Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2019
4690
Papers on French Seventeenth Century Literature Papers on French Seventeenth Century Literature Review founded by Wolfgang Leiner Volume XLVI (2019) Number 90 Editor Rainer Zaiser Editorial Staff Jasmin Garavello, Annika Harmel Béatrice Jakobs, Lydie Karpen, Dirk Pförtner PFSCL / Biblio 17 Gunter Narr Verlag Tübingen Papers on French Seventeenth Century Literature / Biblio 17 Editor: Rainer Zaiser © 2019 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG P.O. Box 2567, D-72015 Tübingen All rights, including the rights of publication, distribution and sales, as well as the right to translation, are reserved. No part of this work covered by the copyrights hereon may be reproduced or copied in any form or by any means - graphic, electronic or mechanical including photocopying, recording, taping, or information and retrieval systems - without written permission of the publisher. Internet: www.narr.de eMail: info@narr.de Printed in Germany ISSN 0343-0758 PFSCL XLVI, 90 (2019) Sommaire F LAVIE K ERAUTRET Le « Pologue de l’impatience » : Quand un prologue métathéâtral devient une archive pour l’histoire du théâtre ........................................................... 7 A RNAUD W YDLER Prêcher contre la « théâtralisation » de la chaire : les enjeux rhétoriques et moraux des Sermons sur la Parole de Dieu de Louis Bourdaloue ............... 25 M IRIAM S PEYER La poule de Sylvie et le pigeon de Sapho : le bestiaire galant des recueils collectifs de la seconde moitié du XVII e siècle ......................... 37 M ICAH T RUE From Manuscript to Jesuit Relation in New France: The Case of the Torture and Death of Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant ............... 53 J OHN P HILLIPS Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI ......................... 67 R ALPH A LBANESE La Dialectique savoir/ ignorance dans Le Bourgeois gentilhomme .................. 93 E RIC T URCAT Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps ...................................... 107 N INA E KSTEIN Populating the Dramatic Universe Through Names................................... 133 R AINER Z AISER Désacraliser la fatalité du mythe antique : Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines........................................................... 165 COMPTES RENDUS Jean-Pierre Cavaillé (ed.) Libertinage, athéisme et incrédulité. 2, Littératures classiques, n o 93 (2017) O REST R ANUM ......................................................................................... 213 Suzanne Duval La Prose poétique du roman baroque (1571-1670) V OLKER K APP ........................................................................................... 218 Jean de Guardia Logique du genre dramatique V OLKER K APP ........................................................................................... 220 Theresa Varney Kennedy Women’s Deliberation. The Heroine in Early Modern French Women’s Theater (1650-1750) N INA E KSTEIN .......................................................................................... 222 Jean Leclerc (ed.) Antoine Furetière, Le Voyage de Mercure et autres satires. F RANCIS A SSAF ......................................................................................... 225 Charles Mazouer (ed.) Molière, Théâtre complet. Tome I J AN C LARKE ............................................................................................. 228 Jennifer Tamas Le Silence trahi. Racine ou la déclaration tragique R OLAND R ACEVSKIS .................................................................................. 231 PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 Le « Prologue de l’impatience » : Quand un prologue métathéâtral devient une archive pour l’histoire du théâtre F LAVIE K ERAUTRET (U NIVERSITÉ P ARIS N ANTERRE ) En 1959 paraît à l’occasion du 29 Gala de l’Union des artistes, un disque vinyle de 33 tours reprenant des extraits de pièces interprétés par des célèbres comédiens français alors disparus 1 . Ce disque, produit pour les archives de la RTF, constitue un acte de célébration symbolique qui accompagne le geste de filmer intégralement le Gala de l’Union des artistes, pour la première fois, en vue d’une projection dans les salles de cinéma. Par ces publications du Gala, il s’agit de mettre en valeur la réunification des deux syndicats des acteurs (le Syndicat National des Acteurs, syndicat historique, et le Comité National des Acteurs, présidé par Gérard Philippe) alors que l’année précédente (1958) avait été un moment de scission matérialisée par la représentation de deux galas au lieu d’un seul 2 . Plus largement, le vinyle répond à une entreprise patrimoniale, à la fois du côté des textes choisis et du côté de leurs interprètes. Dans cette perspective, l’enregistrement sélectionne des dramaturges du répertoire, des auteurs canoniques tels que Molière, Shakespeare ou encore Tchekhov. De manière plus inattendue, on y trouve également le « Prologue de l’impatience 3 » de 1 1 er disque du Gala de l'Union des artistes. Paris, Vega, 1959. Gala annuel de charité organisé au cirque d’hiver par l’Union des artistes au profit de ces derniers. L’Union des artistes deviendra le Syndicat National des Acteurs. Pour une histoire de cette organisation syndicale, voir Marie-Ange Rauch, De la cigale à la fourmi. Histoire du mouvement syndical des artistes interprètes français (1840-1960), Paris, Éditions de l’Amandier, 2006. 2 Marie-Ange Rauch, « Le Gala de l’Union des années 1960 aux années 1980 », dans Le Gala de l’Union des artistes, 1971-1975. Photographies de Daniel Lebé, Paris, Association Paris-Musées, 2006. 3 Jean Gracieux, dit Bruscambille. Œuvres complètes, éd. Hugh Roberts et Annette Tomarken, Paris, H. Champion, 2012, p. 206-208. Toutes les citations de ce Flavie Kerautret PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 8 Bruscambille, un comédien du début du XVII siècle, prononcé par Louis Jouvet 4 . Ce discours décrit le public tumultueux de l’hôtel de Bourgogne, lieu généralement considéré comme la première salle de spectacle spécialisée de la capitale 5 . La lecture de ce discours, qui sert d’ouverture à la face B de ce vinyle et rejoue ainsi sa fonction introductive, semble incongrue dans ce paysage puisque ce farceur des années 1610-1630 est tombé dans l’oubli, ou du moins qu’il est appréhendé comme un auteur « mineur » d’une période ellemême un peu marginalisée dans l’histoire du théâtre, celle-ci la considérant surtout comme un moment d’essor avant son institutionnalisation 6 . Un tel choix interpelle et invite à regarder de plus près ce discours pour comprendre cette intrusion d’une figure oubliée dans un panel de « grands auteurs » à vocation patrimoniale. Ce « Prologue de l’impatience » peignant la foule agitée de l’hôtel de Bourgogne, fait partie des 115 prologues qui paraissent de manière compilée sous le nom de Bruscambille à partir de 1609. Ces recueils de harangues scéniques introductives constituent un véritable phénomène éditorial dans le premier tiers du XVII siècle si l’on tient compte du grand nombre d’éditions qui nous sont parvenues (43 éditions entre 1609 et 1635, plus des discours isolés) et de la dispersion de leur publication sur le territoire français (Paris, Rouen, Lyon, Troyes et même au-delà avec une traduction allemande 7 ). Ces recueils rassemblent de brefs discours en prose farceur proviennent de cette édition qui contient une bibliographie détaillée, des indications biographiques et une liste de travaux concernant cet acteur auxquelles on pourra se référer. Pour y renvoyer, nous indiquerons à présent uniquement la mention OC, suivie du numéro de pages entre parenthèses. 4 Cette lecture du « Prologue de l’impatience » par Louis Jouvet sera reprise dans une compilation réalisée en hommage à ce comédien, intitulée Grands moments de l'Athénée (Paris, Adès, 1976). 5 Sur la place centrale de l’hôtel de Bourgogne dans la vie théâtrale au XVII siècle, voir Pierre Pasquier, « L’Hôtel de Bourgogne et son évolution architecturale : éléments pour une synthèse », dans Les Lieux du spectacle dans l’Europe du XVII siècle. Actes du colloque du Centre de recherches sur le XVII siècle européen, Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 11-13 mars 2004. Charles Mazouer (dir.), Tübingen, G. Narr, p. 47-71. 6 Déborah Blocker, Instituer un « art ». Politiques du théâtre dans la France du premier XVII siècle, Paris, H. Champion, 2009. 7 Grillenvertreiber, das ist, Newe wunderbarliche Historien seltsame abentheurliche Geschichten kauderwelsche Ratschläg und Bedencken : so wol von den Witzenburgischen als auch Calecutischen Commissarien u. Parlaments Herren unterschiedtlich vorgenommen, beschlossen u. ins Werck gesetzt : erstlich in zwey Bücher verfasset [...] durch Conradum Agyrtam, von Bellemont, sampt vorgehendem Formular [...] gegeben Le « Prologue de l’impatience » PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 9 qui prétendent servir d’introductions à des pièces plus longues alors qu’on ne sait pas s’ils ont été dits sur scène et qu’on ne connaît pas grand-chose de ce contexte puisque ces prologues ne présentent pour la plupart ni personnages ni intrigues, préférant développer des anecdotes comiques, des éloges paradoxaux ou des propos apparemment sans queue ni tête 8 . Alors que la plus grande partie des écrits parus sous le nom de Bruscambille sont délaissés par la critique, le « Prologue de l’impatience » occupe une place non négligeable dans les œuvres qui disent faire l’histoire du théâtre et se retrouve même assimilé à des publications patrimoniales comme celle du Gala de l’Union des artistes. La plupart de ces publications lui confèrent une valeur de source historique, ce qui n’est pas sans effet sur l’image du public de Bruscambille et plus généralement du théâtre dans les premières décennies du XVII e siècle. À travers ce prologue, c’est peut-être la fabrique de l’histoire des conditions de représentation que l’on voit à l’œuvre. En effet, ce discours métathéâtral acquiert progressivement la valeur qu’on accorde à une « archive », au sens de document renseignant sur une période donnée et pouvant servir à écrire l’histoire de celle-ci. En adoptant un parcours chronologique, il s’agit de faire l’expérience de pister un énoncé spécifique, en sériant ses différentes apparitions et en les prenant comme des points d’observation pour s’interroger sur les manières de faire l’histoire des conditions de représentation. En bout de course, quelques hypothèses tenteront d’expliquer la réussite de ce prologue spécifique au fil du temps. Des recueils de prologues aux écrits de l’histoire du théâtre : vers un statut d’archive (XVII e siècle - XVIII e siècle) Le « Prologue de l’impatience » se présente comme une harangue d’un comédien, comme une ouverture de théâtre qui remplit sa mission introductive en réalisant une description du public et en énonçant des consignes pour que le spectacle se déroule dans de bonnes conditions. En voici le début : soll benebens Bruscambille Phantaseyen, Franckfurt am Main, 1670. La troisième partie est une traduction des Fantaisies de Bruscambille. 8 Sur la pratique de l’éloge paradoxal par Bruscambille, voir notamment Annette Tomarken, « “Un beau petit encomion” : Bruscambille and the Satirical Eulogy on Stage », Renaissance Reflections : Essays in memory of C. A. Mayer, P. M. Smith et T. Peach (dir.), Paris, H. Champion, 2002, p. 247-67 ; et sur le galimatias, voir les travaux de Hugh Roberts et notamment le blog : « Gossip and Nonsense. Excessive Language in Renaissance France » : http: / / gossipandnonsense.exeter.ac.uk/ . Flavie Kerautret PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 10 Vous sçavez bien, ou le devez scavoir (spectatores impatientissimi) que quand les medecins, parce qu’il y en a d’uns & d’autres, veulent guerir un corps cacochime, ils commencent par la purgation de l’humeur peccante, tout ainsi vostre impatience qui m’indicque une grande alteration de cerveau, & que vous estes travaillez la pluspart d’une colique sainct Mathurin, servira de matiere à ce petit discours pour voir si en attendant le voyage que vous y devez, il y auroit moyen d’user de quelque cure palliative par de belles petites remonstrances au vieil loup. Je vous dy donc que vous avez tort, mais grand tort de venir depuis vos maisons jusques icy pour y monstrer l’impatience accoustumée, c’est-à-dire pour n’estre à-peine entrez, que dès la porte vous ne criez à gorge despaquetée, commencez, commencez. Nous avons bien eu la patience de vous attendre de pied ferme & recevoir vostre argent à la porte, d’aussi bon cœur pour le moins que vous l’avez presenté, de vous preparer un beau Theatre, une belle piece qui sort de la forge, & est encor toute chaude, mais vous plus impatiens que la mesme impatience, ne nous donnerez pas le loisir de commencer. A-t’on commencé c’est pis qu’entan, l’un tousse, l’autre crache, l’autre pette, l’autre rit, l’autre gratte son cul, il n’est pas jusques à messieurs les Pages & Lacquais qui n’y veullent mettre leur nez, tantost faisant intervenir des gourmades reciproquées, maintenant à faire plouvoir des pierres sur ceux qui n’en peuvent mais : Pour eux je les reserve à leurs maistres, qui peuvent au retour avec une fomentation d’estrivieres appliquées sur les parties posterieures esteindre l’ardeur de leurs insolences. (OC, p. 206) Bruscambille fait mine de choisir un sujet à l’impromptu, en l’occurrence l’impatience de l’assemblée présente. Comme dans la grande majorité des harangues de son fait, ce prologue n’introduit pas une pièce particulière et c’est sans doute ce qui favorise sa reprise, des années plus tard, par Louis Jouvet. Du point de vue de la publication, ce prologue ne se distingue pas non plus des autres discours de ce comédien, d’une part parce qu’il ne relève pas de ses premiers prologues imprimés en 1609, sa première parution étant effectuée en 1612 dans Les Fantaisies de Bruscambille 9 et, d’autre part, parce qu’il ne fait pas non plus partie de ses textes les plus réimprimés. En effet, il est présent dans 19 éditions sur les 50 parues au cours du XVII siècle tandis que d’autres prologues non métathéâtraux sont repris de manière beaucoup plus marquée comme, par exemple, le 9 Jean Gracieux, dit Bruscambille. Les Fantaisies de Bruscambille. Contenant plusieurs Discours, Paradoxes, Harangues & Prologues facecieux. Faits par le Sieur des Lauriers, Comedien, Paris, J. Millot, 1612. Le « Prologue de l’impatience » PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 11 « Prologue pedentesque sur un plaidoyer », présent dans au moins 28 éditions depuis sa première version en 1609 10 . La publication imprimée des recueils de Bruscambille diminue fortement après 1634-1635 et la mort supposée du farceur 11 , même si elle réapparaît de manière sporadique et connaît un bref regain dans les années 1660 où ce type de texte plaisant et scabreux redevient à la mode pour complaire à un nouveau public. Le « Prologue de l’impatience » ne figure pas parmi les prologues sélectionnés dans les recueils qui sont encore édités dans la seconde moitié du XVII siècle, sans doute parce qu’il peint l’hôtel de Bourgogne comme un espace d’agitation alors que cette salle est devenue l’un des lieux dramatiques parisiens les plus en vue et qu’il abrite une troupe royale de plus en plus reconnue 12 . À l’exception d’une édition plus tardive en 1647, le « Prologue de l’impatience » est presque exclusivement édité entre 1612 et 1635 ce qui prouve que son extraction n’a pas été immédiate et qu’il n’a acquis sa valeur d’archive que dans le temps. Sa singularisation est bien plutôt le fait de l’histoire littéraire et théâtrale qui isole ce prologue parce qu’il parle du théâtre, et ce surtout à partir du XVIII siècle. C’est au cours de ce siècle, période où l’image du XVII e siècle comme « Grand siècle » ou « siècle de Louis XIV 13 » pour reprendre l’appellation consacrée par Voltaire, commence à se mettre en place, que le « Prologue de l’impatience » reparaît, et qu’il est singularisé en changeant de cadre de publication. En effet, ce prologue ne figure plus au sein de rééditions ou adaptations des recueils de Bruscambille, mais il est cité dans des ouvrages qui affichent leur volonté de proposer une histoire du théâtre. Ce 10 Les chiffres s’appuient sur la bibliographie de Bruscambille réalisée dans ses Œuvres complètes (op. cit.). On peut toutefois noter qu’un bref passage du « Prologue de l’impatience » (celui-cité plus haut concernant les laquais) est utilisé dans l’une des variantes du « Prologue autant serieux que facecieux » (OC, p. 184- 188) dans une édition de 1620. 11 En 1634 paraît un opuscule comique qui le donne comme un résident des Champs Élysées : Les Révélations de l’ombre de Gautier-Garguille, nouvellement apparuë au Gros Guillaume, son bon amy, sur le Theatre de l’Hostel de Bourgogne. Contenant toutes les affaires de l’autre Monde, Paris, s. n., 1634, p. 14. 12 La salle devient le théâtre de la troupe royale à partir des années 1630 et est rénovée en 1647. À propos de l’hôtel de Bourgogne, voir S. Wilma Deierkauf- Holsboer, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. II. Le Théâtre de la troupe royale 1635- 1680, Paris, Nizet, 1968-1970. 13 Voltaire, Le Siècle de Louis XIV publié par M. de Francheville, Berlin, C.-F. Henning, 2 tomes, 1751. On peut aussi penser, plus tôt, à des entreprises comme celle de Charles Perrault avec Le Siècle de Louis le Grand. Poème. Par M. Perrault de l’Académie Françoise, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1687. Flavie Kerautret PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 12 changement de cadre indique que, très tôt, on ne lit plus ces textes de Bruscambille de la même manière que lors de leur parution, qu’ils ne sont pas uniquement parcourus en tant que littérature de divertissement mais que leur contenu et leur forme intéressent le développement de l’art dramatique. Dans cette nouvelle perspective, le « Prologue de l’impatience », discours explicitement métathéâtral, est en quelque sorte mis sous les feux de la rampe. Un bon exemple de ce changement de perception vis-à-vis des prologues de Bruscambille et plus spécifiquement du « Prologue de l’impatience » se trouve dans l’Histoire du théâtre françois de Claude et François Parfaict, chroniqueurs et historiens du théâtre 14 . Cet ouvrage répond à un projet ambitieux et se matérialise sous la forme de 15 volumes in-12° parus entre 1735 et 1749 à Paris et Amsterdam 15 . La présentation adoptée, sélective et chronologique, fonctionne surtout par extraits 16 . En cherchant à cataloguer les pièces parues dans les premières décennies du XVII e siècle, les frères Parfaict évoquent le cas de Phalante, une pièce alors connue uniquement par l’intermédiaire du prologue « Pour la tragédie de Phalante » paru sous le nom de Bruscambille 17 . Cette tragédie leur fournit l’occasion de présenter ce farceur, auquel ils consacrent plusieurs pages sous prétexte que ses 14 On leur doit notamment un Dictionnaire des théâtres de Paris[...] en 7 volumes (Paris, Lambert, 1756), des Mémoires pour servir à l'histoire des spectacles de la foire. Par un forain (Paris, Briansson, 1743 - selon le catalogue de la BnF) ou encore une Histoire de l’ancien théâtre italien jusqu’en 1697 […] (Paris, Lambert, 1753). 15 Claude et François Parfaict, Histoire du théâtre françois, depuis son origine jusqu'à present. Avec la vie des plus célèbres poëtes dramatiques, des extraits exacts & un catalogue raisonné de leurs pieces, accompagnés de notes historiques & critiques, 12 vol., Amsterdam, 1735-1749. 16 A la différence d’autres historiens du théâtre qui publient dans les mêmes années, comme par exemple : Pierre-François Godard de Beauchamps, Recherches sur les théâtres de France. Depuis l'année onze cent soixante-un jusques à présent, Paris, Prault père, 1735. 17 Claude et François Parfaict, Histoire du théâtre françois, depuis son origine jusqu'à present. Avec la vie des plus célèbres Poëtes Dramatiques, un Catalogue exact de leurs Piéces & des notes Historiques & Critiques, Paris, Le Mercier et Saillant, 1745, t. 4, p. 137-138 : « Phalante, Tragédie par un Auteur Anonime. Représentée à l’hôtel de Bourgogne vers 1610. Nous ne connoissons cette Piéce que par un Prologue que Des Lauriers (Bruscambille) prononça le jour de sa première représentation ». Ce discours est vraisemblablement destiné à Phalante, une tragédie de Jean Galaut éditée en 1611 dans le Recueil des divers poemes et chants royaux. La pièce a été rééditée : Jean Galaut, Phalante, éd. Alan Howe, Exeter, Exeter UP, 1995. La Calprenède, écrira plus tard une pièce du même nom : Gautier de Coste La Calprenède, Phalante, tragédie, Paris, A. de Sommaville, 1642. Le « Prologue de l’impatience » PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 13 prologues fournissent des renseignements sur les conditions de représentation de son époque. Autrement dit, ils les donnent à lire comme des archives. Les frères Parfaict choisissent des extraits dans huit prologues différents, en privilégiant des passages qui mettent l’accent soit sur l’annonce de la venue de Jean Farine 18 , un comparse de Bruscambille, soit sur des passages qui miment un dialogue avec le public. En somme, ils sélectionnent des extraits qui valorisent la vocation théâtrale de ces discours plutôt que leurs thématiques, quand bien même on ne sait pas s’ils ont été représentés comme tels sur scène ni dans quel cadre 19 . Le plus long extrait, qui se trouve de plus distingué par sa position finale dans ce florilège, provient du « Prologue de l’impatience ». Ce discours est lui-même cité par morceau, les frères Parfaict opérant une sélection et supprimant, par exemple, les plaisanteries grivoises et provocatrices comme lorsque le farceur s’écrie, de manière paradoxale : « aprenez [la patience] de moy, qui endureroit fort librement un fer chaud en vostre cul sans crier » (OC, p. 207). Épuré de ses plaisanteries triviales, le prologue se trouve doté d’une certaine dignité en paraissant dans une histoire du théâtre. Les prologues sont présentés dans cet ouvrage comme des écrits qui nous informent sur « la vie de cet Auteur, & […] par le même moyen fournissent des anecdotes pour le Théâtre de ce tems 20 ». Ce discours devient ainsi, par la parole des frères Parfaict, une source pour des realia concernant le théâtre, un domaine dont ces auteurs cherchent à se faire des spécialistes et des praticiens 21 . La lecture du « Prologue de l’impatience » est bien guidée par une optique documentaire, ce qui transforme la portée de ce discours 18 Ce comédien, toujours non identifié à ce jour, est mentionné à plusieurs reprises dans les prologues de Bruscambille. À titre d’exemple, on peut consulter la première partie du « Discours de l’Amour & de sa verité divisé en trois parties ou Prologues » (OC, p. 352). 19 On ne dispose pas de témoignages de contemporains qui détailleraient et décriraient la pratique scénique de Bruscambille. Ses prologues se présentent bien comme du théâtre mais il est difficile de dire s’ils ont été prononcés en l’état et il est fort probable que les textes imprimés en recueils soient des versions « aménagées » en vue de l’imprimé. 20 Claude et François Parfaict, Histoire du théâtre françois, depuis son origine jusqu'à present. Avec la vie des plus célèbres Poëtes Dramatiques, un Catalogue exact de leurs Piéces & des notes Historiques & Critiques, Paris, Le Mercier et Saillant, 1745, t. 4, p. 139. 21 A propos des frères Parfaict, voir Robert Clark, « Les Frères Parfaict et François de Beauchamps, historiens du théâtre médiéval au XVIII siècle », Les Pères du théâtre médiéval. Examen critique de la constitution d'un savoir académique, Marie Bouhaïk- Gironès, Véronique Dominguez et Jelle Koopmans (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 23-34. Flavie Kerautret PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 14 plaisant. Alors que ce monologue décrivait le désordre de l’hôtel de Bourgogne pour en rire et s’en défaire, c’est cette image qui est retenue et qui va être accentuée par une historiographie friande d’anecdotes. Intronisation et instrumentalisation du prologue comme archive (XIX e siècle) La mise en valeur de ce prologue en particulier au sein de la production de Bruscambille en raison de sa valeur métathéâtrale et le fait qu’il acquiert un statut de source, s’accentue au XIX siècle, moment clé pour la réception du « Grand Siècle » comme l’a notamment mis en lumière le travail de Stéphane Zékian 22 . Plusieurs facteurs pouvant expliquer la valorisation de ce discours se conjuguent et se croisent : tout d’abord, de manière large, l’essor du romantisme qui participe à la redécouverte des œuvres du « premier XVII siècle » et qui remet à l’honneur des écrits non canoniques ; ensuite, à moindre échelle, le développement des sociétés savantes et bibliophiles qui s’intéressent aux curiosités de cette période et en font parfois des objets de collection 23 ; et enfin, dans le cadre dramatique plus spécifiquement, les entreprises de publication destinées à dresser l’histoire de cet art se poursuivent et l’on retrouve ici encore, de manière isolée, le « Prologue de l’impatience ». Au cours de cette période, les textes de Bruscambille sont exhumés et prennent de plus en plus une valeur de témoignages, en particulier lorsqu’il s’agit de décrire la composition du public. Ainsi, dans les Mélanges de littérature qui paraissent en 1804 sous l’égide d’un membre de l’Académie française et censeur royal, Jean-Baptiste-Antoine Suard, une partie intitulée « Coup-d’œil sur l’histoire de l'ancien théâtre français » revient dans son troisième chapitre sur l’époque allant de « l’établissement d’un théâtre 22 Stéphane Zékian, L’Invention des classiques. Le siècle de Louis XIV existe-t-il ? Paris, CNRS éditions, 2012. 23 Jean-Pierre Chaline note que les communautés érudites du XVII siècle et surtout du XVIII siècle constituent « la base de départ et la constante référence du grand mouvement de création - ou de restauration - des sociétés savantes qui caractérisent le XIX siècle par-delà la cassure révolutionnaire » (Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France XIX -XX siècles, Paris, Éditions du C.T.H.S., 1998, p. 37). Pour une étude approfondie de l’un de ces érudits, voir Christophe Blanquie, Tamizey de Larroque : l'érudit des érudits (1828-1898). Au cœur d’un grand siècle de l’érudition, Saint-Quentin-de-Baron, Éditions de l'Entre-deux-Mers, 2017. Le « Prologue de l’impatience » PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 15 régulier jusqu’à Corneille 24 ». L’auteur affirme que « la bonne compagnie fréquentait peu les théâtres 25 » sous Henri IV et Louis XIII et corrobore cette vision à l’aide de la production du farceur. Il fait un usage historique des prologues de Bruscambille lorsqu’il cherche à décrire le parterre pour confirmer son dire : La composition du parterre pouvait bien éloigner un peu les femmes du spectacle. Il n’était assujetti, comme à présent, à une certaine décence ; il jouissait de la plus entière liberté ; du moins si l’on en doit juger par un de ces prologues ou discours que les acteurs avaient coutume de réciter et ordinairement d’improviser au commencement de chaque représentation, et qu’on a pris soin de nous conserver. Dans celui-ci, Bruscambille, farceur contemporain de Gros-Guillaume et camarade de Jean Farine, se plaint amèrement de l’impatience des spectateurs qui, à peine entrés, crient dès la porte, à gorge dépaquetée : commencez ! commencez ! « Mais, ajoute-t-il, a-ton commencé, c’est pis qu’auparavant ; l’un tousse, l’autre crache, l’autre rit, l’autre…. Il n’est pas jusqu’à messieurs les pages et les laquais qui n’y veulent mettre leur nez […] ». Puis il continue : « Il est question de donner un coup de bec en passant à certains péripatétiques, qui se pourmeinent pendant qu’on représente […] ». D’après ces conseils très-sages, on voit que les représentations de l’hôtel de Bourgogne n’étaient rien moins que tranquilles, et qu’elles devaient ressembler beaucoup à ce qui s’est passé dans nos salles de spectacle, dans ces tems où le malheur et la crainte en avaient écarté tout ce qui conservait quelque sentiment de décence […] 26 . Par le choix d’extraits provenant spécifiquement du prologue métathéâtral sur l’impatience des spectateurs, l’historien transmet une image orientée mais aussi spectaculaire de ce théâtre d’avant Corneille, apparemment peu convenable par le public qu’il charrie. Comme chez les frères Parfaict, une censure de l’inconvenance est opérée puisqu’une ligne de points vient remplacer la mention de la silhouette se grattant le postérieur évoquée par Bruscambille et se présente comme le stigmate d’une suppression. On mesure surtout que l’évocation de ce parterre turbulent d’un autre âge sert un parallèle avec la situation contemporaine du critiquecompilateur et c’est ce qui semble représenter la finalité de ce bref développement. La clôture de cet extrait sur les « tems où le malheur et la crainte […] avaient écarté tout ce qui conservait quelque sentiment de décence [des salles de spectacle] » renvoie de manière allusive aux troubles 24 Mélanges de littérature. Publiés par J.-B.-A. Suard, Secrétaire perpétuelle de la Classe de la Langue et de la Littérature françaises de l’Institut national de France, Membre de la Légion d’honneur, Paris, Dentu, 1804, t. 1, p. 100. 25 Ibid., t. 1, p. 137. 26 Ibid., t. 1, p. 137-139. Flavie Kerautret PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 16 récents qu’a connu la France au cours de la Révolution. En peignant une image désordonnée du « théâtre d’avant Corneille », Jean-Baptiste-Antoine Suard en valorise l’après et, implicitement, la politique royale puissante qui caractérisait cette période. On assiste dans le cas présent à un usage « illustratif du témoignage 27 » où l’histoire littéraire recouvre en l’englobant le discours du farceur. Au-delà de l’archive, le « Prologue de l’impatience » de Bruscambille est repris et instrumentalisé pour accompagner une vision politique. Une perspective documentaire proche semble déterminer la reprise, toujours par extraits, de ce même prologue dans les Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres 28 . Cette publication des années 1810, composée de 9 volumes in-8°, est réalisée par un collectif qui se présente comme « une société de gens de lettres » selon le modèle des sociétés savantes qui se développent à cette époque. L’histoire du théâtre n’est ici pas abordée de manière chronologique mais plutôt analytique, par le système du dictionnaire. Le lecteur trouve ainsi une entrée « Bruscambille » qui est composée, pour plus de la moitié, d’une citation du « Prologue de l’impatience », extrêmement fragmentaire et non commentée. L’opération de sélection réalisée fait apparaître que ce sont presque toujours les mêmes passages de ce texte qui sont sélectionnés, c’est-à-dire ceux qui mettent en avant le tumulte de l’assistance ou ceux qui se présentent comme un simulacre de dialogue avec le public. Ce choix véhicule de nouveau une image chaotique de la pratique dramatique dans ces premières années du XVII siècle, ou de ce « tems où la scène française était encore dans l’enfance 29 » selon la formule qui introduit ce texte dans le Dictionnaire général des théâtres. Une telle image constitue un topos historiographique comparant cette période à des balbutiements. En effet, la critique a tendance à reprendre cette comparaison entre l’évolution du théâtre et le développement d’un être humain puisqu’à l’inverse, le théâtre d’après Corneille peut être considéré comme un « âge adulte ». Chez Jean Rousset par exemple, ce motif sert la périodisation de ce qu’il définit comme un « âge baroque » lorsqu’il évoque l’accroissement de la réflexivité au théâtre : « Il s’agit d’une prise de conscience ; le théâtre après 1630 atteint une sorte d’âge adulte ; il est naturel qu’il se regarde, se discute, se disculpe, se demande ce qu’il est ; c’est pourquoi le sujet de la comédie, c’est la comédie 27 Christian Jouhaud, Dinah Ribard et Nicolas Schapira, Histoire, littérature, témoignage. Écrire les malheurs du temps, Paris, Gallimard, 2009, p. 14. 28 [Babault, A.-P.-F. Ménégault et alii]. Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres […] par une société de gens de lettres, Paris, Babault, 1808-1812. 29 Ibid., p. 130. Le « Prologue de l’impatience » PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 17 même 30 ». Dans les Annales dramatiques, le nom de Bruscambille sert par ailleurs d’entrée pour un propos général porté sur l’usage du prologue à cette époque, propos plutôt approximatif puisqu’il semble considérer tous les farceurs comme prologueurs et distinguer un Gautier et un Garguille quand ces deux noms renvoient au comédien Hugues Quéru (ou Guéru) 31 . A l’inverse de ce principe de généralisation, on trouve à la même période des ouvrages où le « Prologue de l’impatience » est mobilisé lorsqu’il s’agit de faire une histoire circonstancielle, à partir de petits faits vrais. Il est ainsi cité dans un ouvrage paru au début du XIX siècle sous le titre Choix d’anecdotes, anciennes et modernes, ou recueil choisi de traits d'histoires 32 . Le cadre de représentation de Bruscambille et de son « Prologue de l’impatience » est posé par cette proposition : « Au temps où la scène française étoit encore dans la barbarie […] 33 », ce qui illustre clairement la valeur marginale, presque folklorique, accordée à ce type d’écrit. De nouveau, c’est le début du prologue, celui qui se focalise sur le parterre en le peignant comme un public de laquais ne parvenant pas à se tenir 34 , qui est cité parce qu’il correspond à la vision d’un théâtre « encore dans la barbarie ». Cette vision d’un théâtre encore malformé et à l’aube de son essor, accentue une dichotomie entre ce qui relèverait d’une période « classique » et le reste d’une période « pré-classique » au détriment de cette 30 Jean Rousset, La Littérature à l’âge baroque. Circé et le Paon, Paris, Corti, 1995, p. 70. À propos du développement de ce théâtre réflexif, voir Jeanne-Marie Hostiou, Les Miroirs de Thalie. Le Théâtre sur le théâtre et la Comédie-Française (1680-1762), Paris, Classiques Garnier, 2019. 31 Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres, op. cit., t. 2, p. 130-131 : « Au temps où la scène française était encore dans l’enfance, le prologue des moralités, des sottises, des farces était, à la manière des Anciens, l’exposé du sujet ou une harangue pour captiver la bienveillance des spectateurs ; le plus souvent une facétie où l’on s’efforçait de les faire rire. Il y avait dans la troupe un acteur chargé de cet emploi ; c’était Gros-Guillaume, Gautier, Garguille, Turlupin, Guillot Gorju, Bruscambille. Les prologues de celui-ci sont d’un ton de plaisanterie qui dut plaire dans son tems. Dans l’un de ces prologues, Bruscambille se plaint de l’impatience des spectateurs ». 32 Antoine Denis Bailly et Jean-Charles Poncelin de la Roche-Tilhac, Choix d’anecdotes anciennes et modernes, ou Recueil choisi de traits d’histoires, et particulièrement de tout ce qui est relatif à la mort de Louis XVI et de sa famille, Paris, Poncelin, 1803- 1804. 33 Ibid., t. 3, p. 213. 34 Est exclu au contraire, le passage faisant référence au fait que le public puisse se tenir « assis ou debout » (OC, p. 20) pour entendre et voir le spectacle à l’hôtel de Bourgogne, alors qu’il peut renvoyer au public des loges ou à celui de l’amphithéâtre. Flavie Kerautret PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 18 dernière. On mesure, à partir de cet exemple d’une histoire par l’anecdote, comment un discours plaisant tel que le « Prologue de l’impatience », peut être manipulé pour servir une vision téléologique de l’histoire de la pratique théâtrale dirigée vers ce qui est considéré comme son avènement dans la seconde moitié du XVII siècle. On retrouve ainsi en action un schéma décrit par l’historienne Marie Bouhaïk-Gironès à propos de l’acteur lorsqu’elle déplore la construction d’un mythe évolutionniste qui irait du Moyen-Âge au XVII siècle, de l’acteur amateur au professionnel dans le sens d’un prétendu progrès 35 . Ces différents cas montrent les effets de distorsion que peut créer l’historiographie ainsi que la place centrale que peut acquérir un auteur pourtant généralement considéré comme « mineur » dans la construction de l’histoire des représentations. Ces exemples d’essais critiques historiques qui singularisent le « prologue de l’impatience » pour sa valeur d’archive pourraient être complétés jusqu’à aujourd’hui de façon à illustrer la prégnance et la valeur ajoutée accordée à ce type de discours métathéâtral 36 . La vision tumultueuse, centrée sur le parterre, des conditions du spectacle décrites par le farceur a largement été retravaillée et nuancée par des études plus récentes, qui insistent notamment sur la mixité sociale et genrée de ce public 37 . Toutefois, une telle image reste vivace alors même qu’il est peu probable qu’un discours comme celui de l’impatience ait été prononcé comme tel devant les spectateurs de l’hôtel de Bourgogne et que 35 Marie Bouhaïk-Gironès, « Comment faire l’histoire de l’acteur au Moyen Âge ? », Médiévales, n°59 (2010), p. 107-125. 36 On le trouve par exemple adapté dans l’ouvrage d’Émile Magne sur Gaultier- Garguille, camarade de Bruscambille à l’hôtel de Bourgogne, où la peinture du parterre de cette salle parisienne est clairement inspirée de ce prologue : « un ramassis grouillant », « ivres de bières et de pétun, ces mistoudins, ces écornifleurs d’honneur, ces magasins de sottise brament et braillent, rotent, pètent, toussent, crachent, reniflent, rient, s’injurient, se battent, ou bien, avec des gestes simiesques » (Emile Magne, Gaultier-Garguille, comédien de l’Hôtel de Bourgogne, notice d’après des documents inédits […], Paris, Société des Éditions Louis-Michaud, 1911, p. 25). Plus récemment, on retrouve ce texte dans Charles Mazouer, Le Théâtre français de l'âge classique. I. Le premier XVII siècle, Paris, H. Champion, 2006, p. 146-148. 37 Alan Howe, Le Théâtre professionnel à Paris 1600-1649, Paris, Centre historique des archives nationales, 2000 ; ou, par exemple, à propos des prologues de Bruscambille : Hugh Roberts et Anne Tomarken, « Bruscambille, auteur dramatique et défenseur du théâtre », Le Dramaturge sur un plateau. Quand l’auteur devient un personnage, Clotilde Thouret (dir.), Paris, Garnier, 2018, p. 295-296. Le « Prologue de l’impatience » PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 19 ces discours, qui allient plaisanteries grivoises et parodies de références savantes, ne se destinent qu’aux pages et aux laquais 38 . Devenir archive : quelques critères de sélection Comment expliquer le succès de ce « Prologue de l’impatience » en particulier et, plus largement, quels peuvent être les critères de sélection pour qu’un écrit acquiert le statut d’archive ? Au-delà de l’explication, un peu réductrice, qui consisterait à considérer que les ouvrages à vocation historique mentionnés peuvent se copier entre eux, trois pistes principales peuvent être envisagées pour tenter de répondre à cette question. La première hypothèse serait liée à un effet légitimant contenu dans le texte qui favoriserait son « devenir archive ». En l’occurrence, le « Prologue de l’impatience » est le seul prologue attribué à Bruscambille, avec la « Première Harangue de Midas » (OC, p. 148), à nommer l’hôtel de Bourgogne et à poser explicitement cette salle emblématique comme le cadre d’une représentation potentielle pour ces discours. Cette spécificité facilite une déformation de l’histoire qui fait de Bruscambille avant tout un acteur de cette salle parisienne alors que les baux pour la location de ce lieu n’en font aucunement un résident permanent 39 . La mention de cette salle, mythique pour les débuts de la scène parisienne, a peut-être servi d’accroche et peut expliquer en partie le traitement particulier réservé à ce prologue dans les histoires du théâtre. En effet, il s’agit là d’un récit qui 38 À propos de l’usage des références savantes chez ce farceur, je me permets de renvoyer à l’un de mes articles : Flavie Kerautret, « “Regardez-y bien vous l’y trouverrez” : pédantisme et usage de références livresques fantaisistes dans les prologues de Bruscambille », dans Reconnaître l’érudition. Actes de la journée d’études des doctorants du CSLF. Paris Nanterre, 6 juin 2018, Paris, La Taupe médite, 2019, p. 133-156. 39 On ne connaît pas avec exactitude les dates où il a officié dans cette salle mais, à partir des minutes notariales retranscrites par Alan Howe (Le Théâtre professionnel à Paris, op. cit.) concernant ce farceur, on peut cumuler tout au plus dix mois et demi d’activité où l’on sait que Bruscambille a travaillé pour une troupe exerçant à l’hôtel de Bourgogne, et cela pour la vaste période s’étendant d’août 1611 à décembre 1623. Même si l’on tient compte des périodes de relâche observées par les troupes, ces archives qui concernent avant tout la salle parisienne opèrent peut-être une sorte de distorsion quant à l’activité du farceur, celui-ci ayant certainement exercé en dehors de cet espace parisien. Certains prologues, qui ne semblent pas destinés à ce cadre de représentation parisien, vont dans ce sens comme, par exemple, le prologue « En faveur des Escoliers de Thoulouze » (OC, p. 284-288) ou d’autres qui évoquent davantage le cadre de la ville de Rouen comme « En faveur de la scène » (OC, p. 526-529). Flavie Kerautret PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 20 vient croiser, et parfois confirmer, d’autres sources concernant les conditions de représentation à cet endroit, comme par exemple les troubles évoqués dans ou aux abords de cette salle par l’abbé d’Aubignac dans son « Projet pour le rétablissement du Théâtre Français 40 » ou dans le Traité de la police de Nicolas de La Mare 41 . On trouverait ainsi dans ce prologue des informations supplémentaires sur l’un des lieux les mieux documentés et les plus emblématiques pour la pratique dramatique du début du XVII siècle, ce qui justifierait sa mobilisation dans les ouvrages ayant une ambition d’histoire littéraire. D’autre part, et ce serait la seconde hypothèse, le succès de ce « Prologue de l’impatience » s’expliquerait aussi du fait qu’il entremêle discours sur le théâtre et spectaculaire : le prologue n’est pas chargé d’introduire une pièce plus longue, mais il fait de la salle et de ses occupants les protagonistes de la séance. L’assemblée de l’hôtel de Bourgogne est décrite de manière minutieuse et vivante : le discours isole les comportements de certains individus, fait appel à tous les sens olfactifs, s’arrête sur des détails ou propose de larges tableaux animés. Surtout, le prologue se donne à lire comme de la parole, celle de Bruscambille mais aussi celle de la salle, que le prologueur répercuterait. Ce qui est en jeu, c’est alors de représenter et de rendre vivante la réception du spectacle et, dans le cas présent, de figurer des spectateurs difficiles à contenter : […] si l’on vous donne quelque excellente pastoralle, où Mome ne trouveroit que redire, cestuy-cy la trouve trop longue, son voisin trop courte, & quoy se dit un autre, allongeant le col comme une gruë d’antiquité, n’y devroient-ils pas mesler une intermede & des feintes ? (OC, p. 207) La retranscription du prologueur fait entendre la voix prétendue des spectateurs. L’oralité apparente de ce monologue, qui constitue paradoxalement d’abord un écrit au sein d’un recueil imprimé, sert alors de gage d’authenticité pour la description proposée. Le « Prologue de l’impatience » réussirait à la fois grâce à son caractère spectaculaire et parce qu’il se présente comme une thématisation de l’idée que le spectacle est autant, si ce 40 François Hédelin, abbé d’Aubignac, « Projet pour le rétablissement du Théâtre Français », La Pratique du théâtre, éd. Hélène Baby, Paris, H. Champion, p. 703. Cité par Pierre Pasquier et Anne Surgers, « La Situation du spectateur dans la salle française aux XVII et XVIII siècles », Le Spectateur de théâtre à l’âge classique (XVII -XVIII siècles), Bénédicte Louvat-Molozay et Frank Salaün (dir.), Montpellier, L’Entretemps, 2008, p. 36. 41 Nicolas de La Mare, Traité de la police, où l’on trouvera l’histoire de son etablissement, les fonctions et les prerogatives de ses magistrats ; toutes les loix et tous les reglemens qui la concernent […]. Paris, J. et P. Cot, 1705, t. 1, p. 440. Le « Prologue de l’impatience » PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 21 n’est d’abord, dans la salle plutôt que sur la scène. Ce monologue de Bruscambille, farci de discours rapporté retranscrivant les préoccupations du public, rend compte de la composition d’un espace qui organise des jeux de regards et d’une réception « diffractée 42 » pour reprendre une expression de Christian Biet. Enfin, par son caractère spectaculaire et pittoresque, le « Prologue de l’impatience » se prête volontiers à des reprises qui sont plus de l’ordre de la réécriture que de la citation, ce qui favorise encore sa diffusion, y compris en dehors du cadre des travaux universitaires et historiques. La singularisation de ce prologue et le fait qu’il serve une vision truculente du théâtre au début du XVII e siècle apparaît, par exemple, de manière flagrante à travers sa reprise dans un article du Journal de Toulouse du 6 mars 1859 43 . Le lecteur découvre une mise en scène fantasmée de Bruscambille, écrite par un certain Jules C. du Verger, dans la rubrique « Variétés » qui est alors sous-titrée « Théâtre de nos jours, théâtre d’autrefois 44 ». Son évocation succède à celles d’autres figures ayant marqué la scène comique de cette époque, à savoir Tabarin et Mondor, le marionnettiste Brioché, et une série d’illustres farceurs : Gros Guillaume, Turlupin, Gaultier-Garguille et Guillot Gorju. Puis sont évoqués Jean Farine et Bruscambille, mais seul le second fait l’objet d’un récit expansif, et pour cause, on ne sait presque rien de cet acteur enfariné nommé à plusieurs reprises dans les prologues de son comparse. Une narration, qui imagine Bruscambille en pleine activité, sert de clôture à cet article et fait dériver l’histoire littéraire vers la fiction : Un jour de Pentecôte, et de foire aux jambons - les spectateurs se montraient peu disposés à pénétrer dans sa baraque. S’inspirant de la situation, Bruscambille les régala de l’improvisation suivante, que les chroniqueurs de l’époque ont conservée, et qui se trouve tout au long, dans les colonnes d’une gazette littéraire du XVIII siècle. Bruscambille s’avance sur le devant de l’estrade et fait à la foule trois saluts cérémonieux. Il place négligemment la main sur la hanche, avance 42 Christian Biet, « Séance, performance, assemblée, représentation : les jeux de regards au théâtre (XVII -XXI siècle) », Littératures classiques, Paris, Armand Colin, n°82 « L’œil classique », Sylvaine Guyot et Tom Conley (dir.) (2013), p. 79-97. Voir aussi Pierre Pasquier et Anne Surgers, « La Situation du spectateur dans la salle française aux XVII et XVIII siècles », Le Spectateur de théâtre à l’âge classique (XVII -XVIII siècles), op. cit., p. 36-65. 43 Journal de Toulouse politique et littéraire, Toulouse, n°65 (dimanche 6 mars 1859), 1859. 44 Ibid., p. 3. Cet article est le second volet sur ce sujet comme l’indique la mention : « Voir le numéro du 27 février ». Flavie Kerautret PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 22 gracieusement la jambe droite, et la bouche entr’ouverte par un séduisant sourire, commence ainsi son discours : Je vous le répète impatientissimi spectatores Ici rumeurs dans les rangs Peu comprennent le latin. Vous avez tort, bien tort, fort tort, très tort…. De quitter vos maisons, vos mères, vos pères, vos filles, vos sœurs, vos femmes, vos maris, vos enfants, vos oncles, vos cousins, vos nièces, vos neveux, vos chiens, vos chats, vos perroquets… Applaudissements prolongés. Pour venir ici, donner une preuve éclatante que dis-je étincelante comme un rayon de soleil d’une impatience tout à fait hors de saison , quoique nous soyons en plein juillet. Salve de bravos […] Nous avons bien eu la patience de vous attendre de pied ferme. Bruscambille prend la pose d’un athlète. Pour recevoir votre argent à la porte, d’aussi bon cœur, je suis sûr, que vous-même nous l’avez offert. Rires, marques d’approbation. […] 45 . Ce récit montre que Bruscambille devient véritablement un personnage, une matière à fable même si l’auteur de ces colonnes insiste sur un emboîtement de sources pour donner à son propos une impression d’authenticité (il se place à la suite des « chroniqueurs de l’époque » et dans la continuité d’une « gazette du XVIII siècle »). En effet, la représentation est transposée arbitrairement de l’hôtel de Bourgogne aux tréteaux éphémères d’une scène montée à l’occasion d’une foire. Bruscambille n’est plus seulement farceur et prologueur, il est lié à une autre image traditionnelle, celle du charlatan dont l’art oratoire doit permettre d’attirer les badauds sous son chapiteau (il est d’ailleurs présenté plus haut comme un « chirurgien 46 » et un arracheur de dents). Le comédien est ainsi inscrit dans l’imaginaire traditionnel du bonimenteur dont le discours et les postures visent à séduire une foule (son assentiment allant ici crescendo) 47 . Cet exemple, atypique parce qu’il concerne un milieu régional et journalistique, montre que ce qui intéresse dans ce prologue, ce que l’on retient en premier lieu, c’est la dimension à la fois pittoresque et spectaculaire de ce discours qui est ici mis en scène de manière narrativisée, l’intérêt se déplaçant de la composition du public, qui n’est que réactions, à la figure charismatique du farceur. Le « Prologue de l’impatience » semble dans le cas présent sélectionné à la fois parce qu’il sert une vision documentée sur des pratiques dramatiques d’un autre temps et parce qu’il permet de peindre ce milieu de manière vive et plaisante. Il illustre par ailleurs que le « Prologue de 45 Ibid., p. 4. 46 Ibid., p. 3. 47 Ariane Bayle, Romans à l’encan. De l’art du boniment dans la littérature au XVI siècle, Genève, Droz, 2009. Le « Prologue de l’impatience » PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0001 23 l’impatience » se diffuse et sert d’archive pour l’histoire du théâtre, au-delà d’une littérature spécialisée, mais que sa nature reste hybride puisqu’il devient facilement une source d’inspiration pour des réécritures fictionnelles. Ce parcours chronologique parmi quelques usages historiques du « Prologue de l’impatience » de Bruscambille rend visibles les mécanismes de la démarche historiographique : Bruscambille reste, encore aujourd’hui, mal connu, considéré comme un auteur mineur du « petit XVII e siècle », et pourtant, on exhume ses écrits pour y chercher un discours sur le théâtre au détriment d’autres discours sur l’auteur et son œuvre. C’est peut-être néanmoins cette double approche qui conduit Louis Jouvet à dire ce prologue pour le disque accompagnant le Gala de l’Union des artistes. En effet, le catalogue de la vente aux enchères de sa bibliothèque témoigne de son intérêt profond pour l’histoire du théâtre 48 et d’un attachement particulier pour la comédie du XVII e siècle et pas seulement pour Molière, qu’il a interprété et mis en scène, mais aussi pour des noms moins illustres. Ce catalogue indique la source probable de sa lecture du « Prologue de l’impatience » puisque ce discours est présent dans une édition des Œuvres de Bruscambille, parue à Rouen en 1635, qui lui a appartenue 49 . Cette étude sur le « Prologue de l’impatience » montre que, lorsque le théâtre parle du théâtre, on le prend souvent d’abord comme une archive, comme un document, plutôt que comme une représentation et il suffit de penser à des pièces comme La Critique de l’École des femmes ou l’Impromptu de Versailles de Molière pour le confirmer. A plus large échelle, ce cas historiographique fait ainsi apparaître les dynamiques de sélection et d’infléchissement qui sont à l’œuvre dès qu’il est question de « méta » et met en lumière les contingences et les aléas des histoires littéraires. 48 Bibliothèque Louis Jouvet. Souvenirs et objets personnels, succession Lisa Jouvet : vente, Paris, Richelieu-Drouot, salle 2, 1 er avril 2005, Paris, D. Courvoisier PIASA, 2005. On note qu’il possédait notamment un exemplaire de l’Histoire du théâtre françois des frères Parfaict (Bibliothèque Louis Jouvet, op. cit., p. 82). 49 Ibid., p. 63. L’ouvrage en question est Les Œuvres de Bruscambille. Contenans ses fantaisies, imaginations & paradoxes, & autres discours comique (Rouen, M. de la Motte), 1635. Mis en vente à 500 euros. PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 Prêcher contre la « théâtralisation » de la chaire : les enjeux rhétoriques et moraux des Sermons sur la Parole de Dieu de Louis Bourdaloue A RNAUD W YDLER (U NIVERSITÉ DE F RIBOURG ) Le discours chrétien est devenu un spectacle. Cette tristesse évangélique qui en est l’âme ne s’y remarque plus : elle est suppléée par les avantages de la mine, par les inflexions de la voix, par la régularité du geste, par le choix des mots, et par les longues énumérations. On n’écoute plus sérieusement la parole sainte : c’est une sorte d’amusement entre mille autres ; c’est un jeu où il y a de l’émulation et des parieurs. 1 Déplorant l’altération du « discours chrétien » dans les églises parisiennes et les chapelles de la cour , ces premières lignes du chapitre « De la chaire » illustrent clairement la confusion opérée par les prédicateurs et les auditeurs entre la parole de Dieu et ces « spectacles » profanes, en tête desquels on serait tenté de reconnaître le théâtre. Si la critique, déjà présente dans les textes des Pères de l’Église, relève du lieu commun, elle trouve néanmoins une résonance particulière au XVII e siècle où l’éloquence sacrée et le genre dramatique constituent des pratiques oratoires voisines, alliant maîtrise du texte et actio spectaculaire. Or, ce rapprochement formel entre l’éloquence profane et l’éloquence sacrée ne va pas sans entraîner un certain nombre de problèmes rhétoriques, moraux et religieux évidents. Le sermon, dont les seules finalités sont la transmission du Verbe sacré et l’édification des fidèles, interdit en effet toute confusion avec un discours profane, dont l’intention première serait de divertir un auditoire. Exigeant une déclamation et 1 La Bruyère, « De la Chaire », Les Caractères, Robert Garapon éd., Paris, Garnier, 1962, p. 445. Arnaud Wydler PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 26 une écoute particulièrement respectueuses, le discours chrétien ne devrait donc pas être assimilé à ces sortes d’amusements « entre mille autres » dont parle l’auteur des Caractères. Ces invectives dirigées contre la « théâtralisation » de la prédication, qui traduisent non sans quelque intérêt les conflits et rivalités qui ont pu s’interposer entre la scène et la chaire, n’ont cependant suscité qu’un nombre d’études restreint dans le champ de la rhétorique, laissant certaines questions fondamentales en suspens : comment l’opposition entre théâtre et prédication s’articule-t-elle dans les discours théoriques, en particulier dans les traités consacrés à l’éloquence sacrée ou dans les sermons méta, sur la prédication ? quels effets la critique du théâtre, inscrite dans les discours religieux, cherche-t-elle à produire sur les lecteurs et auditeurs mondains ? que nous dit cette critique sur la possible concurrence entre acteurs et prédicateurs, dont les gestes oratoires, en dépit de leurs intentions très différentes, obéissent à des logiques de persuasion identiques ? Pour aborder ces questions le plus efficacement possible, cet article se concentrera sur deux Sermons sur la Parole de Dieu de Louis Bourdaloue, qui recourent largement aux paradigmes du spectacle et du théâtre pour définir, en opposition, les modalités d’une prédication vertueuse et d’une écoute profitable à l’auditeur chrétien. Le théâtre et la chaire : ressemblances, dissemblances, oppositions Les Sermons sur la Parole de Dieu acquièrent une place importante dans l’économie des œuvres oratoires au XVII e siècle. Tous les grands prédicateurs de la période - Fléchier, Bossuet, Mascaron, Bourdaloue, etc. - ont en effet prononcé au moins un discours sur la prédication, dans le but de corriger la désinvolture des auditoires mondains et de favoriser une écoute respectueuse de la parole de Dieu. Sermons topiques, inculquant des comportements nouveaux, ces discours ont en commun d’invoquer le théâtre ou le « spectaculaire » pour appuyer leur critique de l’écoute mondaine telle que la pratiquent les auditeurs à la cour. Chez Bourdaloue, le rapprochement apparaît clairement : Malgré la droiture de ses intentions, dont Dieu est témoin, il [ le prédicateur ] sert de spectacle à toute une multitude [ … ] . Que pour quelques âmes pieuses qui cherchent à s’instruire dans une prédication, cent autres s’y trouvent parce qu’ils y doivent rencontrer tels ou telles, [ … ] parce qu’ils peuvent y paraître et y briller, y voir et s’y faire voir, comme si c’était une de ces assemblées où la vanité du monde étale avec plus d’éclat et avec plus Les Sermons sur la Parole de Dieu de Louis Bourdaloue PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 27 d’art toutes ses pompes et tout son luxe ; parce qu’ils s’y trouvent comme à une action de théâtre [ … ] . 2 Que fera le prédicateur le plus zélé ? Leur [ les auditeurs ] représentera-t-il l’horreur du péché, la sévérité des jugements de Dieu, les conséquences de la mort ? Ils s’arrêteront à la justesse de son dessein, à la force de son expression, à l’arrangement de ses preuves, à la beauté de ses remarques. Leur mettra-t-il devant les yeux l’importance du salut éternel et la vanité des biens de la vie ? Ils conviendront qu’on ne peut rien dire de plus grand, que tout y est noble, sensé, suivi ; mais dans la pratique nulle conclusion. Ils admireront, mais ils ne se convertiront pas [ … ] . 3 Allant au sermon comme à une « action de théâtre », les auditeurs se rendent d’abord attentifs aux agréments du discours, tels que « l’arrangement » ou « la force de l’expression » : ils « conviendront » et « admireront », déplore Bourdaloue, mais « ils ne se convertiront pas ». Le public ne voue à la parole de Dieu qu’une écoute distraite et superficielle ; il goûte au message éloquent du prédicateur mais ne s’en instruit pas. Cette invective, telle qu’elle est développée dans ce passage, acquière une résonance particulièrement forte dans un contexte culturel et politique - la cour de Louis XIV - où, on l’a dit, le sermon prend les formes d’une véritable cérémonie d’apparat. « Médiatisé » par les réseaux de correspondances, les gazettes ou encore par la fameuse Liste des prédicateurs 4 , le sermon-discours est aussi, et surtout, un sermon-événement, organisé dans les somptueuses chapelles parisiennes, où défilent les individus les plus en vue dans le monde. Dans ce cadre, de nombreux prédicateurs, en dépit de l’austérité à laquelle les astreint leur mission 5 , cherchent autant 2 Bourdaloue, Sermon pour le dimanche de la Sexagésime. Sur la Parole de Dieu, Tours, Cartier Libraire-éditeur, vol. II, p. 96-97. Édition numérisée et mise en ligne par l’Abbaye Saint Benoît de Port-Valais, Le Bouveret, Suisse. 3 Bourdaloue, Sermon pour le dimanche de la Cinquième semaine. Sur la Parole de Dieu, Tours, Cartier Libraire-éditeur, vol. I, p. 487. 4 Ce document annonçait à l’avance les noms des prédicateurs engagés par les paroisses parisiennes pour prêcher les grandes stations du Carême et de l’Avent. Il paraît régulièrement entre 1646 et 1789. Sur ce point, on consultera avec intérêt l’ouvrage d’Isabelle Brian, Prêcher à Paris sous l’Ancien Régime. XVII e -XVIII e siècles, Paris, Classiques Garnier, 2014, et en particulier le chapitre « Publicités et annonces », p. 133-175. 5 Pour mettre fin aux abus de la prédication, le Concile de Trente imposait aux prédicateurs une attitude désintéressée et soucieuse uniquement de l’édification des fidèles. À cet égard, on peut lire, dans le décret du 13 avril 1546, les recommandations suivantes : « Qu’ils [ les prédicateurs ] s’efforcent non tant d’enseigner, charmer et fléchir avec les tours persuasifs de la sagesse et de l’éloquence humaines que de se faire écouter volontiers, avec intérêt Arnaud Wydler PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 28 à séduire leurs auditoires qu’à les convertir. Les lettres de la grande admiratrice de Bourdaloue, Mme de Sévigné, rendent bien compte de ce que le public pouvait attendre d’un sermon-spectacle : C’est par ces sortes d’endroits tout pleins de zèle et d’éloquence qu’il [ Bourdaloue ] enlève et qu’il transporte. Il m’a souvent ôté la respiration par l’extrême attention avec laquelle on est pendu à la force et à la justesse de ses discours, et je ne respirais que quand il lui plaisait de les finir, pour en recommencer un autre de la même beauté. Enfin, Monsieur, je suis assurée que vous savez ce que je veux dire, et que vous êtes aussi charmé de l’esprit, de la bonté, de l’agrément et de la facilité du P. Bourdaloue dans la vie civile et commune que charmé et enchanté de ses sermons. 6 La Marquise, on le voit, suspend son jugement aux agréments du sermon et à la compagnie agréable de Bourdaloue qu’elle a peut-être rencontré à l’issue du prêche. Ce sont en effet l’émotion et la sociabilité de l’événement que l’épistolière « enregistre » dans son témoignage, alors qu’elle passe sous silence tout ce qui relève de la morale et du message chrétien. À la rigueur, les effets sublimes du sermon - l’« enlèvement » et le « transport » - qu’elle semble pleinement éprouver, pourraient constituer les premiers signes d’une adhésion sincère et profonde au message chrétien développé en chaire . Mais si le cœur de l’épistolière est touché, son esprit ne l’est pas. Pour la Marquise, il s’agit d’abord et avant tout de revivre, par l’intermédiaire de la lettre, une émotion forte, évanescente et circonscrite au moment du prêche. Or, du point de vue de l’Église, cette réception mondaine du sermon est condamnable puisqu’elle altère le sens et les effets du discours, mettant la priorité sur le plaisir de l’écoute, au détriment de l’instruction morale. Bourdaloue, dans son Sermon sur la Parole de Dieu, doit ainsi rappeler à ses auditeurs que la réussite d’un prêche ne dépend ni de la performance de l’orateur, ni de la beauté du discours, mais bien de sa capacité à montrer et susciter des comportements exemplaires : et soumission, dans une manifestation d’inspiration et de vertu [ … ] . Que leurs mots soient, comme les paroles de Dieu, chastes, purs, éprouvés, étrangers à l’erreur, la corruption, la ruse, l’adulation, la cupidité, le désir de vaine gloire et d’ostentation. » Cité par Christian Mouchel, « Les rhétoriques post-tridentines (1570-1600) : la fabrique d’une société chrétienne », Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne, 1450-1950, Marc Fumaroli dir., Paris, PUF, 1999, p. 432. 6 Sévigné, « Lettre à Moulceau », 3 avril 1686, Correspondance, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Roger Duchêne éd., vol. III, p. 247-248. Les Sermons sur la Parole de Dieu de Louis Bourdaloue PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 29 L’unique fin [ du sermon ] que vous devez avoir en vue [ … ] est votre conversion et votre sanctification. Mais quand ce mieux consistera à vous convaincre solidement des vérités éternelles et à vous les présenter dans toute leur force, à vous faire connaître vos devoirs et à vous y affectionner, à vous faire sentir l’importance, la nécessité du salut, et à vous mettre dans une disposition efficace et prochaine d’y travailler [ … ] quand ce mieux consistera à vous retirer de vos désordres, et à vous détacher du monde et de vos habitudes vicieuses, à vous exciter aux larmes et à la pénitence : de sorte que ce soient, selon le beau mot de saint Jérôme, vos gémissements et non vos applaudissements qui fassent l’éloge du prédicateur ; et que vous vous en retourniez en vous frappant la poitrine, et en formant de saintes résolutions pour l’avenir [ … ] . 7 Par rapport au discours profane, le sermon ne se réalise pleinement que s’il agit sur l’auditeur en lui inculquant un désir de pénitence ou de détachement : sa fonction, en d’autres termes, est de révéler à l’auditeur les exigences divines et les voies du salut. Bourdaloue assigne d’ailleurs à ses prêches une valeur quasi sacramentelle, en les comparant à l’eucharistie : Tremblez, vous dirais-je, quand vous mangez le pain des anges avec aussi peu de foi que vous mangeriez un pain terrestre et matériel : en user ainsi, c’est un crime que vous ne détesterez jamais assez. Mais tremblez encore, ajouterais-je, quand vous entendez la parole que l’on vous prêche, avec aussi peu de religion que si c’était un discours académique ; quand, dis-je, vous l’entendez sans mettre entre elle et celle des hommes la différence que Dieu y met et qu’il veut que vous y mettiez ; et comprenez bien qu’il y a dans l’abus de la prédication une espèce de sacrilège que nous pouvons comparer à l’abus de la communion. 8 Comme la communion, le sermon exige une réception respectueuse et fervente. Il implique un effort de compréhension et d’assimilation de la morale qui implique de dépasser l’appréciation purement esthétique et sensible de la performance oratoire . Au contact de la parole de Dieu, l’auditeur doit s’élever, s’édifier. L’« abus capital », déplore Bourdaloue, « c’est que, dans la pratique, nous ne faisons pas le discernement nécessaire de cette adorable parole, [ … ] que nous ne l’écoutons pas comme parole de Dieu, mais comme parole des hommes. » 9 Cette confusion entre la scène profane et la scène de la chaire, l’une terrestre, tournée vers le plaisir de 7 Bourdaloue, Sermon pour le dimanche de la Sexagésime. Sur la Parole de Dieu, op. cit., p. 97. 8 Bourdaloue, Sermon pour le dimanche de la Cinquième semaine. Sur la Parole de Dieu, op. cit., p. 485-486. 9 Id., p. 485. Arnaud Wydler PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 30 l’auditeur ; l’autre sacrée, visant la conversion des fidèles, risque de compromettre la nature et les effets de la prédication. De fait, il revient au prédicateur de rappeler la fonction et les intentions de son discours, de façon à susciter, chez ses auditeurs, une écoute édifiante. Le prédicateur contre l’acteur Passant au crible ce goût mondain pour les sermons-spectacles, Bourdaloue ne cache pas les risques que cette réception mondaine fait encourir à l’exercice de la chaire, encourageant les charlatans qui « prêchent poliment et agréablement » à prendre la place des honnêtes prédicateurs : Il y a encore dans l’Église des hommes éclairés et fervents, des successeurs de Jean-Baptiste qui, comme des lampes ardentes et luisantes, découvrent la vérité, et la prêchent saintement, fortement, utilement. Mais vous en voulez qui la prêchent poliment et agréablement, rien davantage ; je dis poliment selon vos idées, et agréablement par rapport à votre goût ; et parce que ceux que vous entendez, quelque zèle qu’ils puissent avoir d’ailleurs, n’ont pas néanmoins le don de vous plaire, c’est assez pour vous en éloigner. 10 Cet avertissement fait d’ailleurs écho à une opposition régulièrement invoquée dans les manuels d’éloquence sacrée entre l’ethos du véritable missionnaire évangélique et celui de l’acteur ou de l’orateur du monde 11 . L’acteur y est en effet souvent présenté comme un « chatouilleur d’oreilles », dont la première intention est moins de convertir que de se construire une réputation personnelle. Si cette opposition entre le prédicateur et le comédien est commune, le fait qu’elle doive être réitérée dit quelque chose 10 Id., p. 483. 11 E. Bury note à juste titre que ces traités d’éloquence, publiés en grand nombre au XVII e siècle, sont largement influencés par la prédication de François de Sales, dont la lettre à Mgr Frémyot illustre bien la conception. Il s’agit pour l’authentique prédicateur de prêcher humblement la parole de Dieu et de laisser l’éloquence fleurie aux charlatans : « C’est un certain chatouillement d’oreilles, qui provient d’une certaine élégance séculière, mondaine et profane, de certaines curiosités, agencements de traits, de paroles, de mots, bref, qui dépend entièrement de l’artifice : et quant à celle-ci, je nie fort et ferme qu’un prédicateur y doive penser ; il la faut laisser aux orateurs du monde, aux charlatans et courtisans qui s’y amusent. Ils ne prêchent pas Jésus Christ crucifié, mais ils se prêchent eux-mêmes. » François de Sales, « Lettre à Mgr André Frémyot, archevêque de Bourges », cité par E. Bury, « Situation de l’éloquence sacrée durant les années de formation de Bossuet », Lectures de Bossuet. Le Carême du Louvre, Guillaume Peureux dir., Rennes, PUR, p. 27-39. Les Sermons sur la Parole de Dieu de Louis Bourdaloue PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 31 de leurs statuts respectifs, dont la distinction devait paraître peu évidente aux yeux des contemporains. En effet, l’un comme l’autre parlent dans des contextes proches - devant des « parterres » socialement homogènes, issus principalement de l’élite nobiliaire - et recourent à des méthodes de persuasion similaires : lyrisme, interpellations, déplorations, « élans » pathétiques, etc. L’orateur religieux désireux de convaincre, comme l’orateur profane, ne peut se contenter de dire ou de prononcer son discours mais doit mettre en relief, imager les contenus moraux ou théologiques qu’il développe en chaire. Dire, ce n’est plus seulement prêcher ou jouer, c’est également reconstruire ou peindre une réalité discursive que l’on veut rendre sensible et intelligible. Visant une sorte de sublimation du texte, l’action de l’orateur contribue à donner corps au discours, à mettre en relief les vérités bibliques développées en chaire 12 . La proximité entre la fonction du prédicateur et celle du comédien apparaît d’ailleurs nettement, chez Bourdaloue, dans la description du tombeau de Lazare qui ouvre son Sermon sur la Pensée de la mort : Car je n’ai qu’à me servir aujourd’hui des paroles de l’Église : Memento, homo, quia pulvis es. Souvenez-vous, homme, que vous êtes poussière, et in pulverem reverteris, et que vous retournerez en poussière. Je n’ai qu’à l’adresser, cet arrêt, à tout ce qu’il y a dans cet auditoire d’âmes passionnées, pour les obliger à n’avoir plus ces désirs vastes et sans mesure qui les tourmentent toujours, et qu’on ne remplit jamais. Je n’ai qu’à leur faire la même invitation que firent les Juifs au Sauveur du monde, quand ils le prièrent d’approcher du tombeau de Lazare, et qu’ils lui dirent : Veni, et vide ; venez, et voyez. Venez, avare : vous brûlez d’une insatiable cupidité, dont rien ne peut amortir l’ardeur ; et parce que cette cupidité est insatiable, elle vous fait commettre mille iniquités, elle vous endurcit aux misères des pauvres, elle vous jette dans un profond oubli de votre salut. Considérez bien ce cadavre : Veni, et vide ; venez, et voyez. C’était un homme de fortune comme vous ; en peu d’années il s’était enrichi comme vous ; il a eu comme vous la folie de vouloir laisser après lui une maison opulente et des enfants avantageusement pourvus. Mais le voyez-vous maintenant ? Voyez-vous la nudité, la pauvreté où la mort l’a réduit ? [ … ] 13 La matière biblique n’est pas seulement déclamée ou commentée mais elle est réinsérée dans une mise en scène spectaculaire : en effet, le registre du visuel et les métaphores contribuent à animer le tombeau de Lazare alors 12 Jean-Philippe Grosperrin, «“Accourez à ce spectacle de la foi” : économie de la scène dans la prédication classique », La Scène. Littérature et Arts Visuels, Marie- Thérèse Mathet dir., Paris, L’Harmattan, 2001, p. 149-168. 13 Bourdaloue, Sermon pour le mercredi des Cendres. Sur la Pensée de la mort, Tours, Cartier Libraire-éditeur, vol. I, p. 172. Arnaud Wydler PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 32 que le présent de l’indicatif, procédé régulier de l’ekphrasis et de l’hypotypose, actualise le moment de la mort comme s’il se déroulait sous les yeux du public. Le pouvoir impressif de la scène devait d’ailleurs se trouver largement exacerbé à l’oral grâce à l’actio du prédicateur, exhortant ses destinataires à contempler le spectacle macabre, par une gestuelle étudiée et une pose de la voix maîtrisée 14 . Avant de pouvoir être imputée à l’attitude des auditeurs, la réception profane de la parole de Dieu semble ainsi d’abord liée au fonctionnement rhétorique du sermon qui, comme n’importe quel discours cherchant à persuader, s’adresse en premier lieu aux sens et à l’imagination des spectateurs. Dans la mort de Lazare, c’est la représentation réaliste et détaillée de la scène biblique et, en fin de compte, le visuel qui prend le pas sur la valeur parabolique du message, dont l’exégèse est laissée au soin de l’auditeur. Mais bien qu’il octroie une dimension spectaculaire à son discours, le prédicateur ne cherche pas pour autant à se mettre en avant par la parole : l’actio, contrairement à celle de l’acteur, ne fait que donner du relief à son discours dans une logique de persuasion. La mise en image du tombeau ne sert ici qu’à renforcer la portée morale du discours, rendant la vanité des richesses et de l’ambition presque palpable. En « théâtralisant » son message, le prédicateur vise ainsi moins à démontrer son talent d’orateur qu’à instruire son auditeur, qu’à recourir à la médiation du sensible pour convaincre. Dans l’extrait cité plus haut, il semble d’ailleurs que ce soit le destinataire du message qui occupe le premier rôle dans le sermon, à la place du prédicateur. L’emploi régulier de la première personne, des verbes à l’impératif, des interpellations, des questions ou des comparaisons - « C’était un homme de fortune comme vous ; en peu d’années il s’était enrichi comme vous » - projette virtuellement le public dans la scène biblique, transformant l’expérience du sermon en une sorte de jeu de rôle, dont le véritable acteur serait l’auditeur, tandis que l’orateur se trouverait relégué au second plan du tableau. L’idée de retrait ou d’« effacement » du sujet parlant est d’ailleurs très présente dans les Sermons sur la Parole de Dieu qui s’appuient, en filigrane, sur la doctrine du « prédicateur intérieur », réduisant l’orateur chrétien au simple « organe » 15 physique d’un discours assumé par une autorité plus 14 Les traités d’éloquence sacrée de l’époque insistent largement sur l’actio du prédiateur. Ils définissent la maîtrise de la voix et du geste comme des critères décisifs de la réussite oratoire d’un sermon. 15 Bourdaloue avertit ses auditeurs : « Pour entrer dans la preuve de la première proposition que j’ai avancée, il faut, s’il vous plaît, que nous établissions d’abord ce principe fondamental, à savoir que Dieu vous parle par la bouche des Les Sermons sur la Parole de Dieu de Louis Bourdaloue PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 33 haute, Dieu lui-même 16 . Selon cet impératif, qui impose au prédicateur de laisser parler Dieu à sa place, la qualité du discours chrétien se mesure moins à sa valeur esthétique qu’à sa capacité à transmettre fidèlement et exactement le message biblique : N’ayez égard dans le choix [ des prédicateurs ] que vous faites qu’à votre avancement spirituel et à votre perfection, c’est-à-dire ne vous attachez à un prédicateur que parce qu’il vous est plus utile pour le salut ; car il faut vouloir les choses pour la fin qui leur est propre ; or, la parole de Dieu n’a point d’autre fin que notre sanctification. Quand, pour la santé du corps, j’ai à choisir un médecin, je n’examine point s’il est orateur ou philosophe, s’il s’exprime avec politesse, et s’il sait donner à ses pensées un tour ingénieux et délicat mais je veux qu’il ait de l’expérience et qu’il soit versé dans son art ; je veux qu’il connaisse mon tempérament, et qu’il soit en état de me guérir : cela me suffit. Si donc je trouve un ministre de la divine parole qui m’édifie, qui fasse impression sur moi, qui ait le don de remuer mon cœur, qui me porte plus efficacement, plus fortement à Dieu, c’est là que je dois m’en tenir. 17 En conseillant ses auditeurs sur la façon de « choisir » un prédicateur, Bourdaloue invoque deux critères essentiels qui fondent l’ethos de l’orateur chrétien idéal : l’humilité et l’autorité. Ce qui fait le succès d’un prédicateur, sa légitimité à prêcher la parole de Dieu, c’est sa connaissance du texte et son expérience d’une part - à l’instar du médecin dont on attend qu’il soigne le corps, on veut que le prédicateur édifie, prenne soin de l’âme - et d’autre part, sa capacité à assumer un rôle de simple intermédiaire du discours. C’est là que se situe peut-être la principale différence entre l’acteur profane et le prédicateur : tandis que le premier « performe » son discours, le second enseigne le texte chrétien, instruit l’auditeur des exigences divines. D’un côté, le discours s’appuie sur la démonstration ; d’un autre côté, il relève plutôt de la monstration, mettant sous les yeux des auditeurs des vérités qui parlent d’elles-mêmes, suffisamment évidentes pour que le prédicateur n’ait besoin de les enrober dans des « pensées ingénieuses et délicates ». prédicateurs, que c’est la parole de Dieu qu’ils vous annoncent, et que dès là qu’ils ont une mission légitime de l’Église, vous ne devez plus les écouter comme des hommes, mais qu’ils sont à votre égard les organes et les interprètes de Dieu même et de son Saint-Esprit. » (Bourdaloue, Sermon pour le dimanche de la Sexagésime. Sur la Parole de Dieu, op. cit., p. 91.) 16 Philippe-Joseph Salazar, « La voix au XVII e siècle », Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne, 1450-1950, op. cit., p. 787-822. Sur ce point, voir en particulier la p. 805. 17 Bourdaloue, Sermon pour le dimanche de la Cinquième semaine. Sur la Parole de Dieu, op. cit., p. 488. Arnaud Wydler PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 34 Conclusion. Quelques pistes de réflexion sur les enjeux rhétoriques du Sermon sur la Parole de Dieu En rappelant les particularités de la prédication par rapport à un discours profane comme le théâtre, Bourdaloue, dans ses Sermons sur la Parole de Dieu , redéfinit en même temps l’ethos et les intentions de l’orateur chrétien : celui-ci parle humblement, contrairement au comédien qui « prêche poliment » ; il parle pour une autorité supérieure, celle de l’Église et, par extension, celle de Dieu ; il parle, enfin, moins pour divertir l’auditeur que dans l’intention de le convertir. Le jésuite parvient ainsi à articuler finement dénonciation d’une écoute frivole et réfractaire, et légitimation d’un art oratoire spécifique, axé sur le dépouillement et la simplicité. En guise de conclusion, nous pourrions encore nous interroger sur les intentions et la finalité des Sermons sur la Parole de Dieu passés à l’examen dans cet article : ces derniers se bornent-ils à développer un enseignement sur la façon de bien entendre un discours sacré ? ou faut-il y voir, en filigrane, d’autres intentions qui relèveraient moins de la critique et de l’instruction que de la promotion d’un style oratoire particulier face aux mauvais prédicateurs et aux acteurs concurrents ? En ce sens, on pourrait se demander si les Sermons sur la Parole de Dieu ne servent pas également de supports de légitimation à leur auteur, mettant en exergue sa capacité à parler en prédicateur authentique, fidèle aux préceptes rhétoriques de sa discipline. Cette hypothèse semble d’ailleurs se corroborer à l’aune d’un contexte culturel où les arts rhétoriques, à commencer par la prédication, sont soumis à une logique de forte concurrence ainsi qu’à des exigences institutionnelles particulières. Le prédicateur, sous sa posture symbolique d’émissaire de Dieu, est d’abord un professionnel de la chaire, soumis à des contraintes institutionnelles et matérielles très concrètes. Pour réussir dans le cursus honorum de la prédication, il doit continuellement prouver sa légitimité à parler en chaire, en rapportant des avantages symboliques - réputation, prestige, etc. - et financiers à son ordre religieux ou en parvenant à se faire engager dans les églises les plus prestigieuses pour prêcher les stations du Carême ou de l’Avent 18 . Le prédicateur se trouverait ainsi astreint à cultiver ce qu’il dénonce paradoxalement dans ses sermons, à savoir la réputation et la gloire temporelle. 18 Sur les enjeux matériels de la prédication catholique au XVII e siècle, consulter l’ouvrage d’Isabelle Brian, Prêcher à Paris sous l’Ancien Régime. XVII e -XVIII e siècles, op. cit., et notamment le chapitre « Le métier de la parole », p. 211-251. Les Sermons sur la Parole de Dieu de Louis Bourdaloue PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0002 35 Si les Sermons sur la Parole de Dieu de Bourdaloue sont en premier lieu des instructions à bien entendre le message chrétien, ils ouvrent plus largement d’intéressantes réflexions sur la condition du prédicateur au XVII e siècle : la nécessité de rappeler les modalités d’une prédication idéale et d’une écoute attentive pourrait également répondre à un souci de légitimité et de notoriété, dont l’orateur chrétien avait besoin pour évoluer dans sa fonction et en tirer tous les bénéfices. Cette hypothèse, si elle se confirme, nous permettrait d’envisager le discours sur la prédication, non plus uniquement comme une instruction à bien entendre la parole de Dieu, mais comme un espace discursif où se refléteraient les enjeux touchant à la réputation et à la carrière du prédicateur. Gageons que ces quelques conclusions appelleront de nouvelles réflexions croisant, à bon escient, rhétorique, histoire et sociologie de la prédication au XVII e siècle. PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 La poule de Sylvie et le pigeon de Sapho : le bestiaire galant des recueils collectifs de la seconde moitié du XVII e siècle 1 M IRIAM S PEYER (U NIVERSITE DE C AEN N ORMANDIE ) La littérature galante du XVII e siècle a rendu illustres certains plantes et animaux. On pense bien sûr aux narcisses et aux roses qui, dans la Guirlande de Julie, chantent les éloges de Julie d’Angennes. On pense aussi aux vingtcinq sonnets en bouts-rimés composés à l’occasion de la mort du perroquet de Madame du Plessis-Bellière (publiés en 1656 2 ), ou encore à la production littéraire autour des deux caméléons que possédait Madeleine de Scudéry entre 1672-1673 3 . Il s’agit là d’animaux exotiques, d’animaux dont la présence même à Paris, dans l’espace mondain, faisait événement. En outre, ces animaux sont attachés à des maîtresses au moins aussi célèbres qu’eux. Aussi ces textes constituent-ils plutôt des exceptions, peu représentatives des pratiques poétiques des mondains dans ces années-là, du moins telles qu’elles sont reflétées par les recueils de poésies galantes. Dans les années 1650 à 1670 notamment, les pièces poétiques d’actualité, émanant souvent 1 Cet article est issu d’une communication présentée lors du 37 e congrès annuel de la SE 17 (Université de Fribourg, Suisse, 17 au 19 décembre 2018). 2 La série a été publiée à Paris, dans la troisième partie des Poësies choisies de Charles de Sercy (p. 374-410). 3 Sur le rôle des animaux dans le cercle de Madeleine de Scudéry, voir N. Grande, « Une vedette des salons : le caméléon », dans L’Animal au XVII e siècle, C. Mazouer (éd.), Paris, PFSCL, « Biblio 17, n°146 », 2003, p. 89-101 et N. Aronson, « “Que diable allait-il faire dans cette galere ! ” Mademoiselle de Scudéry et les animaux », dans Les Trois Scudéry, A. Niderst (éd.), Paris, Klincksieck, 1993, p. 523-532. Sur l’animal en général au XVII e siècle et sa place dans la littérature, voir D. Lopez, « L’animal au XVII e siècle : fond de tableau théologique, mythologique, philosophique (quelques points d’ancrage) » et « “Peut-être d’autres héros / M’auraient acquis moins de gloire” : du statut des animaux dans la poésie du XVII e siècle », dans L’Animal au XVII e siècle, op. cit., p. 11-25 et p. 39-72. Miriam Speyer PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 38 des lieux de sociabilité galante, sont imprimées dans des recueils polygraphiques comme les Poësies choisies de Charles de Sercy (5 vol., 1653- 1660), les Delices de la poësie galante (Jean Ribou, 3 vol., 1663-1667), ou encore le Recueil de pieces galantes en prose et en vers (Gabriel Quinet, 1663- 1684), plus connu sous le titre de Recueil La Suze-Pellisson. À partir de 1672, ces compositions vont aussi être publiées dans le Mercure galant, premier périodique littéraire français. Dans ces recueils, lieux de publication tant pour des auteurs professionnels que des amateurs, les animaux exotiques sont rares. Quelles sont alors les espèces privilégiées dans les productions galantes ? Et que dit ce bestiaire des goûts et des pratiques, culturelles et poétiques, des mondains du milieu du siècle ? Nous commencerons par dresser un inventaire des animaux évoqués dans les compositions mondaines, ce bestiaire spécifique étant révélateur, nous semble-t-il de certaines pratiques culturelles. Il s’agira ensuite de questionner l’apport proprement poétique que représente ce bestiaire pour la littérature galante, littérature caractérisée par la recherche de la surprise et du trait d’esprit. Ces réflexions nous permettront enfin de réfléchir sur les ambiguïtés de la galanterie littéraire et le rôle de cette poésie animalière dans la composition de pièces parfois à la limite l’obscène. 1. « Vous estes chienne, elle est tigresse » : l’animal dans l’espace mondain La littérature galante accorde une place importante au bestiaire : les Fables de La Fontaine sont la référence la plus évidente, suivies de celles qui ont été composées dans leur sillage et publiées dans des recueils d’auteur (Marie-Catherine Desjardins de Villedieu ou Isaac de Benserade), ou encore dans les diverses livraisons du Mercure galant 4 . Les réécritures des fables ésopiques sont cependant loin d’être les seules compositions poétiques à faire intervenir les animaux. Ces derniers sont bien représentés dans les diverses compositions poétiques publiées dans les recueils polygraphiques des années 1650 à 1670 5 . Contrairement aux fables, de forme narrative, les 4 À propos des fables publiées dans le Mercure galant, voir l’inventaire analytique de Monique Vincent, Mercure galant. Extraordinaire. Affaires du temps. Table analytique contenant l’inventaire de tous les articles publiés 1672-1710, Paris, H. Champion, « Champion-Varia », 1998. 5 Nous avons identifié ces poèmes à l’aide de la base de données Refaire Lachèvre, que nous avons développée dans le cadre de notre thèse « Briller par la diversité » : les recueils collectifs de poésies au XVII e siècle (1597-1671), dir. M.-G. Lallemand, Le bestiaire galant des recueils collectifs du XVII e siècle PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 39 pièces que l’on trouve dans les recueils collectifs sont essentiellement discursives. Elles reposent sur une situation d’énonciation manifeste, la plus représentative étant celle dans laquelle l’amant s’adresse, sur un mode plus ou moins sérieux, à sa maîtresse, qu’il tente de séduire. Les animaux interviennent dans cette configuration. Le bestiaire de la poésie galante s’inscrit dans le décor des échanges et des lieux de sociabilité mondaine. Loin d’être originaires de contrées lointaines et exotiques, les espèces les plus fréquentes appartiennent à la faune locale. Les textes mettent en scène des chiens, des chats, des oiseaux comme le roitelet ou l’hirondelle, et même un moucheron. Si les poètes chantent ces bêtes, c’est parce qu’elles ont des qualités appréciées par la société mondaine : nous y rencontrons de « tendres chiennes » 6 , des poules de « mérite » 7 , d’« aimable[s] pigeonnes » 8 , ou encore des chattes « charmantes » 9 . Les espèces les plus récurrentes sont le chien et le chat 10 , animaux de compagnie par excellence, tant à l’époque que de nos jours. Le traitement poétique que connaissent ces compagnons à quatre pattes en est le reflet. Souvent, ces animaux sont présentés à travers le lien, étroit, qu’ils entretiennent avec leur maître ou leur maîtresse, avec qui ils peuvent partager des traits de caractère. Dans l’élégie A la petite chienne de M. la Comtesse de F*** de Benserade, parue dans la première partie des Poësies choisies de Charles de Sercy, le poète s’adresse à la petite chienne en précisant : Université de Caen Normandie, soutenue le 10 avril 2019. Cette base inventorie les pièces poétiques publiées dans les recueils poétiques polygraphiques parus entre 1597 et 1671. 6 Recueil de pièces galantes en prose et en vers de madame la Comtesse de la Suze, d’une autre dame et de monsieur Pelisson (sic), tome premier, Paris, G. Quinet, 1668, p. 106. Les titres des recueils collectifs de poésies du corpus étant souvent semblables, nous nous contentons de rappeler en note le titre abrégé, l’éditeur et l’année de publication. Pour les recueils composés de plusieurs tomes, nous précisons la place dans la série par un chiffre arabe. 7 Delices de la poësie galante, 1 (J. Ribou, 1663), p. 133. 8 Recueil La Suze-Pellisson (G. Quinet, 1666), p. 19. 9 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 132. 10 Cette prépondérance des animaux de compagnie se vérifie aussi dans l’« Index des noms d’animaux » que propose Sophie Tonolo dans l’édition des Poésies de Madame Deshoulières : le chien et le chat sont, et de loin, les animaux les plus fréquents (cf. Poésies, éd. S. Tonolo, Paris, Classiques Garnier, p. 201). Miriam Speyer PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 40 N’imitez pas vostre Maistresse Vous estes Chienne, elle est Tigresse 11 Dans A Madame*** sur sa petite Levrette, publiée dans les Poësies choisies de 1660, on lit : Rien ne sçauroit toucher son cœur [= le cœur de la chienne], Et ce jeune Levron, son nouveau serviteur, A peine baise-t-il sa patte. Elle imite vos cruautez, Et vostre indiference extréme ; Parce que vous me mal-traittez, Elle prétend faire de méme. 12 L’auteur anonyme de l’Epitaphe du perroquet de Mademoiselle Duret, paru dans la troisième partie des Poësies choisies, établit une comparaison semblable. Cy gist le perroquet d’Iris, Perroquet qui n’eust point de prix : Et qui fut rare en son espece Autant qu’Iris l’est en son sexe. 13 Le lien affectif fort que la maîtresse entretient avec son animal familier fait que la bête devient une sorte de prolongement de celle-ci. Louer l’animal familier revient à louer la maîtresse, comme le fait De Lignières dans Sur la petite chienne de Madame*** : Vive vostre petite Chienne, Nulle beauté ne vaut la sienne, Et tous attraits cedent aux siens ; Elle est si mignonne & si belle, Qu’en l’Eglise les Chasse-chiens Auroient bien du respect pour elle. 14 Dans les stances Sur la mort d’un petit Chien nommé Cottin, l’auteur anonyme se saisit de l’occasion pour faire une offre de service - pas tout à fait désintéressée - à sa dame aimée : Il n’est point d’homme si sçavant, Qui puisse entreprendre vivant Entre vos bras de vous le rendre ; Mais je pourrois d’un simple trait, 11 Poësies choisies, 1 (C. de Sercy, 1653), p. 257. 12 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 202. 13 Poësies choisies, 3 (C. de Sercy, 1656), p. 91. 14 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 17. Le bestiaire galant des recueils collectifs du XVII e siècle PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 41 Pour vous par ma plume entreprendre De le faire vivre en portrait. Si vous voulez m’aimer un peu, A vos yeux d’un trait tout de feu Je le peindray beau comme un Ange, Et que vous tant soit peu moins beau Par des Hymnes à sa loüange Je le tireray du tombeau. […] Pour luy donner ce grand renom, Je ne vous demande sinon, Que cessant d’avoir tant de glace, Un jour vous me fassiez l’honneur De me laisser prendre la place Que ce Chien eut dans vostre cœur. 15 Parfois, l’analogie entre animal et humain est poussée si loin que le lecteur peut se demander si le poète parle de l’animal ou de sa maîtresse, comme c’est le cas dans une pièce strophique publiée dans les Poësies choisies : Elle est agreable, elle est belle Ses attraits la rendent cruelle, Et font qu’elle n’estime rien ; Enfin sa conduite est tres-sage […]. 16 Cette relation fusionnelle que les dames mondaines nourrissent avec leur animal familier peut aussi susciter des jalousies. À propos de la mort du petit chien préféré de sa maîtresse, on lit dans la quatrième partie du recueil poétique de Sercy : Il est donc mort ce petit Chien, Qui l’usurpateur de mon bien Avec vous partageoit vostre ame : J’en ay bien souvent enragé, Mais qu’on m’en louë, ou qu’on m’en blâme, J’en suis toutefois affligé. 17 La configuration inverse s’observe aussi, comme le montre la Lettre que Gas, l’épagneul de madame Deshoulières, adresse à un prétendant de sa maîtresse : Je vous écoutois sans dépit Loüer de ma Maistresse & les yeux, & la bouche ; 15 Poësies choisies, 4 (C. de Sercy, 1658), p. 426. 16 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 132. 17 Poësies choisies, 4 (C. de Sercy, 1658), p. 422 (nos italiques). Miriam Speyer PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 42 Ne croyant ces douceurs qu’un simple jeu d’esprit, Sans m’opposer à rien, je dormois sur son Lit. Si ce souvenir vous touche, Ne songez plus à m’oster La place que je possede : Croyez-vous la mériter ? Croyez-vous que je la cede ? 18 Ce qui se dégage de ce traitement des bêtes, c’est que les mondains ont le même rapport avec leurs matous et leurs toutous que nous avec les nôtres. Les compositions poétiques réunies dans les recueils collectifs de la seconde moitié du siècle mettent en scène ce qui appartient au décor du lieu de sociabilité : la chienne ou le chat de la maîtresse de maison, ou aussi les oiseaux qui fréquentent le petit jardin de Madeleine de Scudéry dans le Marais. Cette forte présence des animaux domestiques dans les poèmes peut ainsi se lire comme un reflet des pratiques culturelles et, dès lors, du processus de civilisation. C’est au cours du XVI e et du XVII e siècle que les aristocrates s’entourent de plus en plus d’animaux dits « inutiles », avec lesquels ils ont une relation affective forte. Ces animaux sont traités, comme c’est le cas aujourd’hui, comme s’ils étaient des membres de la famille. Le cas du chat est intéressant, ce dernier devenant un animal de compagnie à proprement parler seulement au cours du XVII e siècle 19 . Ce bestiaire galant est aussi révélateur du contexte scientifique et philosophique du milieu du XVII e siècle : le débat autour du cartésianisme 20 . 18 Mercure galant, t. 1, janvier-avril 1672, p. 267-271. 19 À propos de l’histoire des animaux domestiques, voir R. Delort, Les Animaux ont une histoire (1984), Paris, Seuil, « Points », 1993 ; L’Homme, l’animal domestique et l’environnement du Moyen Âge au XVIII e siècle, R. Durand (éd.), Nantes, Ouest Éditions, 1993 ; J.-P. Digard, L’Homme et les animaux domestiques. Anthropologie d’une passion (1990), Paris, Fayard, 2009 ; K. Thomas, Dans le jardin de la nature. La mutation des sensibilités en Angleterre à l’époque moderne (1983), trad. C. Malamoud, Paris, Gallimard, « Éditions NRF », 1985. 20 Voir à ce sujet la conférence du Bureau d’adresse du 13 novembre 1634 : « Si quelques autres animaux que l’homme usent de la raison », Seconde Centurie des questions traitees ez conferences du Bureau d’adresse, Paris, Bureau d’Adresse, 1636, p. 20-24 et la notice au sujet du Discours à Madame de La Sablière dans l’édition Pléiade des Fables, Contes et Nouvelles de La Fontaine (éd. J.-P. Collinet, 1991, p. 1239-1241). Voir également D. Lopez, « L’animal au XVII e siècle : fond de tableau théologique, mythologique, philosophique (quelques points d’ancrage) », art. cit. ainsi que l’article de Sabine Gruffat, « La théorie des esprits animaux ou l’alchimie poétique de La Fontaine » dans Les Esprits animaux (16 e -21 e siècle) : Le bestiaire galant des recueils collectifs du XVII e siècle PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 43 En effet, si l’animal peut être traité comme une forme de prolongement de la maîtresse, qu’il égale en beauté, en entendement, en cruauté ou en tendresse, s’il est l’ami ou le rival de l’amant qui lui adresse des plaintes amoureuses, c’est qu’il ne saurait être « simple ressort » 21 , machine. Au contraire, les chiennes ont « infiniment de l’esprit » 22 ; on les exhorte alors : Jugez en femme équitable : Car enfin estant raisonnable, Personne qui vous connoistra De ce mot ne s’offensera. 23 Dans les stances Sur la petite Chienne de Madame***, l’auteur va même jusqu’à affirmer que la chienne serait supérieure à certains hommes : Elle est tout à fait estimable, C’est une Chienne raisonnable, Elle entend tout ce qu’on lui dit ; Et c’est une chose certaine, Qu’elle a mille fois plus d’esprit Que le jeune Amant de Climene. 24 Le compagnon galant à quatre pattes est un membre de la société mondaine. Il participe aux échanges et sa mort est pleurée. Mme Deshoulières chante l’Apotheose de Gas mon Chien qui, dans l’au-delà, ne deviendra nul autre que « le Cerbère du Parnasse » 25 . Dans la Consolation à Madame Perline, Sur la mort de Mademoiselle sa fille, le je lyrique assure à « la plus tendre » des « tendres Chiennes » 26 que la mort prématurée de sa progéniture serait due à l’appel d’Apollon. En somme, il paraît hors de question que l’animal soit une machine dirigée uniquement par un instinct atavique : être galant, c’est être anti-cartésien 27 . histoire, philosophie, S. Kleinman-Lafon, M. Louis-Courvoisier (éd.), Epistémocritique, 2018, p. 29-39. En ligne : http: / / epistemocritique.org/ actes-du-colloque-lesesprits-animaux/ (consulté le 2 décembre 2018). 21 J. de La Fontaine, « Les Obsèques de la Lionne », Fables, VIII, 14 (Fables, Contes et Nouvelles, op. cit., p. 315). 22 Delices de la poësie galante, 2 (J. Ribou, 1664), p. 225. 23 Recueil La Suze-Pellisson, 1 (G. Quinet, 1668), p. 106. 24 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 17. 25 Mme Deshoulières, Poésies, op. cit., p. 375. La pièce en question a été publiée dans le deuxième volume des Poësies de Mme Deshoulières en 1695. 26 Recueil La Suze-Pellisson, 1 (G. Quinet, 1668), p. 105. 27 Voir P. Sahlins, 1668 : The Year of the Animal in France, New York, Zone Books, 2017, p. 276 et p. 301-310. Nous remercions Mathilde Bombart de nous avoir signalé cette référence. Voir à ce sujet aussi la conversation dans Clélie, IV, 2, p. 357-364 (éd. C. Morlet-Chantalat). Miriam Speyer PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 44 2. « Cet illustre perroquet / N’a que trop fourny de caquet » : poétiser (autour de) la bête Les poésies animalières galantes se distinguent par leur caractère badin et peu sérieux, ce que reflètent aussi les choix poétiques : les textes sont composés soit en octosyllabes, vers associé au burlesque, soit en vers mêlés, connus pour leur légèreté et leur enjouement 28 . Les textes mettant en scène des animaux suivent de ce point de vue les principales évolutions de la poésie galante dans cette deuxième moitié du siècle. Beaucoup d’entre elles, comme Sur un Singe ou Sur un Moucheron, relèvent de l’éloge paradoxal, que Patrick Dandrey identifie comme une des « pentes de l’écriture mondaine » 29 . En effet, si Marie-Catherine Desjardins semble envier le sort d’un singe, c’est parce que celui-ci ne connaîtrait pas le chagrin d’amour : Que ton sort me donne d’envie, Petit animal, dont le cœur Ne reconnoist aucun vainqueur, Qui sans amour passe ta vie, Et dont le soin ne gist qu’à manger doucement Ce qu’on te donne d’aliment. […] Mais moy que le Ciel a doüée De raison, & de jugement, Je languis, & dans mon tourment Je suis de tout desavoüée. Ha ! qu’il m’eust esté doux de vivre sans raison Puis qu’Amour la tient en prison. 30 La fécondité créative des animaux se manifeste plus nettement encore au sujet des jeux de mots et des doubles sens qu’ils permettent 31 . Les expressions figées recourant à des animaux sont nombreuses, encore 28 Voir J. de La Fontaine, Nouvelles en vers tirées de Boccace et de l’Arioste (1664), dans Œuvres complètes, éd. J.-P. Collinet, Paris, Gallimard, (« Bibliothèque de la Pléiade », 1991, t. I, p. 551, « Avertissement ». À propos du vers burlesque, voir notamment C. Nédelec, Les États et Empires du burlesque, Paris, H. Champion, « Lumière classique », 2004, « Petit traité de versification burlesque », p. 342-355. 29 P. Dandrey, L’Éloge paradoxal, de Gorgias à Molière (1997), Paris, Hermann, 2015, p. 203-207. 30 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 55. 31 Un succès à rapprocher de celui des énigmes dans les années 1630-1640. Voir à ce sujet C. Barbafieri, « Du goût, bon et surtout mauvais, pour apprécier l’œuvre littéraire », Littératures classiques, n°86, 2015, p. 140. Le bestiaire galant des recueils collectifs du XVII e siècle PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 45 aujourd’hui, on pensera à « caractère de chien », « être traité comme un chien » ou « faire un temps à ne pas mettre un chien dehors ». Si l’emploi direct des expressions proverbiales est, à l’âge classique, connoté et caractérise un langage bas, le jeu sur le double sens, souvent entouré de précautions stylistiques, peut au contraire être un signe d’ingéniosité, comme l’a montré Cécile Lignereux 32 . Les stances Sur la petite Chienne de Madame*** de Lignières, publiées dans la cinquième partie des Poësies choisies, se terminent par exemple par un sizain dans lequel le recours au proverbe est même souligné par la typographie de l’époque : Vos appas font que je vous aime Avec une tendresse extréme, Et montrent que j’observe bien Cette Maxime tres-ancienne, Qui m’aime bien aime mon Chien, Puisque j’aime fort vostre Chienne. 33 Un autre cas s’observe au début de la pièce A Madame *** sur sa petite Levrette, mettant pleinement à profit les diverses significations du complément du nom « de Chien » : Philis, vous me prenez pour un Peintre de Chien, Puis que vous m’ordonnez de peindre votre Chienne. 34 La poésie galante se caractérise par la pointe et le mot d’esprit 35 . Elle est cependant profondément répétitive : les pièces parlent quasi exclusivement d’amour, et dans la plus grande majorité des cas, les poèmes sont des discours que l’amant adresse à sa maîtresse. Afin d’éviter l’ennui et le sentiment désagréable de « déjà-lu », les auteurs galants cherchent constamment à créer la surprise et le plaisir esthétique chez le lecteur. Le recours aux masques animaliers constitue de ce point de vue un enrichissement de la poétique galante. 32 Voir C. Lignereux, « Le proverbe, faute de goût ? », dans L’Invention du mauvais goût à l’âge classique ( XVII e - XVIII e siècles), C. Barbafieri, J.-C. Abramovici (éd.), Louvain, Peeters, « La République des Lettres », 2013, p. 269. À propos des précautions stylistiques, les conclusions de Cécile Lignereux rejoignent celles qu’expose Carine Barbafieri au sujet de l’équivoque (« Les subtiles recettes de l’équivoque », ibid., p. 237-253). 33 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 17. 34 Ibid., p. 201. 35 Voir à ce sujet notamment A. Génétiot, Poétiques du loisir mondain, Paris, H. Champion, « Lumière classique », 1997. Miriam Speyer PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 46 Si les poètes se mettent à s’adresser aux animaux familiers de leurs maîtresses au lieu de s’adresser directement à celles-ci, s’ils prennent le masque d’un pigeon ou d’une fauvette pour composer une pièce galante, c’est donc d’abord pour introduire de la variété dans les discours amoureux qui risquent de devenir trop uniformes. De ce point de vue, pourrait-on objecter, il y a alors peu de différence avec d’autres jeux énonciatifs, dont les poèmes où le poète masculin choisit un je lyrique féminin ou fait parler une plante ou un objet. Or, la poésie galante est une poésie essentiellement sentimentale et, par conséquent, fortement sexuée. Le règne animal présente alors bien davantage de points communs avec l’homme que ne le fait le règne végétal. Une distribution claire des rôles entre masculin et féminin dans les poèmes mettant en scène des animaux en est la conséquence. On trouve ainsi un échange de lettres dans lesquels le roitelet, masculin, reproche à la fauvette sa coquetterie et son inconstance présumée. Dans d’autres cas, les noms des animaux sont féminisés, comme dans la correspondance entre la levrette et le levron 36 , ou celle entre la chatte de madame Deshoulières et le chien du duc de Vivonne. Cette attention au genre des divers animaux fournit plus qu’un jeu de mots, bien des fois grivois. Aussi lit-on dans A Madame *** sur sa petite Levrette : Sa queuë est belle, & longue extrémement ; Pour la voir, je voudrois faire plus d’une lieuë, Pour elle je prétens qu’on dira seulement, Petite Chienne, belle queuë, On doit feminiser ce quolibet charmant. 37 La poésie galante animalière devient le lieu d’une libération du discours de la bienséance, d’une érotisation des relations entre mâle et femelle, entre homme et femme. 3. « On est charmé de votre chatte » : du galant au polisson La relation intime que les mondaines entretiennent avec leurs animaux de compagnie peut susciter des jalousies. Ceux-ci accèdent à des lieux dont l’amant, je lyrique dans le poème, ne peut que rêver. L’animal devient alors messager, voire allié du poète qui formule des désirs très précis. Dans 36 Un levron est un « Jeune levrier pour la chasse. Il y a aussi des levrons domestiques qu’on nourrit dans les chambres pour le plaisir. » (Furetière, Dictionnaire universel, 1690). Le lexicographe relève dans son article plusieurs expressions proverbiales comme « affamé comme un jeune levron » ou « étourdi comme un jeune levron ». 37 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 202. Le bestiaire galant des recueils collectifs du XVII e siècle PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 47 l’élégie en vers burlesques A la petite Chienne de M. la Comtesse de F***, Benserade écrit : Mais, Mignonne, je suis jaloux, Ce mal trouble bien des cervelles, Et vous m’en direz des nouvelles Lors que vous serez en chaleur, Si vous tombez en ce malheur. […] Et point de quartier aux Blondins : Vers le lit faites bonne garde, N’y souffrez pas qu’on la regarde, Et paroissez aux plus hardis Un Cerbere de Paradis. Mignonne, adieu, soyez certaine Qu’il n’est ny Princesse, ny Reine, Avec laquelle il fut si doux De coucher, comme avecque vous. 38 Une telle intimité fait aussi naître des fantasmes : Je croy qu’elle est d’illustre Race, Et l’on voudroit estre à sa place, Car elle baise devant tous Vostre bouche que l’on adore ; Et quand elle couche avec vous, Elle baise autre chose encore. 39 La fameuse réplique d’Agnès, « Le petit chat est mort » 40 l’illustre bien : la métaphore, animale en particulier, permet de faire entrer dans le discours poétique des détails du désir et de l’acte sexuel qui ne sauraient s’exprimer de manière directe. Les textes qui entretiennent à dessein le double sens érotique, voire obscène, sont particulièrement intéressants dans ce contexte. Une petite pièce strophique, publiée dans la cinquième partie des Poësies choisies en 1660 commence en effet ainsi : 38 Poësies choisies, 1 (C. de Sercy, 1653), p. 260. 39 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 17. 40 L’École des femmes, I, 4, v. 236 et II, 5, v. 461. Au sujet des sous-entendus grivois, voir Molière, Œuvres complètes, éd. C. Bourqui, G. Forestier et al., Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. I, p. 1362, n. 9. Miriam Speyer PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 48 On est charmé de vostre Chatte, Chacun la caresse, & la flatte Pour moy je l’aime au dernier poinct […]. 41 Le jeu sur les mots « chat » et « chatte » - le sens de « sexe féminin » est bien attesté depuis le début du XVII e siècle 42 - se poursuit dans la suite de la pièce : Elle est agreable, elle est belle, Ses attraits la rendent cruelle, Et font qu’elle n’estime rien ; Enfin sa conduite est tres-sage, Et je croy qu’elle empesche bien Que vos Chats n’aillent au fromage. 43 Le dernier vers, « vos Chats n’aillent au fromage », peut certes se comprendre de manière littérale dans le contexte de la pièce, mais une deuxième lecture est possible : une fille qui « laisse aller le chat au fromage » accepte d’accorder à son galant les dernières faveurs, et perd son honneur 44 . Ces pièces animalières offrent la possibilité de ruser avec la bienséance, qui, dans le contexte galant, on le sait, n’est bien souvent que de pure façade 45 . Dans les Vers Irreguliers à Mademoiselle de Scudery, Sur un Pigeon estranger qui venoit débaucher ses Pigeones, le je lyrique procède non 41 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 132. 42 Le « chat » est une métaphore courante pour le sexe féminin. Voir R. Bougard, Érotisme et amour physique dans la littérature française du XVII e siècle, Paris, G. Lachurié, 1986, p. 201. Voir aussi Molière, Œuvres complètes, op. cit., p. 1362, n. 9. 43 Poësies choisies, 5 (C. de Sercy, 1660), p. 132. 44 Le même jeu sur cette expression se retrouve dans la série de lettres en vers adressées à Grisette, la chatte de Madame Deshoulières. Pour faire la cour à Grisette, Dom Gris, « Chat de Madame, la Duchesse de Bethune », critique les faibles avances de Tata, son rival et explique : « Ce Tata, langui au milieu des plaisirs, / Qui ne sçauroit au plus aller au badinage, / Qui ne sçauroit jamais contenter vos desirs, / Et qui mourroit de faim sur un tas de fromage » (Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre, 1678, p. 292-318). 45 À propos des liens entre obscénité et galanterie, voir p. ex. Sophie Rollin, « Un art d’apprivoiser l’obscénité : la galanterie », dans Obscène, Obscénités, S. Bernas, J. Dakhlia (éd), Paris, L’Harmattan, 2008, p. 203-216. Voir aussi A. Viala, La France galante, Paris, PUF, « Les Littéraires », 2008, chap. 7 « Les deux galanteries », p. 203-224 et M. Rosellini, « Le manteau de la pudeur : réflexion sur la double galanterie poétique au XVII e siècle », dans Littéraire. Mélanges offerts à Alain Viala, éds. M.-M. Fragonard, D. Glyn, S. Guyot, M. Roussillon, Arras, Presses universitaires d’Artois, 2018, p. 327-334. Le bestiaire galant des recueils collectifs du XVII e siècle PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 49 seulement à un éloge de l’enlèvement, mais formule une critique du chaste mode de vie de Madeleine de Scudéry : Mais, Sapho, jugeons autrement, Croyons le Pigeon moins coupable : Il vit vostre Pigeone & la vit fort aimable, D’abord il devint son Amant, La Pigeone a son tour ne luy fut pas cruelle, Elle brusla pour luy d’une ardeur mutuelle, Et c’est de son consentement, Qu’il a fait cét enlevement. Son action n’est pas un crime, Sapho vous devez l’approuver, Ce Pigeon sçeut d’amour cette belle maxime, Que lors que par ses soins on ne peut arriver, A la possession de l’objet qu’on estime, Il n’est rien tel que d’enlever. 46 En filant la métaphore autour de la « rage » et du verbe « enrager » dans l’épître burlesque à Madame de P*** qui avoit esté morduë d’un Chien enragé, le poète anonyme va même jusqu’à faire des propositions explicites : Puissiez-vous enrager d’amour, Vous feriez un plaisant desordre, Vous baiseriez au lieu de mordre, Et je croy qu’il seroit bien doux D’enrager lors avecque vous. 47 Le masque animalier est une possibilité parmi d’autres de tenir un discours (plus) ouvertement érotisé, d’aborder des sujets plus nettement sexuels. Dans cet ensemble, les pièces écrites du point de vue féminin ressortent particulièrement. Dans le Caprice de Madem. B., le je lyrique féminin s’adresse à Amour pour se plaindre de son chien, véritable fâcheux qui empêche toute intimité entre elle et son amant : Gogo, tu me déplaist (sic), & ton amour flateuse Est un peu trop à charge à mon ame amoureuse ; Fais tréve d’amitié, mais sur tout souviens-toy De ne te plus placer entre Tirene & moy […] Amour, sois nous propice, & prens soin que ce Chien N’interrompe jamais nostre aimable entretien. Non, tu ne le dois pas endurer davantage, 46 Recueil La Suze-Pellisson, 1 (G. Quinet, 1668), p. 135. 47 Poësies choisies, 2 (C. de Sercy, 1653), p. 146. Miriam Speyer PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 50 Il vient entre nous deux écouter ton langage, Et ce t’est une honte, & non pas un honneur, De voir qu’un Chien apprenne à conquester un cœur. […] Ah ! respondit l’Amour, il ne le pourra faire, Je l’empescheray bien de troubler mon mystere, Car je vous serreray si fort avec mes nœuds, Qu’il ne trouvera pas de place entre vous deux. 48 Si l’expression des « nœuds serrés » par Amour peut se comprendre comme une allusion au mariage, la pièce invite aussi, et peut-être surtout, à une lecture sexuelle. Celle-ci enfin est évidente dans l’échange entre la levrette et le levron. Publiée dans plusieurs recueils collectifs différents dans les années 1660, cette brève correspondance s’ouvre par un billet dans lequel la levrette fait une proposition explicite : Je suis une Levrette un peu âgée à la verité, mais avec autant de folie que Levrette que vous ayez jamais veüe : de sorte Monsieur le levron, que si vous voulez multiplier la levreterie françoise, vous prendrez s’il vous plaist la peine de venir jusques icy où je vous attends avec une chaleur extresme. 49 Dans sa réponse, le levron explique s’intéresser davantage aux filles de la levrette, mais il concède : Comme vous estes un peu âgée, je pense qu’il vaudroit bien autant multiplier avec [elles] qu’avec vous, mais que cela ne vous alarme point. J’entens que vous seriez la premiere servie, Car avec le talent du Roy d’Ethiopie L’on pourroit plaire à plus de trois, Et dans une méme famille Tel galant a plus d’une fois Cajollé la mere & la fille. 50 Loin de s’offenser de cette proposition, dans laquelle on lit peut-être une allusion à un fait divers du temps, la levrette se réjouit dans sa réponse : 48 Delices de la poësie galante, 1 (J. Ribou, 1663), p. 107. 49 Delices de la poësie galante, 2 (J. Ribou, 1664), p. 224. 50 Ibid., p. 226. Zaga-Christ (1610-1638) arrive à Paris en 1635. Il meurt le 22 avril 1638, probablement des suites de son incarcération. Le passage de Zaga-Christ à Paris et l’impression qu’il fait en particulier sur les femmes ont donné lieu à foison de pièces, en vers et en prose, dont certaines obscènes. Voir p. ex. Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. A. Adam, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, t. II, p. 257-258. À propos des faits historiques établis, voir S. Aroles, « Zaga-Christ », dans Dictionnaire Richelieu, éd. F. Hildesheimer, D. Harai, Paris, H. Champion, « Dictionnaires & Référénces », 2015. Le bestiaire galant des recueils collectifs du XVII e siècle PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 51 Ce qui m[e] touche le plus, c’est que vous dites que vous valez le Roy d’Ethiopie ; & tout de bon cette qualité m’empeschera d’avoir jamais de la glace ny du rocher pour vous : Car entre nous autres Levrettes, Les ames ne s’y gagnent pas Avecque de douces fleurettes : Il faut bien de plus forts appas Pour franchir en nos amourettes Ce que l’on appelle le pas. 51 Ce qu’illustre le bestiaire des publications polygraphiques de la seconde moitié du XVII e siècle, c’est que du discours galant au discours polisson, il n’y a qu’un pas. Comme l’a montré Nathalie Grande, « mauvais goût et bonne société peuvent […] cohabiter, à condition que ce mauvais goût connaisse les usages, respecte les apparences et accepte de jouer le jeu de la mondanité galante » 52 . Mais plus encore que « jouer le jeu de la mondanité galante », une grande partie de ces textes relève proprement de l’esthétique du jeu. Au lieu d’échanger des lettres en leur nom propre, les mondains vont s’amuser à parler pour leur chat ou leur chien. Les partis-pris formels - le choix de l’octosyllabe ou des vers mêlés - interdisent aussi tout discours sérieux et impliquent une écriture distanciée 53 . Puisque les animaux, même domestiques, montrent leur sexualité sans tabous, qu’ils ne sont pas, contrairement aux hommes, soumis à des considérations de pudeur et de bienséance, l’évocation de leurs amours permet d’introduire un discours autrement plus concret dans la littérature mondaine 54 . Celui-ci peut se comprendre comme une forme d’exutoire : à 51 Recueil de pieces en prose, les plus agréables de ce temps, 4 (C. de Sercy, 1661), p. 69. 52 N. Grande, « Galanterie et mauvais goût », dans L’Invention du mauvais goût à l’âge classique, op. cit., p. 293. 53 Comme l’a montré Carine Barbafieri, le « mauvais goût exhibé avec distance cesse d’être mauvais goût » et peut autoriser, par conséquent, l’emploi de métaphores évidentes ou d’équivoques « sales » (« Les subtiles recettes de l’équivoque », dans ibid., p. 250). 54 Une telle vision des animaux préfigure en quelque sorte la manière dont les Lumières vont aborder le désir sexuel, tant humain qu’animalier. Voir à ce sujet V. Jolivet, « Bestiaire libertin, bestiaire pornographique : quand l’animal se fait critère de mauvais goût », dans ibid, p. 315-327 et, du même auteur, « Le modèle érotique de l’animal », communication présentée lors du colloque L’Animal au croisement de la philosophie, de la littérature, des arts et des sciences à l’âge classique Miriam Speyer PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0003 52 défaut d’une libération des corps, que les codes interdisent, cette poésie animalière offre, pour le moins, une forme de libération de la parole. La mise en scène des animaux dans cette poésie de la seconde moitié du XVII e siècle répond pleinement aux exigences de l’esthétique galante. L’ennui et le « déjà-lu » étant rédhibitoires pour plaire au public mondain, le recours aux animaux familiers représente une nouvelle veine poétique - de la variété donc -, dont les auteurs vont explorer les possibles, tant du point de vue de l’inventio que du style et de la langue. La publication de ces pièces dans des recueils collectifs, où elles cohabitent avec les compositions les plus diverses, contribue finalement aussi à leur assimilation à la galanterie littéraire. Si une mise en série risque de les mener à la limite de l’obscène, leur dissémination participe, au contraire, au plaisir de la variété. ( XVI e - XVIII e siècles), ENS Lyon, 11-14 octobre 2010, p. 4-5. En ligne : http: / / ecolethema.ens-lyon.fr/ IMG/ pdf/ Article_Jolivet-2.pdf (consulté le 10 décembre 2018). PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 From Manuscript to Jesuit Relation in New France: The Case of the Torture and Death of Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant M ICAH T RUE (U NIVERSITY OF A LBERTA ) A particularly fascinating and oft-commented passage in the famous Jesuit Relations from New France recounts the violent torture and execution of two French missionaries to the Huron on March 16, 1649, Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant. 1 It tells how an invading group of Iroquois captured the two priests at the Huron village of Saint Louis, stripped them naked, tore out some of their fingernails, and led them to the nearby village of Saint Ignace, near Georgian Bay in what is now southern Ontario, Canada. There, Brébeuf and Lalemant reportedly were beaten with clubs all over their bodies as a prelude to even worse torments: a collar of red-hot axe heads that severely burned their upper bodies, a belt made of bark and filled with burning pitch and resin, and - in Brébeuf’s case - what is characterized in the text as mock baptism with boiling water. Finally, the Iroquois stripped flesh from the priests’ bodies to be roasted and eaten as they watched, and then removed and ate their still-beating hearts. The published description of this sensational incident, which was not witnessed by any Frenchmen and had to be reconstructed after the fact, has attracted considerable attention from scholars, who most often have scrutinized it - along with two related manuscript accounts - for what it reveals about the historical event itself. As this article will show, the textual record of the priests’ ordeal also provides a unique window into how the Jesuits’ annual Relations were composed in New France prior to being sent to Paris for 1 The groups that the Jesuits called the Huron and the Iroquois are increasingly referred to in ethnohistorical scholarship as the Wendat and the Haudenosaunee, respectively. I opt for the names used by the missionary authors to highlight their mediatory role. This is, after all, a study of French representations of an event in New France, not the event itself. Micah True PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 54 publication. Here I trace Brébeuf and Lalemant’s torture and death from manuscript to published text, focusing in particular on how material written by another Frenchman in the colony was borrowed, but also altered, for presentation to readers in Paris. The process by which the Relations were composed in New France has only been described in vague terms, almost always acknowledging that the mission superior who was charged with compiling each installment in the series did not write every word himself, but instead often excerpted or paraphrased letters and reports submitted by other Jesuits or their French collaborators in the colony. León Pouliot, for example, highlights cases in which the mission superior quoted from letters sent by far-flung priests and French colonists: “Il puise à pleines mains, dans sa correspondance, et il cite volontiers, faisant ainsi parvenir à nous d’incomparables documents” (21). Lawrence W. Wroth reports that even in the absence of such direct quotation, the Relations were based on “reports in the form of letters or journals, coming fresh from the field of action and composed under circumstances of the greatest difficulty” and that “The Canadian Superior...edited the original reports, removing portions here, altering the language there, and welding the several pieces before him into a concise and comprehensive story of the year’s mission in Canada” (117-118). And Sara Melzer writes that “Each report began with the priests in the field who would write up their experiences. These reports were then taken by summer canoe to the superior in Quebec, who could compile them. He could copy some verbatim, rewrite others, and then sent the whole package to the Jesuit headquarters in Paris” (83). Accurate though such accounts may be within their limits, it remains poorly understood how, exactly, the raw reports received from Jesuits and other Frenchmen scattered throughout the Canadian wilderness were adapted for use in the published annual Relation, particularly in cases where no source is cited. The torture and death of Brébeuf and Lalemant offers a unique glimpse of this process, because three surviving accounts of the event together show how material written by another resident of the colony made its way into the annual Relation compiled by mission superior Paul Ragueneau. 2 This leader’s initial understanding of what had happened to the two priests is reflected in a letter he wrote in Latin to the Jesuit General Vincent Carafa in Rome, dated May 1, 1649. A more detailed version of events can be found in a manuscript written by a French unpaid lay assistant to the Jesuits, or 2 All citations of the Jesuit Relations and manuscript sources are drawn from Lucien Campeau's Monumenta Novae Franciae. In keeping with common practice, this edition is abbreviated as MNF throughout this article. Reuben Gold Thwaites’ century-old Jesuit Relations and Allied Documents is here abbreviated as JR. Torture and Death of Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 55 donné, named Christophe Regnaut who lived and worked in the Huron mission at the time of Brébeuf’s and Lalemant’s deaths. 3 This report has survived in the form of a handwritten copy dated 1678, and although it cannot be said with any certainty when Regnaut’s account was first committed to paper, scholars who have considered the question have concluded that it - or at least the portion of it recounting the priests’ torture - most likely predates the initial composition of a third surviving version of the story, the published Relation for the years 1648 and 1649. 4 For example, Reuben Gold Thwaites concludes on the basis of the relatively unpolished style and urgent tone of the manuscript that “it was written not long after the event” (JR 34.237). Similarly, Guy Laflèche points out that Regnaut’s text is a personal and minutely detailed account of the donné’s attempt to gather all of the information he could about this ordeal, including participating in the excursion to recover the priests’ bodies and the examination of their wounds. The Relation, in contrast, reads more like a subsequent synthesis of the results of that process. And Laflèche adds that some of the facts in Regnaut’s account differ from Ragueneau’s two versions of the story, suggesting that the donné was not simply retelling a story he had read in the Relation (Laflèche 173). For example, Regnaut claims that the priests were first captured in the village of Saint Ignace, where they were tortured and killed, instead of in the nearby village of Saint Louis (MNF vol. 4.587-92 and 7.488). 5 All signs point, then, to Regnaut’s account being produced very soon after the priests’ demise, and independently of Ragueneau’s own efforts to describe it. Strikingly, the version of the story in the Relation does not merely repeat the same information presented in Ragueneau’s earlier letter to Rome, but also includes passages that closely echo Regnaut’s account, making it possible to identify clear instances in which the mission superior must have borrowed material from the donné’s manuscript as he prepared the version 3 Donnés pledged their service to the Jesuits in return for shelter and sustenance, but no pay, and assisted in a wide variety of mostly menial tasks: tending crops and livestock, caring for the sick, paddling canoes, procuring firewood, etc. For more on the work and life of these lay assistants and the sparse information that has surived about Regnaut himself, see Andréanne Vallée’s 2002 M.A. thesis. 4 For an analysis of the clues as to the dates on which the three accounts were composed, see Laflèche 173-174. 5 Similarly, Andréanne Vallée finds it reasonable to think that “Regnaut ait pris la plume...peu après le martyre des Père Brébeuf et Lalemant pour rédiger son récit” (145). Micah True PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 56 of the story that would be published. 6 Sometimes this amounts to verbatim repetition of sequences of words, as in the report in both accounts that Brébeuf continued to preach the faith while being beaten even though he was “accablé sous la pesanteur de ces coups” (MNF 7.489 and 592). Both also report that the Jesuits and their French associates went to retrieve the bodies of their slain brethren “Dez le lendemain matin que nous eûmes asseurance du départ de l’ennemy” (MNF 7.491 and 591). 7 In other cases, passages in the two texts vary by only a few words. The published Relation, for example, describes the greeting Brébeuf and Lalemant received upon their entry into the village of Saint Igance as “une gresle de coups de bastons sur leurs espaules, sur les reins, sur les jambes, sur l’estomac, sur le ventre et sur le visage, n’y ayant partie de leur corps qui n’eût dès lors enduré chacune son tourment” (MNF 7.592). Regnaut’s manuscript describes the same treatment in nearly identical terms: “une gresle de coups de baston sur les épaulles, sur les reins, sur le ventre, sur les jambes et sur le visage, n'ayant aucune partie de leurs corps qui n’ayt enduré ce tourment” (MNF 7.489). Coupled with the above-mentioned signs that Regnaut’s report was written before the Relation, such similarities in the two texts’ descriptions of events suggest strongly that Ragueneau enriched his initial account of the incident with material drawn from the donné’s manuscript as he was preparing the version of the story destined for readers in France. 8 But as the rest of this article will show, Ragueneau’s verbatim copying or close paraphrasing of language from Regnaut’s manuscript was not the full extent of his engagement with it. Instead, he sometimes adapted the material he borrowed in ways that can shed light on how the Relations’ role as texts destined for the French reading public shaped their contents. 6 Thwaites and Laflèche also conclude that the Relation drew material from Regnaut’s manuscript (JR 34.246 and Laflèche 173). 7 Although these phrases appear word-for-word in both texts, the spelling of some words varies slightly. Here I follow the language of the Relation. 8 It must be acknowledged that whatever Ragueneau wrote in New France could have been altered in Paris prior to publication, as sometimes occurred, and that any such changes in this case would be invisible to us due to the lack of a surviving manuscript version of the Relation. Still, since both Regnaut and Ragueneau were in the Huron mission when they composed their texts and there is no evidence of the donné’s account have been immediately sent to France, it seems reasonable to conclude that the superior himself was responsible for including the donné’s material. Any changes made subsequently in Paris do not undermine the point that the Relation both borrowed and altered material from manuscript sources in New France. On the editorial process that shaped the Relations in Paris, see chapter six of Micah True, Masters and Students. Torture and Death of Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 57 Indeed, although the torture and death of Brébeuf and Lalemant is well known and has been considered from a variety of perspectives, little attention has been paid to how the knowledge that the Relation was destined to reach readers in France may have influenced its portrayal of events. Whether reading Regnaut’s manuscript and the Relation to build an argument for or against the priests’ status as martyrs, or to show how their deaths likely meant different things to various witnesses and participants, scholars have tended to treat the two texts as overlapping collections of facts, alternate sources that generally confirm each other and add up to a richly detailed record of the incident. In many cases, this equivalence is never explicitly stated, but is rather implied through an absence of comment on the texts’ different purposes and narrative characteristics. 9 At least one scholar, however, has explicitly asserted a kind of likeness between them, claiming that Regnaut’s manuscript, like the annual Relations, was “directed to an audience that was offstage but centrally important to the appropriation of colonial space and people” including not only the Jesuits and other settlers in New France but also “readers in France, and ultimately ecclesiastics in Rome” (56). And yet, the texts are clearly different, one a manuscript written by a layman to document the facts of the priests’ demise as quickly and thoroughly as possible after the fact, and the other an official report intended from the beginning for publication. By the time Ragueneau assembled the installment for 1648-1649, the annual Relations from New France had been published in the French capital for a decade and a half, and no one involved in the text’s production, whether the mission superior in New France, editors in Paris, or the printer who typeset it, could have been ignorant of that fact that this version of the story was destined not only for internal use by the Jesuits, but also for the French reading public. I turn now to three key moments in the story of Brébeuf and Lalemant’s violent end - the hot axe-heads, the belt of burning pitch and resin, and the mock baptism with boiling water - each of which can illustrate a broader pattern in how the mission superior altered what he borrowed from Regnaut. The description of the collar of red-hot axe heads in the Relation departs from Ragueneau’s preliminary letter to closely echo Regnaut’s account, but 9 For just a few examples of scholarship from diverse points of view that reflect this tendency, see Donnelly’s and Latourelle’s essentially hagiographical biographies of Brébeuf (pages 265-286 and 211-214, respectively); Anderson’s fine article “Blood, Fire, and ‘Baptism,’” which explores Brébeuf’s death from the points of view of the French, the Iroquois, and Huron apostates who participated in it; and Carson’s provocatively titled article “Brébeuf Was Never Martyred,” which attempts to recover an indigenous perspective on the priest’s death. Micah True PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 58 omits the contextualizing information included by the donné. Whereas the mission superior’s letter to Rome reports only the essential characteristics of this form of torment - burning axe heads hung around the neck, and the excruciating pain they caused - Regnaut goes into much more detail, explaining what made this particular method of torture so difficult to endure: Car vous voyez un homme tout nud, lié à posteau, qui ayant ce collier au col ne seroit en quelle posture se mettre. Car s’il se penche sur le devant, celles de dessus les épaulles pèsent davantage. S’il se veut pencher en arrière, celles de son estomach luy font souffrir le mesme tourment. S’il se tient droit sans pencher de costé ny d’autre, les haches ardentes de feu, appliquées égallement des deux costez, luy donnent un double supplice (MNF 7.503 and 490). The published version of the story describes the difficulty of this particular torment in the same way, albeit in mostly different words: leaning forward caused the axe heads to burn the back and shoulders more acutely, leaning back caused more intense burning of the chest, and standing perfectly erect caused what both texts called the “double supplice” of being burned on both front and back simultaneously (MNF 7.593). The absence of this explanatory material from Ragueneau’s earlier letter and its point-by-point appearance in the Relation makes clear that the mission superior borrowed Regnaut’s description of what made this particular torment so terrible as he composed the version of the story that would be published. Tellingly, Ragueneau opted not to include the donné’s subsequent comments about how the instrument of torture was made. Wrote Regnaut, Voicy la façon que j’ay veu faire ce collier pour d’autres captifs. Ils font rougir six haches, prennent une grosse hart de bois vert, passent les six haches par le gros bout de la hart, prennent les deux bouts ensemble et puis le mettent au col du patient (MNF 7.490). This reference to previous uses of the collar alerts the reader to its precise construction, but also suggests that what the priest endured was not unique or unusual, and that it was instead normal behavior for indigenous groups venting their rage on captured enemies. The selective borrowing for use in the Relation of Regnaut’s description of the hot axe heads is not the only time Ragueneau chose not to include contextualizing information that Regnaut’s account made available. Ragueneau’s preliminary letter, for example, says nothing about the consumption of the priests’ hearts (MNF 7.504). Regnaut, in contrast, writes that: Torture and Death of Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 59 un autre de ces barbares, voyant que le bon Père alloit bientost mourir, luy fait une ouverture au-dessus de la poitrine et luy arrache le cœur, le fait rostir et le mange. D’autres vinrent boire son sang tout chaud, qu’ils beuvoient avec les deux mains, disant que le Père de Brébœuf avoit esté bien courageux à souffrir tant de mal qu’ils luy avoient fait et qu’en beuvant son sang ils deviendroient courageux comme luy (MNF 490-491). Regnaut’s reporting of the consumption of Brébeuf's heart and blood - devoid of any signs of shock, horror, or disgust - suggests that this was not seen as particularly novel behaviour, and indeed seems to attribute it to an indigenous belief that a slain enemy’s courage could be absorbed through ritual consumption of this body part. 10 Ragueneau includes this detail in the Relation - albeit without any mention of preliminary roasting and claiming that both priests’ hearts were eaten - but omits any hint of the alleged significance to the Iroquois of this particular action. Instead, the Relation attributes this behavior to a lack of religion, saying that the tormentors drew Lalemant’s and Brébeuf’s hearts from their bodies with a “main sacrilège” and fed on them “inhumainement” (MNF 7.594). Similarly absent from the Relation is anything resembling Regnaut’s concluding comment that the boiling water baptism - another instance of borrowing from the donné, as dicussed below - was an apparently novel form of torture: “j’ay veu faire le mesme traitement aux captifs iroquois que les sauvages hurons avoient pris en guerre, à la réserve de l’eau bouillante, que je n’ay point veu verser sur aucun” (MNF 7.491). Whereas Regnaut comments frequently on the relationship of Brébeuf’s suffering to pre-existing indigenous practices or beliefs, then, the published Relation does not, even in cases in which its contents are traceable to Regnaut’s manuscript. In the description of the torture by burning belt, it is not the context of indigenous practices that Ragueneau omitted while drawing material from Regnaut’s manuscript, but instead all indication of how this particular form of abuse fit chronologically with the other parts of the priests’ ordeal. Regnaut devotes two sentences to this particular torment, describing both the belt itself and Brébeuf’s simultaneous reaction to its use: Après cela, ils luy mirent une ceinture d’écorce toute pleine de poix et de raisine et y mirent le feu, qui grilla tout son corps. Pendant tous ces tourments, le Père Brébeuf souffrait comme un rocher insensible aux feux et aux flammes, qui estonnoient tous les bourreaux qui le tourmentaient (MNF 7.490). 10 As Laflèche points out, it is not clear that consumption of a courageous victim's heart was actually a common part of indigenous torture practices, as other parts of the body such as the head or liver were reportedly more prized (190 n23). Micah True PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 60 The published Relation goes well beyond the single-sentence description in Ragueneau’s preliminary letter (MNF 7.503), and echoes Regnaut’s language closely, testifying to the mission superior’s reliance on the donné’s manuscript. It also suggests that both priests were tortured in this way, not only Brébeuf: Ils leur mirent des ceintures d’escorce toute pleine de poix et de rasine, où ils mirent le feu qui grilla tout leurs corps. Dans le plus fort de ces tourments le Père Gabriel Lallement levoit les yeux au ciel, joignant les mains de fois à autres et jettant des soupirs à Dieu qu'il invoquoit à son secours. Le Père Jean de Brébeuf souffroit comme un rocher, insensible aux feux et aux flammes, sans pousser aucun cry et demeurant dans un profond silence qui estonnoit ses bourreaux mesmes (MNF 7.593). Whereas Regnaut specifies that this stage in Brébeuf’s suffering came “après cela” - cela referring to the hot axe heads that he had described just before - and indicates that the priest’s stoicism was simultaneous to it (“pendant que”), the Relation transitions abruptly from its description of the axe heads to the burning belt, and then begins a new paragraph with the chronologically vague observation that Brébeuf’s rock-like suffering came “dans le plus fort de ces tourments.” Lost in Ragueneau’s adaptation of Regnaut’s description of this torment and the priest’s reaction to it are the clear indications of chronology and simultaneity that make explicit when the various events reported in this portion of the text - the axe heads, the burning belt, and Brébeuf’s stony suffering - occurred in relation to each other. Regnaut’s insistence on chronological clarity in this instance is symptomatic of the rest of his account. Indeed, the second sentence of the manuscript starts the clock in an unambiguous way: “Ce fut le seizième jour de mars au matin que nous apperceûmes un grand feu au lieu où estoient allés ces deux bons pères” (MNF 7.488). The description of the ensuing ordeal ends with Brébeuf’s death, which is marked precisely in the text at the moment it occurs, “le mesme jour de sa prise, sur les quatres heures du soir” (MNF 7.491). Regnaut specifies that his mission to recover the bodies took place “le lendemain matin,” that he examined their remains for more than two hours, and that they were buried on March 21 st , a Sunday (MNF 7.491). In between these chronological precisions that bookend Regnaut’s account, the details of Brébeuf’s suffering are also presented in sequence, and without any advance hint of torments to come. This linear approach to recounting the event is marked in the text by repeated use of transitional expressions linked to the passage of time. Après cela appears twice in addition to the example cited above, including as a transition between the Torture and Death of Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 61 mock baptism and the axe heads. And expressions indicating simultaneity - pendant que and pendant - are also prevalent. In short, Regnaut’s text shows consistent care to signal how the various stages of priests’ ordeal unfolded in relation to each other (MNF 7.488-490). In the published Relation, in contrast, Ragueneau seems to have intentionally avoided giving a chronological account of the priests’ torture and death, in at least two ways. First, instead of preserving the order of events as presented in his preliminary letter and confirmed by Regnaut’s manuscript - mock baptism with boiling water first, axe heads second, and then the burning belt - the version of the story in the Relation first tells of the hot axe heads, then the burning belt, and finally the mock baptism, without acknowledging this change in any way. And there are also moments when the text makes clear that events are being recounted out of order, such as the flashback to Brébeuf and Lalemant’s prayers and joy at the very beginning of the torture, at the prospect of their impending death and ascent to heaven, that the Relation inserts between the boiling water baptism and the removal of priests’ hearts (MNF 7.594). 11 Second, Ragueneau’s account in the Relation, unlike Regnaut’s manuscript, sometimes explicitly announces key events in the story before they arrive in the narration. The published version of the story, for example, signals the outcome of the priests’ ordeal before it has even begun to tell the story: “ayant eu...des nouvelles certaines par quelques captifs eschapez de la mort du Père Jean de Brébeuf et du Père Gabriel Lallement, nous envoyames un de nos Pères et sept autres François chercher leurs corps au lieu de leur supplice” (MNF 7.591-592). And the eventual removal of Brébeuf’s heart is likewise announced ahead of time, when Ragueneau writes that even though his lips had been removed, Brébeuf, “son cœur n’estant pas encore arraché” (MNF 7.593), continued to praise God and motivate the Christians around him. Perhaps not surprisingly, in light of this apparently deliberate choice to tell the story out of order, Ragueneau omits entirely the clear indications of chronological order - après cela and pendant - that Regnaut used repeatedly in describing the mock baptism, the axe heads, and the burning belt. And it is not until after telling most of the story that Ragueneau specifies the dates and times of the priests’ capture and death, 11 For another example, see the series of attacks that are related at the end of Ragueneau’s account in the pluperfect tense, indicating that they had occurred some unspecified time prior to the most recently related events, the roasting and eating of the priests’ flesh before their very eyes: “ils avaient fourré dans ces playes des haches toutes en feu. Le Père Jean de Brébeuf avait eu la peau arrachée qui couvre le crâne de la teste. Il lui avoient coupé les pieds,” etc. (MNF 7.594). Micah True PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 62 all at once instead of at the corresponding moments in the story, as Regnaut had done (MNF 7.594). Finally, the description of Brébeuf’s mock baptism with boiling water in the published Relation goes beyond the brief mention of the incident in Ragueneau’s first epistolary account, and echoes Regnaut’s treatment of this torture except for the donné's scrupulous notation of the source of his information. Ragueneau’s initial letter reports only that boiling water was thrice poured over Brébeuf’s body (MNF 7.503). Regnaut offers considerably more detail, most notably by quoting the priest’s tormentor. This Huron renégat reportedly reminded the priest of his own claim that baptism was necessary for access to heaven, and tauntingly claimed to be sending him there with this form of torture (MNF 7.489-490). Aside from its mention of multiple torturers instead of just one and the different words attributed to them, the version of this incident in Ragueneau’s Relation strongly resembles that in Regnaut’s manuscript in that Brébeuf’s tormentors express the same mocking sentiments in both texts (MNF 7.593-594). And the fact that both texts specify that this particular torment was done “en dérision du sainct baptemse” and was accompanied by “railleries piquantes” (MNF 7.490 and 593) seems to confirm the influence of the donné’s manuscript on the published Relation. One notable difference between the two texts in this instance, however, is that the donné introduces the episode by saying “Ils nous dirent encore” (MNF 7.489), in reference to a group of Hurons who had escaped the Iroquois and fled to safety among the French, whereas the Relation makes no mention of how this specific piece of information was obtained. This omission from the Relation is but one example among many of how Regnaut’s care to make clear at all times how he knew each particular detail gives way in the published text to fleeting and vague acknowledgment of sources. Regnaut begins the story of Brébeuf’s torture, for example, by crediting his indigenous sources: “Voicy ce que nous dirent ces sauvages de la prise du bourg de Saint-Ignace et des Pères Jean de Brébœuf et Gabriel L’Allemant” (MNF 7.489), and ends in similar terms: “Voilà ce que nous avons appris du martyre et de la bienheureuse mort du Père Jean de Brébœuf par plusieurs chrétiens sauvages dignes de foy” (MNF 7.491). 12 Regnaut’s text is also peppered with instances of nous and je that record what the donné and his countrymen saw with their own eyes, both from the safety of the nearby Jesuit settlement of Sainte Marie and upon visiting the site of Brébeuf’s death. The manuscript’s first paragraph alone, consisting of seven sentences, has twelve instances of notre and nous, foregrounding from 12 This non-standard spelling of Brébeuf’s name is Regnaut’s. Torture and Death of Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 63 the very start the role of the French in gathering information about the priests’ violent death. Similarly, the manuscript’s description of Brébeuf’s torments concludes with a series of sentences detailing the damage done to his body that use the same phrase eight times: J’ay vu et touché la plaie d’une ceinture d’écorce toute plaine de poix et de raisine...J’ay vu et touché les brûleures du colier de haches qu’on luy mist sur les épaulles et sur l’estomach...J’ay vu et touché ses deux lèvres qu’on luy avoit couppées à cause qu’il parloit toujours de Dieu, etc. (MNF 7.491-92). The Relation, in contrast, recounts Brébeuf’s ordeal itself strictly in the third person and is silent on sources except for a single vague mention at the end of “personnes dignes de foy, qui l’ont veu et me l’ont rapporté à moy mesme” (MNF 7.595). Even in cases like the mock baptism, in which content and language in the Relation seems to have been taken directly from Regnaut’s manuscript, it appears that care was taken to eliminate acknowledgment the donné’s sources, whether indigenous witnesses or Frenchmen who examined the priests’ remains after the fact. One pattern that links these three ways the published text borrows but also alters material from the manuscript source is that they systematically draw the reader of the Relation closer to the action, as if Ragueneau were attempting to tell the story in as affecting a way as possible. First, the absence of any contextualizing comments about other, previous instances of the same torments - the hot axe heads, the consumption of Brébeuf’s blood and heart, the originality of the mock baptism - draws the reader’s attention squarely to the event being described, providing no opportunity to consider it in relation to typical indigenous behavior toward captives. Then, the choice to tell the story non-chronologically instead of maintaining the order used in the initial letter to Rome and confirmed in Regnaut’s manuscript adds suspense, announcing Brébeuf’s violent death and then building slowly to it by alternating scenes of brutal torture with quieter moments and creating the sense that the torture was building to a peak, the mock baptism with boiling water, even when it is necessary to report events out of order to do so. And finally, the absence of references to sources, whether Huron survivors or the nous of the French, eliminates the impression of distance created by Regnaut’s constant insistence on his own knowledge, which reminds readers at every turn that their own access to events comes only through the intermediary of a third party. To the common scholarly observation, discussed earlier, that the mission superior drew material from others’ writings while compiling the annual Relation, it can now be added that this was not a simple matter of stiching individual reports together and smoothing out rough edges to create a maximally informative and coherent Micah True PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 64 narrative. To judge from Ragueneau’s use of Regnaut’s manucript, it appears that the mission superior’s use of others’ writings also involved making writerly choices that would enhance readers’ experience of the material, even when the changes that resulted from such an approach caused a loss of context, chronological precision, and clarity around how particular facts were known. Indeed, I would like to suggest that the differences between the Regnaut’s and Ragueneau’s accounts of Brébeuf and Lalemant’s demise are less a matter of the facts they report or the arguments they make than of the calibration of the story for maximum affective impact on readers. The two versions of the story are very similar in their broad strokes, and the differences between them noted above concern relatively minor points such as whether both priests were tormented in a given way or only one, the number of indigenous participants in particular acts of violence, etc. 13 Nor are the differences in the arguments advanced on the basis of those facts particularly striking, as both Regnaut’s manuscript and Ragueneau’s Relation clearly seek to make the case for the priests’ status as martyrs. Of the coveted title of martyr, for example, the author of the published Relation writes that “Je les appelerois volontiers, s’il m’estoit permis, de ce nom glorieux,” and attributes the violent actions of the Iroquois to “la haine de la foy et le mespris du nom de Dieu” and their irritation and indignation at the priests’ zeal while suffering (MNF 7.592-93). And Regnaut also explicitly refers to the ordeal as martyrdom (martyre) (MNF 7.488 and 491) and insists on the hatred of the faith that allegedly motivated the Iroquois, who were “indignez contre luy de ce qu’il leur parloit toujours de Dieu et de leur conversion” and poured boiling water over Brébeuf’s body “en dérision du saint baptesme” (MNF 7.490). Whatever differences may exist in the details recounted in the two texts and how each of them makes the argument that the priests were martyred, a more glaring difference, as this article has shown, is that at every turn Ragueneau took care in his Relation to frame the story to be as engaging as possible to its readers in France, even when copying material directly from Regnaut’s more matter-of-fact manuscript. In addition to providing a rare glimpse of how the raw material of encounter was transformed into a text for the French reading public, this analysis points the way to a promising and so far little-explored approach to the famous Jesuit Relations, one that would account not only for how they transmit facts or opinions about actual events in New France, but also for how they specifically seek to engage readers on an emotional level. It has 13 More detailed comparisons of the facts recounted in each text can be found in Vallée 168-184 and Laflèche 171-204. Torture and Death of Jean de Brébeuf and Gabriel Lalemant PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 65 perhaps not been sufficiently appreciated - both in this particular case and more generally - that the famous Jesuit Relations from New France were written not only to record information or to frame it in such a way as to support a particular point of view, but also to induce a reaction in readers, an affective response that could fan the flames of faith in the context of the Catholic Reformation and its concern with shoring up French Catholicism and combating the threats posed by various forms of otherness (Melzer 78- 80). 14 Indeed, descriptions in the texts of the actual or anticipated reactions of readers in France to events in the colony frequently testify to this purpose by using the language of emotion, as if to signal that the Jesuits understood that their words were appealing to readers not, or not only, for what they made them know, but also for how they made them feel. To cite only a few examples, the first chapter of the 1636 Relation is entitled “Des sentiments d’affection qu’ont plusieurs personnes de mérite pour la Nouvelle-France” (MNF 3.190). French attitudes toward New France are also more than once described as burning zeal, as in the following year’s report that “la France estoit en feu pour nous” (MNF 3. 524). And Ragueneau’s own preliminary letter to the Jesuit provincial at the beginning of the Relation for 1647-48 expresses his aspiration that it be received by at least one well-placed reader as a source of comfort after so much difficult news from the mission in recent years: “J’espère que Vostre Révérence aura de la consolation en lisant cette Relation” (MNF 7.367). 15 Such comments highlighting the actual or anticipated emotional response of readers reveal an intriguing gap between how scholars have tended to understand the Relations, as a rich repository of facts framed rhetorically to advance the Jesuits' own arguments, 16 and how the missionary authors themselves sometimes characterized the texts, not as mere vehicles for data, but as emotionally charged testimony that could and did provoke feelings in readers. Works Cited Anderson, Emma. “Blood, Fire, and ‘Baptism’: Three Perspectives on the Death of Jean De Brébeuf, Seventeenth-Century Jesuit ‘Martyr’”. In Native Americans, Christianity, and the Reshaping of the American Religious Landscape, eds. Martin, 14 Léon Pouliot, himself a Jesuit, insists on the contrary that “ce n’était pas une composition, destinée, coûte que coûte, à émouvoir” (20). Marie-Christine Pioffet, on the other hand, observes a perspective of “engagement passionnel” in the way the Relations are narrated, but regrettably does not elaborate (62). 15 See also MNF 3.307 and 5.737. 16 See, for just a few prominent examples, Greer 1, Beaulieu 19, and Delâge 48. Micah True PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0004 66 Joel W. and Mark A. Nicholas. 125-158. Chapel Hill: University of North Carolina Press, 2010. Beaulieu, Alain. Convertir les Fils de Caïn: Jésuites et Amérindiens Nomades en Nouvelle-France, 1632-1642. Montréal: Nuit Blanche Editeur, 1990. Campeau, Lucien, ed. Monumenta Novae Franciae. 9 vols. Rome: Monumenta Hist. Soc. Jesu, 1967-2003. 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PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI J OHN P HILLIPS (G LEN C OVE , NY) Mémoires 1 III-VI 2 are La Rochefoucauld’s 3 narration of many of the events of the Fronde from after the Paix de Rueil, April 1649, until Condé’s departure from Paris to join the Spanish in October 1652. Lar. was himself a significant participant in many of these events although he never acknowledges it. The work in large part is a defense of C., and although many of his weaknesses, limitations, mistakes and confusions are not concealed, his rebellion is presented as essentially caused by his entirely unexpected, and according to the text, entirely unjustified imprisonment by Mazarin and Anne. This paper is not a defense of C. and is not intended to be an analysis of what the historical C. said and did, nor is it a consideration of whether Lar.’s version is the best or most accurate one. It is rather an attempt to show that Lar. presented C.’s rebellion as consistent with many earlier noble rebellions against the État. For this it will be helpful to utilise a pattern of noble rebellions between 1562 and 1661 as analysed by A. Jouanna in Le Devoir de révolte 4 , especially her consideration of these 1 This paper would not have been possible without the contributions of Georgette S. Kagan. 2 All citations are from the Pléiade edition. For Mémoires I-II see Phillips 2012. 3 In order to save space the following abbreviations are used: C.=Condé, Lar.=La Rochefoucauld, M.=Mazarin. 4 In her study Jouanna (1989) (9) cites as motives frequently claimed by révoltés during the period 1559-1661: (a) a defense of the grandeur of their lignage; (b) a souci de l’honneur; (c) the lutte to gain the faveur royale necessary to maintain a large clientèle; and (d) a desire to protect the privileges of their ordre. The nobles were generally not motivated by unrestrained selfishness and Machiavellan cynicism. They often claimed their actions were on behalf of the bien publique, which indicated they thought the new form of government, l’absolutisme, severely disturbed the French tradition. In acting thus (10) they thought they were John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 68 events in the 17 th century. Her analysis is supported by the work of K. Béguin, cited below. In Jouanna’s analysis the evolution of the État toward a more “absolute” centralised form posed a significant threat to the nobility, whose condition was simultaneously changing. The Grands, an integral part of the État, had certain essential material and emotional needs upon which their identity, and in their view, their very existence rested. The basis for the satisfaction of these needs could only be a predictable sécurité, a stability in the monarchy which would allow them to maintain and enhance their honneur, their grandeur and their lignage, as well as their clientèles, by having an adult roi provide a steady flow of bienfaits, etc. in return for their services to the État 5 . The greatest threat 6 to the nobility came from a monarch who was too weak to provide for their sécurité or to prevent the monopolising of royal faveurs by a favori, a situation common during a regency. This royal weakness led to fierce, savage fighting among the rival noble families (for example, the Condé-Vendôme rivalry) to maintain the grandeur of their lignages, since royal weakness deprived them of the stability essential for their status, prestige and power 7 . Because the number of places fortes, gouvernements, charges etc. necessary for political survival was limited, during threatening times nobles felt the need to resort to fulfilling a devoir, expressing political opposition, which might involve violence and even alliances with l'étranger, and in part they were brought to this way of thinking because of the absence of institutions to address their concerns. By the later 17 th century (236-237) it is not the case that the revolts have no ideological content but that, unlike the earlier 17 th century revolts, the old themes (e.g. le bien public) are less emphatic and occur mostly among the noblesse moyenne. The Grands were primarily concerned with the grandeur de leur lignage, and they were also moved by a sense of honneur blessée, the feeling that they were hurt in their dignité personnelle and thus feared losing the estime collective d'autrui which very much affected their sentiment intérieur de valeur plus que commun. All this was experienced by them as a real souffrance. The nobles' needs (222) were emotional, political and material and could only be met by a strong adult roi, who alone could assure their lignages, clientèles, and identity. When these reassurances failed, during a regency for example, they often felt the need to revolt so as to secure themselves against insecurité, as this was a way to regain royal support. For a similar analysis see for example Pernot, 46-48, 60-62, 137-139, 144. 5 And it was necessary (Jouanna (1989) 222) for the familles of the Grands to display their grandeur. 6 See Jouanna (1989) 390. 7 Pillorget, 471-472, describes the rivalry among the three Bourbon clans “comme une meute de loups avides”. Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 69 violence to eliminate rivals 8 . Thus at certain times driven by this lack of sécurité (as well as by other motives) some powerful nobles rebelled against the État, which because it was in the weakened form of a regency, was compelled to reassure them and alleviate their insecurity by conceding to them various, sometimes extraordinary, bienfaits and powers in order to reintegrate them so that the État could function, thereby sometimes weakening the État even further. Insecurity therefore 9 was a much more important motivation for the Grands than égoïsme or avidité, however outrageous their égoïsme or avidité appeared to be or in fact was. This paper will examine how this pattern applied to C. In contrast to the analyses of Jouanna and Béguin, some commentators on the Fronde have seen the participants as primarily motivated by selfish interests; thus this paper will also briefly look at the way in which Lar. presented the motivations, the intérêts, the goals etc. of those deciding whether or not to join C. When Louis XIV ultimately fully assumed his role he succeeded in part because he gave the nobility the sécurité it needed, he had no favori to monopolise bienfaits and he was firm in his devoir d’arbitrage 10 . Hence 11 C.'s willingness after 1660 to return to his place in the nobility and to obey the crown 12 . 8 See Jouanna (2014) 125-126 for the great difficulties facing nobles trying to get and keep royal favors. In revolting one had to avoid two difficulties. A too violent break could lead to the loss of clients; a too timid break could lead to not getting sufficient rewards. This accounts in part for the alternations of rebellion and submission. 9 See Jouanna (1989) 220. 10 For M. not acting as a neutral arbitre see Pernot, 130-131, 149 and 310, where the absence of such a figure plays a part in the fatal duel between Beaufort and Nemours in their quarrel over préséance. 11 See Jouanna (1989) 244. 12 Jean Lafond in the Préface to his edition (2006) of Lar.’s Mémoires I-VI presents an analysis similar to Jouanna’s analysis of the general situation of the nobility in relation to the État during this period. He agrees that the nobles at times needed to revolt in order to be récompensés so as to have their identities and their societal position validated. He agrees with the thesis of this paper that C. is central to books III-VI but he does not say that C.’s actions are presented as almost exclusively motivated by the typical noble anxiety about sécurité, an anxiety in C.’s case exacerbated by M.’s decision to imprison him. So Lafond is led to misinterpret certain actions, for example C.’s refusal, on the very last page, of M.’s final offer, passed on through Langlade, even though it was exactly what C. had demanded. Lafond says that Lar.’s statement that C.’s destinée led him to leave France is Lar.’s way of explaining (as he says the word fortune is used in the Maximes) something which is not rational and so can not be understood and articulated. But leaving aside whatever Lar. meant by destinée, in that same last section Lar. states explicitly that C. rejected this offer because it was not clear whether M. honestly John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 70 Jouanna traces 13 these threats to noble sécurité, all of which were prominent just before the Fronde, from the reign of Henri II to that of Louis XIV. There were approximately a dozen noble revolts against the État between 1610 and 1661, during some of which participants in the Fronde or members of their immediate families (e.g., C. père and Gaston) played a significant part. After Henri IV’s assassination, a child Louis XIII became roi under a weak régente, Marie de Médicis, who had favoris (Concini, Galigai) who monopolised royal faveurs and amassed great wealth and power. Louis XIII once legally roi authorised the assassination of Concini but had his own favoris, Luynes and later Cinq-Mars, both of whom also monopolised royal faveurs. When Richelieu was Louis XIII’s principal ministre he too accumulated many royal bienfaits and both he and Louis XIII carried out a number of spectacular noble executions which were obviously unsettling for the nobility 14 . There was hope for stability when Louis XIV was born (1638) but it did not last long since Louis XIII died in 1643 15 . The events considered here take place during Anne’s regency for a minor Louis XIV and with a non-French, hated and mistrusted principal minister, M. The Paix de Rueil had ended hostilities, which had come to a head in 1648, between the Cour and the Parlement and the other sovereign courts. Because the État was at war with Spain it was in constant need of money, had already used up current and future tax revenues, and was continually looking for new ways to raise money. Fiscal measures, enacted in 1648 and earlier, and found threatening by the Parlement and the other courts, unintentionally unified these courts and led to a revolt of the judges and their passing declarations limiting royal authority, which Anne and M. were forced to accept though only temporarily 16 . Anne and M. used the celebration of C.’s signal victory over the Spanish in August 1648 to arrest several of the judges who had led the revolt, which in turn caused a revolt of the Parisians and their raising of barricades throughout the city. The wanted to make a deal so he could return to France, or whether he was seeking some avantage in appearing to want peace. In other words C.’s doubt here about M.’s intentions and trustworthiness had been amply demonstrated, from the end (if not the beginning) of III, where C. was liberated, down to the very last page. 13 Jouanna (1989) 212 ff. 14 See Jouanna (2014) 94. 15 Note that Anne and M. themselves are quite generous in giving bienfaits to their opponents when they are in weak positions, after the Paix de Rueil (Kossmann 115-116) and after the arrest of C. (Kossmann 149-150). See also Pernot, 161, 170, 174, 175. 16 Pillorget, 486, says that in effect the Parlement claimed for itself “le pouvoir législatif et le contrôle de l’exécutif.” Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 71 Cour was forced to back down but in January 1649 key members of the Cour fled Paris, and a blocade and military operations led by C. were begun against Paris. A complete military defeat of the city was not possible nor desirable and when Spanish troops neared Paris in March 1649 a peace was agreed to, but the Cour did not return to Paris until August 1649, when Mémoires III-VI begin. The situation was very tense. The power relations between the regency (Anne and M.), the Parlement, and C., Gaston, their clientèles and others had been disrupted. The Cour had ceded power it would inevitably have to take back, and M., already widely hated, became even more unpopular especially, but not only, because he was held responsible for the Parisians’ sufferings during the blocade. C., although also held responsible for the blocade, was a Prince du Sang, and though young, fabulously successful and at the height of his gloire because of his extraordinary military victories on behalf of the État. This enhanced his already considerable power in the État and allowed him to increase his demands on the weakened regency and on M. for what he thought was his due recompense for his own achievements and for those of his gens de guerre 17 . The pattern discussed by Jouanna can usefully be applied here but with one significant alteration. Whereas in her model the noble rebellion or plans for rebellion against the État occured first, after which the État acted and at times arrested the nobles (an example would be C.'s father), here we have a reversal: it was only after the État was forced to liberate the arrested C. and the other Princes that C. found himself in a position resembling that of the earlier actually rebellious nobles, namely, forced to consider rebellion against the État. C. was imprisoned before he rebelled and in fact nowhere does Lar. indicate he was considering rebellion 18 . The typical noble anxiety about sécurité was for C. exacerbated by having had his actual sécurité violently and unexpectedly taken away from him before he had rebelled. He is presented in III as never explicitly desiring or planning to revolt before his arrest despite his increasingly aggressive demands on the Crown and his open hatred of and contempt for M. Nor is he shown to have similar hostile feelings toward Anne, toward Louis XIV or toward the État. In fact he had lent the État money, he had fought for Anne, for M., for Louis XIV against 17 For many instances of C.’s unhappiness with M.’s failure to adequately reward his gens du guerre see Pujo, 75, 79, 88-89, 96, 123-124, 129, 137, 156, 189. 18 See Kossmann 198: “Condé…tout en voyant combien la situation devenait dangereuse pour lui…ne faisait rien pour éviter les complications auxquelles il pouvait s’attendre. Il ne se préparait surement pas à la guerre civile. Tous ses contemporains s’étonnent de ses imprudences et de ses brusqueries, mais ils savent qu’il ne désirait aucunement une lutte à la main armée.” John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 72 the Parisian rebels, including members of his own family, and he was largely responsible for “saving” the État 19 . Perhaps M. anticipated that C. was going to rebel but he then acted before any rebellion and so in effect “altered” the pattern analysed by Jouanna. In Lar.’s narration this forced C. (IV 131-152, V 153-154) to conclude that rebellion was the only way to reestablish his sécurité, since after his arrest he could no longer reasonably trust M., nor Anne either, for her highest priority, to protect the kingdom for her son, required her to keep M. in the government. Earlier in French history other nobles anxious about their sécurité, revolted and were reconcilied to the État, reassured by the rewards they received, but C. after his arrest could never be sufficiently reassured about his sécurité while M. continued to have power. C. was arrested before any rebellion and this is why Lar. stresses C.’s innocence and why in part C., after he was liberated, was so continually uncertain about what to do. It was only after much hesitation and uncertainty, and after learning of several apparent attempts to rearrest or kill him, that he finally broke with the État (V 154-176, VI 177-213) by not attending the king’s majorité; he was then in the position of rebelling against an adult king and so was open to the charge of lèse-majesté. In deciding whether he had to go to war against the État, the question of which nobles had the motives, the intérêts and the goals to ally with him became much more complicated, as allies would also be in revolt against a legally recognised king. Because C. had this course of action forced on him and had not himself planned or wished for it, those considering joining or staying with him saw C. as a person who could not seem to make up his mind, so deeply had his imprisonment unsettled him. He was so unsettled by this loss of sécurité that it contributed (in IV-VI) to a situation where he could not always discern his own véritables intérêts and where the confused and complex motives, intérêts and goals of those around him, including members of his own family, could not easily be unravelled and clarified. After much hesitation he ultimately chose rebellion, and reluctantly went to war, where he was defeated and had to go into exile. The situation was no longer what it had been for earlier nobles, such as C. père, because the political and structural nature of the État had been so changed by Richelieu and M. that rebellion was no longer an effective noble strategy 20 . 19 See Pernot, 150, for C. as the “sauveur de la régence”. 20 Béguin’s analysis of the Condé family supplements and reinforces Jouann’'s analysis. Condé Père, a ready rebel, was imprisoned after what was his last rebellion and then became the bras armé of the État against subsequent revolts because he had been richly recompensed by Richelieu (Daniel Roche, Béguin, 10). In this way the family had become quite rich and powerful and the victories of Enghien brought the maison to an unprecedented height. In addition the family Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 73 To support this analysis of books III-VI, without discussing its at times bewildering number of elements, it is useful to divide III-VI into three parts. The first part A (III.90-130) narrates the events from the return of the Cour to Paris in 1649 to C.’s arrest in January 1650. C. was more and more aggressively contemptuous of M., and though it was clear he hated him, he exhibited no explicit intention to revolt against or overthrow the government. M. and Anne, having decided finally that C., Conti and Longueville were too dangerous, imprisoned them in January 1650 but soon were forced to liberate them (February 1651). The second part B (IV.131-152 to V.153-154) depicts the events from the liberation of the princes to Louis XIV’s majority (September 1651) which C. did not attend. The third part C (V.154-176 to VI.177-213) depicts C., now in revolt, wavering between war and peace, but ultimately choosing what seemed his only option, war. Unable to win sufficient military or political support, he left France, defeated, to join France’s enemies, the Spanish. Part A, Book III (90-130), in setting the scene for IV-VI, prepares the reader to understand how and why C. acted the way he did in the later recuperated the substantial Montmorency clientèle (54-57). C. was then in the typical role of the (de facto) leader of the most powerful important noble family, but unlike his father, who prioritized increasing the family wealth (89-90), C.’s highest value was honneur, which meant he was especially concerned about rewarding and protecting (sometimes against la justice royale) his gens de guerre (74). C. therefore had somewhat contradictory obligations, to his clientèle and to the État. When the Fronde began he was the protector of royal power but he also defended the rebellious parlement in Guyenne and opposed its governor D’Épernon (79-80). He protected his people even when they were duellists or libertins, but without exception all had to servir le pouvoir (81-84). When Anne and M. refused C. the recompense he thought his people had earned after his victories, it placed him in an impasse revealed by the Fronde, namely that he could not be both the patron des siens and the soutien de la régence (86). And the tensions between C. and M. were those typical of situations where a favori or ministre tout puissant intruded into areas reserved for the grande aristocratie (110). The Condé family by their enrichissement, their élévation, their place in the Conseil du Roi, etc., were on the side of the ordre établi and collaborated in maintaining it, while M., because needing to elevate his own lignage, had to upset the expected division des bienfaits. Therefore M. could not use the strongest families to do this but needed to ally with those who were out of power (i.e. les Vendôme, les Elbœuf, etc.) and who were opponents of les Condé. The position of les Condé was based on unfailing loyalty to its amis, clients, confédérés, etc. and les Condé assumed they were entitled to recompense for them, but M. could not grant this without compromising his own plans (111). John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 74 books 21 . One sees the honnête, naïve, etc. but flawed C. systematically and coldly deceived and manipulated by the dishonest scheming M., who was so aveuglé by his arrogance he arrested the three Princes and even claimed for himself the military gloire for defeating Turenne 22 . By the end of III, M.’s aveuglement prevented him from seeing how he had turned so many against him that he was forced to liberate the Princes and go into exile. It ends with C.’s liberation and a very emphatic statement of C.’s innocence and his mérite along with a denunciation of the unprecedented nature of the injustice of Anne and M. imprisoning him. It had opened with C.’s expectations for what he had come to believe he had justly earned and deserved for having “saved” Louis XIV, Anne, M., and the État during the events of 1648-49. Part A (III) itself can reasonably be divided into three sections. The first (90-105) narrates events from the Cour’s return to Paris after the Paix de Rueil to the arrest of the Princes. The second (105-120) narrates Lar.’s escape from Paris, the war in Bordeaux and the end of that war. The third (120-130) narrates the military manoeuvres around Paris, the transfer of the Princes to Le Havre, the Frondeurs’ abandonment of M., his victory at Rethel, the release of the Princes and M.’s exile. These second and third parts therefore will only be considered in passing. The first section (90- 105), most relevant to the analysis presented here, opens with C.’s concerns about whether he would be fairly rewarded (90) with what he believed he deserved for helping the Cour in 1648-49. His estimate of what he was owed was reinforced by (90-91) M.’s promises and Anne’s statement that he had reestablished the Roi’s authority by keeping his word in providing exemplary, incalculably valuable services. These statements to C., who was universally recognized as not by nature easily satisfied 23 , to say the very least, increased his sense of what he was owed 24 . Because (91) he hated and despised M. he continually opposed him and (characteristically) mercilessly 21 Book III alone might also be viewed in part as a conventional morality tale wherein M.’s hybris led to his near “destruction”, his exile at the end of III. 22 Whose defeat, according to Lar., was really due to Deliponty’s failure (III 121- 122). 23 See Kossmann 196: “L'ambition de Condé, si démesurée qu’elle fut, était une donne tout à fait fixée et stable dont personne n’ignorait le caractère…Mais ce qui manquait complètement à C. c’était une politique. Il voulait du pouvoir, de l’argent, du prestige, mais ne savait que faire de toutes ces richesses. Il demandait et exigeait hautement toute sorte de grâces, mais il n’avait nulle envie de donner une base solide à un pouvoir toujours très discuté…nous verrons Mazarin se servir de la maladdresse du prince et l’entraîner dans une guerre qu’il n’avait pas cherchée…” 24 From 1619 on the Condé family had followed a politique of collaborating with the men in power, hence his support of Anne and M. See Jouanna (1989) 242. Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 75 mocked him 25 , thought him unworthy of his position, and expressed regret at having saved him 26 . Necessarily, like all nobles, he was exceptionally attentive to anything having to do with his reputation and he feared M. wanted to transfer all the haine des peuples, directed against M. (91) because of the siege of Paris, onto him; therefore C. needed to recover the people’s positive opinion, which he lost when he saved M. from exile. Remembering the crainte and abattement M. had displayed during the désordres, he wanted to maintain M. in this position of dependence while hoping to oust him from Anne’s favor and gain this for himself. To achieve this (91-93) he first reconciled with the Frondeurs. His relations with his family had broken down (his brother and sister had rebelled while he protected the roi and M.), and to reconcile with them he broke publicly with M., but he soon reconciled with M. and as a result the Frondeurs publicly denounced him. Persuaded by his sister that it was inimical to the C. family’s intérêts, he suddenly and duplicitously opposed what he had previously condoned, the Mercœur-Mancini marriage, an important event in the Condé-Vendôme family rivalry but, equally, a crucial, reasonable and necessary attempt by M. to solidify his own situation in France through marriage to a Bourbon. This convinced M. it was time to throw off C.’s joug in order not to remain dependent on him and not to have to honor the rewards promised for C.’s services. M. had decided to se venger. M. (93-94) had already begun to forget his obligations to C. and to remember his mécontentements. Under the guise of reconciliation he constantly tried to take advantage of C.’s confiance. Knowing C. wanted him to be afraid, he played along in order both to prevent C. from resorting to violence and to further his projet of depriving C. of his liberté. He spoke of abandoning government affairs and leaving France, he dishonestly offered not only C., but his amis, la carte blanche in regard to the distribution of governments, provinces, etc., and he even informed them about the realm’s finances, all of which was meant to éblouir C. Everyone wanted to maintain in office this weak and dependent minister 27 . After the cancellation of the Mercœur-Mancini marriage, which was crucial for solidifying his position, and after his decision to se venger (96), M. carefully set out to remove all the obstacles to imprisoning C. He 25 Pillorget, 510, claims that C. had a “caractère execrable”. 26 C. saw M. as simply another Concini (Jouanna (1989) 243). 27 This appears to be part of the reason C. asked for the avantages de rang for Lar., i.e. the tabouret, etc., already granted to some. M., since he had no intention of granting these things, used the assemblée de noblesse to oppose this grant, and preferred taking back the honors he had granted other nobles rather than supporting what he had promised C. John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 76 invented a crime imaginaire (97) to separate Gaston from C., and he used an alleged assassination attempt on Joly to place someone covertly on the scene to kill C. if the occasion arose. In order to make the Frondeurs seem responsible (98) for an alleged assassination attempt on C., M., through an intermediary, told C. of another “plot” by them to kill him (98), “proved” this plot was real, and then deceived C. into believing that he, M., was more concerned for C.’s well-being than even his own family and friends. With C. aidant à se tromper M.’s plan worked. He convinced C. (100) to seek justice by going to the Parlement but this was really a way to mortifier him, because the haughty C. found that he, like others before the court, was reduced to being a suppliant at the judges’ feet. M., to get back his own liberté by depriving C. of his, then decided to win over the Frondeurs by using C.’s authorization of the marriage of the Duc de Richelieu to Mme de Pons as evidence that C., by gaining control of the crucial Le Havre, was trying to increase his powers, which was seen as a grave threat to the Frondeurs. Mme de Chevreuse (101-102) was brought in and was able to alienate Gaston from his confidant, La Rivière, because of his supposed betrayal of Gaston and so she won Gaston over to M.’s side. Finally M. used C.’s alleged desire to become connétable (102-103) (an offer C. had already refused in order to spare the jealous Gaston) to convince Gaston that C. was working against Gaston’s intérêts. Everyone necessary to support M. had now been won over and C. and the other princes (105) were imprisoned in January 1650. The text then narrates (105-120) the inconclusive war between the Crown and the rebels. Last is the narration of events (120-130) in and around Paris, the exile of M. and the liberation of the Princes. The actions of C. and M. in this first section (90-105) are clarified by Jouanna’s analysis. Both were engaged in the traditional and predictable activities to secure their powers and status. M., neither French nor a noble was, as much as C. and all other French nobles, very concerned with establishing himself, especially because his original supporter, Richelieu, was dead, and as a foreigner he had not had the opportunities to build support through family ties. He was completely dependent on Anne, a régente, and like C. and the other nobles, he had to try to take advantage of the various family and clan rivalries and other social dynamics to secure his power. C., a Prince du Sang, already a fabulously successful military hero, is presented as actively exploring how to enhance his considerable power. He was concerned with winning over public opinion as well as with deciding whether to ally with the Frondeurs and how best to use his family. Here at the beginning of III are the manoeuvres one would expect, and C., though uncertain about many things, did not yet have reason to doubt the support of the État. That would only happen when, to C.’s and most others’ greatest Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 77 surprise 28 , M. had him arrested (105). From the point of view of M. and of the État, C. had performed at least several threatening actions. By reneging on support for the Mercœur-Mancini marriage he both broke his promise and seriously jeopardized a significant source of support for M., as well as interfering with the royal prerogative in regards to significant marriages, though M.’s attempt to join his family to a C. family rival (the Vendôme) was itself threatening to C. and to his lignage 29 . And C.’s support for the marriage of the Duc de Richelieu and Mme de Pons seemed to be a clear attempt to gain control of perhaps the most important place forte in France, a threat to M., the Frondeurs and the État. C.’s defense of Jarzé’s 30 “love” for Anne and his insistence that Jarzé be given a public apology and be accepted back at Cour was a humiliating insult to the Cour and especially to Anne, the régente. Though it is clearly stated that C. did not respect but despised M. and actively worked to diminish his power, M. is presented (102-103) as being almost diabolical in his manoeuvring behind the scenes not only to reduce C.’s power but to actually humiliate and imprison him 31 . No mention is made in this narration of C.’s thoughts while in prison 32 . Imprisoned for more than a year and undoubtedly kept abreast of outside events 33 , he must have given thought to the threat to his sécurité the État not only had in fact been but could be again. Beaufort had been imprisoned for five years before his escape (1648) and C. could not know how long he would be locked up. While he was imprisoned his mother had died, and 28 See Jouanna (2017), 458, about Condé père: “L’imprisonnement d'un prince du sang est en effet un acte aux consequences politiques considérables, puisqu'il représente une atteinte à la sacralité du sang de France et au droit revendiqué par ceux dans les veines desquels coule ce précieux liquide d'assister le roi de leurs conseils.” 29 See Dulong, 139-140, for C.’s feeling threatened by the Mancini-Mercœur marriage and feeling not recompensed for his many services to the État. 30 See Pernot, 160. 31 It has often been noted how much M. was disliked by his contemporaries and how his positive achievements, such as the Treaty of Westphalia, were overlooked. Lar. at times seems to present M. as having no governmental, military, political, economic etc. matters to be concerned with but as being solely concerned with securing his place in government and containing and humiliating C. 32 See Pujo, 165-180. C. apparently never lost his sense of humor, unlike his brother: “Quand son frère, cherchant dans la prière un dérivatif à son découragement, demande qu’on lui apporte L’Imitation de Jésus-Christ, Condé lança aussitôt ‘Pour moi, ça sera l’Imitation de Beaufort.’” 33 And of course he was not liberated by the treaty ending hostilities in Bordeaux in October 1650. See Lenet, II 93ff. for the disappointment of his followers that their efforts to free him had failed. John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 78 now his wife and his son, his only heir, that is to say the Condé lignage, were under extreme duress and a war was underway in Bordeaux which could have had dire consequences for him. Though by the end of III M. was in exile, Anne’s continued loyalty to him could only mean that the threats to C.’s sécurité were not over, even after he was freed, as the narrator often emphasizes. Throughout all of Part B (IV.131-152 to V.153-154) 34 the consequences of M.’s arrest of C. are of the highest importance for understanding C., since his fears for his sécurité constantly affected his thinking and actions and prevented any accommodation. Part B opens (IV.131ff.) with C.’s near triumphant welcome back to Paris after his liberation when, according to many observers, he and Gaston had the opportunity to take over the government, though, significantly, they did not. It closes with C. virtually having been forced, quite reluctantly, to choose rebellion. He had never rebelled against the État and never wanted to but he was unable to find another way to protect himself from perceived threats to his sécurité, including a second imprisonment and even an assassination. The many and various motives, intérêts and goals of the different nobles and groups as they formed and dissolved various, sometimes secret, alliances created an atmosphere of confusion. Anne was in charge of the government herself but in consultation with the exiled M., whom she wanted to bring back as soon as possible. Lar., the unidentified narrator, played a very important role as a loyal and brave ami and ally of C. and as an astute negotiator trusted by all. Book IV ends with two scenes 35 discussed below which reveal how fragile were the forces suppressing the murderous passions existing in France just before the war fully broke out and C. abandoned Paris. One learns that C. (IV.135), fresh from prison and probably more uncertain than ever about his sécurité, could not recognize his véritables intérêts, and though willing to conclude an alliance, particularly with Anne, found none which seemed reliable. Anne generally is not portrayed as negatively as M. is. This is partly due to the fact that as régente and mother of Louis XIV she was not in position similar to that of M., but she was single-minded in her attempts to secure his return, as soon as possible and at almost any cost, and making C. hated was an integral part of her plans. Though he knew Anne wanted the people to feel bitterness (133) toward him, for a time C. thought a secret alliance with her was possible (133-134), but he realized he could have no sécurité with her because she wanted to 34 All of IV down to his missing Louis XIV’s majorité at V 153-154. 35 At IV 150-152, the near fatal conflict in the Parlement between Retz and his followers and Lar. and the followers of C., and the surprisingly decorous chance meeting in the street of the deadly enemies Retz and C. and Lar. Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 79 reduce him to his premières disgrâces (i.e. his imprisonment). Anne’s introduction of Chavigny and others into the Conseil (138-140) ultimately increased the bitterness between Anne and C. and resulted in his breaking his understanding with Anne. The split between Chevreuse and Conti (that is, with the Condé family) due to the breaking of the marriage agreement between Conti and Mlle de Chevreuse, as well as the dishonorable way in which it was done, added to the hatred of C. At the same time C. tried to find out what protection (140) he could get from Spain if he chose war. These events among others increased C.’s uncertainty and anxiety about his sécurité and confirmed his fears that he could never find it with Anne and M. At the same time (141-142) unbeknownst at first to C., Anne and Retz, because of their shared haine for C., formed a new liaison to assure the sécurité of Anne and the Frondeurs, in the course of which a plan was proposed whereby C. could be either rearrested or killed. One can imagine the effect on C. when he was later informed of a new plan to arrest him yet again. Anne rejected the idea of assassination but accepted that of arrest. It was however right after finding this out that C. failed to respectfully greet Louis XIV at their chance encounter at the Cours-la-Reine. No explicit justification is given for this serious failure, but since this occurred immediately after C. learned of the planned attempts against him, this may explain why C. was said to have feared acting otherwise would have perdre him (141) 36 . His anxiety about his sécurité unsettled him so much that twice (142) in a short time he was so frightened by fausses nouvelles about horsemen heard in the night, whom he feared were sent to arrest him, that he fled Paris, even though this might have jeopardized his justly earned reputation for great personal fearlessness. As it became clearer that C. would have no choice but to leave Paris, Anne saw that this would further her goal (143) of hastening M.'s return; but because he was still in exile she (144) could not quickly enough form and execute any plans. Most significantly C. (143) still would have been willing to s'accommoder with the Cour if he had been able to trust M., but his horreur de la prison was too great for him to overcome. He had been shown (144) that his innocence (i.e. that he had not been plotting rebellion against the État) had been no protection against his injuste prison, and he could never tolerate such a situation again. It is emphasized that those who withdrew with him to Saint-Maur, whatever their motives might have been, in fact were seen by C. as a necessary protection against any possible attack on him by the Cour. 36 If this action was due to the reports he had just received that he might be arrested or killed, it could in part clarify why the narrator does not criticize C., an omission which A. Brunn (810) in his edition, finds a significant, revealing omission in Lar.’s narrative. John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 80 Nevertheless he still (145) had not made up his mind to rebel. It is also possible that attacks on Lar.’s carriage (146) were seen by C. as a further reminder of the dangers he faced. And the scene in Parlement (148-149), discussed below, would have been threatening not only because C. had to be accompanied by an armed escort for his safety but also because Anne had provided Retz with an armed escort made up of royal forces, showing which side she favored. The confrontation there could easily have led to one or more murders. The last two events of Book IV dramatically depict the truly dangerous and bizarre state of affairs confronting C. in Paris in August 1651. First (150-152) the Parlement itself just escaped being the scene of murder when a prelat, nobles and others let their anger reach the point where guns and swords were drawn in preparation for assassination and mayhem. Second when Retz and C. and Lar. soon after met by chance in the street, all the appropriate reciprocal greetings, ritually required by bienséance, etc. were very precisely and scrupulously observed. But the fact that the cohesion of the social order was breaking down or already had broken down was indicated by the foule, whose murderous anger was barely contained as it followed C. No violence occurred but despite the observation of propriety, these were deadly enemies who had just barely escaped killing each other and others in the Parlement. It seemed inevitable that the destructive, murderous passions temporarily suppressed would soon break through the apparent stability, as in fact they did. And these scenes emphasize for the reader the precarious nature of any sécurité C. might have attained in these circumstances, and perhaps show why C. might have thought attending Louis XIV’s majorité might resemble, if not an actual trap, still a very risky endeavor. Part B's last section (V.153-154) makes it clear that C.'s avoidance of LXIV’s majorité was directly caused by the fear (craindre) and mistrust (défiance, soupçon) which M.’s imprisonment had caused him. Any hope that he could obtain sécurité was impossible given the situation: the majorité would make absolue Louis XIV’s autorité, and because of Anne’s aigreur toward him and because she saw him as the seul obstacle to M.’s return, she and the new roi would do all possible to either perdre C. or l'éloigner. Gaston was too weak and unreliable, and too much under the influence of C.’s enemy Retz, to be of help. Although all this prevented C. from attending the majorité, it would not have been enough to have made him break with the Cour and withdraw to his gouvernements if things had remained where they had been before his imprisonment and if there had still been any espérance of further négotiations. Anne however would accept no further delays and looked upon all negotations for a traité as (153) d’artifices pour faire durer Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 81 l’éloignement du Cardinal. Thus she chose as ministers three ennemis particuliers of C. in order to remove any hope of an accommodement, which had the effect she desired, since it made C. realize he had rien à ménager avec la cour, which forced him to make résolutions he had not been able to make himself. And so he left for Trie after writing to Louis XIV to explain why he was prevented from attending the majorité (154). The final part C (V.154-176, VI.177-213) takes place after C. did not attend the majorité 37 . At first he was still in the Paris area, but he left for Bordeaux (V.156-157, September 1651). The narrator describes how the too numerous factions there led to the beginning of the ruine of his parti (V.170) and so he was forced to seek help from Spain. Book VI sees C. return to the Paris area (187-188) after having been militarily defeated by royal forces in the southwest. He gives one last demonstration (201-207) of his exceptional bravery and leadership in the battle at the Porte Saint-Antoine, but he then oversees the disastrous, violent deadly meetings at the Hôtel de Ville (206- 209) as the result of his attempt to install a new more favorable administration in Paris. Book VI ends with C. and Gaston, defeated, leaving Paris after M.’s self imposed exile and before Louis XIV's triumphant return. M. has “won” and C. has “lost”. Much in this final part concerns war preparations, hostile encounters, battles, sieges, etc. during which things did not go well for C. At times his troops were of poor quality, situations were not favorable, C. was outnumbered, some on his side were militarily ineffective or unreliable, some allies deserted him. The royal side also had difficulties and did not win any battle sufficient to end the war, yet it was clear throughout that C. did not have the military strength to wage a more extensive war. But C., motivated by fear for his sécurité, unable to discern the motivations, intérêts, etc. and loyalty of allies, and unable to recognize offers of accommodement which he might have found acceptable, could only see himself as being vulnerable to another arrest or worse if he did not ultimately leave France altogether. And so Lar.’s narration ends. In analysing the Fronde some historians have seen, as an essential cause, the Frondeurs’ pursuit of their intérêts as an almost entirely negative motivation for action, a self-centeredness devoid of any concerns for any larger good (e.g. Dieu, le bien de l'État, etc.). E. Kossmann helpfully gives an account of such a view (12-14) of the Frondeurs’ pursuit of their intérêts as deserving of condemnation because harmful to the État, and he finds 37 Pernot, 270, claims that after leaving Paris in September 1651 C. could either accept defeat and the elevation of his enemies, or start a war and assert his rights. The first choice was impossible for him because of his orgueil and his haute naissance, but, because of his profonde défiance of the government, his followers could push for war. John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 82 support for this in some of their contemporaries 38 . He cites as typical 39 one speaker in a 1647 meeting of the États provinciaux who claimed that people, because “Leur raison est affaiblie par la première corruption de la nature” are unable to live their lives by following their intérêts because, blinded by them, they at times produce grands désordres harmful to the État. The power of amour-propre is such that people can not recognize anything beyond their vaines pensées and Kossmann claims this pessimisme is found in many XVII e century writings. Man is faible and méchant and can only think about his own intérêts and so his pitiful projects all fail as society only becomes viable once Dieu intervenes to translate chaos into order. Kossmann cites, as supporting a view similar to this, both Mme de Motteville, who does 40 to an 38 Jouanna (2014) 175-176 (and as stated above) claims that it is reductive to see the noble Fronde as only a pitiless battle of rival ambitions fighting M. who was their obstacle. Many involved still believed in l'utopie guerrière inherited from their ancestors, that is, noble mérite, brave in combat, and recompensed by the roi for risking its life. And the recompense was much more than material. Nobles received a supplément d'être and it authenticated publicly their vaillance and justified the social hierarchy. Of course it was recognised that they were not living in a utopie and that the recompense had become une pratique politique. C.’s behavior shows traces of this utopie. At first he followed his father and fought for the pouvoir in place, but he slowly came to feel that his honneur was blessée by M. And there was also a conflit des clientèles as M. was establishing himself. C. saw his own gens de guerre not being recompensed while others, clearly incompetent, were rewarded. “Jamais le récompense n'avait autant manifestée son caractère politique.” C. revolts to defend his honneur as a chef de guerre and as a Prince du Sang. 39 For other similar contemporary sentiments see for example: Rohou, 318, 319, 320, 322, 326, 327ff., 331, 333, 334, 335, 337, 338, 369, 416, 419ff., 505; Lorris, 91, 199, 234, 325; Dulong (Mazarin), 70-71 (perhaps), 73, 75, 127-128, 131, 158, 186; Krailsheimer, 72, 73, 74, 78, 87, 89, 94, 211, 212-213; Lafond (1977) 78-81; Methivier, 17 (perhaps), 19, 20. 40 Kossmann presents Motteville as more consistently and emphatically reducing many of the Frondeurs’ motivations to self-interest, greed, etc. than she did. She does stress how intérêts, etc. can corrupt people, lead them to fail in their duties and to choose self-interest over le bien public, etc. In general she often seems to explain these actions by her religious view: the world is a fallen place, man’s nature is essentially corrupted thus it is not surprising that he is deeply influenced by his ambition, his self-interest, his amour-propre, etc. So for example (Riaux II 295-296) the “loi de Dieu fait voir que la passion et l’intérêt étouffent presque toujours la raison et que ceux qui font les lois et en paraissent les protecteurs sont souvent eux-mêmes dans l’aveuglement et l’erreur, quand Dieu, le sole juste juge, les abandonne à leur propre sens, et les humilie par leur propre iniquité.” So too concerning C. (IV 25) after the fiasco of the Hôtel de Ville: “Dieu qui voulait Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 83 extent seem to share this view and Lenet who generally does not 41 . Kossmann (151ff.) claims that during this period there was a significant regarder la France en pitié fit perdre à M. le Prince par cette voie tous les avantages que la bataille de Saint-Antoine lui avait donnés.” (see also I 25-26, 79- 80, and I 135 “…la providence de Dieu…veut le bien et permet le mal, soit pour notre récompense soit pour notre punition.”) But there are many long passages in books II and III for example without any comments on the participants selfserving, cynical etc. motives. It is also perhaps her religious perspective which makes it difficult for her to understand the different motivations of the révoltés. She is clear enough about the wealth and power accumulated by Richelieu and M. to see how this could constitute a threat to the nobles (whether or not they were excessively self-interested because living in a fallen world etc.) but she does not come to this conclusion. She can not see how clan and family rivalries (II, 48, III, 49) could be threatening, and she even condemns (II 152) the parlementaires because they wanted their own money back. For her, C., Lar. and others cannot have a rational reason to oppose the État because nobles can not act for the “intérêts du bien public” (II 405) and are motivated by a “demon” (II 309, 405, 418, III 5, 49). Their fallen nature explains in part why they can not be subordinate to a monarchy, even one such as this one led by the unimpeachably pious Anne, who, though not without faults, always acts for the good of her son the roi and for the good of France. 41 Kossmann (151, n.1) cites Lenet (tome I, book 2, 147-148) (“J’ai observé que l'intérêt est presque toujours la raison principale qui fait entrer les gens de qualité dans les partis.”) as one of those who supports the view that the Frondeurs were mainly motivated by “le seul intérêt” etc. Lenet uses intérêt(s) at least 160 times in his Mémoires but Kossmann’s point is not supported by Lenet’s usual use of this term. Lenet does not seem to have a consistent view of acting on one’s intérêts, and he certainly is not simply critical of those doing so. Furetière gives several definitions and Lenet’s usage seems to fit these: “ce qu’on a affection de conserver ou d’acquérir, ce qui nous importe soit dans notre personne soit dans nos biens…se dit généralement de tout ce qui regarde le bien, la gloire, le repos tant de l’État que de particulières…se dit aussi pour la part qu’on prend en quelque chose, de sa défense qu’on entreprend, de la protection qu’on lui donne…on dit proverbialement: l’intérêt nous aveugle, chacun est aveuglé dans ses intérêts, pour dire que notre amour-propre nous flatte, ne nous fait pas connaître nos défauts.” Kossmann’s quote occurs in a passage about the chagrin of someone who did not have his land elevated to a duché, was upset with the cour and so “…l’obligeait de se jeter dans tout les partis qu'on formerait contre le cardinal; car j'ai observé, pendant près de dix ans que nos mouvements ont durés, que l’intérêt est presque toujours la raison principale qui fait entrer les gens de qualité dans les partis, ou les gens d’ambition; et c’est ce qui fait que plusieurs grands seigneurs y entrent et que peu y demeurent; car comme la cour a plus de quoi les intéresser que les princes qui les forment, on trouve moyen de les en retirer par le même principe qui les oblige à s’y jeter.” If one looks at one of Lenet’s statements of his own John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 84 change in the use of the notion of intérêts. Usually the term politique de l'intérêt was applied to the politique extérieure of countries where each country had discernible intérêts which other countries could accept or oppose; thus French intérêts were similar to those of certain other countries and different from those of the Habsburgs. The Frondeurs (154) took this term from the area of politique extérieure and applied it, mistakenly, inside France to the intérêts of a maison noble ou d'une personne. In this way the notion intérêts, Kossmann claims, though correctly first applied to a stable concept (politique extérieure) then was applied in an area where it created confusion. For the Frondeurs the result was that they ended up with an ideal of “cynisme intéressé et de machiavélisme raffiné” as may be seen in many of their mémoires, where their actions are described as not due to loyalty to a leader or to any “illusion politique” but to “le seul intérêt”. He claims that Retz typifies this while Lar. is a more complicated example because of the importance he gives to both amour-propre and intérêt 42 . For reason for writing his Mémoires (473-474) as well as his professed undying loyalty to the Condé family (32ff.) it is clear he does not think all the participants in the Fronde were so easily moved to change sides to suit their intérêts and he insists he is certainly not one so easily moved. And Lar. and Bouillon for example are, according to Lenet, nothing if not exemplary in their dedication to the Princes. There are some comments (tome 2, ch. vi, 158-159) about those who follow their intérêts without any regard for loyalty or other values. But there are a very large number of examples where intérêts is used in a neutral way to indicate what people thought were their benefits or advantages or what they thought were important reasons for acting (for example: tome I, 56, 95, 103, 106, 115, 130, 134, 151, 162, 165, 209, 217, 263, 271, 277, 296, 318, 320, 360, 380, 396, 400, 406, etc.). And it is often used in relation to those who acted on behalf of the Condé family (for example: tome I, 56, 58, 80, 83, 108, 161, 320, 366, 416, 466, 515, etc.). Thus it is not clear that Lenet supports the view that the actors here were following a “cynisme intéressé” nor a “machiavélisme raffiné” etc.; they seem to act as most nobles had to act to protect themselves against what they construed as threats to their existence. 42 Kossmann claims that Lar.’s use of these two concepts is so broad and so inexact that it is not a useful analytical tool. Without citing any evidence or making any argument he must be assuming that amour-propre and intérêt are used identically in the Maximes and the Mémoires though apparently the term amour-propre does not occur in III-VI. He must be thinking that the Maximes and the Mémoires are concerned with the same things and that the Mémoires are directly and perhaps most easily understood and interpreted through an analysis of the Maximes, which analysis he does not supply. No attention is given to the different subject matters, to the different dates of publication, nor to the different literary forms. No acknowledgement is made of the substantial complexity of the Maximes and to the Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 85 M., who made the same mistake, the result was a view that, inside France, there were different groups, including the Frondeurs, with their own propres intérêts in competition with those of the roi; M. therefore tried to accommodate these groups as much as possible, or, if they were hostile to the roi, to support the group which would strengthen the roi’s side; but he never treated them as subjects of the roi nor as compatriots. This was dangerous because external things (faits) were more or less stable and fixed (one could count the different États and know their claims) but inside an État things were more complicated and less stable. When (155) M. allied with the weaker Frondeurs to oppose C. he ended up making them stronger and so produced for himself a long battle against a group he had in effect created 43 . Jouanna, as discussed above, while not denying the various, perhaps less than admirable, motives of the nobles, has a non-moralising view which is focussed more on how larger, impersonal social forces affected the behavior of individuals and groups as the structures changed and as the centralising of the État proceeded and the nobles and the magistrates and officers were forced to adapt to their new situations. This seems a more useful approach, because it allows for a more complex view of, and (one hopes) a more accurate description of, the forces operating on and within the individuals in these changing and confusing circumstances produced by the Fronde, and it avoids simply blaming or praising individuals on moral grounds. Béguin (111-112) reinforces this by analysing the radical change which took place when C. went from relying on his clientèle to being forced to form a parti 44 . The arrest of the Princes ended a fight for supremacy which M. was about to lose, but it then provoked a civil war. For les Condé this was a real shock because now they found themselves in opposition to the roi. Whatever the differences between the C. and M., earlier C. had named his son (1643) Henri-Jules (after M.), and M. had rewarded C.’s fidelity (e.g. in 1648) by granting him Clermontois with C. as souverain and with droits royaux. All the partis in the Fronde were essentially (Béguin, 113) ephémères because their general objectives (the libération des Princes, the removal of M. from the Conseil, etc.) only briefly united them, which made them difficulties of interpreting either or both of the works as if they were identical in thought. 43 Pernot, 164, agrees with Kossmann that the vieille Fronde henceforth got force from the autorité royale. 44 Jouanna (2014) 174 claims that the Fronde des Princes really was actually a guerre de partis (C., Gondi, Gaston) and the pouvoir absolu was not the real enemy. The enjeu essentiel was the conquête des charges…honneurs et autres avantages which the pouvoir absolu could obtain and whose distribution was monopolised by M. John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 86 completely dissimilar to the ties, in part emotional, which bound a clientèle. To go from having a clientèle to having a parti required rearranging traditional alliances, and this required written documents which substituted for the often unstated intérêt commun of client relations. The particular claims in the written documents thus became the general objectives agreed to by all. In effect (Béguin, 115-122) to set up a parti was to find a substitute for the attachements véritables in client relations. The parti des Princes (129) never had an overarching positive cause lastingly uniting its members, who were, in large part: mécontents who were former opponents of Richelieu (e.g. Bouillon); opponents of M. (e.g. Houdancourt); impenitent conspirators (e.g. Montresor, Saint-Ibar); and various ambitieux malcontents hoping to gain from a civil war. There were of course others, for example, Lar., who requested permission from C. to withdraw because of his wounds, and for example, those who stayed with C. during his years of exile. Looking at Lar.’s presentation of C.’s behavior against this background makes it possible both to see C.’s actions as (at least in some ways) reasonable, and also to avoid a less helpful evaluation of his behaviour as “good” (i.e. selfless, “patriotic”, etc.) or “bad” (selfish, “unpatriotic”, etc.). It also allows us to see how Lar. presented, against the same background, the motivations, intérêts, etc. of the other participants as they decided whether or not to join C. Although the word intérêt(s) occurs at least 91 times in Books III-VI it is nowhere defined nor would one expect it to be. Perhaps surprisingly Lar. does not make any explicit general comment, positive or condemnatory, about acting on one's intérêts, though he does present individual actions in such a way as to allow the reader to draw his or her own conclusions 45 . Lar. has many examples of C. and others acting to further their own different intérêts and goals, but he seems, with some specific exceptions, not to explicitly present such behavior as providing in and of itself a criterion for moral judgment 46 . There are several passages which list what individuals sought in negotiations and treaties, which allow one to see what presumably were their intérêts and goals, even if the word intérêts was not used. These include many items, some of which one would have expected, for example: the removal and ruin of M.; the marriage of Conti and Mlle de Chevreuse; the position of principal ministre; the gouvernement of Guyenne; argent (III 123-124); the gouvernement of 45 Consider for example (VI 197-198) the case of Mme de Chatillon, the lover of C. and Nemours, whose concerns and motivations are her beauté, her ambition, her desire for a new conquête and to triompher over other women, and her intérêt de vanité et de vengeance etc. 46 See for example III 123-124, IV 139-140, 146. In one example (V 157-158) although C. does criticise Bouillon, the narrator (V 159) does not do so. Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 87 Provence; gratifications; the gouvernement of Blaye (IV 133-134); the power to make peace with Spain; the reestablishment of amis in their biens and charges; the restoration of their rangs to troupes and officiers of the Princes du Sang (VI 193-195). Despite such specificity here it is also clear, as one might expect from the inherent difficulty of the matter, that it is often hard for the participants to discern their own or others’ true intérêts (III 125-126, 127; IV 135, 147; V 146; perhaps IV 131). C., like others, often acted to further his own intérêts, and like others he did not always recognise his (IV 135) véritables intérêts. Though concerned, as were all nobles, with taking care of his amis and clients, on occasion he looked out only for himself. He let the Frondeurs, for example (IV 136) blame Lar. and Mme de Longueville for the failure of the Conti-Chevreuse marriage, which was not their fault. He agreed to a traité (IV 136) which omitted the provisions for his amis including Lar. It is emphasised however (IV 197) that C., although at least five times (IV 192, 197, 200, 201, 209) combattu by the intérêts of those near him who wanted war, was unwilling to give up on the hope of making peace and avoiding war. Lar. reserves his main criticism of acting to further one’s own intérêts for, on the one hand, the “bad guys”, especially for M., the “enemy” 47 , for Retz, for Chavigny 48 and some minor figures; and also, on the other hand, for those previously loyal supporters of C. who ultimately put their intérêts ahead of those of C. and his parti. Perhaps not surprisingly, Lar., the narrator, never presents La Rochefoucauld, the historical person, as ever forgetting his loyalty to C. Conti and Mme de Longueville, C.’s siblings, had become important supports of C. and his parti, but ended up (V 170) creating factions in Bordeaux when they separated their intérêts from his and so did his cause much harm. They (VI 181-182) are said to have sacrificed the avantages of the parti to their own passions and aigreur 49 . So too Nemours and Beaufort, who had been important leaders in C.’s cause (VI 178, 176) let their querelles particulières take precedence over the intérêts of the parti thereby 47 At one point (V 168) M. is specifically said to prefer his own intérêts to the intérêts d'État. 48 Chavigny often manipulated C. and others for his own advantage; his ambition (IV 137) was démesurée; he (VI 177-179) schemed against Gaston, C., and M. because he wanted to benefit from all sides; he put (VI 190-193) his own intérêts before those of the parti. 49 Mme de Longueville (IV 139) wanted a guerre because she did not want to return to her mari; Conti (IV 139) wanted a guerre because he wanted to avoid the État ecclésiastique; Nemours (IV 139-140) wanted a guerre in order to remove his rival because he was jealous of C. and Mme de Chatillon. John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 88 seriously weakening C.’s military position. And their fatal duel (VI 209) is carried out in the interest of quelques dames. The case of the brothers Bouillon and Turenne 50 , both friends of Lar., represent one useful example (but not the most extreme) of the complexity of forming and maintaining of common intérêts 51 . Both are potentially important leaders of the side they join, but both have their own intérêts to look after, separate from those of the Fronde and separate from each one's individually. Bouillon had already rebelled against the État several times and as a result had Sedan, essentially important both for his identity as a noble and for his lignage, taken from him by M. Turenne, the only French general comparable to C., became alienated from M. because he felt insufficiently recognized and recompensed for his services to the État and because of M.’s treatment of his brother in the matter of Sedan. After C.’s liberation both moved away from C. The narrator is more favorable to Turenne’s separation than to that of Bouillon. Turenne’s reason was (IV 147- 148) that he had fulfilled his obligations by contributing to the C.’s liberation, but that C. had subsequently done nothing for him, and had not even supported the troops who had fought for C., with the result that Turenne felt justifiably free to follow his own intérêts. And he later made clear (V 165) that after his separation he knew nothing of, and was not obligated by, any plans and commitments made by Bouillon. C.’s fears for his sécurité were increased by the behavior of Bouillon. As matters became more complicated after the liberation of the Princes (IV 140) Bouillon tried to combine his intérêts with the intérêt publique and to satisfy them both together. This meant he had separated his intérêts from those of C., which C. noticed (IV 143) and which made C. mistrust him. But C. (IV 147-148) still wanted and needed the alliances with Turenne 52 and Bouillon. Bouillon however had become worried and uncertain about his 50 Pernot, 267, observes that, according to the mentalité aristocratique, Turenne would have viewed M. as having committed two denials of justice which would have required revenge and the taking up of arms. Because of raison d'État he had refused the legitimate right of the maison de Bouillon to be compensated for Sedan (he had promised to return it and had not (130)) and he had arrested a Prince du Sang in contempt of équité and in defiance of the declaration of Parlement of October 1648. 51 See for example (V 166-167) the case of Marchin, who, it is said, could be judged to be infidèle or honnête, coupable or innocent, depending on how one interpreted his two devoirs, to the roi and to C. Lar. devotes one and one-half pages to this but it is not clear how it applies to others since Marchin was a citizen of Liège, not France. See Pernot, 275. 52 His break from C. was not yet known to C. and he would in December 1651 again command the royal troops. Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 89 own sécurité and avantages, and since he did not entirely trust C. or M., he wanted to see what would happen before he committed himself, but because he was embarrassé by this he did not want to have to personally explain himself to C. Bouillon did finally commit to C., but while C. consulted others before finalizing Bouillon’s terms, a minor misunderstanding (les moindres circonstances 156) prevented C. from reaching an understanding with the Cour. Gaston got Anne to offer satisfaction to C. with respect to the ministres she appointed who were ennemis of C., but Gaston failed to inform C. of this quickly enough. As a result, the welcome C. received from the peuples and noblesse at Bourges increased his hopes that the entire royaume was about to take his side, which would have increased his chances of obtaining a reliable sécurité. He therefore (156) committed himself to war and planned for an agreement with Spain, but only after this other promising opportunity to avoid war was lost. The hesitating Bouillon was told (157- 158) that his demands would be met, but by then he was trying to profit from both the Cour and C. by playing the mediateur between them. He was thereby able to offer C. terms from the Cour which would have prevented M.’s return. Unfortunately (pour le malheur de la France et pour celui de Monsieur le Prince, 158) though the Cour seemed to be acting de bonne foi, its grandes et considérables offres, because they were delivered by the suspect Bouillon, were rejected by C. It was essential that Bouillon and Turenne, for his military abilities, together commit to C.’s side if he were to stand a chance against the royal forces, but his lack of confidence in Bouillon led him to mistrust and reject these offers, and C.’s neglect of Turenne had alienated him. To C. all of this was just another attempt to prevent him from declaring war, since he believed much of France was ready to support him, in which case any news of his being in new negotiations with the Cour would have discouraged those ready to join him. Thus C. could not see the positive potential in this offer because the messenger, Bouillon, apparently had not honored an earlier commitment to him. As stated above, this inability to trust was primarily due to the actions taken by M. and Anne, especially C.’s imprisonment, and was due as well to the shifting motivations of the various nobles and groups which created confusion as to the reliability of their commitments. 53 The object of this paper has been to place C.’s rebellion in a framework derived from the analyses of Jouanna and Béguin. Doing so allows one to see that Lar. presents C.’s behavior as very similar to the behavior of other 53 See, for example, V 158-159: Gaston was allied to Retz who was allied to the Cour in order to obtain the cardinalat. John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 90 high nobles in comparable circumstances in both the XVI th and XVII th centuries. It also allows one to understand that the actions taken by C. were not simply for selfish motives worthy of condemnation but originated from a predictable response, based on complex personal, emotional and political needs, to substantive structural changes occuring in society. A crucial factor during the relevant previous noble revolts was that they occurred during a regency. During the earlier regencies, weak by definition because without an adult roi, and with rival favoris, twice in the form of a principal minister, nobles’ fears about insécurité were heightened because so much depended on the bienfaits etc., received from the État both for a validation of their sense of themselves, their dignity etc., for the maintenance of their lignage and their clientèles, and for their sécurité. The unusual element in C.’s case was that Anne and M. chose to arrest a Prince du Sang before he rebelled or ever considered rebellion. Admittedly the situation of the État was precarious in that it had just faced a rebellion of the judges and was in the middle of a war with Spain. This arrest, however, at least in one sense, was a failed response, as Anne and M. were soon forced to free C. and the arrest greatly complicated the situation for the État, for C., and for all those who would have to choose between C. and État. Because his ability and willingness to any longer see the État as a source of sécurité had been virtually destroyed by his arrest and the subsequent actions of the État, C. had much difficulty in discerning his own véritables intérêts in deciding whether in fact he had to rebel. He was forced to change from having a clientèle to leading a parti, two very dissimilar arrangements. Those around him who might ally with him also were forced to face similar difficulties in making their choices, especially as allying with him was now a matter of lèse-majesté. Adding to these difficulties was the fact that, as in all human affairs, chance and fortune (for ex. Gaston not notifying C. of favorable terms from the court, or the stubbornness of M. and C.) had their part to play 54 . 54 S. Bertière states that she has little empathy for C. and is writing to counterbalance the views of C. found in earlier scholarship and recent biographies by Pujo and Béguin who she says wrote detailed accounts which were perhaps overly influenced by the C. archives (sanitised after his death) and by views of the regency and M. which are now outdated. Bertière's work is detailed and useful because of her intention to provide a complete portrait of C. She claims that the usual picture of C. as the great capitaine, a nearly fabulous military hero, is quite one-sided and incomplete, because although the well-known feats did occur they were not necessarily all they seemed to be and in other military activities he was involved in were not successes or were not undertaken for proper military reasons. This was primarily due to his personality, upon which C. père generally had a negative influence, because of the education he chose for his son and because of Some Observations on La Rochefoucauld’s Mémoires III-VI PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 91 Works Cited Aron, Mélanie. Les Mémoires de Madame de Motteville: du dévouement à la dévotion. Nancy: Presse Universitaire de Nancy, 2003. Béguin, Katia. Les Princes de Condé: rebelles, courtisans, et mécènes dans la France du Grand siècle. Seyssel: Champ Vallon, 1999. Bertière, Simone. Condé. Le héros fourvoyé. Paris: Éditions de Fallois, 2011. Dulong, Claude. Mazarin. Paris: Perrin, 1999. Jouanna, Arlette. Le Devoir de Révolte: la noblesse française et la gestation de l'État moderne. 1559-1661. Paris: Fayard, 1989. -----. Le Prince Absolu. Apogée et déclin de l'imaginaire monarchique. Paris: Éditions Gallimard, 2014. his own avidity and constant striving for more power for the family. She portrays C. as exceptionally self-centered and without much sympathy for others and often arrogant, cruel, ungrateful, headstrong and as a needlessly mindless, almost reckless, breaker of conventions. This led him at times to choose more difficult, rather than more reasonable and prudent, military objectives because of his continuing need to win gloire and maintain his image as a héros; it also led him to fail to support other generals and to never tolerate being second in command. Bertière like Jouanna and Béguin discussed many of the large structural changes the society and the État were undergoing and the impact these had on the nobility. Unlike Jouanna and Béguin, however, and unlike this paper’s interpretation of Lar.’s presentation of C., she does not see these elements as having much effect on C.’s thinking or actions. She is more inclined to explain C.’s behavior as due to the negative elements she has highlighted in his character, even though she does not seem to do this as much for Anne or for M. and she mostly treats them as acting primarily for the good of France but without any significant admixture of vanity, anger, cruelty, avidity, selfishness, or desire for gloire. It seems as if C. is expected to have understood himself, Anne, M. and the events around him as if he should have had a different, non-contemporary perspective on things. So, for example, while Lar. emphasises C.’s need for sureté, especially after his arrest and the resulting fear, and Jouanna and Béguin discuss common problems for nobles resulting from having a weak regency, no strong adult roi and a powerful favori, Bertière discusses these matters but claims that C. should not have feared for his sureté because he should have realised Anne and M. would never have arrested him a second time. At least for the period covered by III-VI, whatever biases Lar. may have had, his view of C.’s need for sureté and his shock and fear after his emprisonment make more sense for someone in C.’s position. And if C. was as flawed and limited as Bertière suggests, it does not seem plausible that she could expect him to have had the insights and clarity she thinks he should have had; if he had been capable of that, he would not have been so flawed and limited. At times it seems she wants him to have been someone else. John Phillips PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0005 92 -----. “ Les États de Languedoc et la mort de Concini.” XVII e siècle, juillet 2017 no 276: 455-462. Kossmann, E. H. La Fronde. Leyde: Universitaire Pers, 1954. Krailsheimer, Alban J. Studies in Self-interest. From Descartes to La Bruyère. Oxford: Clarendon Press, 1962. Lenet, Pierre. Mémoires, 2 vols. Collection de Mémoires Relatifs à L'Histoire de France par Messieurs A. Pètitot et Monmerquè. Tomes LIII et LIV. Paris: Foucault, 1826. La Rochefoucauld, François de. Œuvres complètes. Édition établie par L. Martin Chauffier, revue et augmentée par Jean Marchand, introduction de Robert Kanters, chronologie et index par Jean Marchand. Paris: Gallimard, “Bibliothèque de la Pléiade”, 1964. -----. Maximes, Réflexions Diverses. Édition de Jacques Truchet revue par Marc Escola. Portraits, Apologie de M. le Prince de Marcillac, Mémoires. Édition des Grands Écrivains de la France, présentée et annotée par Alain Brunn. 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Le XVII e siècle, une révolution de la condition humaine. Paris: Éditions du Seuil, 2002. PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 La Dialectique savoir/ ignorance dans Le Bourgeois gentilhomme R ALPH A LBANESE (T HE U NIVERSITY OF M EMPHIS ) Si l’on admet, avec les philosophes du XVIII e siècle, que l’éducation représente à la fois une source de vertu et le moyen de combler les lacunes créées par l’ignorance, le projet éducatif de Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme s’avère, au moins en principe, méritoire. Afin de faire ressortir l’ampleur propre à ce sujet, force est de constater que l’éducation fait partie intégrante de la mobilité sociale dans la France postrévolutionnaire, notamment pour la bourgeoisie. Héros bourgeois par excellence, Jourdain, en raison de son âge avancé, peut constituer un élève « nontraditionnel » car il prend des leçons sur le tard. Sa fortune considérable ne l’empêche pas d’apparaître culturellement attardé et c’est ainsi que, devant son maître de philosophie, il reproche à ses parents de ne pas lui avoir offert une éducation appropriée au moment opportun : « … j’enrage que mon père et ma mère ne m’aient pas fait bien étudier dans toutes les sciences, quand j’étais jeune » (II, 4). 1 On peut se demander, en effet, s’il est encore capable d’être formé, c’est-à-dire, s’il reste toujours susceptible de bénéficier d’une éducation formelle. Désireux de devenir un homme de qualité à plus de quarante ans, Jourdain ressemble à un autre barbon moliéresque, Arnolphe. Dès son entrée en scène, son intention de s’habiller comme un gentilhomme témoigne de sa quête de la distinction vestimentaire qui tient de la mise en costume (I, 2). 2 Comme on le verra, ce changement dans son apparence doit aboutir d’emblée, d’après son rêve fantaisiste, à une renaissance. 1 Jourdain se reproche encore une fois son ignorance lors de cette même leçon : « Ah ! que n’ai-je étudié plus tôt pour savoir tout cela ! ». 2 Ayant tenté de « se débaptiser » en usurpant le titre Monsieur de la Souche, Arnolphe annonce à Chrysalde, dès le début de la pièce, sa volonté de se marier (L’Ecole des Femmes, I, 1, vv. 1-2). De même, George Dandin, désireux de troquer son avoir pour un être, prend plaisir à s’imaginer gentilhomme. Ralph Albanese PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 94 Ne partageant pas la culture de la classe dominante, Jourdain dispose de compétences rudimentaires dans l’art du paraître. D’où les multiples bévues auxquelles il se livre face à son maître de musique et son maître à danser. Dans la mesure où il se révèle incapable d’utiliser le mot juste devant eux - par exemple, l’emploi des termes « drôlerie » et « (ces gens-là) se trémoussent bien » (II, 1) - il commet des erreurs de perception fondées sur son manque de compétence discursive. De telles impropriétés linguistiques signalent l’inélégance fondamentale du héros. Ses diverses fautes de goût offrent non seulement le spectacle comique de sa rusticité, mais aussi illustre le décalage chez lui entre la langue et la réalité, une dislocation d’ordre identitaire, bref, une vision déformée du réel. Plus précisément, l’inaptitude est intimement liée ici au dysfonctionnement de ses processus cognitifs. 3 Echouer dans le choix du « mot juste », c’est, pour Jourdain, l’équivalent de « faire un faux-pas ». La faute d’ordre comportemental - et, par la suite, social - s’inscrit donc dans la langue. De même, selon le maître à danser, du mouvement corporel au mouvement comportemental, il n’y a qu’un mauvais pas… (I, 2). Notons, enfin, que le savoir lire, écrire et parler s’apparentent, eux aussi, à des aptitudes discursives. Si l’on s’interroge sur les buts éducatifs de Jourdain, on s’aperçoit qu’il ne s’intéresse à l’éducation que dans la mesure où elle lui permettra d’accéder à la classe supérieure. Se livrant à un apprentissage systématique, voire à une quête profonde du savoir, il vise à acquérir la quasi-totalité des connaissances du XVII e siècle. 4 Aux diverses formes du savoir intellectuel s’ajoutent, chez lui, de multiples formes de savoir-faire, notamment la danse, la musique et l’escrime, disciplines qui relèvent de l’univers performatif. Le protagoniste s’adonne à une série de pratiques aristocratiques qu’il envisage sous forme de techniques à maîtriser et qui peuvent se ramener à l’idéal de la civilité mondaine. Quant à l’art de la conversation - l’ars bene dicendi étant une composante majeure de la sociabilité propre aux gens du beau monde - il en est clairement dépourvu, comme l’atteste son compliment maladroit adressé à Dorimène : Madame, ce m’est une gloire bien grande de me voir assez fortuné pour être si heureux que d’avoir le bonheur que vous ayez eu la bonté de m’accorder la grâce de me faire l’honneur de m’honorer de la faveur de votre présence ; et, si j’avais aussi le mérite pour mériter un mérite comme le 3 Voir à ce propos A. Ciccone, « Metalanguage and Knowledge in Molière’s Le Bourgeois gentilhomme, » Degré Second 6 (1982), 54 et 62. On songe également à la formule célèbre de Boileau : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement » (L’Art poétique, I, v. 153). 4 H. Merlin-Kajman, « Mamamouchi-Molière, ou les enjeux du signifiant au XVII e siècle, » XVII e siècle, 56 (2004), 319. La Dialectique savoir/ ignorance dans Le Bourgeois gentilhomme PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 95 vôtre, et que le ciel … envieux de mon bien … m’eût accordé … l’avantage de me voir digne … des … (III, 19). De surcroît, il chante mal l’air de cour (II, 2) et danse gauchement le menuet, danse aristocratique par excellence (II, 1). Il va de soi que l’esthétique de la musique ainsi que celle de la danse échappent totalement à sa compréhension. Jourdain manque, de même, de mettre en œuvre la leçon d’étiquette sous-tendant l’art de la révérence, d’où le ridicule de sa performance devant Dorimène (III, 19). La maîtrise du corps lui faisant défaut, sa raideur physique exprime une maladresse tant sur le plan corporel que sur le plan discursif. 5 Ce qui se trouve à la source de son manque profond d’élégance, c’est, à en croire J. Brody, « une gaucherie physique instinctive. » 6 Par ailleurs, de telles pratiques esthétiques font ressortir, dans Le Bourgeois gentilhomme, la primauté du savoir-faire (praxis) par rapport au savoir-dire (logos). Il est évident que Jourdain fait figure d’un élève intellectuellement limité se devant d’accomplir un gros apprentissage. Ce mauvais « apprenant » vit le plus souvent dans l’incorrection, et sa vraie prétention s’avère d’ordre épistémologique, car il croit à tort, par exemple, avoir saisi la différence formelle entre la prose et la poésie de manière intuitive (II, 4). Autant dire qu’il manque au héros des connaissances de base ainsi que des aptitudes naturelles. Aussi ne s’intéresse-t-il pas aux formes supérieures de la science. Dans sa leçon de phonétique abêtissante, il se contente plutôt de la reproduction des voyelles et des consonnes et préfère ignorer la logique, la morale et la physique. 7 Les lettres de l’alphabet se présentant à lui sous forme répétitive, Jourdain aime cet apprentissage purement mécanique mais qu’il sent utilitaire. 8 Cette réitération burlesque - des sons évoquant l’âne 5 Se reporter sur ce point à V. Kapp, « Langage verbal et langage non-verbal dans Le Bourgeois gentilhomme, » V. Kapp, éd., Le Bourgeois gentilhomme. Problèmes de la comédie-ballet, Paris, Papers on French Seventeenth Century Literature, « Biblio 17 », 1991, 95-113. 6 J. Brody, « Esthétique et société chez Molière, » J. Jacquart, éd., Dramaturgie et société, I, Paris, CNRS, 1968, 315. 7 Signalons que la discipline du corps s’inscrit dans la leçon de phonétique. De plus, les exercices de grammaire et la prononciation s’apparentent aux exercices corporels (P. Dandrey, Trois comédies « morales ». Le Misanthrope, George Dandin et Le Bourgeois gentilhomme, Paris, Klincksieck, 1999, 65). Le Bourgeois gentilhomme met en jeu, de la sorte, la notion d’instruction corporelle. Notons, sur un autre plan, que l’alphabet et le calendrier relèvent du « déjà su » de Jourdain. 8 Une fois apprenti, le protagoniste passe au stade de l’imitation (F-X. Cuche, « Simple note sur la structure dramatique du Bourgeois gentilhomme, » Littératures Classiques, 38 (2000), 37). Il convient de noter d’ailleurs que son comportement Ralph Albanese PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 96 (IO, IO) à ceux qui suggèrent le babil enfantin (DA DA) - se montre pédagogiquement inefficace (II, 4). En se livrant à une (re)citation continue, notre apprenti bourgeois témoigne de son goût profond pour le mimétisme formel dans toutes ses leçons. De toute évidence, l’imitation constitue, chez lui, non seulement un précepte à la fois pédagogique et socio-culturel, mais aussi une forme de servitude, car il se sent obligé de reproduire le discours de ses maîtres. Il rabâche ce qu’il vient d’entendre et ne fait finalement que revenir à ce qu’il savait déjà 9 : son itinéraire éducatif se referme donc sur lui-même. Les limites de sa courbe d’apprentissage sont telles que le protagoniste ne fait aucun effort pour approfondir ses connaissances : « L’éducation même est impuissante à modifier les données de la nature. Monsieur Jourdain se ruine en leçons diverses mais il n’y gagne rien. » 10 Projetant sur ses maîtres son désir d’être gentilhomme, Jourdain s’inscrit à leur école et se procure leurs services. 11 Chargés de lui apprendre à se comporter « noblement, » ses divers « conseillers en savoir-vivre » l’engagent dans une acculturation linguistique et normative. Ils se spécialisent tous en une praxis sociale particulière, c’est-à-dire, un apprentissage du savoir-faire. A l’instar d’Orgon face à Tartuffe et d’Argan face à M. Purgon, le protagoniste se soumet inconditionnellement à l’autorité discursive de ses précepteurs. En idolâtrant leur savoir, on pourrait affirmer qu’il s’assujettit en tant que leur « esclave. » Désireux de s’approprier le discours de ses maîtres conçu comme celui des aristocrates, il croit pouvoir acquérir leur savoir privilégié. Dès lors, il pourra entrer dans le royaume imaginaire des mécanique repose pour l’essentiel sur le programme d’imitation systématique auquel il s’assujettit : « C’est en réalité l’automatisme avec lequel Monsieur Jourdain imite en toute chose les gentilshommes qui met le plus en évidence sa position d’esclave devant les maîtres de son désir » (R. Sörman, Savoir et économie dans l’œuvre de Molière, Uppsala, Uppsala University, 2001, 46). 9 O. Leplâtre, Lectures d’une œuvre. Le Misanthrope, George Dandin, Le Bourgeois gentilhomme ou les comédies de la mondanité, Paris, Éd. du Temps, 1999, 95. 10 J-M. Apostolidès, Le Prince sacrifié. Théâtre et politique au temps de Louis XIV, Paris, Éd. de Minuit, 1985, 133. 11 La transformation d’Horace de « jeune blondin » séducteur en amant sincèrement épris d’Agnès s’explique par le miracle de l’amour - « un grand maître » - dans L’Ecole des Femmes (III, 4, v. 900). Notons, du reste, que la relation du héros face à ses maîtres évoque celle d’Agnès - « un morceau de cire », III, 3, v. 810 - aux yeux d’Arnolphe. Dans cette perspective, du fait que Jourdain vise à apprendre les éléments constitutifs de la sociabilité mondaine, H. Knudson apparente Le Bourgeois gentilhomme à « L’Ecole des Gentilshommes » (Molière : An Archetypal Approach, Toronto, Univ. of Toronto Press, 1976, 115). Jourdain se voudrait alors maître ès gentilhommerie. La Dialectique savoir/ ignorance dans Le Bourgeois gentilhomme PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 97 gens de qualité 12 et disposer d’une maîtrise technique de la diversité des pratiques culturelles nobiliaires : le style de vie, l’habillement, l’escrime, l’étude et le divertissement. Dans la mesure où Jourdain apprend ce qu’il faut savoir de son corps de maîtres, il convient de remarquer que ceux-ci appartiennent à des corporations constituées au XVII e siècle. Aussi ces divers musiciens, tailleurs, cuisiniers et pédants s’apparentent-ils à des élites professionnelles de cette époque. Le Bourgeois gentilhomme met en évidence, alors, une comédie de professions. S’entretenant sur les dimensions désintéressées et utilitaires des beaux-arts, le maître de musique et le maître à danser s’accordent pour reconnaître l’importance du soutien que leur offre le protagoniste/ mécène - après l’avoir traité d’« une douce rente », le maître de musique perçoit « du discernement dans sa bourse » (I, 1) - on se rend compte que ceux-ci, obligés de gagner leur vie, font figure de marchands de savoir. Leurs connaissances se ramenant à un objet d’échange économique, ils les conçoivent comme marchandise. Soucieux de tirer profit de la crédulité de Jourdain, ces maîtres mercenaires s’appliquent à lui vendre du savoir sans trop s’inquiéter de son usage. A la manière de la noblesse de robe, qui s’acquiert par la vénalité des charges, le savoir est perçu à leurs yeux comme un pur objet de consommation. 13 A cela s’ajoutent le dogmatisme, le pédantisme et la vanité des maîtres qui se querellent âprement sur la préséance de leurs disciplines. Epris tous d’un savoir mystificateur et, par conséquent, d’une fausse maîtrise, ils symbolisent tous, à des degrés divers, des grandeurs d’apparat. Dans la mesure où la philosophie se donne pour tâche la maîtrise de toute forme du savoir - elle se proclame, en fait, la reine des disciplines au niveau institutionnel de l’Université - le maître de philosophie tient à marquer sa distinction par rapport à ses collègues. Il n’en demeure pas moins qu’il se livre à des lapalissades burlesques (II, 4). On ne saurait trop insister sur la complémentarité entre l’ignorance prétentieuse de Jourdain et la prétention ignorante de ses maîtres. Si l’on admet que le protagoniste se réclame du « savoir infaillible » de ces derniers, c’est qu’il se plie au savoir qu’ils lui communiquent : « … c’est en tant qu’esclaves d’un savoir absolu que les protagonistes du Bourgeois gentilhomme et du Malade imaginaire sombrent dans la folie » (Sörman, 41). 12 Voir à ce sujet L. Riggs, « Semiotics, Simulacra, and the Consumerist Rhetoric of Status in Molière’s Cérémonie turque and Flaubert’s Château de la Vaubyessard, » Cincinnati Romanic Review 14 (1995), 46. 13 L. Riggs, « The Pluralism of Values in Molière’s Major Plays » Studi Francesi, 95 (1988), 227. Se reporter aussi à E-N. McMahon, « ‘Le Corps sans frontières’: The Ideology of Ballet in Molière’s Le Bourgeois gentilhomme, » Papers on French Seventeenth Century Literature, 28 (1993), 64. Ralph Albanese PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 98 Dans le cadre d’une vision absolutiste de l’éducation, tout le savoir se trouve du côté des maîtres, d’où la maîtrise exclusive dont ils jouissent ; un écolier, par contre, se définit naturellement par son ignorance. Il importe, à cet égard, de faire ressortir la valeur polysémique du terme « maître, » car il « met en évidence le lien étroit entre savoir et pouvoir qui détermine la relation entre le personnage crédule et le ‘maître’ qu’il se donne » (Sörman 32-33). 14 A ce sujet, L. Riggs évoque à juste titre la problématique de l’absolutisme pédagogique dans le théâtre de Molière et, plus précisément, la notion d’autorité textuelle dans Le Bourgeois gentilhomme, liée à l’idéal de la maîtrise pédagogique. 15 Dans cette optique, le rapport maître/ élève se trouve médiatisé par un discours univoque qui suppose un savoir définitif et codé, fondé sur des règles formelles et précises. Ne pourrait-on pas affirmer qu’un problème surgit lorsque Jourdain redevient ironiquement le maître de ses maîtres grâce à l’argent dont ceux-ci avouent avoir cruellement besoin ? Selon le maître de musique : « [l’argent] est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose » (I, 1). Il suffit de songer au Trissotin des Femmes Savantes et à M. Purgon du Malade imaginaire afin de mesurer à quel point le savoir apparaît sous forme d’imposture chez Molière. Il en va de même dans Le Bourgeois gentilhomme, où le savoir est source de vanité, voire de narcissisme, chez le protagoniste. Mû par la libido sciendi, il joue le rôle du disciple qui se veut maître et, à partir de l’Acte III, il prend le masque du maître et se vante de ses connaissances nouvellement acquises. Adoptant le discours du maître de philosophie, il entend jouir d’une maîtrise du savoir académique en punissant de leur ignorance Mme Jourdain et sa servante, femmes incarnant le bon sens de la bourgeoisie marchande : « Taisez-vous, vous dis-je ; vous êtes des ignorantes l’une et l’autre, et vous ne savez pas les prérogatives de tout cela » (III, 3). On peut discerner, dans sa volonté didactique mal fondée, la mise en place d’un apprentissage répressif, d’où l’allure corrective de l’enseignement que ce faux savant transmet à celles qu’il tient pour incultes. Ses prétentions à la raison discursive démontrent la parfaite inutilité du savoir dans cette scène. De même qu’il voudra se croire Mamamouchi à la fin de la pièce, Jourdain s’imagine avoir atteint une maîtrise pédagogique réelle. Toutefois, il faut remarquer que ses aptitudes limitées font qu’il ne 14 Ainsi, à en croire R. Sörman, la relation maître/ disciple rappelle la perspective hégélienne du maître/ esclave : selon R. Girard, « le désir de Don Quichotte de devenir chevalier se donne précisément comme le désir de l’esclave de devenir son maître » (47-48). 15 « Pedagogy, Power and Pluralism in Molière, » J. Gaines and M. Koppisch, eds., Approaches to Teaching Molière’s Tartuffe and Other Plays, New York, MLA, 1995, 74-82. La Dialectique savoir/ ignorance dans Le Bourgeois gentilhomme PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 99 peut s’empêcher d’apprendre mal. En se livrant à une imitatio magistri devant sa femme et Nicole, il met en lumière la dialectique ignorance/ savoir qui laisse transparaître l’ambiguïté profonde du rire moliéresque : « si le maître de philosophie fait rire les ignorants, il fait rire les savants encore davantage. » 16 On assiste donc à un décalage entre le savoir et l’apprentissage, qui rappelle le propos célèbre et paradoxal de Mascarille : les gens de qualité font preuve d’omniscience (« ils savent tout »), mais ils n’ont fait aucune étude (« ils n’ont jamais rien appris ») (Les Précieuses ridicules, scène 9). Autant dire qu’à l’imitation réussie de Mascarille s’oppose la mimésis ratée de Jourdain, ce qui le rapproche de la déconfiture farcesque des « pecques provinciales ». Sa démarche burlesque consiste alors à s’engager dans l’étude de multiples disciplines sans rien apprendre. Remarquons, enfin, que son goût pour le savoir s’accompagne d’une quête du pouvoir, notamment lorsqu’il abuse de son autorité en tant que maître de maison en imposant silence à sa femme et à Nicole (III, 3) et en contraignant sa fille à se marier avec le fils du Grand Turc : « Je le veux, moi, qui suis votre père » (V, 6). Comme Jourdain se destine à l’éducation d’un homme de cour, il convient de tenir compte de la notion de savoir-vivre propre à la cour, c’està-dire, les diverses composantes de l’existence aristocratique, telles que les incarne Dorante. 17 Pour garder son rang à la Cour au XVII e siècle, la maîtrise de l’habillement, de l’étiquette, de l’art de la conversation et du goût était primordiale. Désireux de s’initier au savoir-vivre aristocratique, le protagoniste témoigne d’une volonté paradoxale d’apprendre précisément ce qui échappe à un apprentissage formel ; il ne parvient pas à acquérir les éléments constitutifs de l’art de plaire. Il souffre, en fait, d’une perception mal fondée consistant à ramener des pratiques culturelles à des « sciences exactes » (Sörman, 172). D’où sa quête problématique et illusoire de « l’air noble, » du célèbre « je ne sais quoi » qui s’apparente à cet indéfinissable esprit de finesse cher à Pascal. Bref, la société de cour l’oblige à matérialiser l’idéal du savoir-vivre en faisant étalage des signes de la consommation aristocratique. 18 Si Jourdain s’avère ébloui par la « qualité » de Dorante et de Dorimène, c’est qu’il considère leur statut d’aristocrate comme une chose sacrée. A cela s’ajoute son admiration indifférenciée, voire béate pour tout ce qui provient du « beau monde ». Il se situe aux antipodes de ces gens de 16 C. Kintzler, « Le Bourgeois gentilhomme : Trois degrés dans l’art du ballet comique, » Comédie Française, 154-155 (1986-87), 10. 17 La formule de La Bruyère fait bien ressortir ce qu’est devenu l’idéal aristocratique de la maîtrise de soi : « Un homme qui sait la cour est maître de son geste, de ses yeux et de son visage… » (« De la Cour, » Les Caractères). 18 L. Riggs, « Semiotics, Simulacra, and the Consumerist Rhetoric of Status…», 45. Ralph Albanese PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 100 qualité qui « savent leur monde » (V, 3) : leur goût étant inné, ils jouissent naturellement du capital culturel, de l’élégance et de la galanterie mondaine. Adoptant un train de vie fastueux propre à l’élite politique, Jourdain apprend à dépenser son argent en grand seigneur : il doit « régler ses dépenses en fonction de son rang. » 19 Défiant les lois somptuaires, il s’adonne à la quête de la magnificence, c’est-à-dire, des dépenses de pur prestige conformes à l’idéal aristocratique : réceptions, vêtements, diamant, domesticité, etc.. 20 On pourrait affirmer, dès lors, que son inutilité sociale tient à sa volonté de vivre de sa fortune, ou bien, de ses rentes, au lieu de gagner sa vie. Il s’agit, en fait, d’une accumulation du capital hérité de ses aïeux, autant dire d’une richesse qui ne découle pas de la productivité économique. Fondée sur l’idéal d’oisiveté, la culture aristocratique de loisir au XVII e siècle répugne au travail des gens de métier : la marque d’une existence noble, c’est qu’il était défendu de « faire métier en marchandise ». 21 Le titre de « gentilhomme » n’étant point un objet susceptible d’être acquis ou gagné, il va de soi que les valeurs aristocratiques échappaient alors à l’emprise financière. Dans la mesure où l’argent relève de l’univers quantitatif, Jourdain fait étalage de sa fortune ; ses signes extérieurs de richesse l’emportent d’ailleurs sur ses connaissances intellectuelles. Engagé dans le système d’échange monétaire, le protagoniste a du mal à fonctionner dans l’univers abstrait de la qualité. 22 Comme l’argent représentait une commodité par excellence au siècle de Louis XIV, la noblesse de robe a fini par être un objet du marché commercial. L’achat de rentes et la vénalité des charges constituaient des formes improductives d’investissement de la part d’une bourgeoisie rétrograde. 23 19 N. Elias, La Société de cour, Paris, Calmann-Lévy, 1974, 98. 20 La scène du banquet (IV, 1) met en relief l’opposition entre la dépense ostentatoire et superflue et la finalité utilitaire de l’argent. Se reporter, à ce propos, à J-M. Apostolidès, « Le Spectacle de l’abondance, » L’Esprit Créateur, XXI (1981), 26-34. En faisant largesse de son argent, Jourdain s’oppose à l’esprit possessif de Sganarelle (L’École des Maris) et au goût de la thésaurisation propre à Harpagon. 21 R. Mousnier, Les Hiérarchies sociales de 1450 à nos jours, Paris, PUF, 1969, 74. Force était, chez les nobles d’épée, d’éviter la dérogeance en ne se livrant pas à toutes activités jugées dégradantes comme le commerce et la finance. Notons aussi qu’une telle pratique commerciale repose étymologiquement sur la notion de « négoce » (= neg/ otium). 22 Voir à cet égard H. Melehy, « Molière and the Value of the Image: Le Bourgeois gentilhomme », Papers on French Seventeenth Century Literature, 50 (1999), 32. 23 L. Riggs, Molière and Modernity: Absent Mothers and Masculine Birth, Charlottesville, Rookwood, 2005, 39. Voir aussi R. Mousnier, La Vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, Paris, PUF, 1971. On assiste à un déplacement du prestige social fondé La Dialectique savoir/ ignorance dans Le Bourgeois gentilhomme PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 101 Afin de mieux saisir la problématique de l’éducation dans Le Bourgeois gentilhomme, il importe de tenir compte du fait que le héros éponyme a honte à la fois de son manque de culture - il sombre, en fait, dans l’ignorance - et, plus précisément, de sa condition sociale. Tout se passe comme si son vœu de se faire décrotter - c’est-à-dire, débarrassé de son ignorance - se trouvait voué à l’échec puisque son manque de naissance l’empêche d’apprendre les beaux-arts (la musique et la danse, par exemple), réservés à la noblesse. Autant dire que sa volonté de sortir de son ignorance est intimement liée à son désir d’échapper à la roture, en d’autres termes, sa place inférieure dans la hiérarchie sociale de l’Ancien Régime. Son désir d’élévation va jusqu’à couper tous liens biologiques avec ses parents pour fuir son identité indubitablement bourgeoise. En fait, comme on l’a vu, il « enrage » de ne pas être né dans le second ordre et, dans son effort pour nier ses origines, pour échapper à ce que Saint-Simon a dénommé la « vile bourgeoisie », il accepterait de mutiler son corps : « Je voudrais qu’il m’en eût couté deux doigts de la main » (III, 15). Sa femme, en revanche, dans la mesure où elle « sait son monde, » entend rester à sa place en se contentant de sa condition et en s’identifiant fièrement à ses origines commerciales. Reprochant à son mari sa folie nobiliaire, Mme Jourdain lui rappelle qu’il est bel et bien fils de marchand, c’est-à-dire, que ses ancêtres étaient des drapiers de la porte Saint-Innocent (III, 12). Veillant au patrimoine familial, elle lui fait une leçon de rhétorique gestionnaire touchant à ses dépenses extravagantes (III, 3). Dans la galerie de personnages moliéresques marqués par la crainte, on peut affirmer que Jourdain rejette le métier de ses ancêtres parce qu’il a peur que son identité ne soit révélée. 24 Craignant d’être traité d’individu sans valeur, c’est-à-dire, de roturier qui ne paraît pas suffisamment cultivé, il entend échapper à l’ignominie de sa race tout en aspirant à jouir de la sécurité propre au rang de gentilhomme. De l’infériorité de sa classe sociale on passe alors à son complexe d’infériorité. Aussi le protagoniste utilise-t-il son argent pour combler son sentiment d’infirmité de rang. Grâce à la conception qu’il se fait du savoir, son argent (= avoir) lui permet d’atteindre à une essence (= être). Rêveur impénitent, visionnaire social, Jourdain incarne le nec plus ultra de l’imaginaire moliéresque. Faisant figure d’intrus dans l’univers aristocratique, il lui est impossible de se mettre à sur le privilège au prestige social fondé sur l’argent (A. Behdad, « The Oriental(ist) Encounter : The Politics of turquerie in Molière, » L’Esprit Créateur, XXXII (1992), 39). 24 Je me permets de renvoyer ici à mon étude : Le Dynamisme de la peur chez Molière : une analyse socio-culturelle de Dom Juan, Tartuffe et L’École des Femmes, University, MS, Romance Monographs, 1976. Ralph Albanese PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 102 l’abri du ridicule. D’ailleurs, il témoigne de l’égarement des grands héros comiques de Molière. Son projet existentiel peut se ramener à une volonté délirante de croire à la qualité de gentilhomme, et ce projet prend une allure comiquement cartésienne si l’on souscrit à la formule suivante : « Je suis gentilhomme, donc j’existe. » D’où la contradiction à la fois comique et ontologique inhérente au titre de la pièce (Cuche, 36). Se faisant une image déformée du réel, le protagoniste impose sur autrui sa volonté (III, 3). 25 A l’instar du Sganarelle de Dom Juan, pour qui l’habit de médecin lui en donne les privilèges (III, 1), Jourdain se croit réellement transformé en portant le costume de gentilhomme. L’imaginaire théâtral auquel il participe trouve une expression privilégiée dans la scène des tailleurs, où son accoutrement fictif fait l’objet d’une mise en scène burlesque (II, 5). 26 En tâchant de réifier la notion de noblesse, de la réduire à une pure commodité, Jourdain vise en l’occurrence à échapper au système d’échange social auquel il appartient. Son désir d’acquérir les principaux éléments d’une éducation de cour - le savoir-dire, le savoir-faire et le savoir-vivre 27 - représente une appropriation illégitime du droit de naissance aristocratique. Bien que son déracinement systématique souligne le fait que les bourgeois au XVII e siècle étaient encouragés à s’initier et à s’identifier à l’imaginaire aristocratique, voire à l’adopter, il n’en demeure pas moins que l’imaginaire culturel de cette époque répugnait à la notion de mobilité sociale, de déplacement d’un état à l’autre. Ainsi, en se livrant à des flagorneries devant Dorante - « Monsieur, je sais le respect que je vous dois » ; « Monsieur, je suis votre serviteur » (III, 4) - le protagoniste fait éclater à tout moment son infériorité sociale en présence du noble décavé et impécunieux. 28 Le geste d’amitié que celui-ci lui témoigne fait ressortir, du reste, le manque d’égalité qui marque leur rapport (III, 6). Tout se passe comme si Jourdain prêtait à Dorante de grosses sommes pour s’égaler à lui et pour s’approcher du Roi. Le 25 Une telle démarche se manifeste également dans Tartuffe, où Orgon, père tyrannique, essaie de faire accepter par Mariane sa vision illusoire de la réalité : « Mais je veux que cela soit une vérité » (II, 1, v. 451). 26 G-A. Goldschmidt met en valeur la dimension ludique de Jourdain, qui « joue à être un gentilhomme. Volontairement il substitue à son identité réelle une identité d’emprunt et qu’il sait être une identité d’emprunt » (Molière ou la liberté mise à nu, Paris, Julliard, 1973, 157). 27 N’y a-t-il pas lieu d’affirmer que ces éléments clefs d’une éducation de cour constituent un véritable trivium de la sociablité mondaine ? 28 J-P. Grosperrin, « Variations sur le ‘style des nobles’ dans quelques comédies de Molière, » Littératures, 41, (1999), 53. Notons aussi que Dorante et Dorimène recourent à une forme d’adresse roturière (« Monsieur Jourdain ») en faisant référence au bourgeois enrichi (III, 4 ; III, 19 ; IV, 1). La Dialectique savoir/ ignorance dans Le Bourgeois gentilhomme PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 103 Bourgeois gentilhomme démontre, donc, que la relation du noble au nonnoble représente la structure sociale fondamentale sous l’Ancien Régime. Il va de soi que cette relation illustre une ségrégation socio-culturelle rigide puisqu’elle s’insère au cœur même de la stratification sociale du XVII e siècle. Le dénouement suggère que le processus éducatif n’a eu, chez Jourdain, aucune valeur transformatrice. On assiste au spectacle d’un héros comique qui s’ignore et qui, en s’avérant dupe de son travestissement, ne parvient pas à maîtriser son masque ; en un mot, il ne connaît aucun moment d’anagnorisis à partir de la cérémonie turque (IV, 8). Le bourgeois passe du statut de faux gentilhomme à celui de faux Turc, et la scène d’investiture burlesque opérée par Covielle apparaît comme une imposture, de même que le vœu fondamental du bourgeois relève d’une « pathologie sociale » (Merlin-Kajman, 324). Les turqueries aboutissant à son aliénation, il sombre dans un état permanent d’illusion et passe au stade du « non être » (c’est-àdire, au néant de « Jiordina »). 29 Son manque de repères existentiels sont tels qu’il persiste à s’enfermer dans une vision frauduleuse de lui-même. A ce propos, il est juste d’affirmer que cette comédie-ballet raille l’inauthenticité de Jourdain, qui entend se transformer en gentilhomme : aux faux gentilshommes s’ajoutent, on l’a vu, les faux savants, les faux dévots, etc. 30 Il convient de faire remarquer, d’autre part, que la démarche du protagoniste désireux de reprendre l’itinéraire éducatif des gentilshommes signale que la notion d’origine, c’est-à-dire, de descendance l’emporte parmi les gens de qualité sur celle de formation. F. Assaf perçoit à juste titre chez lui une véritable tragédie des origines. 31 L’esprit marchand de Jourdain trahissant son passé de boutiquier, il ne perd pas de vue l’emprise de sa condition bourgeoise : en fait, « il se sait bourgeois » (Assaf, 16). Là où Mme Jourdain refuse de renier ses origines, son mari, lui, entend en fabriquer de nouvelles. En se fiant aux propos que lui adresse Covielle lors de sa farce carnavalesque (IV, 5), il fait preuve d’un désir d’abolir le passé, d’une volonté arbitraire de jouir a posteriori d’une naissance aristocratique. Loin d’être le résultat d’un apprentissage, son élévation comique à une haute dignité turque apparaît comme un don de l’imagination fertile du valet de Cléonte. Son acceptation volontaire d’une paternité aristocratique sert à compenser une naissance perçue comme illégitime. Grâce à cette 29 F-X. Cuche, « Du Bourgeois gentilhomme de Molière au gentilhomme bourgeois de Sedaine, » Théâtre et société de la Renaissance à nos jours, Poznan, Mickiewicz Univ. Press, 1992, 40. Ce statut existentiel s’explique par l’étymologie arabe du titre « Mamamouchi », qui signifie « propre à rien ». 30 G. Forestier, Molière en toutes lettres, Paris, Bordas, 1990, 151. 31 F. Assaf, « Aspects ‘ironiques,’ aspects ‘tragiques’ du Bourgeois gentilhomme, » Papers on French Seventeenth Century Literature, XVII, 32 (1990) : 13-22, 17. Ralph Albanese PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 104 invention cocasse, le protagoniste connaît une sorte de renaissance au monde et passe miraculeusement au stade de « noble de race ». Le rituel que lui fait subir Covielle lui permet d’atteindre au statut officiel de « Mamamouchi » et, de ce fait, à une nouvelle identité. Dès qu’il revêt son costume de Mamamouchi, il s’érige en connaisseur de turc et parle cette langue à sa femme (V, 1). Alors, se croyant omniscient, il ne se sent plus obligé de poser des questions naïves à ceux qui détiennent le savoir. De plus, il découvre une parfaite compétence discursive ; il sait maintenant régler ses gestes et s’exprime clairement : « Sa nouvelle dignité a transformé Jourdain au point de lui apprendre à parler. L’élève est devenu un maître à son tour. » 32 : Madame, … je suis infiniment obligé de prendre part aux honneurs qui m’arrivent, et j’ai beaucoup de joie de vous voir revenue ici, pour vous faire les très humbles excuses de l’extravagance de ma femme (V, 3). Suffit-il de s’imaginer grand dignitaire turc pour que l’on parle avec élégance ? 33 Quoiqu’il en soit, le triomphe paradoxal de Jourdain à la fin se manifeste par cette métamorphose remarquable : après la cérémonie turque, Dorante s’adresse à lui en utilisant la forme honorifique de « Monsieur » ; quant au protagoniste, toute proportion gardée, il se livre fièrement à cette affirmation de soi : « Je suis Mamamouchi » (V, 1) avec la même ardeur que Polyeucte, qui prononce la formule « Je suis chrétien » avant de se martyriser (V, 3, vv. 1676-77). 34 En s’autoproclamant membre d’une élite socioculturelle imaginaire, il s’érige en valeur de référence primordiale. Etant enfin parvenu, par l’entremise du décret de Covielle, à suivre le cursus de la réussite, il est monté d’un coup au sommet de l’échelle des illusions. Bien que le ludisme marque le dénouement, Jourdain témoigne lui seul de l’esprit de sérieux lors de la cérémonie turque. Grâce aux accessoires du rôle qu’il vient d’intérioriser, à savoir, le grand turban et le sabre, il semble avoir assimilé une sorte de sagesse carnavalesque lui permettant de rabrouer sa femme en la qualifiant d’impossible à corriger, voire à éduquer (V, 7). Tout se passe enfin comme si son but ultime était d’échapper à la dérision collec- 32 G. Defaux, Molière ou les métamorphoses du comique : de la comédie morale au triomphe de la folie, Lexington, French Forum, 1980, 272. 33 Cette transformation prodigieuse du discours du Mamamouchi évoque l’éloquence vite acquise par Charlotte face à Dom Juan (II, 2). 34 Selon M. Longino, la cérémonie turque s’apparente à une mimésis burlesque aboutissant à une critique de la culture ottomane. L’identité culturelle de la France du XVII e siècle répugne à la fois aux bourgeois (leur désir de mobilité sociale) et aux étrangers (= les « infidèles ») (Orientalism in French Classical Drama, Cambridge Univ. Press, 2002, 140, 144). Ajoutons que l’intronisation de Jourdain en Mamamouchi suppose un rite de conversion à la religion musulmane. La Dialectique savoir/ ignorance dans Le Bourgeois gentilhomme PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0006 105 tive en rendant « tout le monde raisonnable » (V, 7). La sagesse symbolisant une somme d’expérience dans la vie, elle n’a rien à voir avec la raison discursive propre à cette figure autoritaire qu’est Jourdain. En fin de compte, Le Bourgeois gentilhomme remet en question la prétention d’accéder instantanément à la fois à la noblesse et à la sagesse. 35 35 Je tiens à remercier Denis Grélé de ses conseils et de ses excellentes suggestions d’ordre stylistique lors de l’élaboration de cet essai. PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps E RIC T URCAT (O KLAHOMA S TATE U NIVERSITY ) « Et contre cet assaut je sais un coup fourré Par qui je veux qu’il soit de lui-même enferré » (Mascarille dans L’Étourdi, III, 5, v. 1165-66) Molière n’a jamais particulièrement affectionné les règles du théâtre classique, et il ne s’est pas privé de nous le rappeler, fût-ce par porte-parole interposé : « Vous êtes de plaisantes gens », ironise Dorante en réponse à la référence aristotélicienne de Lysidas, « avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants […] Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire » (La Critique de l’École des femmes, scène 6). Néanmoins, de ces fameuses règles classiques, certaines lui auront été un peu moins difficiles à tolérer, et parmi elles notamment, celle de l’unité de temps. Dans l’ensemble, en effet, l’œuvre moliéresque parvient assez facilement à respecter la contrainte d’une action condensée en moins de vingtquatre heures 1 . Mais dans l’ensemble seulement. Car dans le détail, en revanche, on se souviendra de l’exception notoire du Dom Juan où le dramaturge avait malicieusement laissé déborder son action sur une journée et demie 2 . 1 Règle des vingt-quatre heures que l’on inculque encore abusivement comme ‘classique’, alors qu’il serait en fait plus exact, comme le précise Jacques Scherer, de parler de règle ‘préclassique’ : « À l’époque pré-classique [sic], on exigeait que les actions représentées ne durent pas plus de vingt-quatre heures ; Corneille voulait même aller jusqu’à trente. Puis on a ramené la limite à douze heures, et très vite, pour respecter le vraisemblable, à la durée réelle de la représentation, soit trois ou quatre heures. Telle serait l’exigence en 1665 » (Sur le Dom Juan de Molière, Paris, Sedes, 1967, p. 44). 2 Au regard de la réécriture versifiée de Dom Juan par Thomas Corneille (1677) qui, pour sa part, n’eut aucun mal à ramasser l’action en une seule journée, il semble Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 108 Cependant, cette malice à l’égard des contraintes temporelles, je soutiendrai à présent que Molière l’a toujours eue, et qu’il n’a donc pas fallu attendre Dom Juan pour la voir exposée, pour ainsi dire, au grand jour. Cet esprit de contrariété vis-à-vis de l’unité ou plutôt de l’unicité du temps, le dramaturge l’avait déjà révélé dix ans auparavant, dans sa première comédie en cinq actes, L’Étourdi (1655), qu’il avait d’ailleurs sous-titrée Les Contretemps. À en croire une recherche étymologique, en effet, le ‘contretemps’ en question, tout au moins dans son acception la plus courante d’« incident inopiné qui retarde ou contre-carre [sic] un projet », c’est pratiquement Molière qui l’aurait inventé 3 . En reprenant à son compte les contrariétés inhérentes au genre de la farce 4 , et surtout en leur imposant un signifiant à consonance encore néologique, le créateur de L’Étourdi s’inscrivait d’emblée en porte-à-faux par rapport à la tradition classique d’un temps uniforme se déroulant inexorablement jusqu’à son dénouement de préférence tragique. Pour Molière, le premier acte de résistance contre le classicisme serait donc passé par un pied de nez à la fatalité même. À l’unicité du temps fondamentalement tragique se serait ainsi opposée la duplicité des contretemps éminemment farcesques. Toutefois, il faudrait aussi se garder de réduire les contretemps moliéresques à leurs antithèses les plus génériques. Car si, dans un premier en effet difficile d’interpréter le débordement temporel de Molière autrement que comme pure malice. Au lieu de séparer le fameux « festin de pierre » en deux invitations dînatoires, il lui aurait ainsi suffit de recourir à la simple distinction sémantique entre ‘dîner’ et ‘souper’ pour rassembler lui aussi les deux festins en une même soirée. Ce qui n’aurait par ailleurs nullement affecté le manque de vraisemblance de son dénouement granguignolesque. 3 Je dis bien ‘pratiquement’ car, selon le Portail lexical du CNRTL, l’origine étymologique de cette acception reviendrait plutôt au rival de Molière, Philippe Quinault qui aurait lui-même employé le vocable de ‘contretemps’ quelques mois auparavant dans une pièce intitulée L’Amant indiscret (1654), et qui, comme par hasard, raconte exactement la même histoire que celle de L’Étourdi : http: / / www.cnrtl.fr/ etymologie/ contretemps. 4 Depuis le travail de Gustave Attinger (L’Esprit de la commedia dell’arte dans le théâtre français, Genève, La Baconnière, 1950), la critique s’intéresse surtout à l’influence italienne dans le théâtre de Molière, et notamment dans ses premières pièces. Voir Philip Wadsworth et « The Italian source of Molière’s L’Étourdi », Kentucky Romance Quarterly, XVIII (1971), p. 319-31, ou encore, et plus récemment, Gabriel Conesa avec son « Molière et l’héritage du jeu comique italien dans l’art du théâtre », dans L’Art du théâtre, Paris, PUF, 1992, p. 177-87. Assez curieusement cependant, plus rares sont les critiques qui, comme Patrick Dandrey dans sa Préface à L’Étourdi (Paris, Gallimard, 2002), s’intéressent aux rapprochements avec la farce médiévale. Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 109 temps, Molière résiste effectivement à la fatalité du tragique par tous les moyens que lui procurent son génie antithétique, comme nous le verrons dans un deuxième temps, son Étourdi s’ingénie également à compliquer les règles du jeu malgré tout assez simplistes du genre farcesque 5 . Très vite, en effet, alors que le duo dualiste du maître et du valet se transforme en duo duelliste, le jeu devient un sport. Et là encore, étymologiquement parlant, Molière innove, puisque son emploi de ‘contretemps’ comme terme d’escrime est un des premiers répertoriés 6 . Or, là où le créateur des Contretemps nous surprend le plus, ce n’est pas tellement par son intérêt métaphorique pour le maniement de l’épée, puisqu’il s’agit de toute évidence d’un intérêt qu’il poursuivra durant toute sa carrière 7 ; c’est plutôt dans sa connaissance, oserais-je dire ‘de pointe’, quant aux mauvais coups que peuvent se jouer les duellistes. Car, comme nous le découvrirons bientôt, les vainqueurs de ces passes d’armes ne sont pas nécessairement ceux qui s’escriment le plus à les remporter. Enfin, après les coups de théâtre antithétiques et les coups d’estocs métaphoriques, nous conclurons sur la question de l’ « après-coup » métapsychologique des contretemps moliéresques 8 . En effet, comme le suggère très justement Patrick Dandrey, à force de se laisser conditionner par l’éternel retour des étourderies, les lecteurs/ spectateurs de L’Étourdi finissent inévitablement par les « désire[r] » 9 . Or, qui dit désir, et surtout désir 5 Je ne m’attarderai pas ici sur les nombreux rapprochements à faire entre Les Contretemps et la théorie des jeux, puisqu’Edithe Potter a déjà bien lancé ce travail, notamment dans « Molière’s Comic Artistry in L’Étourdi », Kentucky Romance Quarterly, XX (1973), p. 89-97. En revanche, je noterai simplement que, là encore dans l’esprit des antithèses farcesques entre temps et contretemps, Potter remarque elle-même une opposition ludique entre l’agon de Mascarille et l’alea de Lélie (92). 6 Revoir l’étymologie proposée par le Portail lexical du CNRTL : http: / / www.cnrtl.fr/ etymologie/ contretemps. 7 Au sujet des métaphores de l’escrime chez Molière, voir surtout le travail de Judd Hubert dans Molière and the Comedy of Intellect, Los Angeles, University of California Press, 1962. 8 J’utiliserai de façon interchangeable le terme freudien de Nachträglichkeit et sa traduction française d’« après-coup » que Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis définissent de la manière suivante : « des expériences, des impressions, des traces mnésiques sont remaniées ultérieurement en fonction d’expériences nouvelles. Elles peuvent alors se voir conférer, en même temps qu’un nouveau sens, une efficacité psychique » (Vocabulaire de la psychanalyse, 5 e édition, Paris, PUF, 2007, p. 33). 9 « [À] la surprise suscitée par la première bourde se substitue dès les suivantes l’attente du nouveau faux-pas ; au rire de stupeur déclenché par la première gaffe Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 110 contrôlé, dit quelque part économie libidinale, puisque, de la même manière que le public doit apprendre à gérer l’énergie primaire de sa libido, Molière doit lui aussi tenter d’imposer sa loi sur la cohabitation chahutée entre temps et contretemps 10 . Car si cette temporalité, qui préoccupe le dramaturge, reste avant tout une question de progression par à-coups consciemment concertés, elle n’en devient pas moins un problème de querelles intestines et de rancunes larvées. Et c’est là qu’interviendra notamment le concept rétrospectif de l’« après-coup ». C’est là que se jouera toute l’énergie contra-temporelle de L’Étourdi, non pas au niveau de l’inconscience, mais de l’inconscient. II.1. Coups de théâtres : les contretemps comme antithèses Le comique bergsonien de la mécanique moliéresque n’a pas toujours plu à la critique. Loin s’en faut. Déjà pénible pour certains sous le format des farces ramassées en un seul acte, la répétition des mêmes stratégies du rire devient franchement insoutenable dès lors que Molière décide d’étirer son processus sur cinq actes 11 . Même pour les plus patients qui, comme Dandrey, se donnent la peine d’analyser cette mécanique répétitive pour en révéler une structure de type économique 12 , on perçoit malgré tout que les présupposés critiques restent inchangés. L’Étourdi a beau montrer quelques succède lors de la seconde et des suivantes un processus continu d’hilarité ascendante, culminant en crescendo sur la confirmation d’un effet comique qui est escompté dès l’intrusion du gaffeur, et même avant son entrée que le spectateur prévoit imminente, pressent et désire. » Op. cit., p. 17-18. 10 Je n’utiliserai pas de guillemets pour l’expression pourtant empruntée d’ « économie libidinale », puisque, contrairement à celle de Freud, mon ‘économie’ reste foncièrement étymologique (d’où mon emploi consécutif des vocables ‘loi’ et ‘cohabitation’), et que contrairement à celle de Lyotard, cette économie reste totalement dépourvue de toute référence marxiste. 11 Les jugements paternalistes à l’égard du ‘jeune’ Molière et de ses Contretemps ne manquent pas. Je me contenterai donc de ne relever ici que l’un des plus méprisants, celui de Pierre Mélèse qui, dans sa Préface à la pièce, se lamente mémorablement de « cette succession de dix étourderies mises bout à bout plutôt que réellement enchainées » (L’Estourdy, Lille, Giard, 1951, p. xvi). 12 « L’acte premier [de L’Étourdi] aura exposé les trois archétypes de la mystification que le reste de la pièce va se contenter de décliner en les alternant : le mensonge, le vol et le rapt. Tous trois constituent des modèles d’interférence perturbant trois systèmes de communication sociale parmi les plus considérables : la langue, l’argent et le commerce […] Ainsi, au fil des cinq actes, quatre fourberies fondées sur le mensonge, autant de projets de rapt et deux tentatives de vol viendront échouer sur l’obstacle réitéré de l’étourderie de Lélie » (Op. cit., p. 12-13). Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 111 signes d’un style proprement moliéresque, dans l’ensemble toutefois, la pièce pèche par de nombreux défauts de confection, parmi lesquels les antithèses farcesques ne sont malheureusement pas des moindres. Et cela se comprend de prime abord assez bien, puisque l’on décèle très vite chez Molière une forme d’autosatisfaction presque sadique quant à la répétition mécanique de ses procédés comiques. Ainsi, dès la fin du premier acte, quand Mascarille explose d’indignation suite à la troisième bourde consécutive de son maître Lélie, voici comment le dramaturge fait annoncer la couleur au valet : « Et trois : / Quand nous serons à dix nous ferons une croix » (v. 441-42). Regardez, semble nous dire Molière, il ne vous reste plus qu’à compter jusqu’à dix, car après cela j’en aurai fini (vous pourrez « f[aire] une croix »), et je vous révélerai mon dénouement. Comme si l’étourdissement de la répétition ne suffisait pas, on nous demande en plus un travail de comptabilité ! Cependant, ce que manque en général ce type de critique, en ne prenant pas le temps de toujours bien différencier les formes de répétition dans L’Étourdi, c’est précisément la question du temps, ou plutôt des contretemps. Certes, Dandrey là encore s’en approche le plus qui, après avoir consulté son Furetière, constate qu’ « [u]n étourdi, pour les contemporains de la pièce, est un homme en délicatesse avec le temps, un inconsidéré, au sens où vivant dans l’instant et agissant dans l’urgence, il ne considère pas les suites de ses actes » 13 . Mais aussi perspicace que soit cette constatation, elle n’en renforce pas moins la hiérarchie d’une temporalité antithétique où la mécanique oppositionnelle serait d’emblée figée. D’un côté, le temps des fourberies de Mascarille qui s’ingénie à faire avancer le projet amoureux de son maître. De l’autre, les contretemps de Lélie, l’étourdi attitré dont les gaffes font échouer à chaque reprise les initiatives de son valet. Pas plutôt formulée, l’antithèse du temps et des contretemps semble se bloquer sur un renversement de pouvoir entre Lélie et Mascarille ; à la hiérarchie respectée entre maître et valet succède une hiérarchie inversée où les contretemps du premier ne sont qu’une version inférieure aux temps forts du second. Et de là à y reconnaître une persistance du carnaval bakhtinien, il n’y aurait bien sûr qu’un pas… qui ne nous avancerait malheureusement guère. En effet, le seul avantage pratique dans l’éclairage d’une temporalité antithétique par une dynamique carnavalesque, c’est de nous rappeler combien l’antithèse n’est pas figée, et combien les forces en présence fonctionnent non pas en courant continu mais en courant alternatif. Ainsi, 13 Ibid., p. 14, et au passage, je rappelle la définition originelle dans le dictionnaire de Furetière : « ESTOURDI. s. m. Imprudent inconsideré qui fait les choses avec precipitation, & sans considerer les suites. » Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 112 comme nous allons maintenant le constater, le temps des Contretemps n’appartient pas toujours à Mascarille, et les contretemps de L’Étourdi ne sont pas toujours l’affaire de Lélie. Parfois même, le temps et les contretemps ne leur appartiennent ni à l’un ni à l’autre. Prenons comme premier exemple le jeu de scène où Mascarille tente de détrousser le vieil Anselme (I, 5). Dans cet extrait, le valet vient de flatter le vieillard en lui faisant croire qu’une dénommée Nérine (v. 219) est amoureuse de lui : MASCARILLE [veut prendre sa bourse] Elle vous veut… ANSELME Elle me veut… ? MASCARILLE [prend la bourse et la laisse tomber] Et vous veut, quoi qu’il tienne, Prendre la bourse. ANSELME La… ? MASCARILLE La bouche avec la sienne. Ici, Mascarille n’a nul besoin de l’aide de son maître pour produire ses propres contretemps. Comme l’indique la deuxième didascalie, c’est en effet bien lui et lui seul qui a la maladresse de « laisse[r] tomber » l’argent, et comme le précise inconsciemment son lapsus grivois sur « la bourse », le fourbe ne demande que le bâton pour se faire battre. Pourtant, il s’en tire à bon compte. D’une part parce que l’anesthésie de la flatterie a produit son effet en rendant le barbon aussi aveugle que sourd. De l’autre parce que, comme l’indiquent cette fois les stichomythies du dialogue, l’inspiration de Mascarille gagne en fait du régime grâce à ses obstacles qui lui permettent à chaque fois de mieux rebondir. Entre le temps de la fourberie et les contretemps de l’étourderie, les pôles positifs et négatifs de l’énergie quasiélectrique qui dynamise le valet finissent par se confondre. Autrement dit, quelque que soit sa proximité ou son éloignement de ce générateur d’appoint que représente effectivement Lélie ; le temps de Mascarille génère ses propres contretemps, et vice-versa. Inversement, même l’étourdi attitré se montre tout à fait capable de se passer des coups de génie de son valet, le temps d’orchestrer sa propre fourberie. Ainsi, anticipant à la perfection le deus ex machina de l’acte final, Lélie en appelle, dès le deuxième acte, à la fibre paternelle de son principal Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 113 adversaire, Trufaldin 14 , par le biais d’une missive dont l’inspiration lui revient apparemment à lui seul (II, 11). Sans savoir encore que le vieillard qui détient sa bien aimée Célie va finalement s’avérer être le père de la jeune femme, le maître de Mascarille va pour une fois affirmer sa maîtrise en s’inventant l’identité d’un père qui, comme Trufaldin précisément, aurait lui aussi été séparé de sa fille à l’enfance 15 . Nul besoin donc pour Lélie de s’appuyer sur les fourberies de son valet ; ici, le génie vient de l’ingénu, et l’ironie dramatique qui en résulte n’en est que plus puissante. Or, ce coup de génie est peut-être un peu trop génial, surtout par rapport à certaines des fourberies les plus grotesques de Mascarille, et c’est peut-être pour cette raison avant tout que Molière se sent obligé de remettre Lélie à sa place en le faisant buter à nouveau contre l’entreprise adverse de son valet. Mais cette fois, le contretemps du jeune maître ne saurait plus être le résultat d’un problème de communication 16 . Cette fois, ce contretemps semble bouleverser la dynamique entre les deux protagonistes. En effet, face à la prévision faible de Mascarille, qui s’était contenté d’annoncer un décompte de péripéties pour parvenir à la fin de la pièce, s’inscrit désormais la prédiction forte de Lélie, qui nous projette directement au dénouement. Là où le valet devait jusque-là s’appuyer sur les autres pour accélérer la production énergétique de sa temporalité alternative, son maître, quant à lui, semble entièrement capable de transcender ses multiples 14 Je précise bien que, techniquement, les deux adversaires de Lélie se nomment Léandre et Andrès qui, tous deux, prétendent également au cœur de Célie. Néanmoins, tous trois ont en commun le même obstacle, à savoir Trufaldin, qui, métaphoriquement parlant, détient les clefs de la ceinture de chasteté verrouillée sur la jeune femme (déjà symboliquement attachée à lui par les chaînes de l’esclavage). 15 Voici les deux premières strophes de la lettre en question (II, 10, v. 803-10) : Le Ciel, dont la bonté prend souci de ma vie, Vient de me faire ouïr par un bruit assez doux Que ma fille à quatre ans par des voleurs ravie, Sous le nom de Célie est esclave chez vous. Si vous sûtes jamais ce que c’est qu’être père, Et vous trouvez sensible aux tendresses du sang, Conservez-moi chez vous cette fille si chère, Comme si de la vôtre elle tenait le rang. 16 Manque de communication pourtant si fondamental à la pièce puisque, même après le sixième contretemps, où Lélie dénonce encore avec véhémence son manque d’information quant aux manœuvres sournoises de son valet, Mascarille semble plus résolu que jamais à renforcer cette politique d’entropie communicative (III, 4, v. 1103-05) : « LÉLIE : À moins d’être informé des choses que tu tentes. / J’en ferais cent de la sorte. MASCARILLE : Tant pis. » Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 114 contretemps en une seule fulgurance parfaitement autonome. Et Mascarille, de s’interroger, à juste titre, sur ses capacités à remonter cette forme magistrale de temporalité, pour ainsi dire à ‘contre-courant’ (III, 1) 17 . Or, de la même manière que le temps des fourberies n’appartient guère plus au valet qu’au maître, et que les contretemps de l’étourderie ne s’appliquent guère moins à Lélie qu’à Mascarille, le coup de théâtre final (V, 9), faut-il bien le rappeler, ne dépend pas plus des péripéties générées par l’un que par l’autre. Ainsi, c’est au hasard d’une dispute de rue entre deux vieilles, jusque-là totalement étrangères à l’intrigue, qu’éclate la double révélation qui fera chavirer la pièce. Non seulement Trufaldin, alias Zanobio Ruberti, est en fait le père de Célie (celle qui, jusque-là, avait été son esclave), mais il est en plus le père d’Andrès (celui qui, justement, prétendait la lui acheter). Ce qui entraîne un double renversement sur le plan de l’économie autant dramatique que libidinale. D’un côté, en effet, et de manière rigoureusement explicite, la libido d’Andrès, concentrée sur Célie, se voit brusquement censurée par le tabou de l’inceste, ce qui laisse désormais la voie libre à Lélie. De l’autre, et de manière perversement implicite, l’économie momentanément bénéficiaire de Trufaldin (avec la vente de son ‘esclave’) finira de fait déficitaire, après le remboursement de la commande, suivi de près du déboursement de la dot pour le mariage de sa fille. Ce qui fera à nouveau l’affaire du jeune Lélie… et toujours sans la moindre intervention de sa part ni de celle de son valet. Autrement dit, à l’antithèse comme nous l’avons vu réversible du temps des fourberies et des contretemps de l’étourderie répond une nouvelle temporalité antithétique avec, là encore, une forte tendance à la réversibilité. D’un côté, le temps heuristique des deux vieilles dont la seule explosion fera plus pour résoudre les problèmes de Lélie que tous les efforts de Mascarille, mais dont le plus cruel contretemps sera celui du destin 17 Je ne reviendrai pas ici sur l’analyse de la métaphore filée pratiquée dans le soliloque où Mascarille assimile les contretemps de Lélie à un courant torrentiel, puisque Scherer en fait déjà une analyse détaillée dans son « Molière et le monologue tragique, d’après un passage de L’Étourdi », PMLA, LIV (1939), p. 768- 74. Cependant, je préciserai comment, malgré ses lamentations sur les maladresses de son maître, le valet ne leur accorde pas moins une force naturelle supérieure à celle de ses propres astuces. D’où l’antithèse, là encore, entre « l’eau toute claire » de Mascarille (v. 919) et le « torrent effréné » de Lélie (v. 923). Mais d’où aussi la surprise de constater chez le valet dépité une telle concession d’infériorité par rapport à son maître ; comme si, pour la première fois, Mascarille devait bien avouer que sa propre temporalité ne faisait pas le poids par rapport à celle de Lélie ; comme si le « démon contraire » de l’étourderie (v. 920) semblait prédestiné à déposséder le malin génie de la fourberie en l’emportant dans ses contretemps. Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 115 habituellement réservé par Molière à toutes ses femmes âgées et de surcroît messagères, à savoir l’oubli suivi de la disparition 18 . De l’autre, les contretemps économiques et libidinaux du second duo de choc (Trufaldin et Andrès) dont la double déculottée oblitère à elle seule les dix déconvenues consécutives de Lélie, mais dont la compensation homo-érotique (par le rapprochement entre père et fils) promet une réinsertion rapide dans le temps phallocentrique de la réalité bourgeoise 19 . Ainsi, la temporalité de L’Étourdi, avec ses perpétuels renversements antithétiques de temps et contretemps, serait-elle bien loin de l’idéal classique d’une tragédie unifiée par la promesse de la mort. Le vrai contretemps des comédies de Molière, ce serait d’abord que le temps s’escrime à continuer. II.2. Coups d’estocs : les contretemps comme métaphores Par rapport à l’antithèse temporelle d’emblée omniprésente, dans L’Étourdi, la métaphore duelliste opposant maître et valet, tarde quelque peu à faire son entrée en scène. De fait, il faut attendre le sixième contretemps de Lélie (III, 4), avant que Mascarille ne décoche sa pointe sarcastique à l’encontre de son « maître d’arme expert » (v. 1110). Il faut de surcroît attendre un acte de plus avant que Molière ne souligne explicitement l’importance du duel comme jeu de scène avec une didascalie césurant un vers du valet en son hémistiche : « À Trufaldin après s’être escrimé » (IV, 2, v. 1417). Ici, dans les prolégomènes au huitième contretemps de son étourdi de maître, Mascarille essaie désespérément de détourner l’attention de son vieil interlocuteur sceptique 20 , en interrompant la comédie des erreurs de 18 On se souviendra notamment de la vieille entremetteuse de L’École des femmes, le fameux « suppôt de Satan » pour Arnolphe (II, 5, v. 511), que l’on retrouvera mystérieusement morte peu de temps après que le barbon aura découvert l’importance de son rôle dans le rapprochement d’Agnès avec Horace (III, 4, 973). 19 Pour prendre un autre exemple de L’École des femmes, on se souviendra, là encore, de l’absence totale d’Agnès lors des négociations finales qui, pourtant, la concernent directement. Esclave ou pupille, fille ou promise, peu importe en fin de compte le statut de la jeune première, car chez Molière, le rétablissement de l’ordre bourgeois passe avant tout par l’exclusion de celle que l’on perçoit implicitement comme la fauteuse de trouble, et par le ralliement de la horde masculine avec, dans le ‘meilleur’ des cas (ici, celui d’Arnolphe), un dédommagement financier à la clef (V, 9, v. 1778). 20 Je rappelle que le scepticisme du vieil homme provient du fait que Lélie, déguisé en messager arménien venu donner à Trufaldin de fausses nouvelles sur son fils disparu, n’a pas suffisamment bien mémorisé le script fourni par Mascarille à la scène précédente, et qu’il accumule donc à nouveau les cafouillages. Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 116 Lélie par une comédie de gestes entre les deux acolytes. Or, quelle que soit l’irruption du langage duelliste, la maîtrise du geste revient apparemment au plus loquace, et de toute évidence, cette maîtrise n’est une fois de plus pas celle du maître mais bien celle du valet qui, d’ailleurs, n’hésite pas à se vanter de son « adresse » supérieure, et qui, de surcroît prétend alors être le seul capable de donner une « leçon d’escrime » (v. 1418-19). D’où, bien entendu, le renforcement rétrospectif de l’antiphrase sur le « maître d’arme expert » attribué à l’origine à Lélie. Mais d’où aussi la très nette impression que cette métaphore antiphrastique ne sert qu’à consolider le reste des oppositions antithétiques entre Mascarille et son maître. Aux contretemps en amour de Lélie succèderaient logiquement ses contretemps en escrime, surtout si, comme le prétend Quentin Hope, ces ‘contretemps’ sont effectivement synonymes de ‘maladresses’ 21 . Assez paradoxalement toutefois, selon le dictionnaire de Furetière, le « CONTRETEMPS, chez les Maistres en fait d’armes, se dit lors que les deux ennemis s’allongent en même temps : ce qui produit le coup fourré », ou encore « quand l’ennemy prend un temps qu’on luy a presenté à dessein par quelque appel faux qui est hors la mesure, afin de prendre le dessus ou le dessous, ou de quarter suivant l’occasion ». Or, ni dans une acception ni dans l’autre n’est-il jamais question de ‘maladresse’ de la part de l’escrimeur. Bien au contraire. Selon la première définition, en effet, le contretemps est une question de « coup fourré », c’est-à-dire de « coup que l’on se donne l’un l’autre » (Richelet), et dont il ne saurait résulter ni gagnant ni perdant, puisque « chacun des deux hommes qui se battent donne un coup et en reçoit un autre en même temps » 22 . Il n’y a donc pas foncièrement maladresse, mais plutôt annulation de l’effort, autrement dit partie nulle. Ainsi, la maîtrise du geste ne se trouve pas d’un côté plutôt que de l’autre du combat et, dans l’instant en tout cas, plus personne ne sait qui est le « Maistre en fait d’armes ». Ce qui implique alors, de la part de Mascarille et de son « maître d’arme expert » non plus simplement une pointe sarcastique à l’encontre de Lélie, mais aussi une forme d’autodérision implicite, puisqu’en se moquant de l’effort annulé provoqué par son maître, c’est en fait, et par définition de sa propre nullité que se moque fondamentalement le valet. Or, cette nullité du contretemps, Mascarille fait plus que la constater ; il la recherche activement, et pas seulement avec Lélie. Comme j’avais choisi de le souligner en exergue, le fourbe moliéresque n’est pas toujours, en 21 La définition de Hope est sans appel : « les contretemps in L’Étourdi ou Les Contretemps, are the missteps of a clumsy swordsman » (« Molière’s Coup d’Essai », Kentucky Romance Quarterly, XVI [1970], p. 169). 22 Dictionnaire de l’Académie française, 4 e et 5 e éditions, 1762 et 1798. Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 117 effet, celui qui veut l’emporter par sa fourberie. C’est plutôt, ici encore, celui qui se contente de contrer l’adversaire par son « coup fourré » (III, 5, v. 1165) afin non pas d’en triompher mais, tout simplement, de l’« enferr[er] » (v. 1166). En outre, cette partie nulle vise parfois d’autres adversaires que l’éternel étourdi, puisqu’ici, notamment, l’opposant n’est plus le jeune maître, mais Léandre, le premier antagoniste de la pièce, qui s’apprête lui aussi à « enlever Célie » (v. 1158) 23 . Peu importe donc que ses adversaires soient volontaires ou involontaires, Mascarille semble avant tout s’obstiner non pas à vaincre son opposition mais simplement à la neutraliser. Et l’on en finirait presque par se demander si, quelque part, son rôle d’adjuvant ne se résumerait pas avant tout à frustrer les désirs plutôt qu’à les assouvir, autrement dit si, d’une certaine manière, l’adjuvant n’était pas en fait un faux adjuvant. Car, à ce stade, nul ne peut plus s’y tromper, les contretemps n’appartiennent plus à l’étourdi mais bien au fourbe. Par ailleurs, même la notion de simultanéité, propre au lexique complémentaire du ‘contretemps’ et du ‘coup fourré’ en escrime 24 , ne contribue en rien à changer cette impression de nullité actantielle produite par Mascarille. En effet, la « simultanéité », comme ne cessera de le démontrer Bergson, s’oppose par principe au temps phénoménologique de la « durée », puisqu’au lieu de « se laisse[r] vivre » 25 , cette simultanéité s’efforce perpétuellement de calculer et donc de transformer la temporalité humaine en une mesure d’espace scientifique. En se définissant comme « l’intersection de temps et espace » 26 , cette simultanéité bergsonienne, tout comme la mécanique du rire qui la suivra de près, dénonce de fait l’artifice de toute construction pseudo-temporelle, « plaqué[e] sur du vivant » 27 . Ainsi, pardelà la nullité des contretemps et coups fourrés à répétition, Mascarille est 23 Léandre est le ‘premier antagoniste’ de la pièce d’un point de vue surtout chronologique, puisque c’est la rivalité amoureuse qu’il fait peser sur Lélie dès la scène d’ouverture qui va immédiatement pousser le jeune premier à solliciter l’aide de son valet (I, 2). Mais il n’est pas le premier à ourdir un complot d’enlèvement, puisque, techniquement, Mascarille l’a déjà précédé au premier acte (I, 7), et sans plus de succès (I, 9). 24 Je rappelle qu’aussi bien dans la définition de « contretemps » par Furetière que dans celle de « coup fourré » par l’Académie française, on retrouve la locution adverbiale « en même temps ». 25 « La durée toute pure », résume Bergson dans le deuxième chapitre de sa fameuse thèse doctorale, « [c’]est la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre » (Essai sur les données immédiates de la conscience [1889], Paris, PUF, 2008, p. 75). 26 « [L]e trait d’union entre ces deux termes, espace et durée, est la simultanéité, qu’on pourrait définir [comme] l’intersection de temps et espace » (Ibid., p. 82). 27 Le rire (1900), Paris, PUF, 2007, p. 29. Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 118 également celui qui, dans sa recherche compulsive de la simultanéité, se complaît dans la médiocrité d’une temporalité moins humaine que machinale. Tout comme il était d’abord celui qui comptabilisait les étourderies de son maître, le valet de Lélie demeure à présent celui qui préfère mesurer le temps dans sa dimension spatiale. Or, pas moins que la nullité, la médiocrité elle aussi requiert une certaine adresse ; de même qu’il faut savoir assurer le match nul, il faut savoir calculer l’espace-temps qui rapproche l’escrimeur médiocre des autres petits joueurs. Alors, un Mascarille pas particulièrement inspiré ? Certes. Mais simplement maladroit ? Une fois de plus, pas du tout. D’ailleurs, l’adresse métaphoriquement sportive du valet moliéresque se précise dès lors que, comme dans la deuxième définition de Furetière, le contretemps fait état de « quarter », autrement dit de « pirouett[er] » 28 . Car des pirouettes, avant tout verbales, Mascarille n’en manque jamais, notamment dans la rencontre entre Trufaldin et le faux messager (IV, 2), où il doit, par exemple, faire morphologiquement « pivot[er] 29 » le lapsus de Lélie sur sa première syllabe, avant de se proférer, de surcroît, expert en phonétique « [a]rménien[ne] » (v. 1411-14) 30 . Et cet art de l’esquive, parfois même seulement physique, le fourbe n’en fait pas profiter tout le monde. Ainsi, alors que Mascarille échappe de justesse au démasquage sous le nez de Trufaldin (III, 8), dans la scène suivante, son adversaire Léandre n’aura pas autant de chance, lui qui, sur son propre chef, se verra déverser le contenu excrémentiel de la « cassolette » du vieillard (v. 1252). Ainsi également, alors que le valet s’apprête à recevoir, aux côtés de son maître, la bastonnade que leur réserve le même Trufaldin, seul Lélie finira de fait par recevoir du bâton, tandis que Mascarille parviendra encore à en réchapper, et de manière plus cathartique que jamais (IV, 5). 28 « QUARTER », nous précise Furetière, « en termes d’Escrime, c’est ôter son corps hors de la ligne : ce qui se fait en piroüettant ou tournant le corps comme sur un pivot, pour se deffendre des passes. » 29 Revoir la comparaison « comme sur un pivot » dans la définition de « QUARTER ». Ibid. 30 Je rappelle que, dans cette scène, Lélie, le faux messager arménien vient de gaffer en prétendant qu’il avait vu le fils de Trufaldin « [e]n Turquie, à Turin » (v. 1407), suite à quoi, Mascarille ‘pivote’ en rétorquant : Mais les Arméniens ont tous une habitude, Certain vice de langue à nous autre fort rude : C’est que dans tous les mots ils changent nis en rin, Et pour dire Tunis, ils prononcent Turin. Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 119 Cependant, et c’est peut-être là tout son charme ou, en tout cas, son aspect le plus humain, même le fourbum imperator 31 ne peut pas tout esquiver. Même l’escrimeur le plus adroit ne peut pas toujours renverser la situation par la dextérité de son « quarté ». Pour reprendre l’acception la plus reconnue de ce terme 32 , il ne suffit pas, en effet, d’avoir le « poignet » agile pour manipuler avec succès ses adversaires. Il ne suffit pas non plus de « contorsion[ner] » tout son « corps » pour parvenir à ses fins, et, une fois encore, Mascarille est là pour en témoigner, face à son éternel étourdi de maître (IV, 4, v. 1535-38) : Attaché dessus vous, comme un joueur de boule Après le mouvement de la sienne qui roule, Je pensais retenir toutes vos actions, En faisant de mon corps mille contorsions. Peu importe que la métaphore file, à présent, de l’escrimeur au bouliste. Ici, le doigté ne compte pas plus que le « body English » 33 , dès lors que l’adresse du « joueur » se transmue en échec itératif (« Je pensais […] »). Or, l’imparfait de ce verbe « pens[er] », si central à la construction de l’énoncé, semble bien plus étymologique que grammatical. Car le contretemps principal de Mascarille, ce n’est pas vraiment la nostalgie d’un passé encore (re)jouable, mais c’est plutôt la conscience d’une imperfection de principe. Imperfection ontologique diamétralement opposée à la perfection toute solipsiste du Cogito cartésien, puisqu’il s’agit ici non pas de crier victoire dans le secret de sa propre conscience, mais de concéder son insuccès face à 31 On se souviendra de l’accès de mégalomanie qui, dans l’instant où Mascarille s’aperçoit que son statut d’agent double va lui permettre de tromper un maître pour en servir un autre, prononce la fameuse formule du « Vivat Mascarillus, fourbum imperator ! » (II, 8, v. 794). Mais on se gardera bien de voir en cette folie des grandeurs toute momentanée un autre exemple d’ « [h]ommage à Corneille », comme l’avait fait Carlo François dans « L’Étourdi de Molière ou l’illusion héroïque », Revue d’histoire littéraire de la France LIX (1959), p. 90. Quelle que soit son inspiration, en effet, le discours de Mascarille manque toujours de souffle par rapport à ceux des héros cornéliens, soit un autre aspect du personnage qui contribue à rendre son charme encore plus humain. 32 « La maniere de porter un coup d’espée ou de fleuret, en tournant le poignet en dehors » (Dictionnaire de l’Académie française). Définition qui restera d’ailleurs inchangée de la première à la huitième édition. 33 Expression particulièrement heureuse bien que malheureusement intraduisible, employée par Hope justement à l’intention de cet extrait du texte (op. cit., p. 170), le « body English » fait référence au « twisting of the body by a player as if to help a ball hit, thrown, etc., to travel in the desired direction » (Webster’s College Dictionary, 2010). Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 120 l’autre, pour ainsi dire en équipe. Imperfection, donc, fondamentalement humaine, et qui explique alors, mieux que jamais, l’ « [a]ttach[ement] », non seulement du maître au valet, mais aussi du grand public à ce génie de la médiocrité confortablement assumée, que restera toujours le fourbe moliéresque. Ainsi, les contretemps de L’Étourdi relèvent-ils encore plus des métaphores duellistes que des antithèses dualistes. Pour que la dynamique antithétique persiste, entre étourderie et fourberie, il faut avant tout que les adversaires continuent à s’opposer sans trouver de gagnant. Autrement dit, avant de relancer la machine vers de nouveaux déséquilibres farcesques, il faut d’abord trouver le point d’équilibre entre les forces en présence. Et pour Molière, qui avait d’ailleurs de tout temps préféré jouer les valets roublards, cet équilibre se trouve, bien entendu, moins dans les coups de théâtre de Lélie que dans les « coup[s] fourrés » de Mascarille. Cependant, les contretemps moliéresques ne se limitent pas toujours à des coups de théâtre à répétition ou à des coups d’estoc bien ajustés. Parfois, ces contretemps dépassent la logique antithétique de la farce et l’esthétique métaphorique du duel, et c’est alors que Molière nous révèle un aspect beaucoup moins calculé et donc beaucoup plus inconscient de ses préoccupations temporelles. C’est là, notamment, que la temporalité par àcoups de L’Étourdi se renverse assez curieusement en une contre-temporalité de l’ « après-coup ». II.3. « Après-coup » : les contretemps sur le divan Au niveau le plus élémentaire, celui sans doute où Les Contretemps se résument aux étourderies magistrales, la question de l’ « après-coup » ne pose même pas problème. D’un côté, il y a les coups de Mascarille, autrement dit ses fourberies. De l’autre, il y a les contrecoups de Lélie, c’està-dire, tout simplement, ses bourdes. Coup après coup, le processus se répète pour le grand bonheur du parterre, de telle sorte que, bientôt, ce sont effectivement les étourderies que l’on finit par désirer plus que les fourberies elles-mêmes. Désir qui résulte, bien sûr, de la tension interne entre temps et contretemps, mais dont la clé repose surtout, avouons-le, dans les pulsions sadiques de nos régressions annales. Entre la propreté adulte du travail habile de Mascarille et la saleté infantile du saccage innocent de Lélie, nous savons tous, plus ou moins consciemment de quel côté nous placer. Et si jamais nous prétendons l’oublier, Molière et sa comédie farcesque sont là pour nous le rappeler ; en fin de compte, nous voulons tous que le trompeur soit trompé. Ici, l’ « après-coup » se déroule donc bien en deux temps, puisque le temps de la comédie invite à la Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 121 régression de la farce 34 . Mais, contrairement à la Nachträglichkeit freudienne dont les deux temps impliquent la concrétion d’événements à valeur traumatique, l’ « après-coup » moliéresque implique l’excrétion de péripéties à valeur dramatique. Là où Freud sonde les profondeurs de l’inconscient, Molière se contenterait d’en renifler le cloaque préconscient. Cependant, chez Molière comme plus tard chez Freud, l’inconscient ne saurait jamais tarder à se manifester, ne serait-ce que par le biais de la figure omniprésente du père, ou plutôt de sa figure éminemment absente. Préfiguration à cet égard parfaite du reste de l’œuvre moliéresque, Les Contretemps ne comptent pas moins de trois pères de famille officiellement homologués : Anselme (père d’Hippolyte, la promise rejetée par Lélie), Trufaldin (père de Célie, l’esclave convoitée par tous) et Pandolfe (père de Lélie lui-même), tous trois opposants aux projets du jeune premier, et donc tous trois condamnés d’emblée à incarner l’archétype du vieillard. Il y en a bien sûr un quatrième, le père de Léandre (rival amoureux de Lélie), que l’on ne nomme jamais par son prénom, mais que l’on ne saurait oublier, puisqu’en fin de compte la pièce reconnaît non moins de cinq jeunes personnes de ‘bonne famille’, et qu’aucune d’entre elles ne saurait décemment se retrouver privée de soutien paternel. Ainsi se résume alors l’arbre phallocentrique de L’Étourdi : 34 Relecteur de « L’homme aux loups » de Freud (Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, p. 325-420), Laplanche, dans son séminaire sur « L’Après-coup », rappelle comment le « traumatisme nécessite toujours deux temps pour exister » (Problématiques VI, Paris, PUF, 2006, p. 135). D’abord, il faut certes la fameuse « trace mnésique », en l’occurrence celle où l’homme aux loups, âgé apparemment d’un an et demi, aurait vu ses parents copuler. Mais cela ne suffit pas pour fonder le « traumatisme », puisqu’il faut ensuite qu’il y ait reviviscence de cette trace, ou souvenir originaire, en l’occurrence par le rêve où, âgé alors de quatre ans, le célèbre patient de Freud imagine des loups, copulant eux aussi. Autrement dit, dans la psychanalyse freudienne comme dans la comédie moliéresque, le choc émotionnel se produit toujours à contretemps ; sans l’ « après-coup » d’une deuxième secousse (étourderie pour Molière et reviviscence pour Freud), la première secousse (fourberie pour l’un et trace mnésique pour l’autre) ne peut avoir, de fait, aucune valeur. Il ne peut donc y avoir de coup sans après-coup. Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 122 Seul grand perdant dans cette course à la paternité : le protagoniste luimême, à savoir Mascarille qui, apparemment prisonnier de sa condition de valet, se voit également condamné à être privé de père. Visiblement, chez Molière, les valets, comme les anciens proxénètes, sont une génération spontanée 35 . Or, cette spontanéité ne s’accepte pas aussi spontanément qu’il y paraît, et c’est là que le bas blesse. C’est là notamment que Mascarille, pourtant si enclin à se laisser embarquer par les aventures de son maître, se rebiffe, tout au moins dans la mesure que lui accorde les exigences de la bienséance classique. C’est là donc que l’inconscient refait surface, ou en tout cas nous laisse suffisamment de traces verbales pour nous permettre d’aller le redécouvrir, après-coup. La trace la plus pertinente et, disons-le franchement, la plus incontournable de toute la pièce, c’est bien entendu le mot de la fin. Mascarille, à deux doigts apparemment de pouvoir finalement intégrer l’ordre bourgeois par le biais du mariage, se permet la maladresse, serait-ce l’étourderie, suivante : « Allons donc, et que les Cieux prospères / Nous donnent des enfants dont nous soyons les pères » (V, 9, v. 2067-68). Plutôt que de flatter Anselme, le paterfamilias qui lui promet discrètement l’alliance qu’il recherche (« J’ai ton fait », v. 2067), le valet frondeur préfère chiquenauder le phallus bourgeois en l’atteignant là où il reste le plus vulnérable, à savoir dans la bourse même de sa paternité (« pères » rime avec « prospères »). Chiquenaude pour le moins dangereuse, malgré les circonstances festives d’un double mariage imminent (Lélie + Célie et Léandre + Hippolyte), mais chiquenaude qui, après coup, nous oblige quand même à revenir sur d’autres traces plus discrètes où la question d’une paternité douteuse aurait déjà été formulée par Mascarille, et de manière encore plus personnelle, peut-être. La première de ces traces remonte en fait à la première apparition en scène du valet. Mascarille y résume, dans l’intérêt du lecteur/ spectateur qui arrive lui aussi, pour ainsi dire, en scène, la situation de mariage forcé à laquelle se trouve confrontée Lélie. Tous les opposants y sont méticuleusement nommés, de telle sorte sans doute à pouvoir rapidement les caser dans leurs fonctions respectives, quand, soudain, au détour d’une simple césure à l’hémistiche, une tête en particulier dépasse toutes les autres. Il s’agit de Pandolfe, ou comme le suggère sournoisement Mascarille à Lélie : « C’est 35 Je rappelle que, dans la scène où il fait passer Célie pour une prostituée, de telle sorte à mieux dissuader Léandre de la prendre pour épouse, Mascarille s’appuie précisément, bien que sous couvert euphémique, sur sa réputation de proxénète, puisqu’il prétend être « quelque peu d’un métier / À se devoir connaître en un pareil gibier » (III, 2, v. 973-74). Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 123 Monsieur, votre père, au moins à ce qu’il dit » (I, 2, v. 33). Un individu donc ne se laisse pas enfoncer dans les cases de la description objective ; un individu spécifique semble mériter un jugement subjectif. Or, ce jugement elliptique (« au moins à ce qu’il dit ») semble pour le moins paradoxal. En effet, si, comme le suggère le valet malicieux, le père de Lélie n’était effectivement pas son père biologique, ce serait alors la tête d’un autre qui aurait dû dépasser, tout au moins pour la mère du jeune premier. Pourquoi alors s’acharner contre Pandolfe ? Serait-ce là un simple rituel d’irrévérence pubertaire, autrement dit une autre forme de régression farcesque où tous les pères, quelle que soit leur fortune, se voient infliger les cornes du cocuage par les enfants des autres ? Ou s’agirait-il plutôt d’une rancœur plus ciblée, un peu comme si, peut-être, Mascarille avait personnellement maille à partir avec Pandolfe ? À ce stade, la trace est encore trop faible pour fournir assez d’éléments de réponse, mais elle mérite d’autant plus d’être poursuivie que, derrière la malice la plus vraisemblable du valet, se cache potentiellement la Nachträglichkeit de la rancune 36 . Cette rancune de l’enfant abandonné qui, précisément, ne va cesser de croître jusqu’au mot de la fin. Cette rancune qui, tout compte fait, va peut-être dynamiser la temporalité des Contretemps, plus que tous les contretemps théâtraux ou sportifs. Deuxième trace d’un inconscient cette fois-ci encore plus lourd d’une figure paternelle détestée : celle, bien sûr, du fantasme parricide que Mascarille présente à Lélie comme sa quatrième fourberie, au début du deuxième acte (II, 1, v. 473-74 et 483-84) : Je fais courir le bruit que d’une apoplexie Le bonhomme surpris a quitté cette vie […] Dans l’esprit de chacun je le tue aujourd’hui, Et produis un fantôme enseveli pour lui. Ici, la charge affective y est si lourde, et la menace d’exécution si performative (« aujourd’hui »), que même l’étourdi éponyme finit par s’en étonner. Pourquoi, en effet, concevoir un stratagème si morbide, à moins d’entretenir effectivement une profonde rancœur à l’égard de la victime dont seul le meurtre serait apparemment à même d’apaiser le désir de vengeance du stratège ? Car, remarquons-le bien, s’il commence plus 36 Germaniste avisé, lui-même traducteur de l’œuvre intégrale de Freud, Laplanche nous rappelle que le troisième sens du verbe nachtragen (à l’origine de Nachträglichkeit) est celui de « jemandem etwas nachtragen », à savoir « tenir rancune de quelque chose à quelqu’un » (op. cit., p. 24). Assez curieusement, toutefois, l’analyste ne poussera pas plus loin la valeur de cette étymologie. Sans lui en tenir nous-mêmes rancune, nous proposons néanmoins, dans l’analyse qui suit, de réactiver cette acception, au regard de l’ « après-coup » moliéresque. Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 124 innocemment par proposer à Lélie le scénario d’une mort naturelle (« apoplexie ») conjuguée à la troisième personne (« le bonhomme […] a quitté cette vie »), Mascarille finit presque aussitôt par se faire lui-même l’auteur d’un homicide qu’il conjugue sans aucun scrupule à la première personne (« je le tue »). Ici donc, il faut bien être un amoureux aussi transi que le jeune premier pour balayer une telle trace de rancœur parricide. Pour nous autres, en revanche, la Nachträglichkeit de la rancune résonne d’autant plus fortement que, après-coup, nous nous sentons pratiquement contraints de superposer cette trace à la première. Et dès lors, de nous poser la question suivante : se pourrait-il qu’en l’absence d’un lien biologique confirmé entre Lélie et son père, Pandolfe se soit lui aussi permis d’engendrer sa propre descendance illégitime ? Se pourrait-il, plus simplement, que cette descendance soit venue le hanter sous forme de ce fils naturel que pourrait alors être Mascarille ? Cela expliquerait de fait bien mieux l’engagement quasi-enragé du valet auprès de son maître. En s’alliant à Lélie, se serait ainsi à son demi-frère que Mascarille s’allierait. D’où, d’une part, sa tendance à excuser son employeur au-delà de toute mesure strictement professionnelle. D’où, d’autre part, l’effort décuplé dans la recherche d’une rétribution. Coup après coup, c’est moins contre l’étourderie du maître que s’acharne le valet, que contre l’injustice d’un père que s’acharne son ‘vrai’ fils. Dernière trace de cette paternité potentiellement dissimulée, celle du « bien » symbolique que Mascarille prétend avoir hérité de son « père » 37 . Certes, il serait d’emblée permis de douter autant de l’authenticité de ce « bien » que de celle de ce « père », puisque le valet rend ici un rapport à son maître des dernières manigances entreprises, durant l’entracte, pour se rapprocher de Trufaldin. Cependant, le fait semble incontestable, c’est précisément grâce à ce « bien », qui quelque part a bien dû se matérialiser, que Mascarille est parvenu à soutirer du vieil homme l’information qui finira par faire basculer la pièce. C’est justement parce qu’il réussit à se procurer un objet symboliquement paternel, que le valet parvient à « acquérir [la] tendresse » de Trufaldin (IV, 1, v. 1291), c’est-à-dire à lui faire révéler son identité cachée (Zanobio Ruberti, père de deux enfants abandonnés). Or, en admettant que cet objet symbolique par excellence soit le symbole le plus traditionnel de l’alliance entre deux amoureux, à savoir celui de la « bague » de fiançailles, il s’avère que Mascarille en dispose encore d’une autre. La seconde, il faut le rappeler, était celle de Léandre 37 « Je mettrais en ses mains [celles de Trufaldin] que je tenais certaines / Quelque bien de mon père […] » (IV, 1, v. 1287-88). Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 125 pour Célie 38 , que le valet s’était empressé de remettre, précisément à Trufaldin 39 , ce qui implique que le vieil homme l’avait au minimum déjà vue et que Mascarille n’aurait donc pas pu la lui redonner ultérieurement. Mais la première « bague » reste effectivement en la possession du valet, puisque, comme il convient de le souligner, celle-ci avait déjà été proposée à Anselme en tant que gage, là encore, de bons et loyaux services offerts par Mascarille 40 . Services qui, bien sûr, n’avaient jamais été rendus, ce qui avait alors permis au valet de garder un atout dans sa poche et, qui sait, de l’utiliser plus tard auprès du seul autre père (Trufaldin) qui ne pourrait de fait pas le reconnaître. Car, si l’on observe de plus près, on remarquera également que, des trois pères de famille expressément nommés, seul Pandolfe ne bénéficie pas du commerce de la « bague ». Se pourrait-il alors que Mascarille eût été parfaitement conscient de ne pas pouvoir acheter la confiance du père de Lélie avec cette « bague », précisément parce que c’était Pandolfe lui-même qui, à l’origine, avait acheté cette alliance pour la mère biologique de Mascarille ? La piste semble bien ténue, mais, à ce stade, les traces finissent tout de même par s’accumuler, et la Nachträglichkeit d’un fils rancunier par se préciser. En termes strictement temporels, le contretemps moliéresque fonctionnerait donc doublement comme un « après-coup ». D’une part, il semble effectivement que l’implication du valet dans les affaires de son maître dépasse hyperboliquement les bornes du strict dévouement. Une étourderie, d’accord. Deux, passe encore. Trois, à la limite. Mais passé le premier acte, Mascarille n’a vraiment plus aucune raison de persévérer dans sa surenchère de la fourberie. Or, comme nous venons de le voir, c’est précisément au début du deuxième acte, à l’endroit même où la farce se transforme structurellement en comédie, que le valet se trahit. La mort, toute symbolique certes, du père de Lélie, le valet ne la veut pas simplement pour le bénéfice de son maître ; il la veut pour lui-même. Et chaque bourde que lui oppose son « étourdi » de demi-frère ne sert qu’à confirmer ce qu’il ne peut se permettre d’afficher ouvertement, à savoir que c’est bien lui, Mascarille, qui est de loin le plus méritant des deux fils de Pandolfe. À chaque contretemps 38 « Et l’achat fait, ma bague est la marque choisie / Sur laquelle au premier il doit livrer Célie » (II, 7, v. 763-64). 39 « Cette bague connue / Vous dira le sujet qui cause ma venue » (II, 9, v. 795-96). 40 Je rappelle que, dans l’intention de pouvoir plus facilement détrousser Anselme, Mascarille flatte sa vanité en lui faisant croire à l’intérêt amoureux d’une Nérine, dont il s’agit alors de garantir les faveurs par « L’achat de quelque bague, ou telle bagatelle » que le valet juge apparemment inutile puisque : « l’on a mis dans ma main une bague à la mode, / Qu’après vous payerez si cela l’accommode » (I, 5, v. 252 et 255-56). Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 126 théâtral de Lélie répond un contretemps inconscient de son valet, puisque, coup après coup, la reviviscence de cette paternité contestée ne fait que raviver le traumatisme de Mascarille. C’est ici la définition même de l’ « après-coup » en psychanalyse ; cette temporalité en deux temps, où le passé n’est rien sans la concordance du présent, et vice-versa d’ailleurs. D’autre part, cependant, la Nachträglichkeit moliéresque bénéficie d’une dynamique encore plus tournée vers l’avenir. Cet « après-coup », en allemand, signifie aussi, rappelons-le, ‘rancune’. Or, cette rancœur, que les Freudiens le veuillent ou non, n’est pas simplement le résultat d’un Œdipe mal résolu. Dans le cas particulier des Contretemps, comme je propose de l’analyser pour conclure, la rancune participe pleinement à la cure du protagoniste. Car, quand Mascarille se met en tête de prêter main forte, coûte que coûte, à son maître, ce n’est pas seulement pour exorciser les monstres de son passé afin de mieux vivre dans son présent, mais c’est aussi pour nous ouvrir les horizons d’un avenir inattendu. Un avenir où, pour reprendre la métaphore de Laplanche, l’angoisse éternelle de la paternité (ou, par extension, de toute herméneutique) ressemblerait moins à un « puzzle », quelque part prédécoupé et attendant d’être rassemblé, qu’à une « énigme » exigeant avant tout d’être correctement posée 41 . Ainsi, la première partie de l’énigme se pose-t-elle avant même la fin du premier acte, avec l’irruption d’Hippolyte (I, 8). Mascarille, rappelons-le, vient à la scène précédente de mettre à exécution sa troisième fourberie. Il s’agit, cette fois, de convaincre Pandolfe d’acheter Célie à Trufaldin, en se servant d’Anselme comme intermédiaire, soi-disant afin de mieux pouvoir la revendre comme esclave, mais surtout afin que Mascarille puisse la remettre lui-même entre les mains de son maître. Or, cet objectif final de la fourberie, Hippolyte (cachée en coulisse) ne le comprend pas. Du marché conclu avec Pandolfe, elle comprend seulement que son propre père, Anselme, s’apprête à délivrer sa rivale de la seule prison (Trufaldin) qui peut encore séparer Célie de Léandre. C’est donc sur ce malentendu que le valet se voit contraint de s’expliquer, et par le biais de cette explication même que surgit un détail essentiel ; avant de jouer les entremetteurs pour son maître, 41 La contribution principale de Laplanche à la question du nachträlichkeit, rappelonsle, c’est de s’être démarqué de ce qu’il considérait comme l’ « attitude puzzle » de Freud, pour qui le « modèle du ‘puzzle’, c’est une illusion de complétude possible, c’est-à-dire que la vérité de la vérité […] peut être un jour ou l’autre trouvée », pour lui substituer une « attitude énigme » (op. cit., p. 141). Attitude fondée sur sa croyance en un « message énigmatique » synonyme pour lui d’ « avant-coup », et qu’il incomberait alors au patient et à son analyste de « traduire […] après-coup ». (ibid., p. 171). Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 127 Mascarille avait déjà accepté de jouer ce même rôle pour Hippolyte 42 . Avant même que Lélie ne l’informe, il était alors déjà parfaitement au courant de la rivalité avec Léandre, et commençait donc déjà à tramer son propre projet, indépendamment des sollicitations de son maître. Autrement dit, Mascarille prévoyait déjà de berner simultanément les trois pères de famille, sans que Lélie n’ait vraiment besoin de dynamiser ses fourberies. Assez paradoxalement, on pourrait même dire, après coup, que la relation amoureuse la plus fondamentale au dynamisme de L’Étourdi ne repose pas sur le rapprochement du couple central (Lélie + Célie), mais sur celui du couple annexe (Léandre + Hippolyte). Il se pourrait ainsi que Mascarille, le marginal, ait déjà compris que le centre se retrouverait dans les marges. Deuxième partie de l’énigme rancunière des Contretemps, celle de la scène la plus centrale et pourtant la moins analysée de la pièce, celle de la première rencontre entre Mascarille et le mystérieux messager Ergaste (III, 5). Ce dernier, apparemment, ne présente pas grand intérêt, puisque sa seule fonction est d’avertir le protagoniste d’une contre-fourberie menée par Léandre pour ravir Célie à Trufaldin. De plus, il se caractérise d’emblée comme un des « amis » de Mascarille, ce qui le renvoie immédiatement à un sombre passé de ladrerie et contribue surtout à confirmer l’image de citoyen peu recommandable, que le protagoniste n’hésite pas à entretenir lui-même. Mais c’est peut-être là le problème ; on balaie trop facilement Ergaste. Ce faisant, on oublie alors deux faits aussi discrets que concaténés. Le premier, c’est que ce même Ergaste ne semble pas tout à fait capable de proférer une amitié à la hauteur de celle que l’on pourrait attendre, même parmi la confrérie des brigands. Non content de déclarer « Nous sommes amis », il complète immédiatement sa déclaration par la nuance suivante : « autant qu’on le peut être » (v. 1155). Or, cette proposition concessive annonce parfaitement le deuxième fait oublié concernant ce messager ; en allant parler à Lélie dans la scène suivante et en encourageant implicitement le jeune homme à mener sa propre contre-offensive, indépendamment de son valet, Ergaste est aussi celui qui trahit la confiance de Mascarille. Et le plus ironique, dans cet échange, c’est que Mascarille, pourtant lui-même rompu à ce type de double jeu, ne semble rien soupçonner… Se pourrait-il que le « fourbum imperator » s’avère, une fois encore, beaucoup moins impérial qu’il le voudrait ? Ou faudrait-il entendre, au contraire, que le protagoniste 42 Rappelons que, dès l’ouverture de la scène, Hippolyte invective Mascarille en dénonçant la rupture d’un pacte dont nous n’avions jusque-là aucune connaissance : « Oui, traître ? C’est ainsi que tu me rends service ? » (I, 8, v. 363). Et le valet initialement désarçonné, de se défendre, quelques vers plus loin, en confirmant son rôle d’homme de main : « Non, mais il faut savoir que tout cet artifice / Ne va directement qu’à vous rendre service » (v. 383-84). Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 128 a parfaitement compris qu’il n’est pas le seul à savoir jouer les agents doubles 43 , mais que, dans cette situation particulière, il doit bien se plier au jeu de l’autre valet avant de pouvoir entamer une nouvelle manche ? Peu importe, puisque, comme le veut le dicton, un homme averti en vaut deux, et que la seconde fois où les deux valets se retrouvent (IV, 7), Mascarille semble avoir repris la main, notamment en s’assurant que « Léandre est au point / De quitter la partie » (v. 1653-54). Car, à ce stade, malgré ses inquiétudes affichées, le protagoniste ne se soucie guère de révéler ouvertement ses projets à ce traître potentiel d’Ergaste 44 . À ce stade, la seule partie de l’énigme qui semble vraiment lui importer, c’est que le « père [de Léandre est] arrivé contre toute espérance » (v. 1655). Un peu comme si, une fois de plus, ce traumatisme de la paternité semblait destiné à se résoudre non pas au cœur des Contretemps, mais dans leurs marges. En effet, la dernière partie de l’énigme rancunière de L’Étourdi semble se jouer non plus en présence des pères socialement homologués dans la pièce, mais en l’absence du seul père dont l’identité n’a pas encore été confirmée, même dans la scène finale : le père de Léandre. Or, cette absence pour le moins mystérieuse paraît, après coup, avoir été entretenue quasiment depuis le départ, et, là encore, par la circulation d’un objet dont la provenance pourrait bien ne pas être entièrement étrangère à un certain Mascarille. Ainsi, les deux seules preuves de l’existence du père de Léandre proviennent de deux « paquet[s] ». Le premier, mentionné dès le deuxième 43 Mascarille ayant précédemment feint de servir Léandre, pour en fait mieux servir Lélie, il paraît structurellement très vraisemblable qu’Ergaste lui renvoie sa feintise en chiasme. Le mystérieux messager feindrait alors de servir Lélie (III, 6) pour mieux servir son maître du moment, Léandre. 44 Il convient en effet de remarquer que, malgré ses soupirs de lamentation d’ailleurs étrangement hyperboliques (« Fut-il jamais destin plus brouillé que le nôtre ? », [IV, 7, v. 1651]), Mascarille ne fait nullement l’effort d’attendre qu’Ergaste quitte la scène (comme celui-ci l’avait fait très rapidement lors de leur première rencontre) avant de révéler les détails exacts de ses projets de barrage contre Andrès. Si Ergaste travaille cette fois pour le nouveau prétendant de Célie, le voilà à son tour prévenu ; Mascarille n’hésitera pas à recourir à la corruption de fonctionnaire pour « [se] donner le temps qui sera nécessaire » (v. 1663) de mener à bien ses dernières fourberies. Et même quand il s’avère, dès l’ouverture du cinquième acte, que sa neuvième fourberie a échoué elle aussi, sans nul doute suite à une seconde intervention d’Ergaste auprès de Lélie, là encore, Mascarille explose certes d’une rage toute théâtrale (« Ah chien ! ah double chien ! mâtine de cervelle ! », [V, 1, v. 1675]), mais, là encore, sans que ce contretemps ne l’incommode outre mesure, puisque sa dernière opération est déjà bien lancée, et qu’il ne lui reste plus qu’à « songe[r] à l’exécution » (v. 1702). Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 129 acte par Léandre lui-même 45 , sert apparemment d’injonction, puisqu’il s’agit explicitement de « déterminer [le fils prodigue] à l’hymen d’Hippolyte » (II, 7, v. 759). Le second, de provenance encore plus obscure, fait son apparition au troisième acte, mais ne livre son message qu’à la fin de l’acte suivant (IV, 7), et par le biais de celui à qui l’on avait chargé d’en faire la livraison, une fois encore Mascarille 46 . Dans un cas comme dans l’autre, ces « paquets » ne fournissent donc, au mieux, que des preuves bien ténues de l’existence du père de Léandre, et rien ne permet vraiment d’infirmer qu’un imposteur bien informé n’ait pu se saisir de l’identité de cet éternel absent, dans l’intérêt, notamment, de mieux manipuler son fils. Rien ne permet, en outre, de douter que Mascarille, personnage prédestiné par son onomastique à porter des masques, n’ait pas été tenté de remplir lui-même ce rôle de paterfamilias aussi douteux que distant. Car, à ce stade, ce ne sont plus les motivations qui manquent au protagoniste pour se glisser dans la peau d’un autre père. Il y a d’abord, bien sûr, l’appât du gain ; en aidant Hippolyte à contraindre Léandre au mariage, Mascarille sait parfaitement qu’il peut bénéficier d’un surplus de générosité de la part de la jeune femme 47 . Il y a aussi, ne l’oublions pas, un désir de revanche ; en se laissant berner par Ergaste, le valet de Lélie se laisse berner par celui contre qui il avait été averti depuis le départ, à savoir Léandre, d’où la tentation de reprendre la main précisément là où celle-ci avait été perdue : sur la scène d’une « mascarade » 48 . Mais il y a encore un certain 45 Curieuse apparition de ce premier « paquet », glissé par Léandre à l’intérieur d’une furtive parenthèse : « (Ainsi que je l’apprends d’un paquet apporté) » (II, 7, v. 758). Par qui exactement ce paquet a-t-il été « apporté » ? Nul ne le saura jamais exactement. Et, pour l’instant, Molière veut visiblement détourner notre attention sur le message de ce « paquet », sans nous donner trop le temps d’en questionner la validité. 46 Ce message, rappelons-le, est celui de l’arrivée du père de Léandre, dont Mascarille, hypocritement ou non, souligne l’élément de soi-disant surprise, par sa fameuse clausule du « contre toute espérance » (v. 1665). 47 Contrairement à Lélie dont la source de tous les problèmes est précisément d’être sans le sou (et donc de ne pas pouvoir littéralement acheter la femme qu’il aime), Hippolyte, pour sa part, ne semble avoir aucune difficulté à débloquer les fonds paternels pour acheter son futur époux. D’où la présence en scène, dès le départ, de cette « bourse », fortement symbolique, que Mascarille feint d’abord de repousser par fierté, mais qu’il empoche bien vite, une fois son jeu de scène terminé (I, 8). 48 Le premier message livré par Ergaste concerne en effet la « mascarade » organisée par Léandre pour « entrer chez Trufaldin » et « enlever Célie » (III, 5, v. 1158-60). Mascarade bien sûr avortée pour tout le monde, mais d’abord pour Mascarille qui Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 130 sens de l’humour qui pourrait motiver Mascarille ; en jouant à la fois le rôle du parent absent et celui du gendre potentiel 49 , le « fourbum imperator » se positionne non seulement pour devenir le père de Léandre, mais aussi son beau-frère. Situation d’autant plus désopilante qu’en prenant, comme victime de sa plaisanterie, un autre fils potentiellement abandonné, Mascarille se moque en quelque sorte de son alter ego et ainsi, par la même occasion, de lui-même. Temporellement parlant, la Nachträglichkeit moliéresque n’est donc pas simplement une question de revenir sur les souvenirs oubliés de l’enfance afin de faire ressurgir les traumatismes qui en auraient ultérieurement découlé. Certes, Mascarille a vraisemblablement été traumatisé par l’abandon de son père biologique, qu’il est maintenant persuadé de reconnaître en Pandolfe. Certes encore, chaque étourderie de son demi-frère présumé ne contribue qu’à renforcer la réalité inconsciente de ce traumatisme censuré. Cependant, là où la reviviscence du souvenir originaire apporte, chez l’analysé freudien, une forme de soulagement lié à l’identification du mal, chez Mascarille en revanche, le ressassement non-analysé du traumatisme contribue plutôt à stimuler le ressentiment. Créature donc sourdement rancunière, le protagoniste moliéresque ne peut alors que se diriger vers une vengeance à venir. Or, bienséance oblige, cette vengeance ne pouvant s’exécuter en scène et in praesentia ; il faut bien que la rancœur se ménage une autre échappatoire. Et c’est là que se révèle toute l’importance thérapeutique du père in absentia de Léandre. En attendant la fin de la pièce pour faire miroiter la possibilité d’une dernière mascarade, organisée cette fois-ci en coulisses, et littéralement après coup, Mascarille s’administrerait ainsi sa propre cure de l’« après-coup ». Nul besoin de parler de son passé pour mieux en guérir ; il suffirait alors d’agir pour mieux gérer. Car chez Molière en tout cas, la Nachträglichkeit ne consiste pas uniquement à mieux vivre son présent, mais aussi et surtout à mieux contrôler son avenir, ne serait-ce que potentiellement. avait été le premier à se « masquer pour devancer [l]es pas [de Léandre] » (v. 1173). 49 Je rappelle, dans les dernières répliques de la pièce, la très elliptique réponse d’Anselme aux « démangeaisons de mariage » formulées par Mascarille : « J’ai ton fait » (v. 2066-67). Un peu trop sage, sans doute, par rapport à un Pandolfe et autre Trufaldin au passé plus coupable, le père d’Hippolyte restait, jusque-là, le seul parent à ne pouvoir prétendre ni à un fils abandonné, ni à des enfants perdus. Il était temps qu’Anselme se rattrapât et, grâce à cette ellipse, tous les fantasmes sont maintenant permis ; d’une fille naturelle miraculeusement retrouvée à une demi-sœur d’Hippolyte, peut-être déjà enceinte, le futur gendre, Mascarille, aurait de quoi être servi ! Coups et après-coup : Molière et ses Contretemps PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 131 En somme, bien que la temporalité de L’Étourdi ne porte aucunement atteinte à l’unité classique de temps, la notion même de « contretemps », elle-même au cœur de cette première grande comédie moliéresque, nous propose un double renversement de l’impression d’unicité temporelle propre au théâtre classique. Contrairement à la majorité de ses homologues tragiques, Mascarille n’a rien de cet être-pour-la-mort proto-heideggerien qui se laisse définir par la fatalité de son destin. Ainsi, le protagoniste des Contretemps résiste-t-il par tous les moyens que lui procure sa fourberie, d’une part aux étourderies à répétition de son maître, et d’autre, à la tentation de se venger trop irrévocablement de cette société paternaliste qui l’opprime. Fût-ce consciemment par ses « coups fourrés » ou inconsciemment par sa rancune de l’ « après-coup », Mascarille s’investit pleinement dans cette dynamique de la rétribution qui semble caractériser toutes ses initiatives. Or, nulle part dans cette économie libidinale du désir itérativement frustré ne s’agit-il jamais de se soumettre au déroulement d’une temporalité prédéterminée. Au contraire, chez Molière, le temps revêt d’emblée une apparence très saccadée où chaque secousse marque un ralentissement (avec les coups de théâtre) voire un arrêt (avec les coups d’estoc) dans la progression chronologique de l’action théâtrale. Parfois même, la temporalité moliéresque semble pouvoir inverser le cours du temps, comme lors des multiples reviviscences du traumatisme paternel chez Mascarille. Mais là encore, même la Nachträglichkeit préfreudienne paraît plus flexible qu’il y paraît, notamment lorsque son protagoniste en étire la durée d’action jusque dans l’avenir d’une vengeance potentielle. Plus pertinemment encore, il appert de surcroît que, malgré sa focalisation sur la perception temporelle de Mascarille, les Contretemps n’annoncent en rien une épistémologie proto-kantienne du temps comme objet synthétique a priori du jugement humain. Car la temporalité moliéresque n’a rien d’un concept rationaliste a priori, et la seule synthèse qui la concerne n’est pas celle d’un savoir empirique, mais plutôt celle d’une pragmatique de la communication. En effet, peu importe la multitude des instances où les talents de communicateur du protagoniste laissent à désirer ; celui-ci parvient toujours, d’une part à se laisser communiquer les désirs des autres, et d’autre, à communiquer les siens propres, serait-ce de manière avant tout subliminale. Ainsi, chez Molière, le temps se détourne-til franchement de toute conception tantôt objective, tantôt subjective de la temporalité, afin de s’orienter vers une construction de type intersubjectif où notre propre perception du temps se verrait immatérialisée en l’absence du désir d’autrui. Autrement dit, c’est parce que son premier grand protagoniste comique participe pleinement à une économie libidinale prédiquée sur le libre échange du désir, que l’œuvre moliéresque nous donne Eric Turcat PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0007 132 d’entrée l’impression de s’inscrire dans ce que Laplanche appellera la temporalité de la « séduction » 50 . Et de cette séduction, comme nous le savons bien, nul ne s’acquittera mieux d’en redéfinir les paramètres chez Molière que son Dom Juan où, sans grande surprise, c’est précisément le temps qui souffrira du mal le plus chronique. 50 La « théorie de la séduction », abandonnée assez rapidement par Freud mais reprise ultérieurement par Laplanche, était soi-disant ce qui manquait le plus à Lacan dans sa réinterprétation de la Nachträglichkeit freudienne. Dans son propre séminaire sur « L’Après-coup », Laplanche ne manque donc pas d’énoncer très clairement ce qu’il entend par ce rapport entre temporalité et séduction : « L’être humain se temporalise parce que - et dans la mesure où - il est dans une relation originaire à l’autre » (op. cit., p. 12). Relation « originaire » en ce sens que l’autre est aussi celui qui génère des messages énigmatiques ; ces fameuses énigmes qu’il appartient alors, selon Laplanche, de « traduire », et selon notre propre pratique, de décrypter par une pragmatique textuelle. PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 Populating the Dramatic Universe Through Names N INA E KSTEIN (T RINITY U NIVERSITY , S AN A NTONIO ) The proper name is an almost universal feature of Western theater. With the exception of certain experimental plays - those of Beckett, most obviously -, theater typically makes use of proper names both to designate embodied characters who appear on stage and to refer to someone who never appears, and who is thus a purely linguistic presence. The proper name is ubiquitous and vital to the creation of a fictional universe. Leo Spitzer calls the proper name “l’impératif catégorique du personnage” (222) and Roland Barthes refers to it as “le prince des signifiants” (“Analyse” 34). A proper name is what Saul Kripke terms a “rigid designator,” that is, one that refers to the same object in all possible worlds. 1 It is thus as stable a sign of identity as one is likely to find in literature. Proper names have not gone unnoticed in the study of the French classical theater. Alain Faudemay discusses the use of proper names in Corneille’s plays, focusing particularly on their placement; Jean Prophète devotes an entire book-length study to what he terms “le para-personnage” in Racine’s theater. 2 In this study, I would like to do something quite different, casting a wide net and considering the issues raised globally rather than as a key to the interpretation of individual plays. I will concentrate on the broad presence of names that appear in seventeenthcentury theater: known or unknown to the audience, repeated several times 1 Kipke 48. John Searle concurs: “It is characteristic of a proper name that it is used to refer to the same object on different occasions” (489). Stratis Kyriakidis focuses on the temporal aspect of this rigidity: “Unlike all other things, it [the proper name] may alone continue its existence through time” (130); as does Jean Starobinski: “C’est lui [the proper name] qui traversera la durée en résistant à la durée. C’est à lui que sera délégué la permanence de l’être” (61). 2 Onamastics has also been the focus of several studies relating to seventeenthcentury French theater: see Constance Cagnat-Deboeuf, Stéphane Natan, and Betty Davis (“Molière” and “From Précieuses”). Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 134 or merely once, crucial or incidental. I will move beyond the names of individuals who never appear on stage to consider as well place names and names of peoples. Of central interest will be how seventeenth-century playwrights employ names to develop, broaden, and populate their dramatic universe. My corpus is made up largely of tragedies, but with select comedies and tragicomedies as well; it includes 66 plays of the period, including all of the plays by Corneille and Racine (see appendix at the end). Indeed, much of what follows deals largely with those two playwrights, primarily because both were masters at grasping the rich potential of names. 3 The profound difference between the names of the characters one encounters on stage and unembodied proper names bears emphasizing. The physical embodiment provided by the actor brings the character to life in a manner outside the realm of the possible for a mere name. Indeed, the global absence of the physical support provided by actors can be said to be the primary shortcoming of a play as read rather than performed. Characters that are only named on stage bear a strong resemblance to characters in a novel, and share many of the same features. The proper name in itself, absent embodiment by an actor, has a certain power of generation and creation. Barthes puts it well: “Ce qui donne l’illusion que la somme est supplémentée d’un reste précieux (quelque chose comme l’individualité, en ce que, qualitative, elle échapperait à la vulgaire comptabilité des caractères composants), c’est le Nom Propre, la différence remplie de son propre” (S/ Z 197). Just what that “propre” might be is related to questions of reference, but also to the possibility that the name itself may convey meaning. 4 Proper names, even of individuals who seem to have little importance in a play, raise the question of meaning attached to the name. Almost invariably, the names in our study offer cultural harmony, such as Roman names appearing in plays situated in Rome, etc. The theoretical issue of whether proper names have no meaning on their own and are purely referential or whether they constitute a kind of descriptive predicate 3 Georges Forestier approaches this issue obliquely by stating that Racine followed “Corneille dans la voie de ‘l’ingénieuse tissure des fictions avec la vérité, où consiste le plus beau secret de la Poésie’: parmi les épigones de Corneille, il [Racine] est le seul qui ait eu cette ambition” (1999 xlviii). 4 Searle offers an in-depth discussion of whether meaning (what he terms “description”) precedes or follows naming. While he points out that “we do not have definitions of most proper names” (488), he also discusses the need for proper names to perform reference, and that reference “never occurs in complete isolation from description, for without some description, reference would be altogether impossible” (491). Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 135 is of limited pertinence in this context. 5 In the tragedies and comédies héroïques in our corpus the proper names are either taken from history, legend, or myth, or seem to have been. While Hélène Merlin-Kajman asserts that in the seventeenth century the proper name was perceived as a sign open to deciphering (326), generally speaking, the names themselves of characters who do not appear on stage do not arrest our attention as having a particular significance beyond cultural homogeneity. Michael Riffaterre points out that “Emblematic names, that is to say, patronymics with a meaning related to the part played by their bearers in a story, are especially blatant indices of fictionality” (33). However, as we shall see, names in seventeenth-century theater are concerned with referentiality, not fictionality. This study has its origins in multiple readings of Virgil’s Aeneid. 6 During one of those readings I was struck by the enormous number of names in the epic. They provide context and function as a kind of complex backdrop, a viscous morass of references through which the reader must wade. They are of varying importance: known and unknown, names alone or in catalogues, at times accompanied by mini-narratives or short genealogies. At times they seem to overwhelm the action. Names from the future, names from the past, names of current comrades and enemies. 7 The Aeneid is a highly populated work, as are Homer’s Iliad and Odyssey. Of course, Virgil’s and Homer’s texts are epics and not theater, but the parallels between the use of proper names in the ancient epic and in French classical theater are striking. Ancient Greek tragedy is itself rife with the names of characters who never appear on stage, such as, for example, the dead relatives of the House of Atreus who are mentioned, some often, in Æschylus’s Oresteia or Sophocles’s Antigone. As Robert Byrd asserts, “The unseen character was almost certainly a part of the theatre from its beginnings” (2). An overview of the terrain, particularly the parameters for inclusion and the different types of names that appear in these 66 plays, is necessary at this juncture. Only names of characters who never appear on stage will be considered. A case could easily be made that a character functions merely as a name until s/ he comes on stage. Phorbas, for example, in Corneille’s Œdipe is mentioned 15 times before he finally appears in Act IV, scene 3; 5 See Claire Beyssade 150-51. 6 I will not pretend to be a scholar of classical antiquity, but I have long taught a first-year seminar on ancient Greek and Roman texts, whence 14 careful readings of the Aeneid. 7 Robert Fagles’s edition of the Aeneid includes a complete index of names, running some 60 pages. Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 136 Tartuffe’s name is mentioned 20 times in Molière’s play before the audience sees him (III,2); a particularly late appearance is made by the goddess Diane in Rotrou’s Iphigénie - in the final scene of the play - , after reference is made to her throughout. However, the fundamental difference between a name spoken and a character embodied leads me to exclude this group, even though the spectator may have a long wait before encountering them “in the flesh.” I exclude titles, such as “roi,” “empereur,” or even “César.” Titles imply a social, political role; the proper name is more unalloyed and specific. I include periphrases that contain a proper name: the audience knows that “le fils de Maurice” refers to Corneille’s Héraclius; the paraphrase thus provides both the name spoken and the name understood, thereby enriching the context. 8 However, I omit paraphrases that do not themselves contain proper names (e.g. “fils du roi”). Such descriptors are shifters, while the proper name is not. The result is that the focus here is not on the degree of saturation of a character in the language of the play, a piece of information that would be valuable, but outside of my purview. Rather, the subject is the proper name itself. Thus places that are names are counted (e.g. la Place Royale) and those that are not are ruled out (e.g., la Cour). Abstractions such as l’Amour, la Fortune, l’Hymen, too, are excluded on the grounds that they are insufficiently individualized. 9 Given the verse form of most seventeenth-century French theater, questions of euphony are pertinent to any discussion of these proper names. Some names, either because of their sonority or their propensity to rhyme easily will no doubt tend to appear more often, although to what degree it would be impossible to specify, while those that offer neither advantage may well be shunned. “Hélène” and “Rome” are obvious examples of easily rhymed and euphonious names, while “Torianius” (Émilie’s father in Corneille’s Cinna) is not. 10 A clear indicator of the importance of euphony is the rather widespread and curious treatment of the names of Greek and Roman gods. Historically, the Romans adopted numerous Greek gods and 8 See Natan for a discussion of the role of periphrasis in Racine’s Andromaque; also Jules Brody 444. 9 The equivalences between the gods of antiquity and such terms (e.g. Amour = Venus) causes some problems, as when Pradon has Hippolyte say “Je méprisai l’Amour, et j’adorai Diane” (Phèdre et Hippolyte 122). I have made judgment calls as needed. 10 Faudemay says of the place name “Rome”: “Le lieu du monde qui dit le mieux la puissance du nom rime, justement, avec nomme” (419), while André Lebois notes that “même Corneille recule devant Cacan, roi des Avariens ou Huns et devant Cunibert [Rodelinde’s son in Pertharite]” (188). Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 137 changed their names, generally to something quite different. Yet in Corneille’s Médée, Racine’s Iphigénie and Phèdre, as well as Rotrou’s Iphigénie, one finds the Roman names of gods in an ancient Greek context. It would seem that “Vénus,” for example, is easier to handle in alexandrine verse than “Aphrodite.” Even more surprising is the fact that Racine in Phèdre, as well as Corneille in Œdipe, use both the Greek name “Alcide” and the Roman “Hercule” to refer to the same individual. 11 The doubling of the signifier (the proper name), while perhaps a reflection of the Greek practice to refer to gods by more than one name, adds a slightly destabilizing note. In both plays “Hercule” invariably appears at the beginning of the line while “Alcide” appears at the end, in the rhyming position. One may conclude that it is easier to find a word to rhyme with “Alcide” than with “Hercule.” 12 Corneille’s Rodogune offers a curious example of name avoidance for both euphonic and substantive reasons. As Corneille explains in his Examen to the play, he does not permit the name “Cléopâtre” to be uttered by any character on stage because he wants to avoid any confusion between his Cléopâtre and the notorious Egyptian queen. 13 Christian Biet notes that the play’s refusal to speak the queen’s name parallels her silence concerning the identity of the elder twin (“C’est un scélérat” 73). 14 Euphonic reasons also have some role to play, as the queen’s name is long and its ending in “âtre” is neither pleasant-sounding nor easy to rhyme. Coupled with the suppression of Cléopâtre’s name, Corneille includes two characters with the name “Antiochus” in Rodogune. The latter name refers to both the onstage son of Cléopâtre and the now-dead brother of Nicanor, whom Cléopâtre married when she believed Nicanor to be dead. The name of the onstage Antiochus is nearly silenced as well, appearing only twice, and not until the fourth act. 15 11 In Phèdre, Alcide: I,1,78, II,2,470; Hercule: II,1,454, III,5,943. In Œdipe, Alcide: V,5,1822; Hercule: I,4,306. 12 Dominique Moncond’huy notes the relative ease or difficulty of finding a rhyming word, using, respectively, the examples of “Junie” and “César” (122). 13 “...Cléopâtre, que je n’ai même osé nommer dans mes vers, de peur qu’on ne confondît cette reine de Syrie avec cette fameuse princesse d’Égypte qui portait même nom, et que l’idée de celle-ci, beaucoup plus connue que l’autre, ne semât une dangereuse préoccupation parmi les auditeurs” (Corneille, Examen to Rodogune, 2: 199). 14 See also Ralph Albanese’s excellent article on Rodogune. Biet remarks as well that the Egyptian Cléopâtre was considered “innommable” by Virgil, Horace, and Propertius, none of whom ever used her name in their writings: “Tous trois conviennent du fait que Cléopâtre est un nom maudit” (“C’est un scélérat” 74). 15 Albanese notes that the twins - Antiochus and Séleucus - never address each other by name (5). Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 138 Categorizing the names of characters who never appear on stage is both illuminating and in certain respects futile, as no category is truly discrete. Roughly speaking, one may posit four categories of types of names in our corpus: 1) the historical, 2) the legendary or mythological, 3) the divine, and 4) the purely fictional. It was of course standard practice in seventeenth-century theater to take the subjects of tragedies from ancient and/ or historical sources. The fact that the names of characters who never appear on stage come primarily from the first two categories is evidence of the playwrights’ efforts to create a broad and well-populated dramatic universe. The names in the first group are historically attested, while legendary and mythological ones predate history and perhaps exceed the vraisemblable. (e.g., Médée or Persée). The distinction between the two groups, however, is imprecise. Names such as Néron or Pompée are so legendary that they seem as mythological as they are historical. 16 And classicists often interrogate the possibility of historical origins for characters of Greek myth. A mythical name is by its very nature a trigger for multiple associations, stories, and characteristics. 17 Legendary and mythological names are very widely distributed in tragedy, but also found, interestingly enough, in a few comedies. In Corneille’s first play Mélite, scenes of Éraste's folie are peopled with names (and places as well), all from myth and none referencing the “real” world (see especially IV,6, IV,8, IV,9, and V,2). The introduction of mythological names is a sign of the protagonist’s madness, a non-differentiation of reality and fantasy. Divinities, whether individuated Greek and Roman gods or the Judeo- Christian God, pose special problems. First, as a general rule, gods do not appear on the classical stage. 18 A liminal case is the disembodied voice that may be that of Dieu in Rotrou’s Saint Genest; that voice speaks four lines of encouragement to Genest who is being slowly drawn to Christianity. 19 The 16 Within our corpus, the name “Néron” appears in Corneille’s Othon and Tite et Bérénice, Racine’s Britannicus and Bérénice, and Tristan’s La Mort de Sénèque. Pompée’s name appears in Corneille’s Cinna, La Mort de Pompée, and Andromède; Racine’s Mithridate; and Rotrou’s Saint Genest. 17 See Kyriakidis 84-85 and Faudemay 425. For Ubersfeld, “[t]out l’usage que fait Racine des noms propres mythologiques a cette signification : c’est une plongée au royaume de l’inconscient” (64). 18 Exceptions include Corneille’s machine plays, certain of his prologues and intermèdes, a few comedies (e.g., Molière’s Amphitryon, Rotrou’s Les Sosies), and the tragédie-ballet collaboration Psyché (in Corneille, vol. 3). 19 Poursuis, Genest, ton personnage; Tu n’imiteras point en vain; Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 139 “Dieu caché,” for obvious reasons of bienséance and vraisemblance, is the norm. Second, “Dieu” is a tricky name because the word is often employed in exclamations or even at times as filler to reach the twelve syllables in a line. The plural “Dieux” does not count as a name, because it refers to a multitude of divinities and thus is not a proper name as defined above; it too is often merely an exclamation. The religious plays in our corpus (Le Véritable Saint Genest, Corneille’s Polyeucte, Racine’s Esther and Athalie) make massive use of “Dieu” and “Dieux”; the word “Dieu” appears 156 times in Athalie, both sung by the chorus and spoken by characters. More subtle, Saint Genest offers two systems of categorizing the naming of the divine: within the interior play as opposed to the play itself; and second, between “Dieu” and “Dieux.” The fact that “Dieu” is mentioned 49 times in total, while “Dieux” appears 57 times may be read to support interpretations of this complex play that acknowledge its undecidability, such as those of Jean-Pierre Cavaillé or John Lyons (Saint Genest). 20 Whereas divinities have little place on stage in seventeenth-century French theater, fictional characters are typically embodied. And while fictional names are obviously more at home in comedy and tragicomedy, where the playwright is not constricted by the source material, genre matters little. Non-historically-attested characters appear frequently in the tragedies; one can point to Sabine in Corneille’s Horace, Émilie in Cinna, or Dircé in Œdipe (to say nothing of the invariably fictional confidants and other secondary characters). But fictional characters of some significance to the play’s action are not evoked by name, as a general rule, without also appearing on stage. Comedy allows for some exceptions, such as Prince Florilame in the fifth act of Corneille’s L’Illusion comique or Dorante’s invented wife and father-in-law in Corneille’s Le Menteur, but even in comedy, fictional unembodied proper names are uncommon. A second means of categorizing unembodied characters involves whether they belong to the pre-dramatic past or the offstage present. This division according to the dimensions of time (the first case) and space (the second) goes to the heart of the organization of the French classical stage. Names that refer to an individual situated in the past (e.g., Pirithoüs in Phèdre, Néron in Othon) work to create context and may even help to define the character who utters their name. Such names are world-building. Names from the past can be further differentiated by their relative distance in time from the onstage present: Pasiphaé (Phèdre) may be long dead, but Ménécée Ton salut ne dépend que d’un peu de courage, Et Dieu t’y prêtera la main. (II,5,421-24) 20 In Polyeucte the situation is reversed: “Dieu” appears 42 times versus 36 for “Dieux.” Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 140 in Rotrou’s Antigone has just died when the play opens. Such distinctions work to support a temporal layering of the dramatic world. In contrast, the offstage absent individual populates the immediate dramatic universe through the mention of his or her name. The restricted space of the stage opens up to include such characters as the active Calchas in Racine’s Iphigénie, the passive Flavie in Corneille’s Théodore, or the menacing Amurat in Racine’s Bajazet. The eponymous Pompée of Corneille’s play actually moves from the second category to the first: in Act I he is offstage and we learn he is ready to come ashore in Alexandria; by Act II he belongs to the past because he has been murdered. Restrictions of time and space govern the need for proper names in a manner reminiscent of the récit. It is thus not surprising to find a relatively high density of proper names in extended récits. The third means of categorization that I would like to propose concerns the importance of the role played by the named individual. One may establish a continuum with at one end a name without a known referent and at the other a full-blown absent character who is crucial to the play’s action, such as Sylla in Corneille’s Sertorius, Pompée in La Mort de Pompée, or Amurat in Bajazet. It stands to reason that the more often a proper name is mentioned, the more significant that character is to the action of the play. It is nonetheless worth noting how passive many of these oft-named characters in fact are, even those who belong to the offstage universe rather than the past. A good number of them die during the course of the play (e.g., Hémon in Œdipe, Flavie in Théodore, Aétius in Corneille’s Attila, Don Garcie in Corneille’s Don Sanche, as well as the eponymous Pompée); Pison in Othon, while mentioned 55 times by name, does absolutely nothing; Octavie and Pallas suffer Néron’s mistreatment nearby offstage without giving any indication of reaction (Britannicus), and Mandane merely approaches the city of Séleucie (Corneille’s Suréna). Of course absent characters who are passive make perfect sense, as it is largely on stage that the crucial action transpires. Yet some offstage absent characters take steps that have significant consequences: Pompée decides to come ashore (La Mort de Pompée), Métrobate and Zénon first lure Nicomède back to Bithynie and then falsely accuse him of planning to kill his step-mother (Corneille’s Nicomède), Orcan spends the fifth act of Bajazet killing off stage; Scipion keeps Massinisse from Sophonisbe throughout the fifth act of Corneille’s Sophonisbe; Calchas determines the need for a human sacrifice and who is to be sacrificed (Racine’s Iphigénie). Calchas’s absence may well preserve his sacred aura, as Prophète notes (82), but it does not keep him from acting. It Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 141 goes without saying that the religious plays have a very active absent character, namely Dieu. 21 At the other end of the spectrum are the proper names that seem largely superfluous because they carry no weight politically, emotionally, or symbolically. Names that we hear and recognize or do not recognize (the issue of audience familiarity will be addressed below), names that are attached to minor plot functions (e.g., that of Médée’s deceased fiancé in Corneille’s La Toison d’or or the name of the owner of the cassette in Tartuffe), names that appear a single time (hapaxes) and pass by so quickly in performance that it is uncertain how or even if they register with the listeners. All three means of categorization - by type of name, by time and space, and by importance to the play’s action - have their advantages, and in tandem, suggest a multi-dimensional perspective on the subject of unembodied names. Of the three, the second may be the most fruitful, as it relates directly to function. It is one of the primary functions of names unsupported by stage presence, whether they be proper names, names of places, or names of peoples, to create referential texture and density, thereby expanding the time and place of the play’s action. The pared-down classical stage with its single scene, modestly populated because of the limited size of theatrical troupes, as well as the restricted physical space on the stage (compounded when it became fashionable to place seats on the stage itself), all point to relatively few onstage characters. Unembodied names, on the other hand, bespeak a wider world of individuals, peoples, and places that counterbalances the intensity that accompanies the severe restrictions of the classical stage. 22 I claim that what elaborate description was to the nineteenth-century French novel, unembodied names are to the French classical theater. There is virtually no actual description present in the language of these plays: objects are seldom mentioned, 23 and the physical nature of people and things is rarely evoked. Honoré de Balzac’s lengthy descriptions, to take a famous example from the nineteenth century, created a rich, textured universe in which to set the action of his novels. 21 Religiously associated names of peoples abound in these plays: “Chrétiens” in Polyeucte (21 occurrences) and Théodore (10), “Juifs” in Esther (18) and Athalie (9). 22 Ronald Tobin notes that “Racine’s theater is, therefore, vast in its implications for the world beyond the stage and, at the same time, suffocatingly intimate for the dramatis personae” (56). Byrd puts it more succinctly: “Whereas the use of real food on stage means ‘This isn’t artificial,’ the unseen character means ‘This isn’t all’” (11). 23 See Marc Vuillermoz for an in-depth examination of objects in French theater between 1625 and 1650. Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 142 Here, while the degree of referential construction is of vastly smaller dimensions, the use of unembodied names works in the same manner. They are, in the most general terms, a kind of effet du réel. 24 Each historical name carries with it its own “lustre de la réalité,” as Barthes puts it (S/ Z 109). Even plots with little historical basis (e.g., Nicomède) gain credibility from the mere use of historically attested names (Joseph Harris 83). 25 Particular examples may function quite differently, of course, and are to be read in their specific context, but reference is central to the presence of unembodied names in seventeenth century plays. This close connection to reference may explain to the paucity of unembodied fictional names. Indeed the potential for instability posed by fictional names is exacerbated when such names manifestly lack a referent, as in Le Menteur: when Dorante invents a wife and a father-in-law to keep his own father at bay, he loses track of the names he has chosen; what was “Amédon” in II,5 becomes “Pyrandre” in IV,4. Thus, the unembodied name, while it offers no direct assurance of any tie to reality - as opposed to an onstage character, whose very embodiment provides such assurance - is nonetheless a powerful and compact source of reference, bridging the visible on stage with the invisible realms of the elsewhere and the past. Audience familiarity with the names evoked is intimately tied to reference. Without that recognition, reference cannot operate. One of the first questions I had in reaction to Virgil’s abundance of proper names in the Aeneid concerns reception: was the original audience of the epic familiar with the names that are enumerated? What percentage of those names would have been widely recognized and what percentage simply an anonymous or poetic blur? We may assume that the seventeenth-century spectator probably recognized many but certainly not all the names in the plays, that the world of Greek myth was better-known than that of Roman outposts or Byzance, and therefore that audience familiarity varied from play to play. Playwrights employed certain techniques to facilitate identification, such as placing the name in a list, and thus a category, or using descriptors when the name first appears. Certainly, it is likely that the degree of audience familiarity with the identity of unembodied names has diminished over time. If nothing else, our acquaintance with classical culture is not what it was 350 years ago. An illuminating example of the potential problem for audiences is Dante’s Divina comedia; without the notes 24 Barthes describes “l’effet du réel” as an accumulation of “détails inutiles” and thus a “luxe de la narration” (“L’Effet” 82). 25 Héraclius is an unusual play insofar as names are concerned: the determination of the correct referent for the name “Héraclius” constitutes the plot. Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 143 to explain the names therein, the work is almost incomprehensible to modern readers. Indeed, informative notes are a vital adjunct to reading seventeenth-century plays. But while an editor can take care of the problem on the page, there exists no means of adding such helpful knowledge to the performed play. And even in the case of the written play, if there are too many notes (that is, in terms of our specific subject, too many unfamiliar names), a reader may be discouraged by the extra effort required to read them all. On stage the hapax is the most problematic name in that it is articulated once and disappears. It may be unreasonable, unless the name is exceedingly well known, to expect that the theatrical audience will even process it. Hapaxes are the strongest examples of “l’effet du réel” in the sense that, as Barthes explains, “c’est la catégorie du « réel » qui est signifiée. La carence même du signifié au profit du seul référent devient le signifiant même du réalisme” (“L’Effet” 89). I note a tendency in Rotrou and Tristan L’Hermite to repeat names at least twice, as though they were aware of the problem posed by a single mention of a name; nonetheless, hapaxes are common in our corpus. 26 At times the repetition is more heavy-handed, thereby ensuring that the spectator will apprehend the name. Maurice, the assassinated emperor (and father of Corneille’s eponymous Héraclius) whom few, if any, audience members are likely to be familiar with, is mentioned 30 times. The frequent reference is obviously not merely for the purpose of familiarizing the spectator with a dead character - indeed, far more importantly, he represents legitimacy on the throne - but it nonetheless has that effect. Indeed within our corpus, 37 absent individuals are mentioned ten or more times each in their respective plays. 27 With each play, Corneille, who often favored situations that his audience might not know well, or that he had to a large extent invented (e.g., Rodogune; see Forestier, Essai 62), had to make a choice between the creation of an extra-scenic context through individual and place names, or to avoid such names. He most often chose the former, but not always. Thus Corneille furnished Attila with an extensive background and numerous attendant names, while his use of well-known absent figures such as Hannibal in Nicomède and Néron in Othon help the audience situate the onstage action within a larger context. On the other hand, Le Cid, Horace, and Pertharite contain no more than 5 proper names of non-appearing 26 Hapaxes of proper names appear in 63 of the 66 plays, for an average of 8.5 per play and a range from 0 to 42. 27 Interestingly, outside of the five explicitly religiously-themed plays in the corpus (Polyeucte, Théodore, Saint Genest, Esther, and Athalie) neither Dieu nor any other divinity (e.g., Mars) appears on that list. Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 144 characters each. 28 All three, albeit to very different degrees, compensate with a more abundant use of place names. 29 Racine’s Andromaque offers an unusual example of dealing with the problem of audience familiarity with historical and mythical names: the playwright stands the issue on its head by referencing names that are likely more well-known to the audience (e.g. Ménélas, Hector, Ulysse, Achille, Agamemnon, Priam, Hélène, and Cassandre) than those of the four principal characters onstage. Discussing intertextuality, which is another frame for understanding the names under discussion here, Nathalie Piégay-Gros notes that such allusions “sollicite[nt] différemment la mémoire et l’intelligence du lecteur et ne romp[en]t pas la continuité du texte” (52). Indeed, unembodied names in seventeenth-century theater, generally speaking, operate below the radar, striking outward and yet not calling undue attention to themselves. An exception will suggest the validity of that generalization: when in Horace Camille attacks her brother for having killed Curiace, her violent insistence on the name “Rome” indeed seems to disrupt the onstage action and force our attention to that abstract concept that is also a place name: Rome, unique objet de mon ressentiment! Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon Amant! Rome, qui t’a vu naître et que ton cœur adore! Rome, enfin que je hais parce qu’elle t’honore! (IV,5,1301-04; italics mine) But, such rare moments aside, names neither break the flow of the dialogue nor are they essential to audience comprehension; recognizing the names of unembodied characters or place names enriches, broadens, and complexifies the play, but remains on the periphery. The spectator who is familiar with the name(s) will have access to additional information and associations. However, unfamiliar proper names are perhaps almost as effective at creating a rich dramatic universe as familiar ones. Absent the information necessary to flesh out the referent, what remains is the action of populating, of cultural accretion through the kinds of names chosen, of the creation of a perhaps somewhat hazy dramatic universe beyond the stage. The fundamental needs of the spectator are tied not only to name recognition, but also to placement: where do the names of unembodied characters tend to appear within the play? Generalization is difficult, because of the substantial variation encountered from play to play, but the question is nonetheless worth considering because of the implications 28 The average number of different non-embodied proper names in Corneille’s plays is 13.3, ranging from 1 to 53. The total number of such names is larger, averaging 39.1 per play. 29 Le Cid uses 22 place names, Horace 104, and Pertharite 24, including repetitions. Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 145 attendant to any choice in that regard. If the primary function of the range of names under consideration is to aid in the creation of a broad dramatic universe, it would seem to make sense to have them appear earlier rather than later. A play’s exposition, however, is the moment when the spectator is attempting to assimilate the situation and catch the names of the embodied individuals on stage. The names of characters who will appear later in the play are likely to be introduced early on as well, both to orient the audience and because it was considered an infraction of the rules of the classical theater to introduce a new onstage character after the second act without preparing his or her arrival well in advance. Adding further names to the exposition could overwhelm the spectator. Of course not all unembodied names are the same. If the name references a god, it matters little where in the play it appears. If it is a particularly active unembodied character, then mention is likely to be made when he or she takes action. For example, we only hear the name “Orcan” in Bajazet at the very end of act III when Zatime announces that Amurat has sent him. Orcan will go on to kill both Roxane and Bajazet. On the other hand, Calchas is mentioned in 25 of Racine’s Iphigénie’s 37 scenes, including the opening scene. Looking at the entire corpus, one finds multiple examples of early and late reference to an unembodied character, suggesting strongly that contextual needs are determinant. In Phèdre, for example, almost half of the individual names evoked in the play appear in the first act, and over two-thirds of those in the first scene. Their early presence can be ascribed to Racine’s need to establish immediately the very particular world in which events transpire: that is, one in which monsters exist and where gods actively undertake revenge. Rodogune, however, despite a complicated backstory, produces the bulk of its names in the second act, and Bajazet contains virtually only the name of Amurat in the first act, where it appears 20 times in that short space. 30 In a few cases, the operation of reference itself is undermined through metalepsis, which Gerald Prince defines as “The intrusion into one diegesis of a being from another diegesis; the mingling of two distinct diegetic levels” (50). Here, the metalepsis is signaled by names. In Corneille’s La Suite du Menteur, Cliton mentions the famous contemporary actor Jodelet (I,3,281, III,1,826); the metalepsis is compounded by the fact that the spectator would have been aware that they were watching Jodelet on stage playing the role of Clindor as the fictional Clindor discusses Jodelet playing him earlier in Le Menteur. Even more egregious is a different example found in the same play. When Lyse mentions the novel l’Astrée in La Suite du 30 There is one mention of Bajazet’s other brother, Ibrahim, in I,1. Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 146 Menteur (IV,1,1238), she breaks the wall not merely between diegetic levels, but between “reality” (the world in which Lyse exists) and fiction (the world of L’Astrée). Lyse even acknowledges the difference in diegetic level, referring to Sylvandre as a character in l’Astrée, but nothing loath, she immediately claims to be related to both Astrée and Céladon. 31 A particularly wide-spread use of non-embodied proper names is the exemplum. In such cases, names are spoken by onstage characters in order to provide a positive model to emulate or a dangerous example to avoid. 32 Onstage characters act and envision themselves in terms of a tapestry of famous others who have preceded them. Néron tries to urge Junie into marriage with an example: “Auguste, votre aïeul, soupirait pour Livie : / Par un double divorce ils s’unirent tous deux” (Britannicus II,2,476-77); in Andromède, both Andromède’s father Céphée (II,6,764) and her betrothed Phinée (IV,3,1218) use such paradigmatic reasoning, citing the 20 suitors of Nérée who tried to save her from the very monster that is to attack Andromède, and who all died in the effort. In Bajazet, Roxane attempts to convince Bajzet to marry her through the use of example: after deftly acknowledging and dismissing the negative example of an earlier Bajazet who instituted the marriage taboo for sultans, she goes on to the positive example of Sultan Soliman who married his concubine Roxelane (II,1,455- 70). Bajazet rebuts her with the counter-example “tout récent” (488) of Osman, murdered by his janissaries because he wed. In Bérénice, Paulin urges Titus to abandon plans to marry Bérénice and employs an apt historical example: [Jules César] Brûla pour Cléopâtre; et sans se déclarer, Seule dans l’Orient la laissa soupirer. Antoine, qui l’aima jusqu’à l’idolâtrie, Oublia dans son sein sa gloire et sa patrie, Sans oser toutefois se nommer son époux. (II,2,389-93) Paulin goes even further, using Néron and Caligula as additional examples of the Roman interdiction against marrying a queen (II,2,397-401). In Corneille’s Agésilas, Hercule is mentioned several times; his status is made explicit by Agésilas himself: “Hercule en sert d’exemple” (III,1,876), the en referring to the envy and hatred that follow heroes. The exemplum, a 31 “Je puis bien lire Astrée, / Je suis de son village, et j’ai de bons garants / Qu’elle et son Céladon étaient de nos parents” (Suite IV,1,1238-40). 32 I make no meaningful distinction between the terms “exemplum” and “example.” See Lyons for a discussion of the tortured relationship between the two terms (Exemplum 9 and passim). Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 147 literary device dating back to antiquity (see Sammons 20), is an apt vehicle for unembodied proper names. It refracts and enriches what the spectator encounters on stage. Parallels and analogies that reference proper or place names function in essentially the same manner, expanding the referential horizon of the play, and often its temporal horizon as well. Orode in Suréna offers the analogy of his brother Mithradate to his son Pacorus: “Car tout ce qu’attenta contre moi Mithradate, / Pacorus le doit craindre à son tour de Phradate” (III,2,857-58). The fraternal enmity (and fratricide) of the past will likely be reproduced in the future. In Rodogune, Séleucus offers a double analogy of the twins’ situation through reference to Thèbes et Troie (I,3,171-79). Like Polynices and Eteocles of Thèbes, Séleucus and Antiochus are rivals for the throne; like Menelaus and Paris, they love the same woman. Those Greek rivalries led to bitter warfare, an outcome that Séleucus seeks to avoid. Arnolphe compares himself to Rabelais’s Pantagruel in their common reluctance to marry (Molière’s L’École des femmes I,1,117-22). More surprising perhaps is the reference to Phèdre, Hippolyte, and Thésée in the original edition of Corneille’s comedy L’Illusion comique. Rosine mentions the trio in the embedded play in the fifth act: she perceives a parallel to the situation in which she finds herself when her lover, played by Clindor, seeks to break off their relationship. She, like Phèdre, will accuse him of making indecent advances. All of the above, whether exempla or analogies, whether historical, mythological, or cultural, are intertextual in nature. The absent “text” - taken broadly - is evoked and brought into relation with the play at hand. Piégay-Gros notes that “la convocation des intertextes [...] traduit toujours une conception des relations de l’écriture au réel” (88), thereby underlining the referential nature of all of the examples above as well as the manner in which they expand the horizons of play. Until this point, the focus has been primarily on the names of unembodied individual characters; I would like to now consider the specific issues attached to first, place names, and then, names of peoples. The distinction made earlier between embodied and unembodied characters is not operant for place names or peoples. Mimetic space - that is, the stage - is severely limited, both physically, as noted above, and because of unity of place. The stage can represent the interior of a palace or a house, at most an exterior street scene. Phèdre, for example, takes place in Trézène (mentioned 10 times), but the reality of that place/ city is functionally as off stage as is the more distant Athènes (13 mentions). Spaces named may indeed be closer to the stage or farther away, but any named space is beyond the stage; it is impossible to embody Rome, say, in the same manner that Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 148 Britannicus is embodied by an actor. Despite that limitation, place names often have a significant role. In tragedy they serve above all to create the geographical fabric of the world in which the play transpires. Michael Issacharoff notes: “Where mimetic space is fixed (when a single set is used), the odds are that the diegetic space will be non-fixed, that is to say, manifold” (222). The ample variety of place names in most of the plays examined supports that assertion: the number of different places named averages 8.3 per play, varying from 1 to 32. Philippe Hamon underlines their strongly referential function, calling place names: “ancrage référentiel dans un espace « vérifiable »” (127). More specifically we often find the political stakes of a play’s plot embodied in the names of places as a kind of shorthand. A place name may stand in for an enemy, as in the case of “Rome” in Mithridate (29 mentions), or for identity (“Carthage” for the eponymous character in Sophonisbe: 37), or a place name may duplicate the political tensions embodied on stage by specific characters (“Rome” [66 mentions] and “Albe” [34] in Horace). Place names may also have poetic resonance and carry symbolic weight; Brody mentions “l’extraordinaire puissance évocatrice de certains noms de lieu” in Racine’s plays, offering the examples of “Le Pont” and “Athènes” (421). At times, place names have an outsize presence. Nine plays (all by Corneille or Racine) contain 70 or more mentions of place names. In 26 plays of the corpus, place names outnumber names of absent characters. Rome cannot be an active offstage character in the same fashion that Iphigénie’s Calchas may be, but the 77 mentions of “Rome” in Nicomède, 52 in Bérénice, 45 in Sertorius, and 35 in Britannicus suggest that place names may indeed constitute a dramatic force. One explanation for the large role of place names is the significant leakage that exists between categories. Not only do characters represent places - Lélius on stage and Scipion off stage represent Rome in Sophonisbe, as do the onstage Paulin and the dead Vespasien in Bérénice, for example - but absent characters can become places. For instance Pallas in Britannicus, is, on four occasions, referenced as a stand-in for a place: “chez Pallas” (I,3,304, I,4,356, II,1,366, II,2,376); Octavie is treated in a similar fashion, but toward the end of Britannicus (V,2,1558, V,3,1597, V,8,1714). The opposite holds true as well at times: a place may be personified and thus resemble a character. Cinna tells Auguste: “Votre Rome à genoux vous parle par ma bouche” (Cinna II,1,606) as he implores the emperor not to abandon the throne; shortly thereafter, alone with Cinna, Maxime employs the same tactic and himself adopts the voice of Rome: “Mais entendez Rome crier à votre côté : / « Rends-moi, rends-moi, Cinna, ce que tu m’as ôté, »” (II,2,848-50). In Bérénice, Paulin Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 149 tells Titus of Rome’s reaction to Bérénice: “Rome [...] gémissait” (IV,6,1221). Place names in this corpus refer typically, but not exclusively, to either cities or countries. They may also on occasion refer to rivers, bodies of water, mountains, even specific sites within cities, provided that they have a name and are not generic. It is the presence of the name that allows the place to take on an identity and contribute to the canvas of the dramatic world. Rivers have an unusual status, because they bring with them movement, and movement is obviously a feature of theater. Rivers also belong to the tradition of catalogues; Kyriakidis notes that most ancient Greek epics, beginning with Homer, contain catalogues of rivers (132). And there are an abundant number of rivers in these plays, many legendary (e.g., Jourdain, Nil, Scamandre), most distant from France. 33 The largest number of place names referring to bodies of water, whether rivers or seas, is found in Mithridate, where they have a significant thematic role as a route of military attack. 34 Place names are generally associated with tragedy because the strongest referential links to specific sites are to be found in historically-based tragedies. Nevertheless, it is in comedies that some of the most interesting uses of place names appear. Both Le Menteur and its Suite contain elevated numbers of place names, especially names of different places. Contrary to reasonable expectation, only one of the place names in Le Menteur is in any way attached to a lie: Dorante claims to have spent four years serving as a soldier in Allemagne (I,3,154, 161). La Suite du Menteur takes place in a Lyon prison, yet offers a larger geographical compass, with references to Venise, Florence, and Rome, along with repetition of the major place names from Le Menteur (Poitiers, Paris). Corneille’s early comedies offer little in terms of place names. Mélite, however, is exceptional with 13 place names, every one of which references the underworld. L’Illusion comique has one of the largest variety of different place names in our corpus (21). Matamore is fond of far-flung sites in which to situate his fabulations (Perse, Éthiopie, Japon, Transylvanie, Chine, Calicut). Unlike Dorante in La Suite du Menteur, he hasn’t been to any of them. The diversity of place names in L’Illusion can be read as a reflection of both the picaresque nature of the hero, Clindor, and of the dizzying mixture of genres, shifting from act to act. As one moves from comedy to tragicomedy to something closer to tragedy, geographical moorings are as varied and unstable as the rest. Overall, place names 33 Rivers are named in 24 of the plays under consideration. 34 See my “Mithridate, Displacement, and the Sea.” Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 150 anchor a play’s plot in tandem with proper names to insist upon a specific world fixed in time and space. Our third category, names of peoples, is far less rich than those of individual names and place names; it includes largely plurals (e.g., les Romains); 35 a family name in the plural will be in put in this category as well (e.g. “la fierté des Nérons”). As in the case of place names, the category of people is subject to leakage. A place may represent a whole people as when Mathan says “Jérusalem pleura” (Athalie, III,3,947). Few peoples have ten or more mentions in a play, and those that do are central political forces in their specific dramatic worlds: Romains (Sophonisbe 28, Sertorius 21, Mithridate 50), Grecs (Andromaque 43 and Racine’s Iphigénie 26), and Chrétiens (Polyeucte 21). Discussing the difference between tragedy and comedy, Ubersfeld makes the following observation: “À la différence des tragédies où la plupart des noms de personnages principaux sont imposés soit par la légende, soit par l’histoire, la comédie laisse à l’auteur la liberté de choisir et même d’inventer le nom de chacun de ses personnages” (229). The distinction applies equally well to names of unembodied individuals, places, and peoples. Tragedies have historical, legendary, and or mythological referents, and are under an obligation to bring those referents to life on stage and through discourse. To understand just how crucial proper names are to that process, imagine for a moment the effect of changing the names of the unembodied characters in a tragedy, of the places and peoples referenced, to more modern names or names stripped of cultural content. In contrast, comedy is free of the weight of referential obligation, and playwrights have infinitely more freedom when it comes to names (and much else, clearly). The most exuberant use of that freedom occurs in Racine’s Les Plaideurs and Desmarets de Saint-Sorlin’s Les Visionnaires. Racine uses a wide variety of proper names in his sole comedy, some of which are quite amusing (e.g., Drolichon, I,7,211), and a number of which are based on a deformation of some sort (e.g., Babiboriens, III,3,681); other unembodied proper names include ancient authors (e.g., Aristotle, III,3,745) and famous jurists of the day (e.g., Arméno Pul, III,3,753). The comic aspect of some of these names, however, can be erased or even created by the passage of time: indeed many of the references Racine makes will require the aid of a good footnote. Ironically, the same resource - a footnote - informs the reader that Citron 35 “Le Romain,” for instance, generally refers to a specific individual susceptible to having his own proper name, and is thus eliminated from consideration. In those cases where “le Romain” in the singular refers to Romans in general - not infrequent in the corpus - then it is counted. Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 151 (II,14,621) is a common name for a dog and thus not humorous. 36 Les Visionnaires, as the title suggests, depicts individuals who possess vivid imaginations to the point of delusion. Numerous figures from mythology, history, and literature populate the embodied characters’ discourse as they seek to impose their own “reality” on one another. In fact, 53 different unembodied names appear as well as 32 different place names, by far the largest figures for either category. 37 Interestingly, our touchstone for comedy, Molière, offers little in this regard. While he is certainly interested in proper names (see Cagnat-Debœuf and Davis [“From Précieuses” and “Molière”]), humor and allusive potential are related in most cases to the names he chooses for his onstage characters (e.g., Purgon, Tartuffe, M. Dimanche, Sotenville); the unembodied proper names in his comedies are often merely conventional (e.g., the names of the individuals who are the objects of Célimène’s portraits in Le Misanthrope II,4). Les Femmes savantes is something of an exception, with numerous names of writers and philosophers both ancient and modern bandied about to signify the speaker’s erudition. Tragicomedy is an even less rich source of unembodied proper names, place names, and names of peoples. The genre does not concern itself with historical subjects; thus it is hardly surprising that one finds few references to unembodied historical or even legendary figures. 38 The two primary preoccupations of tragicomedy have nothing to do with names, but are enlightening on the subject nonetheless. The first is love, passion, and attendant sentimental problems (Guichemerre 13). Throughout the entire corpus, tragedies included, when a scene focuses on love, there are few, if any, of the kinds of names we are examining here. It is as though love chases away unembodied offstage characters. Second, action is paramount in tragicomedies (Baby 296). As noted earlier, names are tied to description, rather than to narrative action. So it is no surprise that tragicomedy has relatively little use for unembodied names. Indeed, the paucity of names of unembodied characters in Le Cid may well be related to the play’s original status as a tragicomedy. In the final section of this study I will focus on the two playwrights who make the most extensive use of unembodied proper names, place names, 36 In this case, the footnote is found in the Classiques Larousse edition of Les Plaideurs (88). 37 The closest number for different proper names is 35 in Médée, and for different place names 21 in L’Illusion comique. 38 Hélène Baby says it well: “la tragi-comédie se moque de l’historicité de son intrigue” (296); see also Roger Guichemerre (12). Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 152 and names of peoples in their dramaturgy: Corneille and Racine. The explanation for their focus on names likely lies with Forestier’s insight, quoted above, that they alone among their play-writing peers sought a close interpenetration of history and fiction. While I aspire to report global tendencies in their use of names, in the case of Corneille I am forced to limit myself to rather specific observations; Racine will offer a richer field for a comprehensive treatment. Faudemay addresses Corneille’s central limitation as far as names are concerned: “Le théâtre de Corneille semble fait pour décourager les amateurs d’onomastique. Le poète n’invente pas de noms, comme Rabelais, ne rêve pas sur des noms comme Proust, ne joue pas avec des noms comme Calderón” (413). Yet names there are, and often in profusion. The most obvious observation to be made concerns Rome; its abundant presence has already been suggested above. As Charles Muller notes, “Rome” (with 399 mentions) and “Romain” (with 237) are the two most frequently used names in Corneille’s theater (156). His four plays taken from Greek legend - Médée, Andromède, Œdipe, and La Toison d’or - contain elevated numbers of unembodied proper names and place names. Œdipe in particular, teems with a vast variety (25) and number (90) of unembodied individual names. Among them, one finds not only the expected (e.g. Laïus), but a whole cast of fictional characters, including Thésée’s dying servant Phédime. Indeed, Corneille presents the established Greek mythological context of the play, using names known to the audience, but he goes further with a kind of onomastic exuberance in his effort to tackle the too-well-known subject. Horace was Corneille’s first Roman tragedy, and thus his first play to claim some historical roots. Surprisingly, there are only 5 unembodied proper names, all of which are taken from legend (Romule, Énée, Hercule) or mythology (Apollon, Parques). The playwright compensates with copious use of historical place names, particularly “Rome” (66) and “Albe” (34); the relative size of the totals reflects the inevitability of Albe’s defeat. Polyeucte too makes relatively little use of unembodied proper names: there are only two, but they are repeated throughout the play - Dieu (42 times) and the emperor Décie (18). As in Horace, those two names stand in for the central conflict and through their relative frequency foretell its outcome. Le Cid contains few names overall, but favors place names over proper names (a mere two occurrences of the god Mars), as though Corneille expected his audience to be more conversant with names of places in Spain than with Spanish legend. Thus the only play in the tetralogy where names of all kinds abound is Cinna. It contains 53 individual names, 53 place names, and 21 names of peoples. Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 153 La Mort de Pompée, aside from the 66 mentions of the never-seen Pompée, is geographically oriented, with a strong triangle of place names: Pharsale (13), Rome (33), and Egypte (16). Those three space names are critical to the characterization of César: where he has triumphed, where he is from, and where he finally arrives in Act III. In Sertorius, Corneille engages in the suppression of proper names by having Pompée burn the traitorous letters that Perpenna has provided him in Act V; Pompée chooses to exculpate their authors through a refusal (which extends to the audience) to see/ hear their names. Nicomède marks perhaps the most well-balanced use of names in Corneille’s theater: the past is personalized in the absent figure of the dead Annibal “dont le nom n’est pas un petit ornement,” as Corneille himself notes (“Au lecteur,” 2: 640). Annibal is the exemplum of the heroic leader and his name epitomizes his power; in his first speech, Nicomède refers to “l’effroi de son [Annibal’s] nom” (I,1,26). Absent characters also take significant action during the course of the play: Zénon (6 mentions), and Métrobate (10) make their false accusations between the third and fourth acts. Place names abound as well in this tragedy; beyond the 78 mentions of Rome, which serve to aggrandize the force that Flaminius represents on stage, there are 16 other different place names, suggesting a broad geographical tableau of conflicting interests. 39 It is entirely possible that the diverse and extensive use of unembodied proper names, places, and even peoples (18 “Romains”) is a compensatory tactic that Corneille employed to offset the fact that Nicomède contained little historical truth. 40 As should be clear from everything that precedes, Corneille makes abundant and varied use of names in his theater. He populates his dramatic worlds with names that work to create, expand, and embellish. He does so far more extensively and imaginatively than is generally the case with the works of the other playwrights in our corpus, with one exception. That exception, not surprisingly, is Racine. And what an exception he is in this regard! His use of names has not escaped attention, of course: Marc Fumaroli speaks of “la sorcellerie évocatrice des noms propres, historiques ou géographiques” in his plays (298) and Prophète’s monograph spotlights the use of names of absent characters in his readings of the individual plays. No one, however, has looked at names with a primary focus on the chronological sweep of Racine’s theater. Therein lies a narrative that speaks 39 Bithynie, Arménie, Carthage, Asie, La Cappadoce, Trasimène, Pont, Hellespont, Carthage, Galatie, Trébie, Cannes, Afrique, mont Quirinal, mont Aventin, and Italie. 40 “La seule de ces données [from the entire play] qui soit historiquement incontestable est celle qui concerne la fin d’Hannibal” (Suzanne Guellouz 85). Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 154 once again, as though further proof were necessary, to Racine’s incomparable genius. Racine’s first two plays, La Thébaïde and Alexandre le Grand, contain relatively few unembodied proper names, few place names, and few names of peoples. 41 La Thébaïde deals with one of the most well-known Greek legends, yet Œdipe’s names appear only 3 times and Laïus’s twice. Ménécée with 8 mentions gets the most attention; indeed he is an active absent character. He sacrifices himself offstage between the second and third acts in accordance with his interpretation of the oracle, “Que le dernier du sang royal / Par son trépas ensanglante vos terres” (II,2,395-96). Almost all the peoples mentioned are either Thébains or Grecs, and there are only 4 different place names (Thèbes, Mycène, Argos, Grèce), none of which enrich the tableau in anything but the most expected ways. As noted above, Greek legends unleashed an abundance of names in Corneille, no doubt in part because of audience familiarity with both the legend and the world in which the play transpires. Such is not the case in La Thébaïde. Alexandre has far fewer unembodied proper names overall, but doubles the number of different place names (from 4 to 8). In both cases, Racine seems oblivious to the possibilities that unembodied names offer. With Andromaque there is a sudden explosion of names, as though Racine abruptly understood the dramatic potential of this very particular feature of discourse. From totals of 54 and 42 for all three categories of names in the previous two plays, we suddenly encounter 205 names. That Andromaque contains the names of the generation preceding the characters on stage, that is, the heroes of the Trojan War, is in no way surprising. What is of note is what Racine chooses to do with those names. He employs them in profusion, in almost every scene of the play. He peoples his world with ghosts and creates a tapestry that serves as a counterbalance to the tight, restricted space on stage, and the small, rather petty world the onstage characters inhabit. 42 The two heroes of the Trojan war, Achilles and Hector, are mentioned in virtually every act; and each of their names is uttered by all the four main characters. It is not simply Andromaque’s obsession with her late husband, but a far broader fixation that overwhelms the onstage world, seconded by abundant repetition of Troie (24), Grèce (25), and Grecs (43). 43 Even the one grand historical gesture - the murder of Pyrrhus - 41 La Thébaïde: 14 proper names, 17 place names, 17 peoples; Alexandre: 7, 11, 24. 42 Biet describes Racine’s technique as a “collage référentiel” (“Dans la tragédie” 234). 43 Hector’s name appears in all five acts, and Achille’s in all but Act IV. Of the 40 mentions of Hector’s name, Andromaque speaks only 15; Hermione has 5, Oreste 8, and Pyrrhus 8 as well. Achille’s name appears far less often (a total of 11 times), Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 155 happens elsewhere, and its participants become part of the historical tapestry much like Hector and Achilles, and, like them, are then excluded from the stage. Pyrrhus and then Hermione are dead; Racine wisely (in his 1676 edition of the play) keeps Andromaque off stage after the assassination. Only Oreste, who in fact did not strike Pyrrhus (“Et je n’ai pu trouver de place pour frapper,” V,3,1516), returns, but in short order he goes mad and has visions of the now unembodied Hermione and Pyrrhus. One curious feature of the names in Andromaque is that none refer to mythological figures. Their absence is striking for two reasons: first, because in the source material, whether it be Virgil’s Aeneid or Euripedes’s Andromache, individual gods play an active and sizable role; and second, because all of Corneille’s plays based on ancient Greek source material deploy such names in abundance. 44 It would seem that Racine hit upon the potential of unembodied names in Andromaque and continued to explore that potential for dramatic effects, but never twice in the same way. Whereas enormous variation occurs from play to play in Corneille’s œuvre, here there appears to be a more deliberate progression. In Andromaque, Racine uses names as a means of evoking the past; in his following tragedy, Britannicus, he employs names from both past and present realms as cudgels, or as sources of power, to act upon events in the present. The first thing to note in Britannicus is the abundance of individual names (103), as opposed to place names (36) and names of peoples (5). Both Agrippine and Néron come on stage spouting names (13 and 6 respectively in their first two scenes on stage), but Agrippine’s belong largely to the realm of the past while Néron’s are all references to living absent characters. That distinction will hold true throughout the play, although Agrippine will dominate in terms of numbers in both realms. I mentioned earlier the ties between unembodied names and récits, and Britannicus offers a prime example: Agrippine uses past events and the names associated with that past to manipulate her son, particularly in her lengthy récit in IV,2, in which she traces all she has done for his advancement, employing 25 names as she does so. One may venture that an elevated use of names attached to the past suggests an inability to conceive of a future that is independent of that past. On the other hand, an abundant use of names attached to the present may suggest political acuity or at least an understanding of the relationship of unembodied characters to the no doubt because Hector, and not Achilles, belongs to the love chain of the plot, but all four protagonists speak the Greek hero’s name at least once. 44 The general term “Dieux” appears 24 times in Andromaque, but, as Prophète notes, “Les dieux semblent être soigneusement cachés, leur évocation est dûe à des effets de style, tout au moins au respect d’une certaine couleur locale” (43). Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 156 present moment. Interestingly, neither Junie and Britannicus mention any unembodied names tied to the past, and only a handful of names (1 and 3, respectively) tied to the present. Octavie, Néron’s wife, is mentioned as often as any other absent character, and by all the main characters; her name even appears in every act. And yet, she serves as a kind of anti- Agrippine, silent, hidden, powerless, and pathetic, a ghostly figure of impotence, mirroring in some sense the ultimate frustration and failure that all the characters in Britannicus are doomed to suffer. With Bérénice Racine tries another variant, this time turning the focus overwhelmingly toward place names. 45 Even the deceased emperor Vespasien, whose values Titus believes himself obliged to uphold, is named only three times and never by the young emperor or even by Bérénice. The forces opposing their union are made manifest rather by geography. First and foremost, Rome, with its traditions and anti-monarchical cultural norms, places powerful, inescapable demands on Titus. The word “Rome” appears 52 times, far more often than in Britannicus (35), and is unquestionably the dominant force in the tragedy. Despite its power, Rome does not stand alone in Bérénice; Racine opposes “Rome” to a whole series of place names that work together to create the distant world of the Orient: Palestine, Comagène, Orient, Ostie, Judée, Euphrate, Arabie, Syrie, Césarée, Idumée, and Cilicie. Bérénice and Antiochus are thus represented by multiple place names, while Titus is associated with the monolothic “Rome.” The dominance of that place name is further reflected not merely in numbers, but also in the fact that the only such name in the entire last two acts of the play is “Rome.” The alien Orient figures again in Bajazet, but whereas it was a distant and manifold place in Bérénice, in Bajazet it is the entire universe of the play. And while Racine does not avoid place names (8 different places and 21 mentions), here he favors the name of the absent Amurat as a means of creating atmosphere. 46 Indeed, in the first scene of the play, the name “Amurat” seems to pop up every ten lines or so (for a total of 14 times), like an ominous musical chord that returns regularly to set the tone for what follows. The past is thin, but highly specific, in the names of two former sultans and the women they loved (see discussion of exemplums above); the present is equally unsubstantial, but powerfully represented by the unembodied assassin Orcan in the second half of the play. But the name 45 Names of individuals: 16, places: 82, peoples: 10. 46 Michael Hawcroft notes that in Bajazet, “un nombre très restreint de mots turcs revient fréquemment et produit ainsi un effet cumulatif: sultan, sultane, vizir, janissaire, sérail. A ceux-ci on peut ajouter tous les noms propres et le mot français “muets”, qui évoque une tradition spécifiquement orientale” (62). Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 157 that dominates throughout, as he moves toward the onstage present to destroy everyone, is that of Amurat. In Mithridate, there is a radical reduction in proper names and a large increase in both place names (at 78, the second highest in Racine’s theater), and especially names of peoples (at 55, the highest). The numerous place names speak to Mithridate’s obsession with conquest. The number of different places mentioned is elevated as well; and it includes the largest number of bodies of water, as noted above. 47 As in Britannicus and Bérénice, Rome dominates Mithridate, but in a quite different manner. Whereas “Rome,” with 29 appearances, overwhelms all other named geographical referents, the primary focus here is on the “Romains” (mentioned 50 times). While “Rome” may often represent the Romains because, as noted earlier, the categories seep into one another, here the focus is decidedly on the people, on their potential as active agents and soldiers, rather than on the place or the culture. Indeed, the Romains attack (off stage) at the end of the fourth act. We saw in the above discussion of Andromaque that no specific mythological figure is named in the play; the same is true for Britannicus, Bérénice, Bajazet, and Mithridate. These four plays are largely earthbound, with only the occasional reference to the “Dieux” (23 mentions in Andromaque; then 16, 13, 0, and 16 respectively), but they all refuse any suggestion of specific higher powers directing the action. The situation changes with Iphigénie. This tragedy marks a sudden and strong shift with numerous references to various gods: Jupiter, Thétis, Mégère, Soleil, Neptune, and Diane, as well as 71 references to the “Dieux.” The divine is everywhere. Furthermore, the absent character Calchas (named 40 times) functions as an intermediary between the gods and the humans, providing a central anchor between the two realms. The elevated number of mentions of his name points to his importance while his absence conserves his sacred nature (see Prophète 82). In other respects, Iphigénie is closest to Andromaque in terms of the numbers. There is a large and very diverse representation of proper names, place names, and names of peoples. The whole universe of the Trojan war is open to Racine in Iphigénie, and, in contrast to his first tragedy, he makes full use of it. Iphigénie may well offer the broadest canvas of names we find anywhere. And, unlike the names in Andromaque, here they are not tied primarily to the past, in part because the war proper has not yet begun. 47 20 different place names appear, the largest total for Racine and second only to L’Illusion comique in the entire corpus. The play makes reference to six different bodies of water (13 total references), by far the largest in our corpus. Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 158 Beginning with Iphigénie, references to specific divinities as well as the "Dieux" remain a constant feature. In Phèdre, the divine permeates the play, with its monsters and dynamic divinities, 48 all of whom can only be named and never seen on stage. Phèdre distinguishes itself from Racine’s other plays by the almost total absence of names of peoples. In contrast, place names are abundant: this is a wide, complex world, but one that belongs to passion and gods, not to armies and political ambition. Jocelyn Royé notes perceptively: “Cependant, c’est la description de l’ailleurs, de l’invisible, qui est paradoxalement omniprésente dans la pièce. Dès les premiers vers de la tragédie, Théramène énumère longuement tous les lieux qu’il a parcourus pour retrouver Thésée” (216). The first act also devotes considerable space to the names of monsters and brigands Thésée has killed and women he has loved. Phèdre differentiates itself by employing the greatest number of different proper names, as well as of hapaxes in Racine’s theater. As with place names, the effect is to abundantly populate a complex world, one that extends from the past (Thésée’s feats, Pasphaé and Ariane’s misguided passions, Théramène’s journey to find Thésée, Thésée’s adventures in Épire with Pirithoüs), to the present (Hippolyte’s combat with the monster sent by Neptune), to, quite exceptionally, the future (Minos’s inevitable judgment of his daughter in the underworld). The religious plays at the end of Racine’s career foreground the name “Dieu,” both in the dialogue and in the songs of the chorus. Esther is a clash of peoples, and thus their names - Juifs, Persans, Assyriens, etc. - have a considerable presence. Athalie goes in the opposite direction, massively privileging the individual over the group. Racine’s final play is overrun with unembodied proper names; the total number of such names in Athalie is 276, almost twice as many as in any other play in our entire corpus. 150 of those names are “Dieu,” but that leaves well over a hundred others, all biblical, and most from the past. Athalie was composed to be an operatic grand spectacle, incorporating music and costumes, and this superabundance of names fits well with that intent. 49 I have tried to resist the temptation to overinterpret based solely on unembodied proper names, place names, and names of peoples in Racine’s theater. Whether I have succeeded or not, it should nonetheless be clear that their role in the development and progression of his plays strongly indicates deliberation and consciousness on the part of the playwright, and 48 Prophète observes that in this tragedy Greece is “toute peuplé de monstrueuses créatures, de légendes et de divinité. On distingue à peine les mythes de la réalité. La fable fait corps avec l’histoire” (95). 49 See Tobin for a brief description of the political forces that kept the production relatively stripped down and modest (149). Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 159 that such names rise to the level of a meaningful component of his dramaturgy. While it seems reasonable to note that Racine’s widespread use of these names first occurred at precisely the universally agreed-upon moment of his first masterpiece, Andromaque, thus offering a supplementary demarcation between his youthful attempts at tragedy and his dramatic maturity, it would be a mistake to conclude that a large number of names correlates with dramatic quality. The presence of more names, of any or all of the three sorts, does not mean a better play. Comparing the names in four pairs of plays that ostensibly take the same subject - Racine’s Phèdre and Pradon’s Phèdre et Hippolyte, Corneille’s Tite et Bérénice and Racine’s Bérénice, Mairet’s La Sophonisbe and Corneille’s Sophonisbe, Rotrou’s Iphigénie and Racine’s Iphigénie - proves singularly unenlightening. Comparisons, such as these pairings, are futile, because no play can meaningfully be reduced to its use of names. What I have attempted to accomplish here is shed a broad light on a very particular, yet characteristic, feature of French classical theater. Proper names, names of places, and names of peoples constitute a site where the poetic and the referential meet, in differing proportions. In all cases, these names gesture outwards, beyond the confines of the stage to the world beyond. Names that evoke legend, myth, and history; names that fly by as hapaxes, perhaps unrecognized by the audience; others that are reassuringly familiar; names that belong to the past and those tied to the present; names that evoke other sites far and near: they all work to develop and to populate the non-visible, non-physical, and yet compelling dramatic universe in which each play’s action transpires. Works Cited Albanese, Ralph. “Nomination et identité dans Rodogune.” Romanic Review 76 (1985): 1-11. 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Populating the Dramatic Universe Through Names PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 163 Appendix: Plays Consulted Author Title Places Peoples Ind.Names Corneille Mélite 13 3 32 Corneille Clitandre 2 1 10 Corneille La Veuve 2 0 37 Corneille La Galerie du Palais 17 0 11 Corneille La Suivante 1 0 9 Corneille La Place Royale 1 0 7 Corneille Médée 38 1 52 Corneille L’Illusion comique 26 2 30 Corneille Le Cid 22 15 2 Corneille Horace 107 9 5 Corneille Cinna 58 21 53 Corneille Polyeucte 24 25 64 Corneille La Mort de Pompée 83 13 85 Corneille Le Menteur 45 3 35 Corneille La Suite du Menteur 31 0 23 Corneille Rodogune 14 6 19 Corneille Théodore 18 10 59 Corneille Héraclius 5 0 36 Corneille Andromède 7 4 25 Corneille Don Sanche d’Aragon 42 6 15 Corneille Nicomède 134 18 42 Corneille Pertharite 26 1 5 Corneille Oedipe 43 5 91 Corneille La Toison d’or 45 8 50 Corneille Sertorius 75 20 61 Corneille Sophonisbe 89 34 35 Corneille Othon 29 8 108 Corneille Agésilas 44 5 12 Corneille Attila 36 11 40 Corneille Tite et Bérénice 51 6 28 Corneille Pulchérie 4 4 29 Corneille Suréna 15 16 43 Racine La Thébaïde 21 17 16 Racine Alexandre 24 11 7 Racine Andromaque 76 54 75 Racine Les Plaideurs 11 8 16 Racine Britannicus 36 5 103 Nina Ekstein PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0008 164 Racine Bérénice 82 10 16 Racine Bajazet 21 10 54 Racine Mithridate 78 55 10 Racine Iphigénie 92 34 88 Racine Phèdre 49 2 55 Racine Esther 40 35 69 Racine Athalie 42 33 281 Rotrou Le Véritable Saint Genest 11 7 88 Rotrou Venceslas 6 2 1 Rotrou Cosroès 20 5 27 Rotrou Antigone 28 5 20 Rotrou Iphigénie 69 27 42 Rotrou Laure persécutée 5 0 15 Rotrou La Bague de l’oubli 10 1 8 Molière Le Misanthrope 5 0 15 Molière Tartuffe 3 0 12 Molière Les Femmes savantes 19 3 37 Molière Le Bourgeois gentilhomme 1 0 7 Molière Les Fâcheux 7 5 10 Molière L’École des femmes 6 2 8 Molière Don Juan 0 0 15 Molière Le Malade imaginaire 1 2 18 Tristan L’Hermite La Marianne 15 8 20 Tristan L’Hermite La Mort de Sénèque 26 6 59 Mairet La Sophonisbe 31 14 18 Pradon Phèdre et Hippolyte 51 2 50 Catherine Bernard Brutus 42 32 43 Desmarets de Saint Sorlin Les Visionnaires 36 11 117 Du Ryer Arétaphile 0 4 5 PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 Désacraliser la fatalité du mythe antique : Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines R AINER Z AISER (U NIVERSITÉ DE K IEL ) Que tu sçais bien, R ACINE , à l’aide d’un Acteur Emouvoir, étonner, ravir un Spectateur ! Jamais Iphigenie en Aulide immolée, N’a cousté tant de pleurs à la Grece assemblée, Que dans l’heureux spectacle à nos yeux étalé, En a fait sous son nom verser la Chanmeslé. Boileau, Epistre VII, v. 1-6 Définir le tragique de la tragédie : mission impossible 1 Dans le contexte de l’art dramatique, la notion « tragique » compte parmi les termes qui ne se laissent guère généraliser, mais sollicitent, au contraire, une redéfinition toutes les fois qu’on cherche à saisir le tragique d’une époque ou d’un auteur, qu’il s’agisse de l’ensemble de son œuvre ou d’une pièce particulière 2 . Toujours est-il que l’exégète du théâtre de Racine * Je remercie Lydie Karpen de sa relecture de ce texte et de ses suggestions stylistiques. 1 Le titre de mon introduction est inspiré d’un article de John Campbell, « ‘Enseigner Racine’ : mission impossible ? », dans Ronald W. Tobin, éd., Racine et/ ou le classicisme, Actes du colloque conjointement organisé par la North American Society for Seventeenth-Century French Literature et la Société Racine, University of California, Santa Barbara, 14-16 octobre 1999, Tübingen, Gunter Narr, « Biblio 17, 129 », 2001, p. 249-60. 2 Les remarques qui suivent sont un condensé des idées que j’ai développées sur le tragique dans mon article « Von der Tragödie zum Tragischen : Phèdre und die Modernität von Racines tragischem Denken », in Marco Menicacci, éd., Das Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 166 ayant pour objectif d’explorer les traits caractéristiques des tragédies de ce dernier est bien inspiré de se demander chaque fois de nouveau sous quelle forme se présente le tragique dans la pièce qu’il est en train d’examiner, et ne fût-ce qu’au détriment de l’uniformité sémantique du phénomène que l’on est convenu de décrire ou d’interpréter sous le dénominateur commun du tragique racinien. Dans son livre Questioning Racinian Tragedy, John Campbell a bien montré que ce dénominateur est à entendre au pluriel 3 . Ceci se confirme quand on regarde de près l’usage du mot « tragique » au fil des siècles, comme l’a fait, par exemple, Marc Escola dans son anthologie de textes consacrés à la théorie du tragique de l’Antiquité grecque à l’ère moderne 4 . Quant aux périodes de la tragédie qui nous intéressent notamment dans la présente étude, à savoir l’Antiquité grecque et l’âge classique du XVII e siècle, force est de constater que l’idée du tragique a connu à ces deux époques des acceptions tout à fait différentes. Le théâtre grec met en scène des situations qui témoignent, selon Escola, d’« une prise de conscience des contradictions et des tensions que présentent le droit, la morale et la religion 5 ». Une situation tragique naît donc d’un dilemme qui résulte de la confrontation entre le monde des dieux, respectivement le mythe qui le met en récit, et le monde des hommes, plus précisément celui de la cité et de ses institutions 6 . Au XVII e siècle, en revanche, la signification du terme « tragique » est limitée à son aspect générique : on l’utilise pour référer à la tragédie et aux sujets « funestes », « sanglants » et « malheureux » qu’elle traite ainsi qu’à l’auteur qui les met en œuvre. C’est ainsi qu’on peut lire dans le Dictionnaire universel de Furetière de 1690 les explications suivantes : « Tragique. adj. Qui appartient à la Tragedie ; qui est funeste, sanglant, malheureux. [...] On appelle Poëte tragique, celui qui Tragische : Dichten als Denken. Literarische Modellierungen eines pensiero tragico, Heidelberg, Winter, 2016, p. 57-69, voir à propos du tragique p. 57-63. 3 John Campbell, Questioning Racinian Tragedy, Chapel Hill, « North Carolina Studies in the Romance Languages and Literatures », University of North Carolina Press, 2005. Voir la « Conclusion », p. 245-253 et notamment la citation suivante : « Given the complexity and uncertainty that distinguish each of these plays, it is difficult to imagine that there is some magic key that might unlock the door marked « Racinian tragedy. » There eixst, self-evidently, many varied and wellargued interpretations both of the tragedies themselves and of the « tragic » in « Racine. » That is one clear indication that a term such as « Racinian » is most securely used with an essentially nominal value. » (p. 246) 4 Marc Escola, éd., Le tragique, Paris, GF Flammarion, 2002. 5 Escola 2002, p. 21. 6 Voir Escola 2002, le chapitre « ‘Le moment historique de la tragédie grecque’ », p. 16-18. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 167 fait des Tragedies. Seneque le tragique 7 ». Et le Dictionnaire de l’Académie française de 1694 d’affirmer : « Tragique adj. [...] Qui appartient à la Tragédie. Poëme tragique. un Poëte tragique. il excelle dans le genre tragique. [...] Tragique signifie fig. Funeste. Evenement tragique. mort tragique. histoire tragique [...] 8 ». Compte tenu de ces définitions, on s’aperçoit tout de suite qu’au XVII e siècle le terme « tragique » n’est pas forcément lié à une vision du monde, comme c’est le cas dans de nombreuses tragédies de l’Antiquité grecque. Appliqué à un « poème dramatique » du XVII e siècle, la dénomination « tragique » réfère avant tout à une structure ou à une syntaxe 9 dramatique. Christian Biet le résume comme suit : « [...] la tragédie est d’abord un code et non une vision tragique du monde 10 . » Ceci veut dire que l’action d’une tragédie, ancienne ou moderne (nous parlons du point de vue du XVII e siècle), ne repose pas par définition sur les effets d’une instance transcendante entraînant l’homme dans un conflit irréconciliable avec les exigences sociales, politiques ou juridiques de son temps, mais se caractérise par des règles qui remontent, cela va sans dire, à la poétique d’Aristote. La tragédie classique s’appuie donc sur une esthétique assez strictement réglementée par les théoriciens, bien que les auteurs dramatiques de l’époque l’aient parfois suivie avec souplesse, n’hésitant pas à s’écarter légèrement des règles quand leurs sujets ou le fil de leurs intrigues l’exigent, comme le pratique régulièrement Pierre Corneille par exemple 11 . 7 Cité d’après l’édition Antoine Furetière, DICTIONNAIRE UNIVERSEL, Contenant generalement tous les MOTS FRANÇOIS, tant vieux que modernes, & les Termes des SCIENCES ET DES ARTS : Divisé en trois Tomes. TOME TROISIÉME [sic]. O-Z. TROISIEME EDITION, revue, corrigée & augmentée par Monsieur BASNAGE DE BAUVAL. A R OTTERDAM , chez REINIER LEERS, MDCCVIII. 8 Dictionnaire de l’Académie française en ligne. Première Édition, 1694. ARTFL Project, The University of Chicago. Copyright © 2001, https: / / artflsrv03.u chicago.edu/ philologic4/ publicdicos/ query? report=bibliography&head=tragique consulté le 2 avril 2019. 9 Voir Escola 2002, le chapitre « Syntaxe du tragique », p. 29-35. 10 Voir Christian Biet, La Tragédie, Paris, Armand Collin, « Cursus Lettres », 1997, p. 83. 11 Voir Biet 1997, p. 83 : « [...] la doctrine classique, pour structurée et absolue qu’elle apparaisse, se transforme au gré des praticiens et des auteurs. [...] Là est bien l’exercice individuel de la littérature qui adoucit le code et introduit une résistance au sein de l’entreprise de codification. » Citons en guise d’exemple le fameux passage de la lettre dédicatoire de Corneille, précédant sa comédie La Suivante : « [...] j’aime à suivre les règles, mais loin de me rendre leur esclave, je les élargis et resserre selon le besoin qu’en a mon sujet, et je romps même sans scrupule celle qui regarde la durée de l’action, quand sa sévérité me semble Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 168 Quoi qu’il en soit, ce qui est important dans le cas de notre argument, c’est le fait que la tragédie classique ne se définit pas par un concept métaphysique du tragique, mais par une structure. Celle-ci se compose d’une action qui suit une logique de cause à effet et se focalise sur les malheurs et les souffrances de personnages qui sont liés par une relation de famille ou de proches et dont les passions, les peines et le pathos sont susceptibles d’émouvoir les spectateurs et spectatrices du XVII e siècle par les effets aristotéliciens de la terreur, de la pitié ou de la compassion 12 . Dans la théorie de la tragédie du XVII e siècle, le tragique se cantonne dans les situations dramatiques qui font naître l’extrême douleur des protagonistes et visent par là à susciter l’épouvante et la commisération des spectateurs et spectatrices 13 . Le XIX e siècle voit néanmoins naître une théorie du tragique qui fait de nouveau entrer en jeu la transcendance sous forme d’une fatalité supérieure exerçant une influence prépondérante sur les vicissitudes de la vie humaine, ce dont témoigne par ailleurs bon nombre de tragédies de l’Antiquité absolument incompatible avec les beautés des événements que je décris. » Pierre Corneille, Œuvres complètes, I, textes établis, présentés et annotés par Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, « Épître », p. 387. 12 Voir à propos d’un catalogue complet des traits caractéristiques de la tragédie classique Biet 1997, le « Chapitre 4 : L’esthétique de la distance », p. 65-85. 13 Voir quelques citations qui en témoignent dans la théorie dramatique de l’époque. Corneille : « Outre les trois utilités du poème dramatique dont j’ai parlé dans le discours que j’ai fait servir de préface à la première partie de ce recueil, la tragédie a celle-ci de particulière que par la pitié et la crainte elle purge de semblables passions. Ce sont les termes dont Aristote se sert dans sa définition, et qui nous apprennent deux choses. L’une qu’elle [la tragédie] excite la pitié et la crainte ; l’autre, que par leur moyen elle purge de semblables passions. » (« Discours de la tragédie », dans Pierre Corneille, Œuvres complètes, III, textes établis, présentés et annotés par Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p. 142 ; Boileau : « Si d’un beau mouvement l’agréable fureur / Souvent ne nous remplit d’une douce Terreur, / Ou n’excite en nostre ame une Pitié charmante / Envain vous [le poète tragique] étalez une scène sçavante […]. » (Art poétique, « Chant III », dans Nicolas Boileau, Œuvres complètes, introduction par Antoine Adam, textes établis et annotés par Françoise Escal, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1966, p. 169 ; Racine : « […] Euripide était extrêmement tragique […], c’est-à-dire qu’il savait merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la Tragédie. » (« Préface » d’Iphigénie », dans Jean Racine, Œuvres complètes, I : Théâtre-Poésie, édition présentée, établie et annotée par Georges Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 699. Par la suite, toutes les références aux œuvres de Racine sont tirées de ce volume). Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 169 grecque. Préparé par Schelling 14 et repris plus fondamentalement par Hegel dans son Esthétique, le tragique se définit désormais comme un conflit entre les activités des hommes et la morale d’une puissance divine. Les propos suivants de Hegel sont formels : Ainsi, nous pouvons dire en général, que le véritable thème de la tragédie primitive est le divin, non le divin tel qu’il constitue l’objet de la pensée religieuse en elle-même, mais tel qu’il apparaît dans le monde et dans l’action individuelle, sans sacrifier son caractère universel et se voir changé en son contraire. Sous cette forme, la substance divine de la volonté et de l’action, c’est l’élément moral. [...] C’est la substance éternelle, dont les caractères à la foi particuliers et généraux, constituent les grands mobiles de l’activité vraiment humaine 15 . Il est important de noter ici que le concept philosophique élaboré par Hegel au sujet du tragique est focalisé sur la rencontre difficile de la volonté divine et des intérêts humains. Selon le philosophe allemand, les puissances divines agissent sur les actions humaines de telle sorte que ces dernières « entrent en lutte les unes contre les autres » et que tous les partis opposés qui en font partie croient avoir « la justice pour eux 16 ». À cela s’ajoute que Hegel juge son concept métaphysique du tragique non seulement caractéristique de la tragédie grecque (« la tragédie primitive », selon ses propos), mais le considère aussi comme un concept universel. Même si le tragique développé par la philosophie idéaliste allemande du XIX e siècle se laisse transférer, du moins en ce qui concerne son idée du fatalisme divin, à bon nombre de tragédies créées aux époques de la première modernité - comme l’a constaté, par exemple, Peter Szondi dans son Essai sur le tragique 17 -, la 14 Voir Escola 2002, le chapitre « Naissance du tragique », p. 22-23. Dans son anthologie, Escola reproduit un extrait de Friedrich Wilhelm Schelling, Lettre sur le dogmatisme et le criticisme (1795), trad. S. Jankélévitch, Paris, Aubier 1950, deuxième lettre. Voici un des passages les plus marquants de cet extrait pour ce qui est de la définition du tragique de Schelling : « Un mortel destiné par la fatalité à être un criminel, luttant lui-même contre la fatalité et cependant terriblement puni pour le crime qui était l’œuvre de la fatalité [Schicksal]. » (p. 151-53) 15 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique (posth., 1832), trad. S. Jankélévitch, Paris, Aubier, 1945, t. III, p. 248-250, cité d’après Escola 2002, p. 140-41. 16 Ibid., p. 141. 17 Voir Peter Szondi, Essai sur le tragique, traduit de l’allemand par Jean-Louis Besson, Myrto Gondicas, Pierre Judet de la Combe et Jean Jourdheuil, Belval, Circé, 2003, p. 10 : « [...] on ne saurait [...] nier a priori que la théorie du tragique dont se dote la philosophie allemande à partir de 1800 puisse s’appliquer aux œuvres tragiques de l’époque qui la précède. » Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 170 définition hégélienne est loin d’être une catégorie transhistorique qui pourrait prétendre désigner le caractère générique de la tragédie en général 18 . Dans le contexte de la tragédie classique, ce sont définitivement les descripteurs de la poétique d’Aristote qui prédominent dans la définition du genre, comme nous l’avons déjà mentionné. Néanmoins, le concept métaphysique du tragique apparaît régulièrement dans la critique racinienne du XX e siècle. C’est ainsi que Lucien Goldmann a créé dans les années 1950 à propos du théâtre de Racine le mythe janséniste d’un dieu caché qui a abandonné les hommes et les laisse inexorablement agir dans leur misère, comme si le dramaturge avait voulu inscrire dans ses pièces la doxa théologique sous l’emprise de laquelle il a été éduqué aux Petites Écoles de Port Royal 19 . Dans le cas d’Iphigénie, Goldmann distingue « l’univers de la Providence [celui de l’héroïne éponyme, entre autres] » de « l’univers du dieu caché et absent [...] » 20 , qui est celui d’Ériphile, « radicalement seule, attachée à connaître une vérité qu’elle ignore encore, mais qui la tuera [...] 21 ». Dans le sillage de cet ancrage sacré du tragique, de nombreuses interprétations sont nées dans la critique racinienne jusqu’aux années 1990, qu’elles se soient inspirées de la portée janséniste du livre de Goldmann ou non. Dans le cas de notre étude, il suffit d’en rappeler très rapidement quelques-unes. Maurice Delcroix crée l’image « d’un Racine hellénisant, introduisant dans son œuvre l’écho de ces tragédies sacrées de la Grèce où le héros trouve dans la divinité son principal antagoniste 22 . » Jean Rohou voit dans Iphigénie une « [p]résence de la transcendance 23 » et Eléonore M. Zimmermann avance la thèse selon laquelle les personnages de cette pièce ne cessent de mettre en jeu leurs « mobiles personnels 24 » contre 18 Szondi va même jusqu’à dire que « le concept du tragique est resté, pour l’essentiel, allemand [...] ». (p. 10) 19 Voir Lucien Goldmann, Le dieu caché. Étude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et dans le théâtre de Racine, Paris, Gallimard, 1955, p. 351-52 : « [...] Dieu, le Monde et l’Homme. [...] Quant à Dieu, c’est le Dieu caché - Deus Absconditus - et c’est pourquoi nous croyons pouvoir dire que les pièces de Racine, d’Andromaque à Phèdre, sont profondément jansénistes [...]. » Pour une critique du jansénisme du théâtre racinien voir Campbell 2005, le chapitre « Jansenist Tragedy? », p. 151-76. 20 Voir Goldmann 1955, p. 415. 21 Voir ibid., p. 411. 22 Maurice Delcroix, Le sacré dans les tragédies profanes de Racine. Essai sur la signification du dieu mythologique et de la fatalité dans La Thébaïde, Andromaque, Iphigénie et Phèdre, Paris, Nizet, 1970, p. 17. 23 Voir Jean Rohou, L’évolution du tragique racinien, Paris, SEDES, 1991, p. 237. 24 Voir Eléonore M. Zimmermann, La liberté et le destin dans le théâtre de Jean Racine. Suivi de deux essais sur le théâtre de Jean Racine, Genève, Slatkine Reprints, 1999, sur Iphigénie, p. 76-88, la citation p. 80. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 171 la volonté des dieux tout en sachant qu’ils ne sont pas à même d’échapper au destin arrêté par ces derniers 25 . Sans considérer la pièce Iphigénie, Marie- Florine Bruneau découvre dans le jansénisme du théâtre de Racine un aspect moderne qui consiste, selon elle, dans le fait que l’idée du Dieu caché permet aux personnages raciniens de se libérer de leurs attaches métaphysiques 26 . En ce qui concerne le rôle que joue le monde divin dans Iphigénie, les raciniens des trente dernières années restent tout de même divisés. Il y a ceux qui prennent une perspective pareille à celle de Marie- Florine Bruneau, à savoir un point de vue qui accorde une certaine autonomie aux décisions des hommes par rapport à une puissance divine qui règne pourtant secrètement sur leurs activités 27 ; et il y a ceux qui défendent la thèse que Racine montre dans Iphigénie que le sort des individus 28 , voire de l’histoire collective 29 dépend inévitablement de forces supérieures 30 . 25 Voir Zimmermann 1999, p. 82 : « Cependant même si Racine dans Iphigénie élude les questions sur la nature du destin, le rôle qu’il lui fait jouer est le même que dans ses autres pièces [...] : le destin est essentiellement pierre de touche dont le contact amène les personnages à se révéler, à se découvrir. » 26 Voir Marie-Florine Bruneau, Racine. Le jansénisme et la modernité, Paris, Corti, 1986 : « Le concept de modernité est ici défini comme ce mouvement original de la conscience européenne qui naît de la confrontation de l’être humain avec un Dieu absolu qui le nie et se caractérise par l’affirmation de soi et la liberté de l’individu [...]. (p. 9) « Cette lecture révèle comment l’œuvre de Racine et le mouvement janséniste, à la fois symptômes et agents, participent à l’élaboration de la modernité. » (p. 10) « La réponse de l’humanité à l’arbitraire divin est l’affirmation de soi. » (p. 14) 27 Voir à ce propos Barbara Woshinsky, « Iphigénie Transcendent », dans Charles G. S. Williams, éd., Actes de Columbus. Racine, Fontenelle : Entretiens sur la pluralité des mondes, Histoire et Littérature, actes du XXI e colloque de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature, Ohio State University, Columbus, (6-8 avril 1989), Paris, Seattle, Tübingen, Papers on French Seventeenth Century Literature, « Biblio 17, 59 », 1990, p. 87-95, p. 95 : « Iphigénie transcendent ? perhaps ; but her transcendence takes place on a Baroque stage, where a weak and misguided humanity wanders beneath an awesome and mysterious heaven. » Ronald W. Tobin, Jean Racine Revisited, New York, Twayne Publishers, « Twayne’s World Authors Series », 1999, p. 114 : « For Racine, in the modern psychological tragedy that he invented, the focus will always be on human, horizontal relationships rather than transcendental, vertical ones. » Campbell 2005, p. 143 : « Another important constituent of Iphigénie [...] is the role assigned to the Gods. [...] However, the organization of different tragic plots in other plays has already demonstrated the preponderant place given to human decisions, hesitations, and failures to decide. » 28 Voir par exemple Alain Niderst, Les tragédies de Racine. Diversité et unité, nouvelle édition revue, corrigée et augmentée d’une postface, Paris, Nizet, 1995, le chapitre Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 172 Quoi qu’il en soit, les études mentionnées ci-dessus partent dans la plupart des cas de concepts préconçus pour explorer le tragique du théâtre racinien. Toutes légitimes et éclairantes que soient ces approches herméneutiques cherchant à retrouver une signification de l’œuvre à partir de diffésur « Iphigénie », p. 116-27. Niderst considère Iphigénie comme une « tragédie de la Providence » : « [u]n oracle monstrueux a parlé. Faut-il obéir ou se révolter ? On finira par obéir. C’est alors que tout sera sauvé. Les faibles calculs et la débile morale des hommes doivent se taire devant cette justice et cette sagesse suprêmes. » (p. 116) Voir également plus récemment Roland Racevskis, Tragic passages. Jean Racine’s Art of the Threshold, Lewisburg, Bucknell University Press, 2008, p. 143 : « Among Racine’s secular tragedies, Iphigénie evokes most vividly the human predicament of being caught between knowledge and ignorance, between awareness of the weight of the gods’ wishes and obliviousness to what will become of the situation at hand. » 29 Voir Michael Moriarty, « Iphigénie : histoire des oracles », dans Marie-Claude Canova-Green, Alain Viala, éds., Racine et l’Histoire, Tübingen, Gunter Narr, 2004, « Biblio 17, 155 », p. 101-116, p. 116 : « [Le dénouement] nous révèle que l’histoire n’est ni l’exécution d’un projet humain collectif ou bien individuel, ni même la résultante d’un ensemble de projets et de conduites, de passions et d’intérêts. La société ne dispose pas par elle-même des forces nécessaires pour accomplir son destin. [...] elle repose en dernière analyse sur la soumission à la volonté des dieux, interprétée par Calchas. [...] Par l’infléchissement qu’il donne à l’histoire d’Iphigénie, l’auteur Racine semble dire l’impuissance où sont les hommes à devenir auteurs de leur propre histoire. » 30 Les études raciniennes qui poursuivent une approche anthropologique voient parfois ces forces supérieures enracinées dans le for intérieur de l’être humain. Voir à ce propos, par exemple, Bernard Chédozeau, « La dimension religieuse dans quelques tragédies de Racine : ‘Où fuir ? ’ », dans Œuvres et Critiques, XXIV, 1 (1999), Présence de Racine, p. 159-80, p. 159 : « Chez Racine, le sacré est au cœur même de la nature humaine, et il faut le ressentir comme le vivent Eriphile ou Phèdre. » Une vingtaine d’années antérieures à cette étude, Gérard Defaux recourt à la théorie anthropologique de la violence sacrée de René Girard (La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972) pour expliquer que les dieux demandant le sacrifice d’Iphigénie sont en effet dans la pièce de Racine les signes de la violence humaine transférée ici symboliquement sur l’acte rituel du sacrifice d’un bouc émissaire : « [...] Racine utilise l’appareil mythologique grec essentiellement pour exprimer, en le poétisant et en l’élargissant, l’univers intérieur de ses personnages [...]. Ce que Racine découvre dans le mythe, parallèlement aux dieux, et ce dont il nourrit sa tragédie, c’est la violence de l’homme et le savoir de cette violence, la rivalité mimétique et la nature médiatisée du désir, [...] l’apparition de la crise sacrificielle, la mise en place, la raison d’être et la fonction du mécanisme victimaire qui la résout [...]. (« Violence et passion dans l’Iphigénie de Racine », dans Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. XI, n o 21 (1984), p. 685-715, p. 698- 99. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 173 rents concepts de l’histoire des idées, elles expriment très souvent une vision du tragique imaginée plutôt par le critique littéraire que par Racine. Tout en étant conscient qu’aucun/ e lecteur/ lectrice ne pourra échapper à des connaissances culturelles préalables quand il/ elle s’emploie à analyser et interpréter un texte littéraire, nous nous proposons dans la suite de questionner le texte et le paratexte d’Iphigénie pour en déduire le tragique qui se manifeste dans les relations réciproques des personnages. Faire d’Ériphile la victime de la malédiction divine : nécessité poétique ou redéfinition du tragique ? Parmi toutes les tragédies de Racine, Iphigénie est à première vue celle qui paraît mettre en scène le plus nettement ce conflit entre le monde humain et le monde divin que Hegel a considéré comme caractéristique du théâtre tragique depuis ses origines à l’Antiquité grecque jusqu’à sa renaissance aux époques classiques de la première modernité. Les sources de la pièce, que Racine révèle généreusement dans sa « Préface », suggèrent quasi automatiquement la thèse selon laquelle le tragique de la pièce est profondément enraciné dans une vision du monde où les dieux déterminent impitoyablement le sort de l’homme. Rien de plus tragique en effet que le sacrifice d’une fille que les dieux demandent à un père pour être favorables à une entreprise où il y va de l’honneur blessé d’un royaume, celui de Mycènes, et de la vengeance de l’outrage sur les offenseurs, les Troyens. C’est ainsi que le sacrifice revendiqué par les dieux acquiert une dimension autant politique que morale mettant Agamemnon, roi de Mycènes, à l’épreuve d’un dilemme qui le pousse à l’extrême. Le rite archaïque du sacrifice humain deviendra pour Agamemnon inéluctable à cause de la pression qu’exercent sur lui ses chefs d’armée avides de quitter le port de l’Aulide pour rejoindre et combattre Troie en raison du rapt d’Hélène par Pâris. Les dieux, on le sait, refusent d’envoyer les vents propices aux voiles des navires de l’armée grecque à moins qu’Agamemnon ne leur immole sa fille Iphigénie. Cette histoire cruelle avait été gravée à la mémoire de la postérité par plusieurs poètes de l’Antiquité auxquels Racine réfère dans la « Préface » de sa pièce pour rapporter les variantes de ce mythe que ces derniers ont développées dans leurs œuvres. C’est ainsi qu’il signale qu’il y a ceux qui, « comme Eschyle dans Agamemnon [et] Sophocle dans Électra [...] veulent qu’on ait en effet répandu le sang d’Iphigénie [...] et qu’elle soit morte en Aulide 31 . » Il y en a d’autres comme Euripide, continue-t-il d’expliquer, qui 31 « Préface » d’Iphigénie, p. 697. Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 174 font intervenir Artémis (Diane chez Racine) pour sauver Iphigénie. Selon cette version de l’histoire, la déesse de la chasse avait substitué une biche à la jeune fille juste avant son immolation sur l’autel et l’avait emmenée ensuite « dans la Tauride 32 ». A cela s’ajoute une troisième version selon laquelle « il était bien vrai qu’une Princesse de ce nom avait été sacrifiée, mais que cette Iphigénie était une fille qu’Hélène avait eue de Thésée 33 . » C’est dans cette légende que Racine puise, selon ses propres dires, le personnage d’Ériphile « sans lequel [il n’aurait] jamais osé entreprendre cette Tragédie 34 », parce que la fille d’Agamemnon lui paraissait trop « vertueuse » et « aimable » pour pouvoir la présenter aux spectateurs comme victime sacrifiée aux dieux 35 . Ni la version du mythe affirmant l’immolation d’Iphigénie en Aulide ni celle attestant sa fuite de l’autel grâce à l’intervention d’Artémis ne sont, selon Racine, à même de faire naître le pathos que doit faire rayonner l’esthétique de la tragédie. Qu’il nous soit permis de rappeler dans ce contexte le fameux passage de la « Préface » de Bérénice, dans lequel Racine réduit l’essentiel de la composition dramatique à l’objectif suivant : « La principale Règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première 36 ». Et l’auteur de préciser dans la même « Préface » : « [Que les spectateurs] se réservent le plaisir de pleurer et d’être attendris 37 ». Or, l’acte cruel du sacrifice de l’innocente Iphigénie aurait certes pu susciter la terreur des spectateurs, mais n’aurait sans doute pas pu éveiller leur compassion, comme le suppose Racine. C’est à cause de cette hypothèse fondée sur la règle aristotélicienne de la « bonté médiocre 38 » qu’il renonce enfin à faire de la fille d’Agamemnon le personnage à proprement parler tragique de sa pièce. En s’éloignant de « l’Economie et de la Fable d’Euripide 39 », sa source principale, Racine remplace donc le sacrifice d’Iphigénie 40 par celui d’Ériphile, « cette autre Iphigénie 41 » dont l’identité 32 « Préface » d’Iphigénie, p. 697. 33 « Préface » d’Iphigénie, p. 697. 34 « Préface » d’Iphigénie, p. 698. 35 Voir « Préface » d’Iphigénie, p. 698 : « Quelle apparence que j’eusse souillé la Scène par le meurtre horrible d’une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu’il fallait représenter Iphigénie ? » Selon le Dictionnaire universel de Furetière l’usage du mot « apparence » montre au XVII e siècle entre autres l’acception de « vraisemblance ». 36 « Préface » de Bérénice, p. 452. 37 « Préface » de Bérénice, p. 452. 38 Voir « Virgile au troisième Livre de l’Énéide » [Première Préface d’Andromaque], p. 198. 39 « Préface » d’Iphigénie, p. 699. 40 Dans la pièce d’Euripide, Iphigénie reste menacée du sacrifice jusqu’à ce qu’un messager annonce, à l’« Exodos », son enlèvement par Artémis. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 175 ne se révèle qu’à la fin de sa pièce et qui lui semble plus appropriée au rôle de la victime que la fille d’Agamemnon. C’est ainsi qu’il explique qu’Ériphile, jalouse d’Iphigénie jusqu’à lui souhaiter la mort à cause de l’amour de cette dernière pour Achille, est plus proche de ces personnages « ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants 42 » qui sont, d’après Racine, seuls susceptibles d’émouvoir les spectateurs et qui s’harmonisent pour cette raison avec les caractères qu’Aristote estime les plus efficaces pour produire la terreur et la compassion auprès du public 43 : Je puis dire donc que j’ai été très heureux de trouver dans les Anciens cette autre Iphigénie, que j’ai pu représenter telle qu’il m’a plu, et qui tombant dans le malheur où cette Amante jalouse voulait précipiter sa Rivale, mérite en quelque façon d’être punie, sans être pourtant tout à fait indigne de compassion. Ainsi le dénouement de la Pièce est tiré du fond même de la Pièce. Et il ne faut que l’avoir vu représenter pour comprendre quel plaisir j’ai fait au Spectateur, et en sauvant à la fin une Princesse vertueuse pour qui il s’est si fort intéressé dans le cours de la Tragédie, et en la sauvant par une autre voie que par un miracle, qu’il n’aurait pu souffrir parce qu’il ne le saurait jamais croire 44 . Le fait que Racine a ajouté à la trame de la pièce d’Euripide le personnage d’Ériphile, qui est en réalité « cette autre Iphigénie » qu’il avait découverte dans une des variantes du mythe ancien de la fille d’Agamemnon, s’explique donc par la nécessité poétique de respecter les présupposés du fonctionnement de la catharsis qui dépend, selon Aristote, de personnages dotés d’« une vertu capable de faiblesse 45 ». C’est la jalouse Ériphile qui possède cette imperfection morale nécessaire pour attendrir le spectateur, et non pas l’impeccable Iphigénie. Impossible donc pour Racine de dénouer sa pièce par le sacrifice de la fille d’Agamemnon, ni de la sauver par l’intervention d’Artémis, comme l’a fait Euripide. Ce dernier clôt la pièce par le récit d’un serviteur témoignant du prodige qui s’est produit lorsque le prêtre de la cérémonie du sacrifice a levé l’épée pour frapper la gorge de la jeune fille : 41 Voir « Préface » d’Iphigénie, p. 698. 42 Voir « Virgile au troisième Livre de l’Énéide » [Première Préface d’Andromaque], p. 197-98. 43 Voir « Préface » d’Iphigénie, p. 699 : « Mes Spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce, et qui ont fait dire, qu’entre les Poètes, Euripide était extrêmement tragique, [...] c’est-à-dire qu’il savait merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la Tragédie. » 44 « Préface » d’Iphigénie, p. 698. 45 Voir « Virgile au troisième Livre de l’Énéide » [Première Préface d’Andromaque], p. 198. Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 176 Oh miracle soudain ! Chacun avait bien entendu frapper un choc, mais personne ne vit disparaître la jeune fille. Le prêtre jette un cri, l’armée entière lui répond, à la vue du prodige, œuvre de quelque dieu qui était devant nous, sans qu’on pût bien y croire. Allongée sur le sol palpitant une biche, très grande et d’une admirable beauté, arrosant de son sang l’autel de la déesse. Quelle est alors la joie de Calchas, qui s’écrie : « Chefs de l’armée des Grecs confédérés, voyez cette victime que la déesse a mise sur l’autel. C’est une biche des montagnes, qu’elle veut recevoir de préférence à la jeune fille, pour ne pas souiller son autel de ce sang généreux. Elle l’accepte avec faveur et nous accorde un vent propice et l’assaut d’Ilion. [...] 46 . » Cette fin heureuse de la tragédie d’Euripide laisse en suspens le véritable sort d’Iphigénie, c’est-à-dire la question de savoir si la déesse est venue la chercher pour l’emmener « parmi les dieux » ou si elle l’a simplement « dérobée 47 » pour la laisser poursuivre sa vie terrestre ailleurs. Euripide, on le sait, répond à cette question dans sa pièce Iphigénie en Tauride qui, dès le prologue prononcé par l’héroïne éponyme, reprend le fil de la trame de la pièce correspondante. En se rappelant son drame vécu en Aulide Iphigénie déclare : Je vins donc à Aulis, pauvre victime, et soulevée à bout de bras au-dessus de l’autel, déjà je mourais sous le glaive quand Artémis me déroba aux Achéens, en laissant une biche à la place, et à travers l’éther brillant me transporta dans ce pays des Taures où je vis à present 48 . Quant à Racine, il prend le dénouement de la pièce d’Euripide comme point de départ pour mettre en avant un deuxième argument poétologique qui - à part celui de la bonté médiocre - l’a conduit à choisir Eriphile comme bouc émissaire. Dans la « Préface » d’Iphigénie, il considère le sauvetage mira- 46 Nous citons la pièce d’après l’édition des Tragiques grecs : Euripide, texte présenté, traduit et annoté par Marie Delcourt-Curvers, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, p. 1361-62. 47 Tragiques grecs : Euripide, p. 1362. 48 Tragiques grecs : Euripide, p. 775-76. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 177 culeux de la fille d’Agamemnon comme peu crédible aux yeux des spectateurs de son époque : Et quelle apparence encore de dénouer ma Tragédie par le secours d’une Déesse et d’une machine, et par une métamorphose [la victime humaine se transformant en sacrifice d’animal], qui pouvait bien trouver quelque créance du temps d’Euripide, mais qui serait trop absurde et trop incroyable parmi nous 49 ? Sous la forme d’une question rhétorique, Racine explique ici sa divergence par rapport à la fin de la pièce d’Euripide par son dessein de vouloir respecter le principe de la vraisemblance qui, à son époque, prétend-il, ne tolère point une telle intervention d’une « dea ex machina » pour dénouer la trame d’une tragédie. Mais la raison pour laquelle Racine s’éloigne d’Euripide sur ce point réside-t-elle vraiment dans le seul souci de ne pas commettre une infraction aux règles de la poétique aristotélicienne ? Racine a-t-il vraiment ajouté Ériphile à sa pièce pour des raisons poétologiques, à savoir parce qu’il la tient pour un personnage « de bonté médiocre » et susceptible pour cela de susciter la compassion des spectateurs ? A-t-il donc renoncé au miracle du sauvetage d’Iphigénie proposé par Euripide, parce qu’il considère un tel dénouement comme absolument incroyable à son époque ? Le doute est permis si l’on tient compte du paradoxe que l’on peut constater entre les passages de la « Préface » où Racine juge en effet peu probable « le secours d’une déesse » avec lequel Euripide a dénoué sa pièce, et les derniers vers de sa propre pièce. Celle-ci se termine par le récit d’Ulysse qui rapporte à Clytemnestre non seulement l’immolation d’Ériphile au lieu d’Iphigénie, mais aussi le retour immédiat des vents et notamment la vision d’un soldat qui prétend avoir aperçu comment Diane avait exaucé au moment du sacrifice les vœux de l’armée grecque : Le soldat étonné dit que dans une nue Jusque sur le bûcher Diane est descendue, Et croit que s’élevant au travers de ses feux, Elle portait au ciel notre encens et nos vœux 50 . Ces vers ont à première vue l’air de démentir la désapprobation que Racine a exprimée dans sa « Préface » à propos d’une telle intervention divine, mais à y regarder de plus près, ils dévoilent l’ironie avec laquelle Racine met en doute la vision du soldat. Qu’une déesse descende du ciel pour apporter aux hommes les vents qu’ils souhaitent, c’est en fait la croyance d’un soldat simple qui s’imagine la raison du retour des vents de la même manière que 49 « Préface » d’Iphigénie, p. 698. 50 Iphigénie, V, sc. dern., v. 1785-90. Nous citons la pièce selon l’édition Forestier en indiquant par la suite l’acte, la scène et les vers entre parenthèses après la citation. Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 178 le mythe antique l’a expliquée. Ulysse, quant à lui personnage plutôt moderne qu’enraciné sans réserve dans le mythe des Anciens, hésite, par contre, à partager l’opinion du soldat quand il cite la vision de ce dernier dans son récit. En utilisant les verba dicendi « [il] dit » et « [il] croit » pour marquer en termes explicites les propos qui sont propres au soldat, il signale clairement la distance qu’il garde vis-à-vis de la perception subjective de ce témoin immédiat du sacrifice. Ceci vaut davantage encore pour Racine qui, pour sa part, ne cesse de contrecarrer dans sa pièce le discours des personnages qui sont d’avis que les vicissitudes du sort humain dépendent inévitablement, pour le bien et pour le mal, d’un Être suprême. Le fait que Racine s’éloigne dans son Iphigénie du mythe des Anciens et plus particulièrement de la pièce d’Euripide s’explique donc moins par des contraintes poétologiques, comme Racine lui-même le prétend dans sa « Préface », que par la mise en scène d’une vision du monde qui remplace le tragique résultant de la toute-puissance des dieux sur le sort humain par un tragique ressortant d’une situation douloureuse et sans issue à laquelle l’homme est contraint de faire face, de sorte que le tragique devient une affaire purement et simplement humaine. C’est à la démonstration de cette thèse que sont consacrées les pages qui suivent. Les doutes d’Agamemnon ou le dilemme d’un père souffrant Quand Racine a décidé d’écrire une tragédie sur le sort d’Iphigénie, il ne pouvait faire autrement que de reprendre les éléments constitutifs de cette fable ancrée dans la mythologie grecque, notamment l’incident qui déclenche le malheur d’Iphigénie et plonge son père dans une situation pleine de souffrances atroces. De ce fait, il n’est pas surprenant que la pièce de Racine suggère dès le début que les dieux exercent un effet décisif sur le raisonnement, les affects et le comportement des personnages. C’est ainsi qu’Agamemnon parle, à l’ouverture de la pièce, d’un joug que les dieux lui ont imposé, quelque mystérieuse que soit son allusion au destin misérable dont il se sent accablé : Heureux ! qui satisfait de son humble fortune, Libre du joug superbe où je suis attaché, Vit dans l’état obscur où les Dieux l’ont caché ! (I, 1, v. 10-12) Sur le plan rhétorique, ces vers signalent déjà la valeur ambiguë que Racine confère au pouvoir que les dieux sont censés exercer sur le monde humain. L’oxymore « joug superbe », utilisé par Agamemnon pour désigner l’état affligé dans lequel les dieux l’ont mis, combine le sentiment négatif d’une contrainte funeste avec le sentiment positif de la sublimité divine de cette Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 179 même contrainte. Cependant, il ressort également très nettement de ces vers que ceux qui ne sont pas hantés par les dieux mènent une vie plus tranquille. C’est surtout le cas des humbles soldats de l’armée grecque, qui vivent « dans l’état obscur » de l’ignorance du pouvoir des dieux, parce qu’ils sont ménagés par ces derniers. Seuls les grands sont tourmentés par les divinités 51 , comme Agamemnon le laisse entrevoir dans ses propos. Descendant en quatrième génération de Zeus 52 , le Roi de Mycènes compte à juste titre parmi ces grands, dignes d’être maudits par les dieux, parce que sa lignée familiale est jalonnée de crimes héréditaires. Déjà son arrièregrand-père, Tantalus, le fils immédiat de Zeus, avait tué son propre fils. Y succèdent les actes affreux du père d’Agamemnon, Atrée, qui avait assassiné les trois fils de son frère Thyestes. Et le comble de la cruauté de ces malfaiteurs est que chacun d’eux avait servi la chair de leurs victimes au repas de leurs proches. Vu la série des crimes de ses ancêtres, le joug imposé par les dieux à Agamemnon ne peut paraître que logique : l’immolation de sa fille s’inscrit dans le legs barbare des infanticides commis par ses aïeux, mais à la différence de ces derniers, le chef de la campagne contre Troie, tendre père d’une fille aimée, est bien loin de vouloir sacrifier la chair de sa propre chair, comme les dieux l’attendent de lui. C’est plus précisément Diane qui a agi en sorte que les vents se sont calmés en Aulide et c’est justement elle qui exige l’immolation de la fille d’Agamemnon pour que l’armée grecque puisse traverser la mer et rejoindre les rives de Troie. Ce sacrifice est en effet la peine que la déesse de la chasse inflige à Agamemnon pour l’avoir blessée dans son honneur quand il a tué une biche sacrée et s’est vanté d’être un meilleur chasseur qu’elle. Le châtiment imposé par Diane à Agamemnon est proclamé par le devin Calchas qui sert d’intermédiaire entre le monde divin et le monde humain. Dans la pièce de Racine, Calchas n’entre pas en scène, mais il est présent dès la première scène dans le récit d’Agamemnon qui explique à son domestique Arcas comment il a appris l’oracle divin qui veut qu’il sacrifie sa fille. Inquiet du calme des vents, lui raconte-t-il, il est allé au temple de Diane pour offrir « sur ses autels un secret sacrifice » (I, 1, v. 54). Dans l’espoir d’avoir d’elle une réponse à la question de savoir pourquoi « [l]e vent [... les] laissa dans 51 Voir le commentaire du vers 12 dans Jean Racine, Théâtre complet, édité par Jacques Morel et Alain Viala, Paris, Garnier Frères, 1980, p. 857, n. 3 : « Le thème du malheur des grands, présent aux premiers vers de l’œuvre d’Euripide, est traditionnellement repris dans les tragédies de la Renaissance et largement développé dans l’Iphigénie de Rotrou. » 52 Voir les sous-entendus dans les propos adressés à Agamemnon par son domestique Arcas : « Du sang de Jupiter issu de tous côtés, / L’hymen vous lie encore aux Dieux dont vous sortez [...]. » (Iphigénie, I, 1, v. 19-20). Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 180 le Port » (I, 1, v. 48), il est enfin éclairé sur ce point par Calchas qui lui transmet la volonté de la déesse comme suit : Vous armez contre Troie une puissance vaine, Si dans un sacrifice auguste et solennel Une Fille du sang d’Hélène De Diane en ces lieux n’ensanglante l’autel. Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie, Sacrifiez Iphigénie. (I, 1, v. 57-62) Quoique Racine crée, avec Agamemnon, un personnage qui croit, selon toute apparence, au monde divin et à l’influence funeste que les dieux peuvent exercer sur la vie humaine, les propos du père d’Iphigénie laissent pourtant entrevoir des doutes sur la toute-puissance des dieux. À première vue, le refus immédiat d’Agamemnon d’obéir à l’oracle 53 ne paraît s’expliquer que par le choc qu’il éprouve quand il apprend de Calchas la monstruosité de la volonté divine. Cependant, ce sentiment ne tarde pas à céder la place à des réflexions sur le pour et le contre d’une soumission à l’oracle, réflexions qui sont toutes ancrées dans des intérêts proprement humains. Animé par les exhortations d’Ulysse qui lui rappelle son « honneur » en tant que « Roi des Rois » et « Chef de la Grèce » ainsi que son devoir envers sa « Patrie », il se laisse pousser à ordonner le « supplice » de sa fille 54 , bien qu’il reconnaisse dans cette décision une « orgueilleuse faiblesse » (I, 1, v. 82) causée par son ambition de maintenir son « pouvoir » et sa « grandeur » de monarque (I, 1, v. 80). Certes, il avoue être hanté dans ses rêves nocturnes par les dieux qui lui reprochent d’hésiter par pitié, donc par faiblesse, à sacrifier sa fille 55 . Mais, tout compte fait, pour ce qui est de sa décision, il se laisse seulement convaincre « par Ulysse » (I, 1, v. 89) qui lui prédit une vie de « Roi sans gloire » (I, 1, v. 78) s’il épargne sa fille au détriment de l’intérêt de la Grèce. C’est pourquoi Agamemnon décide de faire venir Iphigénie en Aulide sous prétexte qu’Achille souhaite l’épouser avant de partir en guerre contre les Troyens. C’est ainsi qu’Agamemnon agit sous la pression d’Ulysse et des autres chefs de son armée, enflammés, eux, à l’idée de remporter aussi vite que possible la victoire sur Troie. Mais une fois que Clytemnestre et Iphigénie se sont mises en route, Agamemnon se 53 Voir Iphigénie I, 1, v. 67-68 : « Je condamnai les Dieux, et sans plus rien ouïr, / Fis vœu sur leurs autels de leur désobéir. » 54 Voir son monologue dans Iphigénie, I, 1, v. 71-90. 55 Voir Iphigénie, I, 1, v. 83-88 : « Pour comble de malheur, les Dieux toutes les nuits, / Dès qu’un léger sommeil suspendait mes ennuis, / Vengeant de leurs Autels le sanglant privilège, / Me venaient reprocher ma pitié sacrilège, / Et présentant la foudre à mon esprit confus, / Le bras déjà levé menaçaient mes refus. » Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 181 repent aussitôt d’avoir perfidement incité son épouse et sa fille à venir à un endroit où, au lieu du bonheur du mariage, la fille devra faire face à la mort et la mère au deuil. L’inévitable catastrophe qu’entraînerait leur venue en Aulide éveille finalement en Agamemnon des forces plus puissantes que celles que l’oracle divin avait avivées en lui et qui le portent à contrecarrer la volonté des dieux. Ce sont enfin les vertus de sa fille qui le retiennent d’exécuter les desseins divins parce qu’il s’aperçoit que les « droits » de sa fille sont au fond aussi « saints » que l’oracle des dieux : Ma fille... Ce nom seul, dont les droits sont si saints, Sa jeunesse, mon sang, n’est pas ce que je plains. Je plains mille vertus, une amour mutuelle, Sa piété pour moi, ma tendresse pour elle, Un respect, qu’en son cœur rien ne peut balancer, Et que j’avais promis de mieux récompenser. (I, 1, v. 115-20) Agamemnon s’évertue à diviniser ici en quelque sorte la pureté morale de sa fille pour la protéger contre la malédiction divine, voire pour déjouer l’autorité suprême des dieux en réinterprétant leur oracle à rebours de sa signification originelle : Non, je ne croirai point, ô Ciel ! que ta justice Approuve la fureur de ce noir sacrifice. Tes Oracles sans doute ont voulu m’éprouver, Et tu me punirais si j’osais l’achever. (I, 1, v. 121-24) En réajustant à son gré la signification de l’oracle, Agamemnon met en doute la volonté divine telle que Calchas la lui avait révélée et accuse ce dernier et les envieux de son pouvoir d’abuser de la religion pour exhorter les peuples grecs à la révolte contre son règne : Si ma Fille une fois met le pied dans l’Aulide, Elle est morte. Calchas, qui l’attend en ces lieux, Fera taire nos pleurs, fera parler les Dieux, Et la Religion, contre nous irritée, Par les timides Grecs sera seule écoutée. Ceux même, dont ma gloire aigrit l’ambition, Réveilleront leur brigue et leur prétention, M’arracheront peut-être un pouvoir qui les blesse... (I, 1, v. 134-41) Dans ces vers, Agamemnon laisse entendre qu’il tient l’oracle pour une fiction humaine, à savoir pour une invention propagée par Calchas qui prétend être le porte-parole des dieux, mais ne crée en réalité par là qu’une « religion » arbitraire que les rivaux d’Agamemnon se hâtent d’approuver pour forcer ce dernier à céder à la volonté divine et agir de cette manière en faveur des intérêts de la Grèce. Or, la grandeur d’Agamemnon en tant que Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 182 personnage tragique réside dans le fait qu’il réussit à surmonter ce qu’il appelle lui-même sa « propre faiblesse » (I, 1, v. 142) qui ressort de son angoisse de perdre son autorité de roi et qui l’a empêché jusqu’ici de se dresser fermement contre l’oracle. Mais au fur et à mesure qu’il est d’avis que les dieux et leur volonté ne sont que des simulacres des hommes, il se sent plus libre de rompre non seulement avec les attentes des divinités, mais aussi avec celles de ses compatriotes. C’est ainsi qu’il se résout à ne pas risquer qu’Iphigénie soit sacrifiée en Aulide. « Va, […] Sauve-la de ma propre faiblesse » (I, 1, v. 142), s’adresse-t-il impérativement à Arcas pour le charger de courir à la rencontre de son épouse et de sa fille et de les renvoyer en Mycènes. Voulant leur cacher la véritable cause de cette nouvelle décision, Agamemnon leur font savoir qu’« Achille a changé de pensée, / Et qu’il veut désormais jusques à son retour / Différer cet hymen, que pressait son amour. » (I, 1, v. 150-52) Pour les persuader davantage encore de ne pas venir en Aulide, Agamemnon demande à son émissaire de leur faire croire que le bruit court que la remise du mariage s’explique en vérité par le fait qu’Achille s’est épris de « cette jeune Ériphile, / Que lui-même captive amena de Lesbos » (I, 1, v. 154-55). Voilà donc comment Agamemnon a filé les premières mailles d’un réseau tragique qui se fonde moins sur un conflit entre la fatalité divine et le libre arbitre de l’homme que sur le dilemme psychologique d’un souverain qui est obligé de faire face à une impasse causée par une crise aussi bien personnelle que politique : Agamemnon n’en sortira pas sans devenir le bourreau de sa fille ni sans perdre son pouvoir absolu de monarque. Certes, l’oracle des dieux est le point de départ de la trame tragique de la pièce de Racine, mais cet oracle n’a chez lui aucune autre fonction que d’être partie intégrante du mythe antique qu’il a repris pour l’adapter à ses propres fins. L’objectif primordial de Racine est en effet l’exploration des états d’âme de l’homme dans des situations-limites qui se produisent parmi des proches - parents, amant(e)s, ami(e)s - et non pas la démonstration du pouvoir d’un destin qui écrase inévitablement les hommes. C’est ainsi que Racine démasque dès la première scène de la pièce l’oracle de Calchas comme artificiel, à savoir comme une simple chimère produisant une crise qui deviendra pour ce qui est du reste une affaire décidément humaine. C’est à partir du moment où Calchas a proclamé l’oracle que la crise tragique est mise en mouvement par le conflit irréconciliable entre l’individu et l’autre. Nous excluons ici une acception transcendante du terme « l’autre ». L’autre auquel Agamemnon se voit confronté sont ses chefs d’armée, l’État, la Grèce entière et enfin son autre moi qu’il considère lui-même comme la manifestation d’une « faiblesse », comme un autre visage de sa personnalité qui, malgré ses sentiments paternels et son désir de sauver sa fille, ne peut l’empêcher Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 183 de privilégier ses intérêts d’homme politique et d’agir en sorte qu’il maintiendra sa souveraineté. À cela s’ajoute le conflit entre Agamemnon et sa fille et son épouse qui, quant à elles, sont moins victimes des dieux que le jouet des ambitions politiques des grands commandants de l’armée grecque. Pour notre étude, les cas les plus intéressants de ces conflits sont ceux qui font voir que les personnages de Racine mettent nettement en cause l’impact qu’un Être divin pourrait exercer sur leur vie ou déclarent sans réserve leur incrédulité à l’égard de l’existence d’une telle puissance métaphysique. Dans les arguments qui suivront, nous focaliserons notre regard sur ces situations conflictuelles de la pièce. Le scepticisme d’Achille et la tendresse du guerrier En ce qui concerne la mise en question du pouvoir des dieux, Achille est encore plus formel qu’Agamemnon. Venu en Aulide pour demander à ce dernier s’il a vraiment l’intention de lui donner sa fille en mariage, comme il l’a su par ouï-dire, il se voit surtout accueilli par des éloges dithyrambiques de ses derniers exploits, parce que le père d’Iphigénie veut absolument éviter de parler de sa fille à l’instant même où il est en train d’empêcher de toutes ses forces qu’elle vienne en Aulide. Mais Achille insiste en lui faisant entendre que ses intérêts actuels portent plus à son amour pour Iphigénie qu’à sa renommée de guerrier : Seigneur, honorez moins une faible Conquête Et que puisse bientôt le Ciel, qui nous arrête, Ouvrir un champ plus noble à ce cœur excité Par le prix glorieux dont vous l’avez flatté. (I, 2, v. 169-72) Il va de soi que l’invocation au « Ciel » avec laquelle Achille exprime son souhait que son amour s’accomplisse ne lui sert ici que de formule rhétorique grâce à laquelle il souligne la sublimité de son inclination pour la fille d’Agamemnon. On observe la même stratégie dans ses propos suivants : On dit qu’Iphigénie en ces lieux amenée Doit bientôt à son sort unir ma destinée. (I, 2, v. 177-78) Achille formule ici son désir de voir bientôt Iphigénie avec des termes qui suscitent de prime abord l’impression qu’il est convaincu que des forces surnaturelles veillent à ce que le couple amoureux soit réuni. Cependant, quand il évoque les effets du « sort » et de la « destinée », il est en réalité très loin de croire à une influence divine sur l’accomplissement de leur amour. Ses allusions à la prédestination ne lui servent en dernière analyse que d’ornement rhétorique pour exprimer avec insistance ce qui lui tient profondément à cœur. Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 184 On constate d’ailleurs dans les propos d’Agamemnon le même emploi rhétorique de ses invocations aux divinités. Quand il craint qu’Achille puisse découvrir son intrigue visant à retenir Iphigénie de venir en Aulide, il s’adresse, inquiet, au « Juste ciel ! » avant de demander à Ulysse « Saurait-il mon funeste artifice ? » (I, 2, v. 181) Abstraction faite de la valeur simplement rhétorique des exclamations telles que « Juste ciel ! », « O ciel ! », « Dieux ! », qui appartiennent au répertoire habituel de la tragédie et structurent le discours des personnages dramatiques quand ils expriment leur trouble, leur surprise ou leur affection 56 , il est intéressant de noter qu’Agamemnon va jusqu’à faire sien le rôle de celui qui décide du sort du couple amoureux. En cherchant à empêcher sa fille de venir en Aulide par son « funeste artifice » il se voue, à l’instar d’un dieu, à déjouer l’amour d’Achille pour Iphigénie. Même si Agamemnon laisse entrevoir qu’il tient le monde divin pour une idée artificielle que les hommes se construisent pour expliquer les vicissitudes de leur vie, il ne peut s’empêcher de se laisser séduire, pour ce qui est de l’oracle, par les exhortations d’Ulysse qui ne cesse de lui rappeler que « pour fléchir l’inclémence des Dieux / Il faut du sang peut-être, et du plus précieux » (I, 2, v. 187-88). Mais contrairement à ce dernier qui accepte de plein gré le sacrifice imposé par l’oracle aux Grecs, Agamemnon reste accablé de doutes à cet égard. Ses incertitudes par rapport au message divin du ciel qu’Ulysse croit comprendre sans équivoque se manifestent clairement dans le mode interrogatoire avec lequel il explore dans les vers suivants la raison pour laquelle l’armée grecque est encore retenue en Aulide : Ô Ciel ! Pourquoi faut-il que ta secrète envie Ferme à de tels Héros le chemin de l’Asie ? (I, 2, v. 209-10) Le fait qu’Agamemnon considère les desseins divins comme un secret que les hommes ne sont pas à même de déchiffrer témoigne de son doute au sujet des messages que les augures comme Calchas prétendent pouvoir lire sans peine dans la voûte céleste. Agamemnon, lui, considère ces prétendus signes du ciel comme mystérieux et capricieux (« secrète envie »). Cependant, ce constat ne l’empêche pas non plus de réinterpréter, à son tour, l’oracle de Calchas et d’y voir le contraire de ce que l’augure a proclamé. Agamemnon suppose que, si les dieux existent, le caractère monstrueux de 56 Voici quelques occurrences dans Iphigénie en ce qui concerne les exclamations « Ciel ! » et « Dieux ! » : I, 2, v. 184, 209, 213 ; I, 4, v. 345, 355, 361 ; II, 2, v. 551 ; II, 3, v. 582 ; II, 8, v. 756 ; III, 5, v. 922 ; IV, 5, v. 1322, 6, v. 1369 ; V, 1, v. 1514, 1516 ; V, scène dernière, v. 1729. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 185 leur oracle a pour objectif de protéger Troie contre l’attaque de l’armée grecque. C’est ainsi qu’il explique à Achille : Le Ciel protège Troie. Et par trop de présages Son courroux nous défend d’en chercher les passages. (I, 2, v. 217-18) Or, tandis qu’Agamemnon hésite encore entre la croyance dans l’insondable volonté des dieux et la mise en cause de leur existence, Achille est disposé à contester franchement la vérité des présages divins quand il répond aux vers d’Agamemnon que nous venons de citer avec la question suivante : Quels présages affreux nous marquent son courroux ? (I, 2, v. 219) Le simple fait qu’Achille soulève cette question souligne déjà sa méfiance à l’égard du caractère authentique des présages. Son attitude contestataire à ce propos se confirme par l’insouciance dans laquelle il continue à vivre après avoir appris par des augures le rôle qu’il jouera dans une future guerre contre Troie. Comme le lui rappelle Agamemnon, les auspices venus du ciel veulent que l’issue de cette guerre soit liée à la mort d’Achille qui, au gré des dieux, trouvera son tombeau « aux champs Troyens 57 ». Mais ce dernier s’indigne contre tous ceux qui prétendent pouvoir déchiffrer un langage quelconque du ciel et les discrédite par le reproche d’être trop inventifs, voire fantaisistes dans leurs interprétations de la volonté des dieux : Non, non, tous ces détours sont trop ingénieux. Vous lisez de trop loin dans le secret des Dieux. Moi, je m’arrêterais à de vaines menaces ? Et je fuirais l’honneur qui m’attend sur vos traces ? [...] Ah ! Ne nous formons point ces indignes obstacles. L’Honneur parle, il suffit, ce sont là nos Oracles. Les Dieux sont de nos jours les maîtres souverains. Mais, Seigneur, notre gloire est dans nos propres mains. Pourquoi nous tourmenter de leurs ordres suprêmes ? Ne songeons qu’à nous rendre immortels comme eux-mêmes, Et laissant faire au Sort, courons où la valeur Nous promet un destin aussi grand que le leur. (I, 2, v. 243-64) Ce n’est pas qu’Achille dénie l’existence des dieux, mais il ne leur accorde aucune importance particulière en ce qui concerne leur impact sur le cours 57 Voir I, 2, v. 220-26 : « Vous-même consultez ce qu’il prédit de vous. / Que sert de se flatter ? On sait qu’à votre tête / Les Dieux ont d’Ilion attaché la Conquête. / Mais on sait que pour prix d’un triomphe si beau / Ils ont aux champs Troyens marqué votre tombeau, / Que votre vie ailleurs et longue, et fortunée, / Devant Troie en sa fleur doit être moissonnée. » Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 186 de la vie humaine, excepté qu’ils décident, selon lui, du moment où l’homme meurt : « Les Dieux sont de nos jours les maîtres souverains » (v. 259). La mort est donc le seul sort qu’Achille considère comme étant hors de la portée humaine. Quant au reste, l’homme est le maître de luimême, libre d’agir sans devoir prêter attention à « de vaines menaces » (v. 245) et à d’« indignes obstacles » (v. 257) proclamés par les oracles. Selon Achille, les présages ne sont que les résultats de l’imaginaire humain : « Ah ! ne nous formons point ces indignes obstacles » (v. 257), s’exclame-t-il pour qualifier les « ordres suprêmes » (v. 261) de faux oracles et pour rendre à l’homme sa faculté de créer des « Oracles » (v. 258) issus de ses « propres mains » (v. 260). C’est ainsi que l’homme est en mesure de forger son propre sort et d’égaler les dieux en leur rang, de se rendre « immortels comme euxmêmes » (v. 262) et de trouver « un destin aussi grand que le leur » (v. 264). Soucieux de bâtir sa gloire sur le triomphe contre Troie, Achille se laisse guider par le souhait d’obtenir une réputation de héros guerrier qui demeurera éternellement à la mémoire de la postérité. Presque héros cornélien, il voit sa destinée dans l’accomplissement de ses devoirs en tant que soldat combattant pour sa patrie et espère en vertu de cela atteindre honneur et gloire, ne fût-ce que pour se montrer digne de son amour pour Iphigénie. C’est ainsi qu’il déclare à Agamemnon : Je n’aspire en effet qu’à l’honneur de vous suivre. Je ne vous presse plus d’approuver les transports D’un amour, qui m’allait éloigner de ces bords : Ce même amour soigneux de votre Renommée Veut qu’ici mon exemple encourage l’Armée [...]. (I, 2, v. 270-74) Les situations conflictuelles de la pièce se compliquent quand, malgré les précautions prises par Agamemnon, Iphigénie arrive an Aulide, accompagnée de sa mère et, à la surprise d’Agamemnon, aussi de « cette jeune Ériphile, / Que Lesbos a livrée entre les mains d’Achille » (I, 4, 346-47). À partir de ce moment-là, les relations amoureuses deviennent triangulaires et sont marquées par cet amour contrarié que Roland Barthes a tenu pour typique de la tragédie racinienne : « A aime B, qui ne l’aime pas 58 », à l’exception près que, dans le cas présent, c’est seulement Ériphile qui souffre d’un amour non partagé. L’amour d’Achille pour Iphigénie est réciproque. À cela s’ajoute que le conflit entre Agamemnon et ses chefs d’armée devient de plus en plus tendu, ces derniers exigeant qu’Agamemnon sacrifie enfin sa fille 59 . Ce dernier finit par céder à la pression qu’Ulysse exerce sur lui ne 58 Roland Barthes, Sur Racine, Paris, Seuil, « Points Essais », 1963, p. 29. 59 Voir le rappel d’Ulysse : « Mais votre amour n’a plus d’excuse légitime. / Les Dieux ont à Calchas amené leur Victime [...]. » (Iphigénie, I, 5, v. 373-74) Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 187 voyant plus d’autre issue à la crise politique que de souffrir l’immolation de sa fille : Seigneur, de mes efforts je connais l’impuissance. Je cède, et laisse aux Dieux opprimer l’innocence. (I, 5, v. 389-90) Ce consentement douloureux d’Agamemnon au sacrifice de sa fille ne l’empêche pas de continuer à douter du caractère authentique de ce « funeste mystère » (I, 5, v. 393) dans lequel Calchas a puisé son oracle. L’arrivée de la « triste Ériphile 60 » Après l’annonce de la venue d’Iphigénie et de ses accompagnantes à la fin du premier acte 61 , le second s’ouvre par un dialogue entre Ériphile et sa confidente Doris. Cette entrée en scène d’Ériphile avant celle d’Iphigénie marque déjà son importance dans la poursuite de l’action et anticipe sur le plan structurel le fait qu’Ériphile s’avérera en effet la véritable héroïne tragique de la pièce intitulée Iphigénie. Tandis que la fille d’Agamemnon, lorsqu’elle apparaît pour la première fois à la deuxième scène du second acte, n’est pas encore pénétrée d’une conscience tragique parce qu’elle ignore encore son rôle de victime qui lui est imposé par l’oracle, Ériphile fait régner dès ses premiers propos « cette tristesse majestueuse qui fait [selon Racine] tout le plaisir de la tragédie 62 ». C’est ainsi qu’elle invite Doris dès leur arrivée en Aulide à se retirer avec elle pour laisser à Iphigénie et à Clytemnestre la joie de la réunion avec le père et l’époux, puisque, quant à elle, elle souffre d’une profonde tristesse : Ne les contraignons point, Doris, retirons-nous. Laissons-les dans les bras d’un Père et d’un Époux, Et tandis qu’à l’envi leur amour se déploie, Mettons en liberté ma tristesse et leur joie. (II, 1, v. 395-98) Après avoir confessé à Doris son affliction Ériphile lui révèle ce qui en est la cause. Elle lui explique que sa douleur face à la réunion d’Iphigénie et de ses parents vient du fait qu’elle ignore elle-même l’identité des siens. À cela s’ajoute qu’un « Oracle effrayant » lui a prédit qu’elle ne connaîtrait sa descendance qu’à condition qu’elle périsse : J’ignore qui je suis. Et pour comble d’horreur, Un Oracle effrayant m’attache à mon erreur, Et quand je veux chercher le sang qui m’a fait naître, Me dit, que sans périr, je ne me puis connaître. (II, 1, v. 427-430) 60 Iphigénie, II, 1, v. 417. 61 Voir scène 4. 62 Voir « Préface » de Bérénice, p. 450. Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 188 Cependant, le plus grand mal dont Ériphile souffre, c’est la passion qu’elle ressent pour Achille bien que ce dernier l’ait fait prisonnière et l’ait enlevée de Lesbos, son lieu de naissance. Elle a caché jusqu’ici son amour sous « un silence éternel » (II, 1, v. 478), mais au moment où Doris, pour la consoler, mentionne le futur mariage d’Iphigénie et la protection que cette dernière a promis d’accorder à la captive de son futur mari, Ériphile ne peut plus s’empêcher de dévoiler son secret à sa confidente : Que dirais-tu, Doris, si passant tout le reste Cet Hymen de mes maux était le plus funeste ? (II, 1, v. 465-66) La passion d’Ériphile est d’ailleurs comparable à celle qu’éprouve Phèdre pour son beau-fils Hippolyte. À l’instar de cette dernière, Ériphile se sent hantée par un « fatal amour » dont elle se voit « possédée » (II, 1, v. 482) 63 et explique la cause de son amour par la haine des dieux contre elle, qui veulent la punir pour quelque raison que ce soit: Le Ciel s’est fait sans doute une joie inhumaine À rassembler sur moi tous les traits de sa haine. (II, 1, v. 485-86) Une fois de plus s’impose l’impression que le lexique qui réfère chez Racine à une influence divine sur les actions et les états d’âme de ses personnages dramatiques font partie intégrante d’un style déclamatoire qui, grâce à un vocabulaire à caractère autant sacré que sublime, a pour objectif d’insister sur la nature inéluctable des émotions dont les personnages en question sont la proie. Considéré de ce point de vue, la fonction d’une telle force surnaturelle est de souligner tout ce qui est imprévisible, inexplicable, irrationnel, incontrôlable ou incontournable dans la vie humaine, que ce soient des crises extérieures comme les grandes catastrophes politiques (les guerres, la tyrannie) ou des crises intérieures de l’individu comme les grandes passions : l’amour, la jalousie, la haine. Toutes ces crises peuvent devenir l’objet du tragique pourvu qu’elles donnent lieu à une aporie. Un conflit insoluble qui hante le héros/ l’héroïne de la tragédie et est responsable de leur chute, quoi qu’il/ elle décide ou fasse, fait la grandeur de ce genre et de ses personnages. Compte tenu de ces réflexions sur le point essentiel du tragique de la tragédie, il va de soi qu’Ériphile est un personnage tragique par excellence, et ceci non pas parce qu’elle joue un rôle important dans une tragédie, mais parce qu’elle vit une crise intérieure dont elle n’est plus capable de sortir 63 Voir à ce propos Phèdre : « Vaines précautions ! Cruelle destinée ! / [...] C’est Vénus toute entière à sa proie attachée. » (Phèdre, I, 3, v. 301 et 306) et « Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle / De séduire le cœur d’une faible Mortelle. » (Phèdre, II, 5, v. 681-82) Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 189 sans échouer. Le point de départ de sa chute est le moment où elle est tombée amoureuse malgré elle d’Achille, son « vainqueur sauvage » (II, 1, v. 493) qui l’a fait prisonnière. Imbue encore de « fureur » (v. 495) à cause de l’acte agresseur de ce dernier, elle perd d’emblée son « horreur » (v. 496) devant lui quand elle le voit pour la première fois en personne à Lesbos : Je le vis. Son aspect n’avait rien de farouche. Je sentis le reproche expirer dans ma bouche. Je sentis contre moi mon cœur se déclarer, J’oubliai ma colère, et ne sus que pleurer. Je me laissai conduire à cet aimable guide. Je l’aimais à Lesbos, et je l’aime en Aulide. Iphigénie en vain s’offre à me protéger, Et me tend une main prompte à me soulager. Triste effet des fureurs dont je suis tourmentée ! Je n’accepte la main qu’elle m’a présentée, Que pour m’armer contre elle, et sans me découvrir, Traverser son bonheur, que je ne puis souffrir. (II, 1, v. 497-508) Outre le brusque changement de ses sentiments à l’égard de son ennemi, Ériphile fait voir dans ces propos l’impétuosité de sa passion pour son « vainqueur 64 ». Brève, dense, pointue, une suite de six vers suffit pour marquer la grande intensité de son amour pour Achille depuis sa naissance à Lesbos jusqu’au moment présent en Aulide (v. 497-502). D’un vers à l’autre elle ponctue avec un crescendo bien pondéré les étapes de l’inclination qui l’a portée à aimer éperdument Achille. Au premier regard, l’apparence de son « vainqueur » provoque subitement en elle un tendre sentiment pour lui (v. 497), fait disparaître ses rancunes (v. 498), enflammer son cœur (v. 499) et dissiper sa colère contre lui (v. 500). Du moment où elle fut conduite à Achille et que ce dernier se changea d’emblée de « vainqueur sauvage » en « aimable guide » (v. 501) jusqu’au jour de son aveu à Doris, sa passion a perduré à travers l’espace et le temps : « Je l’aimais à Lesbos, et je l’aime en Aulide. » (v. 502) Le revers de la médaille apparaît dans les six vers qui succèdent à cette déclaration d’amour (v. 503- 08). Sa prise de conscience du fait qu’Iphigénie lui dispute son amour pour Achille suscite en elle une autre passion, celle-ci douloureuse, à savoir la jalousie provoquant sa fureur et attisant de nouveau sa colère face au bonheur de l’« aimable Iphigénie » (II, 1, v. 409). Et c’est cet état d’âme 64 On remarque à cet égard les parallèles avec le récit que Phèdre fait de sa première rencontre avec Hippolyte : « Athènes me montra mon superbe Ennemi. / Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue / Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue / Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler, / Je sentis tout mon corps et transir, et brûler. » (I, 3, v. 272-276) Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 190 d’Ériphile qui conditionnera les événements tragiques qui jalonneront la suite de la pièce. Le personnage d’Ériphile est un bel exemple qui montre comment le tragique naît des passions humaines qui ne cessent de mettre l’individu à l’épreuve face à des situations désespérantes, sans issue. En outre, force est de constater qu’Ériphile se rend parfaitement compte que son sort est soumis à sa « folle amour » (II, 1, v. 528) plutôt qu’à la volonté des dieux. Même si elle prétend être venue en Aulide pour consulter les augures de Calchas à propos de sa descendance familiale, elle a, en réalité, entrepris ce voyage pour détruire le bonheur du couple amoureux et, le cas échéant, pour se suicider si leur mariage est célébré : Au sort qui me traînait il fallut consentir. Une secrète voix m’ordonna de partir, Me dit qu’offrant ici ma présence importune Peut-être j’y pourrais porter mon infortune, Que peut-être approchant ces Amants trop heureux, Quelqu’un de mes malheurs se répandrait sur eux. Voilà ce qui m’amène, et non l’impatience D’apprendre à qui je dois une triste naissance. Ou plutôt leur hymen me servira de loi. S’il s’achève, il suffit, tout est fini pour moi. Je périrai, Doris, et par une mort prompte Dans la nuit du tombeau j’enfermerai ma honte, Sans chercher des parents si longtemps ignorés, Et que ma folle amour a trop déshonorés. (II, 1, v. 515-28) Ce que l’on peut conclure de ce monologue, c’est que la voix secrète qui semble avoir incité Ériphile à accompagner Clytemnestre et Iphigénie en Aulide se laisse facilement interpréter comme les métaphores de ses mobiles intérieurs, à savoir de son amour-passion, de sa jalousie et de sa fureur qui, chacun à son tour, la poussent à faire du mal au couple amoureux et à aller enfin jusqu’à risquer sa propre vie. On verra que cette disposition psychologique d’Ériphile déterminera le discours tragique de la pièce jusqu’à son terme. Mais revenons d’abord au sort d’Iphigénie. La bonté de l’« aimable Iphigénie 65 » et la gloire de la « triste Iphigénie 66 » La première apparition d’Iphigénie à la deuxième scène du second acte nous fait voir une jeune fille qui, contrairement à Ériphile, est entièrement 65 Iphigénie, II, 1, v. 409. 66 Iphigénie, V, 2, v. 1590. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 191 crédule et docile à l’égard des dieux. Dès son arrivée en Aulide, elle ressent les soucis de son père, dont les causes lui sont encore inconnues 67 , mais sa confiance dans la bienveillance des dieux l’amène tout de suite à le consoler : « Les dieux daignent surtout prendre soin de vos jours. » (II, 2, v. 571). Sa foi en la justice des dieux aussi bien que son altruisme vont augmentant lors des crises qu’elle traverse au fur et à mesure que lui sont révélés l’amour caché d’Ériphile pour Achille et les desseins secrets de son père. Non seulement elle ne tarde pas à pardonner à Ériphile après avoir appris que cette dernière s’était éprise de son amant 68 , mais elle ne perd pas non plus sa tendresse pour son père lorsqu’Arcas lui confesse la véritable raison pour laquelle Agamemnon l’a fait venir en Aulide. Alors qu’Achille éclate en fureur parce qu’Agamemnon a abusé de son nom pour conduire sa fille, sous le prétexte de contracter un mariage tant souhaité par elle, dans le piège d’un sacrifice abominable 69 , Iphigénie, elle, ne peut s’empêcher d’apaiser la fureur de son fiancé en lui rappelant : Car enfin ce Cruel, que vous allez braver, Cet Ennemi barbare, injuste, sanguinaire, Songez, quoi qu’il ait fait, songez qu’il est mon Père. [...] C’est mon Père, Seigneur, je vous le dis encore. Mais un Père que j’aime, un Père que j’adore [...]. (III, 6, v. 996-1002) Mais à y regarder de plus près, cette servilité avec laquelle la jeune fille se soumet à la décision de son père s’explique par le fait qu’elle soupçonne Achille d’être infidèle à sa promesse de mariage. En dernière analyse, c’est donc par chagrin d’amour qu’elle accepte de mourir comme victime destinée au sacrifice 70 . En outre, elle regarde la réticence qu’elle croit apercevoir chez Achille à l’égard de leur mariage comme le résultat d’une 67 Voir Iphigénie, II, 2, v. 552-53 : « Vous vous cachez, Seigneur, et semblez soupirer. / Tous vos regards sur moi ne tombent qu’avec peine. » 68 Voir Iphigénie, II, 5, v. 695-96 : Je vous pardonne, hélas! des vœux intéressés, / Et la perte d’un cœur, que vous me ravissez. » 69 Voir les vers suivants d’Achille où il explique à Iphigénie les raisons pour lesquelles il est furieux contre son père : « D’un appareil d’hymen couvrant ce sacrifice, / Il veut que ce soit moi qui vous mène au supplice ? / [...] Il faut que le Cruel qui m’a pu mépriser / Apprenne de quel nom il osait abuser. » Iphigénie, III, 6, v. 977-78 et 991-92. 70 Voir les explications qu’elle donne à Achille à ce propos : « Vous voyez de quel œil, et comme indifférente / J’ai reçu de ma mort la nouvelle sanglante. / Je n’en ai point pâli. Que n’avez-vous pu voir / À quel excès tantôt allait mon désespoir, / Quand presque en arrivant un récit peu fidèle / M’a de votre inconstance annoncé la nouvelle ! » (Iphigénie, III, 6, v.1033-38) Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 192 intervention des dieux voulant, selon elle, lui disputer le droit aux délices d’un amour si noble dont seuls les dieux seraient dignes de jouir : Qui sait même, qui sait si le Ciel irrité A pu souffrir l’excès de ma félicité ? Hélas ! il me semblait qu’une flamme si belle M’élevait au-dessus du sort d’une Mortelle. (III, 6, v. 1043-46) Iphigénie ne cesse donc de se montrer convaincue que les hommes ne sont nullement capables d’échapper à la volonté divine. Achille, en revanche, se révolte avec orgueil contre cette autorité devant laquelle la majorité du peuple grec s’incline : Je perds trop de moments en des discours frivoles. Il faut des actions, et non pas des paroles. (à Clytemnestre.) Madame, à vous servir je vais tout disposer. Dans votre appartement allez vous reposer. Votre Fille vivra, je puis vous le prédire. Croyez du moins, croyez que tant que je respire, Les Dieux auront en vain ordonné son trépas. Cet Oracle est plus sûr que celui de Calchas. (III, 7, v. 1077-84) Achille ne nie pas, il est vrai, l’existence des dieux, mais il met en question leur toute-puissance et se considère comme capable de déjouer leurs desseins. Or, la situation tragique d’Achille, convaincu de pouvoir sauver Iphigénie, réside dans le fait que cette dernière finit par accepter de subir le sacrifice que le peuple grec et son père lui demandent sous la pression de l’oracle de Calchas. Ce faisant, Iphigénie s’avère non seulement obéissante à la volonté de son père et des dieux 71 , mais aussi fidèle à sa patrie. Sur ce dernier point, elle ne peut s’empêcher pourtant de se laisser guider par des motifs purement personnels. C’est ainsi qu’Iphigénie explique sa décision de se sacrifier, certes, par son souci de la destinée de sa patrie dans la guerre de Troie, mais aussi par son objectif d’éterniser sa propre gloire dans la mémoire de la postérité par son acte gratuit qui seul peut rendre possible l’entreprise envisagée par l’armée grecque : Le Ciel n’a point aux jours de cette Infortunée Attaché le bonheur de votre destinée. 71 Voir l’extrême obéissance qu’elle témoigne à son père quand elle lui confère le droit de disposer librement de sa vie : « Ma vie est votre bien. Vous voulez le reprendre, / Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre. / [...] Je saurai, s’il le faut, Victime obéissante, / Tendre au fer de Calchas une tête innocente, / Et respectant le coup par vous-même ordonné, / Vous rendre tout le sang que vous m’avez donné. » (IV, 4, v. 1177-84) Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 193 Notre amour nous trompait. Et les arrêts du Sort Veulent que ce bonheur soit un fruit de ma mort. Songez, Seigneur, songez à ces moissons de gloire Qu’à vos vaillantes mains présente la Victoire. Ce champ si glorieux, où vous aspirez tous, Si mon sang ne l’arrose, est stérile pour vous. Telle est la loi des Dieux à mon Père dictée. En vain sourd à Calchas il l’avait rejetée. Par la bouche des Grecs contre moi conjurés Leurs ordres éternels se sont trop déclarés. [...] Je meurs dans cet espoir satisfaite, et tranquille. Si je n’ai pas vécu la Compagne d’Achille, J’espère que du moins un heureux Avenir À vos faits immortels joindra mon souvenir, Et qu’un jour mon trépas, source de votre gloire, Ouvrira le récit d’une si belle Histoire. (V, 2, v. 1537-62) C’est avec un beau tour d’adresse que Racine reprend au début de ce monologue d’Iphigénie les mots-clés d’une déclaration antérieure d’Achille pour inverser complètement la signification que ce dernier a attribué à ses propos. Qu’il nous soit permis de les rappeler comme suit : Et bientôt des mortels suis-je le plus heureux ? On dit qu’Iphigénie en ces lieux amenée, Doit bientôt à son sort unir ma destinée. (I, 2, v. 176-78) Alors qu’Achille voit dans sa réunion avec Iphigénie un effet heureux de la destinée, Iphigénie, quant à elle, reconnaît dans le même événement le signe de sa mauvaise fortune. C’est ainsi que les significations conférées à la destinée deviennent arbitraires. Ce constat prouve une fois de plus que, dans cette pièce, la mise en jeu de forces supérieures ne sert que de moyen rhétorique visant à souligner les sentiments prépondérants des protagonistes, tels que leurs espérances, leurs souffrances, leurs angoisses, qui sont en dernière analyse dépourvus de toute portée religieuse. Retenons aussi qu’Iphigénie est finalement prête à se sacrifier pour la gloire qu’elle espère obtenir auprès des générations futures censées se remémorer avec admiration le rôle de victime innocente qu’elle aura assumé dans la guerre de Troie. L’« aimable Iphigénie », toute dévouée aux vœux de son père, de son pays et des dieux, éperdument éprise du plus grand héros de l’armée grecque et conciliante pourtant avec sa rivale, finit donc par s’imaginer peu avant la cérémonie cruelle de son sacrifice un avenir qui transcende, certes, sa vie, mais demeure tout de même ancré, quant à son rôle ultérieur, dans le monde terrestre. Ainsi n’espère-t-elle pas survivre Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 194 comme une sainte ou martyre dans la mémoire collective de la postérité, mais comme une jeune fille souffrante qui touchera un jour le cœur de ceux et de celles qui entendront parler de son histoire. La gloire qu’elle souhaite obtenir de cette façon est autant profane que sacrée, profane parce qu’elle dépend du monde humain, à savoir de la reconnaissance d’autrui, sacrée parce qu’elle se fonde sur un mythe qui ne se constituera qu’à condition que la « triste Iphigénie » soit immolée. Que cette gloire ait pour elle une qualité sacrée qui surpasse la valeur de tous les biens terrestres devient évident lorsqu’elle repousse les supplications d’Achille qui ne cesse de chercher à la dissuader de céder aux revendications de l’armée grecque. Pour le consoler, elle lui explique que la gloire qui naîtra de son immolation lui rapportera plus que si elle optait pour la vie : Ma gloire vous serait moins chère que ma vie. Ah, Seigneur ! épargnez la triste Iphigénie. (V, 2, v. 1589-90) Achille finit en effet par se plier aux volontés d’Iphigénie et consent - non sans aigreur - à lui épargner désormais ses implorations : Hé bien ! N’en parlons plus. Obéissez, cruelle, Et cherchez une mort, qui vous semble si belle. (V, 2, v. 1597-98) À part la résignation qui se manifeste dans ces vers d’Achille, ses propos suggèrent qu’il tient de fait pour illusoires les espérances sacrées qu’Iphigénie attache à son immolation, car il souligne que c’est à elle seule qu’une telle mort « semble si belle ». De cette manière, il révèle le caractère subjectif et peu assuré des attentes nourries par Iphigénie. Achille montre donc franchement son scepticisme à l’égard de tout enracinement transcendant du monde, qu’il soit profane ou sacré. Quant à Iphigénie, son attitude à l’égard du monde divin est, au contraire, indécise. Tout au long de la pièce, les points de vue de l’héroïne éponyme sont à ce propos alimentés d’une certaine ambiguïté. De prime abord, elle se présente comme quelqu’un qui se soumet entièrement à la volonté des dieux. Cependant, à partir du moment où elle se rend compte du rôle que ces derniers lui ont assigné dans la guerre de Troie, elle considère son sort dans une perspective humaine plutôt que religieuse. Certes, les dieux ne sont pas absents de ses délibérations, mais leur importance cède à celle des obligations morales qu’elle croit devoir accomplir envers son amant, son père et sa patrie. Néanmoins, ce souci d’autrui qui l’incite à se sacrifier à l’intérêt commun devient un souci de soi quand il lui vient l’idée de pouvoir veiller par ce geste à ce que son nom et sa réputation s’éternisent dans la mémoire collective de son pays, voire même du monde entier. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 195 Reste à savoir comment définir le tragique de ce personnage. À son arrivée en Aulide, Iphigénie, encore ignorante du sort qui l’y attend, se montre fidèle à l’idée de la prédestination divine de l’homme. Sa conscience tragique ne naît qu’à partir du moment où l’oracle est porté à sa connaissance et qu’elle commence à se révolter contre son destin, quoique plus faiblement que d’autres personnages de la pièce. En tout cas, il est frappant de constater que lors de ses premières réactions à l’ordre des dieux, elle n’en appelle aucunement à ces derniers pour implorer leur grâce ou les interroger sur les causes de leur châtiment. Elle s’adresse tout court à son père et livre donc tout de suite son destin aux mains d’une autorité humaine. Tout en sachant que la volonté de son père est aussi intangible que celle des dieux et qu’elle lui doit une obéissance absolue, elle caresse le faible espoir que sa magnanimité et sa souveraineté sont si grandes qu’il puisse écarter d’elle son « sévère destin » : Je saurai, s’il le faut, Victime obéissante, Tendre au fer de Calchas une tête innocente, Et respectant le coup par vous-même ordonné, Vous rendre tout le sang que vous m’avez donné. Si pourtant ce respect, si cette obéissance Paraît digne à vos yeux d’une autre récompense, Si d’une Mère en pleurs vous plaignez les ennuis ; J’ose vous dire ici qu’en l’état où je suis, Peut-être assez d’honneurs environnaient ma vie, Pour ne pas souhaiter qu’elle me fût ravie, Ni qu’en me l’arrachant, un sévère Destin Si près de ma naissance en eût marqué la fin. (IV, 4, v. 1181-1192) Or, l’impasse tragique à laquelle Iphigénie se voit confrontée, c’est le fait qu’Agamemnon, tout magnanime qu’il souhaite être envers sa fille, n’est pas en mesure de la protéger contre le péril qui la menace. En tout état de cause, le joug qui pèse sur lui à cet égard est en réalité moins causé par l’ordre des dieux que par la pression qu’exercent sur lui ses chefs d’armée, voire l’ensemble de ses compatriotes qui, quant à eux, prennent opiniâtrement parti pour la vengeance sur Troie, ne fût-ce qu’au détriment de l’« aimable Iphigénie ». C’est ainsi que cette dernière devient « la triste Iphigénie », victime tragique de ceux qui ne cessent de réclamer son immolation dans la situation de crise provoquée par le calme des vents. Le climax vers lequel l’action tend au cinquième acte, à savoir la cérémonie du sacrifice d’Iphigénie, s’explique donc par une logique de raisons politiques plutôt que par la nécessité d’une destinée voulue par les dieux. Même Iphigénie, toute croyante avant que son « triste sort » (IV, 4, v. 1207) ne lui soit révélée, perd sa confiance dans le monde divin et crée un autre espace Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 196 imaginaire qui lui donne du moins l’illusion de pouvoir survivre à son sacrifice voué aux besoins politiques de son pays. Son espoir de demeurer pour toujours dans la mémoire collective des peuples constitue pour elle, certes, un réconfort, mais n’offre pas de véritable solution à sa situation tragique parce qu’elle est obligée de payer sa future gloire d’une mort prématurée. Le tragique d’Iphigénie se constitue donc dans une atmosphère dominée par des intérêts humains et des espérances aussi profanes que vaines. Cette mise en cause d’une influence divine sur le sort humain par la création d’un tragique qui ressort en réalité des passions et des intérêts des individus se détache encore plus nettement au climax et au dénouement de la pièce. La tristesse des parents : Agamemnon cédant au « Camp tout entier 72 », Clytemnestre accusant Hélène Tout en croyant à l’existence des dieux, Agamemnon est loin d’accepter aveuglément leurs oracles. C’est pour cela qu’il essaie de faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher l’immolation de sa fille. Quand cette dernière apprend son sort funeste et supplie son père de protéger sa vie, il lui signale toutes les vaines tentatives qu’il a déjà entreprises à cette fin : Ma Fille, il est trop vrai. J’ignore pour quel crime La colère des Dieux demande une Victime. Mais ils vous ont nommée. Un Oracle cruel Veut qu’ici votre sang coule sur un Autel. Pour défendre vos jours de leurs lois meurtrières, Mon amour n’avait pas attendu vos prières. Je ne vous dirai point combien j’ai résisté. Croyez-en cet amour, par vous-même attesté. (IV, 4, v. 1221-28) Cependant, malgré tous ses efforts pour éviter le malheur dont sa fille est menacée, il doit finalement céder à « l’intérêt des Grecs » (IV, 4, v. 1231), avides, quant à eux, d’apporter Iphigénie en offrande aux dieux pour s’assurer ainsi les vents que ses derniers leur ont promis pour pouvoir mettre les voiles et lancer leur opération militaire contre les Troyens : Ne vous assurez point sur ma faible puissance. Quel frein pourrait d’un Peuple arrêter la licence, Quand les Dieux nous livrant à son zèle indiscret, L’affranchissent d’un joug qu’il portait à regret ? Ma Fille, il faut céder. Votre heure est arrivée. 72 Iphigénie, IV, 4, v. 1359. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 197 [...] Faites rougir ces Dieux qui vous ont condamnée. Allez. Et que les Grecs, qui vont vous immoler, Reconnaissent mon sang en le voyant couler. (IV, 4, 1237-48) Bien qu’Agamemnon cite ici les dieux comme source de son dilemme tragique, il souligne pourtant sans équivoque que les contraintes exercées sur lui par les Grecs, quant au sacrifice de sa fille, sont aussi puissantes que celles des dieux, sinon plus impératives. Clytemnestre, elle, est formelle quand il s’agit de nommer la véritable cause de la situation tragique que l’oracle de Calchas a déclenché. En reprochant à son époux d’être sur le point de devenir le « Bourreau de [sa] Fille » (IV, 4, v. 1251), elle accuse avant tout Hélène d’être coupable de toute la misère dont souffre sa famille parce qu’elle voit dans l’épouse du frère d’Agamemnon, enlevée par le prince troyen Pâris et « Objet de tant de jalousie » dans toute « l’Europe, et l’Asie » (IV, 4, 1277-78), la principale responsable de l’hostilité entre la Grèce et Troie et par conséquent également la cause de l’atroce supplice infligé par les dieux à sa fille : Un Oracle fatal ordonne qu’elle expire. Un Oracle dit-il tout ce qu’il semble dire ? Le Ciel, le juste Ciel par le meurtre honoré Du sang de l’Innocence est-il donc altéré ? Si du crime d’Hélène on punit sa Famille, Faites chercher à Sparte Hermione sa Fille. Laissez à Ménélas racheter d’un tel prix Sa coupable moitié, dont il est trop épris. Mais vous, quelles fureurs vous rendent sa victime ? Pourquoi vous imposer la peine de son crime ? Pourquoi moi-même enfin me déchirant le flanc, Payer sa folle amour du plus pur de mon sang ? Que dis-je ? Cet Objet de tant de jalousie, Cette Hélène, qui trouble et l’Europe, et l’Asie, Vous semble-t-elle un prix digne de vos exploits ? (IV, 4, v. 1265-79) Certes, Clytemnestre signale tout d’abord que ce sont les dieux qui ont ordonné le sacrifice d’Iphigénie, mais à y regarder de plus près elle se demande en même temps si l’oracle a vraiment tout révélé : « Un Oracle ditil tout ce qu’il semble dire ? » (IV, 4, v. 1266) On pourrait même conclure de ce doute de Clytemnestre qu’elle considère le message que les augures croient découvrir dans les signes du ciel comme une chimère humaine plutôt qu’une manifestation de la volonté divine. C’est ainsi qu’elle laisse entrevoir son scepticisme à l’égard de tous ceux qui sont convaincus que l’observance de l’oracle sera favorable à leur fortune : « Le Ciel, le juste Ciel Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 198 par le meurtre honoré / Du sang de l’Innocence est-il donc altéré ? » (IV, 4, v. 1267-68) Clytemnestre se montre donc peu fidèle à l’idée que les dieux interviennent dans les affaires des hommes. Elle cherche au contraire la cause du malheur de sa fille dans les passions humaines. Elle déclare Hélène coupable de la guerre de Troie et du rôle cruel que l’on a attribué, dans cette opération, à Iphigénie, victime, selon elle, des chefs de l’armée grecque parce qu’ils sont prêts à la sacrifier au profit de leurs ambitions belliqueuses. Elle explique toutes les souffrances tragiques ressortant de la querelle qui s’est enflammée entre les Grecs et les Troyens par la « folle amour » (IV, 4, v. 1276) de la belle Hélène qui se laissa enlever par Pâris et provoqua ainsi la guerre. À cela s’ajoute, selon elle, la vanité des chefs d’armée grecs, moins soucieux en fait de la volonté des dieux que de leur succès militaire et leur pouvoir politique. C’est ainsi que Clytemnestre donne à entendre à son époux que les véritables dieux qu’il adore ne sont pas ceux du ciel, mais toutes les stratégies politiques qui lui sont utiles à maintenir sa souveraineté absolue sur son royaume : Cette soif de régner, que rien ne peut éteindre, L’orgueil de voir vingt Rois vous servir et vous craindre, Tous les droits de l’Empire en vos mains confiés, Cruel, c’est à ces Dieux que vous sacrifiez. Et loin de repousser le coup qu’on vous prépare, Vous voulez vous en faire un mérite barbare. Trop jaloux d’un pouvoir, qu’on peut vous envier, De votre propre sang vous courez le payer, Et voulez par ce prix épouvanter l’audace De quiconque vous peut disputer votre place. (IV, 4, v. 1289-98) Et Agamemnon de confirmer entre les lignes les ambitions politiques que lui reproche son épouse quand il se défend contre les remontrances d’Achille qui, lui aussi, l’avait accusé de livrer sa propre fille aux mains de Calchas 73 : Plaignez-vous donc aux Dieux qui me l’ont demandée. Accusez et Calchas, et le Camp tout entier, Ulysse, Ménélas, et vous tout le premier. (IV, 4, 1358-60) Ces vers font nettement voir qu’Agamemnon hésite entre les dieux et leur prophète, les chefs de son armée et « le Camp tout entier » quand il s’agit de nommer l’auteur ou les auteurs du joug qui pèse sur lui. Il en ressort que la question de savoir si la revendication du sacrifice d’Iphigénie est d’origine divine ou humaine reste chez Agamemnon indécise. Ses doutes sont corroborés par le fait qu’il ose demander aux dieux de lui confirmer leur oracle une deuxième fois : 73 Voir la tirade d’Achille dans Iphigénie IV, 6, v. 1323-34. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 199 [...] grands Dieux, une telle Victime Vaut bien que confirmant vos rigoureuses lois, Vous me la demandiez une seconde fois. (IV, 9, v. 1466-68) Cette apostrophe adressée aux dieux montre qu’Agamemnon espère que l’oracle se révélera erroné. Que le ciel y réponde ou non, le résultat restera le même : la voix du peuple et celle de Calchas, d’Ulysse, de Ménélas et du « camp tout entier » ne cesseront de pousser Agamemnon à décider du sort de sa fille. Ce sont en réalité ses semblables qui exigent de lui cet acte monstrueux remplissant selon eux la fonction d’un acte rituel censé être favorable à leurs ambitions militaires. C’est pourquoi Agamemnon ne voit aucune autre issue pour sauver la vie de sa fille que de veiller à ce qu’elle s’enfuie clandestinement d’Aulide 74 . Toutefois, les personnages sont tellement entraînés par leurs émotions qu’ils ne peuvent s’empêcher de contrecarrer le plan d’Agamemnon et d’aggraver les conditions tragiques de leur drame. C’est Agamemnon lui-même qui est le premier à déclencher ce cheminement vers le pire en demandant à sa fille de ne jamais revoir Achille. Mais Iphigénie s’y oppose : plutôt que de renoncer à sa passion pour son amant, elle préfère céder au coup mortel que Calchas est résolu à lui donner au temple d’Artémis. Le sacrifice de son amour paraît donc à Iphigénie plus atroce que celui de sa vie : Achille trop ardent l’a peut-être offensé. Mais le Roi, qui le hait, veut que je le haïsse. Il ordonne à mon cœur cet affreux sacrifice. Il m’a fait par Arcas expliquer ses souhaits, Aegine, il me défend de lui parler jamais. [...] Ah sentence ! Ah rigueur inouïe ! Dieux plus doux ! vous n’avez demandé que ma vie. Mourons, obéissons. [...] (V, 1, v. 1508-15) C’est enfin Ériphile qui, jalouse d’Iphigénie, révèle le plan d’Agamemnon à Calchas pour que ce dernier la retienne, comme Ériphile l’avoue à sa confidente Doris : Ah ! je succombe enfin. Je reconnais l’effet des tendresses d’Achille. Je n’emporterai point une rage inutile. Plus de raisons. Il faut, ou la perdre, ou périr. Viens, te dis-je. À Calchas je vais tout découvrir. (IV, 11, v. 1488-92) 74 Voir Iphigénie IV, 10. Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 200 À la scène quatre du cinquième acte, la trahison d’Ériphile est fait accompli. C’est là qu’Aegine transmet à Clytemnestre la mauvaise nouvelle que son dessein de s’enfuir d’Aulide avec sa fille a été déjoué par Ériphile : Ah ! Savez-vous le crime, et qui vous a trahie, Madame ? Savez-vous quel Serpent inhumain Iphigénie avait retiré dans son sein ? Ériphile en ces lieux par vous-même conduite, A seule à tous les Grecs révélé votre fuite. (V, 4, v. 1674-78) Malgré les dieux que les personnages de la pièce mettent par-ci par-là en jeu pour expliquer leur sort insondable, nos analyses ont montré jusqu’ici que ce sont en fait surtout leurs passions, comme leurs ambitions politiques, leurs rivalités, leur amour, leur jalousie, leur rage, qui engendrent en eux les dilemmes tragiques dont ils souffrent : quant à Agamemnon, il est déchiré entre son amour paternel qui l’incite à sauver sa fille, et sa « soif de régner » (IV, 4, v. 1285) qui le porte à céder à la pression de ses pairs qui veulent qu’il sacrifie la chair de sa chair aux intérêts de la patrie ; pour ce qui est d’Iphigénie, elle est obligée de faire face à cette affreuse alternative : ou bien s’évader d’Aulide et se séparer à jamais de l’homme dont elle est passionnellement éprise ou bien demeurer et se sacrifier gratuitement pour son amour et sa patrie ; en ce qui concerne Ériphile, éperdument amoureuse, elle aussi, d’Achille, ses pensées oscillent entre la trahison de celle qui l’a si chaleureusement accueillie dans sa famille et le suicide pour ne pas devenir désormais témoin du bonheur du couple amoureux (« Il faut, ou la perdre [Iphigénie], ou périr », IV, 11, v. 1491). Sa passion l’amène à opter décidément pour son amour et contre la vie d’Iphigénie. Mais la péripétie tardive de la pièce, qui coïncide avec sa catastrophe, nous révèle une troisième dimension du tragique de la figure d’Ériphile. Le secret de cette dernière s’annonce déjà dans la tirade de Clytemnestre à l’Acte IV, scène 4, où la mère d’Iphigénie accuse Hélène d’être la cause non seulement de la guerre de Troie, mais aussi de tant d’autres litiges nés des folles amours de cette femme séduisante 75 . Avec des paroles sibyllines, Clytemnestre n’hésite pas à donner à Agamemnon un exemple de ces autres aventures amoureuses d’Hélène : Avant qu’un nœud fatal l’unît à votre Frère, Thésée avait osé l’enlever à son Père. Vous savez, et Calchas mille fois vous l’a dit, Qu’un Hymen clandestin mit ce Prince en son lit, Et qu’il en eut pour gage une jeune Princesse, Que sa Mère a cachée au reste de la Grèce. (IV, 4, v. 1281-86) 75 Voir v. 1265-86. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 201 La véritable portée de cette liaison entre Hélène et Thésée ne se manifestera qu’au dénouement de la pièce. Ériphile se sacrifiant : l’amour tragique de l’« autre Iphigénie » Ce qui reste énigmatique dans les allusions de Clytemnestre aux amours d’Hélène et de Thésée est l’identité de cette « jeune princesse » née comme fruit de leur couche. Ce secret finit par se dévoiler lors de la cérémonie sacrificielle rapportée par Ulysse dans la dernière scène de la pièce. C’est dans ce récit qu’il annonce à Clytemnestre que sa fille a été épargnée au dernier moment parce que Calchas a réclamé soudainement comme victime « une autre Iphigénie » dont il n’hésite pas à révéler l’identité dans son discours prononcé devant ceux qui se sont rassemblés devant l’autel : Un autre sang d’Hélène, une autre Iphigénie Sur ce bord immolée y doit laisser sa vie. Thésée avec Hélène uni secrètement Fit succéder l’hymen à son enlèvement. Une Fille en sortit, que sa Mère a celée. Du nom d’Iphigénie elle fut appelée. [...] Elle me voit, m’entend, elle est devant vos yeux, Et c’est elle, en un mot, que demandent les Dieux. Ainsi parle Calchas. Tout le Camp immobile L’écoute avec frayeur, et regarde Ériphile. (V, sc. dern., v. 1749-62) Avant que Calchas puisse saisir cette véritable Iphigénie amenée, selon ses propres dires, par sa « noire destinée » « [s]ous un nom emprunté » en Grèce et en Aulide 76 , Ériphile le précède dans l’exécution de son acte sanglant : Furieuse elle vole, et sur l’autel prochain, Prend le sacré couteau, le plonge dans son sein. (V, sc. dern., vv. 1775-76) La raison pour laquelle Ériphile décide de se sacrifier si promptement de son plein gré est limpide. Certes, elle n’aurait pas pu échapper à son bourreau, puisque que la voix de la foule, qui considère son immolation comme la condition nécessaire de la victoire de la Grèce sur Troie 77 , réclame impitoyablement sa mort, mais elle aurait pu se révolter moralement contre cet acte de violence en protestant de son innocence ou en plaignant son rôle de 76 Voir Iphigénie, V, sc. dern., v. 1757. 77 Voir Iphigénie, V, sc. dern., v. 1768-70 : « Mais puisque Troie enfin est le prix de sa mort, / L’Armée à haute voix se déclare contre elle, / Et prononce à Calchas sa sentence mortelle. » Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 202 victime. Cependant, rien de tout cela, car Ériphile sait qu’elle n’est pas innocente du drame tragique de ses proches : elle a trahi par jalousie l’« aimable Iphigénie » qui l’a gratuitement protégée jusqu’ici et qui a failli d’être immolée à sa place. Sa décision de mourir volontairement s’explique donc par les remords qui la tourmentent à cause de son infidélité à l’égard des personnes qui lui ont été bienfaitrices, comme l’explique Ulysse à Clytemnestre : Elle était à l’Autel, et peut-être en son cœur Du fatal Sacrifice accusait la lenteur. Elle-même tantôt d’une course subite Était venue aux Grecs annoncer votre fuite. (V, sc. dern., vv. 1763-66) Néanmoins, il existe encore un autre motif pour lequel Ériphile est prête à se suicider. Elle se rend tout de suite compte que le sauvetage de l’autre Iphigénie signifie qu’elle devra, elle, renoncer pour toujours à son amour pour Achille. C’est donc l’« auguste Alliance 78 » du couple amoureux, annoncée dans les derniers vers de la pièce, qu’Ériphile, jalouse et furieuse, pressent. Contrairement à Iphigénie et à Agamemnon, Ériphile ne se laisse guider ni par un oracle quelconque des dieux ni par des raisons politiques, mais seulement par ses mobiles intérieurs qui l’entraînent bon gré mal gré dans des situations tragiques sans issue. Même Calchas ne peut pas s’empêcher de faire remarquer que les vicissitudes de la vie d’Ériphile ne sont pas seulement motivées par l’impact des dieux, mais aussi par ses émotions : « [...] sa noire destinée / Et ses propres fureurs ici l’ont amenée. » (V, sc. dern., vv. 1757-58) Épilogue : « Calchas seul règne, seul commande 79 » Revenons, au terme de nos analyses, sur la question de savoir quel est au juste le rôle des dieux dans le drame vécu par les personnages d’Iphigénie de Racine. Les dieux sont-ils les metteurs en scène de leur destinée ou les spectateurs indifférents de leurs tourments ? Ou bien sont-ils des fictions qui servent aux personnages dramatiques de figures rhétoriques pour donner une expression convenable au caractère interdit, inouï, incontournable, violent, monstrueux des passions qui déterminent parfois avec impétuosité leurs actions et réactions ? Malgré les scènes fréquentes où les personnages paraissent croire que leur sort est uniquement fixé par le monde divin, nombreux sont les cas aussi où nous avons pu constater qu’ils sont entière- 78 Voir Iphigénie, V, sc. dern., v. 1794. 79 Voir Iphigénie, V, 3, v. 1625. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 203 ment sous l’emprise de leurs passions quand ils sont obligés de faire face à une crise morale. Or, il est intéressant de noter que même les personnages de la pièce osent signaler de temps à autre leur doute au sujet de la toutepuissance des dieux et se prononcent plus ou moins nettement en faveur d’une explication profane des événements qui sont survenus en Aulide. C’est Eurybate, la confidente de Clytemnestre, qui est, par exemple, la première à considérer franchement non pas les dieux, mais Calchas comme la seule source de la demande du sacrifice : Ce n’est plus un vain Peuple en désordre assemblé. C’est d’un zèle fatal tout le Camp aveuglé. Plus de pitié. Calchas seul règne, seul commande. La Piété sévère exige son Offrande. Le Roi, de son pouvoir se voit déposséder, Et lui-même au Torrent nous contraint de céder. Achille à qui tout cède, Achille à cet orage Voudrait lui-même en vain opposer son courage. (V, 3, v. 1623-30) Il ressort de cette citation qu’Eurybate prend Calchas pour le véritable metteur en scène des situations tragiques qui jalonnent le chemin des protagonistes de la pièce. Cet augure est donc, selon elle, un homme qui s’attribue le rôle des dieux pour régner souverainement sur le sort de ses semblables. L’autorité sacrée de sa fonction de prêtre le rend même capable de détrôner le pouvoir du roi et de rendre vaine la témérité des grands héros comme par exemple celle d’Achille. Mais contrairement aux dieux, Calchas est un être humain soumis, lui aussi, à ses propres passions. C’est avec « Piété sévère », à savoir avec trop de zèle religieux qu’il exige comme geste symbolique l’offrande d’Iphigénie au lieu d’un sacrifice d’animal pour mettre l’entreprise de l’armée grecque sous les bons auspices de la fortune. Au moment même où Calchas se présente comme le porte-parole du ciel en déclarant que les dieux réclament désormais le sang de l’« autre Iphigénie », Ulysse, pour sa part, exprime discrètement ses doutes sur l’origine divine des propos de l’augure : Entre les deux partis Calchas s’est avancé, L’œil farouche, l’air sombre, et le poil hérissé, Terrible, et plein du Dieu, qui l’agitait sans doute. (V, sc. dern., v. 1743-45) Avec la petite remarque « sans doute », Ulysse met presque insensiblement en cause l’inspiration divine de Calchas. Et finalement Ériphile, quant à elle, se garde avec vigueur d’être saisie par ce dernier, non pas pour fuir devant celui qui se prépare à la tuer, mais pour se poignarder elle-même dans la Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 204 crainte d’être souillée par les « profanes mains » du maître de la cérémonie sacrificielle : Arrête, a-t-elle dit, et ne m’approche pas. Le sang de ces Héros, dont tu me fais descendre, Sans tes profanes mains saura bien se répandre. (V, sc. dern., vv. 1772-74) Dans ces vers, le pouvoir divin que Calchas prétend ressentir en lui est donc désacralisé par Ériphile. Par ailleurs, les forces physiques dont disposent l’héroïque Achille sont, au contraire, divinisées. Quand Clytemnestre interprète le tonnerre et le tremblement de terre qu’elle croit percevoir au moment où sa fille est emmenée au sacrifice comme les signes d’un « Dieu vengeur » qui « fait retentir ces coups » (V, 4, v. 1699), Arcas, son domestique, voit ce dieu dans Achille courant avec fureur au secours d’Iphigénie : N’en doutez point, Madame. Un Dieu combat pour vous. Achille en ce moment exauce vos prières. Il a brisé des Grecs les trop faibles barrières. Achille est à l’Autel. Calchas est éperdu. Le fatal Sacrifice est encore suspendu. (V, sc. dern., v. 1700-04) Que Calchas soit privé de sa fonction d’inspiré divin ou qu’Achille soit élevé au trône d’un héros divin, les deux procédés signalent en conséquence la même tendance : le monde profane l’emporte dans l’univers tragique de Racine sur le monde divin. Dans les cas où le lexique qui suggère la toutepuissance des dieux se manifeste dans la pièce, ce n’est en réalité que pour souligner sur le plan rhétorique l’importance des passions humaines comme instigateur des vicissitudes tragiques de la vie. En tout état de cause, vers la fin de la pièce, tout concourt à signaler que le tragique qui prédomine dans la trame d’Iphigénie n’a guère son origine dans l’empire des dieux mais dans la nature affective des hommes. Reste à savoir comment entendre les tout derniers vers de la pièce qui vont à l’encontre de la thèse que nous venons de soutenir, à savoir l’absence d’une influence divine sur le sort des personnages d’Iphigénie. Après avoir annoncé à Clytemnestre le suicide d’Ériphile, Ulysse lui raconte notamment les incidents qui sont survenus immédiatement après cet acte de l’« autre Iphigénie » en soulignant en premier lieu le retour des vents que Calchas avait prédits au cas où une jeune fille du nom d’Iphigénie serait sacrifiée aux dieux : A peine son sang coule et fait rougir la terre ; Les Dieux font sur l’Autel entendre le tonnerre, Les Vents agitent l’air d’heureux frémissements, Et la Mer leur répond par ses mugissements. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 205 La Rive au loin gémit blanchissante d’écume. La flamme du Bûcher d’elle-même s’allume. Le Ciel brille d’éclairs, s’entr’ouvre, et parmi nous Jette une sainte horreur, qui nous rassure tous. Le soldat étonné dit que dans une nue Jusque sur le bûcher Diane est descendue, Et croit que s’élevant au travers de ses feux, Elle portait au ciel notre encens et nos vœux. (V, sc. dern., v. 1777-88) À la lecture de ce récit, on ne peut s’empêcher de constater l’ironie avec laquelle Racine met en vers le retour des vents après le décès d’Ériphile : selon les dires d’Ulysse, l’air est comblé de « tonnerre » bruyant et « d’heureux frémissements », « la mer leur répond par ses mugissements » et la « rive au loin gémit ». La discordance rhétorique qui marque la présentation pathétique du décès d’Ériphile - « son sang coule et fait rougir la terre » - et la description anthropomorphe et zoomorphe du retour assourdissant des vents - « frémir », « gémir », « mugir » - fait triompher la « tristesse majestueuse » d’Ériphile, image sublime de la femme souffrante, sur la « sainte horreur » censée émaner d’une force surnaturelle, mais qui, au bout du compte, ne se révèle que comme une illusion humaine. La vision du soldat par laquelle les vers cités ci-dessus se terminent est formelle à ce propos. Nous avons déjà mentionné que ce témoignage d’un homme simple qui croit voir descendre du ciel la déesse de la chasse est loin d’être digne de confiance et contribue plutôt à saper la foi en l’empire des dieux que de la soutenir. En guise de conclusion Compte tenu des analyses que nous avons présentées dans cet article, il nous semble plus que probable que la seule raison pour laquelle Racine clôt sa pièce par l’arrêt du calme des vents réside dans le fait qu’il voulait rester conforme au mythe antique bien connu auprès des spectateurs du XVII e siècle. C’est grâce à cette fidélité à un détail décisif du mythe de la guerre de Troie que Racine était en mesure d’observer le principe de la vraisemblance auquel il tenait particulièrement, comme il en ressort de maintes remarques qu’il a faites là-dessus dans les préfaces de ses pièces 80 . Attentif 80 Voir la « Seconde Préface » d’Alexandre le Grand dans l’édition Morel/ Viala : « Il n’y a guère de tragédie où l’histoire soit plus fidèlement suivie que dans celle-ci. » (p. 72) ; la « Préface » de Bérénice, éd. Forestier : « Il n’y a que le vraisemblable qui touche dans la Tragédie. » (p. 451) ; la « Préface » de Mithridate, éd. Forestier : Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 206 aux attentes de ses spectateurs, Racine n’aurait pas pu envisager un dénouement qui admette que « la guerre de Troie n’aura pas lieu », comme l’a postulé Jean Giraudoux au XX e siècle avec le titre de sa pièce éponyme. Or, on le sait, chez Giraudoux ce titre n’exprime que le souhait que cette guerre puisse être évitée, car, malgré toutes les précautions d’Hector, elle éclatera également dans la pièce de l’auteur dramatique du XX e siècle. Mais dans le cas de Racine, le problème tragique de ses personnages ne se pose pas en termes de guerre ou de paix, mais en termes de passions qui les entraînent vers l’extrême malheur. Peu importe pour Ériphile que la guerre de Troie ait lieu ou non, ni que les dieux soient satisfaits ou non, elle se sacrifie à cause de son amour contrarié pour Achille. C’est pourquoi, le retour des vents est chez Racine une nécessité purement poétique visant à assurer la crédibilité de sa fable dramatique. Que les vents évoqués par Ulysse soient amenés par l’intervention des dieux ou par un hasard météorologique n’a en fait aucune importance pour la qualité du tragique que Racine prête à ses personnages. Vu sous cet angle, Ériphile est la véritable héroïne tragique de la pièce : furieuse, jalouse, fougueuse, traîtresse, encline à aller avec ardeur jusqu’au bout de l’extrême. La fille d’Agamemnon, au contraire, est trop aimable et trop docile, donc moralement trop intègre, pour parvenir malgré le sacrifice terrible qui menace sa vie à cette grandeur ou, répétons-le, à cette « tristesse majestueuse » « soutenue de la violence des passions 81 » qui est le propre du caractère tragique d’Ériphile. Quant à Iphigénie, elle continue à témoigner de son altruisme au moment même où sa rivale, qui l’a trahie et n’a cessé de lui disputer son amant, s’est suicidée tandis que le reste du camp, enthousiaste, se prépare à partir en guerre : Tout s’empresse, tout part. La seule Iphigénie Dans ce commun bonheur pleure son Ennemie. (V, sc. dern., v. 1789-90) Malgré ce bonheur que partagent les guerriers grecs, contents de pouvoir finalement faire voile à destination de Troie, l’Iphigénie de Racine est une tragédie parfaite qui remplit suffisamment les présupposés qu’Aristote a considérés comme essentiels pour le tragique de ce genre : les malheurs qui surviennent à des personnes proches et qui les conduisent à des conflits aporétiques dont elles ne sortent que désespérées, vaincues ou mortes. Que ces conflits soient déterminés par une puissance divine ou non est une question insignifiante dans le contexte d’une définition de la tragédie. Nos observations sur l’Iphigénie de Racine l’ont bel et bien démontré : les situations tragiques de la pièce sont surtout motivées par les ambitions « [...] tout le monde reconnaîtra aisément que j’ai suivi l’Histoire avec beaucoup de fidélité. » (p. 629) 81 Voir la « Préface » de Bérénice, éd. Forestier, p. 450 et p. 451. Iphigénie de Racine et le tragique des actions humaines PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 207 politiques ou les impulsions passionnelles des personnages qui, certes, réfèrent souvent à l’omnipotence des dieux, mais ceci dans le seul et unique but de donner encore plus de poids à l’expression de leurs mobiles intérieurs 82 . Bibliographie Sources Boileau, Nicolas. Œuvres complètes, introduction par Antoine Adam, textes établis et annotés par Françoise Escal. Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1966. Corneille, Pierre. Œuvres complètes, I, textes établis, présentés et annotés par Georges Couton. Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980. Corneille, Pierre. Œuvres complètes, III, textes établis, présentés et annotés par Georges Couton. Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1987. Dictionnaire de l’Académie française en ligne. Première Édition, 1694. ARTFL Project, The University of Chicago. Copyright © 2001, consulté le 9 août 2018. 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Dans son livre Le silence trahi, Racine ou la déclaration tragique (Genève, Droz, 2018), Jennifer Tamas montre de façon très convaincante que la tension tragique des personnages raciniens est constamment nourrie par le souci de cacher leurs troubles intérieurs d’une part et le besoin, voire le désir de les articuler tout de même de l’autre. Voir, par exemple, la citation suivante qui constitue un condensé de sa thèse : « Racine restitue à la fatalité son sens étymologique : le fatum n’est rien d’autre que ce qui a été pré-dit. La déclaration d’amour ou la déclaration de foi - qui, nous le verrons, ne sont jamais autre chose que des déclarations d’identité - incarnent l’énoncé fatal dont les personnages ne peuvent jamais relever. […] La force incoercible de cette parole sans cesse retenue et retardée est source de destruction. Même les couples qui partagent l’amour apparemment le plus pur sont déchirés de l’intérieur par leurs propres doutes et leur manque de confiance. » (p. 23-24) Rainer Zaiser PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0009 208 Racine, Jean. Œuvres complètes, I : Théâtre-Poésie, édition présentée, établie et annotée par Georges Forestier. Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999. Schelling, Friedrich Wilhelm. Lettre sur le dogmatisme et le criticisme (1795), trad. S. Jankélévitch. Paris, Aubier 1950. Tragiques grecs : Euripide, texte présenté, traduit et annoté par Marie Delcourt- Curvers. Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1962. Études Barthes, Roland. Sur Racine. Paris, Seuil, « Points Essais », 1963. Biet, Christian. La Tragédie. Paris, Armand Collin, « Cursus Lettres », 1997. Bruneau, Marie-Florine. Racine. Le jansénisme et la modernité. Paris, Corti, 1986. Campbell, John. « ‘Enseigner Racine’ : mission impossible ? », dans Ronald W. 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Jean-Michel Gros starts off from Cavaillé’s 2010 volume, Libertinage et philosophie au XVII e siècle, by boldly juxtaposing readings of Cyrano de Bergerac’s Histoire comique des États et Empires de la Lune (1657), Mersenne’s L’Impiété des Déistes (1624), and Pascal’s Pensées. The intention is not to respect genres, disciplines, and chronology: indeed, to have Pascal reading Cyrano on the wager is a topos that appears at least fourteen times in French literary works of the 1620s and that generally is found in straightforward narrative prose without calling particular attention to itself. Both Cyrano and Mersenne present the terms of the wager, although they are located in two very different genres: a philosophical novel and a theological apologetic. Banal and vague, in these works, Pascal would create for the anxious doubter something to hang onto. The wager ceased to be a boutade and became an axiom! Gros is delightfully casual about this outcome and offers no approach to critiquing Pascal’s wager. In the second part of Gros’s close reading of Bayle on evil and Leibniz’s rather overwrought response bring us back, front and center, to the question of diffusing libertine ideas. Gros does not turn biographical. He does not ask why evil in all its terrible details interested Bayle so much. Is he concerned about undermining religious belief as he strove to refute various theological propositions and to enhance the exemplum of the philosopher as one who pursues truth? Augustine argued that religious controversy ultimately builds faith. In his Dix Lamentations (1611), the Spanish Carmelite, Jérôme Gratian de la Mère de Dieu, sought to inventory all aspects, and even all tendencies of heterodox thought; and it is to Sophie Houdard’s credit that she proposes a diverse series of contexts before concentrating on the thought that chagrined Gratian, the most spiritual of athéismes. There were the perfectionists who “sous le titre et sous couleur d’oraison, et de perfection et d’esprit (en paraissant très parfaits) suivent en verité leur liberté, la foi et la loi qu’ils se forgent de leur propre chef, comme s’ils étaient Dieu” (p. 33). The scandal here is of two sorts: faith outside the church, and projection of PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0010 214 the self into belief. There have been, would be, and will be variations on this generic definition. Houdard briefly and convincingly offers accounts of special perfectionism, and she stresses the rise of new religious orders to elucidate, question, convert, or destroy perfectionism, illuminism, essentialism, excellent[ism], etc., each being a unique danger. Was this attractiveness of categories simply a variant of late Aristotle in Spanish “observation,” or was it something else? Ever more precise definitions moved toward lack of comprehension. The tower of Babel comes to mind. A similar obsession with ever more precise definitions occurred in Spanish America about racial distinctions. What can only be considered a perfectly constructed and learned article written in the simplest and most convincing prose by Gianni Paganini recounts the history of the metaphor “condensed analogy,” consisting of comment and reason (meta) with a theme (phore). She then turns to her subject: the world-as-theater, or the theater-as-world. She briefly presents La Mothe Le Vayer’s and Naudé’s thought about it. From its early beginnings in Plato’s Laws, the possibilities of inspiring wonder (my term) and/ or doubt appear often as serious play over the central question of man’s relation to the divine. I am not sure that I agree with Paganini’s interpretation of La Mothe’s purposes in writing Les Monstres. Instead of just offering a critique of human efforts to inventory natural phenomena, which La Mothe does, there is also a question of preserving the unlearnability of nature as being just too complex and too vast for human reason to grasp, and this point comes along in metaphors in a ludic frame with the divine being as the player. Is man merely a plaything in the hands of the divine? Plato makes this assertion and ties it to the role that the theater plays, first in constructing and then in strengthening civic identity, while also gaining more support from the gods. If Plato is thinking about shackling human will, he does not bring up objects to divine play at this point. The theater-world metaphor was known in the Middle Ages, thanks to a pseudo-Aristotelian text; but it would really only attract many writers of the Renaissance. Ficino and Pompanazzi celebrated the metaphor, because in the translation man is made a puppet or a toy. Pompanazzi, who knew no Greek, nonetheless rejected the optimistic interpretation in favor of a darker, more sinister meaning. He persisted that God was good. What becomes of toys, in a world without play? An introductory paragraph about the various recent interpretations of Hobbes’s appendices to his Latin edition of the Leviathan would have enabled this reader to learn exactly what Anne Staquet has accomplished. Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0010 215 Were these appendices answers to critics? Hobbes apparently does not name names or write in the form of a rejoinder. Another possibility is that they are simply an afterthought, and that resetting page upon page of cold type in order to integrate these paragraphs into the principal text would have been too costly. The rhetoric, and the argument are sharper edged, and undoubtedly a joy to read for anyone with a philosophic turn of mind. For example, the careful treatment of the drafting of the Credo at the council of Nicea, and of other doctrinal texts, is apparent in Hobbes and Pascal. But the theologians were losing out. The apparent contradictions between sacred texts on such crucial issues as the eucharist no doubt gave Hobbes satisfaction. After a general presentation of Theophrastus redivis (1659), an anonymous work by the writer whom Nicole Gengoux calls l’Anonyme (“Anonymous”) she non-casuistically takes up many but not all of the definitions of atheism. Then, step by step, she reads the Theophrastus to find the absence of familiarity, or the acceptance of atheistic tenets. Studied ambiguity is discovered at almost every turn, except for the argument that all divine figures are the products of law-givers. Anonymous celebrates nature and the natural pre-law moral man, who is an atheist; but he also recognizes that law cannot simply be rejected, for without it, social disorder threatens. Interestingly, while several libertine authors drop one of the initial attributes - immoral conduct - Anonymous keeps it but rejects the notion that libertinism leads to immorality. The decision to compare Anonymous’s attitudes toward atheism and those of Spinoza in his Traité théologicopolitique (1670) leads to finding some interesting similarities, the most important being that neither author found it possible to declare himself an atheist, although with different assumptions each held generally atheistic views. Secondly, both are anxious to refute claims that religion is a necessary pre-condition for moral standards. Spinoza’s naturalism is religious; but in the case of Anonymous’s idea of nature, a more utopian and more evidently mythical element was a point of departure. In Spinoza, by contrast, it is possible for the reader to think of the possibility of experiencing life with Nature as God. It is pleasant to note the rejection of a Leo-Straussian reading-between-the-lines when interpreting Spinoza. Moving along chronologically, after Spinoza (and Bayle) one might expect a non-religious atheistic author in the canon, such as Abbé Meslier; but he does not appear in this volume. Instead, the turn is to Abbé Galiani, the Neapolitan gad-fly and author of pithy dialogues. Azzurra Mauro takes PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0010 216 up his rhetoric, especially Galiani’s way of writing exhortations that he finds in the Dialogue sur le commerce des blés (1770). In his effort to gain a large readership, Galiani wrote in the dialog genre, with masterly control of irony aimed at arguments grounded on exemplarity and experience. He exhorts readers to reflect and rely on bon sens, a theory avant la lettre. There would be no overt skepticism here, but rather a casual doubt about how individuals think and societies work. Dare to philosophize is the motto of “the chevalier.” But the question comes up again about how the eighteenth-century salonniers often lacked an epistemology grounded on a vocabulary that could be distinct from polite rhetoric. To favor réflection over pensée may well have been a move against Cartesianism. But could it inspire systematic doubt? If we follow the trajectory of defining terms across the early modern centuries, we find a shift from behavior to thought, not so much in conformity of belief as in acts incarnating belief, a questioning attitude toward belief became stronger, and this occurred in the sillon of Protestantism. The moeurs of La Mothe Le Vayer, Naudé, Hobbes, and Spinoza seem neglected. Did the seventeenth-century French produce writings of the stamp of a Boccaccio or an Aretino? The celebration of female beauty, so present in the sixteenth century, also dried up. Didier Foucault does not address the impulses that led to newer combinations of philosophy and pornography that did not come together until the 1740s. Arguments grounded on Nature (with a capital N) and medical theory are extended to recommend sexual experience for the betterment of the soul. It is possible to wonder whether the philosophy found in novels by Gervais de la Touche and Abbé Duprat is there to legitimate pornography; but this of course made little difference from the perspective of consequences. Didier Foucault does not give us a reading of Montesquieu’s Temple de Gnide or Diderot’s Bijoux indiscrets; nor does he extend his project to the quite un-Enlightened works of Sade. He makes a strong case, however, for an evolution in thinking about female gender, arguing that there is some humanizing conscience in the Enlightenment, and I would agree. But did the quite vitriolic debates about so many issues in the seventeenth century, which diffused skeptical ideas in works written to refute them (Alan Kors) give way to the heavy hand of politesse? The venerable adage about the charcoal-maker’s faith, or lack thereof (he believes what the church believes, and the church believes what he believes), provides Alain Mothu with a key for proposing a very strong and valuable summa on the religious history of Europe in the early-modern centuries. His account of religious beliefs does not square, however, with Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0010 217 what the peasants of Montaillou believed (according to Bishop Fournier). There is little doubt that Catholicism, among country people all across Europe, consisted of a superficial and externalized corpus of rituals and practices. The charcoal-maker adage seems to have appeared as early as the late-sixteenth century, and this fact suggests a more subtle awareness of what was at stake in educating the lower clergy. Tyler Lange’s The First French Reformation (Cambridge, UK, 2014) suggests that the increased independence from Rome prepared by humanist learning and the reading of canonical texts individually would be a problem until French Catholics stopped reading the Bible (they had barely started! ), and reading-preaching matter became much more uniform and univocal. Did the Catholic Church change so much in the sixteenth century that the charcoal-maker lost his way? A sunset moment occurred in the 1620s when debates over Augustinian teachings led to a certain zizanie among clerical elites. During a visit to Paris, the charcoal-maker witnessed a fruit tree in full bloom in the middle of winter, his grandson waited on his knees before a miracle at Port- Royal, and his great-great-granddaughter eagerly worshiped at Saint- Médard. The soundness of Alain Mothu’s history of the church is to be commended. 1 Orest Ranum 1 This last article actually appears between those of Houdard and Paganini; but I took it up last, in order to write a conclusion that suggests continuity. PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0011 218 Suzanne Duval : La Prose poétique du roman baroque (1571-1670). Paris, Classiques Garnier, « Lire le XVII e siècle », 2017. 709 p. Le titre du présent ouvrage comporte une notion « chargée d’une connotation préromantique qui semble a priori difficilement applicable à la lourdeur légendaire du style des romans baroques » (11). Au XVII e siècle, la « représentation déformée et polémique » (22) du « parler roman », qui désignait auparavant « le français courtois et raffiné divulgué par les œuvres fictionnelles du Moyen Âge » (176), caricaturait les traits spécifiques de ce genre littéraire. Suzanne Duval a le courage de subvertir ce cliché erroné en insérant les romans dans la tradition rhétorique et poétique, négligée par ceux qui vilipendent la structure spécifique de cette forme littéraire de la première modernité. Elle parvient à une correction de la bévue en situant les normes de ce genre littéraire dans le contexte du « modèle discursif mondain » (623) de la conversation. Dans cette perspective, « la frontière séparant la prose de la poésie tend à s’estomper à la faveur d’un art de l’agrément jouant notamment sur le mélange et la variété des formes » (623). La vérification de cette hypothèse profite des travaux récents sur l’argument en les complétant à bien des égards. Les trois sections du volume se complètent mutuellement. Une première partie intitulée « À la recherche de la prose poétique » (31-244) focalise l’attention sur la théorie littéraire, particulièrement sur le « paradoxe » (31) du syntagme « prose poétique », sur les « rencontres de la prose et de la poésie » (95) du Moyen Âge et de la Renaissance à la littérature galante du premier XVII e siècle et sur la « situation du genre romanesque » (161) face au style de l’épopée et aux agréments de la poésie. La deuxième partie, consacrée aux « constellations de la prose poétique » (245-485), passe à une lecture passionnante d’épisodes exemplaires choisis tirés du corpus des romans. Dans l’optique de l’élocution, elle focalise l’attention sur « les lieux poétiques » (245) de la diction poétique symbolisée par « la langue des dieux mise en roman » (309) et sur ses rapports variés avec la tradition poétique. Les portraits, les plaintes et les descriptions constituent les « beaux endroits » (245) enchâssés dans le récit romanesque. Les « beaux mots » (310), les « grâces du nom commun » (318) ou les « agréments du style fleuri » (336) sont les ornements prisés par les romanciers. La prose romanesque est « le principal laboratoire du sublime délicat et amoureux » mis en œuvre « à travers les usages de l’hyperbole, de la métonymie et enfin du rythme » (364). Mme Duval se penche ensuite sur ce qu’elle appelle alors une « peinture parlante, c’est-à-dire une mimèsis en mouvement » (385). La troisième partie (486-622) fournit une synthèse des analyses précédentes par le parcours « de la prose poétique à l’esthétique romanesque » (486). Elle recourt 219 au paradoxe en présentant « une poétique de l’imperfection » (491) et caractérise les tournures poétiques par l’intitulé d’un chapitre « à sauts et à gambades : le récit en forme de promenade » (507). La conclusion (623-628) retient quatre « patrons stylistiques » du corpus examiné : 1. l’« élaboration en prose d’une topique et d’un trésor de figures empruntées à la tradition poétique », 2. la « mise en œuvre d’une douceur rythmique », 3. la « diversification polyphonique des discours énonciatifs », 4. la « mise en évidence de la liberté d’un discours régi par le plaisir de celui qui l’énonce » (624). Suzanne Duval combine la lecture rhétorique avec la narratologie ainsi que les analyses inspirées par Genette avec la stylistique contemporaine. Sa critique pertinente de la théorie de l’écart linguistique (57-62) lui permet de réhabiliter la prose poétique du roman baroque qui « emblématise une pratique d’écriture moderne irréductible aux catégories de la prose et de la poésie » (195) propagés par Jacobson. Les romanciers « prétendent capter la bienveillance du public mondain en inventant un discours qui absorbe tous les agréments du bel usage » (310) et en optant « pour l’élégance plutôt que pour la rareté » (317). Suivant l’idéal de la douceur, ils conforment le rythme libre de la prose à « l’allure naturelle de la conversation tout en recourant parfois aux agencements rythmiquement plus contraints que sont les figures gorgianiques, les figures de mots et enfin les vers insérés » (354). Ils explorent la vie psychique dans le cadre de « l’allure familière de l’échange amical » (423) mondain. La rhétorique de l’ekphrasis, qui assimile la fiction poétique à la peinture ou au tableau, « favorise l’abondance de détails et la virtuosité stylistique tandis que l’hypotypose assure la dramatisation de l’énoncé » (406). La mise en scène du narrateur par une intervention directe s’adressant au lecteur trouve son corollaire dans « la mise en valeur des discours ingénieux du narrateur et des personnages » (493). Le romancier met son imagination prolifique au service « d’un art d’agréer qui place la diversité au cœur de son esthétique » (512). Le « style Nervèze », tant décrié par la critique littéraire, est réhabilité quand sa virtuosité est expliquée par Mme Duval en tant que passage d’un « florilège de marguerites » (577). La prose sophistiquée des années 1600-1610 préconise « une harmonie des gestes et des corps à l’image de la communication transparente des cœurs » et reflète ainsi « le rêve d’une société galante en pleine maîtrise du beau langage » (582). Il est impossible d’énumérer les multiples analyses brillantes des romans et des ouvrages théoriques dont leurs auteurs s’inspirent. Suzanne Duval avoue avoir écrit ce livre pour rendre plus lisible la prose poétique du roman baroque et « l’imaginaire dont elle était porteuse » (621). Ses développements permettent d’explorer un univers littéraire fascinant. Volker Kapp PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0012 220 Jean de Guardia : Logique du genre dramatique. Genève, Droz, 2018. 499 p. Cette étude est censée « décrire un phénomène de cohérence » (14) concernant le genre dramatique du XVII e siècle français. Son hypothèse de départ consiste à postuler « une cohérence logique ou au moins naturelle » (15) du théâtre classique, parce que celui-ci est « le moment de la découverte de la cohérence fictionnelle » ainsi que « le moment de son élaboration » (15). Les développements sont centrés sur l’analyse logique de la dramaturgie tandis que les énoncés ou les messages des pièces sont écartés en tant qu’éléments négligeables. Guardia focalise l’attention tant sur la découverte que sur l’élaboration de cette cohérence, laquelle « est un but en soi » (17) et lui semble « la partie la plus datée du système régulier » (17). Ce qui autorise cette démarche c’est le fait que dans sa Poétique, Aristote envisage d’une part la structure du drame et d’autre part le philosophe ait complété sa théorie littéraire par sa Rhétorique et par l’Ethique à Nicomaque. Les développements de Guardia se heurtent toutefois au paradoxe que la poétique classique a « négligé le nécessaire aristotélicien malgré sa supériorité théorique » (116). Convaincu que « la spécificité de la fiction classique est d’avoir chassé du domaine du représentable les actions sans cause », il veut prouver « qu’en fiction, rendre raison d’une action, c’est persuader le spectateur que cette action est le bon moyen en vue d’une fin » (471). Le corpus sur lequel se base son analyse de structures est « un ensemble de pièces jouées entre 1637 et 1687, relevant uniquement des deux genres ‘purs’, tragédie et comédie » (26). La tragi-comédie et la farce restent marginales dans ces développements. Les écrits de poéticiens de l’époque et les pièces de Corneille, Racine et Molière fournissent les matériaux lui permettant de vérifier « l’exemple fondateur de la théorie classique du vraisemblable, dont G. Genette propose une célèbre analyse dans ‘Vraisemblance et motivation’ » (43). Bien que ce critique importe tant à notre auteur, il détourne « trois accents » (84) de sa théorie et se propose d’expliquer la division opérée par Corneille entre les vraisemblables ordinaire et extraordinaire dans la suite « des pages célèbres » (92) de G. Forestier sur ce sujet. Parmi les théoriciens classiques, il admire « la profondeur de la conception de la fiction de d’Aubignac » (214), tout en lui reprochant d’avoir les plus grandes difficultés à mettre en pratique ses concepts « d’unité et de système de motivation » (226) puisque, dans Zénobie, « la stratégie de Zénobie est d’une absolue stupidité » (227). On reste sceptique face à l’exclusion ou à la dévalorisation des dramaturges mineurs de l’époque comme si leurs pièces étaient mauvaises, mais cette démarche, qui s’appuie sur la réaction du publique, oublie que ce dernier ne Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0012 221 savait pas toujours distinguer immédiatement les chefs-d’œuvre des drames moins réussis, même s’il reste à juste titre un facteur essentiel des analyses logiques. D’après Guardia, les dramaturges se sont vite ralliés à l’unité d’action « parce qu’on ne sait pas précisément sur quoi on s’accorde » (238). Ses analyses logiques insistent sur l’importance de la rhétorique pour le théâtre classique. Elles mettent en évidence les stratégies oratoires d’un grand nombre de pièces, mais on hésitera à accepter ses développements sur « l’actio » oratoire (239) illustrant l’opposition entre « drama » et « diegesis » (239). Les spécialistes de rhétorique savent que « dans le théâtre régulier la parole est reine, [et que] la tentative de persuasion oratoire » y est « majoritaire » (264). Guardia juge nécessaire de citer un long extrait de La Pratique du théâtre pour distinguer les « discours en général » du « mode mimétique » (419) du théâtre. Il souligne que, dans la mesure où la conception de l’unité fonctionnelle est subvertie par celle de « l’unité en roue », « la nature essentiellement rhétorique du théâtre régulier » (265) se renforce. Ce qu’il qualifie de « la bicyclette de Corneille » (269), est un « modèle d’unité hybride » (276) qui, selon lui, n’a pas eu de succès. La première partie du livre (53-212) analyse le concept de fiction en demandant si on peut « remplacer une raison par une cause » (147). La deuxième partie intitulée « causalité et unité » (213-368) montre que le « conséquentialisme » prisé par Corneille est subverti par le « fonctionalisme » cher à Racine. La troisième partie (369-470) inclut « l’histoire » dans la « cohérence logique du texte théâtral » (369) pour délimiter le discours sur la scène de celui de l’orateur. L’esprit de système de cette étude permet de visualiser les éléments constitutifs du drame par des schémas en faisant abstraction de ses énoncés. Dès le début, Guardia constate la contradiction entre la doctrine des poéticiens et le « théâtre réel » (16) et recourt au schéma binaire pour la surmonter. Ce schéma binaire est un des pivots de cette analyse logique insistant sur l’infériorité des drames par rapport à la dramaturgie. Son constat, que les « pièces ‘régulières’ ne sont pas celles qui appliquent intégralement les règles doctrinales de cohérence » (16), autorise ceux qui étudient les messages des pièces à considérer ces écarts par rapport aux théories comme la partie la plus intéressante et un des charmes des œuvres littéraires. Une telle lecture ‘traditionnelle’ peut toutefois s’abreuver des remarques suggestives sur la structure dramatique présentées par Guardia pour pénétrer dans l’univers des messages transmis par le théâtre classique. Volker Kapp PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0013 222 Theresa Varney Kennedy: Women’s Deliberation. The Heroine in Early Modern French Women’s Theater (1650-1750). London-New York, Routledge, 2018. 201 p. Women’s Deliberation presents a typology of female heroines in a broad array of female-authored plays of the seventeenth and eighteenth centuries. The author devotes a chapter to each of her four categories: 1) the irrational heroines who are driven by a violent passion of some sort; 2) the dutiful heroines who subsume their emotions to virtue and honor, often demonstrating leadership skills; 3) the bold and brazen heroines who ignore social constraints in the name of romantic love; 4) and finally the deliberative heroines, who blend rationality and sentiment to form a kind of ideal female protagonist. “The deliberative heroine combines all of the respective positive qualities from the irrational, dutiful, and bold and brazen heroines: the capacity to make active choices, the selflessness to put others first when duty calls, and the determination to follow her heart. At the same time, the deliberative heroine combats the negative stereotypes and traditional gender roles that limit the other heroine types” (141). The greatest strength of this work is to offer the reader an introduction to a broad corpus of largely unknown plays. Kennedy is remarkably thorough in her treatment of individual plays. For each of the 22 plays that she presents in depth, the author provides the plot, a brief biography of the playwright, the performance history, the play’s sources, and information about its reception. One comes away enlightened about a significant corpus of plays that have attracted (too) little attention. The four-part typology of heroines is not only central to the work, but overwhelms it. One senses that this structure was built up painstakingly over an extended period of time. Each of the author’s heroines is thoughtfully fitted within a category, buttressed by careful argument that foresees possible objections. In Kennedy’s commitment to her typology, however, she leaves significant lacunae. Any female-authored play of the period that does not contain one of these four types of heroines is simply passed over. The book’s greatest shortcoming is that it seems to exist in a vacuum. Nowhere is there acknowledgment that a theatrical character is a construct, not a person, or that the term “heroine” might require explanation or discussion. Kennedy demonstrates strong knowledge of what has been published on the women playwrights she discusses, but seems singularly divorced from the critical discourse surrounding the study of early modern French theater in the last 30 years. The names Forestier, Biet, Viala, Lyons, etc. are nowhere to be found. Feminism is represented by only four works in the bibliography, the most recent of which is over 20 years old. The most Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0013 223 glaring shortcoming concerns the great playwrights of the seventeenthcentury. Molière is not mentioned, while Racine and Corneille exist as only the most blinkered stereotypes. According to Kennedy, Racine’s female protagonists are irrational and Corneille’s are duty-bound. She repeatedly accuses Phèdre of refusing to take responsibility for her crimes, seemingly unaware of the complexities of Racine’s character in that regard. Indeed, there are no secondary references in the bibliography about Racine; and Corneille is favored with a sole article. Kennedy’s line of argumentation is ameliorative, as though there were some chronological forward movement leading the theater from the first three rather defective types of heroines to the deliberative heroine: “This development culminated in the emergence of what I call the ‘deliberative’ heroine” (6). The triumphal progression is starkly undermined, however, by the fact that all four categories contain plays from both the seventeenth and eighteenth centuries. The contents of her categories thus contradict any claims of a chronological development of heroine types, yet throughout the book, the suggestion of a march towards a more positive (deliberative) heroine recurs frequently. It would have been interesting to know if the author found evidence of such heroines in plays of the period written by men, but aside from an occasional reference to male playwrights as sources (e.g., Marivaux, Goldoni), they have no place in this study. The unspoken presupposition is thus essentialist, and one may only conclude that the deliberative heroine is necessarily a female creation. In the conclusion to the chapter on the deliberative heroine, Kennedy makes the following strong point: “The deliberative heroine does what no other character can do: puts women center stage in an unequivocally positive light” (167). It is followed, however, by a concluding chapter that goes in two surprising (and surprisingly discordant) directions. First the author addresses what she refers to in her introduction as the “modern-day deliberative heroine” (9). She takes her examples from recent Star War films as well as the Disney characters Mulan, Merida, Moana, Tiana, and Belle, followed by young adult literature, such as the series Divergent and Katniss Everdeen from The Hunger Games (173-74). She then shifts to a brief analysis of a Graffigny play from 1733 (La Réunion du bon sens et de l’esprit) in which she espies a self-conscious recapitulation of the characteristics of the ideal (i.e., deliberative) heroine. In order to make her argument, however, she is forced to equate “wit” with “heart,” an ungainly move at best. She ends this section with an outsized claim for this lesser-known Graffigny play: it “redefined the way early modern female playwrights thought about heroines and, in turn, the way society thought about women” (177). PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0013 224 I am deeply sympathetic with Kennedy’s efforts to come to grips with Early Modern women playwrights, for having tried to do so myself 25 years ago. As a source of information about a significantly large body of such plays, this work is successful. It is ironic then that the author has placed these diverse women characters in the straight-jacket of her four categories. The title of the book - Women’s Deliberation - is striking in its double meaning, but nowhere does Kennedy acknowledge the possibility of “liberation” that the title suggests. Nina Ekstein Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0014 225 Jean Leclerc (ed.) : Antoine Furetière, Le Voyage de Mercure et autres satires. Paris, Hermann, « Bibliothèque des littératures classiques », 2014. 406 p. Among scholars of French 17 th -century literature, Antoine Furetière (1619-1688) is mostly known for his funny and ferociously satirical 1666 novel Le Roman bourgeois, his factums in defense of his dictionary against the Académie française, and, of course, the monumental Dictionnaire universel itself (1 st edition 1690, posthumous), which has known numerous reeditions to this day. Professor Jean Leclerc (University of Western Ontario), a widely acknowledged specialist of 17 th -century French burlesque literature, has brought to the French 17 th -century scholarly community (and hopefully beyond) the delightfully satirical poem Le Voyage de Mercure. The 84-page introduction abundantly displays Leclerc’s all-encompassing scholarship, already demonstrated in previous works. From contemporary texts and ancient ones, to the latest studies, the author systematically footnotes in that edition every source he mentions. Carefully classified both by chronology and categories, the extensive 13-page bibliography attests to the scope of the author’s inquiry. All 6 editions of Le Voyage de Mercure (1653 to 1965) are listed at the beginning of the bibliography, and within the text the variations are carefully identified and footnoted. Leclerc takes the 1662 edition (Paris, Louis Billaine), as the base text for his own work, explaining his choice relatively to earlier and later ones. While demonstrating a thorough and exhaustive reading of Furetière’s poem, he manages at the same time to paint a comprehensive historical, social, intellectual and esthetic picture of the genre. Furetière’s dedicatory epistle, “À personne,” although in verse, reminds the reader of Sorel’s prose “Épître aux grands,” as a preface to Francion (1623), in which the author informs the aristocratic class that he’s not dedicating his novel to them, as he deems them unworthy of such an honor. With a casualness worthy of Diogenes the Cynic, Furetière declares that he couldn’t care less if his poem were censored, as no illustrious person was its dedicatee. The octosyllabic verse (also known as burlesque verse) is particularly well-suited to satire and mockery. Book One hilariously recounts the aftermath of the Gigantomachy, with the gods running around in confusion, trying to repair their abode. The link to Saint-Amant’s Le Melon (c. 1629, vv. 117-300) springs to mind. The book concludes on Mercury being ordered by Zeus (vv. 486-488) to descend to Earth, observe incognito the doings of earthlings, and report back to the gods. PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0014 226 Book Two wittily satirizes the pastoral novel and its complete lack of realism. Portraying Mercury’s occupational choice as a shepherd, Furetière compares the mawkishness of fictional ones - solely preoccupied with love, while their sheep look after themselves, with no fear of straying or predators - with the real ones of his time, whose mores and demeanor were as rough as their attire. Intertextuality, like beauty, may be in the eye of the beholder, but how can one not think of Sorel’s Berger extravagant (1627), whereby the author pitilessly shreds what he sees as the mushy soppiness of the pastoral genre, and of course, Book 9 of the Francion and its raunchy take on what a shepherd really does with his time? Tired of looking after sheep, Mercury soon abandons that calling to turn to commerce, where he shows his talent for crookedness. The text displays enough knowledge of the financial and fiscal world to remind us that Furetière was “procureur fiscal” of the abbey of Saint-Germain-des-Prés before he wrote the Voyage de Mercure. He nails the financiers’ dishonesty with the same glee as he’ll do 14 years later in Le Roman bourgeois with the grubbiness and pettiness of the legal profession, of which he was an early member. Book Three sees Mercury assuming the role of a (pedantic) schoolmaster, just like Francion’s Hortensius (intertextuality, again! ), having lost all his money at the end of Book Two - a recurring topos. Let’s note in verse 2 that Mercury “[se voit à] la croix de par Dieu”, which means he’s back at the starting point. The term refers to an old alphabet primer used to introduce small children to reading. The front cover bore a cross, which led to its popular nickname. The poem reminds the modern reader of the pedagogical tools used in Furetière’s time, such as the Flemish grammarian Jean Van Pauteren’s (Jean Despautère †1520) Commentarii grammatici (Paris, 1537), used to teach Latin until the 18 th century. Otherwise, Mercury as a pedant displays the same sordid avarice, greed and propensity to plagiarism we see in Francion’s Hortensius. Also, Furetière gives the reader in Book Three a comprehensive education in the art of fake erudition, and how to profit from it. Law, medicine and alchemy are the next professions that Mercury tries, each getting a sound drubbing in the process. At the beginning of Book Four, Mercury has - again! - lost all his money. He’ll try now the trade of a poet - a “poète crotté” - of all things. Here we have a detailed description of his costume and behavior, a valuable prefiguration of what the miserable Mythophilacte (in the second part of Le Roman bourgeois) would have looked like in life. Furetière’s razor-sharp wit not only dissects the humiliating relationship of client to patron - which justifies a posteriori the dedication “À personne” - but also puts down the Muses, calling them bawds (maquerelles) for their role in seducing (honest? ) women by means of verse. Mercury bravely embraces the trade of Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0014 227 a “pimp” in the same way, by writing for pay endearments in order to help in their amorous endeavors men with more money than inspiration. He thus enriches himself and can in turn court and seduce beautiful women, having traded his rags for elegant attire. His fluctuating fortunes turn him into a lowlife: (real) pimp, gigolo, professional gambler, as he profits from the general immorality he sees all around him. Book Five sees Mercury back in Olympus. Still fearful of the Titans, the gods ask him whether earthlings continue to represent a danger to them. Mercury reassures them: debauchery, degradation, irreligion and widespread venality have rendered them harmless. That Book paints a picture of humanity as scathing as it is detailed. I shall skip the Satires (in alexandrine verse, unlike the Voyage), merely listing them: Satire I is dedicated to Michel de Marolles (1600-1681), churchman and translator, famous for his enormous collection of prints, which became the foundation of the Cabinet des Estampes. Satire II is dedicated to Paul Pellisson (1624-1693), academician and secretary to Nicolas Fouquet, then historiographer to Louis XIV. Satire III is dedicated to François de Maucroix (1619-1708), friend of La Fontaine and canon of the Reims cathedral. Satire IV is addressed to Valentin Conrart (1603-1675), a pivotal figure in the Académie française and famous letter-writer. The grammarian and historian Gilles Ménage (1613-1692) is the dedicatee of Satire V. The edition is completed by a Glossary, whose terms are excerpted from Furetière’s own dictionary (1690 edition), and by a Repertory of proper nouns - which is not an index nominum - drawn from various dictionaries of the time. Although the latter two pieces testify to Leclerc’s exacting and thorough scholarship and afford the reader access to substantial parts of the first edition of the Dictionnaire universel, as well as a recap of the characters that appear in the Voyage de Mercure and the Satires, one might have wished for a more conventional index, not a luxury in a work of such wide scope. Leclerc’s edition represents the kind of outstanding scholarship he had already displayed in the revised version of his dissertation L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France (1643-1661), published in 2008 by the Presses de l’université Laval (Québec) in the République des Lettres collection. The present tome constitutes a very valuable addition not only to Furetière studies, but also to our understanding of what burlesque is and its cultural and intellectual aims and values. Francis Assaf PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0015 228 Charles Mazouer (ed.) : Molière, Théâtre complet. Tome I. Paris, Classiques Garnier, 2016. 939 p. One might at first question the need for another Molière complete works, given that George Forestier and Claude Bourqui’s Pléiade edition only appeared in 2010. However, on the basis of its first volume, this edition looks set to provide a welcome counterpoint. The Pléiade aims to be authoritative and exhaustive, but is notoriously difficult to use. Charles Mazouer, for his part, has aimed for a more generalist audience of students, early career researchers and ‘honnêtes gens’. They will no doubt be delighted by the result, which is both clear in terms of content (although perhaps lacking in detail), and easy to read in terms of language and presentation. The style is personal, yet not familiar, replete with exclamation marks and interjections, all of which adds considerably to the volume’s readability. Charles Mazouer has restored the plays to their familiar production order. This first volume accordingly spans the period from the early farces, La Jalousie du barbouillé and Le Médecin volant, to Molière’s first comédieballet, Les Fâcheux. The plays are preceded by a sixty-page general introduction, while the individual introductions situate them in relation to the dramatist’s biography. The latter also touch on key themes and other contextual matters, although perhaps with rather too much plot summary, and there is some overlap with information given in the notes. Annexes are limited but useful, and the preface to the 1682 complete works is given in an appendix. One major, welcome innovation is the introduction into the text of Les Fâcheux of the scores of the musical pieces with which it was punctuated. The bibliography is voluminous, although a little dated and almost exclusively francophone. The texts reproduced are those of the first editions (where these exist), the manuscripts of the farces, or taken from the 1682 complete works. Reference is made to the 1682 and 1734 stage directions, usually in the notes. However, elsewhere the plays are modified to include them, which can result in some oddities, as when two additional characters suddenly appear in the finale of Les Précieuses ridicules. Charles Mazouer mentions that certain lines are marked in the 1682 edition as having been cut in performance, and it is regrettable that detailed information is not given. He also admits that he is ‘impie’ on the much-debated topic of the relationship between punctuation and performance, and has consequently modernised where he felt it to be necessary. In his general introduction, Charles Mazouer situates himself between the two poles of ‘Molière philosophe’ and ‘Molière homme de théâtre’, Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0015 229 before opting for an ‘aventure théâtrale’ approach. He is, though, only able to give the briefest glimpse of these or any other of the topics he covers. What we have here, as befits his target audience, is above all a brilliant overview - containing little that is new or original, but with very many suggestions for further reading. And certain of his mises au point are both useful and enlightening - for example his discussion of préciosité and galanterie. He is particularly good at highlighting connections, showing, for example, how one work anticipates another or how material was re-used. Similarly, he acknowledges briefly Molière’s debt to other dramatists or authors. The chronological and biographical approach also facilitates his consideration of the repeat appearances of Mascarille and Sganarelle. And in his comments on the individual plays he effectively balances different critical interpretations. More negatively, little is included on the material context or company organisation, which leads to occasional slips regarding theatre design, the production process and performance conditions. And claims are made, for example regarding Molière’s functions within the company, that are not necessarily backed up by the evidence. Similarly, much emphasis is placed on the actors’ physicality, but without them being situated in relation to either architecture or décor. Charles Mazouer maintains it is impossible to produce an ‘authentique sociologie du théâtre’ at this distance, since statistical and economic evidence is lacking, but he ignores what evidence does remain and those analyses that have been conducted. Again this leads to occasional slips and doubtful assumptions regarding audience composition. Other topics he neglects include programming and repertory, which is particularly striking when he comes to consider the works’ relative success, since plays entering the repertory first were obviously more likely to receive the most performances. Overall, this is a book that covers a wide range of material in very little space and generally does it well. It is perhaps surprising that there is no discussion of cross-dressing, given its comparative prevalence in the plays included. But this is only the first volume, and other topics (for example Molière’s ‘libéralisme en matière féminine’) will no doubt reappear. And, on the plus side, Charles Mazouer rightly highlights the importance of ‘polyphonie’, not only in theatre as a genre, but in Molière’s personalisation of his characters by means of language. Finally, in the conclusion to his general introduction, Charles Mazouer claims (rightly) that Molière transcends ‘les époques, les pays, les classes sociales’. But perhaps sadly not genders, since all the great directors he mentions are men (and for that matter all French). Given Molière’s undisputed place as the most international of French playwrights, it would have been nice to have had PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0015 230 some allusion to the many significant translations and productions that have taken place worldwide in recent decades. Nevertheless, this is a clear and eminently useful volume that is ideally adapted to its target audience and one that I enjoyed reading it very much. Jan Clarke Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0016 231 Jennifer Tamas: Le Silence trahi. Racine ou la déclaration tragique. Geneva: Droz, 2018. 261 p. Racine’s anguished characters continue to speak to us across the centuries. Like ghosts of neoclassical theater, Jennifer Tamas argues, they haunt us, both by their words and, significantly, their silence. After a brief introduction that frames the discussion both in terms of seventeenth-century dramaturgy and the hermeneutic demands of the present, this book’s first chapter examines the temporalities revealed in the pervasive tension between silence and utterance in Racine’s tragedies. Much of the focus is on the expansive past time frames that are invoked in exposition scenes, moments both evoked and lost to history, both articulated and couched troublingly in the unsaid and the unspeakable. The next chapter turns to space as the second key parameter of Racine’s theater. Tamas argues that places are in collusion with silence, that onstage space acts as a mute witness to the dramatic action unfolding therein. Two contrasting examples of present-absent characters provide a fascinating illustration of the idea of space in combination with silence. In Andromaque, Hector haunts the stage while never appearing on it; in Britannicus, Néron frequently hides from onstage space, only to exercise a power that increasingly pervades the places the other characters uncomfortably occupy. In general terms, the chapter argues that it is silence that connects spaces interior and exterior to the drama at hand. The third chapter makes perhaps the strongest argument of the book. Drawing on d’Aubignac’s notion that to speak is to act, Tamas interestingly reverses the concept to show how refusal or inability to communicate becomes the basis for action in Racine. The best example is Phèdre who experiences the unspeakable horror of her illicit love for Hippolyte, a difficulty of enunciation notably dramatized in Seneca’s version of the tragedy. Tamas shows how in Racine silence becomes the driving force of the action as characters find themselves trapped in language. As the following chapter on interrogation demonstrates, the characters then lash out at one another, often to no avail, as for example when Bérénice reacts to Titus’ stubborn silence by lying to herself about their shared destiny. The characters Tamas calls “les inquisiteurs amoureux” (143) seek answers and most often find only a devastating silence. In the fifth chapter, the nearly impossible declarations of love that torment the characters take the form of an existential crisis. Phèdre confesses her passion to Hippolyte in order to come into existence in his eyes. Interestingly, Roxane tries to do much the same thing vis-à-vis Bajazet, although her ontological fragility in relation to him creates a puzzling tension with her near-absolute power over him. The final body chapter, on PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0016 232 the failures of characters to gain the recognition of their interlocutors through language, analyzes some of the consequences of the prevalence of silence in Racine’s tragedies, where protagonists engage in both aggressive and suicidal behaviors as language continues to tempt, mislead, and ultimately fail them. The focus on silence in dialectical tension with utterance provides in this study for a wide range of close readings of Racine’s dialogues. Some of the topics treated, such as the three unities, have received far more scholarly attention than the book’s bibliography reflects. To cite but one example, John Campbell’s Questioning Racinian Tragedy might have provided some critical context for the discussion of the specificity of Racine’s dramatic art. Nonetheless, this study will substantially inform students, readers, and performers of Racine who must necessarily grapple with the fundamental tension in the tragedies between what can and cannot be said. Roland Racevskis PFSCL XLVI, 90 (2019) Livres reçus ASSAF, Francis B. : Quand les rois meurent. Les journaux de Jacques Antoine et de Jean et François Antoine et autres documents sur la maladie et la mort de Louis XIII et de Louis XIV. Tübingen : Narr, « Biblio 17, n o 217 », 2018. 291 p. + Index et Bibliographie. BALAK, Benjamin ; TRINQUET DU LYS, Charlotte (eds.) : Creation, Re-creation, and Entertainment : Early Modernity and Postmodernity. Selected Essays form the 46 th Annual Conference of the North American Society for Seventeenth-Century French Literature. Rollins College and The University of Central Florida, June 1-3, 2016. Tübingen : Narr, « Biblio 17, n o 219 », 2019. 401 p. BIET, Christian (dir.) : La question du répertoire au théâtre, Littératures classiques, n o 95 (2018). 216 p. BOULERIE, Florence ; KOVÁCS, Katalin (dir.) : Le singe aux XVII e et XVIII e siècles. Figures de l’art, personnnage littéraire et curiosité scientifique. Paris : Éditions Hermann, 2019. 516 p. CERNOGORA, Nadia ; MORTGAT-LONGUET, Emmanuelle ; PEUREUX, Guillaume (dir.) : Arts de poésie et traités du vers français (fin XVI e -XVII e siècles). Langue, poème, société. Paris : Classiques Garnier, « Rencontres, n o 370 »), 2019. 423 p. GREENBERG, Mitchell : Des corps baroques. Politiques et sexualité en France au XVII e siècle. Traduction de Brice Tabeling. Paris : Classiques Garnier, « Littérature, libertinage et spiritualité, n o 9 », 2019. 379 p. DENIS, Delphine ; BARBAFIERI, Carine ; SUSINI, Laurent (dir.) : Les intraduisibles du vocabulaire critique (XVI e -XVIII e siècle). Littératures classiques, n o 96 (2018). 192 p. KAPP, Volker (éd.) : Claude Fleury, Les Mœurs des Israélites. Édition critique par Volker Kapp. Paris : Champion, « Sources classiques, 136 », 2018. 318 p. et Bibliographie, Index des noms propres. LOUVAT, Bénédicte ; PASQUIER, Pierre (dir.) : Le « théâtre provincial » en France (XVI e -XVIII e siècle), Littératures classiques, n o 97 (2018). 292 p. MANEA, Ioana : Politics and Scepticism in La Mothe Le Vayer. The Two-Faced Philosopher ? Tübingen : Narr, « Biblio 17, n o 218 », 2019. 203 p. MAZOUER, Charles (éd.) : Molière, Théâtre complet, Tome II. Paris : Classiques Garnier, « Bibliothèque du théâtre français, 49 », 2018. 966 p. et Index. TAMAS, Jennifer : Le silence trahi. Racine ou la déclaration tragique. Genève : Droz, « Travaux du Grand Siècle, 47 », 2018. 235 p. et Bibliographie, Index.
