eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 35/69

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
121
2008
3569

Jackie Pigeaud (dir.) : Les grâces, Littératures classiques, no. 60, (automne 2006). 346 p

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2008
Emmanuelle Henin
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Comptes rendus 781 Pour conclure, voici un avertissement à tous les lecteurs qui consulteront la « Table des matières » pour s’orienter : la pagination de trois articles ne correspond pas à la pagination dans le recueil. Il faut remplacer 173 par 223, 189 par 239, et 205 par 251. Ces erreurs ne rabaisseront pourtant pas la valeur épistémologique du contenu de cet excellent numéro des Littératures classiques. Ludwig Hochgeschwender J a c kie Pig e a ud (dir.) : Les grâces, Littératures classiques, n o 60, (automne 2006), 346 p. Le titre « Les grâces », au pluriel et sans majuscule, est précisément fait pour permettre à ce mot de déployer tout l’éventail de ses significations. Ce recueil, issu d’entretiens menés à La Garenne-Lemot, se présente comme un article d’encyclopédie méthodique dont chaque rubrique décline une vaste polysémie, croisant des approches complémentaires : esthétique, rhétorique, histoire de l’art, philosophie politique, littérature, musicologie, emblématique… autant de disciplines convoquées pour forcer cette notion dans ses derniers retranchements. Le volume s’articule en quatre parties assez lâches : la première, « Fécondité d’un héritage antique », remonte aux sources des textes antiques, à grand renfort d’étymologies et d’auctoritates : Alain Michel et Jackie Pigeaud interrogent le lexique, les termes de gratia et charis, ainsi que leurs synonymes (decorum, convenientia, ornatus, venustas), pour délimiter les contours de la notion dans l’Antiquité, avant de la suivre jusqu’à l’époque moderne. Alain Michel montre l’affinité profonde entre le sens esthétique de la grâce, conçue comme un don, et son sens chrétien donné par Augustin, splendeur du don de Dieu, les deux sens se liant intimement au XVII e siècle. Jackie Pigeaud retrace une tradition proprement grecque, et philosophique, qui conduit d’une sensation esthétique - la fascination des Grecs pour le miroitement de l’eau, image de la sérénité parfaite - à la notion épicurienne du divin, reprise par Winckelmann ; puis à la vertu stoïcienne, transposition morale de cet idéal de plénitude et d’épanouissement. Étienne Wolff, Philippe Junod et Pierre Brunel se penchent de manière plus précise sur la figure des Grâces, toujours écartelée entre esthétisation et moralisation, selon une dualité profondément ancrée dans la polysémie du mot. Etienne Wolff décrit la concurrence, dans les textes et dans l’iconographie, entre une représentation des Grâces comme pur déploiement de la beauté sensible et son interprétation allégorique qui y voit le symbole de la générosité et de la réciprocité des dons, à travers une PFSCL XXXV, 69 (2008) 782 référence canonique et récurrente chez les peintres (tel Botticelli) au De benedificiis de Sénèque. Philippe Junod montre comment la parenté des Grâces et des Muses (ou représentation des arts), du XVI e au XIX e siècles, fait des premières une figure réflexive privilégiée. Enfin, Pierre Brunel retrouve intact le pouvoir érotique et allégorique de ces figures dans les « grâces noires » qui inspirent Baudelaire et Senghor, idéal d’une beauté sombre, ambiguë et divinisée. La seconde partie, « De quelques grâces figurées », réunit des études ponctuelles portant sur les représentations visuelles de la grâce divine d’un côté, et des Grâces de l’autre : Anne Rolet se penche sur deux emblèmes de Bocchi illustrant la grâce divine et analyse le fonctionnement complémentaire du texte et de l’image pour en décrypter la signification théologique, fondée sur un codage érudit de références mythiques et philosophiques. Yves Hersant propose une lecture théologique de la Manne de Poussin, illustration de la grâce divine d’autant plus convaincante qu’elle est sans grâce et renonce à l’esthétique du gracieux développée ailleurs chez Poussin, entérinant ainsi le divorce radical du sensible et du spirituel. Christophe Henry, s’interrogeant sur la réception hostile des Grâces de Vanloo, dont les deux versions furent successivement rejetées aux Salons de 1763 et de 1765, attribue ce rejet au discours poético-politique déployé par l’artiste, à une époque qui proscrit ce type de symbolisme. Par les multiples entorses infligées à l’iconographie traditionnelle (position et anatomie des personnages, paysage), l’image suggère un double « système de la grâce », harmonie cosmique doublement restaurée dans l’ordre esthétique et dans l’ordre social par l’artiste et par le roi, garants des sphères parallèles du Beau et du Bien. Envisageant un symbolisme plus intemporel, Jean Dhombres développe le paradoxe d’une égalité signifiée par le nombre trois, en confrontant la représentation figurée des Grâces à la réflexion mathématique sur la transitivité ou la triangulation. La troisième partie est consacrée aux rapports entre la grâce et le sublime, deux catégories étroitement liées dans la rhétorique et l’esthétique depuis l’Antiquité. À en croire Giovanni Lombardo, le traité Du Style de Démétrios met en place une opposition entre deux pôles : le style puissant (deinotes) et le style élégant ou gracieux (glaphyrotes), fondé sur le plaisir et l’agrément. Le gracieux connaît lui-même une double modalité, apparemment contradictoire, une grâce poétique noble et la grâce triviale de la comédie, suscitant autant d’émotions modérées et agréables. L’autre pôle, le style puissant (deinotes), vise au contraire à tétaniser l’auditeur telle la Gorgone, par le déploiement d’une énergie rhétorique extrême, passant par la concision et l’ellipse pour culminer sur le silence éloquent - selon une analyse du sublime commune à Longin et à Démétrios. Baldine Saint-Girons Comptes rendus 783 nous transporte à l’autre bout de la chaîne temporelle en étudiant les rapports entre la grâce et le sublime au XVIII e siècle : dans l’esthétique renaissante et classique, la notion de grâce, plus ou moins marquée selon les pays (Allemagne, Italie, France) par l’esthétique ou la théologie, sert à pointer les insuffisances du concept de beau, en lui opposant les valeurs de la mobilité, du mystère, de l’indicible, voire de l’impossible. Mais dans la seconde moitié du siècle, le sublime éclipse la grâce dans cette fonction critique : en Angleterre et en Allemagne, de Hogarth à Winckelmann, la grâce est réduite à une catégorie de la beauté, tandis que plusieurs Français (Montesquieu, André, Watelet) lient les deux notions à travers le « je ne sais quoi ». Cependant, la grâce n’est pas seulement une notion abstraite ; elle est bien plutôt une émotion, un ressenti, un « état de grâce », tel celui que ressentit Eward Gibbon sur le forum romain en 1764 : moment indicible et séminal qui détermina sa vocation d’historien autour des pôles contradictoires du visible et de l’invisible, de l’expérience et de la mystique, de la perception et de l’épiphanie, comme l’explique Pascal Griener. La dernière partie, « De la règle à l’exception : modes de la grâce », révèle que la grâce, au sens le plus élargi et le plus flou du terme, renvoie à une manière d’être. Le modèle bien connu en est la sprezzatura du courtisan de Castiglione, qualité fondamentale de l’artiste à la Renaissance, comme le rappelle Edouard Pommier. Cet ethos gracieux transmis par le peintre à sa peinture était déjà attribué à Apelle par Alberti, et revient sous la plume de Landino à propos de Filippo Lippi, et de Vasari à propos des grands peintres de la maniera, de Raphaël à Jules Romain, Perino del Vaga ou Parmignianino. En tant que don divin et pure subjectivité, la grâce artistique vient étayer une mystique de la création opposée au travail et à la règle. En passant de Castiglione à Baltasar Gracián, la grâce reste liée à l’irrégulier et à l’insaisissable, mais ses connotations éthiques se compliquent, à en suivre Pierre Maréchaux, au point de conduire à un paradoxe central : le despejo, ce dégagement supérieur du courtisan, source de toute élégance et chemin de la suprême vertu, justifie dans la sphère mondaine une stratégie de leurre et de dissimulation, au terme du divorce entre les domaines spirituel et temporel. En effet, dans une société définie par le mensonge et l’hostilité généralisés, la grâce est non seulement une parade nécessaire, mais la seule manière de convertir en esthétique agréable une éthique engluée dans le péché. Brenno Boccadoro montre la fécondité des conceptions platonicienne et pythagoricienne de la beauté numérique dans la pensée musicale jusqu’au XVI e siècle, et comment cette théorie fut radicalement remise en question par la crise maniériste, bien moins connue en musique qu’en histoire de l’art : ce moment voit s’écrouler l’esthétique mathématique (illustrée par le contrepoint franco-flamand) en faveur d’une théorie de la fascination et de PFSCL XXXV, 69 (2008) 784 la communication des affects. L’antagonisme entre les deux positions est particulièrement illustré par la querelle entre Cardan et Scaliger, en 1557 : si Cardan défend une conception de la beauté à la fois sensible et intelligible, délectation et proportion, Scaliger souligne l’incommensurabilité de la beauté, irréductible à la connaissance et a fortiori à une connaissance mathématique. Dans un tout autre registre, politique, Yvon Le Gall souligne la place cruciale du débat sur le droit de grâce à l’époque des Lumières. Tandis que la pensée politique et juridique des XVI e et XVII e avaient toujours exalté la clémence royale au double titre de la charité et de la raison, le traité Des délits et des peines de Beccaria lance au milieu du XVIII e une polémique où s’engagent tous les philosophes français. Le droit de grâce est tantôt exalté comme le « plus bel attribut de la souveraineté du monarque » (Montesquieu), remède à la cruauté des lois (Voltaire), mais il révèle en retour l’insuffisance du système pénal et l’injustice des lois ; en tant que complément du despotisme et sanction de l’arbitraire du souverain, il est violemment critiqué par Beccaria et ses émules, Quesnay, Linguet et jusqu’à Bentham. Enfin, faisant le pont entre tradition et modernité, Jocelyne Bourlingueux analyse un poème de García Lorca, « Saint Gabriel » (extrait du Romancero gitan), hommage à la tradition lyrique espagnole ; le poème réinterprète la scène de l’Annonciation comme une « création en acte » et une épiphanie de la grâce, indissolublement esthétique et spirituelle. Comme on voit, il est impossible de synthétiser les apports multiples de ces articles, tant ils invitent le lecteur à un va-et-vient permanent entre des ères culturelles et des disciplines diverses. C’est peut-être la seule déception du lecteur refermant l’ouvrage : autant il perçoit d’échos et de cohérences partielles, autant lui échappe une cohérence globale - preuve, s’il en est, du caractère insaisissable de la grâce. Emmanuelle Hénin J e a n -M a rie V a l e ntin , L a ur e Ga uthie r ( é d s .) : Pierre Corneille et l’Allemagne : l’œuvre dramatique de Pierre Corneille dans le monde germanique (XVII e -XIX e siècles). Paris : Editions Desjonquères, « La mesure des choses », 2007. 492 p. Les historiens et les critiques littéraires ont depuis longtemps étudié ce que le théâtre de Corneille devait aux grandes œuvres de l’antiquité grecque ou romaine, ainsi qu’aux pièces les plus illustres d’Espagne et d’Italie. On s’est beaucoup moins attaché à l’Allemagne, et l’on n’a pour ainsi dire jamais analysé ce que les chefs d’œuvre de l’auteur du Cid avaient apporté à ses