Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2008
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Introduction
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Christine McCall Probes
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PFSCL XXXV, 69 (2008) Introduction Le Grand Siècle : le divin, le moderne, le subversif et l’ambigu CHRISTINE MCCALL PROBES Comme chacun le sait, le dix-septième siècle littéraire n’est pas tout d’une pièce. 1 La diversité, qualité insigne dont témoignent emblématistes (Chassignet et de Loisy, par exemple, dans le recueil Sonnets francscomtois), poètes (La Fontaine, entre autres 2 ), et moralistes (La Bruyère, Les Caractères, VIII, 63), a été célébrée par plus d’un critique comme essentielle à la compréhension du Grand Siècle. 3 Serait-il trop exagérer de dire que nulle part cette qualité n’a-t-elle été plus mise en évidence que dans la collection présente des communications données dans notre séance de la conférence de la MLA en décembre 2006 ? Lorsque dans la réunion du Conseil Exécutif nous avions pris la décision de désigner, d’après le modèle de nos bons collègues seiziémistes, une séance par « open session », nous n’avions pas pu prévoir la richesse et la variété des soumissions dont toutes, 1 Voir l’essai riche et nuancé, « Boileau et les institutions littéraires » dans Travaux de littérature 19 (2006) : 163-185, où Alain Génetiot souligne la diversité « d’appuis institutionnels, politiques et religieux » qu’a connus Boileau et démontre que ni lui ni « le classicisme n’est [...] le produit d’un groupe, d’un cercle, [...] d’une école unique, [ou ...] d’une seule institution » (p. 184 e p. 165). 2 Voir, dans « Les Esthétiques de La Fontaine », une analyse de la diversité des lectures comme des écritures du poète. Marie-Odile Sweetser, Parcours lafontainien. Biblio 17, 150 (Tübingen : Gunter Narr, 2004, pp. 265-285). 3 Voir l’appréciation de la critique de Jürgen Grimm, caractérisée par Margarete Zimmermann comme un « Plädoyer für eine ‘andere’ Sicht der französischen Klassik » dans « Diversité, c’est ma devise ». Studien zur französischen Literatur des 17. Jahrhunderts. Biblio 17, 86 (Tübingen : PFSCL, 1994, pp. 1-7). Christine McCall Probes 466 à notre grand regret, n’ont pas pu être retenues. Dans cette séance, dont le Conseil m’a assigné la tâche d’organiser et de présider et que je présente ici avec plaisir, l’on trouvera un éventail impressionnant de dimensions de cette diversité - diversité de genres, d’idées, d’esthétiques et d’approches. Dans « Divine Right versus Divine Judgment in Two Early French Biblical Tragedies », Perry J. Gethner explore l’équilibre entre l’orthodoxie et la subversion dans David ou l’adultère par Montchrestien et dans Saül par Du Ryer. Gethner démontre que cet équilibre intéresse et touche les troupes et les spectateurs, tout en mettant en lumière les limites du pouvoir royal. La rhétorique souligne le conflit dans l’âme de David, un conflit entre des principes moraux et religieux d’un côté, et, de l’autre côté, le désir immodéré de posséder et le pouvoir et la femme d’un autre. L’essai analyse tour à tour les fonctions du mauvais conseiller Nadab (personnage inventé par Montchrestien), celles du prophète Nathan (il évoque le triple rôle de Dieu à l’égard des rois) et du chœur (qui condamne des abus royaux). L’examen des paratextes, la préface et un poème liminaire, apporte une aide complémentaire et valable à l’interprétation du caractère équilibré de la pièce. Attentif à la dimension historique, Gethner commente, dans son analyse de Saül de Du Ryer, que les lamentations du personnage principal devant la punition divine qui comprendra l’extinction de sa dynastie, auraient sûrement constitué « a terrifying prospect for French audiences for whom the messy accession of Henri IV was still a recent memory ». Si la doctrine du droit divin est questionnée par Du Ryer dans une intrigue secondaire inventée, donnant lieu ainsi à des controverses possibles, d’autres aspects de la pièce viennent renforcer cette même doctrine. Gethner conclut pertinemment que dans la juxtaposition d’exemples de bons et de mauvais rois pour mettre en valeur l’équilibre nécessaire entre des privilèges et des responsabilités, Montchrestien et Du Ryer « would be in full agreement with Bossuet » qui, lui-même, fournit « the most systematic attempt to reconcile the Bible with the divine right doctrine ». Pour Rainer Zaiser, dans son étude « La Modernité de Saint-Amant : Une lecture métapoétique de l’ode La Solitude », la diversité est un attribut crucial pour la « peinture parlante » du poète libertin. Zaiser démontre que la modernité du programme poétique de Saint-Amant consiste en une « coexistence d’éléments divers et contraires ». Très valable pour son examen de la critique de l’ode (les quatre méthodes les plus notables sont passées en revue), l’interprétation de Zaiser met en évidence l’esprit créateur de Saint-Amant qui « puise à la tradition de la littérature classique et de la mythologie antique » pour varier et modifier les motifs qui s’y trouvent ainsi que leurs significations. L’originalité de Zaiser est particulièrement remarquable dans son exégèse détaillée et percutante des trois Introduction 467 dernières strophes de La Solitude. Ce passage, souvent négligé par les critiques, révèle, sous les soins de Zaiser qui en illuminent la sémantique et l’étymologie, une poétique « qui se rapproche du concept de l’art pour l’art mis en œuvre ultérieurement […] par le même Théophile Gautier » qui avait reconnu dans le poème « le germe [de] presque toute la révolution littéraire qui éclata plus tard » (Les Grotesques). L’essai riche et judicieux de Marie-Odile Sweetser, « Les Amours de Psyché et de Cupidon : un conte subversif ? », souligne l’indépendance d’esprit de La Fontaine qui, bien qu’il emprunte de toutes mains sa matière à la source latine, la transforme. Sweetser trouve que la présentation d’un jeune Louis XIV, assimilé au dieu du jour et de l’Amour, comporte « à la fois un éloge et des réserves ». Ces réserves, que ce soient une suggestion de l’absence de magnanimité du prince à l’égard de Fouquet (évoquée par des orangers) ou l’insistance du narrateur sur la cruauté du dieu qui humilie Psyché, auraient pu irriter « les puissances établies dans le domaine politique ou moral ». Particulièrement notable est l’examen du concept d’individualité et ses modèles ; ni le modèle relationnel (celui de Montaigne) ni celui de Descartes où « l’individualité réside dans la volonté, dans la liberté de l’âme capable de pensée pure » n’est présent dans la situation et dans les souffrances de Psyché. Sweetser découvre plusieurs affinités de Psyché avec « l’héroïne préférée du XVII e siècle », Marie-Madeleine, (grâce au séjour de La Fontaine à l’Oratoire, il aurait connu les œuvres de César de Nostredame, Bérulle et d’autres sur la Madeleine) : la retraite dans un « antre effroyable », le régime érémitique, et l’ « amour désintéressé » dans le stade final du conte. Sweetser rassemble des faits convaincants pour conclure que dans Psyché nous avons affaire à « un conte de fées implicitement tourné vers un humanisme moderne suggérant les droits de l’individu, […] un conte philosophique avant la lettre ». Le premier roman colonial, caractérisé par Lise Leibacher-Ouvrard comme « une fiction à plusieurs degrés » dans son essai « Visions coloniales et spectres barbares : Le Zombi (1697) guadeloupéen de Pierre Corneille Blessebois », est ici le sujet d’une investigation fertile. L’ironie de l’auteur est soulignée et élucidée à plusieurs reprises : « la magie souvent dite ‘noire’ est liée aux seuls blancs », « le narrateur […] entame le récit Bible en bouche pour faire de la comtesse libertine une esclave de passions déchaînées », et « en ne disant rien du triste sort des ‘engagés’ [des galériens] […] Blessebois […] omet toute représentation » du pouvoir des autorités. Étudié dans le moindre détail et avec une attention admirable aux récits historiques et/ ou missionnaires, le roman se révèle « un jeu de contrecourants constants » qui peut illustrer « deux courants théoriques convergents » (celui des « expériences impériales » de Saïd et celui du silence et de Christine McCall Probes 468 la production littéraire de Macherey). Si Blessebois « occulte la métropole comme centre implicite de lecture et comme référence obligée », il n’inclut non plus qu’un petit nombre de termes indigènes, desquels eux-mêmes Leibacher-Ouvrard signale l’ironie : un petit coffre « caraïbe », par exemple, sert de tombeau à la figurine torturée qui représente la matriarche de la plantation. Riche en allusions éclairantes de Platon à Franz Fanon en passant par Rabelais, La Fontaine, Fénelon, Scarron, Jean de Préchac, Furetière, et Voltaire, entre autres, l’essai de Leibacher-Ouvrard instruit le lecteur désireux de mieux comprendre le « libelle facétieux » de Blessebois, un roman qu’elle juge « tout aussi fuyant […] par le fond comme par la forme ». Il ne reste qu’à inviter le lecteur à considérer avec nos critiques le joyau du Grand Siècle présenté ici sous ses facettes aussi diverses qu’éclatantes.
