Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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Discussion
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PFSCL XXXV, 68 (2008) Discussion François Lasserre : Je voudrais dire très brièvement, je n’ai pas le temps de développer, mais Cléopâtre est une capricieuse épouvantable, et Sophonisbe dont on parlait hier est une capricieuse aussi. Et moi je verrais dans l’esprit de Sophonisbe une ressemblance avec Cléopâtre, mais je ne suis pas du tout opposé au fait que Corneille ait connu Shakespeare, mais des utilisations matérielles et concrètes, je n’en ai trouvé aucune. Alain Niderst : La vérité c’est que ces rapprochements sont toujours très difficiles, parce que quand deux textes se ressemblent, ce peut être que le texte B est tiré du texte A, c’est évident. Ce peut être aussi que A et B viennent de C, et ce peut être aussi que sans avoir une source précise, c’est une forme prégnante, comme on dit maintenant, de l’imagination qui s’impose d’elle-même, sans passer forcément par les textes précis. Alors c’est toujours délicat de départager les trois, est-ce que c’est une forme prégnante, comme je disais ? Est-ce qu’il y a une source commune aux deux ? Est-ce que l’un est source de l’autre ? C’est très ténu et ce n’est qu’en regardant les textes de très près qu’on peut peut-être arriver à une discrimination. François Lasserre : Excusez-moi, je les ai regardés de près, mais cela dit, je pense que pour approuver ce que je dis, il faudrait avoir fait les vérifications que vous indiquez, je suis tout à fait d’accord là-dessus, mais par exemple, dans la scène proche de Polyeucte, de Donusa et Vitelli, il me semble qu’il y a ce mélange d’amour humain et d’amour divin qui est l’essentiel du Polyeucte de Corneille. Danielle Becker : J’aurais voulu juste poser une question, vous n’avez pas donné les dates de vos pièces anglaises, et excusez-moi, n’étant pas angliciste, ces pièces anglaises par rapport à celles de Corneille, quelle distance ? François Lasserre : J’ai vérifié que toutes les pièces dont je parle étaient imprimées dans les années 1610. J’ai vérifié également les dates d’impression des pièces de Marlowe, il y a des catalogues anglais qui sont bien Discussion 188 faits, et je vais même vous faire un aveu, il y a des pièces pour lesquelles j’étais tenté de faire certains rapprochements, mais dont je n’ai pas la certitude qu’elles aient pu être connues. La communication d’Alain Niderst d’hier me ferait supposer que je pouvais être un peu plus audacieux, je n’ai parlé que des pièces dont il y a une impression... D’ailleurs, je vous l’ai dit pour Coronation : impression en 1647 au plus tard, in-folio... Danièle Becker : Ah, que sait-on de la connaissance de l’anglais de Corneille ? François Lasserre : Je n’ai pas voulu aborder ce sujet parce que je n’avais pas le temps, mais vous lisez dans le recueil des Etudes sur le théâtre français de Raymond Lebègue : Corneille ne savait certainement pas l’anglais, et moi ce que j’ai écrit pour être plus exact, c’est que Raymond Lebègue ne savait pas si Corneille savait ou non l’anglais. Il ne faut pas affirmer que Corneille ne savait pas l’anglais. Alain Niderst : Oui, je crois qu’on a tendance à sous-estimer un petit peu l’expansion de l’anglais et aussi de l’allemand d’ailleurs. En France, on part de l’idée qu’on savait l’italien et l’espagnol, et jamais l’anglais et l’allemand, cela me paraît un peu simpliste, parce qu’il y a tout de même beaucoup de Français qui ont voyagé en Angleterre, et ce que je voulais dire aussi, c’est qu’après les années 1640, avec la révolution anglaise il y a beaucoup de gentilshommes anglais qui se réfugient en France, ils apportent avec eux des livres, et ces livres se communiquent, c’est vraisemblable, ce n’est pas une certitude évidemment, mais c’est vraisemblable. Antoine Soare : Je voudrais tout d’abord remercier François Lasserre pour ses nombreux rapprochements dont certains sont particulièrement convaincants. Je pense surtout aux imprécations de Cléopâtre, d’autant plus que ces imprécations n’existent pas, que je sache, dans le cadre antique. Cette idée, « Puisse naître de vous un fils qui me ressemble » n’existe pas dans l’antiquité, donc on ne peut pas invoquer la prégnance commune. Par contre, pour ce qui est de Shakespeare, je ne l’exclurais pas aussi catégoriquement du champ de ces recherches, ne serait-ce qu’en vertu de ce qu’Alain Niderst appelait très bien la circulation des canevas, c’est sûr que c’est un élément incontrôlable mais qu’on parviendrait tout de même à serrer d’assez près par des études chronologiques bien centrées. On devait se raconter à l’époque ces pièces, même d’une langue à l’autre comme on se raconte de nos jours un film qu’on a vu comme ça entre copains, et à cet égard les similitudes entre Hamlet et Rodogune sont frappantes malgré ou Discussion 189 plutôt à cause de leur référence commune qui est l’Orestie. Dans les deux pièces vous avez un élément nouveau, le refus du fils de venger le père sur la mère, et c’est très important dans le cas de Shakespeare : Shakespeare n’était pas tenu par le vraisemblable, il concevait sa pièce dans une dramaturgie où on tuait sa maman sans complexe. Donc, de ce point de vue c’est Shakespeare qui innove. Corneille, c’est sûr qu’il ne pouvait se permettre d’imaginer le matricide, c’était le tabou total, mais en tout cas le refus est le même. Deuxièmement, par rapport à Cléopâtre : la culpabilité de la mère est ambiguë, incertaine, dans les deux cas, Gertrude et Cléopâtre, on ne sait pas trop, et troisièmement, c’est un élément dont il faudrait peut-être étudier l’évolution chronologique, le dénouement par la coupe empoisonnée qui change de destinataire en cours de service, à ce que je sache, cela n’existait pas avant Shakespeare et ensuite on le retrouve chez Corneille. Maintenant j’adresse la question à des spécialistes du théâtre italien et du théâtre espagnol : si vous connaissez au XVI e siècle des pièces où joue cette coupe empoisonnée, je serais très intéressé de l’apprendre, mais c’est sûr que mes connaissances du théâtre italien et espagnol sont plutôt modestes. Alain Niderst : Alors si quelqu’un veut répondre à Antoine Soare, je lui donne évidemment la parole, mais il faut que nous passions ensuite à la communication de Mme Dosmond... Donc pour la question posée nous demeurons dans l’ignorance, nous devons laisser la porte ouverte à différentes possibilités que seules des études historiques extrêmement raffinées pourraient arriver à résoudre...
