Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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Discussion
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PFSCL XXXV, 68 (2007) Discussion Yves Giraud : Grâce à nos deux oratrices, nous avons maintenant un peu de temps pour la discussion, mais je ne saurais trop recommander aux intervenants la brièveté... François Lasserre : Je voulais dire une chose sur la communication de Mme Viegas Dos Santos, qui a commencé par un point extrêmement vivant et intéressant, sur ce qui se fait actuellement, et cela me paraît pouvoir être mis en relation avec le problème qu’a soulevé M. Fumaroli et auquel a répondu Mme Picciola. Je vois que d’ailleurs la chose a l’air d’intéresser Mme Picciola, je ne sais pas si elle a la même idée que moi, c’est-à-dire que Corneille a ses chances maintenant du côté d’une répercussion politique, et le plus intéressant, c’est que la pièce choisie, si j’ai bien compris, c’est Horace, j’ai cru comprendre qu’Horace a été joué dans le mouvement de cette visée de liberté, d’expression de la liberté politique, et cela suppose une interprétation d’Horace qui est extrêmement intéressante. Ana Clara Viegas Dos Santos : Si l’on veut résumer en deux mots la fortune de Corneille, je pense qu’on peut la placer d’abord au niveau poétique et au niveau de l’influence qu’il a eue sur le plan esthétique depuis le XVIII e siècle, surtout auprès des académiciens. L’œuvre de Corneille a marqué par ses écrits théoriques et elle est posée en tant que modèle contre la culture dominante qu’était la comédie espagnole, comme un peu partout dans l’Europe. Aujourd’hui avec ce qui se passe sur la scène portugaise et cette nouvelle position par rapport aux classiques, on a encore cette attitude liée à un intérêt poétique, puisque dans toutes les mises en scène on a surtout essayé de préserver le texte ; même si les mises en scène apportent bien sûr une actualisation par rapport à l’actualité politique et culturelle au Portugal, il est certain que le texte et le côté poétique ont été maintenus. Antoine Soare : Ma question s’adresse à Mme Dos Santos. Ce que vous disiez du marquis de Valença critique du Cid sur les traces de Scudéry m’a beaucoup intéressé, mais j’aimerais savoir, peut-être avec un peu plus de précision, ce que le marquis pensait du mariage même de Rodrigue avec Discussion 290 Chimène, parce que ce mariage, après tout, avait été accrédité par le théâtre espagnol, et que Scudéry en venait à parler contre le théâtre espagnol dont le marquis de Valença était en principe l’apologiste. Il y a donc une petite contradiction, et, si vous pouviez nous fournir un peu plus d’informations sur ce plan, je vous en remercierais... Ana Clara Viegas Dos Santos : Effectivement c’est très intéressant, je n’ai pas eu le temps ici de le faire, mais peut-être que j’aurai l’occasion dans le texte de ma communication de donner quelques citations justement de ces textes qui ont circulé à propos de la querelle du Cid. Ce qui semble clair, c’est que le marquis de Valença reprend exactement les mêmes critiques qui avaient été faites par Scudéry dans les Observations, et notamment sur le caractère de Chimène et ce scandale que constitue le mariage avec l’assassin de son père. La question est posée au même niveau auquel elle avait été posée en France, c’est-à-dire autour du vraisemblable et du vrai, de la vérité historique. Le marquis, effectivement, accuse Corneille de ne pas s’en tenir au vraisemblable parce que cela choquait le public, alors qu’Alexandre de Gusm-o, quand il reprend ces observations et qu’il répond au marquis en défendant la tragédie du Cid, s’exprime comme les défenseurs de la pièce l’avaient fait en France (et cela prouve qu’Alexandre de Gusm-o, qui avait vécu en France, connaissait très probablement à fond les textes de la querelle du Cid en France). Il explique pourquoi Corneille a décidé de prendre ce sujet et cet épisode en le disculpant au nom de la vérité historique, et non pas au nom du vraisemblable. Cecilia Rizza : Une petite question simplement sur la traduction polonaise du Cid : de quel texte, de quelle édition, le traducteur s’est-il servi, parce qu’il y a quand même une bonne différence entre le texte original et les éditions ? Irène Mamczarz : Oui, il s’est servi certainement de l’édition de La Haye de 1644, parce qu’elle était dans la bibliothèque de Louise-Marie de Gonzague que tenait son secrétaire, qui était M. Desnoyers. Alain Niderst : J’avais juste une question à poser à Irène. Oui, si on a repris Le Cid à ce moment-là, est-ce que c’est pour des raisons politiques, à cause des guerres que tu as évoquées, ou est-ce que c’est simplement parce que la reine, je crois, était française ? Je ne sais plus son nom, mais c’était une princesse française : est-ce que ce serait elle qui aurait voulu cette représentation, ou sont-ce les raisons politiques qui l’ont emporté ? Discussion 291 Irène Mamczarz : Non, d’abord Morsztyn est un grand poète, il connaît bien la littérature française, alors il adapte le chef-d’œuvre de Corneille pour des raisons plutôt littéraires, poétiques, comme un modèle de la tragédie classique. D’ailleurs la tragédie était déjà connue au XVI e siècle en Pologne avec Kochanowsky. Tel est le premier motif de la représentation qui a lieu en 1662. Il est vrai que cette représentation a eu lieu dans un contexte de guerre et de victoire de la Pologne, mais la traduction a été faite avant. J’ai dit que la traduction a été faite en 1645, c’est-à-dire quelques années plus tôt. Alain Niderst : Oui, mais si le roi a voulu la représenter à la cour en 1662, c’est certainement pour des raisons politiques, ou alors, comme je le supposais, à cause de l’influence de la reine, c’est possible aussi. Irène Mamczarz : L’influence de la reine a certainement joué. Louise-Marie de Gonzague était femme d’abord de Ladislas IV, qui était un grand protecteur des arts et du théâtre en Pologne et qui voyageait en Italie, on a des études très précises sur son parcours italien, sur ses voyages. Ensuite elle a épousé Jean-Casimir Vasa qui était peut-être moins actif au point de vue culturel, mais qui justement se laissait influencer par cette reine française qui était une grande protectrice des poètes et du théâtre. Il faut noter aussi que Morsztyn est devenu ensuite un agent de Louis XIV en Pologne, et à la fin de sa vie, il est émigré en France, c’est en France qu’il a fini sa vie. Alain Niderst : Et puis Louise de Gonzague est une grande figure de toute façon. Beaucoup plus que son deuxième mari, comme tu le dis d’ailleurs. Emmanuel Minel : J’aurais eu une petite question de curiosité pour chacune des deux oratrices, pour Mme Mamczarz, vous nous avez dit que l’infante était devenue reine dans la pièce de Morsztyn ; si c’est bien cela, que deviennent les discours sur l’amour qu’elle aurait éprouvé pour Rodrigue ? Irène Mamczarz : Non, elle est appelée la petite reine, pas la reine. La petite reine, c’est-à-dire la fille de la reine... Emmanuel Minel : Donc pour la scène jésuite, tout va bien. Puis ma deuxième petite question pour Mme Dos Santos : est-ce qu’il serait possible pour essayer d’expliquer les raisons de l’éclipse de Corneille au XIX e siècle dont vous avez parlé dans une parenthèse, d’établir un rapport avec le contexte politique, soit avec l’agressivité napoléonienne qui avait tant marqué la péninsule ibérique et évidemment le Portugal ? Discussion 292 Ana Clara Viegas Dos Santos : C’est vrai que je suis partie sur cette piste, puisque l’invasion napoléonienne nous a marqués beaucoup au début du XIX e siècle, j’espérais vivement trouver des représentations des pièces de Corneille, mais justement il n’y en a pas, il y a seulement cette représentation de 1822, enfin je n’en ai pas trouvé, peut-être qu’un jour je tomberai sur les bons documents, mais effectivement, à partir de cette date-là, dans le théâtre du Portugal se met en place la dramaturgie romantique et c’est toute la diffusion du théâtre de Victor Hugo, d’Alexandre Dumas, de Scribe, etc., et jusqu’à la fin du siècle, on n’entend plus parler de Corneille, mais on entend parler de Racine. Emmanuel Minel : Il me semble me souvenir, qu’en 1822, l’année où vous nous avez dit qu’il y avait eu cette seule représentation de Cinna, commence une petite guerre entre l’Espagne et la France, et donc... Ana Clara Viegas Dos Santos : Non, au Portugal c’est une guerre interne entre deux frères qui sont au pouvoir, donc on est loin des conflits avec l’Espagne. Cela dit, le modèle français a pénétré tardivement, parce qu’on a été, comme vous le savez, sous la domination des Philippes d’Espagne jusqu’en 1640, et donc jusqu’en 1640 on n’entend pas du tout parler du théâtre français, c’est seulement après que commence cette diffusion...
