Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2008
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Discussion
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PFSCL XXXV, 68 (2008) Discussion Antoine Soare : Je voudrais vous faire part brièvement de mes inquiétudes, en marge de l’introduction de M. Fumaroli, à propos des représentations modernes de Corneille. Première question qui se pose, que je me pose, d’après le peu de représentations que j’ai eu l’occasion de voir, c’est de savoir si le tragique cornélien parvient encore à passer la rampe. Parce que j’ai vu plusieurs représentations du Cid, et chaque fois que Rodrigue demandait la mort à Chimène pour la troisième fois, on se tordait de rire dans la salle. Même chose avec Rodogune, la seule Rodogune que j’ai vue, à l’Odéon, il y a quelques années, cette symétrie dont Corneille était si fier, plus elle s’accumulait, plus elle faisait sourire, à la fin encore une fois on se tordait de rire. Avec Molière, le problème ne se pose pas, on ne pleure pas en assistant à une représentation de Molière, alors qu’avec Corneille, on rit. La deuxième question c’est : quel texte joue-t-on ? Je crois qu’on a tort de suivre la mode des éditions et de privilégier les éditions princeps, parce qu’ainsi on enlève à l’auteur le droit de se corriger devant le public. Et quand Chimène vient et dit « J’arrivai donc sans force et le trouvai sans vie » en parlant de son père pour ajouter ensuite : « Il ne me parla point », c’est sûr que Corneille a corrigé parce que Scudéry se marrait - à juste titre - mais dans la salle, de nos jours, on écoute cela et si on ne rit pas du tout, c’est d’abord qu’on n’entend pas les vers. Enfin troisièmement, depuis que j’assiste à des représentations de tragédies, je n’ai jamais entendu une seule tragédie d’un bout à l’autre où on respecte la loi des alexandrins, et ce que j’entends à la Comédie Française, eh bien c’est un scandale. Je me demande pourquoi on n’apprend pas aux jeunes acteurs à réciter l’alexandrin selon les lois de la prosodie qui lui sont spécifiques. Liliane Picciola : C’est peut-être exact que des scènes nationales ne sont pas très favorables à Corneille, encore faudrait-il se souvenir de la mise en scène de Cinna par Simon Eine à la Comédie Française, il y a cinq ans à peu près je crois, qui était quelque chose de tout à fait intéressant, et d’autre part je voudrais insister sur le fait que des scènes privées font beaucoup de travail pour Corneille : je voudrais signaler, en particulier, le travail du théâtre du Nord-Ouest parisien qui se trouve rue Montmartre et qui permet d’entendre Discussion 30 l’intégrale de l’œuvre de Corneille, et c’est quand même très intéressant, avec des vers souvent bien dits ; parfois pour certaines pièces, ce sont seulement des mises en espace, je trouve qu’il y a tout de même là un travail intéressant. J’ai vu des représentations de Rodogune, justement, dans des théâtres privés, en particulier au théâtre Montparnasse qui m’ont paru extrêmement intéressantes, je crois qu’Alain Niderst citait Alain Bézu... Je suis donc beaucoup moins pessimiste que vous ; c’est vrai par contre que du côté des scènes nationales c’est peut-être regrettable, je ne sais pas quel est le vent qui souffle, mais il n’est pas le même partout. Et du côté de l’Université, je crois qu’on souffre énormément d’une sorte de réputation de Corneille, non pas à l’Université, mais dans le secondaire, qui fait que nous recevons des étudiants qui ne connaissent rien, mais même pas le Le Cid. Le Cid, on croit que c’est connu, ce n’est pas vrai, les étudiants ne l’ont pas lu. Et ce à quoi nous assistons, en fait, c’est à une découverte de Corneille à l’Université et je peux vous garantir qu’actuellement Corneille marche beaucoup mieux auprès des étudiants que Racine. Je trouve que c’est une évolution et une évolution qui me paraît intéressante. Donc je suis une farouche optimiste en ce qui concerne Corneille. Pour l’exposé d’Alain Niderst, je voulais juste ajouter qu’on se prêtait beaucoup de livres, on voit bien cela dans la correspondance de Chapelain, on se les prêtait énormément, on les transmettait de l’un à l’autre. Alain Niderst : Les livres coûtaient horriblement cher. Je crois qu’on a calculé que le salaire annuel d’un ouvrier pouvait à peine payer un livre. Je sais que ce genre de calcul est très spécieux, mais enfin la cherté des livres explique pourquoi on se les prêtait.