eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 35/68

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2008
3568

Discussion

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2008
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PFSCL XXXV, 68 (2008) Discussion Liliane Picciola : J’ai beaucoup aimé dans le premier exposé cette expression de réduction de l’illusion, je crois vraiment que c’est cela, et un des détails sur lesquels vous avez insistés quand vous avez cité les vêtements, le costume, des comédiens, m’a fait penser que la réduction de l’illusion était peut-être vraiment très générale. Au fond, est-ce que ce ne serait pas aussi la réduction de l’illusion de la vie des princes en général ? Je pensais, entendant ensuite Mme Rizza, à la transfiguration des divers rôles de L'Illusion comique dans des personnages aussi contemporains, je suis souvent gênée par cela, il faut que je lutte contre la culture érudite en me disant : il ne faut surtout pas oublier que toutes ces pièces étaient jouées en costumes contemporains ; donc, quand on joue du classique en costumes contemporains, on fait ce que faisaient les gens du XVII e siècle. Une fois que j’ai franchi ce cap, cela va déjà mieux. Et je songeais au Grand théâtre du monde de Calderón, qui peut, bien entendu, s’inscrire dans cette perspective. Dans Le Grand théâtre du monde, les personnages sont des allégories, et du fait que ce sont des allégories, on accepte très facilement des métamorphoses, des incarnations très diverses des personnages, il est difficile de dire personnage dans ces cas-là, et à la limite, je me demandais si on ne pouvait réfléchir en pensant à L’Illusion comique, à un statut allégorique du personnage. Voilà, la question s’adresse à vous deux. Cecilia Rizza : Je ne sais pas si je peux répondre, mais j’ai interprété cela personnellement (cela n’a aucun rapport avec la mise en scène dont je vous ai parlé), puisqu’on m’avait demandé de faire une sorte d’introduction à un petit livre où on avait recueilli, non seulement le texte de la traduction de Saint Genest, mais aussi des remarques du metteur en scène et d’autres éléments. Je voyais dans L’Illusion comique, en quelque façon, non pas seulement dans le personnage de Matamore, mais un peu dans tous les personnages de la pièce, une sorte de volonté de Corneille de souligner les caractéristiques propres des personnages de théâtre : Isabelle est la jeune fille qui est amoureuse, etc., il me semble que Matamore est l’exaltation, si vous voulez, et tous les personnages deviennent presque des masques, car ils poussent leur rôle à l'extrême. Voilà. J’ai eu l’impression en lisant Corneille, Discussion 436 et même en le voyant (j’avais vu aussi le spectacle de Strehler et j’ai vu celui-ci, je n’en connais pas d’autres,) j’ai eu l’impression que la réflexion sur le théâtre que fait Corneille dans L’Illusion comique va au-delà de ce qui est la représentation sur deux plans : avec Alcandre évidemment, qui est l’évocateur, et d’autre part tout cela se place hors du temps : on joue la comédie dans les actes deux, trois et quatre, mais cette comédie, c’est la réalité, c’est ce qui s’est passé, c’est ce qui se passera, c’est ce qu’on voit en même temps, enfin il n’y a pas de temps. Alors il me semble que vraiment, dans la pièce de Corneille, on assiste à cet éclatement des règles, si vous voulez, mais à vrai dire c’est faux, on n’assiste pas à un éclatement de certaines règles, parce que les règles n’existaient pas encore. Et donc il y a vraiment quelque chose qui dépasse la réflexion sur le théâtre, au moins qui souligne en quelque façon la réflexion sur le théâtre. Tout se tient et ce n’est pas seulement le théâtre dans le théâtre, ni le personnage porté à l’extrême qui est le fanfaron et qu’on a jugé parfois inutile à la pièce, mais tout est bien organisé pour souligner cet aspect. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question, ou si finalement c’est un peu à côté. Liliane Picciola : Oui, je crois que ce n’est pas très loin de ce que je pense ; Marc Fumaroli dans l’article que vous citiez, avait d’ailleurs très bien évoqué le fait qu’Isabelle passe du rôle de jeune première de tragi-comédie au rôle de jeune première de tragédie, mais en fait elle s’est trompée, ce n’est pas là ce qu’elle devrait être, donc elle revient à la tragi-comédie, c’est vrai que Corneille fait réfléchir et c’est vrai aussi que c’est un trait typiquement baroque de travailler plus sur des emplois théâtraux que sur ce qu’on pourrait appeler un personnage social. Cecilia Rizza : Sur le rôle. Danièle Becker : C’est cela, sur le rôle. Comme dans les pièces espagnoles, et on peut être galant dans diverses sphères de la société. Cecilia Rizza : Oui, je suis d’accord. Halina Sawecka : Je ne saurais vraiment dire si l’on peut assimiler cela à l’allégorie, je n’ai pas réfléchi du tout à la question, je suis assez d’accord avec les deux opinions qui ont été émises, j’ai situé bien sûr ma réflexion dans une perspective un peu spéciale, mais ce que je voudrais dire, c’est que finalement, sans même avoir une réponse réfléchie, digérée, autorisée aux Discussion 437 questions que vous posez, l’essentiel est que ce théâtre pose ce genre de questions, et c’est par là qu’il est toujours actuel. François Lasserre : Je voudrais dire deux choses, l’une concernant Matamore et son assimilation par Strehler à Alcandre, c’est-à-dire que c’était le même acteur qui jouait les deux personnages : Matamore avait un masque, et on voyait que c’était bien le même acteur ; il semble que Matamore est en somme un faux auteur, alors qu’Alcandre est un auteur de grande classe, un auteur de pièces de théâtre de grande classe ; Matamore, c’est celui qui croit inventer quelque chose et qui n’invente rien en réalité, parce qu’il n’a pas le sens de l’efficacité d’invention. On peut évidemment ne pas interpréter ces personnages comme l’a fait Strehler, mais enfin il me semble que son interprétation suggère cela. Et puis la deuxième chose que je voudrais dire, c’est qu’à la fin de votre communication, Madame, vous avez dit combien Corneille était moderne, en ce sens que dans sa réflexion sur le théâtre, il va très loin, il trace des pistes qui sont des pistes fondamentales, et dès le début de sa carrière il a réfléchi en somme par rapport, ou plutôt par opposition, au roman, en disant : qu’est-ce que le théâtre ? qu’est-ce que c’est qu’un spectateur ? qu’est-ce qu’on va lui faire en somme ? Parce qu’il s’agit bien de traiter le spectateur d’une certaine manière, de le secouer, et ainsi il a ouvert des pistes, et quand on va au théâtre maintenant, quelquefois on se dit : les jeunes gens de théâtre feraient bien de méditer sur ces pistes pour remettre les pendules à l’heure. C’est là une réflexion un peu partisane mais je crois que c’est une bonne leçon. Halina Sawecka : Eh bien, je dirai simplement que je suis très heureuse que vous ayez souligné cette conclusion qui, finalement, justifie ma présence parmi vous. Merci.