Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2008
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Discussion
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PFSCL XXXV, 68 (2008) Discussion Pierre Ronzeaud : Liliane, je suis très, très intéressé par la problématique que vous posez, parce qu’il se trouve que j’organise une petite journée sur la pointe au mois de novembre à Aix, et je viens de relire cet été Gracián dans les deux traductions d’ailleurs, et je suis venu pour vous écouter à ce sujet : je me demandais quelle catégorie vous utiliseriez dans l’ensemble de la variété de l’agudeza qui est mise en scène par Gracián. Je trouve que vous avez fait un choix absolument pertinent, parce que la catégorie de la sentence, elle est utilisée, elle est définie par Gracián exactement, comme vous l’avez dit, dans l’esprit où elle est utilisée chez Corneille. J’ajouterai simplement aux différentes catégories que vous avez prises, celles qui concernent la dimension polémique de la pointe, qui sont la pointe par retournement de la pensée d’autrui, par retournement de l’emploi d’un vocabulaire, etc., parce que je crois qu’elles fonctionnent aussi dans le théâtre cornélien et de manière très manifeste. Enfin c’est une piste absolument passionnante je crois, et peut-être pourrait-on s’interroger sur la partie de la pointe composée, la seconde partie du discours de Gracián : il se pose le problème de savoir si dans une scène entière, en particulier dans les scènes d’affrontement, avec le jeu des stichomythies qui permet justement la rapidité de la pointe, on n’a pas aussi une forme de pointe développée à l’intérieur d’un échange. Liliane Picciola : Oui, je crois qu’il y a des choses que j’ai dû négliger. J’ai également laissé de côté le chapitre sur la coexistence : c’est dans la phrase qu’il l’aborde bien sûr, mais cela peut être transposé au plan dramatique : la coexistence de deux aspirations contraires, c’est au cœur de la dramaturgie cornélienne. En fait, j’ai supprimé des développements, mais je voulais justement citer dans cette optique une réplique qui a été citée hier : la dernière tirade de Sophonisbe, lorsqu’elle retourne complètement l’image de Massinisse pour Erixe, et il y a véritablement là la pointe polémique poussée, à mon avis, jusqu’à son extrémité la plus aiguë. C’est vrai que la deuxième partie, l’acuité composée, mériterait tout un examen, c’est vrai que j’ai fait quelques choix qui me paraissaient pouvoir s’appuyer sur des expressions précises de Corneille, mais j’avoue que c’est une piste vers Discussion 172 laquelle j’ouvrirais volontiers une recherche en ce moment, parce que cette expression de la pointe me paraît vraiment caractériser le théâtre de Corneille. Cécilia Rizza : Oui, vraiment j’ai beaucoup apprécié cette communication de Mme Picciola. J’ai trouvé l’utilisation des termes acuité et sentence et toutes les propositions concernant les formulations de dialogues chez Corneille, très heureuses ; je crois que les sentences ont été prises et adaptées d’après les traductions, j’en parlerai la prochaine fois, mais je crois que cela s’inscrit aussi dans cette tendance au conceptualisme qui est diffusée en Europe par Gian Battista Marino et son Adone, et je pense que c’est bien cette acuité dont vous parlez, mais considérée sur un panorama plus vaste, européen : Gracián et Corneille, Gracián théoricien en Europe, conceptualisme de la pointe aussi... Liliana Picciola : Il me semble justement que Marino a peut-être fait plutôt de la pointe un instrument, qu’il la considère plus comme un instrument que comme un mode de pensée. C’est la pensée en elle-même qui doit être aiguë. Gracián insiste beaucoup au début de son ouvrage sur le fait que les mots sont des instruments, l’important c’est la pensée en elle-même, donc en fait tout l’être ; cette intensité, c’est une intensité d’être. D’ailleurs des mots comme ceux que je citais, celui de Prusias ou celui d’Horace, existent chez pas mal de dramaturges espagnols qu’il aime bien, chez Lope en particulier. En fait il ne cherche pas à être original, c’est un mode de pensée qu’il décrit. Danièle Becker : Par-dessus le marché, il est le plus jésuite de tous. Catherine Marchal-Weyl : Justement par rapport à ce que vous venez de dire, c’était simplement pour ajouter, pour boucler la boucle finalement, que dans l’Arte nuevo de hacer comedias de Lope de Vega, l’auteur insiste sur les équivoques ingénieuses comme étant l’une des plus attrayantes de la comedia espagnole. Mariangela Doglio : Je remercie les conférenciers et tout le monde qui a assisté avec nous à cette matinée très importante, très forte.
