eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 36/70

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2009
3670

Sophie Conte (éd.): Nicolas Caussin: rhétorique et spiritualité à l’époque de Louis XIII. Actes du colloque de Troyes (septembre 2004). Berlin: Lit Verlag, 2007 (Ars Rhetorica, n°19). 358 p.

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2009
François Trémolières
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Comptes rendus 283 textes provenant en partie d’auteurs aujourd’hui peu connus qu’on trouve en annexe (461-472). Contentons-nous d’évoquer les titres des trois chapitres : « Poèmes de la nature et nature des choses » (221-272), « Poèmes et philosophie(s) : traduction et trahison » (273-338), « Philosophie et puissance poétique » (307-323). Chométy perçoit dans « l’ensemble des poèmes de la nature du XVII e siècle [...] les débuts d’un esprit nouveau qui conduira à la science moderne » (253). Aussi vante-t-il Genest de se « rallier sans condition » (255) au système héliocentrique. Malgré « une forte présence de Lucrèce » (271) et de l’atomisme épicurien, les poètes libertins « semblent se préoccuper de philosophie morale et moins de philosophie naturelle » (271). L’emploi « ludique » (281) du vocabulaire philosophique prédomine dans la poésie d’idée qui « ne semble être encore qu’une intériorisation exceptionnelle des idées » (306). La troisième partie est consacrée à l’art du langage, étude difficile selon Chométy, parce qu’on « ne possède plus l’expérience de la poésie d’idées d’un lecteur « modèle » du XVII e siècle » (343). Cette problématique s’aggrave du fait « qu’il n’y a ni genre ni sous-genre, ni forme, ni style, ni tonalité caractéristique de la poésie d’idées » (357). La diversité des moyens linguistiques fait partie de sa manière d’introduire les sciences dans le domaine de l’art de la parole, même le registre humoristique ou érotique ne lui est pas étranger, étant donné que « le poète-philosophe élabore toujours son langage » (396). Aussi l’auteur qualifie-t-il l’époque de « champ d’étude particulièrement fécond pour observer la formulation poétique des philosophèmes » (413). Il se met ensuite à détecter la « délectation esthétique » (427-456) qui « naît de l’artifice, voire même du trucage et de la manipulation » (437s) dans cette poésie. N’oublions pas toutefois que la transposition d’un thème de prose en poésie signifie à l’époque toujours une manière de l’ennoblir. Chométy attire à juste titre l’attention sur la poésie d’idées, négligée à tort, et qu’on lira désormais en s’inspirant de ses analyses. Volker Kapp S o phie C o nt e ( é d .) : Nicolas Caussin : rhétorique et spiritualité à l’époque de Louis XIII. Actes du colloque de Troyes (septembre 2004). Berlin : Lit Verlag, 2007 (Ars Rhetorica, n°19). 358 p. Le jésuite Nicolas Caussin (1583-1651) est resté dans les mémoires comme l’auteur de la Cour sainte (1624-1645) et l’éphémère confesseur (du 23 mars au 10 décembre 1637) du roi Louis XIII, appelé puis disgracié sur ordre de PFSCL XXXVI, 70 (2009) 284 Richelieu. Le présent colloque, édité avec soin (index nominum, bibliographies par article et bibliographie générale) et richement introduit par Sophie Conte, fait aussi découvrir l’auteur de tragediae sacrae, tragédies de collège dont l’influence a été étudiée par les spécialistes du théâtre de la Compagnie de Jésus (y compris en Allemagne), au premier rang desquels Jean-Marie Valentin. Il n’oublie pas la politique - Caussin prenant place parmi ces nombreuses figures du premier XVII e siècle qui, comme René d’Argenson étudié jadis par Michel de Certeau, allient « mystique et politique », spiritualité et vie de Cour, vie mondaine (absents en revanche, comme le signale l’introduction, les écrits de controverse ; et ceux à la gloire du roi ou du dauphin - « Dieudonné », le futur Louis XIV, naquit quelques mois après son exil forcé au collège de Quimper). Mais comme l’indique le titre du volume, c’est bien la rhétorique qui en constitue le centre. La contribution de S. Conte elle-même lui est directement consacrée, avec l’étude des Parallela (1 re éd. 1619), parallèle de l’éloquence de la chaire et de l’éloquence profane visant à établir la suprématie de la première. Héritier du « cicéronianisme » de la Contre-Réforme, Caussin donne les Pères en exemples déjà de la rhétorique profane, ce qui conduit naturellement à leur triomphe dans les derniers livres du traité : Chrysostome y est présenté comme l’Idea, l’orateur même - non sans rapport avec le prédicateur de Cour (jésuite) « dans la France de Louis XIII » (Caussin est en effet l’auteur de sermons, dont il a publié deux recueils : la Sagesse évangélique, en 1635, et le Buisson ardent, en 1647). Lena Schüssler s’intéresse plus particulièrement aux sources antiques des Parallela (ce qui est aussi le moyen d’en mesurer la nouveauté), à partir d’une étude de leur « composition », et Francis Goyet aux « analyses de discours » dans leur livre XIII : son étude lui permet de réévaluer « les productions des régents » (Caussin fit d’abord carrière de professeur d’humanités puis de rhétorique, à Rouen, La Flèche et, dès sa réouverture en 1618, au Collège de Clermont), autrement dit de contester l’opposition entre rhétoriques « adulte » et « scolaire » (Marc Fumaroli), pour lui préférer la tension entre deux pôles, civil (ex. Junius, 1598) et religieux (Caussin), de l’éloquence moderne, également dotés d’enseignement et traversés de grandeur. Ces contributions appartiennent à la quatrième et dernière partie du recueil, qui s’étend à l’esthétique. Caussin, sans y tenir le rôle d’un Ménestrier ou avant lui d’un Richeome, a contribué à l’immense littérature jésuite sur l’image, dont Ralph Dekoninck s’est récemment fait l’explorateur : reprenant le titre de sa thèse (Ad imaginem, Droz, 2005), il étudie ici l’articulation entre « plaisir et connaissance dans la pensée iconologique » de notre auteur. Florence Vuilleumier-Laurens, s’intéressant aux Syntagmata publiés Comptes rendus 285 quasi en même temps (1619) que les Parallela, montre les liens entre rhétorique et symbolique. Autre experte de l’emblématique, Anne-Elisabeth Spica quitte cette fois ce domaine pour s’intéresser (dans la troisième partie, intitulée « Civilité et spiritualité ») à « la figure du courtisan chrétien » dans la Cour sainte. L’ouvrage, on l’a dit, est le plus célèbre de Caussin ; il a joui d’une longévité remarquable, Sorel le saluant encore en 1667, dans sa Bibliothèque française, comme un de ces « livres mêlés » qui ont le mérite, « comme l’on ne peut pas être toujours dans la Théologie spéculative et dans la Dévotion abstraite », de « porter la Dévotion jusque dans la vie civile, et faire reluire la Piété, parmi les autres Vertus ». La filiation est évidente avec la spiritualité salésienne et l’on ne s’étonnera pas de découvrir en Caussin, grâce à la contribution de Patrick Goujon, l’auteur d’un Traité de la conduite spirituelle selon l’esprit du B. François de Sales, publié en 1637 et donc l’un des premiers relais - après Camus - de l’influence de ce dernier. Volker Kapp livre un essai de typologie de cette littérature curiale, en particulier jésuite, à travers la comparaison avec le traité italien de Bernardino Castori (1622) dont le titre pourrait avoir inspiré le sous-titre de la Cour sainte (parue, rappelons-le, deux ans plus tard), Instruction chrétienne des grands avec les exemples de ceux qui dans les cours ont fleuri dans la sainteté. Traduit en italien dès 1634, Caussin éclipsera rapidement Castori (1543-1634), d’ailleurs oublié même des historiens, malgré ses fonctions de recteur du Collège germanique à Rome ; au lieu que le second a plutôt publié un « traité de secrétaire » (c’est-à-dire destiné « aux gens de lettres qui se mettent au service d’une Cour », autrement dit aux élites des « petites Cours » italiennes), Caussin s’adressait à la noblesse d’épée et visait à christianiser une morale aristocratique, dans le contexte monarchique. À suivre A.-E. Spica, la Cour y apparaît comme un théâtre et la pratique dévote du courtisan un « beau jeu », qu’elle rapproche du « beau risque » socratique… Le succès de la Cour sainte n’eut d’égal que l’échec, à la Cour réelle, de son auteur. Dans la première partie (consacrée aux aspects biographiques), Philippe Lécrivain s’interroge sur les raisons qui ont pu attirer les faveurs du Cardinal, puis sa défaveur - qu’il eut l’habileté de ne pas tourner contre la Compagnie, obtenant d’elle au contraire qu’elle le suive dans sa condamnation de Caussin et le remplaçant par un autre jésuite, le très âgé Sirmond. Simonetta Di Santo Arfouilloux rappelle que (comme on pouvait s’y attendre) l’épisode pourtant fort bref du confesseur prend chez les biographes une importance bien plus grande que ce qui lui paraît l’essentiel : « Caussin le rhétoricien » et prédicateur ; son enquête historiographique se donne comme le préliminaire à une entreprise biographique à venir (l’intro- PFSCL XXXVI, 70 (2009) 286 duction nous apprenant par ailleurs qu’elle achève une thèse sur « Cicéron et Démosthène à la Renaissance : la question du sublime »). C’est à la « littérature » qu’est consacrée la deuxième partie de ce volume, et d’abord à l’auteur dramatique. Jean-Frédéric Chevalier, s’intéressant en particulier au Theodoricus (publié avec quatre autres tragédies en 1620), le décrit comme « héritier de Sénèque et de Boèce » ; proche alors de ce « théâtre de la cruauté » récemment exhumé par Christian Biet et ses élèves (Laffont, coll. Bouquins, 2006), il offre des « portraits de tyrans » dont la Cour sainte pourrait apparaître ensuite comme l’opposé vertueux. Le lien entre les deux corpus caussiniens est étudié par Emmanuelle Hénin, qui relève non seulement « une parenté thématique et stylistique » mais aussi la reprise d’une intention « morale et didactique » dans le traité spirituel provenant directement de la conception alors en vogue du théâtre ; plus profondément, le tragique dit la vérité d’un « théâtre du monde » voué au malheur et à l’épreuve. Sa lecture de la section dite des « Reines et Dames » (cinquième livre du traité) se trouve prolongée par la communication que Barbara Piqué (qui en prépare une édition) lui consacre exclusivement : il s’agit de montrer comment, au fil des éditions (de 1624 à 1645), l’accent se déplace progressivement « de l’histoire exemplaire à la galerie », genre mis à la mode par le P. Le Moyne avec sa Galerie des femmes fortes 1 ; œuvre composite, l’édition finale des Reines et Dames fabrique l’apparence de l’unité par une suite de portraits gravés sur un même (et austère) modèle. Suivant aussi l’idée d’un work in progress et l’étendant jusqu’aux éditions posthumes de la Cour sainte, Dominique Mont’condhuy relève pour sa part la probable influence d’une autre galerie, celle des Illustres au Palais- Cardinal, achevée vers 1635-1637 avec le concours des meilleurs peintres du royaume mais au service de celui dont Caussin apparaissait désormais comme la victime (et donc l’adversaire) : Richelieu. Faut-il suivre la conclusion paradoxale d’Emmanuel Bury qui soutient, avec des accents parfois volontiers polémiques, que l’inculture actuelle, ayant quasi relégué aux oubliettes les auteurs du Grand Siècle, pourrait donner sa chance à Caussin ? On peut douter pourtant qu’il en soit lu davantage - mais il est vrai que des étudiants peu formés au respect des majores, baignés en revanche par le renouveau des études sur la rhétorique, la « pensée de l’image », l’histoire de la Compagnie, celle du « sentiment religieux », aient moins de prévention à intégrer à la littérature l’auteur d’un 1 Ici la date avancée pour la parution (1642) étonne. E. Hénin maintient dans sa contribution celle habituelle de 1647. Un chapitre de la 2 e édition des Peintures morales, en 1643, peut être lu comme une esquisse de la Galerie. Comptes rendus 287 traité de vie dévote. Très copieux, le présent volume montre en tout cas que Caussin, à n’en pas douter, offre matière abondante aux chercheurs. François Trémolières Nin a E k s t e in : Corneille’s Irony. Charlottesville: Rookwood Press, 2007. 210 p. As Nina Ekstein points out near the beginning of this valuable study, « Corneille is not generally associated with irony » (2). One reason the author gives for the generalized underestimation of the importance of irony for our understanding of Corneille is the prominence of the concept of heroism (and, we might add, virtue) in Corneille’s œuvre. But as Ekstein convincingly shows, a wide variety of notions traditionally associated with Cornelian classicism bear the potential for ironic treatment, both in the theater and in Corneille’s writings about his works. Ekstein’s detailed analyses advance a new and provocative vision of Corneille as a creative, complex, at times even playful playwright. This approach complements John D. Lyons’s reflection in Kingdom of Disorder on Corneille’s dramaturgical experimentation, innovation, and frequent uncertainty. In its discussions of ironic doubling of discourse (4) and of changes in reception of Corneille’s works over time (22, 82), Corneille’s Irony also parallels Christopher Braider’s Indiscernible Counterparts; Ekstein’s discussion would have been enriched significantly by direct critical engagement with Braider’s insights on Corneille’s semantic instability and diachronic textual duplicity. In addition to providing careful readings of individual plays, Ekstein guides the reader, mainly in the book’s introduction, through a theoretical discussion of the many complexities of irony. Drawing on the work of Philippe Hamon, Linda Hutcheon, Vladimir Jankélévitch, and D.C. Muecke, among others, Ekstein methodically analyzes the various manifestations (or possible manifestations, as she always carefully points out) of Cornelian irony, including « dramatic irony, the irony of fate, echoic mention, parody, sarcasm, exaggeration, coincidence, raillerie, incongruity, reversal of fortune, changes of register, and contradiction » (1). The first half of Corneille’s Irony focuses on the clearer cases of « Evident Irony, » while the book’s second major section looks at the less certain « Signals of Possible Irony. » As Ekstein explains, the cautious critic’s doubts about whether s/ he is dealing with an example of irony paradoxically contribute to that very (possibly) ironic phenomenon.