Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2009
3670
Nathalie Grande et Edwige Keller-Rahbé (éds.): Madame de Villedieu ou les audaces du roman, Littératures classiques, n° 61 (printemps 2007). 308 p.
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2009
Roxanne Roy
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PFSCL XXXVI, 70 (2009) 292 concepts se voient donc fort malmenés dès qu’ils ne sont pas directement issus de la sémiotique. La connaissance du contexte est toujours de seconde main, et d’une main bien légère, tant la bibliographie oublie bon nombre d’éditions critiques et d’études récentes : les Images de Philostrate-Vigenère, les Réflexions critiques de l’abbé du Bos, les Conférences de l’Académie, l’Art de peinture de Du Fresnoy, la Pratique du théâtre de d’Aubignac sont tous cités dans l’édition originale, alors qu’ils ont fait l’objet de rééditions majeures dans les quinze dernières années - sans parler évidemment des nombreux textes absents de la bibliographie quand seules ont été consultées les quelques lignes entourant l’occurrence Frantext, au prix de contresens inévitables. Les travaux anciens de René Bray et de Jacques Scherer constituent le dernier cri des études dramatiques, comme ceux de R.-W. Lee pour l’histoire de l’art. Les études capitales d’Anne Spica ou d’Annie Becq ne sont pas citées. Le pauvre Ernst Gombrich est devenu Gombricht, le Warburg Institute, le Wasburg Institute, et Le Détail de Daniel Arasse a perdu son titre d’origine. Toutes ces coquilles reflètent la méconnaissance de l’état actuel de la recherche, tout comme l’absence de toute bibliographie non francophone. Si l’auteur voulait proposer une approche innovante, elle conservera le plein bénéfice de cette nouveauté, car un tel ouvrage, qui n’emprunte aucun des sentiers battus, n’est pas de nature à en frayer de nouveaux. Emmanuelle Hénin N a tha lie Gr a n d e e t E d wig e K e ll e r - R ahbé ( é d s .) : Madame de Villedieu ou les audaces du roman, Littératures classiques, n o 61 (printemps 2007). 308 p. Ce numéro de la revue Littératures classiques est consacré aux Actes du colloque international organisé à l’Université Lumière Lyon les 16 et 17 septembre 2004 par le Groupe Renaissance et Âge classique. Les dix-huit articles réunis dans ce dossier posent un regard juste et éclairant sur la production romanesque (au sens large) de Mme de Villedieu ; ils ont le grand mérite de sortir de l’ombre certaines de ses œuvres les moins connues et celles qui ont été peu commentées jusqu’à présent. Dans « Madame de Villedieu ou les audaces du roman », on brosse le portrait d’une femme audacieuse et carriériste - elle est la première écrivaine à avoir signé ses œuvres et à vivre de sa plume - mettant au point différentes stratégies d’« auto-promotion » qui, on s’en doute, se doublent d’enjeux commerciaux. Ayant à cœur de plaire à ses lecteurs et de les divertir, elle doit sans cesse se Comptes rendus 293 renouveler. Elle n’hésite donc pas à expérimenter diverses pratiques d’écriture, ce qui place son œuvre à mi-chemin entre tradition et modernité. D’ailleurs, le fil conducteur qui sous-tend le dossier, et qui lui assure une grande cohérence, pourrait bien être la diversité de la prose narrative de Mme de Villedieu. La richesse de ses écrits tiendrait précisément à la variété des formes et des procédés auxquels elle a recours, des sources dont elle s’inspire, et des genres qu’elle mélange au sein d’un même texte. Dans leur article introductif, Nathalie Grande et Edwige Keller-Rahbé constatent l’importante variation des dénominations auctoriales de Marie- Catherine Desjardins/ Mme de Villedieu. Elles proposent d’y voir une stratégie de l’auteure pour se tailler une place dans le champ littéraire naissant et se construire une persona. En effet, si la diversité des noms d’auteur s’explique en fonction de l’état civil, elle correspond aussi à une quête de respectabilité sociale et à une ambition littéraire. Elles s’interrogent ensuite sur l’imaginaire des noms, surnoms et pseudonymes de Mme de Villedieu, sur ce qu’ils ont éveillé chez les lecteurs et les critiques. Les études rassemblées dans la première partie ayant pour titre Textes portent sur une œuvre particulière de Mme de Villedieu. Tout en présentant au lecteur un panorama de la vaste production romanesque de l’auteure, les contributions ont encore pour avantage de se compléter les unes les autres, ce qui donne un bel équilibre à l’ensemble. En prenant pour objet d’étude Cléonice ou le roman galant. Nouvelle, Giorgio Sale souligne l’appartenance générique problématique de ce texte. Il montre les topoï et les procédés que Mme de Villedieu emprunte à la tradition romanesque mais aussi, et peutêtre surtout, comment elle s’en joue et innove afin de répondre au « goût nouveau » du public. On constate avec lui que l’œuvre se situe à la frontière de deux esthétiques, baroque par le roman héroïque et classique par la nouvelle galante. Yves Giraud pose un regard critique sans complaisance sur Le journal amoureux de Mme de Villedieu. Bien qu’il note la nouveauté de la forme (le recueil est divisé en journées plutôt qu’en chapitres), il reconnaît peu de mérite à cette œuvre imparfaite qu’il considère comme un « témoignage des débuts d’une romancière à qui il reste à prouver son talent » (p. 56). Il met l’accent sur les maladresses qu’on y trouve, soit la faiblesse de l’agencement des histoires, les anachronismes, l’absence de profondeur psychologique des personnages, la pauvreté de l’imagination de l’auteure, la fadeur du style et la fin inachevée. Voilà qui est loin de donner au lecteur l’envie de renouer avec ce texte… Les deux articles suivants se penchent sur le cas des Exilés de la cour d’Auguste. Marie-Gabrielle Lallemand fait bien voir comment l’auteure se joue de la structure formelle des romans baroques au sein de ses nouvelles PFSCL XXXVI, 70 (2009) 294 classiques, ce qui a pour effet d’accroître le plaisir des lecteurs. Elle explique ainsi ce phénomène : « [s]ans doute faut-il voir dans cette production variée un témoignage des impératifs économiques qui lui imposent de viser un public aussi large que possible » (p. 57). Pour sa part, Gérard Letexier cherche à comprendre les raisons qui ont fait des Exilés un succès retentissant. Ce roman régulier, qui respecte les six principes défendus par Georges de Scudéry dans sa préface d’Ibrahim, s’inscrit à l’évidence dans le prolongement de la tradition romanesque, mais il est aussi marqué par l’esthétique de la nouvelle classique. M. Letexier fait ce constat, qui rejoint sensiblement celui de Mme Lallemand, soit que les Exilés « sont une œuvre de transition capable de plaire aux amateurs de romans baroques […] comme à ceux des nouvelles classiques, historiques et galantes » (p. 72). Christophe Martin considère probable l’attribution des Nouvelles affricaines à Mme de Villedieu, en raison du « régime de lecture singulier que le texte propose » (p. 90). Il étudie le jeu ironique à l’égard de la topique romanesque auquel l’auteure se livre à l’intérieur même du roman, sans jamais pour autant tomber dans la parodie. Il met au jour cinq procédés créant cet effet d’ironie dans le roman, dont le quatrième, « énoncés attribués aux personnages eux-mêmes pour disqualifier l’écriture du roman » (p. 97), nous a semblé des plus efficaces. Brossant un parallèle avec La vie de Marianne, Jan Herman s’intéresse à la question de l’origine incertaine et de la naissance problématique du personnage central des Mémoires de la vie d’Henriette Sylvie de Molière. Il soutient l’hypothèse « d’un renversement de la signification du thème traditionnel de l’enfant trouvé » (p. 107), ce qu’il justifie en examinant la manière dont Mme de Villedieu détourne de sa fonction première ce thème du roman baroque. De son côté, Jean-Paul Sermain définit les caractéristiques du mot d’esprit dans les Mémoires de la vie d’Henriette Sylvie de Molière. Il en mesure la portée sociale, notamment du point de vue féminin, ainsi que les effets dans la composition des Mémoires. Dans un autre ordre d’idées, Jean Garapon montre comment Mme de Villedieu, toujours à l’affût de la dernière mode littéraire et désireuse de renouveler les formes romanesques, se distingue en composant Le Portefeuille, une nouvelle par lettres qui s’apparente à un roman d’éducation sentimentale et sociale. Il souligne l’hybridité générique qui caractérise ce texte puisque, outre les lettres, les billets, les sonnets et l’historiette finale, la comédie y occupe une large part. En effet, J. Garapon relève plusieurs procédés de l’écriture théâtrale de Mme de Villedieu, piste de recherche qui s’avère particulièrement féconde. C’est également la question du mélange des genres qui retient l’attention de Monika Kulesca. Elle met de l’avant le rôle de la maxime et l’importance de l’emploi des lettres dans Les désordres Comptes rendus 295 de l’amour, tout en montrant en quoi elles déterminent l’action et font progresser l’intrigue amoureuse. La seconde partie du dossier, Synthèses, regroupe des articles qui envisagent un plus large corpus à partir d’une problématique bien définie. Ainsi, Charlotte Simonin brosse un tableau complet du péritexte chez Mme de Villedieu en mettant en lumière sa singularité. Loin de se limiter aux formules d’usages, l’écrivaine fait preuve, dans ses épîtres et autres avis, d’un souci constant de plaire à son public et de le divertir (elle en tire d’ailleurs une certaine gloire), tout en soulignant le génie de ses écrits. Plus audacieuse encore est « [l]a fière revendication de ses œuvres passées comme de ses œuvres à venir » (p. 171) qu’on y trouve. Mme de Villedieu opte souvent pour la forme du recueil, tâchant par là de répondre au goût du public mondain friand de nouveauté et de variété. Claudine Nédélec consacre un article à l’organisation et au mode de composition des recueils de la femme de lettres, et dévoile les différents principes qui assurent une unité à ces ouvrages composites. Son expérience de dramaturge semble avoir profondément marqué Mme de Villedieu puisque l’on trouve plusieurs thèmes et procédés dramatiques dans ses nouvelles, ce qui leur confère une certaine « théâtralité ». Après avoir répertorié et présenté les scènes secrètement entendues et/ ou vues par des témoins cachés, Nobuko Akiyama fait ressortir leur fort potentiel dramatique au sein des nouvelles, ainsi que leur incidence sur le déroulement de l’intrigue. L’étude de Suzanne Guelloux porte sur l’exotisme dont sont empreintes cinq œuvres de Mme de Villedieu. Si l’auteure en fait un usage romanesque (décors, matière du récit, situations et procédés qui ont pour fonction de plaire aux lecteurs), il lui arrive aussi de lier étroitement son intrigue aux réalités historiques, sociales et politiques du pays qui lui sert de toile de fond. La plupart des nouvelles de Mme de Villedieu se situent au carrefour de la politique et de la galanterie, de la vérité historique et de la fiction romanesque. En prenant pour cas de figure Les désordres de l’amour, Christian Zonza montre bien que cette écrivaine puise ses intrigues amoureuses dans les manuels d’histoire, dont celui de Mezeray, mais qu’elle leur emprunte aussi divers procédés d’écriture et ressorts dramatiques. En guise d’ouverture, Échos, la troisième partie du dossier, présente des articles où l’on étudie la production romanesque de Mme de Villedieu en regard des écrits de ses contemporains. D’abord, Laurent Thirouin met en parallèle deux œuvres qui ont une évidente parenté, Les désordres de l’amour de Mme de Villedieu et Le discours sur les passions du pseudo- Pascal. Après avoir mis en relief leurs nombreuses similitudes, notamment PFSCL XXXVI, 70 (2009) 296 en ce qui a trait à leur visée didactique, au discours sur l’incompatibilité entre l’amour et l’ambition, et à la théorie de la délicatesse, il fait bien voir que sur le plan idéologique les deux textes divergent. Alors que selon l’auteur du Discours la passion peut avoir un caractère rationnel, chez Mme de Villedieu amour et raison sont irréconciliables. Ce constat conduit l’auteur à « relativiser le virage augustinien pris par la romancière dans la dernière partie de son œuvre » (p. 257). Ensuite, Nathalie Fournier propose une étude comparative dans une perspective stylistique entre Les désordres de l’amour et La princesse de Clèves. Si le rapprochement a maintes fois été signalé, N. Fournier a le mérite de l’appuyer par une analyse précise des ressemblances et différences lexicales, et de le confirmer par le relevé de nombreux indices textuels. Elle en conclut qu’il y a bien réécriture de la part de Mme de LaFayette, mais que celle-ci transforme la scène de l’aveu en imposant « une lecture héroïque, morale et religieuse », alors que Mme de Villedieu « invite à une lecture piquante et ironique de son ouvrage » (p. 273). Enfin, s’attachant à la diffusion et à la réception des romans et nouvelles à la mode dans le dernier tiers du XVII e siècle, Rudolf Harneit prend pour exemple quelques textes phares de deux nouvellistes qui connurent un succès éclatant et durable : Mme de Villedieu et Jean de Préchac. Bien qu’on regrette qu’il ne précise pas davantage les similitudes qui existent entre ces deux écrivains, l’auteur se livre à une enquête érudite et extrêmement fouillée sur les éditions, rééditions, réimpressions et traductions des œuvres de Villedieu et Préchac afin de mesurer leur impact réel en Europe. Les chercheurs qui s’intéressent à Mme de Villedieu consulteront avec profit la bibliographie préparée par E. Keller-Rahbé qu’on trouve en fin de volume et qui, sans être exhaustive, fait état du dynamisme et du renouvellement important des travaux de recherche dans ce domaine depuis une trentaine d’années. Nul doute, en terminant, que Madame de Villedieu ou les audaces du roman apporte une contribution significative à l’avancement des connaissances sur cette femme de lettres et, plus généralement, sur la fiction narrative en prose dans la seconde moitié du XVII e siècle. Roxanne Roy
