eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 35/68

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2008
3568

Discussion

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2008
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PFSCL XXXV, 68 (2008) Discussion Jean-Marie Valentin : Voilà, je vais peut-être ouvrir la discussion tout de suite sur cet exposé et sur le genre romanesque et le genre tragique, deux modes qui finalement sont souvent l’objet de comparaisons. Après tout, la définition de la tragédie commence bien par l’élimination de la narration du mode tragique, et dans le débat européen sur le genre tragique, dans toutes ces discussions, il y a souvent des rappels, par exemple en Allemagne, sur le fait qu’il y a trop de présence du roman dans la tragédie française classique. Giorgetto Giorgi : Je veux seulement répondre à ce que vous avez dit. Dans la Poétique d’Aristote, il y a évidemment une hiérarchie des genres et le théâtre est nettement considéré comme supérieur au roman, pas au roman parce que naturellement, Aristote ne connaissait pas le roman, mais enfin au genre narratif, à l’épopée. Jean-Marie Valentin : Oui, il y a « par une action » et non « par le moyen d’une narration » dans la définition même de la tragédie. Yves Giraud : N’y-a-t-il pas un point de contact entre théâtre et roman, avec l’œuvre du Père Caussin qui est à la fois dramaturge et si l’on veut romancier dans la Cour Sainte ? C’est un auteur un peu antérieur à Corneille, il me semble qu’il faisait partie des lectures de Corneille. Giorgetto Giorgi : A cela je ne peux pas vous répondre. J’ai lu des passages de la Cour Sainte, mais je ne peux pas vous dire dans quelle mesure Caussin peut avoir influencé Corneille, je dirais des choses inexactes si je vous répondais. Jean-Marie Valentin : Je peux peut-être, si vous permettez, apporter une petite précision, je ne connais pas bien non plus la filiation avec Caussin ; ce que je peux dire, c’est que non seulement il a écrit ses tragédies sacrées, qui sont de 1619, mais est venue ensuite une édition allemande dès 1620, car il ne faut pas l’oublier, c’est l’auteur français, qui est le plus lu dans le Saint Empire au début du XVII e siècle ; les Français ne le savent pas, ils ne Discussion 86 peuvent pas le savoir, cela se passe de l’autre côté du Rhin. Deuxième chose, il n’y a pas seulement La Cour Sainte, il y a également tiré de La Cour Sainte, un arrêt, comme il dit, qui s’appelle L’impiété domptée sous les fleurs de lys, qui est un développement, une amplification, qui porte sur la campagne de Charlemagne en Saxe, et qui est en fait un éloge panégyrique de Louis XIII pour sa politique envers les protestants et donc envers La Rochelle. Et ce qui est intéressant, pour que l’anecdote aille jusqu’au bout, c’est que ce récit a fait l’objet d’une dramatisation, d’une tragédie, par un personnage qui a joué un grand rôle dans la diffusion de la culture française en Allemagne, le Prince Anton Ulrich de Brunswick, c’est-à-dire le fils du fondateur de la grande bibliothèque de Wolfenbüttel : c’est quand même une des grandes bibliothèques européennes aujourd’hui encore, un grand lieu de travail avec un ensemble formidable de textes du XVI e et du XVII e siècles, donc il en a fait une tragédie en langue allemande qui est plutôt genre tragédie conciliante avec une fin heureuse, etc., mais c’est assez amusant de voir cette circulation qui prouve qu’il y avait effectivement, alors au plan européen des parentés et des porosités entre les genres littéraires. Voilà, je voulais juste vous dire cela. Giorgetto Giorgi : Donc une banalité pour répondre à ce que vous avez dit tout à l’heure : il y a un dénominateur commun entre Caussin et Corneille, mais c’est une banalité, c’est la formation rhétorique qui est évidente. Alain Niderst : Tu as dit, je crois, que Grimoald dans Pertarithe était un tyran odieux, ou du moins tu l’as appelé tyran odieux. Ce n’est pas vrai. Il est un peu odieux évidemment, il a l’air odieux dans cette scène où il fait du chantage avec Rodelinde, mais elle dit elle-même : « Je hais dans sa bonté les coeurs qu’elle lui donne ». C’est un bon souverain, et c’est ce qui rend la pièce intéressante. Est-ce qu’un tyran, quand il est devenu vertueux et efficace, est toujours un tyran ou est-ce qu’il est disculpé ? C’est là que la pièce prend de la profondeur. Antoine Soare : Je voulais souligner que cette problématique de la différence entre les deux genres et au fond de la supériorité du théâtre était en quelque sorte incluse plus ou moins allégoriquement dans le théâtre qui s’arrangeait toujours pour proclamer sa supériorité. Si on regarde seulement L’Illusion comique, il y a trois phases au fond d’évocations, la toute première étant d’ordre narratif, picaresque, le magicien raconte, et c’est ensuite qu’on passe à l’art supérieur de la matérialisation de la vue. Et il y a une autre pièce de Rotrou, Laure persécutée, c’est une de ses pièces les plus célèbres : Laure persécutée, c’est le théâtre persécuté, le prince est amou- Discussion 87 reux de l’actrice, il attend qu’elle apparaisse à sa fenêtre, puisqu’il s’est brouillé avec elle et en attendant, il demande à son valet de lui raconter l’histoire. Celui-ci commence : « Il était une fois ceci et cela », mais le prince dit : « Tais-toi tu m’ennuies », les yeux rivés sur la fenêtre. Il y a bien d’autres exemples où le théâtre intègre le récit, je crois, romanesque, pour le déclarer subalterne, inférieur à l’art théâtral. Giorgetto Giorgi : Merci de ces observations qui vont dans la direction de tout ce que j’ai dit. Yves Giraud : Je me permets simplement de rappeler que du point de vue de l’histoire des poétiques, le roman n’est pas, ne figure pas, dans les poétiques, et c’est déjà un argument, il y a quand même un poids sur les gens qui écrivent, du corpus constitué, de la théorie, et on voit que cela se prolonge en fait jusqu’au XVIII e siècle, c’est alors qu’on se libère. En fait, on a tout un roman constitué, qu’on ne prenait pratiquement pas en compte, bien qu’il ait été extrêmement fertile, le roman hellénistique, Chariclée, etc. qui existait, qu’on connaissait bien depuis le XVI e siècle, mais qui n’était pas légitimé par le discours des poétiques. Daniela Dalla Valle : Je voudrais demander à Monsieur Giorgi : Tu n’as pas vérifié si Corneille a eu connaissance des discours du Tasse sur le poème épique, s’ils ont été lus et repris d’une certaine manière par Corneille ? Giorgetto Giorgi : Les discours du Tasse sont des discours importants du point de vue de la poétique du roman. La poétique du roman existe en Italie depuis le XVI e siècle, mais c’est un discours théorique qui se développe autour du problème chevaleresque et qui ne se développe plus au niveau du poème héroïque. Chez le Tasse il y a une polémique contre l’Arioste, et par conséquent il y a un refus du roman. Ce que l’on a dans l’Arioste, c’est la reprise des récits chevaleresques du Moyen Âge. Dans le Tasse c’est l’inverse. Par conséquent, la problématique du roman, on la trouve naturellement dans les discours théoriques du Tasse, mais ce sont des discours qui s’opposent aux caractéristiques qu’avait le roman à l’époque, c’est-à-dire qu’avait le récit de type chevaleresque qui est repris par l’Arioste, et pas seulement par l’Arioste, mais enfin par tous ceux qui en Italie ont repris le roman du Moyen Âge. Daniela Dalla Valle : Je revenais sur cela parce que dans de vieilles années, il y a très longtemps, on avait discuté à Turin avec Franco Simone sur le Discussion 88 succès des traités du Tasse, justement dans les préfaces, dans tous les discours, des romans français que nous possédons à Turin. Giorgetto Giorgi : C’est vrai, le Tasse a un succès extraordinaire, il suffit de penser par exemple à Scudéry. Prenons par exemple, je ne sais pas, la préface d’Ibrahim de Scudéry, il y fait l’éloge du Tasse, mais il critique l’Arioste. Scudéry cite même une phrase du duc de Ferrare assez vulgaire qui interpelle l’Arioste et qui lui dit : « Où êtes-vous allé chercher toutes ces couillonnades ? ». Alors pourquoi Georges et Madeleine de Scudéry font-ils l’éloge du Tasse et critiquent-ils l’Arioste, et par conséquent les récits de type chevaleresque ? Bien évidemment parce qu’ Ibrahim ou l’Illustre Bassa, c’est un roman héroïque ; le roman héroïque a un modèle qui est l’épopée de l’Antiquité, et non les récits chevaleresques du Moyen Âge. Evidemment c’est complètement différent : dans l’épopée, il y a très peu d’histoires secondaires, et quand il y en a, elles sont étroitement rattachées à l’histoire principale, et par conséquent, ce qui triomphe, c’est l’unité d’action. Dans l’œuvre de l’Arioste et les récits chevaleresques du Moyen Âge, c’est exactement le contraire. Il y a une prolifération d’histoires secondaires, on n’arrive pas à distinguer l’histoire principale. Dans l’ouvrage de l’Arioste, il y a trois histoires principales, et autour de chacune de ces trois histoires principales, il y a une infinité d’histoires secondaires qui gravitent plus ou moins. Je voulais terminer tout simplement en disant que Scudéry cite le Tasse, parce que Scudéry théorise le roman héroïque, et que le roman héroïque est influencé par l’épopée. Alain Niderst : Je crois qu’aussi l’Arioste souffre de la bizarrerie ou de la frivolité de certaines de ses imaginations qui sont impossibles normalement dans un grand roman et une épopée. Cela dit, il faut reconnaître aussi, c’est Cecilia Rizza qui l’avait fait remarquer à notre colloque de 1984, qu’il y a la fameuse phrase de Boileau sur « le clinquant du Tasse ». Donc le Tasse n’est pas non plus toujours vénéré. Il est vrai que c’est plus tard. Trente ans plus tard... Giorgetto Giorgi : Mais ce que tu dis est tout à fait juste à propos de tout ce discours qu’il y a chez Georges de Scudéry, de cette polémique contre l’invraisemblance, qui, bien évidemment, est une polémique contre le merveilleux chevaleresque... Jean-Marie Valentin : Bien, je crois que c’était une discussion extrêmement riche et animée. Merci encore, merci encore pour cette très belle conférence.