playwright and the audience. Conversely, one might say that Arnolphe’s centrality is heightened by his seemingly supernatural power to influence events, despite the fact that he is unaware of it. 30 Thus superior knowledge may be read to enhance or to undermine character POV. We arrive finally at what is probably the most crucial feature of a POV character: internal focalization. Unless we have reliable evidence of what the character is “thinking” and “feeling,” it is impossible to perceive the dramatic universe through his or her eyes. Barko and Burgess put it well when they say: “Plus on nous laisse pénétrer profondément dans la vie intérieure d’un personnage, plus nous aurons tendance à adopter sa perspective” (20). The term internal focalization is a narratological one, coined by Gérard Genette, and has a different meaning in narrative, in cinema, and in theater. 31 Because we are relying on the playwright’s text rather than any performance, internal focalization in theater must be expressed strictly 30 A variant of this peculiar type of dramatic irony involves the allusions to mythological figures that come out of Arnolphe’s mouth but are likely attributable to Molière instead: Arnolphe seems to allude to Oedipus as he plans to discover from Agnès and his servants what transpired during his absence, “Et l’on cherche souvent plus qu’on ne veut trouver” (l.370); he sounds like Odysseus when he reflects on the folly of having left Agnès alone: “Éloignement fatal! voyage malheureux! ” (l.385); we hear an echo of Pygmalion when Arnolphe talks about molding Agnès like a “morceau de cire” (l.810). Once again Arnolphe would appear to be Molière’s comic victim, yet he is simultaneously placed in exalted company. 31 According to Gerald Prince’s Dictionary of Narratology, internal focalization is “a type of focalization whereby information is conveyed in terms of a character’s (conceptual or perceptual) point of view” (45). In narrative internal focalization means that we are dealing with a single character’s perspective. In cinema, “the most common type of internal of focalization in film is the: point-of-view” shot, which shows the perceiver and the object, person, or event perceived in successive shots” (Hedges 290-91). Dramatic Point of View 333 through speech. It stands to reason that abundant speech might be positively correlated with internal focalization. But not just any speech will suffice; there must be evidence of both intimacy and reliability. There are two different types of internal focalization in these plays, one a matter of content and the other of structure. The content is generally emotional: expressions of strong feeling are central to the establishment of interiority for the character. The more complex and nuanced such emotions are, the more convincingly vital is the character. 32 The contrast between Alceste and Célimène is instructive. Alceste’s sincerity along with his impassioned tirades and his anger work to create substantial internal focalization. 33 I alluded earlier to the enormous range of interpretation and disagreement that the character of Alceste has occasioned, and I do not want to rely on my personal interpretation of Alceste in order to prove my point. Rather we will add to Alceste’s agreed-upon characteristics—sincerity and abundant speech —the telling contrast of Célimène’s absence of internal focalization. Almost everyone would concur that she never reveals her inner thoughts and feelings. Her cousin Éliante, when faced with the most obvious question about Célimène—whether she loves Alceste or not—cannot answer for certain: “C’est un point qu’il n’est pas fort aisé de savoir” (l.1180). Célimène carefully hides behind social discourse, flattery, flirtation, and irony so that all internal focalization is blocked. I do not mean to suggest that Célimène is not a vital character; merely that she does not provide enough information about her thoughts and feelings that we might see the world through her eyes. 34 Furthermore, reliability is as serious an issue for her (accused of 32 Molière furnishes several examples of characters who have a dominant role in terms of speech and presence but who do not, through their lack of internal development, rise to the level of a POV character: Mascarille in L’Étourdi, Harpagon in L’Avare, or Eraste in Les Fâcheux. L’Avare’s Harpagon, for example, expresses considerable emotion, but it is neither complex nor nuanced, and it is all directed toward money and thus away from his humanity. The mechanical rigidity of his emotional reactions also suggests an absence of thought and human feeling (see Bergson 8 and passim). 33 Sullivan notes the success of Molière’s creation in this regard: “Alceste is a complex character, and it is precisely this complexity which makes him seem so real and so human that he has come to be considered as an actual person who has an existence entirely independent of the play of his creator” ("Actor’s Alceste" 75). 34 While certainly not the POV character, Agnès in Act II, scene 5 provides considerably more internal focalization when she describes her reaction to Horace’s wooing: “Et dont... / La douceur me chatouille et là-dedans remue / Certain je ne sais quoi dont je suis toute émue” (ll.562-64). There are quite a few such examples in that scene. The contrast with Célimène is striking. Nina Ekstein 334 being a coquette) as it is for Tartuffe, the hypocrite. And without reliability there can be no credible internal focalization. The structural features of internal focalization are less open to debate and interpretation than the content-based. It may be presumed that a character alone onstage (or even in the presence of a confidant) is sincere. Whatever other functions a monologue may have, surely one of the most important is reliability. Nothing precludes a monologue from being the expression of a character’s delusions, but it will present sincere, internally focalized delusions. The presence of monologues in L’École des femmes is exceptionally large. Magné counts fourteen for a total of 204 lines (127), all belonging to Arnolphe. One of the primary organizing principles of L’École des femmes, monologues are a copious source of internal focalization for Arnolphe. Through them the audience learns of his plans, his precautions, his preening, his hubristic pleasure at manipulating Horace, and his pain when his plans go awry. These monologues function as a structural counterpoint to the numerous récits in the play. The latter carry the action of the play which in large measure occurs off stage, while the monologues work to make Arnolphe’s POV dominant, despite the fairly complex comic plot. Arnolphe’s internal focalization involves a strong intermingling of content and structure: in his monologues he often expresses his inner thoughts and feelings. The internal focalization is thereby strengthened. In the case of Alceste, Molière relies on content as there are no monologues at all in the play. The abundance of character traits attributed to Alceste as well as his highly emotive nature compensate for their absence. A second structural feature that works to enable internal focalization much in the same way as the monologue is the aside. One character speaks, and by convention, no one else on stage may hear what he or she says, while the audience can. 35 While asides may have a variety of functions, Fournier notes that, “Nécessaire, l’aparté l’est aussi à la représentation des passions, parce qu’il est avec le monologue le moyen privilégié de pénétrer dans l’âme du personnage” (56, see also Larthomas 381). As in the case of monologues, Arnolphe employs them while Alceste does not. In his first scene with Horace, Arnolphe reacts to learning what has transpired during his absence with the aside, “Ah! je crève” (l.327), while in his long scene with Agnès in the second act, he expresses his anguish in side comments such as “Ô fâcheux examen d’un mystère fatal, / Où l’examinateur souffre seul tout le mal! ” (ll.565-66). The abundantly self-directed voice of 35 There is a dialogic variant of the aside, in which the aside may be audible to one other character on stage as well as the audience, but it is not pertinent to our discussion. Dramatic Point of View 335 Arnolphe is a reflection of the dominance of his point of view. Arnolphe illustrates an oblivious verbalization of internal focalization in his scene with the notaire (IV,2) where he is so preoccupied with his own thoughts and feelings that he is unaware that someone else is conducting a conversation with him. Thus Molière creates internal focalization for the two characters through largely different means: Alceste through the abundance of character traits including, crucially, sincerity along with numerous expressions of emotion, and Arnolphe through the structural features of monologue and asides as well as his own emotional language. The issue of internal focalization is tied to who may or may not be considered for the role of POV. While I hope I have left no doubt as to Alceste’s and Arnolphe’s claims to that position, it may be enlightening to consider why certain other characters in the two plays are precluded from taking that role. Characters do not exist in a vacuum but in a network of relations. In L’École des femmes the only other possibility is Horace. With 343 lines, his role is a substantial one; furthermore he speaks a higher percentage of the time he is on stage than does Arnolphe (60.4% versus 50%). He is the young lover and thus his eventual triumph is generically assured. However, there is little internal focalization: it is only in the final act that we learn that he truly loves Agnès (V,1) and that he suffers at the prospect of being separated from her (V,6). Perhaps most important is Horace’s lack of intelligence: he is incapable of recognizing the increasingly obvious fact that Arnolphe is the source of the all of the obstacles he encounters. It is possible that unintelligent characters do not play the role of POV because of the limitations such a perspective would necessarily entail. 36 Furthermore, the audience would be reluctant to identify with an unintelligent character. The situation in Le Misanthrope is somewhat more complicated, in part because the play does not rely on a standard plot. Philinte shares the incipit position with Alceste, speaking almost as much as the latter in the first scene (45% of the lines versus 55%). Souriau is not alone in feeling that “Philinte... devrait nous plaire, et nous amener à juger Alceste de son point de vue” (133; see also Melzer 141). While he speaks little overall—almost half of his lines are spoken in this first scene—he is on stage for 60% of the play and thus could serve the rational judgmental role advocated by Souriau and Melzer. He even provides at least some degree of internal focalization, sharing his social philosophy and his feelings for Éliante. However, Molière undermines Philinte’s claims to the POV position 36 Another such example would be Britannicus. Racine may have given him the privilege of the title of the play, but his grasp of the political situation—in tellingly marked contrast to Junie—is almost non-existent. Nina Ekstein 336 by making him thoroughly uninteresting (“tiède” according to Barko and Burgess 36-37). As in the case of Horace and Arnolphe, Philinte functions in contrast to Alceste, and set side by side, Philinte has the advantage only when it comes to self-control. Otherwise, he pales in comparison to his friend and stands on morally questionable grounds when he supports social hypocrisy. The second option for POV character in Le Misanthrope is Célimène. Her role is a more sizable one than Philinte’s (341 lines) and certainly a more central one to the plot insofar as she is the object of desire. She too has had her advocates, ready to brush Alceste aside in her favor as the central character in the play (Melzer 140 and to some extent Brody 572-73). Indeed, the famous portrait scene (II,4) constitutes a significant threat to Alceste’s POV and offers a real, albeit temporary, alternative. First, the space is Célimène’s and, as Gaines points out, in the portrait scene she physically occupies “the central ocular and hierarchical location from which all the details of society assume their highest meaning” (73). Second, through her critique of her peers she explicitly imposes her POV and it is accepted by most of the characters in attendance. Alceste, as we noted earlier, is silent for much of the scene. However, the delay in Célimène’s appearance on stage—she arrives at the beginning of the second act—makes it hard for us to adopt her POV. Even more important is the complete absence of internal focalization: as we described above, the audience has no access to Célimène’s true thoughts and feelings. 37 Thus Molière arranges matters so that there both is a POV character in each of these two plays and little doubt about who it might be. * That Molière was conscious of playing with the notion of POV is clear in L’École des femmes. One has only to contrast this play with the earlier L’École des maris (1661). The latter offers a similar plot in which an older man (Sganarelle) seeks to marry his much younger ward but she succeeds in marrying the young man who has caught her fancy despite the numerous efforts of the older man to prevail. In L’École des maris, however, we do not perceive the situation through Sganarelle’s eyes. He is merely the blocking character and while he is accorded a substantial role (he speaks over 42% of the lines and is on stage for 87% of the play), it is one that neither elicits 37 Others have noted this lack of internal focalization: Célimène “supprime [..] toute intériorité au profit d’un échange de formules creuses” (Apostolidès 153); “Par un singulier paradoxe, cette coquette [Célimène] se trouve la personne la plus en vue, en même temps que celle qu’on connaît le moins” (Collinet 95); Célimène, derrière l’écran des mots, est strictement inaccessible” (Vernet 176). Dramatic Point of View 337 the audience’s sympathy nor provides nuanced internal focalization. Molière further undermines any possibility of Sganarelle being the POV character by giving him an older brother who is more wise, generous, and understanding, and with whom he must share the opening scene. In L‘École des femmes, not only does Molière make Arnolphe the POV character for the audience, but he also develops a metaphorical extension of the notion of POV within the play itself. In a curious parallel to Molière imposing Arnolphe’s POV on the audience, Arnolphe attempts to impose his POV in turn on those around him who are less powerful than he. While his pedagogical efforts may be viewed as merely efforts at persuasion—which is not what we mean by POV—it is still noteworthy that Molière has embedded the notion of perspective in Arnolphe’s dealings with others. Specifically, Arnolphe instructs Agnès, literally putting his own words in her mouth through the maxims he makes her read aloud (III,2); later he attempts to make Alain and Georgette share his fear of public embarrassment: “On veut à mon honneur jouer d’un mauvais tour; / Et quel affront pour vous, mes enfants, pourrait-ce être, / Si l’on avait ôté l’honneur à votre maître! ” (ll.1095-97). In Le Misanthrope Molière moves from his earlier largely playful stance in L’École des femmes into a more serious examination of the possibilities entailed by a dominant character perspective. And we might speculate that it is precisely the complexity of the construction of Alceste as POV character that has led to the endless debate about Alceste’s character (comic, tragic, laughable, admirable, etc.; see Yarrow 314 and passim). The play’s originality is grounded at least partially in the issues tied to the POV character. The notion of the single, dominant POV has provided an initial path into a consideration of what it might mean for a POV to exist in theater. While obviously unable to examine the subject exhaustively here, I have set down what I believe to be the three basic requirements for a POV character: 1) speech and presence, 2) sympathy and perhaps some degree of identification, and 3) interiority and vitality. It is important to recognize at this point that plays with a dominant POV character are rare and that their scarcity is hardly an accident. Theater adopts the strength of its very form when it favors multiplicity: multiple speakers onstage, multiple characters with a claim to audience sympathy, internal focalization for multiple characters as well. The play as a whole, however, loses its POV through such multiplicity. Which is not to say that this study is a waste of time. Analyzing POV in theater opens a special perspective on how a play is constucted and how it approaches its audience. By considering the extreme case, we are made more aware of how characters are brought to the fore through any one or a combination of the features we have identified and examined. Nina Ekstein 338 On more than one occasion, for example, Corneille opens his plays with female characters, alone or with their confidant, who draw the audience in powerfully to their POV with tirades that provide abundant internal focalization and elicit audience sympathy through their expression of emotional distress (e.g., Émilie in Cinna and Sabine in Horace). Elsewhere, there are numerous characters who satisfy conditions 1) and 3) but not 2); that is, they are abundantly present, speak a great deal and provide plentiful signs of inner life, but do not engender our sympathy. One thinks of Cléopâtre (Rodogune), Attila, or Racine’s Mithridate. Certain characters cannot claim the incipit, which is tied to the first requirement of speech and presence, because they come on stage after another character has made a bid for audience sympathy (e.g., Auguste in Cinna or Sertorius). Understanding POV in theater as composed of these three elements allows us to better understand reduced variations and the purposes they may serve dramatically. We may also consider POV on a micro rather than a macro level: one character’s POV may strongly dominate an act, for example, only to cede to another or to multiple POVs elsewhere in the play. Act II of Britannicus is dominated by Néron, although audience sympathy for him is doubtful; Mithridate commands the third act of his play, and Agamemnon the first of Iphigénie, yet none of the three dominate their respective plays. The notions of alliance and conflict offer further possibilities in conjunction with POV. In Corneille’s Nicomède, the strong unity between the eponymous hero and Laodice work to create a joint POV. In Le Cid Rodrigue’s status as the dominant POV is contested by Chimène, as Alceste’s was, at least initially, by Philinte. In a different vein, Hippolyte, rather than opposing Phèdre directly or allying himself with her, acts as her double through their common experience of suffering and desire (or suffering desire). The resulting contrast between them, however, only serves to draw attention to Phèdre and away from Hippolyte. He pales beside her. Molière seemingly played with the possibilities of POV throughout his career as a playwright. Most of Molière’s plays, however, involve variations that undermine the possibility of a dominant POV. Argan (Le Malade imaginaire), like Harpagon (L’Avare) mentioned above, is too limited in his range of human emotion. He also shows signs of limited intelligence (reminiscent of the problem we noted about Horace) insofar as he allows himself to be manipulated by his wife, his doctors, his daughter, and her beau, thereby jeopardizing the possibility of audience identification. Dom Juan overwhelms us with his presence and words, but he arouses little sympathy and provides no indication of what his emotions might be. While few playwrights have chosen to go this far, particularly in seventeenth-century France, the possibility of a single character POV Dramatic Point of View 339 dominating an entire play exists, as I hope I have convincingly demonstrated. Seeing the dramatic universe through the perspective of Arnolphe or Alceste imposes an exceptional angle on the play’s action. In both L’École des femmes and Le Misanthrope the dominant POV imposes an unfamiliar perspective on the audience: Arnolphe because the traditional comic plot typically places the POV with the naturally sympathetic young lovers, and Alceste because he is such a singular, immoderate character. Dramatic conflict is by no means sacrificed on account of a dominant POV, but the audience’s freedom to choose sides—freedom that may be limited or controlled in many other ways as well—is foreclosed. But it is precisely the imposition of that specific angle on the entire play that makes such plays stand apart, makes them take on an additional layer that overlies the entire play and colors everything through the remarkable degree of intimacy with the POV character’s perspective. While a dominant POV is by no mean a guarantor of a great play, the enduring stature of L’École des femmes, Le Misanthrope, and Phèdre is at least in part a function of their use of a dominant POV. Works Cited Albanese, Ralph, Jr. Molière à l’Ecole républicaine. Saratoga, CA: Anma Libri, 1992. Apostolidès, Jean-Marie. Le Prince sacrifié. Paris: Minuit, 1985. Barko, Ivan and Bruce Burgess. La Dynamique des points de vue dans le texte de théâtre. Paris: Lettres modernes, 1988. Bergson, Henri. Le Rire. 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PFSCL XLI, 81 (2014) The Princess and the Death of Clèves J OHN P HILLIPS In the well-known plot of Mme de Lafayette’s Princesse de Clèves a beautiful young princess comes to the court, is married to a man, the Prince de Clèves, whom she does not love, but then falls passionately in love with the most attractive, seductive noble at court, M. de Nemours. She struggles mightily and dutifully against this overwhelming passion, but as the love becomes more and more powerful, she decides that her only protection against it is to confess this love to her husband, which she thinks is a reasonable course of action because she has never acted on these feelings, that is, has not had an affair with Nemours. Her confession has the opposite effect from that which she needed and expected, and her husband’s jealousy grows to the point where he soon despairs and dies, accusing her in their last talk of having caused his death because of the adultery he believes she committed with Nemours. After her shock and deep grief at his death, she ultimately decides, though she is now a widow, to reject Nemours’ love and to withdraw from the court. Much has been written about her rejection of Nemours but without any critical consensus having been reached. This paper focuses on two passages, immediately before and after Clèves’ death, in order to see if these passages provide some help in understanding her final decisions. 1 As one critic has noted: The heroine’s reasons for doing what she does at the end of the novel are another source of openness - that is, readers have come up with many different explanations of her action. In this way, Lafayette remains true to the idea that the “secret” side of history is more important; she gives us the public account of what becomes of the Princess and thus stimulates our analysis of the motives and our assessment of the justification of what she has done. 2 1 This paper would not have been possible without the help of Georgette S. Kagan. 2 Lyons, 115, “Editor’s Afterword”, The Princess of Clèves. John Phillips 344 The emphasis in this paper is not so much on why she rejects Nemours as it is on how she thinks about Clèves’ death as part of this rejection. The method followed recalls an observation made by Cuénin: “pour une approche objective, interrogeons attentivement le texte”, 3 though here there is no claim to any more or less “objectivity” than others have attained. When the Princess 4 finally realizes that Clèves, in their last talk (162- 163 5 ), just before he dies, is accusing her of being the cause (“cause") of his death because of crimes (“crimes”) (i.e. adultery) she committed, she, shocked and indignant, objects in the strongest possible way. Shortly thereafter (164 6 ) however, once he has died, she accepts that she did cause his death, though she knows full well (as do the reader and Nemours) that she did not commit adultery, the basis of his accusation. To attempt to understand this change, this paper will examine what one learns about her thinking right before and right after his death, as this is apparently when she changes her mind. It will consider (A 162-163) whether her indignant objection (“Moi, des crimes...”) is accurate, whether she is correct about the relationship between her conduct and la vertu la plus austère, and about whether she is likely to have wanted Clèves as a témoin (“witness") of her actions as a way to prove his accusation false. It will then consider (B 164) her attitude toward and evaluation of her mari (“spouse") Clèves, and how this may be related to her change of mind, for after his death this is the factor emphasized when one learns that she has accepted that she is the cause of his death. Her acceptance of being the cause is crucial for the remainder of the work as it will be a prime element in her rejection of Nemours. Not much 3 Campbell, 8, quoting M. Cuénin “La mort dans l’œuvre de Mme de Lafayette", PFSCL, 10 (1978-1979), 89-119 (p.107). 4 All references are to the text of Adam. 5 “Moi, des crimes! s’écria-t-elle; la pensée même m’en est inconnue. La vertu la plus austère ne peut inspirer d’autre conduite que celle que j’ai eue; et je n’ai jamais fait d’action dont je n’eusse souhaité que vous eussiez été témoin” (162-163). 6 “Il languit néanmoins encore quelques jours et mourut enfin avec une constance admirable. Mme de Clèves demeura dans une affliction si violente qu’elle perdit quasi l’usage de la raison. La reine la vint voir avec soin et la mena dans un couvent sans qu’elle sût où on la conduisait. Ses belles-sœurs la ramenèrent à Paris, qu’elle n’était pas encore en état de sentir distinctement sa douleur. Quand elle commença d’avoir la force de l’envisager et qu’elle vit quel mari elle avait perdu, qu’elle considéra qu’elle était la cause de sa mort et que c’était par la passion qu’elle avait eue pour un autre qu’elle en était cause, l’horreur qu’elle eut pour elle-même et pour M. de Nemours ne se peut représenter.” (164) The Princess and the Death of Clèves 345 critical attention 7 has been given to why she here agrees that she is the cause, nor does the narrator here clarify this. Before proceeding, certain objections as to whether this matter deserves attention perhaps should be anticipated. One might object that there is no contradiction between (a) the Princess first adamantly insisting to Clèves that she did not commit any crimes and (b) soon accepting that she has been the cause of his death. One then would need to explain why she takes his accusation so seriously, vehemently denies it in detail, yet shortly thereafter simply and fully accepts being the cause without explaining why she has changed her mind. One also might object that the inconsistencies in her defense are simply examples of her faiblesse (“weakness") and have no other importance. To support this, one would have to account for the significant fact that these many “mis-remembered” weaknesses are implicit in her self-justification to a dying husband who is accusing her of causing his death by her deception and adultery. It seems she is asking (if not insisting) that Clèves (and the reader) review her past actions because she is certain they prove her innocence and that they support the claims she makes about them to Clèves. When one does so (and if Clèves had done so) it seems that they do not support what she thinks they do. Elements in one common critical interpretation of her situation might at first seem to help explain her initial rejection of his accusation and how this rejection relates to her accepting being the cause of his death. In this interpretation she experiences alternating periods of lucidity and blindness, and at times is deluded by passion into thinking that what she is doing is morally correct, though subsequently she realizes this was not so. Because she has a false sense of her own virtuousness, she can become self-satisfied and aveuglée (Raitt 93) about her actions. She at times creates a brume 7 Rendall examines some of the same material covered in this paper but from a different perspective and with a different goal. He is concerned with how vraisemblance functions in romance and in the novel and how the fact that these overlap in this work leads to the probems the Princess and Clèves have. In effect they are trying to tell a story governed by vraisemblance but the material they have to work with belongs to the genre of the romance. This is all part of the difficulty which is encountered in trying to answer what, we are told, is the question posed by the novel, namely, whether we can be held morally responsible for the consequences of other people’s perception of our behavior. Thus the proximate cause of Clèves’s death is “his perception, based on a plausible but false extrapolation from the available evidence, that the Princesse betrayed him”, and so the “prince is the victim of an epistemological error”. Rendall then goes on to consider how the Princess can accuse Nemours of Clèves’ death and the justifications for this that she uses. John Phillips 346 mentale to hide her thoughts from herself (Doubrovsky 43) because her lucidity often s’ignore, and as a result she surrounds herself with mensonges honnêtes and with prétextes bienséants (Pingaud 95). She often surprises herself with all kinds of menues complaisances plus ou moins nettement consenties but when passion surges up, it causes a désordre which produces actions she later does not recognize as her own (Mesnard 48). When therefore she rejects Clèves’ accusation and alleges her past conduct as proof of her innocence, this interpretation might suggest that, since she is not transparent to herself, conceals things from herself, and so does not “know” things about herself, etc., she therefore can cite as proof of innocence these (incorrectly remembered) past actions. Even if, however, one agrees that the reason for her “mis-remembering” is the brume mentale which allows for the menues complaisances etc. and which might also allow for a tacit change of mind on her part, something is still missing. The fact that Clèves dies is one of the decisive events in the novel and so how she understands it is crucial for how we understand her and the novel. We do not learn, for example, that at some point during Clèves’ dying or after his death she somehow reached a greater self-awareness, or a different view of these past actions, or that she changed in some other way, and therefore has come to accept that she was the cause of his death, as he claims she is. Even though she did not commit adultery and even though her claims to Clèves concerning her innocence, her virtue, and her control over her emotions may be inaccurate, we still do not learn why, or how, or even if, this is what leads her to accept being the cause of Clèves’ death here. Some abbreviated comment at the end of this paper will be given to two things she seems to have added in regard to the cause of Clèves’s death and to his last words. She several times insists to Nemours that he too was the cause of Clèves death, equally as much as she was, and explicitly says Clèves accused him of this. She also claims several times that Clèves specifically asked her not to marry Nemours, but the reader has Clèves last words, and he did not make the statement she says he did. These two claims therefore appear to be things she added or inferred or imagined. In a preliminary look at the first (A 161-163) passage, it is not immediately evident why she accepts Clèves’s accusation. 8 He thinks that she has committed adultery with Nemours, falls sick as a result, and dies. But the reader knows he was mistaken; the gentleman spy was not certain what happened when Nemours entered the grounds and he made this clear. 8 Brady, 524-525, claims that her seeing herself as the cause fits into the original “no love script” of Transactional Analysis, which will soon be battling the “counterscript”. The Princess and the Death of Clèves 347 Clèves misinterpreted the spy’s countenance before the spy reported anything, and drew the wrong conclusion. Clèves accuses her in their last talk but she does not comprehend what he is saying until he utters the word crimes, which upsets her and compels her to try to explain and to justify herself. Before he dies he says he wants to believe her, but he dies believing she was the cause, since he never says that she convinced him (Haig 129, Judovitz 1049-1050, Shaw 227). She, of course, also knows that she did not commit adultery, which is one reason she does not react to what he is saying until she hears the word crimes. And yet she soon (164) accepts that she was the cause, and, significantly, decides that Nemours was the cause as well, though Clèves did not say this. To connect this denial to her acceptance of being the cause, the reader might suppose 9 that though she did not actually commit adultery, she somehow believed that she had done so in fantasy or in thought if not in reality, and so perhaps felt fear, guilt, shame, etc. As plausible as this may seem, nowhere here is it explicitly pointed to as a motive, either by the Princess or by the narrator. 10 She is passionate about Nemours and he about her, and many critics are persuaded that the scene with the canne (“cane") clearly showed the erotic character of her thoughts. 11 Nemours’ invisible presence 12 in that scene makes clear that the elements of that scene are highly erotic, that he and Clèves are, and have been, rivals. The artistic necessity for Nemours’ presence there is that it allows the reader to know that, just before their last talk, (160) Nemours experiences (157) transports as he anticipates the nouvelles expériences, the bonheur, the plaisirs he imagines he and she will share because of the liberté they will enjoy once 9 See the above-mentioned common interpretation. 10 Francillon, 176-177, thinks she is culpable morally for his death even though she always resisted the temptation to adultery, since from a Jansenist perspective you are responsible for all your acts, conscious or not, and he cites Pascal Provinciales IV. But he fails to show where in the text it is stated or implied that she thinks this way, and of course Lafayette never says this is a Jansenist work. 11 See for example Francillon 168, Malandin 93, Valincour 121, Mesnard 43-44, and Niderst 93. And contra see Kaps 51-52. 12 One could argue that one of the reasons (i.e., one of Lafayette’s literary purposes) Lafayette intentionally has Nemours secretly witness both this scene with his canne, his portrait, etc., as well as the scene of the confession, is precisely to impress upon the reader, to not let the reader forget, that these scenes are not innocent and empty of sexual content, which the reader might more easily be inclined to do if these scenes were only described by the “neutral” narrator. See Francillon 111, and Rousset 26-27. John Phillips 348 Clèves dies, all of which highlight the sexual character of their passion. 13 She cannot acknowledge clearly to herself, let alone publicly manifest, any such pleasures as Nemours shows, but she has shown plenty of wavering and clearly has passionate sexual feelings for him which terrify her and threaten her sense of self-control. Nemours’ “invisible" presence importantly allows Lafayette to keep prominent, right before the Clèves last conversation, what the Princess knows but has difficulty acknowledging, i.e., the sexual nature of the feelings she and Nemours have for one another. 14 This perhaps is meant to suggest the guilt etc. which might have been the basis for her accepting that she is the cause though this is not explicitly presented here in the text as the reason for her change of mind. In a preliminary look at the second (B 164) passage, where the reader first learns she accepts being the cause, the narrator does not reveal what the she was thinking in her affliction while at the convent. She must have come to the realization that she was the cause, otherwise she would not have accepted his claim, but the only change the reader is aware of is that Clèves is now dead. The explanation we are told she herself gives here of why she is the cause does not match Clèves’s understanding. Her train of thought was: what suffering she feels, what a spouse she has lost, she is the cause of his death, it was the passion she felt for another which made her the cause. Clèves’s train of thought however (161-162) was different: although he is her spouse, he loves her like a lover, he is heart-broken because she never loved him, and yet she does love another and has confessed it to him, but then she committed a crime, adultery, so she is the 13 Nemours’ anticipations here might be thought to contribute to a negative view of him, as he would be wishing for the death of his rival, her husband. So, too, earlier (134-135) Nemours had tried to harm Clèves by suggesting to the Princess that, contrary to her claim, a jealous husband would indeed have a reason to publicize an confession such as hers, though Nemours knew very well that Clèves, on that occasion, had done no such thing, and Nemours only suggested Clèves did so in order to strengthen his own position. 14 And the reader’s view of Nemours is perhaps not only negative. In general he is often seen by others (the mother, the Reine-Dauphine) as incapable of changing his attitudes and behavior as regards women, but at the very end, he ultimately is more faithful (at least comparatively speaking) than might have been expected and does not look for someone else to love, as happens for example at the end of the Princesse de Montpensier. And the final image the reader has of Nemours is quite ironic and perhaps touching: this marvelous and virtually irresistible lover man, whom even Queens (Elizabeth) can not help but love, sight unseen, is firmly rejected by an anonymous, undescribed female friend of the Princess in the maison religieuse as he begs desperately but to no avail to have his mere presence announced. The Princess and the Death of Clèves 349 cause of his death because he cannot go on living under these conditions. It is as if she were thinking that although she knows she did not, as he claims, commit adultery, her passion alone for Nemours killed Clèves. This however is not what so upset Clèves and not what he said was causing his dying. It is never clear that she realizes quel mari she had. She very often fails 15 to comprehend or even register the nature of his experiences, even after he makes quite clear several times how painful their situation is for him, and so it remains unclear how her evaluation of her spouse, as somehow special, factors into her accepting culpability. To attempt to understand why she changed, it is helpful to examine in detail her initial, spontaneous reaction to his accusation of crimes (A 162- 163). Here though she knows that she did not commit adultery she claims that, not only did she never have such thoughts, she actually had a conduct equal to that inspired by la vertu la plus austère, so that she never performed any action of which she would not wish Clèves to have been a witness. At the moment of his accusation 16 this is how she understands herself and her actions, or how she would like to understand them and to have Clèves understand them, perhaps in part because she thinks this will remove his doubts. Comparing in detail these claims to her previous claims, actions, thoughts, provides a useful background against which to explore the possible relation between her actions and claims and her acceptance of being the cause of his death. 17 Surprisingly Clèves goes on for forty-two lines (161-162) and makes harsh, critical judgments of her, yet she only responds when she hears the word crimes. At first he is not sure it is worthwhile to speak to her since he cannot tell whether her concern for him is genuine or the sign of (161) dissimulation and perfidie. She caused his death, he finally says, so she cannot be suffering as much as she seems to be 18 ; she caused the déplaisir from which he is dying; her vertu brought her only as far as her aveu (“confession") but was unable to allow her to resist her passion for 15 This begins as early as right after her mother’s death (69) when she decides to have Clèves défendrait her against Nemours. 16 Niderst, 106, points out that vertu for a married woman would be to live as if always under the eyes of her epoux. Sweetser, 220 thinks that she is able to convince Clèves of her innocence and fidelity. 17 Campbell, 48, agrees that she exaggerates when she speaks of the virtue which inspires her conduct. She only has some measure of control over her actions and only rarely does her behavior live up to her resolution to resist passion. The most obvious examples are not going to the ball when Nemours would not be there, letting him steal the portrait, and writing the letter with him 18 He is implying she is a liar or a hypocrite. John Phillips 350 Nemours 19 ; he, Clèves, was so in love, he would have preferred to have remained a cuckold and trompé though it is a source of honte to admit this; she makes dying agréable since she took away his estime and tendresse for her and he now has a horreur for his own life; he admits he actually hid from her the extent of his own love for fear of being punished by her 20 ; now he dies without regret as he can no longer desire her love though worthy of it; he thinks she will regretter his passion véritable and learn the différence between it and the passion that is a séduction undertaken for the honneur gained from public recognition of that séduction (i.e. Nemours’ love) when he, Clèves, is dead and she has the liberté 21 to make Nemours heureux without committing crimes. It seems clear here that he is not suggesting that he thinks she and Nemours are considering marriage. Clèves pointedly contrasts Nemours’ interest in seduction and the honor he will derive from this and his own true and legitimate love. He has just described the conventional understanding of the impossibility of one person being able to combine in marriage the roles of spouse and lover, and there has been no indication that he (or anyone else in the novel for that matter) sees Nemours in the role of spouse. The happiness he thinks she will grant Nemours once she will have the liberty they will enjoy after Clèves’ death is one that will not entail her having to commit any crimes, and a very plausible interpretation of this here is that once she will be a widow there will be no question of adultery. We are told she did not react because she did not understand what he was talking about 22 and thought he only meant her inclination for Nemours. Why she thinks he would say so many harsh things and say he would prefer to be dead, solely because of an inclination, is not commented on. She does not seem to register what he says about himself, no matter how painful his situation. It is possible that she is still preoccupied with her thoughts about Nemours and their recent encounter, but the result is that another explanation by Clèves of his situation, perhaps his most touching, certainly his last, seems to not really be “heard” by her. Almost immediately parts of her indignant rejection of his claims seem inaccurate. Keeping in mind the difference between actions and thoughts, and that she never committed adultery, could she mean, for example, she would have wished Clèves to be a witness to the scene with the cane? No 19 And he mentions Nemours three times, by name. 20 This because he realised he was loving her in a way unsuitable for a spouse. 21 This is also Nemours’ word (161). 22 And she of course has no idea he suspected her of adultery. The Princess and the Death of Clèves 351 adulterous activity took place, but Nemours 23 seemed to be in little doubt as to what she expressed by her actions with the cane, the portrait, etc. It takes several lines (163) of their final conversation before she realizes Clèves is speaking of adultery. Even if she had not realized this, she now understands (“Si c’est là mon crime…”) and tells him, in direct speech, that she can justifier herself in regard to that night. He can confirm with her women that she had not gone into the garden the second night and that she had left from it early the first night. She thinks it is imperative that she respond to his accusation, but significantly, the rest of her explanation for her activity that night is not given to him in direct speech by her but is given in five lines reported by the narrator. 24 Here it is admitted that she thought someone was in the garden, that she thought it was Nemours, but, as the narrator says, she was very persuasive and “elle lui parla avec tant d’assurance, et la vérité se persuade si aisément lors même qu’elle n’est pas vraisemblable” that Clèves was “presque convaincu de son innocence”. If however one goes back to the original scene (156) one sees, in the material Lafayette omitted from the narrator’s five-line report, that the Princess turned at the noise Nemours made, thought she might have seen him and immediately left to join her women. She had shown “tant de trouble” that to hide this from them she lied and said she felt ill, but “elle le dit aussi pour occuper tous ces gens et pour donner le temps à M. de Nemours de se retirer”. If this is meant to be understood as a conscious thought of hers at that time, she could not have reported to Clèves that she delayed her women to give time to Nemours to withdraw. The narrator says (156) that after some réflexion, the Princess thought she might be wrong, that it was her imagination which made her think she had seen Nemours. 25 She wishes several times to return to the cabinet to look into the garden to see if “anyone” was there, and the narrator adds “peut-être souhaitait-elle, autant qu’elle le craignait, d’y trouver M. de Nemours”, but she decides not to return because “il valait mieux demeurer dans le doute”. 26 The Princess is often presented as not knowing or not being sure of her own motives or feelings, even when others think they are clear or when she 23 And this is true for the reader, precisely because of Nemours’ presence there. 24 See Phillips, 2003, where there is discussion of a significant change from direct to indirect speech. 25 But in the scene (158-159) the next day, when Nemours shows up at her house with Mme de Mercœur, the conversation between her and Nemours and her blushing prove that she knew for certain that it was Nemours. 26 Campbell, 51, may be correct that here, her uncertainty as to what to do is an example of her having a divided self, but because she omits part of this in her report to Clèves, she in effect makes the self she is showing Nemours undivided. John Phillips 352 on subsequent reflection recognizes them. Here she keeps her domestiques busy to give Nemours time to withdraw. The narrator says enough to create sufficient ambiguity to allow for this to not be seen as the Princess’ conscious thought. Whatever uncertainly however there may have been at that time, she took no chances that Nemours might be observed, and so aided his withdrawal. That Lafayette does not have her relate this part of that night to the dying Clèves prevents the Princess from committing an outright deception, but it is not clear that her thoughts and actions in the cane scene could fit her statement (“Moi, des crimes…”) and have it remain true. There are other occasions which do not fit her description (162-163) of her past behavior, for example in the scene of the confession (122-125). 27 As Clèves becomes more frightened about what he is soon to hear from her, she tells him that to make her unprecedented confession, she gets the necessary (122) force from “l’innocence de ma conduite et de mes intentions”, and further assures him that “je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse”. 28 Her claim about nulle marque de faiblesse can only be true if the expression excludes the marques that show that she loves Nemours, for there have been a number of instances of this. Much earlier Guise (61) had seen enough to realize she loved Nemours, as had her mother, who even talked to her about this. Nemours (84-85) is able to speak to her about his love in part because, as she admits, she had no longer been maîtresse (85) of her emotions because of her inclination for him and so had given him that opportunity. Though it might seem understandable if she lies to, or considers lying to, Clèves to protect herself (86-87), it is perhaps quite another thing when she is unwilling to stop Nemours from stealing her portrait (92). She does not then speak to Nemours because she cannot decide whether speaking or silence is more dangerous for her. One is told that “elle fut bien aise de lui accorder une faveur qu’elle lui pouvait faire sans qu’il sût même qu’elle lui faisait”. But when he immediately lets her know he saw her watch him steal it, he makes clear that he knows she has done him a faveur (92). His words 27 Campbell, 148, points out that as soon as she is away from Clèves she describes her confession not as the courageous act she portrayed to him but as something not done intentionally: “...Elle ...engagée sans en avoir...dessein” (124). 28 At this point the idea of adultery has not occurred to Clèves at all, and has had nothing to do with her conduite or intentions. But her use of the word innocence, viewed retrospectively from her exclamation (“Moi, des crimes…”) catches one’s attention. Campbell, 146, thinks that the reader would be skeptical of this claim since the confession is so far from being a full confession (i.e. a willed desire to speak the truth) that it is hardly a confession at all and is just another example of her weakness. The Princess and the Death of Clèves 353 should prevent her “forgetting” what she has done, or imagining that she has done him this faveur but not, as she thought, “sans qu’il sût même qu’elle lui faisait”. Clèves himself unwittingly keeps the matter before her attention when, having searched for his portrait of her without success, he says to her (93), though not seriously 29 that “elle avait sans doute quelque amant caché à qui elle avait donné ce portrait”. When Nemours (95-96) is knocked off his horse, she is very worried lest her face show her feelings for him; he and Guise do clearly see what she is feeling, and Guise, who still loves her, says he will seek to die because, after what he has just seen, he has been deprived of his only consolation, namely, the thought that though she did not love him, at least she could not and did not love any other. She knows exactly what he meant because at any other time she would have been offensée that he spoke to her of his sentiments. When soon after (97) Nemours says that he too has seen the marques of her feelings, she is very upset 30 and feels douleur. She has given marques de faiblesse, has clearly shown how she feels about Nemours to Nemours, to Guise and to others, she acknowledges this herself, and is encouraged if not forced by others to acknowledge it (Dedeyan 224). After her shock at the letter alleged to concern Nemours (99), she again acknowledges she allowed him to see marques of her feelings “…qu’elle l’aimait”. She realizes how terrible her situation is and resolves to regain control. But once Nemours explains himself, she forgives him and they recreate the letter, during which time she experiences a “joie pure et sans mélange” (117). Once he leaves she is shocked at her feelings and behavior, and the reader is told she had reproached herself just the day before for having shown him marques de sensibilité, because had seemed to her like a crime, 31 especially as it had all happened “en présence même de son mari”. 32 29 We are told he does so “en riant.” 30 We are told that she “n’était plus maîtresse de cacher ses sentiments et de les avoir laissés paraître au chevalier de Guise. Elle en avait aussi beaucoup que M. de Nemours les connût”. 31 Again her use of the word crime in this context, viewed retrospectively, suggests that Clèves’ later use of it might have served as something of a reminder to her of the fact that she herself had had a similar thought and used the same word about her own (of course non-adulterous) behavior. 32 Yet another instance where she has shown her feelings occurs when (139) Nemours reflects on what he had said to her in front of the Reine-Dauphine in the scene where she learns her confession has become known (135). Nemours (139) fears he has made a considerable imprudence confiding in the Vidame, because of the difficulties it caused the Princess. He is inconsolable to have spoken to her John Phillips 354 A further instance of the discrepancy between her claims about her behavior and what it actually was, appears near the end of the confession scene (124). 33 As Clèves tries to have her reveal the name, she, exasperated, attempts to stop him by saying he should be satisfied with her sincérité and accept “l’assurance que je vous donne encore, qu’aucune de mes actions n’a fait paraître mes sentiments et que l’on ne m’a jamais rien dit dont j’aie pu m’offenser”. At one of his most despairing moments, she insists on her sincérité, but her claim to have concealed her feelings is just as inaccurate as her earlier claim at the beginning of the scene to have concealed any marques de faiblesse. 34 His response not only shows his anguish (“Vous avez donné, madame, vous avez donné…”) but further demonstrates the inaccuracy of her claim, as he cites the embarras he himself witnessed in her on the day her portrait 35 was not lost as she claims but given away by her. He even says (124) “vous n’avez pu cacher vos sentiments”, and he has not seen all the reader has seen. He has no way of knowing that he is correct about the theft, but the reader knows (and the Princess “knows”). Her response is to further insist that he should trust her (“Fiez-vous à mes paroles…”) and when, as proof of her sincerity, she admits she saw it stolen, she tells the truth but again (see the similar incident mentioned above) Lafayette has her omit what is in the original description, namely, her willingness to allow Nemours to take it as a faveur to him. 36 about cette aventure because although the things he said were galantes, they might seem to her to be grossières et peu polies. His words made clear to her that “il n’ignorait pas qu’elle était cette femme qui avait une passion violente et qu’il était celui pour qui elle l’avait”. One of her greatest fears is to lose control, and here Nemours confirms that she has in fact done so. This is also Clèves’s worst nightmare. 33 Campbell, 128, disagrees with Garapon, La Pointe and others, that the Princess is an exemplar of transparency and sincerity, as he thinks that her claims made to Clèves here are “self-evidently false,” and that some of her attempts at concealment verge on the hypocritical. 34 And in a way, she actually partially resolves some of the doubts expressed by the concealed Nemours in the passage which is placed in the middle here, where Nemours wonders to himself about the effect he has had on her, and so this again suggests why it important for Nemours to be present unseen. 35 He tellingly and perhaps touchingly describes this as “qui m’appartenait légitimement”. 36 So too right after Clèves (129) surprises her with the lie that Nemours will be going on the embassy, she is so upset that when Nemours enters, he sees she is upset and asks what is wrong. She snaps at him and so gives him the chance to speak of his love to her, which she acknowledges she has allowed him to do (she was “…bien fachée d’avoir donné lieu à M. de Nemours….s’expliquer plus clairement qu’il n’ait fait en toute sa vie”) thus immediately doing what she has The Princess and the Death of Clèves 355 In examining her statements in this first passage ( her response to his accusation before he dies), one sees that her claims about her innocence, the virtue of her conduct and her control of her emotions are not at all what she said or thought they were, nor do they constitute the assurance to Clèves she claims they provide just before he dies. 37 The question arises as to whether the reader is meant to infer that some reflection by her on Clèves’ death leads her to a new understanding of the significance of these discrepancies and as a result to an acceptance of responsibility for his death. Plausible as this question may be we are not given any indication that she has made such a reflection. The common critical interpretation referred to above might support this idea of a new understanding by suggesting that her passion and its désordre created in her fear, guilt, remorse, etc., such that, although complete knowledge of her feelings and behavior were kept out of her consciousness, nevertheless the shocking event of his death led her to a new understanding of her actions and to a recognition that she was the cause of his death, but we learn of no such change here. These repeated weaknesses, when urged upon a dying husband as proof of her innocence etc., seem to take on a new importance, to no longer simply be isolated examples of weakness such as they might have seemed to be prior to his death. Clèves’ death, which is due in part to these weaknesses, underlines this new importance, as does perhaps her accepting being the cause of his death, yet we are not told how these things are related to her change of mind. The second passage (B 164) which one might examine to understand her change of mind is where one learns of the significance she assigns to her relationship to her spouse. The first thing mentioned about her douleur once she can “l’envisager”, is “quel mari elle avait perdu.” This seems somewhat unexpected, as despite how often Clèves has directly in detail spoken to her just promised to Clèves she never does or did (124) and which he was to take as a proof of her trustworthiness. And when she shows her emotion after Clèves’s lie about Nemours, the trouble she experiences which she can not hide is twice described by Clèves as chagrin, the same word used of her appearance by Nemours after she scolds him; that both Clèves and Nemours use the same word chagrin to describe what they see in her suggests they see the same thing. Then when she leaves him and arrives home, Clèves recognizes this increase in her embarras, but thinking it is due to his having surprised her with the name of Nemours, he asks her forgiveness for having troubled her, says he will say nothing which might déplaire her and that he recognizes the péril she is in; that is, he tries as usual to be the “good” spouse. 37 Campbell, 147, thinks that the Princess’ “most subtle disguise is her rewriting of history.” John Phillips 356 about his sufferings (Haig 119, Malandin 96), she never understands what he says such that she modifies her attitude and actions toward him because of what she learns from him. Whatever her reasons for emphasizing “quel mari elle avait perdu”, they do not seems to be the reasons the reader develops from witnessing Clèves’ suffering, as it is not clear she “sees” that person. In fact she never specifies what she means by quel mari. Part of the difficulty may be that Clèves, as he himself points out several times, is caught in the mari-amant “trap”, the convention that one is either a spouse or a lover, only one or only the other, never both. 38 From the beginning Clèves, painfully aware of this, tells her that somehow he is both her spouse and her lover. He is often presented as facing the difficulties of having the feelings of both a lover and a spouse (52); he not infrequently explains his situation, beginning even before they were officially married (50-51). He tells her he had a passion for her as soon as he saw her but he knows he never produced amour for himself; when he sees that she is afraid she feels this love for another, he demands to know, what this other man did to make her love him, since he, Clèves, now (122) has the jalousie of both an lover and of a spouse. 39 He tells her later (127) that he is affligé because she has the sentiments for another he could not produce in her for himself. She understands him because she says it gives her honte to hear him speak of it, yet she asks him to control her behavior as if he were a neutral party in the matter, i.e., as if he were just a typical spouse. She tries to force him to be this kind of neutral helper and he even tries and in explaining why he will no longer ask her about it, says (129) “j’en suis assez puni par ce que j’ai appris. M. de Nemours était de tous les hommes celui que je craignais le plus”. He tells her he asks not as a spouse but as an homme whose bonheur depends on her and who has a better passion than the person her cœur prefers (i.e. he is a lover). When she accused him of having revealed the confession his disbelief was such he asked whether she thought it possible to have a friend he would trust enough to share what he would hide from himself. She later (138-141) spends much time, even after learning how upset Clèves is, searching for a way to “justifier” Nemours. 40 38 See Phillips, 2008, and the references there, especially those to Biet. 39 Campbell, 80, is correct to point point out that Clèves’ “self-destructive” jealousy arises from his sense of the total opposition between the status of witness and that of lover, and his inability to accept this, but since jealousy is “self-destructive” for everyone and anyone in this work, these are just Clèves’ particular circumstances, and so he is no more "responsible" for this than she is for her faiblesses. 40 She states that the greatest of all the maux (138) she faced was that she found “aucun moyen de le justifier” after learning that he had told the story to the Vidame. The Princess and the Death of Clèves 357 She thinks she would be able to tolerate it all 41 if she could just be “satisfaite de Nemours” (139). The reader sees (149-150) “[que] la jalousie s’alluma” in Clèves when he learns from her returning visitors that Nemours was at the house. Arriving home and seeing no sign of Nemours, he even wonders whether it was Nemours of whom he was jealous (150). His later tirade (when she does not mention Nemours’ “visit” 42 ) and the entire emotional scene are clear signs of his intense jealousy. He again explains the problem to her (151): he is le plus malheureux of all men, she is his femme but he loves her like a maîtresse but, he touchingly tells her: “je vous en vois aimer un autre” ; he has lost his raison; he asks her if she has forgotten that he loves her éperdument even though he is married to her; he explains that being one of these (spouse or lover) would be hard enough but being both is impossible; he describes in detail his emotional state. This incompatibility of roles is an apparently insoluble problem, and he makes his situation especially dangerous after he relates to her his unexplained, inexplicable boast to Sancerre that he, Clèves, could if necessary (76) “[quitter] le personnage d’amant ou de mari pour la (his maîtresse or his femme) conseiller et pour la plaindre” (Phillips 2003). He will not be able to change in this way, and although she says nothing, she understands what he is offering because she blushes, and several times afterwards (93, 100, 119) wants to act on what he said and avouer all to him, though only doing so later (119-125). One sees that despite Clèves’ repeated attempts to explain his paradoxically complex situation, she can see him only as a conventional spouse. 43 One confirmation of this occurs when the Reine-Dauphine (131f.) tells her the story the Vidame had passed on about Nemours’ anonymous beloved (the Princess) confessing her love to her husband (Clèves) because she was unable to control her own emotions. This ambiguous conversation full of double references gives Nemours an opportunity to indirectly hurt his rival, Clèves 44 (134) and he takes it. When the Princess asserts that in such a hypothetical situation the spouse of a such a woman (herself), capable of such an action (her confession), would never make such a confession, Nemours remarks (135) that “la jalousie…et la curiosité d’en savoir peutêtre davantage…peuvent faire faire bien des imprudences à un mari”. She is 41 As it happens, she begins to find Nemours less coupable (141) even without his having done anything to justifier himself. 42 And he uses the word pourquoi six times in twelve lines. 43 In part perhaps because she has already has what could be described as a lover in Nemours. 44 This is the person whom Nemours refers to as “le plus redoubtable rival qu’il eût a detruire” (134). John Phillips 358 sufficiently struck by what he says about the possible motives for a spouse to reveal such things (“faire bien des imprudences”) that of the key words he uses together (jalousie, curiosité, and imprudences), she makes significant use of one, curiosité, but not the other, jalousie, to explain Clèves’ alleged imprudence. She does this first when she (135) reproaches Clèves, and then does so again when (137), alone, she reflects back on the argument they had. Despite the fact that Nemours’ statement connects the idea of a spouse’s imprudence with perfectly plausible motives (jalousie, curiosite), she chooses not to allow that jalousie could have caused the imprudence committed by her spouse, and is only willing to allow curiosité to be the motive for his divulging her aveu. 45 That she does not allow jalousie to be Clèves’s motive reinforces the idea that she has not understood the desperation, pain and suffering in Clèves’s situation despite both his attempts to explain and her own experiences of love and of jealousy. 46 She cannot see Clèves as anything other than a spouse; since a spouse by convention should not experience jalousie, which is reserved for a lover, he should not, and apparently therefore could not, have committed his imprudences for this reason, so he must have done so from curiosité. 47 This limitation perhaps makes it easier for her to see him less as a suffering person with intense needs (as she herself is) and more (in her most distressed moments) as something of an obstacle (119, 149). Another confirmation of her limited view of him is her use of the word intérêt (interest). Shocked by the letter alleged to be to Nemours, devastated by its implications for his love for her, and suffering from (99) “la jalousie avec toutes les horreurs dont elle peut être accompagnée”, she considers (100) that to protect herself she could “avouer l’inclination” to Clèves because he was a spouse “qui aurait eu intérêt à la cacher”. But Clèves is not a typical spouse with a typical interest regarding his wife’s love-life and her inclinations, as he has often tried to explain, and the reader at least has seen enough to understand this even if she does not. After their quarrel about who revealed her confession (135), she angrily asks Clèves whether or not his propre intérêt would not have made him conceal her confession. He is shocked and horrified that it is known, and even more so that she could accuse him of revealing it. His reaction fits the character of the Clèves 45 On page 137 we are told that she thinks that what Nemours said (that curiosité could make a witness commit imprudences) applies to Clèves, but she has even here misremembered that he also included jalousie. 46 She has already been jealous, of the Reine Daiuphine twice, and of Queen Elizabeth. 47 Compare the role of Chabanes in the Princesse de Montpensier. The Princess and the Death of Clèves 359 the reader has seen develop, not the character of the typical spouse whose interest insures the appropriate public behavior in such circumstances. So too during her confession (122 f.) she may be expecting Clèves as spouse to have a different reaction to her admission from the one he has, since she claims that “il faut avoir plus d’amitié et d’estime pour un mari que l’on a jamais eu” to do what she has done, which is to say, she thinks she has done as much as any spouse might expect, and so Clèves should be satisfied. The night after the confession, reflecting on what she did, she finally finds some calme (125) and “même de la douceur à avoir donné ce témoignage à un mari”, again perhaps anticipating that she has done what will be enough for him as a spouse. These considerations seem to indicate that, whatever she meant when she emphasized, in accepting that she caused his death, quel mari she had lost, she does not seem to have meant the Clèves whom Lafayette has shown the reader, and so it is not clear how this relates to her change of mind. In seeking to understand the Princess’ change of mind as she accepts being the cause of Clèves’s death, two passages that show her thinking at the point where the change takes place have been examined. The claims (A 162-163) she made just before Clèves’ death about the nature of her actions and the assurances she claims the dying Clèves can draw from them do not seem to be what she said they were. It is not clear that her acts can be understood to be what la plus austère vertu would have inspired, nor is it clear that, if Clèves had witnessed them, they would have had the effect she claims; but the reader also is not told that some re-evaluation of her claims led her to change her mind. After Clèves’ death (B 164), she emphasizes his exceptional nature (the characteristics of which she never clarifies) as a spouse, but looking back at the numerous occasions when she did not seem to have understood the difficulties of his situation (in particular the suffering caused by being trapped in the impossible mari-amant situation) it is not clear how this is related to her change of mind. Though it is true that she herself does not state that either of the two passages here examined were essential to her change of mind, it is also true that neither she nor the narrator “explains” why the change takes place here. And it is important to briefly note that, subsequent to this section of the text, the reader learns that she concluded two things from her experience of his death and its cause, though how she arrived at these is not directly stated in the text. At least nine times in the last fifteen pages 48 she asserts that she cannot marry Nemours because it would go against Clèves’ specific request not to marry him. She mentions the “crainte Clèves lui avait 48 See 165, 167, 174, 177 (four times), 178, and 179. John Phillips 360 témoignée en mourant qu’elle ne l’épousât”. Since the reader has Clèves’ last words and since he said no such thing (en mourant or otherwise) 49 this appears to be something she added or inferred or imagined. Even when she is not referring to this specific motive it can be easily understood as one of the implicit reasons she claims marriage is not possible in other situations. Twice (178, 179) she mentions the inhibiting effect of the mémoire of the dead Clèves, and once she mentions the imaginary return of a reproaching Clèves. But in his last discussion, Clèves actually said that his death would give her the liberté to make Nemours heureux without it involving her in crimes, and he even said “qu’importe... ce qui arrivera quand je ne serai plus”. Clevès’ last thoughts on this need not imply marriage; since he accused of her adultery he may not even be thinking of any possible future marriages. She also claims at least six times in the last fifteen pages 50 that Nemours was the cause of Clèves’ death (though Clèves made no mention of this) sometimes and sometimes not in connection with the idea of the dying Clèves having asked her not to marry him. Perhaps the most interesting instance of this occurs (171-172) when she tells Nemours that her confession to him will have no future because her devoir will prevent it for raisons inconnues to Nemours. He counters that these are not véritables raisons because Clèves thought that he, Nemours, was “plus heureux” than he was. She cuts him off (“ne parlons point de cette aventure”) and insists that Nemours was “cause de la mort de M. de Clèves”, since the soupçons which he caused Clèves were the same as if Nemours had taken Clèves life with his propres mains. 51 Presumably Nemours when interrupted was about 49 She does however twice correctly use this expression (80, 93) in recalling advice her dying mother gave her. 50 See 165, 167, 172, 174, 175, 177. 51 Kaps, 20-21, thinks that this passage explains, from the Princess’ perspective, how marrying him after Clèves’ death would be as contrary to her virtue as it would be marrying Clèves’ assassin. Marrying a husband's murderer, Kaps says, would be personally repugnant and also forbidden by Church law, which law would be “before the minds of the aristocracy of the seventeenth century" when duelling was so common, and she quotes John F. Donahue The Impediment of Crime (Washington, 1931) as well as Jean Gerbais Traite du pouvoir de l’Eglise sur les empeschemns du mariage... (Paris, 1698). But in fact Nemours is not Clèves’ assassin, he is only so in the Princess' mind, and Clèves never says he is the cause. She decides this herself and when Nemours tries to explain Clèves' misunderstanding she does not want to listen. In addition Kaps cites no authority from the seventeenth (or any other) century who says that this specific claim by the Princess that Nemours actually murdered her husband would be understood as Kaps understands it. As her quote from Gerbais shows (“Le premier est lorsqu’un The Princess and the Death of Clèves 361 to say that Clèves was wrong, that Nemours was in fact not heureux, because no adultery took place. This is a claim with which she would have had to agree, but since she has already apparently devised another interpretation of Clèves’ death and its cause, and how and why it occurred and her part in it, she must stop Nemours from continuing. 52 It is noteworthy that shortly after (174) she again insists that Nemours was a cause of Clèves’ death, claiming that she would “voi[r] toujours M. de Clèves vous accuser de sa mort and me reprocher de vous avoir épousé” and thereby Clèves would make her “sentir la différence de son attachment au vôtre”. Her use of the word différence suggests she may be recalling, admittedly unintentionally, Clèves last conversation, but if so she is doing so incorrectly. He had reproachfully said (162) she would learn “la différence d’être aimée comme je vous aimais” and the love of those like Nemours who only seek “l’honneur de vous séduire”. He makes no mention of her marrying Nemours and probably is not thinking of it at all, as he suspects adultery. In fact he is contrasting (to her detriment as well as to Nemours’) marriage (himself) and seduction (Nemours). And of course he never said that Nemours was the cause. She could never “see” Clèves returning to reproach her with the difference between his love and Nemours’ except by misunderstanding what Clèves said so that it suited her interpretation. One can see how these two claims introduced by the Princess are significant parts of her motivation for rejecting Nemours, and how they, along with her earlier acceptance of being the cause of Clèves’ death, contribute to the recognized ambiguities in understanding her actions between the time of Clèves’ death and the end of the novel. And in the hope of clarifying how her acceptance of being the cause of his death does so, an analysis has been undertaken of certain elements which heretofore seem not to have been discussed together, namely: the Princess’ words and thoughts right before and after Clèves’ death; the significance of Clèves’ emphasis on adultery; the important material the Princess omits in reporting to Clèves that she saw Nemours in the garden; her false claim that Clèves forbid epoux, par exemple, conspire la mort de son epouse, de concert avec une autre creature afin de pouvoir l’epouser; si cett epoux et cette creature executent leur pernicieux projet, ils ne peuvent plus des lors se marier ensemble; et si ils se marient leur mariage est nul...”) nothing like this has happened except in the Princess’ mind. 52 Her version of the death and its cause, even if not seen as being potentially undermined here, clearly omits much, since, for example, Clèves is explicit that the doubts she in part caused him played a large role in his death, and the reader knows that Clèves’ own predisposition to conclude adultery occured leads him to misinterpret the gentleman's report. John Phillips 362 marrying Nemours; her false claim the Clèves accused Nemours of being the cause of his death; the difficulties of Clèves’ double role of husband and lover and the Princess’ failure to include jealousy as a possible motive for Clèves; her use of the word intérêt in regard to Clèves as a way to deny he might have the feelings of a lover; the significance of the Princess’ interruption of Nemours when he was about to explain to her that Clèves was in fact wrong about his being heureux. The Princess and the Death of Clèves 363 WORKS CITED Brady, Valentini Papdopoulou. “La Princesse de Clèves and the Refusal of Love: Heroic Denial or Pathetic Submission? ” Neophilologus, 84 (2000): 517-530. Campbell, John. Questions of Interpretation in La Princesse de Clèves. Amsterdam- Atlanta, GA.: Rodopi, 1996. Cordelier, Jean. “Le refus de la Princesse.” XVII e siecle. 108 (1975): 43-57. Dédeyan, Charles. Madame de Lafayette. Paris: Société d’édition d’enseignement supérieur, 1955. 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In Lettres à Madame La Marquise, Valincour regards the Princess’ simultaneous admission of love and rejection of Nemours as invraisemblable, stating that the Princess should have asked Monsieur de Nemours to retire with her to her estate in the Pyrenees (121). Yet, the Princess doubted his ability to remain faithful to her, and refused to subject herself to an inevitable betrayal and loss of fortune. What makes the Princess stand out is her ability to rationalize her situation and renounce marriage to the Duc de Nemours, despite the love that she still feels for him. Acting independently of her male counterpart, the Princess reflected the ideals of salonnières, who believed that women had a right to “greater control over their own bodies” (DeJean 21). The Princess embodies the characteristics of a more complex, active heroine whose determination to follow through with her own line of reasoning enables her to determine the outcome of events. Heroines capable of rationalization were uncommon in seventeenthcentury works of literature, since in fact, women were traditionally disassociated with this type of thinking. Furetière defines the act of rationalization (or “le raisonnement”) as “l’acte de l’entendement par lequel on arrange les 1 See Valincour 119-120. The translation is my own. Theresa Varney Kennedy 366 preuves dans l’ordre où elles doivent être pour trouver la vérité, pour porter un jugement droit, & tirer une juste conclusion: opération de l’âme, par laquelle on distingue le bien du mal; la vérité de la fausseté.” Further, he states that “Les femmes se font un mérite de n’entrer pas dans de grands raisonnements” (Dictionnaire universel françois et latin 4: 1279). For Furetière, the pratice of rationalization is not just the internal search for the truth, but also the ability to vocalize it. Here, he specifically states that women who want to protect their reputations do well to avoid expressing themselves aloud. The Princess violates this code of conduct. In addition to expressing her thoughts openly, she allows “orderly” and rational thought to guide her emotions. In Discours de la méthode (1637), Descartes includes women in the category of those capable of using reason, 2 yet by the time that Madame de Lafayette wrote La Princesse de Clèves, her male counterparts still clung to Aristotle’s claim that women are naturally irrational, and that those who used their intellect usurped man’s natural authority. 3 In De la recherche de la vérité (1674-75), Malebranche sees women as having little mental capacity. 4 The ability to rationalize goes beyond the strength required to rise above one’s passions and submit blindly to one’s sense of duty. Reasoning is the ability to make one’s own choices based on one’s understanding of what is true or what is just—and to take a stand. Yet, for the salonnières, reasoning did not necessarily exclude the ability to feel or to consider one’s emotions. Erica Harth demonstrates that the salonnières contested Descartes’ dualism, which placed emphasis on the separation of body and soul, and seemed to “drain the thinking subject of all feeling and emotion,” reducing the body to “a mere machine” (82). Thus, it is not surprising that Madame de Lafayette’s Princess admits her feelings for the Duc de Nemours even though she chooses to give priority to her sense of honor. 2 See Descartes 14. The author states “je veux croire qu’elle [la raison] est tout entière en un chacun….” 3 See Politique d’Aristote 1: 27 in which the author specifically states that because of her natural lack of reason, a woman is meant to obey: “D’autre part, le rapport des sexes est analogue; l’un est supérieur à l’autre: celui-là est fait pour commander, et celui-ci, pour obéir.” 4 Malebranche 2: 191-92. “Elles [les femmes] sont incapables de pénétrer les vérités un peu difficiles à découvrir. Tout ce qui est abstrait leur est incompréhensible. Elles ne peuvent pas se servir de leur imagination pour développer des questions composées, et embarrassées. Elles ne considèrent que l’écorce des choses; et leur imagination n’a point assez de force et d’étendue pour en percer le fond, et pour en comparer toutes les parties sans se distraire. Une bagatelle est capable de les détourner.” La Princesse de Clèves and the Making of the Female Hero 367 In this study, I argue that heroines in tragedies written by women playwrights in the latter half of the seventeenth-century reflect the changing social norms for women that the Princess also embodies. Unsurprisingly, women playwrights were most willing to feature tragic heroines or experiment with female heroism since they frequented the salons and embraced its ideals. While La Princesse de Clèves certainly did not ease literary rules and norms associated with writing for the theater, it did inspire women playwrights to think differently about heroines. Catherine Bernard, for instance, who wrote plays and novels, patterned much of her work after that of Madame de Lafayette (Beasley 41). In turn, Marie-Anne Barbier readily admits to having been influenced by Catherine Bernard. Moreover, it is probably safe to assume that salons provided a safe place to discuss popular literature; and La Princesse de Clèves was certainly popular. In sum, values that the Princess embodies are echoed in the dramatic heroines that follow her—mainly the ability to reason and to feel passion at the same time. Thus, the salon and writings associated with it affected drama by inspiring a new generation of female writers, and likely fostering an environment where women could experiment with the concept of female heroism—even in tragedies. To investigate this shift, I examine three heroines in seventeenthcentury tragedies by the most successful female playwrights: Madame de Villedieu’s Nitétis in Nitétis (1663); Catherine Bernard’s Laodamie in Laodamie, Reine d’Épire (1689); and Marie-Anne Barbier’s Arrie in Arrie et Pétus (1702). Pioneer women playwrights in the first half of the seventeenth century, such as Madame de Villedieu, had to adhere more strictly to the male-centered, traditional dramatic rules, since they had not yet made great strides in breaking into a genre that was so heavily policed by the French Academy. Thus, Madame de Villedieu’s Nitétis is patterned after a male tradition of the heroine. That is, Nitétis’s heroism emerges as the result of her willingness to blindly adhere to patriarchal authorities. Catherine Bernard’s Laodamie and Marie-Anne Barbier’s Arrie, however, are stronger female leads who echo a new concept of the heroine. Both Laodamie and Arrie demonstrate an ability to reason, which enables them to make decisions that have a direct bearing on the outcome of the play. Thus, Laodamie and Arrie more so resemble Furetière’s definition of a hero, describes as “le principal personnage dont on décrit l’action” rather than that of the heroine who is simply described as a “fille ou femme qui a des vertus de Heros, qui a fait quelque action heroïque” (Dictionnaire universel, contenant généralement les mots français tant vieux que modernes 2: 256). Rationalization allows Laodamie and Arrie to emerge as heroes who play Theresa Varney Kennedy 368 the primary role in the action. Nevertheless, these heroines also retain their ability to feel and express their passion. Heroines in Tragedy The presence of female regencies early in the seventeenth century is often used to explain the emergence of heroines in secular tragedy. 5 However, playwrights such as Corneille and Racine gave women important roles because they fulfilled their tragedies’ propagandistic objectives. Heroines who submitted blindly to higher authorities and to their duty glorified the State and its patriarchal framework. Their conduct largely reflects the reality of the female condition in the seventeenth century. 6 Heroines who engaged in patriotic conduct (i.e., prioritizing her family or the State) served as useful propagandistic tools in tragedy since they represented ideal female aristocratic qualities. Even the female martyrs—inimitable models of female chastity, and highlighted by Furetière as the best examples of heroines—are highly propagandistic, since they merely reinforce the patriarchy. Yet, they are void of passion, and are intended to serve as models for young ladies. 7 Traditional heroines were celebrated for their willingness to submit to higher authorities, not for their ability to determine their course of action through effective use of reason. While the male hero drives the action forward, the heroine traditionally plays a passive role that serves to reinforce the patriarchal framework. For instance, in Corneille’s Le Cid, L’infante, by renouncing her love for Don Rodrigue, so as not to create a misalliance, exhibits ideal female qualities. Some pre-Princess heroines even have the titles of plays named after them, such Racine’s Bérénice (1670) and Iphigénie (1674). Yet, I would argue that they played passive roles. For instance, Bérénice acts only in response to her male hero counterpart. Titus, Emperor of Rome, and engaged to Bérénice, had already decided to reject her as early as Act II, since Rome would not allow him to marry a foreign queen. The play is thus centered on his struggle to come to terms with his duty to his country, and her willingness to accept his decision. Her heroism is then only in response to his decision. Traditional heroines in tragedy 5 Marie de Médicis reigned from 1610-17 and Anne of Austria from 1643-51. 6 From a young age, a woman and her family were to be primarily concerned with her future establishment ⎯ and the choice of a spouse. Throughout the seventeenth century, the state laws and policies encouraged family-building and the institution of marriage. See Hanley. 7 The female martyr on stage demonstrates little passion toward anything other than her God “n’a ni jambes ni bras.” See Œuvres de P. Corneille 12. La Princesse de Clèves and the Making of the Female Hero 369 tended to accept the interests of male characters, or act as auxiliaries to their male counterparts. In other words, while the traditional heroine could respond to the actions of the hero, she rarely initiated the action or arrived at a conclusion through reasoning. Instead, she reinforced the authority of the patriarchy. In what follows, I analyze Madame de Villedieu’s Nitétis, a heroine patterned after the traditional heroine found in tragedies of her male contemporaries. Nitétis (1663) Madame de Villedieu’s play centers on Persian ruler Cambyses II’s incestuous attempt to replace his wife, Nitétis, with his own sister, Mandane, whom he loves. Before marrying Cambyses, Nitétis had been in love with Phameine, Prince of Egypte, who is now Cambyses’ prisoner. When Smiris, brother of Cambyses and Mandane, objects to Cambyses’ plan, Cambyses has him murdered. In response, a mob of conspirators rises up to overtake the throne. Although Nitétis despises her oppressive husband, she considers it her duty to remain subject to his wishes, even as the coup seems imminent. Nitétis frees Phameine and asks him to defend her husband against the mob. But when Cambyses sees Phameine approaching with the guards, he thinks they are about to kill him, and he commits suicide. Shockingly, Nitétis remains loyal to Cambyses even after he dies, refusing to marry Phameine. Seventeenth-century society expected such devotion and orderly conduct from women in positions of power. 8 Since Madame de Villedieu wrote for the most prestigious theatres in Paris (as well as during a time when female playwrights lacked the same creative liberty as their male counterparts), it is no surprise that she stuck to traditional depictions of heroines. Moreover, in a post-Frondes France still building its confidence, the State would have frowned upon the idea of an aristocratic woman who supported a violent rebellion. Unfailing loyalty is Nitétis’ heroic quality. She steadfastly stands by Cambyses, despite his tyranny toward countrymen and unfaithfulness toward his marriage. In Nitétis’ strongest moment, she rejects the opportunity to join a liberated Phameine. Instead, she remains devoted to Cambyses, even in the face of his—and therefore possibly her—inevitable downfall: 8 Finn demonstrates that Nitétis is perhaps justified in her attempts to serve the State and respect its laws (52). Theresa Varney Kennedy 370 NITÉTIS Les lois de mon devoir et de mon hyménée, Ont dû changer nos cœurs comme ma destinée Et s’ils ne les ont pas pleinement dégagés, Nos discours tout au moins doivent être changés: Les Dieux ont pour jamais interdit à mon âme Ces propos enchanteurs et de feux et de flamme: La majesté du trône et les lois de ma foi Ont mis tant de distance entre l’amour et moi, Que sous quelque tableau qu’il s’offre à ma pensée, Ma gloire en est toujours surprise et blessée Et tels que soient du roi les forfaits odieux, Phameine, il est l’époux que j’ai reçu des Dieux (3.1) 9 Even after the conspirators succeed, Nitétis sees it as her “honor” and “glory” to support her odious, deceased spouse. She clings to that honor, rejecting Phameine’s proposal to join the winning side: NITÉTIS Je ne puis rien de plus, sans souiller ma mémoire, Et si vous m’êtes cher, j’aime encor plus ma gloire; Adieu je vais songer à faire rendre au roi Les funestes devoirs où m’engage ma foi. (5.4) Now, Nitétis does call into question the notion that women cannot conquer their passions. 10 Nevertheless, her determination to hold fast to her ideals— and remain loyal to Cambyses—adheres to traditional qualities of female heroism. One might argue that Nitétis actually anticipates the Princess by refusing to wed the man she loves once her husband dies. In both cases nothing prevents remarriage except a sense of personal honor. Yet, I would argue that the Princess does not cling to honor alone. Her decision is, in part, based upon rationalization. She concludes that the Duc de Nemours would never remain faithful to her, and she thus clings to her own reasoning. In the case of Nitétis, however, it would seem irrational that she should cling to her duty as devoted spouse in light of her husband’s monstrous behavior toward wife and country. 11 She never questions her 9 All quotes will be drawn from Gethner, Les Femmes dramaturges en France (1650- 1750): Pièces choisies, Vol. 2. 10 Godineau states: “On en revient toujours à l’idée que par sa nature même la femme est inconstante, désordre et faiblesse, incapable de dominer ses passions et sa libido, inférieure à l’homme fait de raison” (12). 11 Goldwyn arrives at a similar conclusion: “Mais quel est ce devoir auquel fait reference Nitétis dans la pièce? Est-ce un idéalisme moral, une éthique de la vertu La Princesse de Clèves and the Making of the Female Hero 371 duty to her husband. She stands by a despotic, villainous tyrant, allowing his presence and then his memory to lord over her existence. Furthermore, when she rejects Phameine’s advances, it is not clear what she feels towards him. Perhaps we might better identify with her if she had expressed any sense of loss or remorse for having to refuse her lover. But she clings blindly to a sense of honor that seems utterly illogical. In the end, we might interpret Nitétis as dependent and passive. Her sense of honor can only be shown by not renouncing a despot. In that case, her devotion after his death—her choice not to renounce her dead husband—makes Nitétis stand out. But at the same time, she blindly adheres to her duty without any real rational justification. Her inability to act on her own terms does not allow the heroine to advance beyond the role of auxiliary. She instead reinforces the propagandistic nature of theater that dictated a very passive female role for heroines. Late Seventeenth-Century Heroines Like the Princess, heroines in late seventeenth-century tragedies could exhibit heroism when they allowed reason to be their guide. While strict codes of conduct and a sense of honor still constrain their behavior, we see the beginnings of a more autonomous female hero—one that operates outside the boundaries of what duty requires. Using Laodamie and Arrie, I show the conversion to this new type of heroine. Like the Princess, they are heroic precisely because they respond to their situations in a logical, rational manner. They act on their own terms, rather than adhering blindly to what is expected of them. They drive the action forward. Yet, while rational actors, they simultaneously maintain a sense of passion. Their heroism comes from combining reason with an ability to express their feelings in an open manner. Laodamie (1689) Catherine Bernard’s Laodamie, Reine d’Épire features a reigning queen who is unusually conscientious. 12 In the play, Laodamie’s father dies, and she et du devoir ou ne serait-ce pas plutôt le désir de sauvegarder sa réputation? Il est vrai que partager l’univers du tyran n’about it qu’à un assujettissement qui interdit l’action. Cependant vouloir conserver la mémoire du défunt paraît tout à fait paradoxal après le suicide de celui-ci…” (113). 12 According to Salic law, women and queens were basically excluded from the succession to the throne, and likewise, from rule—not only because it would Theresa Varney Kennedy 372 assumes the temporary responsibility of maintaining the kingdom. As Queen, her primary duty is to forge an alliance through marriage. Although she loves Gélon, Laodamie acts against her wishes and agrees to marry Attale, Prince of Paeonia. By allying with the Romans, Laodamie would then save Epirus from foreign threats. In the meantime, she recognizes the love between her sister, Nérée, and Gélon. Soon thereafter, Sostrate—who claims the right to the throne—assassinates Attale. Her country then names none other than Gélon as the rightful heir. They demand Gélon marry Laodamie, but he refuses. As the security of Epirus hangs in the balance, Sostrate strikes again. This time, his efforts are foiled when Gélon kills the assassin. However, one of Sostrate’s men retaliates and Laodamie is killed while trying to protect Gélon. At this point, Nérée is slated to become Queen and join Gélon on the throne. Laodamie’s initial heroic quality is her sense of duty to her country and to her family. This sense of honor and duty was expected of women in high positions in seventeenth-century France. The overarching theme of serving the state was a central component of the time, particularly during the post- Frondes period. Laodamie’s willingness to do what is best for her country places her on par with her heroine predecessors, such as Nitétis. Her first sacrifice involves setting aside her feelings for Gélon and marrying Attale. Unfortunately for Laodamie, the only way she can protect her country is to marry the Paeonian Attale. To not do so would be to plunge the country into bitter strife: LAODAMIE Tu sais quelle amitié m’unit avec Nérée, Mais, dieux! bientôt Gélon épouse cette sœur, Et Gélon en secret est maître de mon cœur. Par le dernier traité d’Alexandre mon père Le triste hymen d’Attale est pour moi nécessaire; Il faut exécuter ses ordres absolus. Mille raisons d’État m’en present encor plus; Ma couronne est tremblante, et mon peuple est rebelle.... Il faut que je subisse un cruel hyménée; threaten the patriarchy as a system, but because women were considered unable to maintain control over their emotions. This is seen in Racine’s tragedy Bajazet, in which Roxane becomes power-hungry and destructive as soon as she is made to reign. Likewise, throughout history, regencies are considered epochs of political instability in which wars of religion, family quarrels, power struggles, and Frondes call the stability and continuity of the French state into question. Despite Salic Law, a queen’s temporary right to rule due to the death of her father or husband was the norm in France as well as in other European countries. La Princesse de Clèves and the Making of the Female Hero 373 Mais mon cœur se révolte, et sans cesse combat, Et les ordres d’un père, et la raison d’État. (1.2) 13 Laodamie puts country before self and consents to the political marriage. Stifling her unrequited love for Gélon and accepting her duty would in itself affirm her heroism in the traditional sense. Yet, her loyalty to the state is put to the test once again after Attale’s death places Gélon next in line for the throne. The duty Laodamie owes her country causes great pressure, since to protect her people is to betray her sister. Only when she is formally pressured by her advisors, representatives of the army, and the people to marry Gélon does she propose a match to him. As she carefully explains to Gélon, she acts not to satisfy her personal desire, but only because she must bow to reasons of state: LAODAMIE Quand on a pour objet le bien de son Empire, Aux suffrages du peuple on doit souvent souscrire. (3.2) At the same time, Laodamie is not guided by duty alone. She allows rationality to be her guide. She reasons that she is willing to marry Gélon only if love and duty are compatible. Laodamie defends this personal right to Sostrate: LAODAMIE Maintenant je suis libre, et je veux faire un roi Qui soit digne du trône, et digne aussi de moi. (3.4) Thus, Laodamie is willing to renounce marriage to Gélon if he is unwilling to reign with her because of his love for the princess. She chooses not to abuse her power, acting calmly and rationally. When he refuses, she exiles him, not out of spite, but because she fears that were he to stay, the people would not recognize another king: LAODAMIE Un roi seul peut calmer la populace émue. Si vous ne l’êtes pas, il faut quitter ces lieux; Prince, votre personne attire trop les yeux.... Cette même valeur qui nous serait utile, Si vous ne régnez pas, fait que je vous exile. Mes sujets à l’aimer seraient toujours portés. Les détours seraient vains: ou régnez, ou partez. (5.2) The stoicism with which she delivers these lines demonstrates not just a sense of duty, but her ability to follow through with her own reasoning. Against the will of her people, she refuses to place the scepter into the 13 All quotes are drawn from Évain et al. 39-105. Theresa Varney Kennedy 374 hands of one who would not share the throne with her of his own free will. At the same time, she, like the Princess, still feels and expresses a deep love for Gélon. Laodamie is a rational actor, but not in the same way as Nitétis. Where Nitétis uses a colder form of reasoning, Laodamie expresses powerful emotions. For instance, after rejected by Gélon, she believes she may only find solace in death: LAODAMIE Interdite, confuse, et détestant mon sort, Est-il d’autre remède à mes maux que la mort? (5.3) One might argue that Laodamie’s death is accidental, yet her final words and actions suggest otherwise. In the final scene, Phénix reveals Laodamie’s carelessness for her own life when that of Gélon is threatened: PHÉNIX Ce n’est que pour Gélon qu’elle craint le danger. Loin d’éviter la mort à lui seul préparée, Elle est près de ce prince à son peril livrée. Elle croit détourner les coups par son aspect, Et que pour sa présence on aura du respect. (5.9) Just before going out in the square to quell the mutiny stirred up by Sostrate, Argire had informed Laodamie about the people’s discontent concerning Gélon’s exile. The crowd had rose up and declared him king. Given Laodamie’s sense of duty towards her people, it would not be out of line to suggest that she plays the role of an héroïne généreuse in the end—protecting the life of the one who the people named as future king. Her actions reveal a very rational choice to protect the one who might ensure the stability of the kingdom, and to give her life for the one whom she loves. Like the heroines before her, Laodamie prioritizes her duty to the state. In addition, her initial refusal to abuse her position of authority exhibits a strong sense of self and an ability to arrive at her own conclusions—a trait lacking in predecessors such as Nitétis. Laodamie’s ability to reason, and willingness to act on her decisions, allows her to drive the action forward and to assume the central role in the tragedy. Arrie (1702) Marie-Anne Barbier’s Arrie et Pétus was inspired by events that took place in Roman history during the reign of Emperor Claudius in 42. In the play, Arrie sets out to avenge the death of her father, whom the Emperor had executed. Ordered by her dying father to marry Pétus, whom Arrie loves, Arrie refuses because she wants to keep her beloved out of danger and La Princesse de Clèves and the Making of the Female Hero 375 because she wants full credit for organizing the coup designed to topple the emperor. Meanwhile, Claudius falls in love with Arrie and wants to force her into marrying him. When the coup is uncovered, Claudius gives Arrie a choice: either marry him or watch Pétus die. Only when Claudius complicates her plans by threatening to wed her by force does she feel obliged to bring Pétus into the conspiracy. She reasons that marriage to Pétus is both compatible with her personal honor and necessary for the success of the coup. By marrying Pétus, she becomes ineligible to marry the Emperor, who will likely respond by executing her. Knowing she will die, and determined to act on her own terms, she convinces Pétus that they must meet death by committing suicide together. Fearlessness and self-determination stand as Arrie’s heroic virtues. As stated by Aurore Evain and Alicia Montoya, Barbier actually modifies the historical account in order to glorify the female lead’s heroism. In the historical account, Arrie and Pétus are married before the coup arises. In Barbier’s version, Arrie marries Pétus in the third act, which sets up the suicide as a political act and not one of sentimentality. Thus, the author places emphasis on Arrie’s self-determination rather than her devotion to marital duty (Évain et al. 361). At numerous points, the dialogue points to Arrie’s ability to analyze her situation. In accepting an active role in organizing the coup, Arrie understands that she must place her own life, as well as Pétus’, in jeopardy: ARRIE La vengeance d’un père, et celle des Romains. Pétus pour me venger mettra tout en usage. Oui, j’en ai pour garants sa flamme, et son courage. Mais que j’achète cher son funeste secours, Quand je songe au peril où j’expose ses jours! (2.1) 14 Arrie remains unshaken even when danger arises. When Claudius uncovers the conspiracy, he places Arrie in the position of choosing death or marriage. Resolute to not let the Emperor control her, Arrie confidently refuses. To become Claudius’ bride would allow the Emperor to further sully her father’s honor: ARRIE Mon choix est déjà fait. Le plus triste esclavage Est moins affreux pour moi qu’un hymen qui m’outrage. (1.5) In order to fully take control of the course of events, Arrie reasons that her only course of action is to marry Pétus, an act which would at the very least 14 All quotes are drawn from Évain et al. 359-435. Theresa Varney Kennedy 376 prevent the Emperor from forcing her to marry him. She is fully aware that this will lead to her execution, yet she does not run from death. She welcomes it. She even rejects Pétus’ suggestion to seek exile, for such an escape would be shameful: ARRIE Oui, Pétus, mon exil me rendrait criminelle. La vengeance d’un père, et celle de l’État Passeraient désormais pour un lâche attentat. (3.5) Likewise, she encourages Pétus to choose death by committing suicide rather than allow Claudius to determine the method of execution. She expresses that this is the only way they may preserve their “glory”: ARRIE Vous me voyez, Pétus, pour la dernière fois. Mais puisqu’il faut mourrir, mourez à votre choix: Et de votre destin soyez le seul arbitre. Disputez au tyran un si superbe titre. Quelle honte pour vous! S’il vous traîne à l’autel Pour y faire à son gré tomber le coup mortel. (5.6) All the while, Arrie is not unfeeling. She will die to honor her father’s memory, but she also seeks to preserve her eternal love for Pétus: ARRIE Pour moi, quand tu la perds, la vie est sans attraits. Nos liens sont trop beaux pour les rompre jamais. (5.6) Like Laodamie and the Princess, this ability to think rationally while also allowing for emotion is what sets her apart from heroines like Nitétis. Arries pursues honor, but she is conscious of the emotional cost. Arrie also drives the action. As Pétus hesitates, Arrie determines her own fate by committing suicide first. She goes beyond the traditional dramatic role for women by exhibiting an impressive amount of self-determination and fearlessness. She does not let others determine her course of action, or even her tragic demise. Similarly, she does not fear the Emperor, Pétus’s death, or even her own death. No line summarizes the essence of her character better than: ARRIE Et penses-tu tyran, que la mort m’intimide? (2.5) In the end, this self-determination and fearlessness reach their unfortunate conclusion when she chooses suicide, for herself and Pétus, over succumbing to the Emperor. In choosing to marry Pétus, and unflinchingly accepting death, she appeals not only to the dutiful need to honor her father La Princesse de Clèves and the Making of the Female Hero 377 and her lover, but also to her own self-respect. Once again, Arrie’s brand of heroism, guided by rationality, but also intertwined with passion, enables her to control the outcome of events, even when she is at a disadvantage. Her ability to make decisions enables her to play the principal role in the action. Conclusion As we have seen, the Princess, having renounced marriage to live life on her own terms, embodies a new standard for female heroism in tragedy. Pre- Princess heroines, who can only exhibit heroic traits by serving as an auxiliary for their male counterparts, play a subordinate role in the action. In other words, pre-Princess heroines could not necessarily drive the narrative forward if they could not make their own choices. Even Nitétis—the title character—cannot detach from her male counterpart, placing her in a supporting role. As Nina Ekstein suggests, Madame de Villedieu’s plays are “largely models of virtual male authorship” and “all three of her tragicomedies are fundamentally male-centered, each presenting a male monarch whose power and initiatives determine the course of the action” (214). Even in this ostensibly female dominated play, the plot is driven by the male characters. On the other hand, post-Princess heroines, who could make independent decisions, are not subordinate to their male counterparts, and therefore do play a central role in the action. Laodamie and Arrie are, without a doubt, the foundational characters in their respective plays. And they are both complex characters—rational, yet passionate. Laodamie asks the one she loves to marry her, then exiles him when he refuses to assure the stability of her kingdom, even though she is still in love. Arrie seeks justice for her father’s death. But instead of simply playing into the Emperor’s hands or fleeing with her lover, Arrie stakes her own path, thereby determining the entire storyline. To be sure, post-Princess dramatic heroines are the main characters, capable of both rationalization and feelings. Might we propose a new category of “female heroes? ” I have shown that La Princesse de Clèves—and the salon environment from which it emerges—had a major effect on the concept of rationalism and female heroism. Granted, in the second half of the seventeenth century, there were more women writing plays. The payoff is a female lead who could combat the negative stereotypes associated with women. Laodamie and Arrie were fearless, passionate, and self-determined. Yet soon enough, as eighteenth-century drama replaced tragedy, female characters would be called back into the home, where wives and mothers displayed heroism by Theresa Varney Kennedy 378 preparing their households for the new Republic. In the post-Princess seventeenth century, though, a new, audacious, brand of women who spoke their minds took center stage. Bibliography Aristotle, Politique d’Aristote. Ed. J. Barthélemy Saint-Hilaire. Vol. 1. Paris: Imprimerie Royale, 1837. Beasley, Faith. “Catherine Bernard.” Seventeenth-Century French writers. Ed. Françoise Jaouën. New York: Thomson Gale, 2002, pp. 39-43. Corneille, Pierre. Œuvres. Ed. M. Ch. Marty-Laveaux. Vol. 5. Paris: Hachette, 1862. DeJean, Joan. Tender Geographies: Women and the Origins of the Novel in France. New York: Columbia University Press, 1991. Descartes, René. Discours de la méthode. Ed. George Heffernan. London: University of Notre Dame Press, 1994. 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Cyrano de Bergerac, Fontenelle, Fénelon V OLKER K APP (C HRISTIAN -A LBRECHTS -U NIVERSITÄT K IEL ) L’au-delà est présent dans l’imaginaire littéraire du XVII e siècle à un tel point qu’on peut s’y référer même d’une manière ludique pour divertir. Dans la commedia dell’arte, la dispute avec le diable provoque le rire afin de libérer le spectateur de l’angoisse métaphysique dont les procès de sorcellerie sont le produit le plus atroce. Elle est toutefois moins documentée dans les scénarios (canovaggi) que dans les publications qui lèguent à la postérité l’essentiel des improvisations sur la scène 1 . Francesco Andreini (1548-1624), qui est la vedette, avec son épouse Isabella, de la fameuse Compagnia dei Gelosi, réunit en 1607, sous forme de dialogues (ragionamenti) échangés avec son serviteur Trappola, des matériaux provenant de son rôle de soldat fanfaron. Au dialogue 40, Capitano Spavento se vante d’un tour joué à Pluton. Enragé contre ce « pire des diables des Enfers » 2 , il frappe du pied par terre et un abîme s’ouvre jusqu’aux Enfers où il voit Pluton délibérant avec ses démons des moyens d’anéantir Tancredi et ses troupes pour empêcher la reconquête de Jérusalem par les chrétiens. La croisée est envisagée à travers l’épopée du Tasse 3 , dont le capitaine Geoffroy de Bouillon importe moins au soldat vaniteux, faisant incessamment parade de ses aventures érotiques, que Tancredi, chrétien amoureux de la païenne Clorinda, qu’il tue par mégarde en duel (chant XII). Un volume contenant l’épopée du Tasse, lancé par Spavento furieux, enlève la couronne de la tête de Pluton, 1 Voir les textes publiés par Feruccio Marotti/ Giovanna Romei, La Commedia dell’arte e la società barocca. La professione del teatro, Rome, Bulzoni, 1991. 2 « […] al bruttissimo Diavol dell’Inferno » (Francesco Andreini, Le Bravure del Capitano Spavento a cura di Roberto Tessari, Pisa, Giardini, 1987, p. 185). Ce mélange du merveilleux païen et chrétien est courant au XVII e siècle. 3 Afin d’éviter toute erreur, Spavento mentionne « Jérusalem prise par le Tasse » (tutta la Gerusalemme conquistata del Tasso, p. 185) évoquant ainsi la deuxième version de l’épopée La Gerusalemme conquistata (1593). Volker Kapp 380 qui la lui fait rendre immédiatement afin d’empêcher les diables d’écrire contre lui, sa femme ou les Enfers 4 . Jean-François Lattarico réduit l’épisode à la ridiculisation du support mythologique 5 . Grâce à l’étude magistrale de Dorothea Scholl 6 , nous savons toutefois que le grotesque et le burlesque sont l’autre face du classicisme depuis la Renaissance italienne. Aussi l’apogée du burlesque dans la première moitié du XVII e siècle en France se manifeste-t-il autant dans la littérature religieuse que dans la production libertine 7 . Comme Francesco Andreini ne réduit pas le burlesque à sa version subversive, les hypothèses de Bakhtine, qui n’en admet que la dérision, restent inopérantes. La diététique du rire passe du discours médical aux genres comiques de la littérature où elle imprègne par exemple le Decameron de Boccace, modèle prestigieux de la nouvelle 8 . Les idées du critique russe se prêtent mieux à mettre en évidence le libertinage dans L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac. Aussi Claudine Nédelec s’en inspire-t-elle dans sa lecture de l’épisode du Paradis terrestre 9 , mais elle ignore la permanence de la vision mythique dans la valorisation de l’astronomie de cet ouvrage. Cette donnée sera au centre de notre article. Cyrano utilise le burlesque pour transmettre les théories astronomiques récentes en métamorphosant de manière comique les merveilleux chrétien 4 « […] per un corriero a posta mi rimandò l’eroico poema, scrivendomi che essendo quell’opera, opera per la sua eccellenza quasi che divina, egli non la voleva nel suo regno, dubitando che qualcheduno dei suoi diavoli non diventasse poeta, e scrivendo non scrisse in biasimo di lui, della moglie e dell’Inferno » (p. 186). La polysémie comique de la notion d’« excellence divine » du poème enlevant la couronne de Pluton rend manifeste le charme de la littérature. Voir notre article « Poetologische Aussagen in Le Bravure del Capitano Spavento von Francesco Andreini. Zur Bedeutung der Ragionamenti 40 und 49 für das Verständnis der Commedia dell’arte », dans Literaturwissenschaftliches Jahrbuch 30 (1989), pp. 93- 110. 5 « La nouveauté la plus intéressante du texte d’Andreini réside dans le fait qu’il ajoute aux quatre modes alors existant de lire et d’interpréter la mythologie (historique, physique, éthique et, depuis peu, politique, inspirée par la Cour et la Raison d’État) le mode comique dans le but de « mettre tout en désordre avec malice » (Venise incognita. Essai sur l’académie libertine au XVII e siècle, Paris, Honoré Champion, 2012, p. 162). 6 Von den « Grottesken » zum Grotesken. Die Konstituierung einer Poetik des Grotesken in der italienischen Renaissance, Münster, Lit, 2004. 7 Voir Stefanie Wolff, Todesverlachen. Das Lachen in der religiösen und profanen Literatur im Frankreich des 17. Jahrhunderts, Frankfurt, Lang, 2009. 8 Voir Béatrice Jakobs, Rhetorik des Lachens und Diätetik in Boccaccios Decameron, Berlin, Duncker & Humblot, 2006. 9 Les États et Empires du burlesque, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 377 et p. 449. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 381 et païen. Ses énoncés gagnent en qualité littéraire dès qu’on prend en considération cette structure de son imagination burlesque (I). L’idéal de la conversation écarte la mode du burlesque dans la seconde moitié du XVII e siècle. Perdant la possibilité de recourir au registre mythologique, Fontenelle diffuse les nouvelles théories astronomiques sous forme de conversations (II). Les Lumières ignorent L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune malgré leurs affinités avec Cyrano de Bergerac. Andreas Gipper explique cette désaffection par les théories de Michel Foucault 10 . Fénelon ressuscite en revanche la vision mythologique de l’au-delà dans ses Aventures de Télémaque (III). Il faudra expliquer pour quelle raison la permanence du mythe dans le Télémaque attire l’attention des philosophes, qui modifient toutefois ses intentions et se désintéressent des hardiesses burlesques de Cyrano (IV). I L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune paraît posthume en 1657 sous le titre Histoire comique de Monsieur de Cyrano de Bergerac, contenant Les Estats et Empires de la Lune chez l’éditeur parisien Charles de Sercey avec privilège et des modifications évidentes dues à la censure 11 . L’épisode du Paradis terrestre y transmet des idées libertines. Dans les environs de Paris, quatre amis discutent par pleine lune sur les nouvelles théories astronomiques. Le narrateur, qui avance la thèse - à l’époque pas encore désuète - de la lune habitée, est raillé par ses interlocuteurs, qui jugent cette idée, malgré son statut ‘scientifique’, incompatible avec l’astronomie depuis Galilée. Il allègue en vain l’autorité des anciens (Pythagore, Epicure, Démocrite) et des modernes (Copernic et Kepler). Rentré à la maison, les œuvres de Jérôme Cardan, philosophe et mathématicien 12 , sont posées, il ne sait pas pourquoi, sur la table. Lisant la page ouverte, il tombe sur le récit d’une rencontre nocturne avec les habitants de la lune et s’adresse au lecteur, à l’exemple de Lucien 13 : « Mais écoute, Lecteur, le miracle ou l’accident dont 10 Wunderbare Wissenschaft. Literarische Strategien naturwissenschaftlicher Vulgarisierung in Frankreich, München, Fink, 2002, p. 47. 11 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I. L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune. Les États et Empires du Soleil. Fragment de physique, édition critique par Madeleine Alcover, Paris, Honoré Champion, 2000, pp. CXIX-CXXIV. 12 Voir Jacques Le Brun, « Jérôme Cardan et l’interprétation des songes », dans La jouissance et le trouble. Recherches sur la littérature chrétienne de l’âge classique, Genève, Droz, 2004, pp. 109-136. 13 « Dans la tradition du voyage imaginaire telle qu’elle s’est constituée depuis l’Histoire Véritable de Lucien, la lune […] incarne donc simultanément un ailleurs Volker Kapp 382 la Providence ou la Fortune se servirent pour me le confirmer » 14 . L’apostrophe justifie sur deux plans le projet d’un voyage sur la lune, le renvoi traditionnel à un « miracle » de la « Providence » et l’explication sceptique d’un « accident » de la « Fortune ». Quoique le parallélisme subvertisse sans aucun doute la logique religieuse, l’épisode s’inspire des Confessions de saint Augustin, bien familier aux auteurs du XVII e siècle 15 . Le commentaire de Madeleine Alcover ignore ce trait intertextuel. Ce père de l’Église raconte au livre VIII les circonstances de sa conversion : il entre dans un jardin où une voix d’enfant le sollicite de prendre et lire (« tolle, lege » VIII, 12, 29). Il lit l’Épître au Romains (XIII, 13s) et devient un chrétien convaincu. Les Confessions sont familières au libertin Cyrano de Bergerac, bien qu’il doute de la Providence invoquée par saint Augustin. Il parodie la justification religieuse de l’action tout en profitant sur le plan littéraire. C’est une caractéristique constante de son ouvrage cherchant à récupérer sur le plan de la fiction les théories de l’astronomie afin d’en vérifier la pertinence. Un procédé similaire caractérise l’arrivée au « Paradis terrestre » dont le chant XXXIV du Roland furieux de l’Arioste constitue l’hypotexte. Le poète italien y recourt au topos du locus amoenus (XXXIV, 49-51). Cyrano se l’approprie en ne l’attribuant plus au Dieu créateur, mais à la nature : Là de tous côtés les fleurs, sans avoir eu d’autres jardiniers que la nature, respirent une haleine sauvage qui réveille et satisfait l’odorat ; […] là le printemps compose toutes les saisons ; […] là mille petites voix emplumées font retentir la forêt du bruit de leurs chansons, et la trémoussante assemblée de ces gosiers mélodieux est si générale qu’il semble que chaque feuille dans le bois ait pris la langue et la figure d’un rossignol 16 . L’évocation de l’agrément d’un paysage printanier avec ses fleurs et le gazouillement des oiseaux charment le lecteur. La nature en est l’unique « jardinière », donc elle seule est à l’origine du locus amoenus. Lorsque les prairies sont associées ensuite à l’océan, l’imaginaire intègre la vision du radical de la réalité terrestre et un univers parallèle au nôtre […] » (Jean-Michel Racault, Nulle part et ses environs. Voyage aux confins de l’utopie littéraire classique (1657-1802), Paris, PUPS, 2003, p. 8). 14 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, p. 7. 15 Voir Philippe Sellier, « Les Confessions dans la tradition littéraire : Port-Royal », dans Port-Royal et la littérature II. Le siècle de saint Augustin, La Rochefoucauld, M me de Lafayette, M me de Sévigné, Sacy, Racine. Deuxième édition augmentée de six études, Paris, Honoré Champion, 2012, pp. 113-142. 16 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, p. 32. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 383 monde de Copernic, avancée avant un prudent « peut-être » 17 . Dans les Lettres diverses, la même image de l’océan caractérise un parc 18 . Ce parc est rehaussé par les merveilleux païen et chrétien, quand l’épistolier s’enthousiasme : « J’ai trouvé le paradis d’Eden, j’ai trouvé l’âge d’or, j’ai trouvé la jeunesse perpétuelle, enfin j’ai trouvé la Nature au maillot […] » 19 . Les deux traits mythologiques se neutralisent mutuellement bien que l’explication de l’âge d’or par le paradis d’Eden soit courante à l’époque. Le rêve d’une jeunesse perpétuelle, dimension utopique du concept de la « Nature », joue un rôle important dans L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune. Le voyageur y accède dès son arrivée au Paradis terrestre parce que la vue des belles choses le métamorphose : Le vieux poil me tomba pour faire place à d’autres cheveux plus épais et plus déliés ; je sentis ma jeunesse se rallumer, mon visage devenir vermeil, ma chaleur naturelle se remêler doucement à mon humide radical ; enfin je reculai sur mon âge environ quatorze ans 20 . Ce rajeunissement s’opère à travers la sensibilité, c’est donc une opération physiologique du corps humain. Le discours médical se sert toutefois d’un ‘miracle’ emprunté au merveilleux païen. L’indication de quatorze ans, qui accentue l’intérêt rationaliste, donne une précision ‘scientifique’ à cette métamorphose. Une différence avec l’hypotexte italien saute immédiatement aux yeux : L’Arioste situe le Paradis sur une montagne (XXXIV, 48) tandis que le voyageur arrive sur « l’Arbre de Vie » 21 , qui lui permet de tout envisager 17 « On prendrait cette prairie pour un océan, mais parce que c’est une mer qui n’offre point de rivage, mon œil, épouvanté d’avoir couru si loin sans découvrir le bord, y envoyait vitement ma pensée ; et ma pensée doutant que ce fût là la fin du monde, se voulait persuader que des lieux si charmants avaient peut-être forcé le ciel de se joindre à la terre » (Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, pp. 32-33). 18 « A côté du château se découvrent deux promenoirs, dont le gazon vert et continu forme une émeraude à perte de vue […] on prendrait maintenant cette prairie pour une mer fort calme […]. Mais parce que cette mer n’offre point de rivage, l’œil comme épouvanté d’avoir couru si loin sans découvrir le bord, y envoie vitement la pensée, et la pensée doutant encore que ce terme qui finit ses regards ne soit celui du monde, veut quasi se persuader que des lieux si charmants auront forcé le ciel de se joindre à la terre » (Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes II. Lettres. Entretiens pointus. Mazarinades. Édition critique. Textes établis et commentés par Luciano Erba pour les Lettres et les Entretiens pointus et pour les Mazarinades par Hubert Carrier, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 99). 19 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes II, p. 97. 20 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, p. 33. 21 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, p. 31. Volker Kapp 384 dans l’optique de la raison scientifique. Les quatre fleuves du Paradis biblique (Gen II, 10-14) l’incitent à des réflexions sur la structure de l’espace. Il s’entretient ensuite, suivant le modèle du Roland furieux, avec Élie, qui ne voit pas « de merveille » dans son voyage dans l’au-delà attesté par la Bible (2 R II, 11), ce qui permet d’expliquer le transport du prophète dans le Paradis terrestre par le truchement de l’aimant. Cette désacralisation du récit biblique s’opère par un glissement « du registre du sacré à celui du merveilleux » 22 . L’exploitation technique des sciences naturelles enchante le voyageur. L’astuce de cet épisode se révèle grâce à l’hypotexte italien. Élie découvre au voyageur « un secret » concernant l’« Arbre de Vie ». Adam est censé en avoir mangé une des pommes, ce qui causa la longévité « des premiers pères ». Cette doctrine médicale, due à la raison scientifique, sert de prétexte pour transformer deux synonymes bibliques en deux arbres différents. Enoch présente ensuite « l’Arbre de Savoir » où le narrateur aurait pu puiser, selon lui, « des lumières inconcevables sans [son] irréligion » : L’Arbre de Science est planté vis-à-vis. Son fruit est couvert d’une écorce qui produit l’ignorance dans quiconque en a goûté, et qui sous l’épaisseur de cette pelure conserve les spirituelles vertus de ce docte manger 23 . Par la suite la plante fantaisiste 24 servira à rendre plausible l’enchaînement des épisodes. Cette fonction diégétique, justifiée sur le plan de la structure littéraire, explicite en outre un autre projet ‘scientifique’ à l’intérieur du domaine mythique. On reconnaît la contamination de l’Arbre d’Eden par le mythe de Léthé, fleuve de l’au-delà, dont l’eau fait oublier leur passée aux morts. Cyrano s’inspire de nouveau du Roland furieux tout en le modifiant. La perte de mémoire est au centre de la péripétie du Paradis terrestre dans le Roland furieux. Le voyage d’Astolfo dans l’au-delà y est motivé par la nécessité de récupérer le bon sens du protagoniste de ce romanzo. Cyrano se passe de l’astuce comique du dépôt des objets perdus dans le Paradis terrestre (XXXIV, 76-82), parmi lesquels se trouve une fiole renfermant l’esprit de Roland et tous ses dons de guerrier (XXXIV, 83-88). Il ne retient que la curiosité scientifique qui se moque de la foi. Il est donc logique que la raillerie du voyageur y soit identifiée avec l’ennemi de Dieu, « le Diable ». 22 Alexandra Torero-Ibad : Libertinage, science et philosophie dans le matérialisme de Cyrano de Bergerac. Préface de Francine Markovits, Paris, Honoré Champion, 2009, p. 66. 23 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, p. 45. 24 La notion d’« Arbre de Science » est biblique (Gen II, 17), le terme « l’Arbre de Savoir » (p. 45) ne l’est pas. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 385 Le narrateur désacralise le ravissement mystique de l’apôtre saint Jean en le transposant sur le plan des appareils techniques : Dieu fut un jour averti que l’âme de cet évangéliste était si détachée qu’il ne la retenait plus qu’à force de serrer les dents. Et cependant l’heure, où il avait prévu qu’il serait enlevé céans, était presque expirée ; de façon que, n’ayant pas le temps de lui préparer une machine, il fut contraint de l’y faire être vitement, sans avoir le loisir de l’y faire aller 25 . Le merveilleux chrétien, incompatible avec les sciences naturelles, se prête à spéculer sur un moyen technique se substituant au ravissement mystique. L’idée, alors utopique, de faire voler l’homme anticipe sur l’évolution du domaine technique grâce au mythe biblique. Cyrano feint d’ignorer que cet épisode relève de l’imaginaire en prétendant confondre le fictif avec la réalité. Au lieu d’expliquer la métamorphose miraculeuse des états du corps humain, il focalise l’attention sur la permanence de la mémoire du protagoniste, qui, affamé, oublie la différence entre l’écorce et le fruit de l’« Arbre de Science » et mange une pomme pas encore mûre et donc pernicieuse pour lui 26 . Cette méprise fournit au narrateur une justification raisonnable du fait d’avoir gardé la mémoire des aventures au Paradis terrestre : Quand depuis j’ai fait réflexion sur ce miracle, je me suis figuré que cette écorce ne m’avait pas tout à fait abruti, à cause que mes dents la traversèrent et se sentirent un peu du jus de dedans, dont l’énergie avait dissipé les malignités de la pelure 27 . Le verbe « se figurer » met l’explication ‘scientifique’ au même plan que le discours mythique. L’épisode exploite de façon ludique les contradictions entre la manière de penser du mythe et la raison qui « ne trouvent de sens que […] dans l’élaboration d’un univers fictionnel et d’un imaginaire où les jeux spéculaires alternent avec la démultiplication des points de vues et des opinions » 28 . Le burlesque permet donc de saisir le merveilleux sur le plan 25 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, p. 49. 26 « [...] la faim me pressait avec tant de violence […] que je tirai une de ces pommes dont j’avais grossi ma poche, où je cachai mes dents. Mais au lieu de prendre une de celles dont Enoch m’avait fait présent, ma main tomba sur la pomme que j’avais cueillie à l’Arbre de Science et dont, par malheur, je n’avais pas dépouillé l’écorce » (Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, p. 50). 27 Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes I, p. 51. 28 Maria Susana Seguin, « Raison et invention dans Les États et Empires de la Lune et du Soleil : du discours scientifique au discours littéraire », dans Jean-Charles Darmon (dir.), Cyrano de Bergerac Les États et Empires de la Lune et du Soleil, littératures classiques 53 (2004) - Supplément, pp. 160-161. Volker Kapp 386 ‘scientifique’ en le démythifiant. Cyrano décrypte les « thèses novatrices » par la pointe qui semble « déresponsabiliser les débats philosophiques, scientifiques, théologiques évoqués tout en les faisant glisser du côté d’un jeu expérimental sur les mots et les images qu’ils éveillent, hors d’une problématique du vraisemblable » 29 . C’est sa manière de dépasser les limites des acquis scientifiques et de subvertir en même temps la mentalité religieuse. II Le déclin du burlesque rend caduque le projet de Cyrano de vulgariser les résultats scientifiques par l’imaginaire. Le Discours de la méthode (1637) de Descartes et les Lettres provinciales (1656/ 7) de Pascal profitent d’autres registres littéraires pour diffuser leurs doctrines philosophiques, scientifiques et théologiques. Descartes apprécie Guez de Balzac vilipendé par Dom Goulu 30 . L’honnêteté devient une des présupposés des Pensées de Pascal 31 . Les exagérations, les déformations ou les obscénités burlesques rebutent les honnêtes gens et les règles de bienséance favorisent « le goût d’un rire plus fin, d’une esthétique du sourire et de l’ironie accordée à la conversation spirituelle » 32 . Il semble toutefois surprenant que le thème du voyage dans l’au-delà rebute en France les Modernes tandis qu’en Italie le Vénitien Francesco Busenello imagine un livret d’opéra Il viaggio d’Enea all’inferno 33 dont les libertés prises avec l’épopée virgilienne devraient plaire aux Modernes français, hostiles à ce qu’on qualifie de baroque italien. Un certain esprit cartésien modifie profondément ce domaine de l’imaginaire littéraire. René Le Bossu appauvrit la riche gamme de l’écriture figurative dans son Traité du poëme épique (1675), que les philosophes honniront malgré son rationalisme. Les membres de l’Académie des inscriptions intègrent le débat sur le mythe dans les paradigmes historiques en préfigurant la future discipline de l’histoire des religions. Les travaux de Fontenelle s’inscrivent dans ce contexte. 29 Jean-Charles Darmon, Le songe libertin. Cyrano de Bergerac d’un monde à l’autre, Paris, Klincksieck, 2004, p. 61. 30 Voir Jean-Louis Guez de Balzac, Socrate chrestien. Édition critique par Jean Jehasse, Paris, Honoré Champion, 2008, pp. 241-254. 31 Voir Laurent Susini, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Honoré Champion, 2008, pp. 347-465. 32 Alain Génetiot, Le classicisme, Paris, PUF, 2005, p. 305. 33 Voir l’édition du texte resté jusqu’alors inédit par Jean-François Lattarico, Bari, Palomar, 2010. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 387 Son traité Sur la Poésie en général (1751) « développe une conception strictement intellectuelle de la poésie » 34 en distinguant les « images fabuleuses » des images « réelles » : Les fabuleuses ne parlent qu’à l’imagination prévenue d’un faux système ; les réelles ne parlent qu’aux yeux : mais il y en a encore d’autres qui ne parlent qu’à l’esprit, et qu’on peut nommer par cette raison spirituelles 35 . L’homme qui désire se libérer des préjugés délaisse la vision fabuleuse du monde pour adhérer au rationalisme cartésien sans se passer du divertissement procuré par la poésie. L’éventail opulent d’images qui se présentent aux yeux fournit assez de matière pour en nourrir l’imaginaire poétique. Le monde ultra-terrestre, inaccessible au sens visuel, perd tout son prestige et devient obsolète pour l’imaginaire littéraire. Cette modification des présupposés de la littérature comporte l’avantage de se débarrasser du bagage encombrant des litterae antiques. Le plaidoyer en faveur des images « réelles » et « spirituelles » s’accorde parfaitement avec l’idéal « d’un homme du monde, qui parle agréablement, et qui écrit comme il parle » 36 . Il rend donc hommage au bons sens de l’élite sociale désabusée autant qu’aux promoteurs des sciences naturelles et du rationalisme philosophique. La civilité du grand monde fournit une base solide pour la modification des paramètres littéraires. Dans la préface des Entretiens sur la pluralité des mondes (1686), Fontenelle justifie les « digressions […] par la liberté naturelle de la conversation » 37 et l’argument de la présence d’hommes sur la lune par une distinction ingénieuse : L’objection roule donc toute entière sur les hommes de la Lune ; ce sont ceux qui la font, à qui il plaît de mettre des hommes dans la Lune ; moi, je n’y en mets point. J’y mets des habitants qui ne sont point du tout des hommes ; que sont-ils donc ? Je ne les ai point vus, ce n’est pas pour les avoir vus que j’en parle. […] vous verrez qu’il est impossible qu’il y en ait 34 Philippe Chométy, « Philosopher en langage des dieux ». La poésie d’idées en France au siècle de Louis XIV, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 168. 35 Fontenelle, Œuvres complètes. V. Théâtre et autres textes 1710-1751, Paris, Fayard, 1993, p. 549. 36 C’est ainsi que le libraire présente dans son avertissement les Lettres galantes (1683) dont Fontenelle nie être l’auteur (Fontenelle, Œuvres complètes I, Paris, Fayard, 1990, p. 265). 37 Fontenelle, Œuvres complètes I. Entretiens sur la pluralité des mondes. Présentés et annotés par Claire Cazanave. Sous la direction de Claudine Poulouin, Paris, Honoré Champion, 2013, p. 140. Volker Kapp 388 selon l’idée que j’ai de la diversité infinie que la nature doit avoir mise dans ses ouvrages 38 . L’astuce de renvoyer ceux qui sont sceptiques vis-à-vis de la présence humaine sur la lune aux préjugés littéraires permet de se distancer de la tradition tout en prétendant s’y conformer. En vérité, l’imaginaire littéraire échoue face aux lois du monde sensible. Il est impossible d’affirmer sous ces prémisses la présence d’hommes sur la lune, dès qu’on ne les a pas vus de ses propres yeux. Fontenelle ne cherche « autre chose dans les Fables, que l’histoire des erreurs de l’esprit humain » 39 , mais la dénonciation des fausses convictions devient plus évidente dès qu’elle mobilise l’illusion dont se sert le domaine littéraire. Le théâtre à machine, dont la tragédie en musique, mal vue par les Anciens, est le dernier refuge, éclaire mieux dans les Entretiens sur la pluralité des mondes le spectacle de la nature que l’imaginaire fabuleux expulsé des paramètres littéraires. Le topos du spectacle de la nature confirme la philosophie cartésienne en focalisant l’attention sur les machines : […] la nature est un grand spectacle qui ressemble à l’Opéra. Du lieu où vous êtes à l’Opéra, vous ne voyez pas le théâtre tout à fait comme il est ; […]. Aussi ne vous embarrassez-vous guère de deviner comment tout cela joue. […]. A la fin Descartes et quelques autres Modernes sont venus, qui ont dit : Phaéton monte, parce qu’il est tiré par des cordes, et qu’un poids plus pesant que lui descend. […] et qui verrait la nature telle qu’elle est, ne verrait que le derrière du théâtre de l’Opéra 40 . L’illusion théâtrale présuppose le bon fonctionnement des machines. Son mensonge exalte les inventions techniques permettant un spectacle grandiose dont la tromperie enchante le spectateur en niant tout renvoi à une réalité ultra-terrestre. La merveille technique confirme l’efficacité de l’exploitation systématique des lois établies par les sciences naturelles et dispense de tout recourt à l’au-delà. Les conceptions des sciences naturelles semblent tellement évidentes qu’on peut se passer du merveilleux païen ou chrétien pour expliquer le monde visible. L’Histoire des oracles (1687) remanie l’Oraculis Ethicorum dissertationes duae : quarum prior de ipsorum duratione ac defectu, posterior de eorumdem Auctoribus (Amsterdam 1683) afin de rendre l’ouvrage de Van Dales accessible aux honnêtes gens. L’opposition entre la vision païenne et 38 Fontenelle, Œuvres complètes I. Entretiens sur la pluralité des mondes, p. 141. 39 De l’origine des Fables dans Fontenelle, Œuvres complètes III, Paris, Fayard, 1989, p. 202. 40 Fontenelle, Œuvres complètes I. Entretiens sur la pluralité des mondes, p. 149-150. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 389 chrétienne de l’oracle y est soumise à une logique « empirique » 41 . En se distanciant dans sa préface des chrétiens prétendant réduire les oracles à une tromperie démoniaque, Fontenelle avance « hardiment que les Oracles, de quelque nature qu’ils aient été, n’ont point été rendus par les Démons » et soutient « qu’ils n’ont point cessé à la venue de Jésus-Christ » 42 . En prétendant que le père Louis Thomassin lui a enlevé « l’honneur de la nouveauté du Paradoxe, en traitant les Oracles de pures fourberies », il renvoie au « chapitre XXVI du livre II » de La Méthode d’étudier et d’enseigner chrétiennement et solidement les Lettres humaines par rapport aux Lettres divines (Paris 1685-1693), dont le premier volume est consacré à la littérature de l’Antiquité où les oracles jouent un rôle important. Depuis la Renaissance, ces oracles reviennent sans cesse dans les œuvres littéraires, particulièrement dans le théâtre où ils servent à annoncer de manière ambigüe ou obscure des catastrophes futures. Fontenelle, qui est gêné de ce ressort de l’imaginaire littéraire, cite le chapitre XIX en entier - ainsi que le début du chapitre XX de l’œuvre de Thomassin 43 et interrompt la citation à l’endroit où le théologien allègue quelques vers de la Pharsale de Lucain. Ce n’est pourtant pas Lucain mais l’Oratorien qui dérange Fontenelle parce que celui-ci cherche à actualiser la démarche des Pères de l’Église qui s’ingéniaient à découvrir dans la littérature païenne des vestiges ou des prémices de la révélation biblique 44 . Dans la préface, Thomassin évoque la conviction des Pères de l’Église suivant laquelle les poètes grecs ont puisé leur mythologie dans la Bible en en occultant la doctrine soit par « la malignité des Demons » soit par « l’ignorance & la negligence des hommes ». Il soutient que les vérités révélées correspondent à celles « de la loi naturelle que Dieu a écrites dans le fond de l’âme » 45 . Comme cette thèse s’accorde avec 41 Pierre Malandain, « Nature et histoire dans l’Histoire des oracles », dans Alain Niderst (éd.) : Fontenelle. Actes du colloque tenu à Rouen du 6 au 10 octobre 1987, Paris, PUF, 1989, p. 77. 42 Fontenelle, Œuvres complètes II, p. 147. 43 Son indication du chapitre XXVI est donc erronée, voir Fontenelle, Œuvres complètes II, p. 142-143 et Thomassin, La Méthode, vol. I, p. 590. 44 Voir notre article, « Le Bossu et l’explication allégorique de la mythologie », dans La mythologie au XVII e siècle. Actes du 11 e Colloque du C.M.R. 17 (Janvier 1981), Marseille 1982, pp. 66-72. 45 La Méthode d’étudier et d’enseigner chrétiennement et solidement les Lettres humaines par rapport aux Lettres divines, Paris, François Muguet, 1685, vol. I, non pag. Voir à ce propos notre article « Pour une théorie de la lecture allégorique au XVII e siècle », dans Storiografia della critica francese nel Seicento. Quaderni del Seicento francese 7 (1986), pp. 389-405. Volker Kapp 390 certains aspects de l’Histoire des oracles, Fontenelle s’autorise de l’Oratorien bien qu’il s’en écarte par l’esprit et par les intentions. L’Histoire des oracles constitue la version libertine du débat soulevé par la désaffectation du schéma traditionnel des quatre sens de l’Écriture sainte. La Préface générale sur l’explication littérale de toutes les Épîtres de Saint Paul (1708) de La Bible de Port-Royal se distancie de toute lecture figurative : […] il ne faut pas s’imaginer que le sens propre et légitime de l’Écriture, lorsqu’il est naturellement et nettement expliqué, ait absolument besoin pour être goûté des fidèles d’autre chose que de sa propre beauté, et qu’il soit tellement nécessaire d’y ajouter le tour de notre imagination pour le rendre plus agréable qu’on ne le puisse autrement insinuer dans le cœur 46 . L’exaltation du « sens propre » de l’Écriture sainte réagit à la discussion sur la vérité des fables païennes aussi bien qu’à l’exégèse critique de Richard Simon. Elle signale un déplacement du centre d’intérêt d’une universalité synthétisant l’intramondain et l’ultra-terrestre vers une optique séparant les deux plans 47 . L’expérience mystique est marginalisée parce que sa synthèse de deux plans et sa prétention de traduire la vision du divin en langage humain se situent hors des paramètres de la rationalité scientifique. Les conséquences des débats théologiques sur l’expérience mystique importent autant pour l’œuvre de Fontenelle que son libertinisme puisqu’elle s’inscrit dans les travaux scientifiques de l’époque. Il faudra se garder d’assimiler le refus des fables par Fontenelle à son statut de Moderne. Dans la Querelle des Anciens et des Modernes, Charles Perrault partage avec l’auteur de l’Histoire des oracles le refus de l’Antiquité. Il déteste « l’obscurité des mythes » et « l’immoralité du paganisme » et les combat en promouvant « des récits plus vertueux : les contes de fée nationaux » 48 . Ses Contes, qui récupèrent le merveilleux en se passant du voyage ultra-terrestre, favorisent l’essor de la prose tandis que Fontenelle plaide pour la poésie dans son Discours sur la nature de l’églogue : « La Poésie pastorale est apparemment la plus ancienne de toutes les Poésies, parce que la condition de Berger est la plus ancienne de toutes les conditions 49 . 46 Bernard Chédozeau, L’Univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, Paris, Honoré Champion, 2013, p. 510. 47 Voir Henri de Lubac, Augustinisme et théologie moderne, Paris, Cerf, 2009. 48 Roger Zuber, Les émerveillements de la raison. Classicismes littéraires du XVII e siècle français, Paris, Klincksieck, 1997, p. 212. 49 Fontenelle, Œuvres complètes II, p. 384. Voir notre article « Der Zusammenhang von Poetik der Ekloge und Beurteilung der Zivilisation bei Fontenelle und Houdar de La Motte », dans Romanische Forschungen 89 (1977), pp. 417-441. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 391 Ce constat constitue une manière élégante de se distancier d’un théorème cher aux Anciens qui associent ancienneté et qualité ; aussi la pastorale est-elle, « avec son âge d’or où Dieu et le péché sont ignorés, […] un genre antichrétien » 50 . D’après le Discours, « de leur temps le monde n’avoit pas encore eu le loisir de se polir […] et la vie de campagne et la Poésie des Pasteurs ont toujours dû être fort grossières ». D’où il résulte la conclusion désabusée « que la Poésie pastorale n’a pas de grands charmes, si elle est aussi grossière que le naturel » 51 . Selon Sur la poésie en général, « [l]a gêne, qui fait l’essence et le mérite brillant de la poésie, ne fut pas grande dans les premiers temps » 52 . Fontenelle y vante « les images de l’ordre général de l’Univers, de l’Espace, du Temps, des Esprits, de la Divinité » parce qu’elles permettent d’allier « la plus haute Philosophie » et les dons du « Poëte Philosophe » 53 . L’enthousiasme captive l’imagination dans la mesure où le poète devient philosophe et que la pensée détermine l’imagination. D’après Fontenelle, les poètes « modernes » surpassent par là même les anciens philosophes, qui s’en tiennent aux images sans parvenir à l’univers des idées abstraites 54 . Les Nouveaux dialogues des morts se passent du monde ultra-terrestre ridiculisé par Arétin, qui se moque de Virgile métamorphosant Auguste, après sa mort, en étoile. D’après Arétin, « A peine le Peuple le plus ignorant eût-il été dupe de cette sottise-là ». Virgile proteste contre cette imputation et réplique en précisant le statut de l’au-delà : Si les Champs Elisées […] ne passoient que pour des fadaises, la louange de Caton ne vaut pas mieux que celle d’Auguste. Oh ! dit aussitôt Arétin, la louange que vous donnez à Caton, veut seulement dire que s’il y avoit des Champs Elisées, on y sépareroit les gens de bien d’avec les autres […]. Hé bien, répondit Virgile, la louange que j’ai donnée a [sic] Auguste, vouloit dire aussi que si les grands Hommes étoient reçus après leur mort parmi les Divinités, on respecteroit assez Auguste, pour lui laisser choisir le rang et l’emploi qu’il lui plairoit 55 . 50 Alain Niderst, Fontenelle, Paris, Plon, 1991, p. 130. 51 Fontenelle, Œuvres complètes II, p. 385. 52 Fontenelle, Œuvres complètes V, p. 542. 53 Fontenelle, Œuvres complètes II, pp. 552-555. 54 « Un Poëte doit être tout embrasé d’un feu céleste ; et autant qu’il est Philosophe, c’est autant d’eau versée sur ce beau feu. […] Les Philosophes anciens étoient plus Poëtes que Philosophes ; ils raisonnoient peu […] » (Fontenelle, Œuvres complètes II, pp. 555-557). 55 Fontenelle, Œuvres complètes I, pp. 224-225. Volker Kapp 392 Si le poète romain ne contredit pas Arétin qualifiant le monde ultra-terrestre de « fadaise », il accepte donc la destruction du mythe des Champs-Elysées. Les morts présents dans la fiction littéraire ou dans la mémoire culturelle perdent ainsi toute référence à l’espace où la croyance païenne ou chrétienne les situe. Fontenelle se contente d’être « l’Imitateur » et « le Copiste » 56 de Lucien de Samosate en détachant complètement le genre du dialogue des morts de l’imaginaire religieux. Perrot d’Ablancourt vantait chez Lucien cette « humeur gaye et enjouée, et cét air galant que les anciens nommoient urbanité, sans parler de la netteté et de la pureté de son stile, jointes à son élegance et à sa politesse » 57 . D’après son traducteur, le « railleur grec donnait ainsi la caution à une attitude morale » 58 , caution que Fontenelle métamorphose en un imaginaire littéraire préfigurant le siècle des Lumières. III Comment peut-on faire dialoguer des personnages qui ne purent se rencontrer au cours de leur vie quand on insiste sur l’historicité d’un tel personnage ? Fontenelle ne fournit qu’une motivation littéraire, à savoir son ambition de rivaliser avec l’attitude moqueuse de Lucien. En accentuant la désinvolture vis-à-vis de l’au-delà de son hypotexte antique, il invite à ériger les Nouveaux dialogues des morts en précurseurs de « la découverte des aspects de la vie associée et de l’organisation du savoir qui se passent de toute sanction religieuse » 59 . Les Dialogues des morts de Fénelon, qui s’en distinguent par le fond et par la forme, récupèrent dans une optique pédagogique, exigée par l’éducation du Duc de Bourgogne, l’univers mythologique 60 . Le jugement de Stendhal 61 documente leur prestige hors des 56 Fontenelle, Œuvres complètes I, p. 227 et p. 263. 57 Nicolas Perrot d’Ablancourt, Lettres et préfaces critiques publiées avec une introduction, des notices, des notes et un lexique par Roger Zuber, Paris, Didier, 1972, p. 182. Roger Zuber note que Perrot d’Ablancourt a remplacé le terme d’« urbanité Attique » de la première édition « par une phrase plus proche du goût classique, qui substitue à l’atticisme et à la raillerie l’élégance et la politesse » (ibid.). 58 Roger Zuber, Les « belles infidèles » et la formation du goût classique, Paris, Albin Michel, 1995, p. 397. 59 Gianni Paganini, « Fontenelle et la critique des oracles entre libertinisme et clandestinité », dans Alain Niderst (éd.) : Fontenelle. Actes, p. 347. 60 Voir Nicola Graap, Fénelons Dialogues des morts composés pour l’éducation d’un prince. Studien zu Fénelons Totengesprächen im Traditionszusammenhang, Hamburg, Lit, 2001. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 393 milieux scolaires. L’archevêque de Cambrai modifie encore plus l’imaginaire littéraire du monde ultra-terrestre par ses Aventures de Télémaque (1699) dont l’épisode de la descente aux Enfers « a toujours été l’un des textes les plus commentés » 62 . Il s’y passe de tout rapport intertextuel au Roland furieux de L’Arioste aussi bien que de la défiguration burlesque du merveilleux ou des préoccupations scientifiques des États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac. Les lectures satyriques de l’ouvrage fénelonien à l’époque de sa publication restent marginales par rapport au succès fulminant du Télémaque au siècle des Lumières 63 . Comment s’explique ce retour à l’imaginaire mythologique ? Est-ce que Fénelon méconnaît le changement des paradigmes qui se manifeste dans les Nouveaux dialogues des morts ? L’homme d’Église, qui est le mentor du petit-fils de Louis XIV, se doit de repousser l’agnosticisme de Fontenelle. Loin de se cantonner dans la polémique contre le libertinisme, il adopte une optique jouissant d’un vaste consensus dans la France du Roi-Soleil et détecte une démarche qui nécessite la prise en considération du rôle traditionnel de la mythologie païenne : l’introduction à l’univers des valeurs des rois de France. Fénelon projette ces valeurs dans un monde imaginaire selon les lectures alors courantes des litterae antiques, tandis que Bossuet les avait accentuées dans Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte publiée en 1709, par une mise en relief de thèmes bibliques. En intitulant la première édition publiée en 1699 chez la veuve de Claude Barbin, Suite du quatrième livre de l’Odyssée d’Homère ou les Avantures de Télémaque fils d’Ulysse, le genre de l’épopée est rendu présent aussi bien que son univers peuplé de héros fabuleux et de leurs divinités tutélaires ou adversaires. Fénelon suit donc une stratégie littéraire analogue à celle des Nouveaux dialogues des morts pour réintroduire l’au-delà, expulsé par Fontenelle à la suite de l’hypotexte de Lucien de Samosate. Il s’approprie la démarche traditionnelle de la pédagogie humaniste selon le principe caractérisé dans la célèbre formule : « Pour Télémaque, c’est une narration fabuleuse en forme de poème héroïque, comme ceux d’Homère et de Virgile, où 61 « Les seuls auteurs qui me fassent l’effet de bien écrire, c’est Fénelon : les Dialogues des morts, et Montesquieu » (La Chartreuse de Parme. Annexes, Genève, Cercle du Bibliophile, 1969, vol. II, p. 526). 62 Henk Hillenaar, « Télémaque aux enfers », dans François-Xavier Cuche - Jacques Le Brun (éd.), Fénelon Mystique et Politique (1699-1999). Actes du colloque international de Strasbourg pour le troisième centenaire de la publication du Télémaque et de la condamnation des Maximes des Saints, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 359. 63 Voir Volker Kapp, Télémaque de Fénelon. La signification d’une œuvre littéraire à la fin du siècle classique, Tübingen - Paris, Narr - Place, 1982. Volker Kapp 394 j’ai mis les principales instructions qui conviennent à un prince que sa naissance destine à régner » 64 . La « narration fabuleuse » orchestre toute la gamme des registres littéraires des litterae antiques pour laquelle le monde ultra-terrestre prolonge la réalité historique et le monde visible. Cette optique a l’avantage de retrouver dans les personnages connus de la tradition les idéaux inspirant les idéaux de la politique royale. Le précepteur du petit-fils du Roi-Soleil est tenu à former son élève selon les visées du monarque. Fénelon invente à ce propos « un récit de la piété filiale » et la périphrase de « fils d’Ulysse » définit en effet le protagoniste « comme le fils à la recherche du géniteur perdu » 65 . Il métamorphose la déesse de la sagesse en Mentor pour s’assurer du prestige divin dans les instructions dispensées à Télémaque et exploite la tradition épique du voyage dans le monde ultra-terrestre pour y trouver dans les aïeux les garants de la validité des leçons de l’éducateur. Cette rencontre avec des personnages parvenus à leur vérité inaltérable concrétise l’univers des idées morales. Le bisaïeul Arcésius félicite Télémaque d’être « descendu dans le royaume de Pluton pour chercher [s]on père » 66 parce que cet acte favorisera « une émulation morale avec des figures indiscutablement reconnues » 67 . Il le libère de la crainte de rencontrer son père défunt dans cette région, crainte toute terrestre puisque « Télémaque […] fut si saisi de ce goût de paix et de félicité qu’il eût voulu y trouver Ulysse, et qu’il s’affligeait d’être contraint lui-même de retourner ensuite dans la société des mortels » 68 . La nostalgie d’un ailleurs paradisiaque, que les libertins associent au progrès scientifique et aux réformes politiques, se situe ici dans le domaine moral soustrait à la compétence des sciences naturelles, aussi la révolution copernicienne qui préoccupait Cyrano de Bergerac perd-elle son impact sur cet au-delà. Faut-il qualifier de rétrograde cette vision du voyage ultraterrestre ? Cette hypothèse est invalidée dès qu’on compare la structure littéraire du Télémaque à un des voyages utopiques publiés quelques décennies auparavant. 64 Fénelon, Œuvres complètes, Paris - Lille - Besançon, Leroux et Jouby etc., 1850, vol. VII, p. 665. 65 François-Xavier Cuche, Télémaque entre père et mer, Paris, Honoré Champion, 1994, p. 187. 66 Fénelon, Œuvres II. Édition présentée, établie et annotée par Jacques Le Brun, Paris, Gallimard, 1997, p. 248. 67 Isabelle Trivisani-Moreau, « A la rencontre des morts. La catabase en images de Télémaque » dans Arlette Bouloumié (dir.), Les Vivants et les Morts. Littérature de l’entre-deux-mondes, Paris, Imago, 2008, p. 44. 68 Fénelon, Œuvres II, p. 248. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 395 Les récits inventés de voyages dans les continents lointains transforment les topoi littéraires de l’au-delà. C’est pour cette raison que La Terre Australe connue (1676) de Gabriel de Foigny reste proche de Cyrano de Bergerac en expliquant le désir de se rendre ailleurs. L’avis au lecteur commence par l’affirmation : L’Homme ne porte aucun caractere plus naturel, que le desir de penetrer dans ce qu’on estime diffcil [...]. Il veut même monter dans les Cieux : & non content de raisonner & discourir des étoiles, il s’éforce d’approfondir dans les secrets de la Divinité 69 . La nature et la curiosité humaines justifient sur le plan terrestre la volonté d’explorer les espaces inconnus dès qu’on y associe l’au-delà et « les secrets de la Divinité ». Cette mentalité scientifique subvertit sans aucun doute la foi traditionnelle. Elle ramène l’inspiration religieuse à l’orbite de la raison et désire soumettre toutes les dimensions du réel à sa force d’analyse. Elle s’érige ainsi en législatrice de tout le savoir. Le Télémaque récuse cet orgueil au plan mythologique en justifiant le voyage dans l’au-delà au quatorzième livre. Le voyageur s’y autorise de prémonitions funestes émergées dans ses rêves nocturnes. Cette motivation onirique, par ailleurs erronée, est doublée d’une justification mythologique de cet épisode 70 . Télémaque qui juge hardi son projet de pénétrer aux Champs-Élysées l’oppose à trois cas connus de la tradition antique : Thésée y est bien descendu, Thésée, cet impie qui voulait outrager les divinités infernales, et moi, j’y vais conduit par la piété. Hercule y descendit. Je ne suis pas Hercule. Mais il est beau d’oser l’imiter. Orphée a bien touché, par le récit des ses malheurs, le cœur de ce dieu qu’on dépeint comme inexorable : il obtint de lui qu’Eurydice retournât parmi les vivants 71 . Les trois personnages agissaient selon des intentions différentes et leur énumération prépare l’apogée du ‘voyage’ motivé par sa « piété » filiale et 69 La Terre Australe Connue : c’est a dire La Description de ce pays inconnu jusqu’ici, de ses mœurs & de ses coûtumes. Par M r Sadeur, Avec les avantures qui le conduisirent en ce Continent, & les particularitez du sejour qu’il y fit durant trente-cinq ans & plus, & de son retour. Reduites & mises en lumiere par les soins & la conduite de G. de F., Vannes, Jaques Vernevil, 1676, non pag. 70 Voir sur cet argument notre article « Monde onirique, intertextualité et instruction morale : Le voyage dans l’au-delà dans le livre XIV du Télémaque », Isabelle Trivisani-Moreau avec la collaboration de Jean Garapon (dir.), Lectures de Fénelon. Les Aventures de Télémaque, Rennes, PUR, 2009, pp. 63-73. 71 Fénelon, Œuvres II, p. 234. Volker Kapp 396 par sa recherche du père. L’au-delà prolonge son exploration de la Méditerranée, réelle et imaginaire à la fois. Ce cadre global frappa les lecteurs à un point tel que la plupart des éditions au siècle des Lumières comportent une carte qui situe les périples du Télémaque dans l’espace géographique 72 . Les analogies avec les récits de voyages exotiques dans les continents lointains sont évidentes. Deux épisodes de Télémaque sortent de ce plan géographique : celui de la Bétique (livre VII) et celui des Enfers et des Champs- Elysées (livre XIV). Ils ne dérangent pas dans ce contexte dès qu’on les rapproche de l’utopie de La Terre Australe connue de Foigny. Fénelon détecte dans le domaine mythologique des côtés qui vont à l’encontre de l’imaginaire scientifique et distingue le voyage dans l’autremonde de l’utopie. Aussi la Bétique permet-elle de développer des programmes utopiques dans un ailleurs temporel tandis que les Champs-Elysées fournissent au voyageur l’espace où il rencontre des personnages clefs de l’univers des valeurs. La Terre Australe connue exploite en revanche le pittoresque des explorateurs pour authentifier ses fictions avec « des noms de navigateurs ou de bateaux réels » 73 . Foigny puise dans les récits des explorateurs le charme des descriptions paradisiaques afin de créer dans l’utopie un effet de réel, important pour garantir la vraisemblance littéraire et la pertinence ‘scientifique’ des idées propagées. Fénelon contourne le côté contestataire de l’utopie paradisiaque en ne rendant la Bétique présente qu’au niveau de la narration 74 . Il se libère par là de la contrainte de riposter aux spéculations des explorateurs sur l’altérité culturelle des peuples exotiques ou sur leurs pratiques religieuses tout en procédant « à un déplacement imaginaire du réel de référence » 75 . L’originalité de ce procédé consiste à intégrer les Enfers et les Champs-Elysées dans la Méditerranée traversée par Télémaque. L’au-delà permet ainsi d’évoquer aussi bien les idéaux que les symboles de la monarchie française. C’est particulièrement évident dans l’évocation du personnage d’Hercule. 72 A partir de l’édition publiée par le marquis de Fénelon en 1717 à Paris chez F. Delaulne, voir notre article, « Les illustrations des éditions du Télémaque », dans François-Xavier Cuche - Jacques Le Brun (éd.), Fénelon. Mystique et Politique, pp. 287-303. 73 Pierre Ronzeaud, L’utopie hermaphrodite. La Terre Australe Connue de Gabriel de Foigny (1676), Marseille, C.M.R. 17, 1982, p. 99. 74 « La Bétique est un pays dont on raconte tant de merveilles qu’à peine peut-on les croire ». Adoam est enchanté de « dépeindre ce fameux pays » (Fénelon, Œuvres II, p. 106), mais Mentor et son pupille n’y entrent pas. 75 Jean-Michel Racault, Nulle part et ses environs : voyage aux confins de l’utopie classique (16757-1802), p. 8. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 397 Hercule symbolise la puissance royale française. Le panégyrique Les Triomphes de Louis le Juste XIII. du nom Roy de France (1649) 76 , commandé par la régente Anne d’Autriche, est orné d’un frontispice de Jean Valdor représentant l’Hercule gaulois. Ce frontispice relève aussi bien que le renvoi à Hercule dans le Télémaque de la lecture de la mythologie païenne dans une optique chrétienne dont le manuel du père jésuite Pierre Gautruche 77 , édité souvent au XVII e siècle, est remanié en 1725 par Jean-Baptiste Morvan de Bellegarde. Le mythe d’Hercule y est interprété comme triomphe de la vertu sur le mal 78 . Le fait qu’Orphée échoue à enlever Eurydice de l’empire de Pluton est laissé de côté par Arcésius, qui l’associe au roi Inachus 79 , 76 Les Triomphes de Louis le Juste XIII. du nom Roy de France et de Navarre. Contenans les plus grandes actions où sa Majesté s’est trouvé en personne, representées en figures aenigmatiques exposées par un poëme heroïque de Charles Beys, & accompagnées de vers françois sous chaque figures composez par P. de Corneille. Avec les portraits des rois, princes et generaux d’armées, qui ont assisté ou seruy ce belliqueux Louis le Juste combattant ; et leurs deuises & exposition en forme d’eloges, par Henry Estienne, escuyer, Sieur des Fossez, poëte & interprete du Roy és langues grecque & latine ensemble le plan des villes, sieges et batailles, avec un abregé de la vie de ce grand Monarque par René Bary, conseiller de sa Majesté. Le tout traduit en latin par le R. P. Nicolai, docteur en Sorbonne de la Faculté de Paris, & premier Regent du grand Couvent des Iacobins. Ouvrage entrepris & fini par Iean Valdor, Liegeois, calcographe du Roy. Le tout par commandement de leurs Majestez, Paris, Imprimerie Royale, par Antoine Estienne, premier imprimeur & libraire ordinaire du Roy, 1649. Sur cet ouvrage voir notre article, « L’information sur l’histoire de France dans le panégyrique Les Triomphes de Louis le Juste (1649) », dans L’informazione in Francia nel seicento. Quaderni del seicento francese 5 (1983), pp. 119-137. 77 L’histoire poétique pour l’intelligence des poëtes et autheurs canciens, Caen, J. Cavelier, 1645. 78 « Comme les grandes actions d’Hercule sont proprement le portrait de la vertu, qui triomphe de tous ceux qui ont entrepris de la détruire, on feint que Jupiter le mit au nombre des Immortels, parceque c’est l’heureux destin de tous les hommes vertueux, de trouver après leur mort une immortalité glorieuse » (Nouvelle Histoire poétique du Père Gautruche pour l’explication des Fables, et l’intelligence des Poètes avec le Sens Moral de chaque Histoire. Dernière édition corrigée et considérablement augmentée par Monsieur l’Abbé B *** , Paris, Théodore Legras, 1740, p. 141). La descente de Thésée aux Enfers y est jugée avec indulgence (p. 152) tandis que Fénelon en fait un « outrage ». Sur Hercule dans la peinture voir Thomas Kirchner, Les Reines de Perse aux pieds d'Alexandre de Charles Le Brun. Tableau-manifeste de l'art français du XVII e siècle, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2013, pp. 9-17. 79 « Considère, mon fils, cet ancien roi Inachus, qui fonda le royaume d’Argos. [...] Il tient dans sa main une lyre d’ivoire et, dans un transport éternel, il chante les merveilles des dieux ; il sort de son cœur et de sa bouche un parfum exquis. Volker Kapp 398 fondateur du royaume d’Argos. Selon lui, il ressemble à David, modèle biblique incontournable de tout prince chrétien 80 . Dans l’Énéide, Inachus passe cependant pour le père d’Io (VII, 792). Cette liberté vis-à-vis de l’épopée de Virgile n’empêche pas l’archevêque de Cambrai de suivre le modèle virgilien pour l’entrée et la forme des Enfers : [Télémaque] entreprit de descendre aux Enfers par un lieu célèbre, qui n’était pas éloigné du camp. On l’appelait Achérontia, à cause qu’il y avait en ce lieu une caverne affreuse, de laquelle on descendait sur les rives de l’Achéron, par lequel les dieux mêmes craignaient de jurer 81 . Le fleuve d’Achéron est situé dans l’Odyssée (X, 513) avant l’accès de l’Hadès, mais Fénelon s’inspire de l’Énéide où Énée pénètre dans une « caverne » 82 (VI, 236-238, 295), parvient ensuite dans l’Élysée (VI, 638) et y rencontre son père (VI, 687). Anchise joue un rôle analogue à celui d’Arcésius en dispensant une leçon de morale basée sur les idéaux de sa famille. Il prédit à Énée son avenir de fondateur de Rome tandis qu’Arcésius présente une série d’exempla historiques pour instruire Télémaque en morale politique. L’exemplarité assume dans cet épisode du Télémaque une fonction analogue à celle attribuée par Fontenelle aux dialogues des morts : « […] les Morts sont gens de grande réflexion, tant à cause de leur expérience que de leur loisir, et on doit croire, pour leur honneur, qu’ils pensent un peu plus qu’on ne fait d’ordinaire pendant la vie » 83 . Cette remarque substitue « l’expérience » humaine à la vision béatifique, ce qui n’empêche pas que la « réflexion » des morts ait une fonction comparable à la distinction religieuse du bien et du mal. Fénelon retrouve l’empirisme de Fontenelle dans le merveilleux qu’il interprète à la lumière de L’harmonie de sa lyre et de sa voix ravirait les hommes et les dieux » (Fénelon, Œuvres II, p. 253). 80 L’épisode de Bethsabée (2 S, 11-12) est passé sous silence. Fénelon fait de même dans ses Dialogues sur l’éloquence où il soutient « par l’exemple de David, que les peuples orientaux regardaient la danse comme un art sérieux, semblable à la musique et à la poésie. Mille instructions étaient mêlées dans leurs fables et dans leurs poèmes » (Fénelon, Œuvres I. Édition établie par Jacques Le Brun, Paris, Gallimard, 1983, p. 13). Le commentaire de Jacques Le Brun allègue (p. 1450) le Dictionnaire de Louis Moréri qui fait d’Inachus un contemporain de Moïse, donc un législateur, attribut qui s’accorde avec la conception de l’utilité pédagogique des la poésie. 81 Fénelon, Œuvres II, p. 235. 82 Fénelon, Œuvres II, p. 235. 83 Fontenelle, Œuvres complètes I, p. 48. Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 399 l’histoire sainte où les avantages de l’Antiquité grecque proviennent d’un transfert culturel de l’Égypte, thèse illustrée par le personnage égyptien de Cécrops : « Cécrops, apportant des lois utiles de l’Égypte, qui [a] été pour la Grèce la source des lettres et des bonnes mœurs, adoucit les naturels farouches des bourgs de l’Attique, et les unit par les liens de la société ». 84 L’auteur évoque dans le personnage de Cécrops une hypothèse historique particulièrement chère à Claude Fleury sur la prééminence de la civilisation égyptienne par rapport à la Grèce 85 . Cette vision de l’histoire sainte, qui servait à exalter la prééminence de l’Ancien Testament et des anciens Hébreux vis-à-vis de l’Antiquité païenne, était censée apporter une caution ‘scientifique’ à la morale chrétienne. Les époux Dacier partageaient largement cette opinion 86 . Ces porte-paroles des Anciens dans la Querelle d’Homère sont de mauvais alliés de cette cause étant donné que Richard Simon s’oppose radicalement à toute analogie entre la Grèce et l’Israël anciennes. La méthode critique dans l’exégèse biblique et l’empirisme scientifique, deux méthodes bien prisées des Lumières, n’entravent toutefois pas le succès du Télémaque au XVIII e siècle. IV Le livre XIV de Télémaque fait valoir la mythologie dans le voyage ultraterrestre sans empiéter le domaine de l’astronomie et l’ouvrage entier ne concerne pas vraiment le dilemme visé par Cyrano de Bergerac et Fontenelle. Cette abstinence ne signifie pourtant pas que son exploitation du merveilleux païen reste sans répercussions sur les visées des libertins qu’il rejoint sur le plan du débat sur la morale. Le Télémaque « ouvre bien le XVIII e siècle […] construisant des fictions qui illustrent cette politique des mœurs » 87 . Il est imbu des concepts caractérisant la théologie de l’Archevêque de Cambrai, concepts que ne détectent de nos jours que les spécia- 84 Fénelon, Œuvres II, p. 253. 85 « Ne croyons pas que les Grecs ayent inventé l’éloquence & la poësie : ils ont tout au plus inventé les noms des figures, & tout ce langage de l’art qui faisait la science des grammairiens & des rhéteurs, & qui n’a jamais fait ny orateurs ny poëtes » (Claude Fleury, Les mœurs des Israëlites, Paris, Clouzier, 1681, p. 168). Une Histoire de la poësie antique, restée inédite et datée de 28 juin 1673 (BNF. Ms. Fr. 9519, pp. 226r-274), propage les mêmes idées en érigeant la poésie des Hébreux en symbole de toutes les civilisations anciennes. 86 Voir notre article, « Poésie, imitation et morale : André Dacier et le P. Le Bossu », dans littératures classiques les époux Dacier Christine Dousset-Seiden et Jean- Philippe Grosperrin (dir.), 72 (2010), pp. 123-144. 87 Jean-Paul Sermain, « Les Aventures de Télémaque et la politique des mœurs », dans Isabelle Trivisani-Moreau (dir.), Lectures de Fénelon, pp. 20-21. Volker Kapp 400 listes 88 . Les philosophes s’intéressent également moins à sa spiritualité qu’à sa manière de transmettre des instructions en recourant à la mythologie. En 1717, la première édition autorisée du Télémaque ouvre cette voie. Elle est sous-divisée en 24 livres « à l’imitation de l’Iliade » 89 et cette structure est sanctionnée par l’approbation de Louis de Sacy le qualifiant de « poème épique, quoique en prose ». Selon l’approbateur, la France possède finalement son épopée et semble « n’avoir rien à envier de ce côté-là aux Grecs et aux Romains ». Les attaques des dévots contre la fiction littéraire et surtout contre le roman restent inopérantes parce que ses « récits, les descriptions, les liaisons et les grâces du discours éblouissent l’imagination sans l’égarer » 90 . Le Discours de la poésie épique et de l’excellence du poëme de Télémaque du chevalier de Ramsay, publié dans cette édition, explique ce mystère. Il situe le Télémaque dans la même tradition que l’Odyssée et l’Énéide en soutenant que son action « unit ce qu’il y a dans l’un et l’autre de ces deux poëmes » 91 . Cette affirmation dérive de sa définition de la poésie épique : [C’est] une fable racontée par un poëte, pour exciter l’admiration, et inspirer l’amour de la vertu, en nous représentant l’action d’un héros favorisé du ciel, qui exécute un grand dessein, en triomphant de tous les obstacles qui s’y opposent 92 . Le concept de « fable » est à l’époque encore un synonyme de la mythologie. Cette connotation, opérante dans la définition de l’épopée, a une portée dont la signification se révèle par la suite quand Ramsay s’approprie l’allégorèse du Traité du poëme épique de René Le Bossu. Selon Le Bossu, la mythologie et le merveilleux païens dans l’Énéide présupposent un nœud historique 93 . Ramsay s’autorise de cette doctrine, récusée par Fontenelle et ridiculisée au XVIII e siècle par les philosophes, pour récupérer une dimension 88 Voir Jacques Le Brun, « Le Télémaque de Fénelon : fable et spiritualité », dans La jouissance et le trouble, pp. 533-559. 89 Fénelon, Œuvres II, p. 1272. 90 Fénelon, Œuvres II, p. 1273. 91 Fénelon, Œuvres complètes VI, p. 388. 92 Fénelon, Œuvres complètes VI, p. 387. 93 « Mais si l’action imitée est prise de l’Histoire, pourra-t-elle passer pour Fiction ? C’est la même difficulté, si elle est tirée d’une Fable déjà connuë, puisque de cette manière, le Poëte l’auroit aussi peu inventée, & aussi peu feinte, que s’il l’avoit trouvée dans l’Histoire ; Et toute-fois si l’Auteur ne l’a pas feinte, on pourra lui disputer le nom de Poëte » (Père René Le Bossu, Traité du poëme épique. Réimpression de l’édition de 1714 avec une introduction de Volker Kapp, Hamburg, Buske, 1981, p. 27). Le voyage ultra-terrestre entre l’astronomie et le mythe 401 symbolique de l’univers opposée à la pensée abstraite des sciences. Les prétentions historiques de Le Bossu lui importent moins que l’allégorisme qu’il transpose dans l’esthétique littéraire du sensualisme. La mythologie fournit à l’imagination humaine « des idées sensibles qui le frappent » 94 et la soustrait ainsi à la prise du rationalisme. Ainsi l’astronomie n’a pas de prise sur l’exploitation des espaces imaginaires dans la littérature. Ramsay situe la dimension mythologique du Télémaque aux antipodes du rationalisme de Fontenelle et réhabilite de cette façon le merveilleux païen dans l’imaginaire littéraire : « Cette manière de peindre par la parole, et de donner du corps aux pensées, fut la véritable source de la mythologie et de toutes les fictions poétiques ». 95 Les affinités entre la poésie et la peinture, discutées depuis la Renaissance pour postuler la prééminence de l’une par rapport à l’autre, acquièrent une importance nouvelle dès qu’il s’agit de faire valoir l’imaginaire face à l’abstraction scientifique. Comme l’imaginaire s’efforce de « donner du corps aux pensées », il a besoin de la mythologie dans ses « fictions poétiques ». En ridiculisant le goût allégorique de l’Antiquité, les Modernes méconnaissent les nécessités de l’imaginaire et appauvrissent les registres littéraires de la poésie au nom d’une chimère scientifique. Ramsay se concentre sur le lien entre ornement et instruction dans une optique pédagogique. Sa poétique du poème épique réhabilite la mythologie en ignorant la concurrence entre l’imaginaire poétique et les sciences naturelles dans les poèmes épiques sur la naissance du monde ou dans l’histoire de la rhétorique. Il Cannonicchiale Aristotelico (1655) d’Emmanuele Tesauro poursuit le projet ambitieux d’adapter la théorie oratoire à l’innovation technique du télescope et Cyrano de Bergerac continue cette entreprise au moyen du burlesque dans Les États et Empires de la Lune. Fontenelle rejette cette visée dès le début des Entretiens sur la pluralité des mondes par une distinction de deux plaisirs : […] puisque votre folie est si agréable, donnez-la moi, […]. Ah ! Madame, répondis-je, bien vite, ce n’est pas un plaisir comme celui que vous auriez à une comédie de Molière ; c’en est un qui est je ne sais où dans la raison, et qui ne fait rire que l’esprit 96 . La fiction née de l’imagination est une « folie », qui fait « rêver ». Le « plaisir » qui en résulte n’est qu’illusoire et donc incapable de transmettre la vérité. Il faut distinguer le « plaisir » procuré par les comédies de Molière 94 Fénelon, Œuvres complètes VI, p. 387. 95 Fénelon, Œuvres complètes VI, p. 390. 96 Fontenelle, Œuvres complètes I. Entretiens sur la pluralité des mondes, p. 148. Volker Kapp 402 de celui inhérent à la raison scientifique s’adressant uniquement à l’esprit. Est-ce donc Fénelon qui s’est trompé en exploitant l’imaginaire mythologique pour instruire ? Les philosophes des Lumières ne le pensent pas. Voltaire se moque de Fontenelle au deuxième chapitre de son Micromégas où il déplace le secrétaire de l’Académie des sciences sur Saturne. Micromégas y récuse la proposition de rendre compréhensibles les théories scientifiques par l’ornement littéraire en soutenant que cet embellissement est superflu et obscurcit la vérité. Voltaire y renverse les topoi du voyage dans l’au-delà en faisant voyager les habitants d’une autre planète sur la terre. En enlevant à la fable toute vérité, il confirme néanmoins sa capacité à « donner corps » aux idées. Rousseau retrouve dans la quatrième des Rêveries du promeneur solitaire la vérité du mythe en distinguant la fiction du mensonge : « Mentir sans profit ni préjudice de soi ni d’autrui : ce n’est pas mensonge, c’est fiction » 97 . La fiction ne nuit à personne, aussi permet-elle de se libérer des limites et des contraintes du monde extérieur. C’est donc une chance aussi bien de découvrir les possibilités du réel dans l’imaginaire que d’explorer les espaces à l’intérieur de l’homme. Loin de se perdre dans le néant, cette démarche ressemble à la découverte de l’inconnu. La septième rêverie le dit au moment où l’auteur tombe sur une plante rare : Là je trouvai la Dentaire heptaphyllos […]. Un mouvement d’orgueil se mêla bientôt à cette rêverie. Je me comparais à ces grands voyageurs qui découvrent une Ile déserte, […] je me regardois presque comme un autre Colomb. 98 La rêverie ne mène pas forcément dans l’au-delà, elle peut se cantonner dans le monde intra-terrestre. La plante découverte ne ressort pas de la mythologie qui se prêtera chez d’autres auteurs à un voyage dans l’espace imaginaire prometteur et enrichissant pour l’être humain. 97 Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes I. Les Confession. Autres textes autobiographiques. Édition publiée sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond avec, pour de volume, la collaboration de Robert Osmont, Paris, Gallimard, 1959, p. 1029. 98 Rousseau, Œuvres complètes I, p. 1071. PFSCL XLI, 81 (2014) Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre J ENNIFER R. P ERLMUTTER (P ORTLAND S TATE U NIVERSITY ) A form of commemoration particular to early-modern France, the ana was a type of book that memorialized a deceased savant, that is to say a male member of the intellectual elite. Compilers and publishers formed each book’s title by adding the suffix “-ana” to the honoree’s last name while the contents of each publication were allegedly drawn from conversations with the savant in which a male student or a peer had participated or to which he was privy. The student or peer then compiled what he believed to be the most accurate and representative anecdotes, bits of knowledge, and stories told to him by the savant and published them as a series of unrelated articles, usually with no transitions between them. Indeed, the earliest ana read like the transcript of an unedited conversation (Stefanovska 113) although, on occasion, the unnamed compiler added a table of contents in order to apparently organize what was essentially an unrelated series of cogitations. 1 The compiler’s immediate objective was to “caractériser une vie ou donner des informations encore inconnues” while the genre itself played a historical role as “une source de documentation culturelle souvent unique, originale…” (Montandon 104, 105). In anticipating the public’s wish to become familiar with certain savants and by addressing their own desire to commemorate them and represent their breadth of knowledge, compilers succeeded in drawing a wide readership. The ana circulated in the sixteenth century in manuscript form 2 and was immediately and wildly popular when 1 For a comprehensive overview of the genre, see Francine Wild, Naissance du genre des Ana. (1574-1712). Paris: Honoré Champion, 2001. 2 Wild observes that none of the works currently characterized as ana carried the title ending in “-ana” in manuscript form. (14) Jennifer R. Perlmutter 404 it appeared in print in the mid-seventeenth century; however, it is less well known today, even among scholars of the period. One of the most striking characteristics of the ana genre was its progressive fetishization of the written word and, by association, the published book as a means of preserving the spoken words of learned men. Because the ana originated in savant circles, readers today immediately associate the genre with the academies in which the intellectual elite participated and which were only open to men. 3 This is only a partially correct assumption. It is true that women appear in the first ana savants only incidentally, often as objects of curiosity or ridicule. However, in the 1690s, compilers began to publish ana intended for a more egalitarian, mondain readership. Of course, by this point it had become increasingly difficult to overlook women’s influence on social and literary matters; they were arbiters of good taste but, more significantly, they had taken on the role of literary critic with the power to make or break a writer’s career. Writing about the Menagiana, one of the last ana savants, Wild notes that, “la modestie et la courtoisie supplantèrent dans l’échelle des valeurs les vertus baroques et l’ostentation qui les accompagnait” (237). The development of the ana genre as a whole echoes this reprioritization of values from those of the learned to those of the worldly. The first ana mondain to address this latter audience was published in 1694 and is entitled Arliquiniana. This work reflects the increase in women’s visibility and influence not only through the topics broached within it, but also through the mondain practices it references, both of which are absent from the more learned ana savants. The publication of Arliquiniana did not indicate in itself the end of the ana genre but rather a variation on its original structure; it was a harbinger of the establishment of a new structure of the genre that followed. Admittedly, Arliquiniana’s compiler adapted its contents to the social realities of the time. Yet, this thematic shift of the genre also brings us to ponder the status of the discourse that comprises this and the ana that followed in relation to their origin or, as Jacques Derrida designates it, their heritage (252). While the ana published at the end of the century are dissociated from their mid-century predecessors thematically, they also exemplify a radical shift in the way knowledge was shared and power asserted. In this article, I will explore what role individual works play leading up to the eventual restructuring of the ana genre. I have chosen to compare the portrayals of women in two of the earliest ana savants, Perroniana (1667) 3 The use of Latin and the learned subject matter in the earliest ana attest to the genre’s association with schools and other places of learning such as academies. See Wild, pp. 24- 31. Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre 405 and Scaligerana (1667), with those in Arliquiniana 4 (1694) and Anonimiana (1700), both ana mondains. In the first two works, women are often positioned in such a way as to underscore the opinion or command of knowledge of an author who often trivializes and silences them. In contrast, women play a more central role in the latter. The compilers of these ana mondains choose topics they consider of interest to them and often give them a voice or even a pen. My goal in looking at Perroniana and Scaligerana as representative of the ana savants as compared to Arliquiniana and Anonimiana as representative of the ana mondains is to show that the structural origin of the ana genre as a whole depended on a principle of women’s exclusion. Products of a Jesuit education system that prioritized combative rhetoric over polite discourse, compilers of the original ana positioned their works in opposition to the value system established in the salons. 5 As Dena Goodman remarks, “Men of letters came into conflict - with each other and with le monde - because they based status on intelligence and discourse on truth telling. Identifying oneself as a man of letters was thus a challenge to a social order maintained by politeness and deference, whose principles the Republic of Letters opposed” (98). One strategy these men used in compiling the ana savants was the silencing of women who consequently do not actively participate in the heritage discourse of the ana genre. Yet, the publication of Anonimiana on the cusp of the eighteenth century marked a transformation of the structure of the ana genre and the eventual establishment of an alternate one precisely because its compiler adapted its contents to the changing social realities that rewarded the salon practices that helped foster sociability and maintain order. From this moment on, women’s voices were heard and their words read. Classically speaking, the very structure of the ana savants is the perfect example of how a good power construct ought to function. Their contents are based on orality and are meant to reflect the ideas and thoughts of contemporary savants as well as to represent their knowledge of certain disciplines. Their structure also tells us something about the subsequent development of the genre itself. As Derrida writes in his essay “Structure, 4 Actor Domenico Biancolelli (1640-88) is credited with creating the modern Harlequin character and bringing it to Paris in 1660. See Giacomo Oreglia, The Commedia dell’Arte. New York: Hill and Wang Publishing, 1968. chapter 4. Given his fame and the fact that Arliquiniana was published shortly after his death, it is probable that this ana was compiled in his honor. 5 See Dena Goodman, The Republic of Letters. A Cultural History of the French Enlightenment. Ithaca and London: Cornell University Press, 1994, pp. 90-135. Jennifer R. Perlmutter 406 Sign, and Play in the Discourse of the Human Sciences,” “it has always been thought that the center, which is by definition unique, constituted that very thing within a structure which governs the structure, while escaping structurality” (248). I argue that the savants are at the center of the structure of the ana genre but are also outside of it, as is the case with any center. It follows that the production of these original ana savants reinforces the centrality or hegemony of their eponymous honorees who engage in what Derrida would call a “heritage” discourse. In other words, they are emblematic of a tradition particular to a moment in literary history and are at the origin of all subsequent ana. The honoree of one of the first ana savants was the Cardinal du Perron 6 who lived from 1556 to 1618, long before the heyday of the salons. Although there were of course women writers and social figures in his time, it would be a number of years after his death before France would strongly feel women’s presence and influence both socially and politically. 7 Although Perroniana was not published until 1667, its content, apparently transcribed from conversations occurring during du Perron’s lifetime, reflected women’s lack of social prominence; they appear primarily as objects of his theological discussions on celibacy and spirituality. However, when something is personally at stake for du Perron, he focuses his attentions on them and makes them the target of his derision. A philosophical dispute over the ideal literary style was at the origin of one such encounter. In 1605, the Cardinal recommended Malherbe to Henri IV who subsequently appointed him as official court poet that same year, a position he held until his death in 1628. As we know, Malherbe espoused the purity and sobriety that characterized the classical style that later came into vogue. In contrast, his contemporary Michel de Montaigne wrote his famous Essais in a vivid and often playful style, a style opposite of that which Malherbe himself valued and propagated. When Montaigne’s adopted daughter, Marie de Gournay, edited and published an edition of his Essais following his death, she met with disapproval by those who agreed with Malherbe’s teachings. In response, she strongly defended these works against their critics, thereby situating herself in the opposing camp from du Perron who was clearly one of Malherbe’s admirers. 6 Not surprisingly, the savants commemorated in the ana generally represent maledominated professions. Besides Cardinals, the honorees were, among others, grammarians (Gilles Ménage), philologists and historians, (Joseph Scaliger) and government officials (Adrien de Valois). 7 See Joan DeJean, Tender Geographies. Women and the Origins of the Novel in France. New York: Columbia University Press, 1991. Chapter 1. Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre 407 Without mentioning the philosophical origin of his ill-will toward her, the Cardinal nevertheless “defends” his position in Perroniana by personally attacking de Gournay. The compiler describes this attack in the following way: GOURNAI. Comme Monsieur Pelletier lui [à du Perron] disoit un jour qu’il avoit rencontré Mademoiselle de Gournai, qui allait presenter requête au Lieutenant Criminel, pour faire défendre la Défense des Beurrieres, parce que là dedans elle est appellée coureuse, & qui a servi le Public ; il dit, je crois que le Lieutenant n’ordonnera pas qu’on la prenne au corps, il s’en trouveroit fort peu qui voudroient prendre cette peine, & pour ce qui est dit qu’elle a servi le Public, ç’a été si particulierement qu’on n’en parle que par conjecture, il faut seulement que pour faire croire le contraire, elle se fasse peindre devant son Livre. C’est ce que je dis une fois à Mademoiselle de Surgeres, qui prioit chez Monsieur de Retz que je fisse une Epitre devant les Œuvres de Ronsard, pour montrer qu’il ne l’aimoit pas d’amour impudique. Je lui dis, au lieu de cette Epître, il y faut seulement mettre votre portrait. 8 (264-65) The Cardinal lashes out at Gournay, first by publicizing an accusation of prostitution and then by citing her appearance as sufficient proof that she was not even worthy of any related activities. Behind this apparently superficial comment wages a battle of high intellectual stakes; yet, du Perron refuses to engage de Gournay in a direct dispute. He does not consider her a worthy adversary and limits her presence in this ana to a remark about her lack of beauty. We can read du Perron’s misogyny as illustrative of Goodman’s observation that, “Human relations in the Old Regime were personal relations, and attacks were personal attacks. Disinterestedness was difficult to achieve in a society in which each person was defined by his or her membership in a group, from the family to privileged corps” (94). In other words, this personal attack is indicative of a value system espoused by men of letters that rewarded combativeness and that had not yet adapted to the need for polite discourse in maintaining social order. 9 Perroniana documents an eloquent moment of French intellectual life in the late sixteenth century, 8 I have maintained the original spelling and syntax of all quotations drawn from the ana throughout the present article. 9 Goodman identifies this combativeness as fundamental to the relationship between the savants and the mondains: “Men of letters came into conflict - with each other and with le monde - because they based status on intelligence and discourse on truth telling. Identifying oneself as a man of letters was thus a challenge to a social order maintained by politeness and deference, whose principles the Republic of Letters opposed” (98). Jennifer R. Perlmutter 408 illustrating Linda Timmerman’s comment that, “La ‘rudesse’ - pour ne pas dire la grossièreté - et l’impolitesse guettent les ‘philosophes’: le savoir et l’étude étaient réputés entraîner ces défauts qui caractérisent le pédant” (142). Du Perron’s cutting remarks plainly reflect a pre-ana mondains moment in French literary history which gave rise to a structure oriented around a center occupied by the intellectual elite. Compilers of the ana savants sought to document the wide-ranging knowledge of the honoree whose status derived more from his intellectual breadth than from his prowess in argumentation, and they filtered out the “politics” of the intellectual community in favor of an officious pedantry. Some, such as the compiler of Scaligerana, imagined their ana as useful reference works and edited them as such. 10 This compiler documented his subject’s broad and varied knowledge by transcribing his words and alphabetizing all resulting entries by the first letter of the primary topic treated within. The honoree of the resultant Scaligerana 11 was Joseph Scaliger who lived from 1540 to 1609 and was learned in variety of disciplines, particularly philology, history and chronology. Published for a savant audience as were almost all ana of the seventeenth century, Scaligerana reads as a chronicle of information, one that is even indexed for easy access. Any mention of women fits precisely into this schema. Women in Scaligerana are abstractions, cited to focus the reader’s attention on Scaliger’s powers of observation and reason, essentialized but not specified. Although there is no entry under “Femme” or “Fille,” there are several others that focus in part on women despite somewhat misleading category names. Under “Alemands,” for instance, we read that “Les femmes quoy qu’elles soient enfermées, ne laissent pas d’estre meschantes” (186). 10 This attitude is especially apparent among compilers themselves: “[T]ous les ana issus du milieu savant en citent d’autres et jouent leur rôle d’information et de critique par le biais des « remarques ». … Jusque vers 1696, les préfaces ou avertissements des ana invoquent ceux qui ont déjà paru comme référence générique…” (Wild 552). 11 It is almost certain that, despite the title, this is in fact Jean Daillé’s 1667 edition of Second Scaligerana, originally compiled by Jean and Nicolas de Vassan (“Histoire des Scaligerana” iv). Bound with the 1695 Valesiana, it contains no publication information of its own nor does the compiler of Valesiana acknowledge the joint publication in any way. From the “Histoire des Scaligerana,” we understand that Prima Scaligerana was entirely in Latin (this one is in both Latin and French), and that the articles of the first edition of Second Scaligerana (1666) were not alphabetized. Scandalized by the state of this same edition, Daillé reedited it and alphabetized the articles. It appeared in 1667 as the second edition of the Second Scaligerana. The edition I cite here is likely a counterfeit reproduction of Daillé’s (“Histoire des Scaligerana” viii-ix). Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre 409 Later we learn that “A Basle il y a de belles filles; j’ay remarqué qu’elles se chargent beaucoup la ceinture de couteaux & de grosses bourses” (218). Finally, we discover under the heading “La langue Polonoise” that “En Pologne les hommes ne couchent point avec leurs femmes ; ils les appellent, quand ils en ont affaire” (500). In these examples, women are curiosities, representative of their regions and noted for their differences. They are there merely to mark cultural specificity as would cuisine, architecture or local custom. Malina Stefanovska likens the ana to a series of cabinets de curiosités for their varied and comprehensive content (114-16), and I maintain that women themselves are often portrayed as curiosities who comprise part of these collections. 12 Their role in the ana savants is incidental, and the comments above merely serve to showcase Scaliger’s breadth of experience and esoteric findings. Given what we know about the Gournay affair, however, this arid pedantry takes on a new significance as a strategy of derision that reinforces the coherence of the structure of the ana savants by deflecting any challenges to its center. Peculiarly - or perhaps cleverly - the compiler creates misleading headings in the guise of new centers, but the reality is that, at this moment, the savants remain at their original position in relation to the structure. In this same work, the compiler includes two similar anecdotes, neither of which is as neutral in tone as the ones in which women appear incidentally. To elicit a laugh from his audience, Scaliger allegedly tells the compiler the following story at his own mother’s expense: Testes tranchees : Feuë ma Mere voyant le bourreau porter un sac, demanda ce que c’estoit; il respondit que c’estoit des prunes; elles les voulut voir, il tira des testes qu’il portoit de Tholose, chacune en son lieu, où le mal fait avoit esté commis; quoy veu, elle evanouït, grosse de moy. (590) In this story Scaliger presents his mother as an anecdotal character at best, or an object of ridicule at worst, just as he might any other woman, and furthers his reputation by making light of her reaction to the severed heads. We can infer that his interest in the story has not to do with her but with himself since the incident had caused his very life, just burgeoning, to be put at risk. Women also serve as vehicles for the communication of Scaliger’s opinion, not always convincingly defended, on a given matter. With remarkably fallacious reasoning, he opines in the article entitled “France” that 12 For further reading on the cabinets de curiosités, see Krzysztof Pomian, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris: Éditions Gallimard, 1987 and Antoine Schnapper, “The King of France as Collector in the Seventeenth Century.” The Journal of Interdisciplinary History 17.1 (Summer 1986): 185-202, among others. Jennifer R. Perlmutter 410 [e]n France les femmes maistrisent leurs maris, mais en Gascogne les maris les bateroient bien. Ils sont compagnons, mais le mary est maistre. Les François se sont mal comportez en Hierusalem. Les femmes sont cause que ce pays a esté perdu, les femmes Françoises. (86) Scaliger indicates his personal bias in these two anecdotes, devaluing one of his most personal relationships in the process. A desire for a laugh, even at his mother’s expense, or for vengeance on French women in general motivated these inclusions. The compiler merely included anecdotes that not only furthered Scaliger’s reputation by showcasing his knowledge, but also those he imagined would amuse his savant readership for whom disinterestedness was not an option. Only two of approximately twenty ana savants to be published between 1666 and the early 1690s, Perroniana and Scaligerana represent a general trend in the genre. Compilers of these works concerned themselves primarily with showcasing the knowledge of the man they chose to honor and preserving his reputation, and they refrained from including any articles that would compromise their goals either through their content or their authorship. Nevertheless, as we know, the increased participation of women in social, political and literary activity through the salons caused them to be heard and seen in a way they had never been before. 13 This commercialization and feminization of the literary public sphere threatened the long-established male intellectual elite who nevertheless found themselves increasingly dependent on it to maintain order. 14 With the salon functioning as a great social equalizer, savants were suddenly faced with simulacra of noble behavior, social impostors and the real thing. Newly faced with this uncertainty about the nature of a “legitimate” or authentic aristocrat and keen to reinforce their own privileged status, savants responded by relegating women to trivial roles or by excluding them altogether in the ana. They thereby positioned themselves as the center around which the very structure of the ana genre was oriented and organized, and went from objects (these books are about them) to subjects (only they speak) in the historical grammar of the ana. Ironically, these savants depended increasingly on the salons and the women who hosted them for their reputation and status that hinged in great 13 Citing 1661 as a turning point, Timmermans remarks that “le déclin des valeurs héroïques permet à un nombre croissant de femmes d’asseoir leur royauté mondaine” (97). 14 Goodman explains how this development carried over into the eighteenth century: “The philosophes adopted the salons as a center for their Republic of Letters and respected the women who led them as governors because they provided the republic with a basis of order” (91). Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre 411 part on their adoption of the value system the latter espoused. Although they did not begin to regularly attend the salons until the 1660s, 15 the intellectual elite could no longer ignore the importance of adopting mondain behaviors. As Linda Timmermans writes, “Vrai ‘barbare’, le savant qui refuse ‘l’entretien’ des dames ne captera jamais les suffrages du public poli et élégant qui, désormais dispense la gloire littéraire” (144). Not surprisingly, some compilers later chose to cater to these readers by publishing ana that were markedly different from the original ana savants. They borrowed elements of the heritage discourse established in the ana savants, putting them together in such a way as to form a new discourse reflective of the mondain readership. In other words, they engaged in what Derrida calls bricolage (255) which allows for a free-play of these elements within the established structure. Only later was there a rupture causing the original structure of the ana genre to become decentered and the savants to lose their privileged status in relation to it. At this point, their discourse no longer dominated, yet it retained its heritage status in the immediate aftermath. However, as feminist Elizabeth Grosz notes, there is “no definitive break with the past” (117) under such circumstances. Instead, there is “a series of substitutions of center for center. Successively, and in a regulated fashion, the center receives different forms or names” (Derrida 249), a generic development which is reflected in the content of the ana mondains. The second part of this article will follow the path from the heritage discourse discussed above in relation to the ana savants to the bricolage and free-play characteristic of the ana mondains and, finally, to a restructured ana genre. Shunning the pedantry that characterized most ana savants, compilers of ana mondains instead turned toward topics they believed would appeal to their female readers. Timmermans explains that women in the seventeenth century were not very familiar with classical ancient cultures and that they were antagonistic toward savant culture which they often associated with them (139). Religion, etymology and philosophy did not generally interest these readers who identified such erudition with pedantry and coarseness. They instead preferred topics associated with gallantry such as love and marriage, the only two topics open to radical reassessment by women in the salons as noted by scholars Joan DeJean and Erica Harth, 16 among others. 15 See Timmermans, chapitre 2. 16 See Joan DeJean, “Salons, ‘Preciosity,’ and Women’s Influence.” in A New History of French Literature, ed. Denis Hollier. Cambridge: Harvard University Press, 1989, pp. 297-303 and Erica Harth. Ideology and Culture in 17 th Century France. Ithaca: Cornell University Press, 1983 as well as her Cartesian Women: Versions and Jennifer R. Perlmutter 412 As we know, it was the querelle des femmes that lay the groundwork for such discussions. Dating approximately from the fifteenth through the seventeenth centuries, this philosophical, social and literary debate questioned Salic law 17 and its consequent societal practices that limited the freedoms of women. Originally conceived to ensure that women would not inherit France’s throne or lands, the law established restrictions related more generally to inheritance, marriage rights and women’s rights and abilities to govern within and outside the home. While I would not posit that compilers of ana deliberately insert their works into this debate, they are clearly responding to women’s reappropriation of these issues. In doing so, they are engaging in what Derrida calls “free-play” (248) within the original structure of the ana genre. The savants remain at its center, but their heritage discourse is no longer one-sided, informed by values that are increasingly outdated. Arliquiniana (1694) was the first ana mondain published and, in an exchange between its narrator and Harlequin, its compiler indirectly references the priorities of this new female readership: Connoissez-vous bien cet homme là, me demanda Arlequin ? Oüy, oüy, je le connois bien, luy répondis-je, c’est l’homme du monde qui sçait mieux sa généalogie, & qui tire le plus de vanité de sa naissance : Il faut avoir bien peu de vertu, reprit Arlequin, quand on ne peut se faire estimer que par celle de ces ancestres. (254) Here, Harlequin passes judgment on those who derive their self-worth from their illustrious lineage, men of noble heritage who deem themselves worthy by virtue of the family they are born into rather than by their personal merit. We can read this criticism as support for those who attach value not to illustrious birth, but to personal accomplishments. As the salons were considered great social equalizers 18 in which those who excelled in conversational displays of esprit enjoyed an enviable reputation, we can interpret this as indirect praise for the women who orchestrated them and who established the code by which merit rather than birth was rewarded. In just a few lines, the compiler of Arliquiniana undermines the savants’ hegemony by calling into question their values and thus opens up the possibility of a new structure of the ana oriented in relationship to a different center. Subversions of Rational Discourse in the Old Regime. Ithaca: Cornell University Press, 1992. 17 Established by the Franks in the early Middle Ages, Salic law was in effect in France until the Revolution. 18 Referring to the salon, Faith E. Beasley observes that, “This institution was responsible for an unprecedented intermingling of classes” (67). Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre 413 In keeping with these mondain priorities, the conversations between Harlequin and the narrator that comprise a great part of Arliquiniana focus on the love intrigues of their female acquaintances. Harlequin recounts one such story to the narrator when they see an unnamed young woman pass by. He comments, “Elle est toûjours de la meme vivacité, me dit Arlequin, & elle continüe d’avoir un grand dédain pour tous les Amans” (197). He then explains how Mademoiselle had hoped to make her unenthusiastic lover jealous by flirting with another suitor. She succeeded, but once she took him back, he again became disinterested and complacent. Mademoiselle subsequently arranged to meet her lover, but deliberately stood him up, taking a walk with her suitor and a female friend instead. When the lover returned the following day to pay her a visit, he did not show any signs of jealousy or despair. Angered by this reaction, the woman locked herself in her room and never again saw her lover. A light, gossipy story, this tale serves as a pretext for Harlequin and the narrator to provide their views on love and courtship and thereby address the non-scholarly interests of their anticipated readership. In addition to its decidedly mondain themes, Arliquiniana also contains references to salon practices that are absent from the ana savants. In the following anecdote, the compiler draws our attention to how a broad circle of people heard one particular private story. After listening to the narrator tell another gallant tale, Harlequin indicates that it sounds familiar to him and suggests that it was the lover who must have not been discreet. The narrator, instead, suggests the following scenario: il l’a esté autant qu’un François le peut estre: à la verité il a confié l’histoire à ses amis les plus secrets, qui l’ont racontée à d’autres amis très-fideles, lesquels l’ont dite à l’oreille à des amis qu’ils avoient, mais tout cela trèssecretement dans un lieu particulier; & il n’y a jamais eu plus de trois personnes ensemble qui en ayent parlé. (210-11) The manner in which the lover’s personal story became public knowledge recalls the importance and particularity of how information circulated within mondain circles. In speculating as to how this story spread, the narrator invokes the conversational practices of the mondains. Just as they would recognize the themes of Arliquiniana as their own, so to would they recognize their practices of circulation. Such conversational practices and the subjects discussed hold a place of value in this ana, and we can deduce that the women who promoted them do as well. Arliquiniana is a strikingly woman-oriented ana in which women are important figures and not incidental ones. They are not essentialized as they are in Perroniana and Scaligerana, but rather specified, at least to the extent that the compiler felt appropriate. Its compiler foregrounds gallant in- Jennifer R. Perlmutter 414 trigues, the subject of many mondain conversations, as well as conversational practices themselves, which sets Arliquiniana apart from the ana savants. All the while, he borrows elements from the original heritage discourse: the orality basic to the genre as well as women’s silence. This approach brings to mind Lévi-Strauss’s concept of bricolage as appropriated by Derrida who defines it as “the necessity of borrowing one’s concepts from the text of a heritage which is more or less coherent or ruined…” (255). In this case, the structure of the ana genre remains sound, and Arliquiniana does not, in fact, represent a restructuring of the ana. Instead, it maintains the savants as its center, and any reference to women is filtered through the commentary of the narrator or Harlequin. This allows the compiler a certain amount of freedom. As Derrida asserts, “No doubt that by organizing the coherence of the system, the center of a structure permits the free-play of its elements inside its total form” (248). In other words, the heritage discourse retains its hegemony despite this free-play to which the continued silencing of women attests. While Arliquiniana itself remains within the original configuration, it nevertheless serves as a harbinger of the rupture of the original structure and an eventual recentering of the genre introduced by the later Anonimiana. Published on the cusp of the eighteenth century, Anonimiana features a fictitious salon gathering that serves as a framework for the presentation of diverse written works. Individuals “attending” the gathering present these works aloud then discuss them, much in the spirit of Giovanni Boccaccio’s fourteenth-century work, The Decameron, and Marguerite de Navarre’s sixteenth-century book, Heptaméron. The unnamed compiler who orchestrated this fictitious conversation retained the oral quality that defines the ana genre while, at the same time, was responsible at the most obvious level for the circulation and publication of the written literature presented within this frame. While initially maintaining the savants as the center of the ana’s structure, the compiler of Anonimiana, like that of Arliquiniana, borrows from its heritage discourse, the ana savant, in maintaining its apparent orality. He (or is it here a she? ) also engages in free-play within the genre’s structure, both by incorporating women’s direct discourse and by privileging the written word, neither of which had a place in the original structure. At first, this free-play does not threaten to rupture the system, but there are indications of this event that is to come. One such indication is the manner in which women are portrayed participating in social life in Anonimiana which surpasses the traditional portrayal of mondaines as simply engaged in conversation. One woman from the provinces cited in this work writes poetry modeled on the rhyme scheme of that of her lover to whom Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre 415 she is replying. The woman’s suitor responds with astonishment, “A qui me joüois-je, Madame, & quelle fut ma surprise? J’avois à faire à un des plus jolis esprits de la Province. Dés que cette belle eut lu mon Madrigal, elle prit la plume & m’y répondit de cette maniere sur les mêmes rimes” (139) and proceeds to engage in a lengthy written dialogue with her that occupies several pages of this ana. The woman’s poetry that incites this reaction derives from her lover’s, but she does showcase her own particular talents that astonish this lovelorn soul. She thereby evokes a fruitful epistolary exchange. Nevertheless, she does not possess the potential for power, literary or otherwise, for she does not hail from the capital. She is an unidentified woman of talent from the provinces who probably has neither a high-powered salon nor another means of publicizing her esprit. It is no surprise that she is only portrayed as exercising her talents in epistolary form, a form that is modeled on conversation. The compiler of Anonimiana was evidently comfortable representing women writing about a “woman’s issue,” love, and within “women’s realms,” the salon and the letter. In reinforcing the dominance of the Parisian intellectuals over the worldly provincial, it is clear that he or she maintains the original structure of the ana genre itself. Anonimiana does include written works, but up until this point has privileged orality, a fundamental feature of the genre. It retains the structure of its heritage discourse, the ana savant, by maintaining the savants as the center and, yet, it engages in free-play within the structure by granting a voice to women and publishing texts that originated in writing. The narrator of Anonimiana hints at his or her own approach to the genre in remarking, Il faut donc aimer la regle pour éviter la confusion; mais il faut ôter à la regle toute contrainte qui gene, & banir une raison scrupuleuse qui par trop d’attachement à la justesse ne laisse rien de libre & de naturel. Il faut aimer la regle pour aider le naturel à n’en point sortir, & il faut suivre le naturel pour donner à la regle cet air libre & enjoué…. (93) in which we can understand the rule (“la regle”) to be the structure and the natural (“le naturel”) to be free-play. At what point, though, does free-play cease to be free-play and instead instigate the formation of a new structure? I contend that this occurs when the compiler establishes a new center since a structure is unique only insofar as its one center defines it. If the compiler engages in free-play beyond the limits imposed by the presence of the center, he or she is no longer working within the structure of the heritage discourse but instead establishing an independent structure with its own center. This new structure can contain elements of the preexisting one, but it cannot, by definition, orient itself in relation to the same center. As Jennifer R. Perlmutter 416 Derrida writes, “The function of [the] center was not only to orient, balance, and organize the structure… but above all to make sure that the organizing principle of the structure would limit what we might call the free-play of the structure” (247-48). I would argue that in the case of the development of the ana mondains, a second structure of the ana genre is established within Anonimiana itself. Forty pages prior to the close of Anonimiana, its compiler dissolves the salon framework. The gathering has supposedly ended and so too the appropriate forum for the presentation of women’s love missives. This would provide a logical conclusion to this ana, but the compiler does not end it here. Instead, he or she chooses to showcase a lengthy poem the topic and length of which would make it an inconvenient focus of a salon discussion. Entitled “Réponse à La Gloire du Val de Grâce de M. de Molière,” this poem is notable for its forty-page length, its sheer boldness and for its female authorship. It is a critical response to Molière’s “La Gloire du Val-de- Grâce,” published in 1669 which itself was a rebuttal to the writer Charles Perrault’s praise of the painter Charles Le Brun, in which Molière instead praised Pierre Mignard’s artistic talents in designing the cupola of this church. Literary scholar Marie-France Hilgar surmises that “Molière never [even] saw the frescoes of the Cupola” (174) for he cites no detail of its design. Instead, he praises Mignard himself with whom he was friends long before the latter painted the cupola. In response, Elisabeth Sophie Chéron, who is widely accepted as the author of the poem, issues a scathing, detailed critique of Mignard’s work. She challenges Molière to a writing duel, inciting him to defend his initial judgment of the cupola’s artistry in response. Writing from the perspective of the cupola itself, she allows herself the liberty of using the informal “tu” in addressing Molière. This is a bold gesture, but probably more acceptable because she masks her voice, albeit thinly, behind that of an inanimate object: C’est pourquoi, sçavant Ecrivain, Remets donc la plume à la main; Non pour loüer, mais pour deffendre; Car si je puis faire entendre Tous les deffauts qu’on trouve en moi, Ce que l’on dit lorsqu’on me voit, Tu ne seras pas sans affaire Si tu prétends y satisfaire. (241-4) The author refers to Molière as a “sçavant Ecrivain,” positioning her opponent in the same category as herself, that of a writer. She then baits him, hoping to engage him in an intellectual debate worthy of both their Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre 417 talents. Chéron proceeds to methodically dissect the cupola’s flaws and, in doing so, ridicules the superficiality praised by Molière and the savants to whom he caters. This, of course, is ironic in that Molière frequently populates his plays with characters whose superficial manners and standards he ridicules. The poem’s author and her representative, Anonimiana’s unknown compiler, thereby situate themselves outside the intellectual elite and also in direct confrontation with it. The compiler’s decision to include this work in Anonimiana plainly displays loyalties that lie elsewhere than those of the compilers of the ana savants. Had a male savant written against Mignard instead of Chéron, the exposure of Molière’s hypocrisy or the threat of intellectual and social equality between the genders would not be as menacing. The fact that the “Réponse à La Gloire du Val de Grâce de M. de Molière” originated in writing and that a woman authored it, imparted a weightiness to the opinions within, and its inclusion in Anonimiana preserved it for posterity. I argue that the compiler establishes here a new structure for the ana genre by destroying its center through the inclusion of this critique. In foregrounding Chéron’s own intellectualism and dismissing Molière’s, he or she no longer positions the savants as central to it. Instead, he or she borrows elements from this heritage discourse and uses them to establish a new structure of the genre. Derrida states that [i]t is a question of putting expressly and systematically the problem of the status of a discourse which borrows from a heritage the resources necessary for the destruction of that heritage itself. A problem of economy and strategy. (252) In other words, the heritage discourse furnishes what is necessary to rupture the structure that engendered it. In the case of the ana, one could argue that the original presence of silenced women in the ana savants was a key element in this development. As women gained status, the heritage discourse lost relevance and the genre its center. In sum, we have gone from heritage (an amalgam of history-laden values and themes as evidenced in the ana savants) to bricolage and free-play (the open use of these values and themes to serve a specific purpose as in the ana mondains) and, finally, to the destruction of the center of the structure of the ana savants and the establishment of a new center which ultimately defines that of the ana mondains. As Goodman notes, the ordering of the subsequent Republic of Letters depended on the “voluntary submission [of the intellectual elite] to the rules of polite discourse and the female governors who enforced them” (91). Nonetheless, the resultant destruction of the center was also inevitable for, as Grosz notes, “no system, method, or discourse can be as all-encompassing, singular, and monolithic Jennifer R. Perlmutter 418 as it represents itself. It is inherently open to its own undoing, its own deconstruction (deconstruction is not imposed from outside a discourse or tradition but emerges from its own inner dynamics)” (116). Yet, from this deconstruction remains the suffix “-ana” which the new structure reappropriates. This remnant is the immutable witness to and the linguistic heritage of the rupture of a structure and the carrier of new meanings. Indeed, in 1763, Sevigniana appeared and was the first work published with the suffix “-ana” added to a woman’s name. The honoree was Madame de Sévigné, and her granddaughter compiled its contents which were well-known excerpts from Sévigné’s letters to her daughter which had already been made public. Since the contents derived exclusively from writing without even a gesture toward the oral quality that defined its predecessors, Sevigniana marks a clear departure in its portrayal of women. Can we call this work an ana at all? It is no coincidence that the book that paved the way for this portrayal was entitled Anonimiana. Because no man’s reputation was at stake in this work—it is, after all, in honor of “Anonymous”—women enjoyed a more direct representation than in previous ana. It was not until the publication of this decidedly mondain work in 1700 that women are portrayed as both speaking and writing. Within the space of a generation, between the publication of Scaligerana in 1667 and that of Anonimiana, French elite culture transcended one of the most important boundaries that had restricted women from authorship. They were no longer merely pawns in the elite male struggle for reputation, spoken for but rarely speaking. They found their own voice in the written word and, from Sevigniana on, the playing field was almost level. Works Cited —— Anonimiana ou mélanges de poesies, d’eloquence et d’erudition. Paris: Nicolas Pepie, 1700. —— Arliquiniana, ou les bons mots, les histoires plaisantes et agréables recueillies des conversations d’Arlequin. Paris: Fl. et P. Delaulne, et M. Brunet, 1694. Beasley, Faith E. “Altering the Fabric of History: Women’s Participation in the Classical Age.” in A History of Women’s Writing in France. Ed. Sonya Stephens. Cambridge: Cambridge University Press, 2000, pp. 64-83. Derrida, Jacques. “Structure, Sign, and Play in the Discourse of the Human Sciences” in The Languages of Criticism and the Sciences of Man. The Structuralist Controversy. Eds. Richard Macksey and Eugenio Donato. Baltimore and London: The Johns Hopkins Press, 1970, pp. 247-65. Goodman, Dena. The Republic of Letters. A Cultural History of the French Enlightenment. Ithaca and London: Cornell University Press, 1994. Heritage, “Bricolage” and Free-play: Restructuring the Ana Genre 419 Grosz, Elizabeth. “Ontology and Equivocation: Derrida’s Politics of Sexual Difference” in Diacritics. 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Avec les notes de plusieurs savans. Tome Second. Amsterdam: chez Cóvens & Mortier, 1740, i-xxiii. —— Scaligerana. Paris: Florentin & Pierre Delaulne, 1667. —— Perroniana in Scaligerana, Thuana, Perroniana, Pithœana, et Colomesiana. Ou remarques Historiques, critiques, morales, & litteraires de Jos. Scaliger, J. Aug. De Thou, le Cardinal du Perron, Fr. Pithou, & P. Colomie’s. Avec les notes de plusieurs savans. Tome Second. Amsterdam: chez Cóvens & Mortier, 1740, pp. 69-484. Montandon, Alain. Les formes brèves. Paris: Éditions Hachette, 1992. Stefanovska, Malina. “L’anecdote dans les ana et les mémoires du XVII e siècle” in Le savoir au XVII e siècle : actes du 34 e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature. University of Virginia, Charlottesville, 14-16 mars 2002. Tübingen: Narr, 2003, pp. 111-20. Timmermans, Linda. L’accès des femmes à la culture sous l’Ancien Régime. Paris: Honoré Champion, 2005. Wild, Francine. Naissance du genre des Ana. 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C’est pourtant ce que nous nous proposons de faire ici, ne serait-ce que pour attirer une fois de plus l’attention sur ces salons français au XVII e siècle dont l’existence reste sujet à débat. Car si l’expression pose problème au niveau de la sémantique historique 3 , il n’en est pas moins vrai 1 Cet article faisait l’objet d’une intervention en mars 2014 à l’Université de Virginie, et je tiens à remercier John D. Lyons pour la possibilité de présenter ces résultats de mes recherches dans le cadre de son séminaire. Je remercie également Vincent Platini pour sa lecture attentive et perspicace de ce texte. 2 Roger Duchêne, « De la chambre au salon : réalités et représentations », in : Vie des salons et activités littéraires, de Marguerite de Valois à Mme de Staël, éd. par Roger Marchal, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2001, pp. 21-28, ici p. 28. 3 Au XVII e siècle, la notion de salon n’existe pas dans l’acception qui est la nôtre. Ce n’est qu’au XIX e siècle qu’elle commence à prendre forme, tout en étant projetée en arrière, souvent dans une perspective nostalgique. Concernant l’évolution terminologique voir Antoine Lilti, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIII e siècle, Paris, Fayard, 2005, pp. 15-58 ; Stephanie Bung, Spiele und Stephanie Bung 422 qu’on ne peut pas rendre compte de certaines constellations sociales sans avoir recours à la notion de salon. Ces constellations ne sont pourtant pas aussi nombreuses qu’on serait porté à le croire et ne justifient certainement pas l’hypothèse de Maurice Magendie qui, en 1925, pouvait encore affirmer tranquillement : « Dans la première partie du siècle, les salons se multiplient […]. » 4 Non, les salons ne se multiplient pas dans le sillage de la fameuse « chambre bleue » de la marquise de Rambouillet, ou du moins serait-il difficile de le prouver si tel était le cas. Il faudrait d’abord trouver une réponse à la question suivante : comment cette multitude de salons - dont la marquise aurait fourni le premier et plus brillant exemple - se distingue-telle d’autres formations sociales ? 1. La « chambre bleue » : du symbole au paradigme Dans son étude sur Valentin Conrart, Nicolas Schapira aborde les relations de cet homme de lettres avec l’hôtel de Rambouillet. Considérant le statut apparemment paradigmatique de celui-ci, Schapira met l’accent sur le caractère performatif des sources et fait une observation cruciale : Que l’hôtel de Rambouillet ait constitué un cadre d’identification pour les écrivains explique aussi sa solitude dans le paysage des années 1630-1640 : s’il a éclipsé d’autres lieux où des pratiques probablement similaires devaient se dérouler, c’est parce qu’il est devenu le symbole de l’espace aristocratique où un certain nombre d’hommes de lettres étaient reconnus, et, pour fonctionner comme symbole, peut-être devait-il apparaître comme unique. En ce sens, en poursuivant chez les auteurs qui l’ont décrit la définition de ce qu’étaient les « salons » du XVII e siècle, on renverse complètement leur point de vue : dans ce qui était pour eux le symbole de quelque chose d’unique, on a voulu voir un modèle représentatif d’un ensemble de lieux comparables 5 . Les écrivains dont les lettres, poèmes, anecdotes et autres textes de circonstance contribuent à la gloire de l’hôtel de Rambouillet ne sont donc pas désintéressés. Ils réussissent à faire de la marquise le symbole d’une idée Ziele. Französische Salonkulturen des 17. Jahrhunderts zwischen Elitendistinktion und belles lettres, Tübingen, Narr, 2013, pp. 25-100. 4 Maurice Magendie, La politesse mondaine et les théories de l’honnêteté, en France au XVII e siècle, de 1600 à 1660, Genève, Slatkine Reprints, 1993, réimpression de l’édition de Paris 1925, ici p. 141. 5 Nicolas Schapira, Un professionnel des lettres au XVII e siècle. Valentin Conrart : une histoire sociale, Seyssel, Champ Vallon 2003, ici p. 241 ; c’est moi [S.B.] qui souligne. Les salons français dans les manuscrits du XVII e siècle 423 abstraite mais de plus en plus à la mode 6 : celle de la conversation irénique, voire amicale, entièrement détachée des hiérarchies sociales. Réciproquement, des hommes de lettres tels Guez de Balzac, Vincent Voiture, Valentin Conrart et - un peu plus tard - Gédéon Tallemant des Réaux valorisent leur propre capital symbolique. On comprend alors pourquoi, au XIX e siècle, l’historiographie des salons français privilégie les anecdotes et les poèmes de circonstance qui traitent de la « chambre bleue » : les sources qui font l’éloge de l’hôtel de Rambouillet abondent, tandis que l’on trouve relativement peu de traces d’activités similaires dans des « salons » tels que l’hôtel de Clermont, de Créqui, de Ventadour ou de Condé 7 . En transformant la singulière « chambre bleue » en paradigme, l’historiographie - dans la tradition de Sainte-Beuve notamment 8 - a bâti des trompe-l’œil, une multitude de salons-fantasmes qui hantent la critique littéraire jusqu’à nos jours. Mais s’il est ainsi, ne serait-ce donc pas plus sage, du moins en ce qui concerne le XVII e siècle, de renoncer une fois pour toutes à la notion de salon ? Pour répondre à cette question il convient d’abord de ne plus penser le salon en termes d’architecture ou de lieu (« chez la marquise de X », « l’hôtel de Y », « la maison de Madame Z »), mais en termes de pratiques sociales dont il est possible d’étudier les manifestations concrètes. Parmi celles-ci, les créations littéraires jouent un rôle important. Elles constituent le pivot sur lequel repose un processus qui - selon Schapira - consiste à « fabriquer de la distinction » : Mais ces travaux [sur les « salons » ; S.B.] n’analysent ni la place ni le rôle spécifique que jouent les hommes de lettres dans la fabrication de ces espaces. La problématique de la publication peut être ici utilement mobilisée pour comprendre comment les écrivains sont les acteurs majeurs de la promotion de certains lieux sociaux, et comment c’est dans les textes que se joue un échange de légitimité entre certains écrivains et un certain nombre de figures aristocratiques qui ne sont pas, par leur rang, appelées à devenir naturellement des figures publiques 9 . Dans une société corporative telle que celle de l’Ancien Régime, la distinction d’un groupe social passe par sa visibilité. S’appuyer sur les opérations 6 Cette mode provient de l’Italie et son origine est généralement associée avec la publication en 1528 du fameux Libro del cortegiano de Baldassare Castiglione. 7 Concernant ces noms de « salons » voir Magendie, La politesse mondaine, op. cit., p. 138. 8 Voir Lilti, Le monde des salons, op. cit., pp. 32-36 ; Bung, Spiele und Ziele, op. cit., pp. 32-43. 9 Schapira, Un professionnel des lettres, op. cit., p. 227. Stephanie Bung 424 de publication - y compris sur la circulation de textes manuscrits 10 - représente donc une méthode intéressante pour appréhender la fabrication de ces espaces. Pour comprendre la logique inhérente à une constellation sociale qui a particulièrement réussi à se rendre visible, comme c’est le cas de l’hôtel de Rambouillet, l’étude des manuscrits est incontournable. Or, quand on se penche sur les papiers rassemblés par Conrart 11 - parmi lesquels se trouvent ceux censés fabriquer la distinction de la « chambre bleue » -, on remarque une deuxième constellation dont les sources sont particulièrement foisonnantes. La visibilité de ce que les textes désignent comme « royaume de Tendre » ou « cabale de samedy » doit être rapprochée de celle de l’hôtel de Rambouillet : à partir de 1654, cet espace est minutieusement construit par l’activité littéraire de Madeleine de Scudéry et de ses amis, parmi lesquels figure une fois de plus l’homme de lettre Valentin Conrart 12 . Certes, deux cas plus ou moins analogues - au regard de leur succès à se rendre visibles - mais liés avant tout par le zèle d’archiviste d’une même personne ne permettent pas encore de répondre à la question quant à la validité de la notion de salon. Nous y reviendrons à la fin de cet article. Pour l’instant, contentons-nous d’avancer l’hypothèse suivante : ces constellations sociales et leur visibilité dans les manuscrits littéraires - qui seront étudiés à partir d’exemples choisis - permettent de nous renseigner sur des pratiques concrètes censées former des espaces que nous appelons généralement « les salons français du XVII e siècle ». 2. Le « royaume de Tendre » : l’espace et l’écrit Au premier abord, on note plutôt des différences entre le cercle de la marquise de Rambouillet et celui de Madeleine de Scudéry. Tandis que la désignation « chambre bleue » renvoie à un lieu concret dans l’hôtel particulier d’une famille appartenant à la noblesse d’épée, les noms que se sont donnés les amis de la femme de lettres reflètent un profil social plus 10 Concernant les notions de public et de publication au XVII e siècle voir notamment Hélène Merlin, Public et littérature en France au XVII e siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1994. 11 Ces manuscrits, généralement désignés comme les « recueils Conrart », se trouvent aujourd’hui dans la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris (voir Danièlle Muzerelle, « Le Recueil Conrart à la Bibliothèque de l’Arsenal », in : XVII e siècle, 192, 48, 1996, pp. 477-488). Concernant la partie « mondaine » de ces recueils voir notamment Sophie Tonolo, Divertissement et profondeur. L’épître en vers et la société mondaine en France de Tristan à Boileau, Paris, Honoré Champion, 2005. 12 Concernant les détails biographiques voir notamment Alain Niderst, Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde, Paris, Presses universitaires de France, 1976. Les salons français dans les manuscrits du XVII e siècle 425 humble : soit l’on choisit un nom qui renvoie à la régularité des réunions (« samedy »), soit l’on a directement recours à l’imagination (« royaume de Tendre »). L’indéniable écart entre ces espaces sociaux se manifeste aussi dans la matérialité même des manuscrits : si le chef-d’œuvre de l’hôtel de Rambouillet est un manuscrit d’apparat connu sous le nom de La Guirlande de Julie 13 , la notoriété du « samedy » repose sur la fameuse « carte de Tendre ». Instrument précieux de ces explorateurs du cœur humain que sont les amis de Madeleine de Scudéry, la carte représente un pays imaginaire dont les détails géographiques sont soigneusement dessinés : outre les villes et villages qui portent des noms évocatoires comme Petits Soins, Sensibilité, Complaisance d’une part, Négligence, Perfidie ou Tiédeur d’autre part, on voit par exemple une Mer d’Inimité, un Lac d’Indifférence, un Mont d’Orgueil. À la différence de La Guirlande de Julie, manuscrit prestigieux qui ne sort pas de l’hôtel de Rambouillet, cette carte allégorique voyage beaucoup. Indiquant les chemins qui mènent à « l’amitié tendre » de celle qui l’a façonnée, elle figure d’abord dans le premier volume, publié en 1654, du roman-fleuve Clélie, histoire romaine. Ensuite, et notamment dans les manuscrits conservés par Conrart, la carte prend une forme textuelle 14 . Le « royaume de Tendre » avec ses frontières, fleuves, collines et bourgades y est soigneusement décrit. Les chemins qu’il faut parcourir avant d’arriver au centre symbolique du pays, la « ville de Tendre » où loge celle qui règne sur le pays entier, sont parsemées des petites histoires, rapportées par exemple dans la « gazette de Tendre ». De la ville Oubli un gazetier imaginaire raconte l’anecdote suivante : Il arriva ici, il y a quelques jours un étranger de fort bonne mine, qui, après avoir passé de Nouvelle Amitié à Grand Esprit ; de Grand Esprit à Jolis Vers ; de Jolis Vers à Billet galant ; et de Billet galant à Billet doux ; s’égara, en partant de cet agréable village ; de sorte qu’au lieu d’aller à Sincérité, il vint 13 Pour plus de renseignement sur ce manuscrit, nous nous permettons de renvoyer à notre article (Stephanie Bung, « Une Guirlande pour Julie : le manuscrit prestigieux face au ‚salon’ de la Marquise de Rambouillet », in : Papers on French Seventeenth Century Literature, XXXVIII, 75, 2011, pp. 347-360). 14 Ces textes figurent dans l’édition critique d’un autre manuscrit issu du « samedy » (Madeleine de Scudéry, Pellisson, Paul et leurs amis, Chroniques du Samedi. Suivies de pièces diverses (1653-1654), édition établie et commentée par Alain Niderst, Delphine Denis et Myriam Maître, Paris, Honoré Champion, 2002, pp. 285-329). Il s’agit d’une vaste correspondance appartenant aux « archives » de Paul Pellisson auxquelles Tallemant des Réaux fait allusion dans une de ses historiettes : « Pelisson fait un recueil où il met toutes leurs lettres et tous les vers sans rien corriger. J’en trie ce qu’il y a de meilleur. Cela s’appelle les Chroniques du Samedy. » (Gédéon Tallemant des Réaux, Historiettes, édition établie et annotée par Antoine Adam, 2 vol., Paris, Gallimard, 1960-1961, vol. 2, p. 691). Stephanie Bung 426 dans notre ville, où il fut un jour tout entier, sans s’apercevoir qu’il était égaré. Mais aussi, dès qu’on l’en eut fait apercevoir, il partit d’ici, avec tant de diligence, qu’il y en a qui assurent, qu’il a plus fait de chemin en deux jours, qu’il n’en avait fait depuis qu’il était parti de Nouvelle Amitié 15 . L’exemple montre très bien comment la carte incite à jouer sans être entièrement ludique. Grâce à la signification allégorique des lieux, la mésaventure de ce personnage étourdi et égaré n’est pas innocente : il y va de sa visibilité sociale, car s’exiler trop longtemps de la société des autres signifie l’exclusion du jeu. Cependant, dans le cas de notre « étranger », la situation se complique : les annotations de la gazette ont soin de préciser qu’il s’agit d’un certain « Thrasile » alias Samuel Isarn qui, en 1654, est un des nouveaux amis de Madeleine de Scudéry. Ce nom galant figure dans plusieurs anecdotes et l’on apprend ainsi qu’il a un jour commis une bévue : « Thrasile » s’est montré distrait et taciturne lors d’une promenade avec « Sapho » alias Madeleine de Scudéry 16 . C’est à cette promenade que fait allusion l’anecdote de la ville Oubli. La distraction de « l’étranger de fort bonne mine » est celle d’Isarn dont le portrait en « Thrasile » frôle le ridicule. Or, l’on sait ce qu’implique un tel verdict dans une société qui sanctionne le mauvais comportement par le rire 17 . L’anecdote circulant parmi les proches de Madeleine de Scudéry qui y reconnaissent l’aventure de leur ami, le fait d’être « oublié » pendant une journée entière - même au niveau de la fiction - apparaît comme un châtiment. Isarn n’a pourtant pas le choix : il doit assumer son rôle de personnage légèrement ridicule s’il ne veut pas encourir un châtiment plus rigoureux, celui d’être oublié une fois pour toutes de ceux et celles qui pratiquent la « carte de Tendre ». Entre l’écrit et l’espace social en question, les frontières ne sont donc pas étanches. Certes, le « royaume de Tendre » n’est pas localisé dans un hôtel particulier tel que l’hôtel de Rambouillet. C’est un véritable « lieu impossible », comme l’a bien vu Myriam Maître qui le décrit en termes d’hété- 15 Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leurs amis, Chroniques du Samedi, op. cit., p. 307. 16 Ibid., p. 313. 17 Concernant la notion de « ridicule » ainsi que la signification sociale du rire au XVII e siècle voir Dominique Bertrand, Dire le rire à l’âge classique. Représenter pour mieux contrôler, Marseille, Presses de l’Université de Provence, 1994 ; voir aussi les articles du même auteur : « Du bon usage du rire et de la raillerie », in : Savoir vivre I, Lyon, Césura, 1990, pp. 63-84 ; « Raillerie », in : Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre, du Moyen-Âge à nos jours, éd. par Alain Montandon, Paris, Seuil, 1995, pp. 731-750. Les salons français dans les manuscrits du XVII e siècle 427 rotopie 18 . En mettant l’accent sur le côté performatif des sources, nous dirions pourtant qu’il s’agit surtout d’un jeu ; d’un jeu sérieux, puisqu’il assure l’existence du groupe et le rend visible par l’écriture, voire la réécriture. Les manuscrits attestent d’une reprise constante de la « carte de Tendre » - en forme narrative - qui devient ainsi une sorte de moteur de la cohésion sociale. L’intérêt de ces gazettes et d’autres narrations réside dans leur circulation : en tant qu’instrument d’activité sociale au sein du groupe, en tant que « portrait de groupe » en dehors de celui-ci 19 . Le « salon » de Madeleine de Scudéry n’a donc pas besoin d’un cadre architectural tel que l’hôtel de Rambouillet : c’est dans ces textes de circonstance qu’il se manifeste. Or, si la « gazette de Tendre » n’en est qu’un exemple parmi d’autres, elle est pourtant particulièrement significative pour notre étude. Car elle permet d’illustrer ce que nous montrerons par la suite, à savoir que l’écart entre le « salon » de Madeleine de Scudéry et celui de la marquise de Rambouillet n’est peut-être pas aussi profond qu’on aurait pu le croire. 3. L’imbrication des deux « royaumes » La « gazette de Tendre » n’est pas le premier texte de ce genre. Dans les manuscrits conservés par Conrart qui rendent compte de l’activité ludique de l’hôtel de Rambouillet, on trouve une « gazette de plusieurs endroits » 20 . La structure de ces petites histoires est analogue à celle qu’on vient de voir : 18 Voir Myriam Maître, Les précieuses. Naissance des femmes de lettres en France au XVII e siècle, Paris, Champion, 1999, ici p. 408 ; voir aussi l’article de la même auteure : « Sapho, Reine de Tendre : Entre monarchie absolue et royauté littéraire », in : Madeleine de Scudéry : une femme de lettres au XVII e siècle, éd. par Delphine Denis, Anne-Elisabeth Spica, Artois Presses Université, 2002, pp. 179- 193. 19 Delphine Denis décrit cette double fonction du jeu mondain à partir du nom galant (dont sera encore question dans cet article) : « Le nom galant atteste la cohésion du réseau amical, opérant dans deux directions complémentaires : vers l’intérieur du groupe d’une part, puisqu’il n’a de légitimité qu’en son sein ; à l’extérieur d’autre part, dans la mesure où il contribue à publier le prix auquel s’estime le cercle, les figurations qu’il privilégie, les valeurs culturelles auxquelles il adhère. » (D. Denis, « Les Samedis de Sapho : Figurations littéraires de la collectivité », in : Vie des salons et activités littéraires, de Marguerite de Valois à Mme de Staël, éd. par Roger Marchal, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2001, pp. 107-115, ici p. 114). 20 Cette « gazette » ainsi que d’autres textes de circonstance relatifs à la maison de Rambouillet se trouvent dans le volume X des « recueils Conrart in-4°» à la Bibliothèque de l’Arsenal (voir Ms 4115, ici fol. 633-646) ; voir aussi Bung, Spiele und Ziele, op. cit., ici pp. 174-193. Stephanie Bung 428 l’espace, le temps et l’action sont imaginaires tout en renvoyant aux protagonistes - masqués de leurs noms galants - d’un groupe social bien précis. Sous le titre « De l’Île d’Apolidon, le 14 du mois des Fées », par exemple, est racontée l’histoire du « sage Icas » alias Isaac d’Arnauld, visiteur régulier de l’hôtel de Rambouillet. Après une absence, le « sage Icas » est entouré par ses amis : « Chacun l’interrogea sur les nouvelles de la cour de France, mais il ne parla avec plaisir & avec admiration que de la vertu d’Alcidon & des qualitéz d’Artenice. » 21 Cette phrase est une mise en abîme de la gazette entière qui n’a d’autre but que de chanter la gloire de la famille de Rambouillet. Le marquis (« Alcidon ») et surtout la marquise de Rambouillet (« Artenice », souvent écrit comme « Arthénice ») - accompagnés par leur fille Julie d’Angennes (« Julie ») - figurent dans la plupart des anecdotes qui sont étroitement liées entre elles ainsi qu’avec d’autres pièces de circonstance. Dans l’un des premiers textes, l’hôtel de Rambouillet - en tant que cadre architectural - devient même le protagoniste d’une histoire : L’Empire des Hautes marches, duquel jusques à cettuy temps peu de gens ont eu notices & connoissance, est situé à cinquante deux degrez des Volvis, Prévolvis & Subvolvis, en un paÿ moult fertile & abondant. Illec on y trouve or & argent à foison, & toutes sortes de victuäilles, comme chiens, chats, perroquets, & singes verts ; moult y sont aussi les fruits & menues denrées de bon goust [...] ; de plus, raisins y croissent tout-secs, pruneaux & espinars tout-cuis ; Si que c’est grand merveille à voir & ouïr raconter 22 . Comme l’indiquent les (pseudo-)archaïsmes de ce passage, il s’agit d’abord d’un « exercice de style », d’un conte en vieux langage dans le goût de l’époque 23 . Le jeu consiste surtout à faire montre d’une maîtrise singulière de la langue et d’une habilité à la faire fléchir sous sa plume. Cependant, il n’est pas anodin que ce pays de cocagne soit désigné comme « l’empire des Hautes marches ». Le talent de la marquise de Rambouillet en matière d’architecture est un véritable topique dont témoignent plusieurs sources. Est particulièrement prisée la façon dont elle avait agencé les escaliers de sa maison pour créer à l’étage une suite de chambres devant mener à la 21 Bibliothèque de l’Arsenal, Ms 4115, p. 645. 22 Ibid., Ms 4115, fol. 617. 23 Selon Émile Magne, ce petit texte fait penser aux épîtres en vieux langage de Vincent Voiture (voir É. Magne, Voiture et les années de gloire de l’Hôtel de Rambouillet, 1635-1648, Paris, Mercure de France, 1912, ici p. 186) ; pour plus de détail sur le style de Voiture voir Sophie Rollin, Le style de Vincent Voiture. Une esthétique galante, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2006. Les salons français dans les manuscrits du XVII e siècle 429 « chambre bleue » 24 . La gloire de celle-ci est due à de tels topiques, conservés dans les manuscrits de Conrart, sans lesquels le « salon » de la marquise de Rambouillet ne serait pas ce qu’il est encore aujourd’hui : le symbole de la sociabilité française du XVII e siècle. Ces observations rapprochent les deux « royaumes », celui des « Hautes marches » et celui de « Tendre ». En premier lieu, on observera que, tout comme le « salon » de Madeleine de Scudéry, la « chambre bleue » n’est pas un cadre architectural. Car il importe guère de savoir s’il y avait réellement dans l’hôtel de Rambouillet, aujourd’hui disparu, une petite salle tapissée en bleu. L’important est que des textes de circonstance en parlent et incitent à un jeu mondain analogue à celui de la « carte de Tendre ». En second lieu, il faut constater que ce n’est pas un hasard si, autour de Madeleine de Scudéry, on adopte l’idée de la « gazette de plusieurs endroits » pour jouer « à la carte de Tendre ». Il s’agit d’un hommage à l’hôtel de Rambouillet. Ainsi peut-on lire dans une des anecdotes de la « gazette de Tendre » qu’on trouve à la ville de Bonté « un magnifique palais, qui est auprès de celui de la divine Arthénice, à qui Sapho rend autant d’honneur qu’à une déesse. » 25 Le lecteur de la gazette comprendra le message : « Arthénice » alias la marquise de Rambouillet représente le modèle de « Sapho » alias Madeleine de Scudéry. Mais dans quelle mesure s’agit-il d’une structure textuelle qui permet de rendre compte d’une constellation sociale du type « salon » ? Comme l’a bien montré Delphine Denis, le point d’articulation entre l’espace social et celui de l’écriture peut être précisément déterminé : c’est le pseudonyme galant 26 . Selon Denis, celui-ci fonctionne comme embrayeur qui permet aux textes d’être publiés et de participer au régime littéraire tout en conservant leur statut de jeu mondain. À l’instar du nom « à clé » des romans comme Clélie par exemple, le pseudonyme galant est la signature 24 Tallemant des Réaux par exemple rapporte l’anecdote suivante : « C’est d’elle qu’on a appris à mettre les escalliers à costé, pour avoir une grande suitte de chambres, à exhausser les planchers, et à faire des portes et des fenestres hautes et larges et vis-à-vis les unes des autres. Et cela est si vray, que la Reyne-mere, quand elle fit bastir Luxembourg, ordonna aux architectes d’aller voir l’hostel de Rambouillet, et ce soing ne leur fut pas inutile. C’est la premiere qui s’est avisée de faire peindre une chambre autre couleur que de rouge ou de tané ; et c’est ce qui a donné à sa grande chambre le nom de la Chambre bleue. » (Tallemant, Historiettes, op. cit., vol I, p. 443). 25 Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leurs amis, Chroniques du Samedi, op. cit., p. 312f. 26 Voir Delphine Denis, Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au XVII e siècle, Paris, Champion, 2001, notamment le chapître IV « Le masque et le nom », pp. 189-235. Stephanie Bung 430 d’une pratique spécifique émergeant dans un champ littéraire qui, à l’époque, est lui-même en train de se former. Le nom « à clé », ainsi, œuvre dans le sens de ce va-et-vient constant entre éthique et chronique, entre « littérature » et mémoire de l’histoire privée. Embrayeur puissant, il fait circuler dans toute leur complexité les différentes figurations de soi et du groupe (personne/ persona/ personnage), sans jamais autoriser la clôture du signe sur le référent qui viendrait assurer, une fois pour toutes, l’unique interprétation de l’œuvre 27 . Le nom galant est une figure textuelle qui brouille les pistes aussi bien d’une lecture référentielle que d’une interprétation allégorique. C’est un masque, dans le sens étymologique de persona, dont se servent les adeptes d’une pratique littéraire et qu’il faut comprendre comme un processus - extrêmement prolifique à l’époque - de « figuration galante » 28 . Les protagonistes de l’hôtel de Rambouillet la pratiquent autant que les amis de Madeleine de Scudéry. Mais ils ne sont pas les seuls, loin de là : dans les années 1650, commence à prendre forme un réseau textuel dont les travaux de Delphine Denis ont montré l’envergure considérable ainsi que son impact sur la création littéraire de l’époque 29 . Toutefois les contours de ce réseau galant qui se manifeste dans les textes littéraires ne concordent pas avec le phénomène que nous appelons les « salons ». C’est ce que nous allons montrer en guise de conclusion. 4. De la multitude des « salons » aux « stratégies de salon » multiples La figuration galante désigne un procédé fondamental pour donner un sens à la notion de salon. Mais contrairement à cette dernière, la figuration galante n’évoque pas l’idée d’un endroit précis dont il suffit de connaître l’adresse. Il s’agit d’une pratique dont il faut comprendre le mécanisme littéraire avant de pouvoir identifier une constellation particulière du type « salon ». Or, jusqu’ici peu d’études sont consacrées à ce travail d’identification qui implique l’analyse de la figuration galante comme une stratégie, c’est-à-dire un moyen efficace auquel un groupe particulier a recours pour « fabriquer de la distinction » 30 . Il convient donc de faire quelques obser- 27 Denis, Le Parnasse galant, op. cit., p. 232. 28 Voir notamment ibid., p. 199. 29 Voir notamment Denis, Le Parnasse galant, op. cit. ; Denis, Les Samedis de Sapho, op. cit. ; Delphine Denis, « Les inventions de Tendre », in : Intermédialités. Histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques, n°4, ‚Aimer’, automne 2004, pp. 45-66. 30 Comme l’a fait remarquer Nicolas Schapira, ce travail suppose l’effort concerté d’une équipe de recherches interdisciplinaires : « Comprendre vraiment ce qui se Les salons français dans les manuscrits du XVII e siècle 431 vations : premièrement, la relation établie ici entre « figuration galante » et « salon » n’est pas réciproque. Si les cercles de la marquise de Rambouillet et de Madeleine de Scudéry se distinguent d’autres formations sociales par le rôle constitutif que joue le nom galant, la manifestation fréquente de celui-ci dans d’autres textes littéraires ne permet pas automatiquement d’identifier une multitude de « salons ». Deuxièmement, il faut s’interroger sur la notion de « stratégie ». Madeleine de Scudéry et ses amis soulignent le lien qu’ils entretiennent avec l’hôtel de Rambouillet pour accroître leur capital symbolique dans le champ littéraire de l’époque. En 1654, la figuration de la « chambre bleue », dont l’imaginaire du « royaume des Hautes marches » atteint son paroxysme dans La Guirlande de Julie, commence à se transformer en symbole. S’inventer une généalogie esthétique pour profiter de la gloire de l’hôtel de Rambouillet peut donc bel et bien être qualifié de stratégique. Mais de quelle stratégie témoigne un manuscrit d’apparat comme La Guirlande de Julie ? La visibilité dans le domaine du littéraire n’a pas beaucoup d’attrait pour une famille de la haute noblesse. Or, si le profil social de la maison de Rambouillet se distingue considérablement de celui de la famille de Scudéry, il n’est pas non plus comparable à celui de la maison de la Trémoïlle par exemple dont le profil social est encore supérieur. Cependant, on retrouve trois protagonistes de La Guirlande de Julie - la marquise, sa fille et le futur mari de celle-ci, le marquis de Montausier - dans un album de devises attribué à Marie de la Tour, duchesse de la Trémoïlle 31 . Dans la mesure où cet album rassemble avant tout les devises de personnes appartenant à la famille de la duchesse, la présence du petit groupe rappelant les activités de la « chambre bleue » est hautement significative. Figurer dans une constellation dont le facteur principal de cohésion n’est pas esthétique mais dynastique peut être considéré comme une marque d’ascension sociale. La figuration galante n’est donc pas gratuite, ni dans le cas de Madeleine de Scudéry, ni dans celui de l’hôtel de Rambouillet. Mais l’orientation du procédé n’est pas la même, les stratégies joue autour de madame des Loges, de la marquise de Rambouillet, ou de certaines dames célèbres pour l’activité de leurs ruelles après la Fronde supposerait une véritable histoire sociale et politique de leurs familles, permettant de situer cellesci dans la galaxie nobiliaire, en reconstituant leurs fortunes et leurs alliances pour inscrire leurs pratiques de sociabilité dans une dynamique socio-politique d’ensemble. » (Schapira, Un professionnel des lettres, op. cit., p. 236) ; pour une discussion des recherches actuelles dans le domaine des « salons au XVII e siècle » voir Bung, Spiele und Ziele, op. cit., pp. 72-100. 31 Pour une discussion plus détaillée de l’album de devises de la duchesse de La Trémoïlle ainsi que pour son rapport avec l’hôtel de Rambouillet voir Bung, Spiele und Ziele, op. cit., pp. 248-260 ; Bung, « Une Guirlande pour Julie », op. cit. Stephanie Bung 432 visent différentes cibles : consolider sa position dans le champ littéraire d’un côté, et vis-à-vis de la très haute aristocratie de l’autre. Quelles conclusions faut-il en tirer quant à la notion de salon ? En tant qu’instrument d’analyse pour la critique littéraire, elle n’est certainement pas indispensable. Tout d’abord, les réalités désignées par cette expression ne sont pas assez semblables pour former une catégorie. Même si l’on ne regarde que les deux constellations que l’historiographie du XIX e siècle présente comme les salons les plus fameux du XVII e siècle, les dissemblances l’emportent. Surtout le cas de l’hôtel de Rambouillet est assez singulier. Les trois protagonistes - appartenant, eux, à la noblesse d’épée - témoignent d’une stratégie de figuration collective qui fait déjà penser à une conception moderne de self-fashioning. Sans avoir l’ambition de se situer dans le champ littéraire de l’époque, ils utilisent pourtant des moyens qui, un peu plus tard, seront caractéristiques de celui-ci. Vers le milieu du siècle, Madeleine de Scudéry et ses amis adopteront de tels procédés tout en les peaufinant, mais en vue cette fois de se positionner dans ce qui est en passe de devenir un champ autonome de la littérature. D’un point de vue moderne, la mise en relation de ces deux constellations historiques - la maison de Rambouillet et les amis de Madeleine de Scudéry - ne va donc pas de soi. C’est l’historiographie qui nous suggère de les corréler en introduisant la notion de salon : celle-ci nous provoque à chercher le lien entre la marquise et la femme de lettres. Or, cette recherche s’est révélée être productive, puisque ce lien existe et qu’il nous permet d’appréhender une configuration singulière dont les pratiques littéraires nous éclairent sur l’imbrication du moderne et de l’ancien dans le domaine de l’esthétique. À condition de ne pas nous conduire à ressasser les anecdotes du XIX e siècle et à reproduire leur illusion rétrospective - l’idée qu’au début du XVII e siècle « les salons se multiplient » -, le mot « salon » n’est donc pas obsolète. Au contraire, il servira à examiner de plus près ce phénomène fascinant que les contemporains de la marquise de Rambouillet ainsi que ceux de Madeleine de Scudéry appellent « le monde ». C’est le pouvoir de différenciation qu’il faut rendre à la notion de salon, ou plutôt - car l’historiographie du XIX e siècle ne s’en est pas souciée - qu’il faut lui donner. COMPTES RENDUS PFSCL XLI, 81 (2014) Bernard Chédozeau : L’Univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal. Les Préfaces de l’Ancien Testament. Une théologie scripturaire (1672-1693). Les Préfaces du Nouveau Testament (1696-1708). Préface de Jean Lesaulnier. Paris : Champion, 2013 (« Sources classiques » 112). 2 vols. 905 p. La traduction de la Bible par un groupe de « Solitaires » de Port-Royal permet de mieux comprendre certains côtés de la littérature française puisque les grands auteurs jusqu’à Rimbaud s’y réfèrent. Philippe Sellier a rendu de nouveau ce texte accessible dans la collection Bouquin (1990). Son édition et ses jugements, allégués ici régulièrement, font autorité. Il restait une lacune, l’absence des préfaces, que Bernard Chédozeau comble par ces deux volumes, qui couronnent la longue série de ses travaux sur Port-Royal. Chédozeau cherche à préciser leur portée par une longue introduction (13-156) et une conclusion (817-856). Les trois annexes sur la « publication » (857-872), les « prises de privilèges » (872-882), la « dates des privilèges et achevés d’imprimer » (883-884) documentent les données éditoriales, auparavant enregistrées sommairement en notes pour chacune des préfaces. Chédozeau discute abondamment la problématique du sens littéral et spirituel de l’Ancien Testament dont les préfaces lui semblent supérieures à celles du Nouveau Testament, disqualifiées dans l’introduction très succincte (671-675). D’après lui, les développements de Richard Simon sont supérieurs à ceux de la préface de l’Évangile selon saint Matthieu d’un « caractère un peu vieilli » (678), autrement dit, l’exégèse critique de la Bible marque un progrès par rapport à l’exploitation des Pères de l’Église dans la Bible de Port-Royal. Est-ce un hasard que saint Augustin soit absent de l’index (893- 899) ? L’éditeur se distancie sur ce plan des Solitaires, qu’il ne cesse par ailleurs d’exalter, parce que la préface de l’Évangile selon saint Luc « est moins riche que celle du Nouveau Testament de Mons » (694). Ce scepticisme n’empêche pas de conclure que « grâce à Port-Royal et à l’Oratoire, dans le domaine biblique et liturgique la France dispose de traductions et d’explications d’une qualité exceptionnelle » (819). Cet éloge nous semble justifié, mais la comparaison avec l’exemple de « Luther pour l’Allemagne » (820) n’est pertinente que pour la « théologie scripturaire » (821), où Port-Royal favorise la lecture biblique des laïcs autant que ce réformateur. Les considérations sur la théologie biblique et la prise en considération de la longue durée jusqu’au concile Vatican II (844-846) n’entrent pas dans ma compétence de critique littéraire. Dans le domaine linguistique, il faut se méfier d’un parallélisme superficiel avec la traduction de Luther, qui assure à la langue allemande une prédominance sur les nombreux dialectes régionaux, PFSCL XLI, 81 (2014) 436 tandis que la traduction de Port-Royal profite des débats linguistiques hors de l’orbite des théologiens. La langue littéraire allemande se développe sur la base du texte biblique proposé par Luther, mais les traducteurs de Port- Royal n’enrichissent le français que grâce à leur engagement dans le domaine de la littérature religieuse. Les textes sont ordonnés selon l’année de leur publication : les Proverbes (1672), les douze petits prophètes (1679), le Pentateuque (1682-1685) sont réunis sous un intitulé spécifique. Une deuxième section comprend les Livres des Rois (1686) et les autres livres de l’Ancien Testament. La Préface générale sur l’explication littérale de toutes les Épîtres de saint Paul est intercalée entre celui du Livre d’Esther (1688) et des Psaumes de David (1689). D’après l’éditeur, la préface aux épîtres de l’Apôtre, publiée en 1678-1679, puis en 1708, et celle des Psaumes « traitent de façon très différente d’un même sujet » (491), à savoir de la mise en relief du sens littéral, argument primordial des préfaciers et centre d’intérêt prédominant de l’éditeur constatant toutefois avec regret l’absence complète « de définition du sens littéral » (23). On doit se contenter des « définitions indirectes » (23) qui résultent, d’une part, de la théorie inspirant les traductions, et qui varient d’autre part selon les genres des livres historiques, sapientiaux, prophétiques. La Préface sur l’explication littérale de toutes les Épîtres de saint Paul utilise « le nom d’explication comme le plus simple » et y ajoute « celui de littérale afin de distinguer cette explication de toutes celles qu’on peut appeler mystiques » (500). Chédozeau constate la préoccupation de saisir la littéralité : « Chercher le sens naturel, telle est donc la tâche que se donnent les commentateurs » (74) d’Isaac Louis Lemaire de Sacy pour l’Ancien Testament à Pierre Thomas du Fossé et Charles Huré pour le Nouveau. Il commente le terme naturel p. 74-91 et de nouveau p. 492-498 ainsi qu’en notes p. 168, 307, 544, 567, 669, 741. On aurait préféré à cette répétition une élucidation des allusions érudites dans les notes des traducteurs, par exemple p. 452, note 1052 « Estius » ou note 1053 « Synops. Critic. », indications incompréhensibles pour le lecteur contemporain. Une nette distinction entre les notes de l’original et celles de l’éditeur aurait évité des malentendus, par exemple note 1062 où figure le nom de « Corduc » pour préciser « un savant traducteur » (455), explication provenant probablement des traducteurs. Bien que « la remise en cause du recours aux Pères et à la Tradition [soit] un des lieux de la Querelle des Anciens et des Modernes » (99), Henri de Lubac n’est pas le seul à déplorer que le recours à l’explication du sens spirituel des Pères de l’Église soit tombé en discrédit. Les Solitaires lisent la Bible « dans le cadre strict des Pères et de la Tradition » (101) afin de correspondre aux directives du Concile de Trente et d’éviter les soupçons Comptes rendus 437 d’un manque d’orthodoxie. Le choix du texte, toujours « la Vulgate seule » (167), est modifié en partie par le regard supplémentaire sur les autres versions de la Bible. Les traducteurs optent pour la littéralité au risque d’être « obscur » (167). Ils se méfient de « cette élégance qui est estimée dans le monde » (179) et tiennent toujours à distinguer le « langage de Dieu » et « celui du monde » (180). Cette problématique vivement discutée à l’époque reste à l’arrière-plan des préfaces. Le principe « d’exprimer en notre langue les paroles mêmes de l’Écriture » se heurte dans la pratique à la diversité linguistique des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les Pères de l’Église sont pris en considération parce que le sens littéral, « fondement des autres sens qu’on leur donne » (545) s’enrichit « surtout dans les psaumes, des sens consacrés par l’usage et l’intelligence de l’Église » (545). En rappelant « que des explications sont nécessaires pour toute la Bible » (169), Sacy adopte pour l’Ancien Testament « une position différente de celle que les Messieurs avaient retenues pour le Nouveau Testament » (169). Il commence par Les Proverbes de Salomon parce que cet ouvrage correspond aux attentes des lecteurs des moralistes dont il se distingue par le prestige d’un auteur royal, Salomon, instruisant les fidèles. La préface à l’Ecclesiaste vante la « morale très claire » (394), exige toutefois de s’attacher « au sens spirituel afin d’appliquer aux chrétiens ce qui a été dit aux Juifs » (395). Le Cantique des Cantiques, attribué au même Salomon, termine les traductions de l’Ancien Testament parce qu’il est « un poème » (669) dont les « expressions figurées » (661) sont difficiles à traduire et encore plus difficiles à comprendre. Il faut avoir « des vues toutes spirituelles » (656) pour pénétrer à travers la surface charnelle « les mystères tout spirituels de l’alliance du Verbe avec la nature humaine dans l’Incarnation et de l’alliance de l’Homme-Dieu avec l’Église sa sainte Épouse » (662). Cette structure du Cantique des Cantiques est un défi pour les promoteurs du sens littéral de l’Écriture, et Chédozeau qualifie leur préface d’« un peu décevante » (655), mais de « riche » (723) celle de l’Apocalypse, « cet excellent livre, aussi obscur qu’il est respectable » (730). Les traducteurs tiennent l’Apocalypse pour « un livre prophétique » dont « le sens mystique doit être fondé sur les sens historique et littéral » (740). Ils préfèrent le sens « que le Saint-Esprit a eu principalement en vue selon la signification naturelle des termes, ou selon le rapport qu’ils ont avec certaines choses dont ils sont la figure » (741). Se référer au Saint-Esprit en garant de « la signification naturelle des termes » est une profession de foi qui justifie aussi le figuralisme. L’index n’enregistre pas le terme de « sublime », quoique la préface à la Genèse se termine par un chapitre intitulé « Simplicité sublime de l’Écriture » (322). L’historicité des énoncés du Pentateuque va de soi pour les PFSCL XLI, 81 (2014) 438 préfaciers aussi bien que le principe de l’exemplarité dont la préface au livre d’Esdras souligne l’importance en répétant la doctrine rhétorique suivant laquelle « [l’]exemple est d’un plus grand poids que les paroles pour persuader les peuples » (641). Le genre des devises est évoqué dans la préface d’Isaïe. La doctrine connue suivant laquelle « on prend pour corps quelque chose qui est ordinaire dans la nature pour marquer d’une manière courte et ingénieuse une vérité qu’on a dans l’esprit » (223), est appliquée au lierre pour discuter ensuite le rapport entre « le sens de la lettre et le sens spirituel » (224). Le préfacier pense mettre en évidence que le sens spirituel « est l’âme dont ce sens littéral n’est que le corps » (224). Le critique littéraire se rend compte dans quelle mesure cette argumentation théologique se base sur la poétique de l’époque. Ces préfaces sont une mine riche pour celui qui voudrait saisir l’altérité du XVII e siècle. Elles seront désormais faciles à consulter grâce à la présente édition. Volker Kapp Mathilde Levesque, Olivier Pédeflous (dir.) : L’emphase : copia ou brevitas ? (XVI e -XVII e siècles). Paris : PUPS, 2010. 180 p. L’emphase, qualifiée de pompe, passe de nos jours pour un défaut de style. De l’Antiquité au XVII e siècle, les manuels de rhétorique sont unanimes à la décrire comme un procédé permettant de condenser l’énoncé. Les deux notions de copia et de brevitas sont censées caractériser ses possibilités de le mettre en relief, ces propriétés n’étant pas encore antagonistes. L’actuelle dépréciation fait de la brièveté le contraire de l’emphase et n’attribue à l’abondance qu’une signification négative. Les jugements erronés des critiques ignorent les modifications du concept. La prise en considération de la rhétorique ancienne invite à le réévaluer en retraçant les moments cruciaux de la modification de la doctrine. Au XVI e siècle, les grands auteurs perpétuent encore l’ancienne rhétorique mais, au XVII e siècle, Boileau loue « l’emphase admirable » en condamnant toutefois « l’ambitieuse emphase ». Cendrine Pagani-Naudet cite ces deux énoncés (« Emphase et dislocation », 43) et illustre l’évolution du goût par le Discours sur le style des inscriptions où Boileau justifie la substitution des inscriptions latines de François Charpentier dans la galerie des Glaces à Versailles par les devises françaises écrites par lui-même et par Racine sur l’ordre du roi exigeant de remplacer « ces pompeuses déclamations » par des « inscriptions simples » (43). Pagani-Naudet néglige l’arrière-fond culturel pour se concentrer sur les aspects grammaticaux. Ces actes d’une journée d’étude analysent les Comptes rendus 439 énoncés emphatiques à travers les prismes « rhétorique, syntaxique, stylistique, ou encore sémantique » (9). Les onze contributions du volume, divisé en quatre parties, traitent d’abord l’emphase en tant que « notion problématique » (21-70), ensuite ses liens avec des « types de discours » (71-100) et le « cas Rabelais » (101-128) et finissent par son rôle dans « syntaxe et pragmatique » (129-174). Elles se situent à la frontière de la rhétorique traditionnelle et de la stylistique linguistique, ce qui constitue un avantage indéniable des travaux dont la terminologie linguistique cependant ne facilite pas forcément la lecture. Stéphane Macé focalise l’attention sur « L’emphase : un point de rencontre entre rhétorique, syntaxe et stylistique » en s’étonnant « à quel point la lecture ou l’usage modernes ont souvent eu tendance à modifier le sens des termes de la rhétorique classique » (21). La notion d’emphase est victime d’une « vision largement erronée » de l’amplification considérée comme « un équivalent de la copia ou de la dilatatio » (26). Le terme d’emphase est d’origine grecque. Son « équivalent latin, significatio » (22), est défini chez Quintilien par une bipartition : « une expression dense condensant un large potentiel de signification » et « la troncation d’un membre de phrase » (23). Jusqu’au XVII e siècle, l’effet de « faire entendre davantage que ce que disent les mots » (25) est abordé par les théoriciens sur trois plans, 1) comme une qualité du style, surtout de la brevitas, 2) comme une figure utilisée pour exprimer les passions, 3) comme l’antithèse de l’amplification. Parmi les exercices scolaires, celle-ci servait à condenser ou à développer un discours « (au sens à la fois ‘quantitatif’ et ‘qualitatif » du terme) » (28). Le côté ‘quantitatif’ de l’amplification, synonyme de « soulignement » (30,) se prêtait aux « connotations négatives » (31) de l’emphase. Georges Moliné insiste sur « la tension du couple abondance / brièveté » (64) en tant que catégorie de style qui a pour effet « un faire-voir » et « dépasse la portée rigoureusement sémantico-sémiotique de l’expression » (65). La « puissance de désignation » de l’emphase lui semble « plus neutre et plus large » (66) que le sublime. Les recueils d’anecdotes fournissent selon Karine Abiven « un corpus propice au repérage de ces marqueurs de brièveté » (73). La forme brève hérite de l’exemplum dans le genre des Ana, dans les apophtegmes aussi bien que dans les mémoires. Toutes ces formes nécessitent « une optique de concentration des effets et de mise en relief visant à déclencher la démarche interprétative du lecteur » (75). Abiven énumère les différents marqueurs communs au genre textuel de l’anecdote. Jennifer Tamas associe l’emphase à « la déclaration d’amour afin de montrer comment le personnage racinien met au jour une identité amoureuse complexe et dense » (87). PFSCL XLI, 81 (2014) 440 Cécile Lignereux « adopte un point de vue esthétique sur la prose sévignéenne » (131) en recourant à la catégorie de la « dislocation », souvent évoquée dans ces études. Pour obtenir « l’impression de naïveté épistolaire » (131), l’épistolière accumule les sujets les plus variés et se sert pour ses aveux sentimentaux des « constructions disloquées avec détachement à gauche » (135), par exemple « Mais pour penser à vous, ah ! je ne fais nulle autre chose » (9-11-1689). Pour ses énoncés à portée générale, elle utilise des « constructions clivées » (138) et pour le côté subjectif des « structures pseudo-clivées » (142), par exemple « […] ce qui est fâcheux, c’est que, quand on gâte ses affaires, on passe le reste de sa vie à les rhapsoder » (5-1-1671). La structure emphatique a, chez Cyrano de Bergerac, des « propriétés argumentatives » (Mathilde Levesque, « Une « syntaxe d’expressivité » ? Cyrano et la phrase ostentatoire », 151). Les « dislocations droite présentes dans le manuscrit » sont souvent « supprimées pour la version imprimée » (153) en faveur de la dislocation gauche donnant « l’occasion d’une mise en relief du subjectif » (155) et imposant « sa propre vision du monde » (158). Margot Kruse a expliqué en 1960 les maximes de La Rochefoucauld dans la tradition humaniste des sentences. Mathias Degoute l’ignore en reprenant le même argument dans une optique linguistique afin d’expliquer les modifications des Maximes « comme recentrage vers l’essentiel d’un propos, une diminution qualitative des éléments signifiants (lexicaux, grammaticaux, prosodiques ou encore pragmatiques), qui peut passer par un allongement quantitatif de la maxime » (« Concevoir la concision dans l’écriture aphoristique à la lumière des réécritures des Maximes de La Rochefoucauld », 169). Ces études surtout linguistiques de l’emphase méritent l’attention des critiques qui pourront les compléter par des points de vue littéraires sans invalider leurs résultats importants. Volker Kapp Craig Moyes: Furetière’s ‘Roman bourgeois’ and the Problem of Exchange. Titular Economics. Oxford: Legenda. (Research Monographs in French Studies 34). Modern Humanities Research Association and Maney Publishing, 2013. x + 158 p. In the opening, dubbed ‘Preliminaries’, the author announces a reading of Le Roman Bourgeois that “provides a pointed reflection on the mechanisms of literary, financial and social exchange” (p. 4) in the aftermath of the Fouquet affair (1661-1664). Having examined in the first part of ‘Liminaries’ several possibilities of contextualizing Furetière’s work within the Comptes rendus 441 contemporary literary economy, he concludes that Le Roman Bourgeois constitutes a singularity. So it is; few Furetière scholars will argue to the contrary, although not necessarily for the reasons Dr. Moyes invokes. His book displays a large and varied critical apparatus, indicating an unmistakable attempt at comprehensive scholarship. His language and style, however, arcane and occasionally jargon-laden, hardly make for pleasant reading. Perhaps it might have been judicious to acknowledge at the beginning of Chapter I Furetière’s explicit titrological intention of satirizing in his incipit the Æeneid. Surely the idea of serious epic, degraded to the bourgeois level (L’Énéide travestie [1648-1653], should have given the author a clue), plays an important part in driving the narrative forward. The Abbé de Chalivoy’s intention is clear enough, making, I believe, Part II of the ‘Liminaries’ unnecessary. Perhaps a reflection on the author’s scathing satire of bourgeoisie—which he sees as both avaricious and dull-witted—wrapped in a modernistic travestissement of the hallowed icons of early Roman history, would have, I believe, better served the book’s purpose. The following chapter endeavors to establish an intertextual relation between Le Roman Bourgeois and the Dictionnaire Universel. Digressions and jargon, however, are the twin reefs upon which that ship founders. Moyes’s contention that the juxtaposition (in the Dictionnaire) of Persian rulers’ titles —bestowed or self-awarded—to ‘Roy Tres-Chrestien’ undermines the very notion of a (nobiliary) title, is not very persuasive, especially that Furetière quotes here someone else (English poet George Herbert [1593-1633]? ). In contrast, the following chapter, ‘Numismatics’, is better framed and more coherent (Although present, digressions do not distract as much from the central topic). The focalization on the Marquis is questionable, though: Furetière presents him as a rather ridiculous character, a schemer at once unscrupulous and naïve, with no actual control of his fortune. From the standpoint of chrematistics, 1 Vollichon and Nicodème (First part), and Collantine (Second part) would have been a better choice. The conflict between Fouquet and Louis XIV is richly and skillfully presented in Chapter 4, but the brief conclusion, centered on the “Mécénas” entry of the Dictionnaire, is both problematic and anachronistic to Le Roman Bourgeois. The final two chapters (5 & 6), respectively centered (5) on “Historiette de l’Amour égaré”, plus a reflection on the names Charroselles and Collantine, and “Inventaire de Mythophilacte and the “Somme dédicatoire” (6), contain interesting remarks, but there again, I have trouble relating the mécénat theme with my own understanding of the novel (and existing 1 Chrematistics (fr. the adj. Chrematisitc) : related to acquiring money. PFSCL XLI, 81 (2014) 442 critical sources), all the more so that I find those chapter topics insufficiently developed and lacking awareness of Furetière’s mordant satire. Throughout the book, the attempts to link Le Roman Bourgeois with Fouquet’s disgrace seem to me more the result of hermeneutic acrobatics (or perhaps a somewhat fevered imagination) than remarks based on sound textual evidence. A (sadly, absent) synthetic conclusion might have made the case by tying disparate elements together, but in its present state, I have serious doubts as to whether Dr. Moyes’s book helps advance or deepen our knowledge—much less our appreciation—of Furetière’s novel. Francis Assaf Anne Piéjus (dir.) : Jean Racine, Jean-Baptiste Moreau. Athalie. Musica Gallica, Première série, t. 26. Tragédies tirées de l’Écriture sainte. Paris : Société Française de Musicologie, 2005. Lxii + 111 pages. « Cette édition propose le texte de la dernière tragédie de Racine avec la musique des intermèdes originaux », commence l’avant-propos de cette édition d’Athalie. Ce faisant, tout comme leur édition antérieure d’Esther (2003), Anne Piéjus et la Société Française de Musicologie ajoutent sensiblement au contenu de l’édition Pléiade de Racine dirigée par Georges Forestier. En effet, cette édition, d’une beauté à la hauteur de son érudition, rassemble des informations fort à propos mais en forme compacte sur les circonstances de la création de la dernière tragédie de Racine. En outre, la partition musicale qui est intercalée avec le texte de Racine répondra parfaitement aux besoins des musiciens et des musicologues comme à ceux des littéraires. Il en résulte un volume hautement utile pour ceux qui veulent connaître la musique encore peu connue de Moreau. Cette circonstance constitue une injustice puisque la musique écrite pour les jeunes filles de Saint-Cyr est d’une grâce aisée à apprécier et qui déploie des structures harmoniques dont la variété témoigne d’une sophistication non négligeable. Comme le souligne Anne Piéjus, « L’idée de Racine était d’insérer des intermèdes chantés (chœurs, solos et musique instrumentale) dans une tragédie déclamée, non pas en adoptant une structure d’alternance préétablie qui réduirait la musique à un rôle formel ou décoratif, mais selon une formule suffisamment souple pour épouser la dramaturgie de la pièce... ». D’où l’avantage, voire la nécessité de publier musique et texte dramatique en une seule et même publication. Comptes rendus 443 L’on peut signaler en outre l’existence d’un enregistrement réalisé par la Simphonie du Marais (Calliope CAL 9524, 2001), et qui a l’interêt supplémentaire des talents histrioniques de Lambert Wilson déclamant des extraits du texte verbal octroyés aux rôles de Josabeth, Joad ou Athalie. En effet, l’ajout de ce premier enregistrement récent de la musique crée un effet de renforcement d’intérêt pour cette œuvre si impressionante à lire au niveau de la tragédie en soi, mais qui commence à prendre les dimensions données à l’origine par Racine et Moreau en restaurant à sa véritable place la musique. Grâce à celle-ci et surtout aux chœurs, les filles de Saint-Cyr ont dû profiter d’un maître de chapelle ainsi que d’un compositeur de taille que cette édition aidera à faire mieux connaître à un public moderne. Stephen Fleck LIVRES REÇUS PFSCL XLI, 81 (2014) Livres reçus ALBANESE, Ralph : Racine à l’école républicaine ou les enjeux socio-politiques de la tragédie classique (1800-1950). Paris : L’Harmattan, 2013 (« Espaces Littéraires »). 281 p. ALET, Martine : Charles Sorel et son monde. Paris : Champion, 2014 (« Libre Pensée et Littérature Clandestine, 55 »). 352 p. ESMEIN-SARRAZIN, Camille (éd.) : Madame de Lafayette, Œuvres complètes. Édition établie, présentée et annotée par Camille Esmein-Sarrazin. Paris : Gallimard, 2014 (« Bibliothèque de la Pléiade »). 1664 p. FERREYROLLES, Gérard (éd.) : Bossuet au XX e siècle. Revue Bossuet, Nouvelle série - N o 4 (2013). 106 p. FERREYROLLES, Gérard (éd.) : L’éloquence de la chaire à l’âge classique (II). Textes réunis et présentés par Gérard Ferreyrolles. Revue Bossuet, Supplément au n o 4 (2013). 299 p. GUYOT, Sylvaine, CONLEY, Tom (dir.) : L’œil classique, Littératures classiques, 82 (2013). 308 p. LASSERRE, François (éd.) : Nicolas Gougenot, La Fidèle Tromperie. Tragi-comédie. Édition critique avec introduction, notes et glossaire par François Lasserre. Paris : Champion, 2014 (« Sources classiques, 117 »). 216 p. LECLERC, Jean (éd.) : Antoine Furetière, Le Voyage de Mercure et autres satires. Édité et commenté par Jean Leclerc. Paris : Hermann Éditeurs, 2014 (« Bibliothèque des Littératures Classiques »). 405 p. ROLLIN, Sophie (éd.) : Vincent Voiture, Lettres (1625-1648). Édition critique établie et commentée par Sophie Rollin. Paris : Champion, 2013 (« Bibliothèque des Correspondances - Mémoires et Journaux, 75 »). 728 p. ROUX, Olivier : Charles Sorel. La figure, la ligne et l’invention de l’auteur. Paris : Champion, 2014 (« Lumière classique, 98 »). 504 p. STEDMAN, Allison : Rococo Fiction in France, 1600-1715 : Seditious Frivolity. [Lewisburg, PA : ] Bucknell University Press, 2013. 258 p. PFSCL, XLI, 81 (2014) Adresses des auteurs de ce numéro Francis Assaf The University of Georgia Dept. of Romance Languages Athens, GA 30602 Stephanie Bung Freie Universität Berlin Institut für Romanische Philologie Habelschwerdter Allee 45 D-14195 Berlin Audrey Calefas-Strebelle Mills College Dept. of French and Francophone Studies 5000 MacArthur Blvd. Oakland, CA 94613 Nina Ekstein Trinity University Dept. of Modern Languages and Literatures San Antonio, TX 78212-7200 Julien Gœury Université de Nantes U.F.R. Lettres et Langues Département de Lettres modernes Chemin de la Censive du Tertre F-44312 Nantes Cedex 3 Volker Kapp Christian-Albrechts-Universität Romanisches Seminar Leibnizstr. 10 D-24098 Kiel Theresa Varney Kennedy Baylor University Dept. of Modern Languages and Cultures Waco, TX 76798 Jean Leclerc The University of Western Ontario Dept. of French Studies London, Ontario Canada N6A 3K7 Jennifer R. Perlmutter Portland State University Dept. of World Languages and Literatures Portland, OR 97207 Guillaume Peureux Université Paris Ouest-Nanterre La Défense Département de Lettres Modernes 200, avenue de la République F-92001 Nanterre John Phillips 20 Southfield Road Glen Cove, NY 11542 Charlotte Trinquet du Lys University of Central Florida Dept. of Modern Languages and Literatures Orlando, FL 32816-1348
