Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2009
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Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVIIe siècle?
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Jacqueline Plantie
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PFSCL XXXVI, 70 (2009) Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVII e siècle ? JACQUELINE PLANTIE Je me souviens… Je me souviens de ces 24 années où j’ai enseigné à l’Université d’Aix-en- Provence à côté de Roger Duchêne. Que nous étions différents ! Lui était si rapide, si bouillonnant, plein d’idées et d’initiatives. Et je me souviens aussi de tant de rencontres animées et amicales, à Marseille, à Saint-Cannat, à Vallouise. Peut-être devrais-je reprendre, pour ce volume consacré à la mémoire de Roger Duchêne, le texte d’un article ou d’une communication dont il m’aurait soufflé le sujet ? Finalement, je préfère reproduire ici, avec quelques retouches, un texte plus récent, mais peu diffusé, et qui parle, à propos de La Ceppède, de Provençaux du XVII e siècle. Le XVII e siècle, la Provence, voilà deux domaines chers à Roger Duchêne. Sur La Ceppède, il m’avait invité un jour (qui fut un jour de gros orage ! ) à faire une conférence à Marseille. Il était toujours prêt à offrir aux autres d’abord une tribune, et ensuite une revue qui les publierait, étant de ceux qui donnent, tout naturellement, de leur surabondance. *** Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVII e siècle ? Sous ses allures provocantes, la question mérite d’être posée 1 . Considéré aujourd’hui comme un grand poète religieux, La Ceppède paraît avoir eu, au grand siècle en son début, plus de laudateurs que de véritables lecteurs, et j’ai désespéré long- 1 Ces réflexions ont été présentées à Metz lors d’un colloque dont les Actes ont paru en 2005 : La poésie religieuse et ses lecteurs aux XVI e et XVII e siècles. Textes réunis par Alain Cullière et Anne Mantero, Éditions des Presses Universitaires de Dijon. J’ai fait depuis quelques modifications. Etude reproduite avec l’aimable autorisation des Editions des Presses Universitaires de Dijon. Jacqueline Plantié 50 temps de découvrir non pas vingt, non pas dix, mais du moins un lecteur, un seul, des sonnets « sur le sacré Mystère de notre Rédemption ». La Ceppède, poète ambitieux, mais réduit à diffuser lui-même son œuvre La Ceppède avait beaucoup d’ambition pour ses Théorèmes. Il s’adressait à un public cultivé, mais prétendait aussi parler « au peuple moins savant » 2 . Il souhaitait que son ouvrage profite à jamais dans l’Église, d’après le « Vœu pour la fin de ce livre et de tout cet œuvre » : il espérait donc avoir des lecteurs aux siècles à venir ; mais il se préoccupait aussi d’être lu au moment même où il écrivait ses Théorèmes. C’est le sens de « l’avant-jeu » de 1594, échantillon de douze sonnets qui devait permettre de tester les lecteurs éventuels, lecteurs qui sans doute approuvèrent puisque La Ceppède publia ses Théorèmes sur la Passion en 1613, et une seconde partie (allant jusqu’à la Pentecôte) en 1622. La Ceppède était donc un poète tout à fait soucieux d’être lu et entendu, partout, par tous, et toujours. Pour assurer le succès du livre - ce sont des faits déjà connus -, La Ceppède, imitant en cela son ami César de Nostredame, a choisi l’éditeur Colomiez, qui publie à Toulouse des ouvrages catholiques, et qui a dans son atelier de beaux jeux de caractères et de lettrines. On ignore comment La Ceppède a suivi l’impression des Théorèmes de 1613. Mais en 1620, en tout cas, par acte notarié du 11 décembre, La Ceppède charge un prêtre toulousain, Raymond Delsherms (qui était docteur en droit et fut d’abord avocat) de surveiller sur place l’édition de la seconde partie. Il lui envoie la somme de 200 livres (simple acompte) pour qu’on lui fasse parvenir ultérieurement les 400 exemplaires qu’il doit prendre 3 sur l’impression de son ouvrage 4 . 400 exemplaires ! C’est donc La Ceppède lui-même qui assure, au moins en partie, la diffusion de son ouvrage, c’est lui qui remet à ses relations les feuilles imprimées du livre 5 , ou les cahiers, non encore reliés, auxquels 2 Voir le sonnet II, IV, 1 de 1622, où La Ceppède exprime le désir que l’Esprit le rende « à bien parler appris », pour pouvoir « enseigner au peuple moins savant » comment s’est déroulé l’événement de la Pentecôte. 3 Le verbe devoir marque-t-il ici l’obligation ou le futur ? 4 Voir l’étude d’Honoré Gilles, Arch. dép. à Aix, 307 E 862, f. 2851 v°-2853. D’après les mots « sur l’impression », on doit penser que le tirage dépassait 400 exemplaires. 5 À propos du commerce des livres « en feuilles », voir H.-J. Martin, Livres, pouvoirs et société à Paris au XVII e siècle (1598-1701), t. I, p. 388. Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVII e siècle ? 51 s’ajouteront les pièces encomiastiques et les tables 6 . Ces personnes sont souvent embauchées par La Ceppède pour chanter le grand œuvre. C’est ce qui ressort d’une lettre de Malherbe à Peiresc : « Si vous écrivez à M. le président de La Ceppède, je vous prie de l’assurer qu’il aura les vers qu’il désire de moi, lorsque vous lui envoyerez la première feuille de son livre, c’est-à-dire dans un mois » 7 ; et ces personnes sont invitées à occuper ellesmêmes une place dans ce grand œuvre, dès lors qu’elles consentent à écrire en son honneur des vers, en grec, en latin, ou en français 8 . Mais, évidemment, les destinataires des Théorèmes sont plus nombreux que les seuls thuriféraires. Les destinataires et les thuriféraires des Théorèmes Si on ne tient pas compte de ceux qui ne lurent que l’échantillon de 1594, ni des dédicataires de l’œuvre, Marie de Médicis et Louis XIII, pas forcément lecteurs - on en conviendra - , on peut identifier une trentaine de personnes qui eurent les Théorèmes entre les mains. Aux indications fournies par les approbations des docteurs et par les pièces encomiastiques s’ajoutent d’autres sources : acte notarié pour Delsherms, catalogue de bibliothèque pour Peiresc, œuvre imprimée d’Antoine Mérindol, lettres conservées en ce qui concerne François de Sales ou Claude Expilly. Que sont ces destinataires ? des prêtres et des religieux (le mandataire Delsherms ; les trois théologiens qui ont fourni les approbations des 6 La réflexion sur les lecteurs de La Ceppède pourrait s’accompagner ici d’une autre réflexion, sur le livre au début du XVII e siècle. Je constate (avec Yvette Quenot) que les exemplaires connus des Théorèmes présentent des différences : les tables en particulier, composées après le corps des sonnets, ne sont pas paginées, et elles se trouvent reliées à des places diverses, tantôt vers le début, tantôt vers la fin du volume. C’est que le livre sort rarement relié de chez l’éditeur. Autres différences : certains volumes sont mieux achevés que d’autres. Ainsi un exemplaire du musée Arbaud présente une page de frontispice où manque la ligne imprimée : « Avec privilège du Roy. De l’imprimerie des Colomi [é]. MCXIII ». La ligne manquante a été écrite à la main. 7 Lettre du 14 juin 1612, voir Malherbe, Œuvres, éd. A. Adam, Bibl. de la Pléiade, 1971, p. 532. C’est moi qui souligne. La lettre de Malherbe atteste simultanément le rôle de Peiresc dans la transmission de la première page (le frontispice) et les requêtes faites par le poète pour obtenir des vers de louange de la part de ses amis. 8 Ici se pose une question pour laquelle je n’ai aucune réponse : La Ceppède donnait-il, à ceux dont il attendait des vers, l’ensemble de l’œuvre, ou un simple échantillon ? Quelques bonnes feuilles devaient pouvoir suffire. Jacqueline Plantié 52 docteurs : le Toulousain Pélissier, le Parisien Bulenger - qui fut parfois toulousain - et l’Aixois Melchior Raphaelis, un dominicain dont on connaît surtout le rôle dans l’affaire Gaufridy) ; un évêque, pas n’importe lequel, celui de Genève, François de Sales ; un métropolite grec, exarque de la mer Égée, titulaire du siège d’Éphèse, appartenant à l’illustre famille des Comnènes, Paronaxias Nikèphoros 9 ; des avocats aixois comme Billon ou Du Fort, des membres du Parlement de Toulouse (Henri du Faur de Pibrac, fils de l’auteur des quatrains, Gabriel de Terlon, François Le Conte), un magistrat et poète grenoblois 10 (Claude Expilly…), des universitaires (Julius Pacius, jurisconsulte, dont Peiresc suivit les leçons à Montpellier…), des poètes (Montfuron, César de Nostredame, Balthazar de Vias, Malherbe…), des proches de La Ceppède (son « neveu » ou petit cousin Peiresc, son beau-fils Buisson, son gendre Henri de Simiane, son ami le médecin Mérindol…). Des hommes qui habitent Aix (Fabrot, Scipion Du Périer, de Broves, chantre de l’église d’Aix…), ou Avignon, Grenoble, Annecy, Montpellier, Toulouse… 11 , Paris ; en gros : la Provence et le Comtat, la Savoie et le Dauphiné, le Languedoc, la capitale. Dans la mesure où La Ceppède était le premier diffuseur de son œuvre, on ne doit pas s’étonner de ce champ géographique apparemment limité. Sur l’accueil fait aux Théorèmes par leurs destinataires connus, nous savons peu de chose. François de Sales dans sa lettre à La Ceppède 12 , loue « ces riches et dévots Théorèmes » ; il approuve le poète d’avoir su « transformer les muses païennes en chrétiennes » (il a dû lire l’Avant-propos à la France), et il remarque que « c’est merveille combien les discours resserrés dans les lois des vers ont de pouvoir pour pénétrer les cœurs et assujettir la mémoire » : affirmations justes, mais trop générales. On préférerait voir cité dans le Traité de l’amour de Dieu un vers de La Ceppède. Les théologiens chargés de donner l’approbation certifient et attestent qu’ils ont lu l’ouvrage, comme ils sont tenus de le dire et sans doute de le faire, et ils en 9 Deux hypothèses pour expliquer comment ce haut dignitaire de l’Église grecque a pu recevoir les Théorèmes : Peiresc, qui avait tant de relations, aura servi d’intermédiaire ; ou bien un de ces Provençaux qui avaient fait une partie de leurs études à Padoue (comme Mérindol), ou à Venise, Bologne, Rome, villes où beaucoup de Grecs venaient étudier. C’est Paronaxias Nikèphoros qui ouvre la série des pièces encomiastiques de 1622 et qui, par sa seule présence, confirme que les Théorèmes prétendent à l’universalité. 10 Distinguer les magistrats et les poètes est assez vain, puisque l’on était très souvent à l’époque magistrat et poète. 11 La forte présence des Toulousains reste pour nous mystérieuse. 12 Œuvres, éd. d’Annecy, t. XVI, Lettres, vol. VI, p. 286. Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVII e siècle ? 53 louent l’orthodoxie et les belles et dévotes conceptions 13 . Mérindol, dans son Ars medica, ouvrage posthume, vante le commentaire en prose du sonnet 37 (du livre I de 1613) sur la sueur de sang 14 ; Mérindol, qui avait aidé La Ceppède à se documenter pour rédiger ladite annotation, écrit que le sujet de la sueur de sang « est traité très élégamment et très savamment à la fois (elegantissime simul et doctissime) par le très illustre Monsieur de La Ceppède », et comme il donne la référence exacte (« com. ad theor. 37 ») , cela prouve qu’il avait à sa disposition un exemplaire des Théorèmes. Quant à l’expression « theor. 37 », elle est très suggestive, et invite à penser que pour Mérindol (et peut-être pour La Ceppède lui-même ? ), l’œuvre du poète comprend autant de théorèmes que de sonnets. La plupart des auteurs de pièces encomiastiques montrent leur désir de s’illustrer par leur connaissance du latin ou du grec, par leur habileté à écrire des vers, ils font l’éloge de l’homme La Ceppède (qui te vidit amat : te voir, c’est t’aimer, dit Balthazar de Vias) ou l’éloge du magistrat, pour son sens de la justice ; ils accumulent jeux de mots, anagrammes, épigrammes, sans rien dire qui témoigne d’une lecture approfondie, ni même superficielle de l’œuvre ! Du Périer, le frère de cette Marguerite célébrée comme rose par Malherbe, loue La Ceppède d’avoir fait deux chefs-d’œuvre : sa fille Angélique et ses vers. De tous, le meilleur lecteur fut peut-être Malherbe, car c’était, en fait de poésie, le meilleur connaisseur. Cependant on hésite à voir un témoignage décisif de son admiration pour le poète dans les vers qu’il a écrits en l’honneur des Théorèmes ; oui, on hésite, même après avoir lu les mots de César de Nostredame, qui, après avoir rappelé, dans sa préface de l’Hippiade, que Malherbe était un censeur sévère, qu’il portait sur autrui un jugement « trop franc et libre », le prend pour « un irréprochable témoin que Monsieur de La Ceppède […], son singulier et vieil ami […] n’a peu acquis de Couronnes, en sa couronne d’Épines et son Pélican, aux trois cents divins sonnets, de ces divins Théorèmes […] » 15 . Quel crédit accorder à un tel style ? J’observe ici que Claude Expilly a conservé dévotement les Théorèmes ainsi qu’une lettre autographe de La Ceppède 16 ; François de Sales a 13 Ils n’y ont remarqué, disent-ils, « qu’une belle et sainte doctrine, qui s’accorde à la créance de l’Église, de laquelle les âmes pieuses peuvent recueillir, non moins de fruit, que de contentement, pour l’excellence des belles, et rares inventions qui s’y trouvent » (1612). Les approbations de 1620 et 1621 mentionnent « les dévotes et curieuses recherches » dont la seconde partie est remplie. 14 Ars medica, p. 300. 15 Aix, Musée Arbaud, ms coté M0. 84, [p. 22]. 16 La Bibliothèque municipale de Grenoble possède le livre et la lettre (du 12 juin 1616). On peut lire cette lettre dans l’article d’Yvette Quenot, « Lettre de La Ceppède à Expilly », B.H.R, 1988, t. L, p. 81-86 , ou déchiffrer sa reproduction en Jacqueline Plantié 54 conservé la minute de la lettre qu’il a envoyée au poète. Mais La Ceppède et ses descendants n’ont pas laissé de dossier rassemblant les lettres que les destinataires des Théorèmes ont dû écrire à leur auteur. Ceux qui auraient pu ou dû lire les Théorèmes et ne les ont pas lus Certains descendants de La Ceppède au XVII e siècle ont eu une grande réputation de piété. Cette piété fut sans doute sincère, mais sûrement très différente de celle de leur grand-père ou arrière-grand-père. C’est peut-être la forme même de leur piété qui les rendit indifférents à la poésie : le petit fils du poète, Gaspard de Simiane, chevalier de la Coste, qui s’adonnait à toutes les œuvres de charité, était proche de saint Vincent de Paul, et son arrière-petit-fils, Jean de Simiane, disciple du père Piny, pratiquait une religion des plus austères 17 . Il semble bien que ni les liens familiaux, ni la force poétique des vers de La Ceppède, ne donnèrent aux descendants du poète le courage de lire son œuvre. S’ils ouvrirent ses livres, ils durent vite les refermer. Gaspard de Simiane, lorsqu’il remercie Dieu de toutes les grâces qu’il a reçues, et énumère les circonstances bénéfiques de sa vie, ne parle pas nommément de son grand-père (qui pourtant avait pris soin de lui, l’avait pris chez lui après la mort de son gendre), ni de ses Théorèmes 18 . Quant à Jean de Simiane, il mentionne dans son testament un ouvrage qu’il donne en héritage, un seul : c’est son Cujas. fac-similé dans mon édition des Théorèmes, Champion, 1996. Claude Expilly a certainement lu et admiré les vers de La Ceppède. Quant à la lettre que celui-ci lui adressa, elle mérite d’être relue, non seulement parce qu’elle est autographe, non seulement parce qu’elle est courtoise, mais parce qu’elle montre comment La Ceppède, poète écrivant en 1616 à un autre poète, observe, même en prose, les conventions poétiques, en particulier dans l’emploi des périphrases (« les enfantements de votre Muse » ; « ce que mon Uranie mit au jour il y a quelque temps » ; « jusqu’au dernier soleil de ma vie »). 17 Voir mon article sur « Jean de La Ceppède et ses descendants, témoins de l’évolution de la spiritualité », in Lettres et réalités […]. Mélanges offerts à Henri Coulet. Univ. de Provence, 1988. 18 « [Dieu] m’a donné une bonne élévation, des parents catholiques et craignant Dieu. […]. il m’a fait tomber entre les mains de bons livres » (cité dans la Vie du chevalier de la Coste, par Antoine de Ruffi, Aix, 1659, p. 274). Comme Gaspard a perdu son père très jeune, et que La Ceppède l’a recueilli chez lui pour l’élever, Gaspard l’inclut sûrement parmi ces parents qu’il a eus, « catholiques et craignant Dieu ». Pour Gaspard, c’est tout dire. Pour nous, c’est un peu court. Quant aux « bons livres » que Gaspard a eus entre les mains, ce sont ceux qu’il a lus à Paris. Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVII e siècle ? 55 On conclura provisoirement que La Ceppède a cherché à diffuser ses vers, mais il n’est pas sûr, malgré ses efforts, que son œuvre ait eu au XVII e siècle les lecteurs qu’elle attendait. Certains auteurs de pièces encomiastiques furent peut-être de vrais lecteurs, mais nous n’en savons rien, car, dans le cadre conventionnel d’une pièce d’éloge, ils ne pouvaient rendre compte de leurs émotions, ni de leurs réflexions profondes. Les Théorèmes du reste n’ont pas été réédités avant le XX e siècle, et un auteur d’anthologie poétique du XVIII e siècle accompagne les deux sonnets qu’il cite du commentaire suivant : « Pour conserver sa réputation, La Ceppède aurait dû publier les vers qu’on avait écrits à sa louange, et supprimer ceux qu’il avait faits lui-même » 19 . Les traces de la lecture des Théorèmes dans les vers d’un poète provençal Après avoir cherché en vain des lecteurs de La Ceppède dans sa famille, il faut en chercher chez les poètes de son temps, surtout les poètes religieux. En lisant La Ceppède, on retrouve parfois un souvenir de Du Bartas ; en lisant Hyacinthe Mounier 20 , frère prêcheur au couvent d’Aix, on retrouve Ronsard (« Marie, qui voudrait votre nom retourner… »). Cette quête n’est donc pas forcément vouée à l’échec 21 . Et je suis presque sûre d’avoir repéré un poète lecteur de La Ceppède au XVII e siècle (il est d’ailleurs possible que d’autres l’aient repéré avant moi). C’est un Provençal, c’est lui qui a écrit le texte déjà cité en note : « l’Humanité/ Inséparable en tout de la Divinité » ; on s’est beaucoup moqué de lui (déjà de son vivant), c’est un des « grotesques » de Théophile Gautier, Jean- Louis Barthélemy, de Valréas, plus connu sous le nom de Pierre de Saint- Louis. L’auteur du poème en douze livres sur La Madeleine au désert de la 19 Voir les Annales poétiques, cote : 803897 à la B. M. de Lyon, t. XII, 1779, p. 165. 20 Voir Poésies sacrées […], Aix, 1636. 21 J’ai pu croire, en préparant l’édition des Divins élancements d’amour de Claude Hopil, qu’Hopil avait fait un léger emprunt à La Ceppède. En effet le même vers se lit chez les deux écrivains : « L’humanité conjointe à la divinité » mais il pourrait s’agir d’une rencontre plutôt que d’un emprunt. Comment traduire en effet, dans les douze syllabes d’un alexandrin, les mots du Concile de Trente, humanitas divinitati… conjuncta, sinon par les mots mêmes qu’emploient nos deux poètes ? Si l’on écrit, comme un autre poète dont il va être question : « l’Humanité/ Inséparable en tout de la Divinité », on dit la même chose, mais il est besoin de seize syllabes. Jacqueline Plantié 56 Sainte Baume en Provence 22 a continué un temps sa vie de carme, après son noviciat en Avignon, au couvent des Aygalades, dont La Ceppède avait été le voisin et le protecteur. Il n’a donc eu aucun mal à ouvrir et à lire les Théorèmes 23 . Il ne parle jamais de La Ceppède, mais il paraît l’avoir présent à sa mémoire. Les mots sur lesquels joue La Ceppède : pécheur, pêcheur, prêcheur, changent de genre ; ils se féminisent et deviennent la pécheresse, la pêcheresse, la prêcheresse, mots sur lesquels joue Pierre de Saint-Louis 24 . On retrouve chez lui « les cahiers sacrés » 25 , la « tragique histoire » 26 , « le royal Mithridat » 27 , un équivalent du « poignant diadème », ou de « l’épineux Diadème » devenant « l’épineux et piquant diadème » 28 , des équivalents approximatifs des deux soleils éclipsés 29 , des cailloux qui s’entrefendirent 30 , du Christ d’un vieux roseau sceptré 31 , du funeste convoi 32 , de ce plus que Salomon 33 , des habitudes au mal quittées avec les habits… 34 Je vois bien que ce ne sont là que des détails, et tout rapprochement, pris isolément, n’est rien. Leur accumulation cependant commence à faire preuve. Et certaines expressions ou certains vers paraissent bien contenir en eux comme l’aveu d’une influence acceptée, mais qui refuse tout plagiat. Le vers « Dont les troupes toujours aux combats animées » du carme rappelle « Êtes-vous bien toujours au combat animés ? » de La Ceppède 35 . « La sainte débauchée » de La Ceppède est chez Pierre de Saint-Louis « une 22 Livre publié en 1668, et remis en circulation à la fin du siècle. Je cite le texte d’après les exemplaires de la Bibliothèque municipale de Marseille (1694 et 1700). 23 D’après son biographe, l’abbé Follard, Pierre de Saint-Louis avait cessé d’écrire des vers, et sa muse se serait réveillée aux Aygalades. On peut donc imaginer, ou même supposer, que la lecture des Théorèmes joua son rôle en ce réveil (notons toutefois que le couvent des carmes d’Avignon possédait lui aussi un exemplaire des Théorèmes). 24 Voir Th., I, II, 5 et Mad., p. 3, 39, 72, 82-83. 25 Th., II, III, 2 ; Mad., p. 6. 26 Th., I, II, 92 ; Mad., p. 13. 27 Th., I, I, 16 ; Mad., p. 100. 28 Th., I, II, 67 et II, II, I, 12 ; Mad., p. 12. 29 Th., I, II, 37 et I, III, 70 ; Mad., p. 12. 30 Th., I, III, 89 ; Mad., p. 23. 31 Th., I, II, 69 ; Mad., p. 29. 32 Th., I, I, 98 ; Mad., p. 67. 33 Un hémistiche suffit à La Ceppède : « Ce plus que Salomon » (I, II, 73), là où Pierre de Saint-Louis a besoin de deux vers : « O que ce Salomon porte bien d’autres marques/ Que ne fit le plus sage entre tous les monarques » (p. 109). 34 Th., I, I, 88, v. 14 et note 2 ; Mad., p. 73. 35 Th., I, I, 14 ; Mad., p. 38. Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVII e siècle ? 57 sainte publique » 36 . Chez La Ceppède, Madeleine est près du Christ mort « Sans plaintes à la bouche, et sans larmes aux yeux » - toute la douleur est à l’intérieur, mais prête à éclater - ; chez Pierre de Saint-Louis, on la voit dans sa grotte « les larmes aux yeux, les plaintes à la bouche » 37 ! Et si la Ceppède a invité les Amphions et les Timantes à chanter le Christ, Pierre de Saint-Louis convie à chanter Madeleine les peintres, musiciens, écrivains, graveurs, historiens sacrés, orateurs et poètes 38 . Il semble que les mots et les rimes de La Ceppède aient exercé sur Pierre de Saint-Louis une véritable fascination, le carme les réemploie, dans un autre contexte. Il a été impressionné par « Cette grondeuse, ireuse et cruelle Atalante » qui est, chez La Ceppède, la foule de ceux qui entraînent le Christ au prétoire, et il fait de Madeleine, avec un jeu de mots sur coureuse, « …l’échevelée et coureuse Atalante » 39 . Sans avoir aucun rapport de sens avec lui, le vers du carme paraît faire écho à celui de La Ceppède : coureuse rappelle ireuse, et le nom d’Atalante est placé à la rime, après les adjectifs (deux au lieu de trois). Pierre de Saint-Louis n’apprécie pas dans les Théorèmes les mêmes qualités que nous, mais, me semble-t-il, il les a vraiment lus et sus par cœur. Et c’est peut-être pourquoi son second ouvrage, l’Éliade, débute sur un vers : « Je chante les combats, triomphes et victoires », qui paraît devoir moins au début de l’Énéide qu’à l’ouverture des Théorèmes : « Je chante les amours, les armes, la victoire ». Un chartreux qui prend des notes sur les Théorèmes De l’intime conviction, je passe à une certitude, car il existe un lecteur incontestable des Théorèmes au XVII e siècle. Ce lecteur est un chartreux 40 . 36 Th., I, III, 97 ; Mad., p. 3. 37 Th., I, III, 97 ; Mad., p. 16. Si Pierre de Saint-Louis se souvient de La Ceppède, il préfère manifestement la banalité au plagiat. 38 Th., I, I, 6 ; Mad., p. 8. 39 Th., I, II, 37 ; Mad., p. 89. 40 Donaldson-Evans avait déjà signalé ce lecteur de La Ceppède. Voir Poésie et méditation chez Jean de La Ceppède, Droz, 1969, p. 75, n. 30 : « …il existe dans le fonds de manuscrits de la Bibliothèque de Marseille le cahier d’un religieux anonyme du XVII e siècle qui avait recopié des passages susceptibles d’aider sa dévotion personnelle. À côté de plusieurs passages tirés d’ouvrages pieux contemporains, il y a de nombreux extraits (sonnets et commentaires) des Théorèmes (Manuscrit 048417) ». La cote indiquée par D. É. est l’ancienne cote. L’Index général des manuscrits décrits dans le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, publié sous la direction de Michel Popoff, Paris, 1993, ne mentionne, concernant La Ceppède ou les Théorèmes, que cet unique document. Jacqueline Plantié 58 La Bibliothèque municipale de Marseille permet de lire, dans le manuscrit 447, jadis conservé dans la chartreuse de la ville, et qui date du milieu du XVII e siècle, des « Collections tirées des théorèmes du sieur de La Cépède [sic] ». D’après Furetière, une collection est un « recueil qu’on fait des plus beaux passages qu’on trouve dans les Auteurs, ou des endroits qui servent à quelque dessein qu’on a entrepris » 41 . Selon une note au crayon du catalogue de Marseille, ce manuscrit aurait été composé par Dom Nicolas Thienne, vicaire de la nouvelle chartreuse fondée à Marseille en 1632 42 . Le vicaire secondait le prieur, et si le prieur était le père du cloître, on a pu dire que le vicaire en était la mère. Ainsi Dom Nicolas devait prendre des notes dans les Théorèmes pour son usage personnel, mais aussi pour l’instruction de sa communauté. Nous tenons là 67 pages de notes serrées 43 , peu lisibles, prises dans l’ensemble du livre de 1613 en allant de l’Avant- Propos 44 , puis du premier sonnet, jusqu’au bout, Mélanges compris. Ces notes suivent le déroulement de l’œuvre. Deux ou trois fois seulement on voit le chartreux revenir en arrière, probablement parce qu’il pense avoir oublié un texte important. Comme, en feuilletant ces notes, on n’aperçoit pas de vers à première vue, le chartreux ayant la détestable habitude de ne pas distinguer vers et prose, on croit d’abord qu’il ne s’est intéressé qu’aux informations données par les annotations du poète, parmi lesquelles celle qui retient le plus son attention est, comme on pouvait s’y attendre, la note sur la sueur de sang. Impuissant à la résumer, il renvoie au texte intégral de la dispute (c’est le mot qu’il emploie), dispute où, dit-il, le sieur de La Ceppède « prouve particulièrement bien que cette sueur fut naturelle et non pas miraculeuse » 45 . Cependant il ne s’en tient pas là. Par exemple, il note : « Sonnet 7 à la louange de la solitude », remarque bien digne d’un chartreux. Non content de recopier ou de résumer les explications données par La Ceppède, sur le ciel, la terre, la mort, le propitiatoire…, le moine amalgame vers et prose. Il résume le sonnet 6 du premier livre : « Notre Seigneur commença ses tourments parmi les oliviers pour nous marquer la grâce et la paix qui [sic] apporte ». La Ceppède avait écrit : « ce parfait amant/ Parmi les oliviers commence son tourment/ […] ». De même, Nicolas Thienne résume le 41 Dans le manuscrit 447, se trouvent plusieurs « collections ». 42 On peut voir, insérée au début du manuscrit, une lettre qui lui est adressée. 43 P. 354 et 353, puis pp. 322 à 268 : les notes ont été écrites dans un manuscrit déjà paginé, en retournant le manuscrit. Tout prouve que le chartreux craint de manquer de place et n’en laisse perdre aucune. 44 Le chartreux recopie la note 2 (3 en réalité) sur Juvencus qui écrivit en vers l’histoire de Jésus-Christ. 45 Le chartreux recopiera aussi les longues annotations sur alme ou sur la dextre. Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVII e siècle ? 59 sonnet 21 en écrivant : « Jésus-Christ enfanta son Église en mourant sur la Croix » 46 . Parmi les sonnets du premier livre, celui que notre chartreux admire le plus est probablement le sonnet des « paoureux oiselets » 47 puisqu’il le fait précéder des mots « Omnes relicto eo fugerunt. Belle similitude », et qu’il le recopie en entier. Une inexactitude (« Au simple mouvement, au simple petit bruit », là où La Ceppède a écrit « Au simple mouvement, au moindre petit bruit ») pourrait même faire supposer que le chartreux se fie à sa mémoire, au lieu de suivre le texte des yeux. Plus loin, là où La Ceppède met une note sur « Magnanime Samson », le chartreux recopie tout l’alexandrin : « Magnanime Samson, Nazarien Alcide » 48 . Prenant des notes dans les livres II et III, il cite de plus en plus souvent des vers. À plusieurs reprises il recopie un ou deux quatrains, un ou deux tercets 49 , les trois premières strophes de « L’amour l’a de l’Olympe ici-bas 46 On remarque que ces résumés ne doivent rien aux résumés que L. C. donne luimême dans sa table des sonnets. 47 S. I, I, 79. Les mots « Belle similitude » n’appartiennent pas au texte de La Ceppède. Quant à la citation latine de Matthieu 26, 56, le chartreux l’a trouvée, ou dans la note 3 du sonnet 82, ou dans sa mémoire. 48 S. I, I, 96, v. 1. 49 Voici les citations les plus importantes par leur étendue : I, I, 68. « Christ est le bon David ». 9 vers sont cités exactement. I, I, 79. Tout le sonnet. I, I, 92. « Quand David honora le deuil du fils de Ner » (sonnet recopié presque exactement) ____________________ I, II, 16. Les deux quatrains : « Comme des assassins… ». I, II, 37. Les deux tercets : « Luze, non autrement que la fière Athalie… ». I, II, 39. Deux vers et demi du second quatrain : « Ainsi les Péléides… ». I, II, 40. Les deux tercets : « Les outils du péché… ». I, II, 50. Le premier tercet : « Ainsi la Harpe… ». I, II, 68. Le second tercet : « La salive, et la terre… ». I, II, 64 (retour en arrière du chartreux). Les deux tercets (« Pour délivrer Juda… »). I, II, 92. Reprise de quelques vers. _________________________ I, III, 15. Les deux tercets : « Le fer n’osait toucher… ». I, III, 17. Le premier quatrain : « Si la fameuse Écho… ». I, III, 20. Les deux quatrains et le premier tercet. C’est le sonnet « L’amour l’a de l’Olympe ici-bas fait descendre ». I, III, 30. Sonnet cité intégralement : « Cet Arbre est foisonnant en mille fruits divers… ». I, III, 31. Dernier tercet : « Les marqués à ton coin… ». I, III, 34. Premier quatrain : « Les trophées pompeux… ». Jacqueline Plantié 60 fait descendre « et parfois tout un sonnet : « Cet arbre est foisonnant en mille fruits divers… ». Si mes comptes sont exacts (et ils doivent l’être à peu de chose près), 170 sonnets des Théorèmes de 1613 sont représentés, soit par leurs annotations, soit par leurs vers : 51 sonnets du livre I ; 49 du livre II ; 70 du livre III. Et 164 vers sont recopiés : 38 du livre I ; 47 du livre II ; 79 du livre III. Nous avons, avec Nicolas Thienne, un lecteur qui a voulu s’instruire en lisant les Théorèmes, et qui a été pris par la force poétique de l’œuvre 50 . Lui qui, au début, n’hésite pas à rompre les alexandrins en insérant au beau milieu annotations ou références, finit par rétablir scrupuleusement dans son intégrité un vers qu’il avait d’abord modifié 51 . Nicolas Thienne fut probablement un lecteur tel que La Ceppède rêvait d’en avoir : un lecteur pour qui les annotations avaient autant d’importance que les sonnets, un lecteur qui cherchait à s’instruire en lisant les Théorèmes, pour son profit et celui des moines de sa communauté, et enfin un lecteur dont le goût poétique s’affine à mesure qu’il avance dans sa lecture. Conclusion Il est donc vraisemblable, finalement, que les Théorèmes de La Ceppède ont trouvé quelques « véritables » lecteurs au XVII e siècle, probablement surtout en Provence et plutôt parmi les religieux que parmi les laïcs. Le nombre ridiculement réduit des lecteurs identifiés empêche de tirer des conclusions I, III, 75. Second tercet. « Abreuve encor de l’eau d’une amour très-intime… » Chose remarquable, pour la première fois, les vers sont présentés comme des vers, comme si, peu à peu, les vers avaient imposé leur loi au chartreux. Autre explication possible : le chartreux, craignant de manquer de papier, avait confondu vers et prose ; il se met à les distinguer quand il est sûr d’avoir assez de papier pour achever de prendre des notes. C’est d’ailleurs en respectant les vers et les strophes que Dom Nicolas recopie pour finir l’imitation de la prose du Stabat et le sonnet « Rapport des voluptés à la mer ». 50 Il semble même avoir été sensible à la présence de grappes de sonnets, puisqu’il lui arrive de regrouper les notes portant sur quelques sonnets unis par leur sujet, ainsi les sonnets 49, 50, 51 du livre I. 51 C’est le vers 11 du sonnet 4 du livre III : « Et tu portes celui qui commande les Cieux ». Le chartreux avait d’abord écrit : « Et Cimon porte celui qui commande les Cieux ». Les Théorèmes de La Ceppède ont-ils été lus au XVII e siècle ? 61 définitives, mais si l’on doit penser que le « peuple moins savant » 52 auquel songeait La Ceppède n’a pas connu ou goûté un ouvrage difficile à comprendre, inversement les couvents l’ont assez bien accueilli. Un des volumes des Théorèmes, au Musée Arbaud, porte la mention « Ad usum fratris… » (je n’ai pas déchiffré le nom du frère) ; les exemplaires de la Bibliothèque municipale d’Avignon viennent du couvent des carmes de la ville. La Bibliothèque municipale de Toulouse a deux exemplaires de 1613, dont l’un a appartenu au collège des Jésuites de Paris, et l’autre au couvent Sainte- Marie de Toulouse 53 . La Ceppède avait tellement voulu s’entourer de garants, et dire la pure orthodoxie, qu’il a vu son lectorat se restreindre non pas même aux âmes dévotes, mais aux personnes engagées dans les ordres et les cloîtres. Il a fallu attendre le XX e siècle et Henri Bremond, suivi par quelques poètes et auteurs d’anthologies poétiques, et par un certain nombre d’universitaires, pour que La Ceppède soit enfin vraiment lu, oui, mais - je le dis avec quelque mélancolie - par un petit nombre de lecteurs. Faut-il dire que le nombre ne fait rien à l’affaire ? Je me remémore avec plaisir la lettre d’un consul français à l’étranger, grand amateur de sonnets et passionné de versification, qui avait détecté, au seul examen des vers, une erreur dans mon édition des Théorèmes et me l’avait signalée 54 . Je pense aussi avec joie à ces étudiants de première ou deuxième années qui, à la lecture de certains sonnets du poète, observaient un silence religieux, et à ces étudiants de maîtrise que La Ceppède a vraiment passionnés. Et quand 52 De nouveaux documents pourraient en particulier confirmer les conjectures (ce ne sont que des conjectures…) de Simplice Ambiana sur une possible circulation des Théorèmes en Espagne ou en Italie. Voir son article « Jean de La Ceppède : Culture et rayonnement d’un poète religieux dans l’Europe du XVII e siècle », in Horizons européens de la littérature française au XVII e siècle. (Études littéraires françaises, 41). Textes réunis et édités par Wolfgang Leiner, Gunter Narr Verlag, Tübingen, 1988, p. 55-62. 53 Des frères de la Pénitence du tiers ordre de S. François. 54 Alors que, dans la plupart des sonnets, à l’époque de La Ceppède, la formule ordinaire des rimes dans les quatrains est abba abba, et, moins fréquemment, abab abab, La Ceppède a ses formules à lui qui joignent volontiers à un quatrain à rimes embrassées un quatrain à rimes croisées : abba abba ; abba abab ; abab baab ; abab baba. La Ceppède n’utilise jamais la formule abab abab et il s’impose une règle rigoureuse : le quatrième et le cinquième vers de ses sonnets ont toujours la même rime. Il était donc évident que, dans le sonnet I, II, 62, j’avais déplacé un vers (peut-être à la suite d’un glisser-déposer maladroit). Après un premier quatrain avec, à la rime, les mots escorgées, abandonné, foisonné, rangées, il était impossible, dans le second quatrain, d’avoir, à la rime, couronné, dégorgées, environné, enragées ! Le mot dégorgées devait nécessairement être à la rime du cinquième vers du sonnet, suivi par environné, couronné, enragées. Jacqueline Plantié 62 un peintre provençal m’écrit son émerveillement à la lecture des vers « somptueux » de La Ceppède, et m’explique comment une de ses œuvres picturales (c’est, selon moi, la plus belle et la plus originale de toutes) rejoint certain sonnet du poète, je me dis que La Ceppède n’a pas écrit en vain.
