eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 35/68

Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2008
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Discussion

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PFSCL XXXV, 68 (2008) Discussion Irène Mamczarz : L’influence des Italiens sur les comédies de Corneille mérite encore, je crois, d’être développée. Nous allons attaquer tout de suite l’étude des intermédiaires. Ainsi Castelvetro s’est sans doute servi de certaines théories de Maggi pour définir la réception de la tragédie par le peuple et par une élite des spectateurs, c’est la même conception qui était déjà formulée par Maggi. Nous pouvons entamer une brève discussion sur la communication de Mme Duprat. François Lasserre : Je voulais poser une question à Mme Duprat au sujet de la théorie de la purgation, parce que vous y avez fait une simple petite allusion ; j’aimerais savoir comment Castelvetro l’interprète, parce qu’Aristote n’a jamais dit qu’on allait purger les passions, les passions mauvaises, il a seulement parlé de purger les émotions, les émotions qu’on a dans la vie courante, de terreur et de pitié, et de permettre de les dominer. Mais malheureusement Corneille n’a jamais su cela, il a toujours compris, lui, selon la plupart des théoriciens, que la tragédie allait purger les passions d’amour, etc., dire aux gens qu’il ne faut pas être amoureux, etc. Bon, alors j’aimerais que vous précisiez simplement, quelle est la position de Castelvetro, comment il interprète ce point d’Aristote. Anne Duprat : C’est un des points, bien sûr, qu’a abordés Bernard Weinberg dans le travail énorme qu’il a fait sur les poéticiens italiens du Cinquecento. C’est un des points sur lequels il en veut le plus à Castelvetro pour qui il n’a pas assez de sarcasmes, disant que Castelvetro n’a rien compris à Aristote et qu’il manque complètement l’objectif, l’enjeu esthétique, de la Poétique. Il critique surtout sa présentation de la catharsis, puisque Castelvetro se livre un petit peu comme tout le monde au jeu qui consiste à compiler toutes les interprétations que l’on a pu donner de la catharsis depuis les grands commentaires des années 1550 ; il la comprend lui-même, de toute évidence, comme un jeu d’exemples et de contre-exemples, c’est-à-dire qu’il dit qu’en voyant les catastrophes qui arrivent aux autres, on est bien content que cela ne nous arrive pas à nous ; par ailleurs on est également bien content en pleurant pour le malheureux juste qui se voit accablé injuste- Discussion 68 ment, tel Job ; on se voit en fait conforté, on jouit du sentiment d’être juste, c’est-à-dire que c’est le sentiment qu’a le spectateur de la propre justice de ses sentiments, qui provoque, dit-il, le plaisir des larmes. On imagine évidemment les sarcasmes dont les aristotéliciens accablent aujourd’hui ce type d’interprétation. Ce qui est intéressant, c’est que chez Castelvetro l’interprétation est parfois moralisante, parfois amoralisante, en tout cas fort complexe. Une moralisation prétorisante dit Weinberg, je n’en suis pas convaincue, je crois que Castelvetro n’hésite jamais à se contredire d’un moment à l’autre pour écraser l’infâme, c’est-à-dire à chaque fois pour viser tout ce qui peut avoir l’air d’une hypocrisie ou d’un idéalisme creux dans la conception que l’on peut avoir du rôle éducatif que jouerait la poésie vis-àvis du public. Irène Mamczarz : Castelvetro dit qu’Aristote n’a introduit cette idée de la catharsis que parce qu’elle contredit Platon. Anne Duprat : Corneille dit d’ailleurs, trois lignes plus bas, qu’Aristote n’a dit cela que pour contredire Platon, donc il avait certainement ce passage sous les yeux au moment où il écrit. Antoine Soare : En marge de ces discussions sur la catharsis, sur Castelvetro et Corneille, je ne crois pas que Corneille ait été tellement dupe de l’interprétation qu’on donnait de la catharsis à son époque, même s’il la reprend dans certains écrits. En France, la traduction même du phobos, a eu toute une aventure sémantique, on a commencé par traduire cela par horreur, La Mesnardière a combattu avec succès ces traductions, et finalement on s’en est tenu à crainte, et Corneille, dans ses discours, ne parle plus que de crainte. C’est très important, parce que lorsqu’on parle de crainte et de pitié, on voit clairement qu’il s’agit des deux visages du même sentiment appliqué à autrui et à soi-même, et à un certain moment dans les discours c’est Corneille qui le dit. Ensuite Rapin le reprend. De nos jours on donne les galons à Lessing d’avoir lancé cette interprétation, eh bien je crois qu’elle est déjà dans Corneille, à un certain moment il dit qu’au fond la pitié ce n’est que la crainte appliquée à soi-même, c’est cela, donc il exclut toute cette idée de purgation des passions mauvaises. Anne Duprat : Que répondre, sinon qu’il y a en effet de beaux passages làdessus, par exemple, dans le livre de Georges Forestier sur Corneille, L’Essai de génétique théâtrale ? Discussion 69 Liliane Picciola : J’ai beaucoup apprécié dans la communication de Mme Duprat l’expression de mise en scène de la lutte de Corneille contre les contraintes poétiques ; les discours correspondraient à cela, et lui-même se ferait en quelque sorte un héros de l’écriture dramatique. Je suis tout à fait d’accord avec cette idée-là, j’ajouterai peut-être quelque chose, c’est que, me semble-t-il, l’ennemi visé par Corneille n’est pas celui-là. Je crois qu’il avait tout à fait conscience que des théoriciens, en particulier donc les théoriciens italiens qu’il cite souvent, avaient fait bouger un certain nombre de choses, mais par contre les gens qu’il ne cite pas, ce sont ceux qui écrivent des pièces et qui critiquent les siennes avec des principes figés, et en 1660 il est toujours en train de régler le problème de la querelle du Cid, c’est contre Mairet et c’est contre Scudéry qu’il écrit tout cela. Donc je crois que l’ennemi est masqué, il est ailleurs. Anne Duprat : Il est si présent, l’ennemi, que la première difficulté qu’on rencontre en travaillant là-dessus, c’est d’essayer de savoir s’il y a ou non un sens dans cette lutte, dans la mesure où elle semble au départ entièrement absorbée par les enjeux polémiques, et à chaque fois on voit très bien à qui il répond en disant : « on a également dit que », etc. Je crois cependant que la lecture cursive qui est une chose qu’on fait assez rarement, fait apparaître ces espèces de groupes statuaires type Laocoon, et les liens par lesquels le poète met en valeur ces groupes destinés à soutenir le poids de l’ensemble. Liliane Picciola : Je crois aussi qu’il y a des emprunts plus importants qu’il ne le dit, à Robortello. Anne Duprat : Oui. Il le cite deux fois. Liliane Picciola : Oui. Mais je crois que, en fait, Robortello a compté beaucoup pour lui, mais il ne le dit pas trop. Anne Duprat : Robortello qui était très difficile de lecture, contrairement à Heinsius, qui mâchait tout cela en un style parfaitement clair.