Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2008
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Jean-Marie Valentin, Laure Gauthier (éds.) : Pierre Corneille et l’Allemagne : l’œuvre dramatique de Pierre Corneille dans le monde germanique (XVIIe-XIXe siècles). Paris : Editions Desjonqères, «La mesure des choses», 2007, 492 p.
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2008
Alain Niderst
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PFSCL XXXV, 69 (2008) 784 la communication des affects. L’antagonisme entre les deux positions est particulièrement illustré par la querelle entre Cardan et Scaliger, en 1557 : si Cardan défend une conception de la beauté à la fois sensible et intelligible, délectation et proportion, Scaliger souligne l’incommensurabilité de la beauté, irréductible à la connaissance et a fortiori à une connaissance mathématique. Dans un tout autre registre, politique, Yvon Le Gall souligne la place cruciale du débat sur le droit de grâce à l’époque des Lumières. Tandis que la pensée politique et juridique des XVI e et XVII e avaient toujours exalté la clémence royale au double titre de la charité et de la raison, le traité Des délits et des peines de Beccaria lance au milieu du XVIII e une polémique où s’engagent tous les philosophes français. Le droit de grâce est tantôt exalté comme le « plus bel attribut de la souveraineté du monarque » (Montesquieu), remède à la cruauté des lois (Voltaire), mais il révèle en retour l’insuffisance du système pénal et l’injustice des lois ; en tant que complément du despotisme et sanction de l’arbitraire du souverain, il est violemment critiqué par Beccaria et ses émules, Quesnay, Linguet et jusqu’à Bentham. Enfin, faisant le pont entre tradition et modernité, Jocelyne Bourlingueux analyse un poème de García Lorca, « Saint Gabriel » (extrait du Romancero gitan), hommage à la tradition lyrique espagnole ; le poème réinterprète la scène de l’Annonciation comme une « création en acte » et une épiphanie de la grâce, indissolublement esthétique et spirituelle. Comme on voit, il est impossible de synthétiser les apports multiples de ces articles, tant ils invitent le lecteur à un va-et-vient permanent entre des ères culturelles et des disciplines diverses. C’est peut-être la seule déception du lecteur refermant l’ouvrage : autant il perçoit d’échos et de cohérences partielles, autant lui échappe une cohérence globale - preuve, s’il en est, du caractère insaisissable de la grâce. Emmanuelle Hénin J e a n -M a rie V a l e ntin , L a ur e Ga uthie r ( é d s .) : Pierre Corneille et l’Allemagne : l’œuvre dramatique de Pierre Corneille dans le monde germanique (XVII e -XIX e siècles). Paris : Editions Desjonquères, « La mesure des choses », 2007. 492 p. Les historiens et les critiques littéraires ont depuis longtemps étudié ce que le théâtre de Corneille devait aux grandes œuvres de l’antiquité grecque ou romaine, ainsi qu’aux pièces les plus illustres d’Espagne et d’Italie. On s’est beaucoup moins attaché à l’Allemagne, et l’on n’a pour ainsi dire jamais analysé ce que les chefs d’œuvre de l’auteur du Cid avaient apporté à ses Comptes rendus 785 admirateurs des bords du Rhin ou du Danube. C’est dire l’intérêt de l’entreprise qu’ont menée Jean-Marie Valentin et ses compagnons. Nous aboutissons à un fort volume comprenant vingt-trois articles qui semblent embrasser le sujet de manière exhaustive. Différentes périodes se sont succédé, marquées chacune par une ou deux figures éminentes. Après « la scène baroque » illustrée par Gryphius, viennent en effet « les prémices du débat sur Shakespeare », qui au XVIII e siècle est souvent traduit ou adapté sur les scènes allemandes, puis « le premier classicisme », celui de Gottsched et de Metastasio, puis avec Gotthold Ephraim Lessing les « survivances, rejets, permanences », avec Friedrich Schiller l’étonnante originalité d’un « cornélien malgré lui », avec Friedrich Schlegel une nouvelle interprétation du Cid considéré presque comme un drame romantique, tandis que Scribe et Donizetti adaptent Polyeucte pour l’opéra, qui devient ainsi un genre européen. Un tel essai permet évidemment de mieux comprendre l’évolution de l’Allemagne, et surtout de la mentalité de ses poètes et de ses critiques. Ce pays, jugé encore barbare au temps de Saint-Amant - et de Voltaire ! - s’est peu à peu enrichi jusqu’à parvenir avec le romantisme du début du XIX e siècle à une sorte de suprématie. A la vieille Allemagne baroque et rustique a succédé à travers des mutations successives l’Allemagne de Goethe et de Schiller, qui a donné des leçons à l’Europe. C’est ce que nous apprennent tous les commentateurs de Corneille qui se sont suivis durent trois siècle. Mais pour un historien de la littérature française, et un lecteur de Corneille les études rassemblées par Jean-Marie Valentin et Laure Gauthier ont également un évident intérêt. L’idée que nous pouvons nous faire de Corneille s’enrichit de tout ce qu’on a pu dire de lui, et des éléments qui nous échappaient, viennent grâce à ce travail en pleine lumière... C’est ainsi que la critique de Polyeucte présentée par Gryphius, l’admiration que Johann Christoph Gottsched voue au classicisme français, et les réserves toutefois que lui inspire « l’immoralité » du Cid, les distances que prend Schlegel par rapport au néo-classicisme de Gottsched, l’utilisation que fait Metastasio des situations et des vers cornéliens, la diffusion en Allemagne des poétiques jésuites, la traduction de Rodogune par August Bode, la sévère lecture que Lessing fait de cette même Rodogune dans sa Dramaturgie de Hambourg, nous obligent à oublier quelque temps les habitudes que nous avons acquises depuis l’enfance, à adopter un nouveau point de vue, et finalement à convenir qu’il est encore beaucoup à apprendre et à découvrir dans Le Cid ou dans Horace... Alain Niderst
