eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 35/69

Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2008
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Christophe Bourgeois : Théologies poétiques de l’âge baroque : La Muse chrétienne (1570-1630). Paris : Champion, 2006. 851 p.

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Volker Kapp
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Comptes rendus 755 elle le fait visionnaire ; lyrique ou profane, elle le transforme en parole amoureuse » (148). Christian Belin esquisse « la tradition méditative : écriture, procédures, mystère » (15-32) en prenant comme point de départ Montaigne qui « ne sépare pas l’introspection d’une mise à distance du Monde » (15). Les spirituels sont hantés par le problème de « concilier la méditation avec le monde » (24). Pascal se distingue à l’intérieur de cette tradition parce que sa méditation « redéfinit à chaque instant les conditions mêmes de sa propre validité » (29). Dans son introduction, Belin évoque « l’abondance des textes théoriques sur la méditation » (7) sur lesquels informe la riche bibliographie du volume (257-266). Un index nominum et rerum facilite la consultation des contributions. Belin souligne à juste titre que notre incompréhension actuelle des procédures mentales de la méditation ne doit pas réduire celle-ci « au statut de simple gesticulation rhétorique ou idéologique » (7). Ces actes de colloque permettent d’évaluer l’intérêt de ce domaine où il y a encore bien du terrain à défricher. Volker Kapp C hri s to phe B o ur g e oi s : Théologies poétiques de l’âge baroque : La Muse chrétienne (1570-1630). Paris : Champion, 2006. 851 p. Les deux notions du titre de ce gros volume peuvent laisser perplexe. La catégorie de « l’âge baroque » pourrait rebuter aussi bien que celle des « théologies poétiques » dont Anne Mantero a traité abondamment dans La Muse théologienne (Berlin, 1995). Il est vrai que Mantero s’occupe de la période allant de 1620 à 1680 tandis que Bourgeois se penche sur celle de 1570 à 1630. Nous constatons que l’auteur survole rapidement le débat sur le baroque (12-19) parce que « la relation entre poétique et théologique n’est […] pas interrogée comme telle » (19). Michèle Clément applique les théories de Foucault pour relever les homologies entre baroque et poésie mystique dans Une Poétique de crise : poètes baroques et mystiques (1570- 1660) (Paris, 1996), mais Bourgeois lui reproche de sous-estimer « la question d’une possible autonomie du régime poétique » (21) et d’accorder « trop peu d’importance aux nuances propres à l’histoire de la spiritualité chrétienne » (21). Il souligne que « le déchiffrement symbolique des apparences et la critique du sensible sont dans un rapport de complémentarité » (688). Son étude innove et fascine par la vaste gamme des poésies considérées et par la justesse de ses analyses. Les six décennies qu’englobe son corpus de textes correspondent à la période de floraison de la poésie reli- PFSCL XXXV, 69 (2008) 756 gieuse en France et les dix chapitres du livre développent le panorama de ce domaine de la poésie où catholiques et réformés entrent en compétition, cherchent à se délimiter et recourent néanmoins largement aux mêmes procédés littéraires et oratoires. C’est par ailleurs un des multiples avantages de cette étude passionnante de se mettre sur un plan qui dépasse les controverses confessionnelles tout en s’efforçant de rendre justice aux positions antagonistes, souvent victimes de partialité. Le volume commence par une brève introduction qui discute les problèmes de méthode (11-36) et passe ensuite à l’analyse, divisée en quatre parties. Celle-ci commence par « la conversion des Muses » (37-172), traite les « figures de la Bible » (173-420), la « rhétorique de l’âme » (421-640), ainsi que la « perspective historique » sous l’intitulé « la rigueur et l’éclat » (641-774) pour terminer par une conclusion succincte (775-786) et une bibliographie abondante (791-836). D’après l’auteur, « la Muse chrétienne ne se définit pas par un style nouveau mais plutôt par une éthique, voire une métaphysique du texte » (29). De l’Uranie de Du Bartas à l’Avant-propos des Théorèmes de La Ceppède s’affirme, au-delà des frontières confessionnelles, l’insistance sur « une différence radicale et nécessaire dans la visée des textes » (29). Les poètes mettent l’accent « sur la visée pragmatique du texte » (31) sans exclure « une finalité proprement esthétique de leur œuvre » (31). Les années 1570-1630 qu’embrasse l’enquête sont marquées par la première édition de La Muse chrétienne (1570) de Du Bartas et « la première édition posthume des œuvres de Malherbe, préfacée par Antoine Godeau » (32). Ce choix est justifié bien qu’il reste à vérifier la pertinence de l’opinion, par ailleurs très répandue parmi les spécialistes, du déclin radical de la poésie religieuse après 1630. Christian Belin a plaidé au colloque de Bordeaux sur « la religion des élites » pour une relecture du Père Le Moyne, victime du verdict de Pascal, Saint-Amant reste victime de Boileau, les poésies de Madame Guyon sont sous-estimées, pour n’alléguer que ces quelques exemples. Bourgeois termine du moins son parcours par un développement sur Godeau et Le Moyne (748-771) auquel il atteste de « préserver dans toute [sa] pureté le rêve d’une poésie spirituelle » (762) bien qu’il suive Pascal en imputant au jésuite « une certaine séparation entre Parnasse et Calvaire » (764). Godeau est qualifié d’« atticiste » (765) et sa revendication de « transparence » et sa définition anti-rhétorique de la prière « sépare[nt] intériorité et figures du discours » (770). Aussi la poésie chrétienne se réfugie « dans l’intime et le familier […] de l’entretien spirituel » (771). La première partie comprend deux chapitres : « poeta theologus » (43- 100) et « l’adieu aux Muses profanes » (101-172). Son point de départ est l’idée que la Muse chrétienne inspire un « art divin » (44). Se référant à la Comptes rendus 757 conviction que les mythes antiques expriment d’une manière voilée les vérités bibliques, les apologistes de Boccace à Du Bartas attribuent à la poésie la fonction de louer Dieu et de transmettre la vérité. Parmi les théologiens, Savonarole refuse en revanche « l’identification entre figure au sens rhétorique et figure au sens exégétique » (53) tandis que La Ceppède élabore « une ambitieuse synthèse dialectique » (56) entre les deux positions. Le jésuite Possevin préconise la « critique des mensonges de la sagesse antique » (62) et l’émulation avec ses meilleurs réussites. L’Art poétique français de Ronsard reste marqué par la « Théologie allégorique » (70). Le recueil catholique de La Muse chrestienne (1582) place les hymnes du poète à côté de vers d’inspiration chrétienne. Du Bartas cherche cependant « la simplicité de la Révélation » (82) et se distancie des explications sophistiquées des fables païennes. Les poètes réformés affichent une attitude spirituelle et la plupart de leurs recueils lyriques « s’identifient à un livre de piété » (89) en faisant appel à « la pureté d’intention du lecteur » (91). D’où l’insistance sur la rupture avec la poésie antique ou profane et l’ascension de la conversion en « mythe personnel du sujet lyrique » (105). Poupo insiste dès le premier livre de La Muse chrestienne « sur une trajectoire spirituelle » (108). D’Aubigné recourt dans ses Tragiques à l’image de la froidure hivernale, symbole « d’une purification spirituelle » (113). Le Parnasse chrétien se déplace de l’Hélicon au Calvaire, « le mont des Oliviers s’oppose au Parnasse » (168) et l’Uranie est allégorisée par La Ceppède. L’argument du retour à l’âge d'or devient « une figure de l’essence invariable du poétique » (130). Les poètes s’efforcent, en se référant à saint Augustin, de convertir l’amour profane en amour sacré en donnant aux « éléments négatifs qui traduisent l’insatisfaction de l’amant […] une orientation positive » (140). Une pratique de réécriture de Pétrarque (cf. 154-157) et de la poésie profane traverse toute l’époque étudiée (cf. 142-149), et elle se prolonge évidemment bien au-delà. Le Cantique des Cantiques se prête également à cette double lecture (149-153) et sa lecture dévote applique au Christ « des attributs et des qualificatifs de la Dame » (161). Marie- Madeleine devient dans ce contexte un personnage emblématique. L’attitude des poètes est pourtant loin d’être homogène : Du Bartas prend des libertés tandis que Sponde ou Hopil « ont le souci de relier très précisément leurs vers aux règles du discours religieux » (170). Les courants humanistes sont rejetés. La deuxième partie aborde le problème multiforme des rapports entre la Bible et la littérature. Son titre, « figures de la Bible », caractérise bien ce qui est au centre des trois chapitres, l’analyse de l’Écriture sainte avec les instruments de l’art oratoire (« l’éloquence divine », 179-216), les diverses manières de sa réécriture littéraire (« la Bible comme source : imitation et PFSCL XXXV, 69 (2008) 758 variations », 217-320) et de sa lecture (« la Bible et son commentaire : exégèse et structure herméneutique du poème », 321-420). Erich Auerbach a publié des réflexions stimulantes sur l’incompatibilité de l’Écriture sainte avec l’art oratoire gréco-romain, mais Bourgeois les passe sous silence parce qu’elles ne tiennent pas compte de sa période où cette problématique ressurgit dans la critique de l’éloquence humaine. À cette époque, l’humilité de la Bible est « comprise tantôt comme un dépouillement nécessaire, tantôt comme une exigence de clarté » (190). Sa « rudesse » se transforme aux yeux de Calvin et du cardinal Du Perron en « ornement » (194). De saint Augustin à Mathias Flacius Illyricus, bien des traités s’efforcent d’éclaircir le style de l’Écriture sainte (cf. les schémas 197-198), et les réformés surpassent dans ce domaine les catholiques. Selon Bourgeois, la tension entre l’héritage gréco-romain et la tradition biblique n’exclut cependant pas « un dialogue fécond entre Bible et poésie » (215). L’Académie de l’art poétique (1610) de Pierre de Deimier est alléguée pour prouver la similitude entre « l’imitation des poètes amoureux et la paraphrase du psautier » (217), mais « l’intertextualité biblique se pose […] en termes de hiérarchisation et d’enchâssement des énoncés » (257). La fidélité au texte sacré reste un problème crucial. La Ceppède trouve dans les Psaumes « une rhétorique de la piété » (237) tandis que Chassignet s’efforce de respecter « la simplicité biblique » (242). Bourgeois analyse des exemples de paraphrase des Psaumes pour éclairer la stratégie « élaborée pour désigner […] l’altérité biblique et les procédés de son appropriation » (268). Ses développements sur la « poétique du lieu commun » (360-367) mettent bien en évidence la cohérence de cette herméneutique sacrée. L’étude des pratiques poétiques invite « à nuancer l’opposition frontale entre protestants et catholiques » (395). L’ingéniosité encourage, des deux côtés, l’écriture allégorique et « la démultiplication de l’analogie » (407). Les différentes analyses détaillées aboutissent à la conclusion que le substrat biblique « s’accommode mal des frontières définies pour régler l’expression littéraire » (419). La troisième partie, intitulée « rhétorique de l’âme », comprend trois chapitres, « le modèle dévot » (427-504), « le silence mystique », qui analyse l’œuvre de Pierre de Croix et Hopil (505-554), et « au miroir de l’âme : poésie et spiritualité calvinistes » (555-640) qui s’occupe entre autres de Johann Gerhard, Calvin, Odet de La Noue, Sponde et d’Aubigné. Jean-Pierre Camus « rapporte la méditation morale à une poétique de l’emblème » (482), pratique confirmée par les sonnets de Chassignet. Le sonnet se révèle particulièrement adapté à faire converger « exercice dévot et exercice poétique » (479), ce qui explique la « multiplication des sonnets dévots » (479). Le recueil Miroir de l’amour divin (1606) du capucin Pierre de Croix exploite toutes les formes possibles du discours de l’amour « pour en capter Comptes rendus 759 la force rhétorique » (518). Rares sont pourtant les récits d’une expérience intérieure individuelle, Les Théorèmes de La Ceppède sont donc tout à fait dans les règles quand leur auteur se contente d’élaborer « un poème méditant » (423). Bourgeois constate dans ce contexte « une étroite correspondance entre poétique et spiritualité » (503) et détecte dans la Réforme calviniste « la mise en forme rhétorique de la parole intérieure » (558). Il présente la virtuosité et l’ingéniosité en tant qu’« éléments déterminants dans cette rhétorique des affections » (638) et constate en même temps « qu’une théologie ne saurait commander une stylistique » (638). Jean- Pierre Camus évoque « les raffinements infinis d’une méthode intérieure » (639). L’éloquence structure cette littérature dévote, d’où les affinités entre la poésie des « deux Réformes » (639) qui dépassent les « accents particuliers de chaque tradition confessionnelle » (639). La quatrième partie envisage les « perspectives historiques » sous la dichotomie « la rigueur et l’éclat ». Elle se divise en deux chapitres, « le glaive et le feu » (649-718) et « une parole intempestive » (719-774). Bourgeois se réfère à l’opposition « entre âpreté et douceur » (649), mise en relief par Marc Fumaroli, et lui assimile le diptyque formé par d’Aubigné et La Ceppède. Le premier plaide pour la rudesse qui détache « la véhémence prophétique » (661) de la douceur, vice imputé à la subtilité des catholiques, et associe « enigmes et allusions, figures incompréhensibles à l’œil profane » (664). La Ceppède s’approprie en revanche « l’idéal tridentin de l’orateur chrétien » (667) et associe la véhémence à la douceur dont l’équilibre « vaut comme marque de l’affection spirituelle » (673). La poésie religieuse rivalise avec les « grands modèles héroïques néo-latins » (679), comme par exemple la Christiade de Girolamo Vida, le De partu Virginis de Sannazar, et elle prend beaucoup de libertés vis-à-vis des règles dérivées de la Poétique d’Aristote. Saint Augustin associe dans De doctrina christiana l’ingéniosité et la véhémence afin d’émouvoir le lecteur par « une parole à la fois enflammée, libre et enthousiaste » (700). Selon Du Bartas, la rhétorique profane « reste à la surface des sentiments humains tandis que [la rhétorique chrétienne] ébranle en profondeur le sujet » (705). Il existe pourtant à l’intérieur de ce paradigme une vaste gamme de possibilités dont l’un des extrêmes est « la fusion entre ethos et pathos » (713) chez d’Aubigné, et l’autre extrême leur « disjonction presque totale » (713) chez La Ceppède. Bourgeois évoque dans sa conclusion l’œuvre de Paul Claudel « comme un défi aux langages modernes » (776) et invite à s’interroger sur « la conception contemporaine que nous nous faisons de la ‘littérature’ » (777). Il met en doute l’opposition trop schématique entre « un sujet fictionnel construit par le discours (rhétorique) et un sujet empirique » (780). D’après lui, l’histoire de la Muse chrétienne est affectée de la « disjonction entre PFSCL XXXV, 69 (2008) 760 théologie positive, langage mystique et exégèse » (784), aussi entre-t-elle en crise autant à la suite des divergences intérieures du champ religieux que de la profanation du champ littéraire. Le livre de Christophe Bourgeois explore un domaine peu connu avec une érudition admirable et une grande sensibilité littéraire dont la finesse de ses analyses témoigne abondamment. Volker Kapp J e a n - Pie rr e C ha uv e a u ( é d.) : Cahiers Tristan L’Hermite, revue annuelle publiée par l’Association des « Amis de Tristan L’Hermite » XXVIII, 2006. 110 p. Cette livraison, dédiée à la mémoire de Jacques Morel, président de l’Association de 1979 à 2001 s’ouvre par un vibrant hommage de son savant et estimé successeur, Jean-Pierre Chauveau, spécialiste de la poésie du XVII e siècle qui a édité cette poésie dans l’Anthologie de la poésie française de la Pléiade, I, pp. 851-1253, 2000. Le nouveau président retrace la brillante carrière de l’érudit et éminent dix-septiémiste qu’avait été Jacques Morel, bien connu pour ses travaux sur le théâtre et la poésie du XVII e siècle. Il avait contribué à l’établissement et au développement de la société en collaboration avec son non moins regretté membre fondateur et secrétaire, Amédée Carriat. Le grand et délicat poète et écrivain que fut Tristan avait attiré à son œuvre, dans tous les genres qu’il avait pratiqués, l’attention des érudits. Le monde savant depuis un demi-siècle avait redécouvert la richesse et la valeur de la littérature et des arts du premier dix-septième siècle, diversement qualifié d’âge baroque ou de période Louis XIII. Jacques Morel avait joué un rôle important dans cette diffusion avec son Histoire de la littérature française de Montaigne à Corneille (1572-1660) chez Arthaud, sa thèse sur Rotrou, ses travaux sur le théâtre et sur un autre grand poète, Théophile de Viau. Françoise Graziani, vice-présidente de l’association, ancienne élève de Jacques Morel, lui consacre aussi une page émue, évoquant ses qualités d’ouverture et de dévouement à ses étudiants. Jean-Pierre Chauveau souligne le rôle joué par Jacques Morel dans la préparation des Œuvres complètes de Tristan L’Hermite, publiées chez Champion, à partir de 1999, dans la collection « Sources classiques » dirigée par Philippe Sellier qui a grandement contribué à mettre à la portée des universitaires les écrivains du premier dix-septième siècle. La maladie avait empêché Jacques Morel de mener à bien l’édition des Œuvres complètes,