eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 35/68

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2008
3568

Discussion

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2008
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PFSCL XXXV, 68 (2008) Discussion Liliane Picciola : On ne s’étonnera pas trop, compte tenu de l’intérêt que j’ai manifesté moi-même pour les rapports entre Corneille et la littérature espagnole, si j’ai des questions pour les trois personnes. Pour Mme Marchal, je suis d’accord avec l’ensemble du bilan qu’elle a dressé, sauf sur un point : je ne trouve pas que les premières comédies de Corneille puissent avoir un rapport, en tout cas un rapport étroit, avec les comedias de cape et d’épée. Elle a souligné le fait que ces distinctions entre diverses catégories de comedias ne sont pas des distinctions effectuées par les Espagnols de l’époque, c’est un petit peu une classification commode pour maintenant. Je crois qu’il faudrait rapprocher davantage ces comédies des comédies urbaines : certaines comédies urbaines espagnoles sont bourgeoises, d’autres aristocratiques, et c’est surtout de celles-ci, me semble-t-il, que ces pièces auraient à être rapprochées, pour le reste je suis tout à fait d’accord. Pour Mme Schmidt, je voudrais la remercier d’avoir insisté sur ce thème de l’amitié qui me paraît effectivement quelque chose de très intéressant, je n’y avais pas beaucoup pensé en ce qui concerne Lope de Vega, il est évident que c’est un thème absolument fondamental chez Corneille, y compris dans ses tragédies, je pense en particulier à l’amitié fraternelle de Séleucus et d’Antiochus, mais aussi à celle, par exemple, de Martian et d’Héraclius. Ce qui m’a paru particulièrement intéressant dans votre intervention, ç’a été l’aspect dramaturgique de la chose, à savoir que vous avez bien montré que les intrigues qui reposaient là-dessus, ne pouvaient, me semble-t-il, bouger que si elles évoluaient d’une manière romanesque, par des enlèvements, par une disparition, par un voyage, j’ai trouvé cela extrêmement intéressant. Je me suis aussi posé une question en vous entendant, je me suis dit : il n’est question que d’amitié masculine ; or, il existe des amitiés féminines chez Lope, chez Corneille aussi, mais elles ne sont jamais traitées de la même manière. Donc je pense qu’il y aurait toute une piste d’investigation. Marie-France Schmidt : Les amitiés masculines, on les trouve déjà dans l’Iliade, dans les pièces grecques. C’est une sorte de tradition, l’amitié masculine. Mais l’amitié féminine, je ne sais pas : y a-t-il aussi une tradition de ces amitiés féminines ? Discussion 154 Liliane Picciola : Je ne crois pas que ce soit la même chose, mais vous m’avez donné envie de travailler sur un sujet de ce genre. Marie-France Schmidt : Oui, peut-être effectivement faudrait-il creuser la question. Christophe Couderc : Je ne voudrais pas répondre à la place de Mme Schmidt qui connaît le thème mieux que moi, mais il me semble que justement du point de vue dramaturgique, l’amitié féminine est toujours dans le registre comique, elle est toujours associée à la fourberie. Si l’on pense au Menteur, par exemple, les deux dames, les deux jeunes femmes sont autant amies que rivales, et c’est la même chose dans le modèle espagnol, tandis que c’est seulement du côté masculin, selon notre tradition phallocrate, que la noblesse du thème de l’amitié peut être développée, et il y a des antécédents dans les tragédies, dans les contes persans, etc. Enfin c’est un vieux topos qui ne peut être dignement développé que sur des figures masculines. Liliane Picciola : Enfin, voilà un thème de recherche : amitié et honneur chez les femmes dans le théâtre français et espagnol. Dans les premières comédies de Corneille, il est évident qu’il y a un certain nombre de différences, mais ce qui constitue un point commun très net, et important, je pense, dans la perspective cornélienne, c’est le fait que les protagonistes mènent l’action, que ce sont vraiment eux qui font l’intrigue, et que ce sont toujours des gens de condition : c’est vraiment ce qui établit le lien entre les premières comédies de Corneille et la comedia de façon générale, même si effectivement il n’y a pas d’influence spécifique perceptible ; en fait, on voit beaucoup de différences, on voit bien que les premières comédies de Corneille sont difficiles à rattacher à un modèle quel qu’il soit, c’est vraiment une démarche très originale qui est la sienne. M. Couderc a évoqué la démarche d’adaptation de Corneille qui finalement consiste à donner une dimension plus psychologique aux rapports entre les personnages que dans le modèle espagnol, on retrouve là une démarche qui finalement est assez commune aux adaptateurs de comedias de son époque, on voit que quand les rapports entre les personnages sont en jeu, en espagnol souvent ils sont indiqués simplement par des relations sociales, et dans les adaptations on va vers des interprétations plus psychologiques. Alain Niderst : Je voulais revenir sur le thème de l’amitié. Je crois que dans les tragédies il existe des femmes amies, par exemple Palmis et Eurydice Discussion 155 dans Suréna ou bien même l’Infante et Chimène, mais l’amitié féminine n’est pas un thème. Les actrices peuvent jouer ces personnages comme deux amies, c’est tout à fait possible, mais le texte ne le précise pas impérativement et l’amitié féminine n’est pas vraiment un thème, alors que l’amitié masculine l’est. Je crois que c’est là une des différences, mais d’autre part pour Alidor, Corneille dit : « Trop bon ami et trop mauvais amant », et cela a donné lieu à des tas d’interprétations. Liliale Picciola : C’est très ambigu. Alain Niderst : Oui, c’est ambigu. Enfin il est tout de même vrai qu’il abandonne Angélique à son ami. Liliane Picciola : Tout à fait. Marie-France Schmidt : Bon, alors je vais répondre à la question de l’amitié. Donc les amitiés féminines existent également dans les tragédies de Corneille, mais ce n’est pas véritablement un thème, si j’ai bien compris, cela reste épisodique, mais moi ce qui m’a frappée, c’est que dans les comédies de Corneille, dans les indications scéniques (je ne sais pas si ce sont des indications scéniques qui ont été apposées par Corneille) il y a toujours « ami d’un tel », dans Le Menteur, dans La Suite du Menteur par exemple, alors que dans les pièces espagnoles, on présente les personnages en fonction de leur statut social : gentilhomme, etc. Voilà, c’est quand même une indication, me semble-t-il, intéressante. François Lasserre : Oui, je voulais attirer quand même l’attention sur un point : Mme Schmidt met, en somme, en doute la sincérité de l’amitié dans La Place Royale notamment du côté d’Alidor. Or, si vous voulez, je crois qu’il faut réintroduire cela dans un thème qui est un lieu commun absolu de la période : « On peut trahir l’amitié au profit de l’amour », et vous trouvez cela chez Scudéry, chez Rotrou, je pense chez Mairet aussi, chez Du Ryer. L’amitié se trahit par amour ; je crois que Corneille se situe dans cette problématique, et déjà dans Mélite, puisque Tirsis, dès qu’il a rencontré Mélite, dit tout de suite en aparté quand Eraste est sorti : En amitié rien n’oblige à tenir - et ce thème-là fait qu’il y a un doute sur les amitiés dans les comédies, mais en réalité Corneille tient énormément à l’amitié masculine comme l’a dit Mme Picciola, puisque cela paraît dans des oeuvres comme Rodogune, Héraclius, etc., je crois qu’il faut distinguer les deux cas. Discussion 156 Alain Niderst : Oui, je voulais dire un mot par rapport à ce que vient de dire François Lasserre : dans Rodogune c’est un des thèmes les plus importants et qui est développé dans de longues scènes : qu’est-ce qui doit passer en premier, l’amitié des deux jumeaux ou leur amour pour Rodogune ? , et ils aboutissent à un compromis, ils disent finalement : c’est Rodogune qui choisira, mais notre amitié ne sera pas brisée. Donc c’est un cas où l’amitié l’emporte plutôt sur l’amour, mais c’est dans une tragédie, ce n’est pas tout à fait la même chose. Antoine Soare : J’ai été particulièrement heureux qu’on ait attaqué cette problématique tellement riche de l’amitié dans les pièces de Corneille, et tout de suite, le problème s’est posé tragédie-comédie. Je crois qu’il y a un trait distinctif, pertinent malgré quelques exceptions, quant au fonctionnement de l’amitié en milieu comique et tragique. Dans les comédies vous avez l’amitié seule, c’est le seul rapport qui lie les deux personnages, alors que dans les tragédies l’amitié s’ajoute à d’autres liens familiaux ou hiérarchiques, elle donne une vibration affective à ces liens parce que, Corneille le savait comme tout le monde, on n’est pas obligé d’aimer son frère, mais si on l’aime, ce rapport est sur-imprimé sur le rapport moral de fraternité, et c’est ce qui fait que le combat entre Horace et Curiace est un combat tragique ; on pourrait supposer au contraire que ces deux individus soient indifférents l’un à l’autre ou même qu’ils se détestent, ce qui leur aurait grandement facilité la tâche, mais non, ce sont deux grands amis. Même chose pour Antiochus et Séleucus la grande amitié est sur-imprimée sur le lien de fraternité, ce que vous n’avez pas dans les comédies. Même chose pour Auguste, et je finis là-dessus, chez qui au rapport hiérarchique s’ajoutent les rapports d’amitié, Auguste se cherche un ami dès le début, alors il dit : oublions la hiérarchie, je vous appelais vous, Maxime et Cinna comme des amis, et à la fin il dira à Maxime : approche, cher ami, seul ami que j’éprouve fidèle. Au fond, ce qu’Auguste cherche, c’est une amitié ajoutée au rapport hiérarchique. Mariangela Doglio : Merci, y a-t-il quelqu’un qui veut répondre ? Emmanuel Minel : Moi, j’aurais deux petites questions, des demandes de précisions, à Catherine Marchal et à Christophe Couderc. Alors pour Catherine Marchal sur le Menteur, vous dites que son dénouement est moins équivoque que chez Alarcón où la leçon morale est tel est pris qui croyait prendre. Instinctivement j’aurais plutôt tendance à penser que c’est un dénouement plus équivoque, parce que le change progressif de Dorante apparaît quand même un petit peu artificiel, et on sent que le rapport au Discussion 157 modèle dysfonctionne un petit peu, et la preuve finalement vient dans la comédie qui fait la suite : c’est le change du premier dénouement ; on apprend que Dorante ne s’est pas marié et qu’il est parti. Il y a une équivoque du personnage, qui est le comédien par excellence, qui change de destin comme il veut et puis qui brouille finalement la stabilité de dénouement de la comédie : ce n’est plus une comédie très morale, c’est simplement une comédie de l’art de l’acteur, de l’art du menteur, de l’art de changer, mais je ne suis pas bien sûr d’avoir compris... Pour Christophe Couderc, à un moment ce doit être dans l’antépénultième développement, vous parlez d’une raison générique pour le renoncement généreux de Philiste chez Corneille, et à ce que j’ai compris ce serait une raison générique qui tiendrait au genre comique. Si c’est bien cela, cela me pose problème, parce que ce renoncement final de Philiste vient plutôt dans le cadre du théâtre français brouiller les cartes, puisqu’il va ressembler beaucoup (et là il faut penser que ces pièces sont écrites après Cinna, après Le Cid) au renoncement qui va définir le personnage du roi, le personnage qui est audessus de l’amour, le personnage qui est en dehors du jeu et qui appartient au monde politique, le monde pour lequel Corneille quitte les comédies après La Place Royale: on a l’impression qu’il y a plutôt un effet de contamination qu’un effet de distinction, et ce qui est intéressant, c’est que juste après quand vous décrivez ce qui se passe dans la pièce espagnole avec Don Luis, on est exactement dans ce cas de figure, puisque c’est le personnage qui est le puissant animé par le concupiscence, l’appétit, qui finalement va s’héroïser lui-même en faisant un effort contre son appétit, et cet effort, c’est le même que celui d’Auguste dans la tragédie de Cinna, il vient en fait concurrencer l’effort du personnage héroïque éponyme, c’est-àdire soit Cinna soit Dorante ; la tragédie de Cinna devient finalement la tragédie d’Auguste, parce que le personnage qui prend la lumière sur lui, c’est celui qui réussit à faire cet effort, c’est un effort tragique, c’est un effort héroïque. Dans Le Menteur, le fait que pour Philiste cela se passe finalement sans véritable effort, plus facilement du moins, c’est cela qui va permettre d’atténuer l’héroïsation tragique et qu’on reste dans une comédie. Donc plutôt que d’asseoir génériquement la définition comique, c’est plutôt une négociation, une sorte d’intermédiaire, un genre intermédiaire, ce qui est fréquent chez Corneille, il hésite entre les deux. Christophe Couderc : Je réponds dans la foulée. Je suis parfaitement d’accord avec votre analyse ; simplement ce que j’ai voulu montrer en m’attachant plus au modèle qu’à l’adaptation qu’en fait Corneille, c’est que précisément la pièce est peut-être davantage composite chez Corneille du fait de cette absence d’une vraie justification du renoncement par l’efface- Discussion 158 ment du désir du personnage qui rend les choses beaucoup plus simples et plus explicites, en fait beaucoup plus exemplaires. Il y a une valeur didactique beaucoup plus évidente à mon avis, même si on est dans le domaine de la comedia comique, du côté espagnol, il y a une valeur exemplaire qui s’explique justement par l’évolution du personnage ; or cette évolution-là, elle est gommée chez Philiste, et du même coup son caractère héroïque s’en trouve, sinon atténué, du moins peut-être moins compréhensible. Catherine Marchal-Weyl : Simplement pour éclaircir mon propos, moi je me plaçais vraiment dans la perspective générique en l’occurrence en parlant de dénouement moins équivoque, puisque le mariage qui est d’issue traditionnelle à la comédie est censé être une récompense. Chez Alarcón, cela devient une punition. Pour que cela reste une récompense et pas une punition, ce qui pour les adaptateurs français est visiblement quelque chose d’important (parce que Corneille n’est pas le seul à opérer ce genre de transformation), il faut préparer un dénouement qui peut sembler effectivement surprenant, inhabituel, mais le préparer par une évolution psychologique du personnage qu’on peut juger invraisemblable par ailleurs. Donc c’est vraiment dans la perspective générique que je parlais d’équivoque, enfin d’absence d’équivoque plutôt...