Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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Discussion
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PFSCL XXXV, 68 (2008) Discussion Alain Niderst : Nous arrivons ainsi à re-situer également Corneille dans un monde plus philosophique, c’est ce qu’apportent toujours les Allemands d’ailleurs, un monde plus philosophique que celui auquel nous sommes habitués. Jean-Marie Valentin : Je parlerai peut-être de la deuxième conférence extrêmement riche pour moi, puisque si Métastase écrit en italien, il est tout de même le poète de la cour de Vienne, c’est-à-dire le poète officiel de l’Empereur ou de l’Impératrice. Il faut rappeler qu’il y avait évidemment là un statut qui était créé par Léopold Ier, donc vers la moitié du XVII e siècle, et qui fait des Italiens, de l’opéra vénitien, le modèle de l’opéra impérial : l’opéra seria va donc devenir un genre officiel, il y a toute une logique, si vous voulez, de l’écriture que vous avez rappelée bien sûr, qui fait qu’il y a le côté épidictique, etc.. Donc effectivement ce qui est le sous-titre de Corneille devient le titre très logiquement pour marquer l’éloge du prince, cela me paraît certain. Pour le problème de mutation, vous disiez qu’il est difficile à priori de rapprocher Corneille de Mozart, mais il y a un intermédiaire, c’est évidemment Pietro Metastasio, qui est aussi un homme de théâtre, parce qu’il considère que ses livrets d’opéras sont des tragédies : je ne reviens pas sur la question de la gémellité originelle de la tragédie et de l’opéra, c’est un phénomène qui date du début du XVI e siècle au fond et qui n’a cessé de se développer. Alors peut-être on peut se le rappeler ici. Le deuxième point, ce n’est quand même pas faux de dire que c’est l’opéra buffa qui contient les formes, les potentialités des plus grandes évolutions du genre opératique, puisque le seria est bloqué par des règles beaucoup plus strictes, et qu’il est difficile d’y déroger. Peut-être là-dessus on pourrait avoir votre opinion, ce qui ne nous empêche pas aujourd’hui de considérer effectivement que La Clémence de Titus est un opéra plus important, par exemple qu’Idomeneo, ou Mitridato. Voilà, et puis évidemment l’autre question, c’est qu’on est sous Joseph II, qu’il n’y a pas de révolution dans l’Empire et que le despotisme éclairé est devenu une manière de bloquer la révolution, c’est, je crois, important, parce qu’on ne peut pas transposer nos critères français, il faut tenir compte de cette idée que cette transformation Discussion 400 politique dans les pays hasbourgeois ne se coupe pas du christianisme et qu’elle s’alimente fortement au stoïcisme. Donc effectivement je suis tout à fait de votre avis, votre analyse va complètement dans ce sens, c’est une convergence épatante. Jean-Pierre Chauveau : Les détracteurs de La Clémence de Titus disent que Mozart revient tout à fait à la fin de sa vie à une forme conventionnelle et désormais démodée, ce à quoi on peut répondre qu’en écrivant un opéra seria comme La Clémence de Titus, Mozart fait profit de tout ce qu’il a acquis, en composant les opéras buffas et en particulier cela peut justifier, éclairer, les transformations que Mazzolà a fait intervenir dans le livret de Métastase. Mazzolà supprime un certain nombre d’arias, c’est-à-dire ces airs de bravoure qui caractérisent l’opéra seria, en particulier chez Haendel, au profit d’ensembles de personnages, et c’est l’une des grandes acquisitions de l’opéra buffa, en particulier chez Mozart, et il en fait pleinement profiter son opéra, même s’il est sûr malgré tout que Mozart a été pris par le temps en écrivant La Clémence de Titus, et que certains récitatifs ont été écrits par ses élèves. Cecilia Rizza : Les deux conférences présentées ce matin ont été vraiment très approfondies et excellentes, mais elles montrent toutes les deux une transformation à partir de Corneille de la thématique vers tout ce qui est sentimental, pastoral ou romanesque, que les librettistes ont introduit pour justement être en accord avec la musique, et c’est la musique je crois, la construction musicale de l’opéra, qui a imposé certains changements. Le Métastase contient déjà cette charge lyrique dans sa poésie, mais les autres librettistes s’y adaptent en faisant évoluer les airs et les choeurs, les airs pour tout ce qui est sentiments du protagoniste, et le chœur pour tout ce qui est exaltation des sentiments. Le passage de la tragédie vers l’opéra seria me paraît tout à fait pertinent, mais il faut tenir compte de toute l’esthétique qui était formulée par Monteverdi au XVI e siècle, qui a justement proclamé cette supériorité de la passion, de la musique qui doit exprimer les passions... Antoine Soare : Je voudrais livrer deux impressions que me donne un genre que je connais très peu, c’est pour cela d’ailleurs que je parle d’impressions. La première, c’est que ce genre récupère à la faveur de la musique et du déploiement spectaculaire, des effets dramatiques et scéniques bannis au théâtre depuis les années 1640 ; on peut y voir une sorte de triomphe des irréguliers des années 30, et de leurs goûts : cénotaphe, funérailles en présence du décédé bien portant, exposition de cadavres, etc... Deuxième Discussion 401 impression, c’est que je vois dans l’opéra un haut lieu du conformisme. Vous avez parlé de cette mise en avant de valeurs comme la famille, la nature, l’amour conjugal, c’est-à-dire toutes les valeurs anti-tragiques, les valeurs que précisément la tragédie doit transgresser, et je crois que de ce point de vue les rapports entre l’opéra et Corneille ne sont pas toujours harmonieux : c’est à l’opéra qu’on corrige Corneille comme on n’oserait pas le faire au théâtre même. Il y a à la fin du XVIII e et au début du XIX e siècles des opéras pour Le Cid où il y a mariage tout de suite et des opéras contre Le Cid où il y a une rupture définitive du couple. Qu’est-ce que vous en pensez ? J’aimerais savoir dans quelle mesure où peut continuer dans cette voie. Alain Niderst : J’ai très peu de chose à dire. Je rejoins tout à fait ce qu’a dit Jean-Pierre Chauveau sur Cinna, je crois aussi que Cinna est une tragédie chrétienne en fait, et même on pourrait dire à la limite une tragédie de collège, qui montre l’illumination divine. Les Jésuites disaient : quasi Christi praecones des philosophes de l’antiquité, et en fait Auguste a beau être un païen évidemment, et vivre dans un monde païen, il est comme illuminé par la grâce au moment du pardon, et comme tout le monde l’a toujours dit, le rôle de Livie sert justement à mettre en évidence que ce n’est pas pour des raisons machiavéliques qu’il pardonne. Talma, ainsi que le rappelle Napoléon qui l’admire, a joué le rôle d’Auguste à la fin de façon tellement cynique, qu’à ce moment-là on se disait : c’est du machiavélisme et pas de la grâce divine. A mon avis, au contraire, la grandeur de la pièce c’est de montrer que le machiavélisme que représente Livie, n’a rien à voir avec la politique sainte et évangélique à laquelle adhère finalement Auguste. Jean-Pierre Chauveau : Oui, d’ailleurs les propos de Livie à la toute fin contredisent en quelque sorte ses propos antérieurs.
