Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2008
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Persée et Andromède de Lope de Vega à Calderón de la Barca et de Corneille à Lully (1613-1682)
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Daniele Becker
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PFSCL XXXV, 68 (2008) Persée et Andromède de Lope de Vega à Calderón de la Barca et de Corneille à Lully (1613-1682) DANIELE BECKER (Université de Paris IV) Cette étude trouve sa justification dans la renommée des auteurs qui se sont intéressés à ce thème : Lope de Vega puis Calderón de la Barca ont régné sur le théâtre ibérique de 1585 à 1681 et ont imposé à leurs émules ou épigones des formes de spectacle qui deviendront propres à la péninsule, même si leurs prémices naissent en Italie ; de l’autre côté de Pyrénées toujours bien hautes, nous voyons émerger avec Corneille une nouvelle forme de théâtre de cour dit « à machines », auquel il sacrifie de son propre aveu, car le sujet d’Andromède lui semble le plus approprié pour cet essai. Ce faisant, il oppose l’art théâtral devenu « à la française » à l’opéra musical que Mazarin tentait d’acclimater à la cour. Or, vingt cinq ans après, Lully et Quinault avec leur tragédie lyrique Cadmus et Hermione (27 avril 1673) ouvraient une brèche dans la forteresse du théâtre parlé tragique et, en avril 1682, triomphait leur opéra - ballet Persée, à côté de la reprise d’Andromède de Corneille avec la musique de Marc Antoine Charpentier que Lully avait réussi à exiler du théâtre d’opéra. Nous nous placerons du côté des spectatrices privilégiées que furent les reines espagnoles, Anne d’Autriche, puis Marie Thérèse sa nièce, qui purent voir ou connaître les divers traitements de ce même sujet, à des âges différents et dans des circonstances, il est vrai, différentes aussi, mais qui purent ainsi évaluer l’évolution d’esthétiques variées durant près de soixante-dix ans.Au plan symbolique, ce sujet pouvait constituer un thème idéal pour des accordailles ou épousailles royales : Persée y représentait la fortune de la fiancée Andromède, sauvée à la fois d’un monstre anéantissant son royaume et d’un époux incapable de la défendre des inclémences des temps et des dieux. Or, sauf avec l’œuvre du jeune et médiocre Jean Boissin de Gallardon, éditée en 1618, ce n’est jamais le cas dans les deux pays. Danièle Becker 226 Lope de Vega a composé, pour le voyage des infants et de leur père, en octobre 1613, à Ventosilla, chez le duc de Lerma, favori du roi qui préside aux divertissements royaux, cette Fábula de Andrómeda y Perseo où il exhibe tout son savoir-faire littéraire et théâtral pour distraire les jeunes infants, Anne âgée de douze ans, promise depuis peu au non moins jeune Louis XIII (né aussi en 1601) et Felipe, âgé de huit ans et demi, promis à Elisabeth de Bourbon, âgée de dix ans, sœur de Louis XIII. À cinquante et un ans, Lope est au faîte de sa gloire théâtrale, mais souhaiterait faire carrière auprès des rois comme historiographe, ce qui lui sera toujours refusé. La pièce se veut distrayante et pédagogique à la fois, ce qui explique certains choix de l’auteur : l’histoire de Persée, depuis sa naissance, la révélation de sa filiation divine, ses aventures avec Méduse aidé par les objets magiques confiés par Mercure et Pallas sont propres à flatter l’imaginaire d’un jeune garçon ; le combat de Persée avec les quatre cavaliers, Envie, Flatterie, Ingratitude et Jalousie, gardiens du territoire de Méduse excite son instinct guerrier. Lope en rajoute en insérant une « vision de Virgile » chantant les exploits de Persée, assimilé au futur Felipe IV « qui sera la couronne du monde et le soleil de la sphère d’Autriche » ! Rien n’est omis de la légende ovidienne : voici Pégase, né du sang de Méduse, les démêlés de Persée avec le magicien Atlante au rameau d’or, pétrifié en Atlas. Peu avant est apparu Phinée,venu consulter Atlante sur son destin et celui d’Andromède. C’est au tour de l’infante Anne de s’intéresser au sort de la princesse dont l’existence a été révélée à Persée par un portrait, dérobé à Phinée, et que lui a offert Méduse, avant de périr, pétrifiée par le bouclier miroir de Pallas. Ici Lope donne une leçon à Doña Ana : Andromède reste indifférente à l’amour de Phinée, alors que sa suivante Laura en est éprise. Andromède veut ignorer les souffrances d’amour. Enfin le roi de Tyr (sans nom) annonce à Andromède le danger qui menace le royaume : elle sera la victime expiatoire de l’orgueil de sa mère, Cassiopée. Phinée, impuissant, devient fou de la folie de Roland : espace comico-tragique. Persée arrivera sur Pégase à temps pour délivrer Andromède, attachée au rocher, non sans s’être présenté et l’avoir convaincue de se promettre à lui, le héros parfait, « dont le père fera triompher la vertu sur les Destins ». Diverses péripéties de la folie de Phinée qui veut combattre Persée pour s’emparer d’Andromède, conduisent Persée à lui montrer le bouclier miroir, qui, obéïssant à Persée, au lieu de le pétrifier, lui restituera son bon sens : Phinée épousera Laura car, dans ce contexte de jeunes spectateurs, toute fin malheureuse est exclue. Seul un auteur aussi sûr de lui que le Phénix des beaux esprits pouvait prendre de telles libertés avec la légende. Lorsque trois ans après, Anne d’Autriche assiste à la version de Jean Boissin de Gallardon, elle doit être Persée et Andromède 227 passablement déçue par cette sèche Perséenne, 1 soumise aux impératifs des trois unités et qui se résout en récriminations et propos imprudents de Cassiopée, Céphée et Phinée, une crise de jalousie de Persée vis-à-vis d’Andromède, laquelle se défie des paroles du prince et redoute les promesses faites à Phinée par Céphée. Le dernier acte montre la guerre malheureuse de Phinée et sa troupe contre Persée, opportunément aidé par Pallas qui vient prêter son bouclier à son « germain ». Andromède est spectatrice soumise de son martyre et de sa gloire : on n’en demande pas plus à Anne d’Autriche. Il est vrai qu’alors le spectacle de cour est plus orienté vers le ballet que vers le théâtre, à l’inverse de ce qui a lieu en Espagne. Le temps a passé et c’est en son âge mûr de reine régente qu’Anne peut enfin apprécier, avec le dauphin âgé de onze ans et demi, la pièce à machines de Corneille dont la création au palais s’était trouvée retardée. En janvier 1648, comme le rappelle Alain Niderst, la création est encore repoussée 2 . Mais le succès, relaté par l’Extraordinaire de la Gazette de Renaudot du 18 février 1650, compense ce retard lié aux événements. Corneille s’essaie donc à un nouveau genre, pour la France, dans lequel il s’aventure avec précaution, loin de la fougue romanesque hispanique, pour qui, pièce à machines rime avec décors multiples et musique, où l’argument narratif se déroule sur un temps long, indéterminé, dans des lieux variés avec diverses intrigues qui s’entremêlent pour déboucher sur une fin commune qui les rassemble. Cinq décors pour l’Andromède de Corneille : mais à vrai dire autour d’une unité de lieu, dans la place royale du premier acte, le jardin du palais, espace de pastorale amoureuse au second acte où Phinée récrimine contre la supposée froideur d’Andromède à son égard, au moment même où elle se sait vouée au rocher et au monstre et voit ses craintes confirmées par l’apparition d’Eole et des Vents venus l’enlever. L’amoureux discret Persée, arrivé lors de cet enlèvement, montre son amour, sa vaillance et sa confiance dans l’oracle de Vénus. Le troisième acte se déroule au rivage, avec le rocher où se lamentent Andromède et Cassiope : acte fertile en machines, puisque le monstre apparaît sur la mer et Persée descend des nues sur Pégase ; le chœur l’anime au combat contre le monstre dans une sorte de mini-ballet ; sa victoire obtenue, les vents reviennent détacher la princesse et Persée, remonté sur Pégase, caracole en l’air sous les cris de joie 1 Les infants espagnols, comme héritiers de la maison de Bourgogne, héritée de Philippe le Beau, apprennent le français avec le professeur des petits chanteurs de la Chapelle royale, dirigée jusqu’en 1637, par un franco-flamand. 2 Alain Niderst, Pierre Corneille, Paris : Fayard, 2006. Au Marais on a joué une Andromède et Persée « avec machines imitées de l’Orphée des italiens ». Est-ce une version première de la pièce que verra la reine en janvier 1650 au Petit-Bourbon ? Danièle Becker 228 du peuple. Pour faire bon poids, Neptune vient sur son char encourager ses trois néréïdes sorties des flots. Puis les néréïdes disparaissent dans la mer. L’acte III, commencé comme une tragédie lyrique quoique parlée, se poursuit et s’achève par une abondance de machines propres à une grande fête de cour, où la musique du chœur, ici réduite, aurait pu se développer bien davantage vers l’opéra. Corneille s’y refuse résolument. Le quatrième acte revient à la grand’salle du palais, disposée pour les noces des héros : nous revenons à la tragi-comédie, puisqu’apparemment s’annonce une fin heureuse. L’humeur galante qui domine fait valoir la générosité et l’amour parfait de Persée et la délicatesse des sentiments d’Andromède qui s’étonne de son propre changement si brusque vis-à-vis de Phinée, dont elle se sent gênée et inquiète. Les déboires de Phinée, soulignés par les reproches amers de la princesse nous renvoient vers la tragédie et la menace d’un combat inégal, où pour la première fois est mentionné le bouclier avec la tête de Méduse. Phinée retrouve quelqu’ardeur au combat, soutenu au ciel par Junon sur son char : soutien illusoire. Tandis que le chœur de musique reprend des bénédictions pour ces « heureux amants », les rois et Persée se préparent à sacrifier aux dieux ennemis, Neptune et Junon ; Céphée s’adressera à Jupiter. Le dernier acte se résout devant le superbe temple de Jupiter que l’architecte-décorateur a voulu brillant et réfléchissant la lumière. Avec sa conjuration Phinée occupe le devant de la scène ; espérant toujours reconquérir Andromède, il en est détrompé par Andromède et par Cassiope qui lui donne une leçon de finesse amoureuse. Comme dans tout bon dernier acte, le suspens se maintient jusqu’au bout : au Persée attaqué à la scène IV, dans le récit d’Aglante, succède le Persée triomphant du récit de Phorbas, à la scène suivante, qui retrouve le souffle de celui du Cid. Un nouveau coup de théâtre, la fermeture des portes du temple de Jupiter, ménage un final inespéré : Mercure en messager du Ciel annonce l’arrivée de Jupiter et avec les chœurs de bénédictions, Jupiter, Junon et Neptune descendent de trois nuées et « occupent toute la face du théâtre » ce qui leur permettra de remmener aux cieux les rois et les héros dans une apothéose qui conforte le mythe de leur métamorphose en constellations. Cette remontée de sept personnages dans les trois nuées, le roi et Persée avec Junon, la reine et Andromède avec Neptune, et Jupiter seul sur son trône brillant, constitue l’acmé du spectacle. Vue sous cet angle, la pièce ne s’éloigne pas des canons du théâtre français. Pour sauver la vraisemblance Corneille fait de Persée un chevalier d’aventure, inconnu d’abord, mais amoureux d’Andromède, transi et sans espoir, selon le code de la galanterie, conforté par la situation d’Andromède promise à Phinée. Les deux héros font assaut de générosité. Le martyre d’Andromède permettra à Persée de se distinguer et de se faire accepter par Persée et Andromède 229 les rois et finalement par la princesse ; en effet il ne réclame pas aux rois le prix de sa victoire, mais souhaite l’aveu et le consentement d’Andromède, à l’inverse de Phinée qui exige ce qu’il pense être son dû. Certes, bien des événements se succèdent rapidement, mais en même temps les dialogues d’arguments et les récits étoffent le déroulement de la pièce et lui donnent son aspect d’enseignement des conduites héroïques pour les gens de cour, selon l’éthique « précieuse » à la française. Anne d’Autriche, mère du Dauphin, qui a quitté l’Espagne depuis quasiment trente-cinq ans, se souvenaitelle des spectacles de sa jeunesse ? En 1653, sa nièce et future belle-fille, Marie-Thérèse, se charge officiellement d’organiser une fête royale composée par Pedro Calderón de la Barca, 3 pour célébrer la guérison de la jeune reine Mariana, nièce et seconde épouse de Philippe IV ainsi que la victoire de D. Juan José, demi-frère bâtard de l’infante. En matière de tragi-comédie à machines, Calderón a une certaine expérience depuis les années 1636-1639, et dès 1652 il bénéficie de l’arrivée de l’ingénieur florentin Baccio del Bianco qui remplacera le précédent. Ce dernier qui a pu avoir vent de la fête cornélienne, par la Gazette de Loret, déploie tout son savoir-faire avec dix projets de décors et un rideau de scène allégorique. En outre pour un spectacle rassemblant tous les arts, il trouve en Juan Hidalgo, compositeur de la chambre du roi, un musicien disposé à s’essayer au récitatif arioso et au recitar cantando ou representar, réservé aux dieux dans ces nouvelles conventions théâtrales. Par la nonciature apostolique de Mgr. Rospigliosi, futur Clément VII, ami de Calderón, il est initié à la musique de l’opéra italien. Y a-t-il rivalité avec la Cour de France ? Si Corneille a écrit un exceptionnel prologue où Melpomène converse avec le Soleil sur son char, en l’honneur du spectacle et « du plus jeune et du plus grand des rois », Calderón, accoutumé aux Loas-prologues, renchérit avec un rideau de scène, dévoilant un Atlas (Philippe IV) supportant le monde et qui se redresse lorsqu’éclate l’air célébrant la guérison de la reine : « Vive tú, vivirá todo » qui sert de devise 3 Calderón avait peut-être ce projet dans ses tiroirs, mais les deuils successifs de la cour l’avaient réduit au silence jusqu’en 1651, faute de nouvel architecte décorateur pour succéder à Cosme Lotti décédé. Si Las Fortunas de Andrómeda y Perseo pouvaient constituer une fête de noces royales, encore fallait-il que l’époux pût s’identifier à Persée, ce qui aurait mieux convenu à l’infant Baltasar Carlos à qui Mariana était d’abord destinée. La mort de l’infant en 1647, après celle d’Elisabeth sa mère en 1644, plongea la cour dans le marasme successoral. En 1649, Philippe IV se résout donc à épouser sa nièce : il est alors plus Phinée que Persée. En 1653, il n’est plus question d’identification des rois au premier degré : à la rigueur Mariana est une Andromède sauvée de la maladie et de la mort, mais Persée nous renvoie à D. Juan José, sauveur du royaume. Danièle Becker 230 au frontispice du théâtre. Pourtant Calderón garde la maîtrise de son œuvre et loin de Corneille, reste fidèle à des thèmes déjà traités dès 1635, dans La Vie est un songe, celui des destins confluents au final. Le titre Fortunes de Persée et Andromède, contient l’argument qui s’avère nécessairement chronologique et romanesque. L’argument principal se centre sur Persée, à la recherche de son identité et de son destin : celui-ci lui étant à demi révélé grâce à un songe dans la grotte de Morphée où il est attiré par un simulacre d’Andromède, figuré par Mercure, lui permet de régresser jusqu’à sa conception et de découvrir en même temps l’image de celle qui sera son destin. Persée s’efforcera d’être digne de lui-même et de sa filiation divine. L’aide de Mercure et de Pallas lui est nécessaire pour vaincre les obstacles suscités par Junon et la Discorde alliées aux Furies infernales. Bato, le valet comique de Persée, par son entrée involontaire dans les Enfers, provoque l’effroi, mais compense par ses réflexions triviales, le fantastique impressionnant du tableau : « Tout n’est qu’invention de l’auteur. Qui serait assez fou pour y croire ? », nous dit-il. Cependant, ce retour au passé secret induit un triple récit : celui des aventures de Danaé et d’un exfiancé Lidoro, supplanté par Jupiter jadis, et celui de Phinée. Tous deux sont venus consulter l’oracle de Jupiter, l’un pour Danaé et l’autre pour Andromède, en présence de Persée et Bato. Les dieux et déesses prennent une part active (et musicale) à l’action. Et c’est là la nouveauté de ce théâtre, outre la variété des décors de bocage, puis maritimes et de palais : les dieux chantent sans être toujours bien compris des humains, tandis que les héros parlent. En outre, on entend la musique prophétique des chœurs célestes, et celle des Enfers, le chœur des Néréïdes, formant un ballet pour se réjouir du martyre d’Andromède, et le final musical où Mercure annonce les noces du fils de Jupiter, devant tous les dieux de l’Olympe rassemblés en haut du théâtre. Ainsi, Persée aidé de Pallas et de Mercure vaincra Méduse et Atlas, et pourra mener à bien sa troisième et dernière aventure : la Délivrance d’Andromède, entreprise chevaleresque à lui seul réservée. Le destin d’Andromède ne dépend que de la vaillance du héros. Sa fortune d’abord hasardeuse devient ainsi positive, mais passive désormais ; pour elle, nul doute qu’elle ne soit destinée au vainqueur du monstre : point de liberté de choix, ni d’attitude galante de Persée évoquées. De chasseresse qu’elle était, encore sans attache, elle est devenue proie, et libérée par Persée, elle se soumet à sa loi, comme étant le plus digne de la protéger. Persée a vaincu deux monstres (la jalousie de Phinée et le monstre marin de Neptune) ; il a ramené la paix entre deux royaumes, comme D. Juan José d’Autriche. Ce rattachement de l’intrigue à l’actualité politique, empêche Calderón de proposer une apothéose des héros, qui aura lieu en 1660, dans Celos aún del Persée et Andromède 231 aire matan, tragédie lyrique écrite pour les noces de Marie-Thérèse et Louis XIV. Ce nouveau genre théâtral nous fait mesurer les différences avec la conception de Corneille en 1648-1650. Ici tout repose sur le fantastique qui aide le héros à conquérir son trophée et à devenir lui-même. La galanterie du héros n’apparaîtra que plus tard, chez Calderón. La mère d’Andromède est absente ; Danaé est vue comme un objet de désir, donc rôle de première ou deuxième dame. La part laissée aux chanteurs comédiens, outre les chœurs issus de la maîtrise royale, retardera plus encore qu’en France, l’accueil de l’opéra, en installant le genre mixte et plus bref de la zarzuela mythologique. Sept ans plus tard, Marie-Thérèse épousant Louis XIV, sans qu’aucun des deux n’ait été libre de son choix, assistera à l’opéra de Cavalli Xerses, car Ercole amante n’était pas prêt 4 , et à La Toison d’Or de Corneille. Là, Jason abandonne Hypsipile au profit de Médée qu’il enlève pour s’emparer de la Toison d’Or, allégorie de Marie-Thérèse, qui doit apporter une dot considérable et de l’Espagne, propriétaire de l’Ordre bourguignon. La voilà avertie : dans Celos, elle doit faire confiance à son époux, même volage ; dans Jason, elle n’est qu’un trésor politique convoité, comme dans El maestrazgo del Toisón, auto de Calderón de 1659, qu’elle a vu avant son départ pour la France, en avril 1660. Si ce n’est déjà fait par la voie diplomatique, Marie-Thérèse aura pu raconter à sa tante Anne et à Louis, l’extraordinaire fête de 1653, car on n’a pas retrouvé d’exemplaire manuscrit de l’ouvrage, comme il y en avait eu un envoyé à Vienne. A la lecture de l’examen de l’Andromède par Corneille, de 1660, elle a pu comparer les deux optiques théâtrales. Le sujet semble en France épuisé ; mais en 1680, lorsque Marie-Louise en Espagne doit assister aux autos sacramentales pour la Fête-Dieu, de Calderón, dont l’un reprend le sujet d’Andrómeda y Perseo, où Persée, le Christ, délivre l’Âme, Andromède, du démon, le thème reviendra en France sur le tapis. 5 4 Il sera joué en 1662. Curieux sujet pour des noces, où on voit Hercule abandonner Déjanire, pour Iole, la fiancée de son fils Hylas, alors qu’il en a tué le père. Vénus souhaite aider Hercule et Junon s’y oppose. Hercule brûlé par la tunique teinte du sang de Nessus, mourra sur le bûcher, puis épousera la Beauté au ciel, comme Louis XIV, nouvel Alcide. Le sujet de Xerses était plus approprié ; il conte les tribulations du héros, neveu du Grand Cyrus, pour épouser Amastre, fille d’Othman, compagnon de Darius. 5 Autour des noces de Marie-Louise et Charles II, les dramaturges s’efforcent de reprendre les sujets traités dans le pays voisin : on familiarise l’autre cour aux succès de la cour d’origine et on fait connaître à la nouvelle reine, d’autres versions d’un même sujet (Cadmus et Hermione, Psyché et Cupidon, Persée et Danièle Becker 232 Dans son prologue Lully affirme qu’il doit son sujet à Louis XIV ; mais ne serait-ce pas sous l’influence de la reine Marie-Thérèse, qui à l’occasion des noces de sa nièce Marie-Louise avec son demi-frère Charles II, reverrait volontiers traiter le sujet de Persée, cette fois, soit dans une reprise de Corneille avec une musique plus étoffée, ou mieux encore dans un spectacle musical qui, depuis sept ans, a trouvé son point d’équilibre avec Cadmus et Hermione ? La réalisation du projet ne coïncide pas avec ces noces royales, mais contribuera en 1682 à la gloire de Louis XIV et de sa « fortune », comme le chante le prologue où Vertu dialogue avec Fortune qui lui offre ses services. Rappel, même lointain, de la posture de Calderón plus que de celle de Corneille. Le titre de Persée annonce l’intention héroïque du sujet, même si la galanterie domine les débats des personnages. L’œuvre de Quinault et Lully, avec ses chants et ses ballets, altère notablement l’argument. Dans l’univers féminin passif d’Andromède et de Mérope dirigé sans succès par Cassiope, et d’opposition colérique de Junon et Méduse, Céphée et Phinée croient exercer leur autorité ; mais Persée, assisté de Mercure, est le seul à pouvoir triompher des obstacles sans perdre rien de sa soumission à Andromède en amour, comme chez Corneille, car dès l’abord, il est reconnu comme « le fils du plus grand des dieux ». L’introduction de la mélancolique et malheureuse Mérope, sœur de Cassiope, change et édulcore le propos. Ce rôle plaintif étoffe l’argument dans le sens du lyrisme mais peut devenir lassant, car il est ressenti comme un obstacle désespéré à l’union programmée de Persée et d’Andromède, pendant de l’actif et récriminant Phinée. Mérope refuse de s’allier à Phinée contre Persée qu’elle aime. Phinée, tout à sa jalousie et à son envie, en accable Andromède qui voudrait pourtant suivre son devoir. Les clairvoyances et les reproches de Phinée ont raison de sa patience et de son esprit de sacrifice. Méduse représente le premier danger qui menace le royaume de Céphée, et que Persée s’offre à combattre en échange de la main d’Andromède. Mais il tient à celle-ci un autre discours, lorsqu’il constate qu’Andromède, qui s’en défend, partage ses sentiments. Les actes II et III ménagent les espaces de merveilleux et de ballets qui paraissent plus inspirés du théâtre caldéronien des années 1650-1662, que du théâtre français, comme les forges des Cyclopes, les apparitions de nymphes de Pallas ; la nouveauté réside dans le prêt du casque de Pluton qui rend invisible ; la berceuse à Méduse chantée par Mercure rappelle celle de ce dieu à Argus en 1672 dans Los celos hacen estrellas de Juan Vélez ; le Andromède, une scène du Bourgeois gentilhomme dans Hado y Divisa de Leonido y Marfisa), voir Danièle Becker, « Cadmo y Harmonía, de la tragédie en musique versallesca a la fiesta real y zarzuela madrileña », Homenaje a Alberto Navarro González, Reichenberger, Kassel (1990), pp. 41-62. Persée et Andromède 233 tableau des Gorgones évoque celui des Furies de Calderón, avec de surcroît le Ballet des Fantosmes suscités par le sang répandu de Méduse. Les actes IV et V reviennent au propos principal : l’exposition d’Andromède sur le rocher, dont se sont emparés les Tritons, l’alliance de Junon, Thétis et Neptune contre le couple héroïque avec le divertissement marin de ces dieux, les lamentations d’Andromède sur ses malheurs dont l’abject Phinée se réjouit, ce qui indigne Mérope qui s’est résignée et craint pour Persée. La victoire de Persée donne lieu aux réjouissances populaires des matelots et de leurs femmes. L’acte V, comme toujours, voit le retour de Phinée pendant les préparatifs des noces : mais Mérope avertit Persée du danger ; cependant Persée ne fuit pas, mais affronte en un ballet-tournoi Phinée et ses troupes. Dans la confusion, un trait des opposants frappe, bien sûr, Mérope. Cette confusion ne cesse que lorsque Persée emploie les grands moyens en exhibant la tête de Méduse contre Phinée et les siens. Puis, comme nous sommes dans un opéra-ballet, Persée introduit l’arrivée de Vénus, Amour et l’Hymen pour reprendre ces noces interrompues. Une grande passacaille introduit les déités de l’apothéose : Vénus, sur ce timbre chante la protection de Jupiter et l’apaisement de Junon ; elle invite, comme chez Corneille en 1650, et en 1660 chez Calderón, le couple héroïque à l’apothéose auprès des dieux et à leur métamorphose en constellations, selon le mythe ovidien. En 1682, pour le goût de la cour de France, l’opéra-ballet justifie le mieux ce déploiement de fantasmagories. La tragédie cornélienne avait initié le genre, mais était restée en deçà des possibilités théâtrales : en 1650, on ne mêlait pas le ballet de cour au théâtre. Calderón, d’abord réticent devant le théâtre totalement chanté, avait cherché un moyen terme, avec ses conventions du langage des dieux opposé à celui des hommes. En 1653, les ballets sont à peu près absents parce que, en Espagne, alors seuls les rôles pastoraux peuvent danser sur des timbres pseudo-folkloriques. Plus tard il leur adjoindra les chœurs et danses de prêtres et sacrificateurs dans le style de l’opéra et de l’auto sacramental dans le nouveau genre lyrique de la zarzuela en deux actes. Quinault et Lully représentent en France le point d’aboutissement du spectacle musical total, tandis que, à cause des menées de Lully contre Molière, le théâtre parlé se trouve, depuis 1672, privé de tout apport musical important.