eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 35/69

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
121
2008
3569

La modernité de Saint-Amant : une lecture métapoétique de l’ode La Solitude

121
2008
Rainer Zaiser
pfscl35690477
PFSCL XXXV, 69 (2008) La modernité de Saint-Amant : une lecture métapoétique de l’ode La Solitude RAINER ZAISER L’ode La Solitude à Alcidon, 1 créée par Saint-Amant en 1619 et publiée pour la première fois par les soins de l’auteur dans l’édition de ses Œuvres de 1629, 2 a fait couler beaucoup d’encre. Considérée par le poète lui-même comme un « noble coup-d’essay », 3 La Solitude fut appréciée par beaucoup de ses contemporains 4 parmi lesquels figure, par exemple, son ami Nicolas 1 On trouvera le texte intégral du poème en appendice. Nous citons le texte d’après Saint-Amant, Œuvres, I. Edition critique publiée par Jacques Bailbé. Paris : Marcel Didier, 1971 (Société des Textes Français Modernes ) , pp. 33-48. 2 Le texte de La Solitude connaît deux versions légèrement différentes de celle de 1629 et publiées antérieurement à celle-ci. Il s’agit là d’une version imprimée par l’éditeur Claude Morot et parue sous le nom de Théophile de Viau en 1627 et d’une version découverte par Christian Wentzlaff-Eggebert dans le roman Hermiante de Jean-Pierre Camus, roman qui fut publié pour la première fois en 1623. Cf. Jean Lagny, « Autour de La Solitude de Saint Amant : Questions de dates », dans Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, Nouvelle Série, 1955, pp. 235-245 ; Christian Wentzlaff-Eggebert, Forminteresse, Traditionsverbundenheit und Aktualisierungsbedürfnis als Merkmale des Dichtens von Saint-Amant. München : Hueber, 1967, pp. 63-80. 3 La citation figure dans l’« Elegie à Monseigneur le Duc de Rets », poème qui précède « La Solitude » dans l’édition de 1629 des Œuvres de Saint-Amant. Le poète y déplore surtout les nombreuses coquilles qui se sont glissées dans son poème et en accuse son imprimeur. Cf. « Elegie à Monseigneur le Duc de Rets, Sur ce qu’on avoit mal imprimé ma Solitude », dans Saint-Amant, Œuvres, I, pp. 27- 32, la citation p. 28 : « Vistes-vous sans regret l’honneur de mon estude, / Mon noble coup-d’essay, ma chere Solitude, / Ainsi defigurée en ses traits les plus beaux, / Trotter comme une gueuse en des sales lambeaux ? » 4 Voir à propos de la réception de l’œuvre de Saint-Amant au XVII e siècle l’« Introduction » du livre de Dorothee Scholl, Moyse sauvé : Poétique et originalité de l’idylle héroïque de Saint-Amant. Paris-Seattle-Tübingen : Papers on French Seventeenth Century Literature, 1995 (Biblio 17, 90), pp. 9-26. Rainer Zaiser 478 Faret, l’auteur de l’ouvrage L’honnête homme ou l’art de plaire à la cour (1630). En préfaçant l’édition de 1629, celui-ci qualifie les poèmes de Saint- Amant de « Peinture parlante », à savoir de « Descriptions, qui sont comme de riches Tableaux où la Nature est representée ». 5 Il cite en exemple La Solitude dont il exalte la beauté capable, selon ses dires, de faire naître auprès de ses lecteurs et lectrices le désir de fuir les villes et de s’installer dans les pays doux de la campagne, et ne fût-ce qu’en rêve. 6 Ce sont surtout ces tableaux idylliques qui n’ont cessé d’exercer leur charme sur les lecteurs et les lectrices de l’œuvre de Saint-Amant. Seuls les adhérents du classicisme ont dédaigné la verve poétique de l’auteur de La Solitude. A la suite du verdict de Boileau, qui, dans son Art poétique, conjura les poètes contemporains de ne pas suivre l’exemple de « ce Fou » 7 , Saint-Amant devait tomber dans l’oubli deux siècles durant. Sa réhabilitation est due à Théophile Gautier, qui lui consacre un chapitre entier dans son ouvrage sur Les Grotesques publié en 1844. Gautier n’hésite pas à estimer la poésie de Saint- Amant bien supérieure à celle des poètes entièrement dévoués à l’esthétique classique. 8 En prodiguant des louanges dithyrambiques à La Solitude Gautier se montre surtout impressionné par la technique descriptive de Saint-Amant, technique dans laquelle il voit l’expression d’une perception sensible des choses de la nature. Voici quelques propos témoignant de l’éloge de Gautier : 5 Cf. « Preface sur les Œuvres de Mr de Saint-Amant. Par son fidelle Amy Faret. » dans Saint-Amant, Œuvres, I, p. 15. 6 Cf. « Preface sur les Œuvres de Mr de Saint-Amant. Par son fidelle Amy Faret. » dans Saint-Amant, Œuvres, I, pp. 16-17 : « […] qui peut voir ceste belle Solitude, à qui toute la France a donné sa voix, sans estre tenté d’aller resver dans les deserts, & si tous ceux qui l’ont admirée s’estoient laissé aller aux premiers mouvemens qu’ils ont eus en la lisant, la Solitude mesme n’auroit-elle pas esté destruitte par sa propre loüange, & ne seroit-elle pas aujourd’hui plus frequentée que les Villes ? » 7 Nicolas Boileau-Despréaux, Œuvres complètes, introduction par Antoine Adam, textes établis et annotés par Françoise Escal. Paris : Gallimard, 1966 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 175 (Chant III, v. 261). 8 Cf. Théophile Gautier, Les Grotesques. Texte établi, annoté et présenté par Cecilia Rizza. Bari : Schena, Paris : Nizet, 1985 (Biblioteca della Ricerca), p. 212 : « Sa Solitude […] est une très-belle [sic] chose et de la plus étrange nouveauté pour l’époque où elle parut ; elle contient en germe presque toute la révolution littéraire qui éclata plus tard. La nature y est étudiée immédiatement et non à travers les œuvres des maîtres antérieurs. Vous ne trouverez rien dans les poètes, dits classiques, de ce temps qui ait cette fraîcheur de coloris, cette mélancolique [sic], cette manière calme et douce qui donnent un si grand charme à l’ode sur la Solitude. »