Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2009
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François Lasserre (éd.): Les Cinq Auteurs, La Comédie des Tuileries et L’Aveugle de smyrne (écrites en collaboration par F. de Boisrobert, G. Colletet, P. Corneille, Cl. de L’Estoile, J. Rotrou, sous la direction de Richelieu avec la participation de J. Chapelain). Édition critique, introduction et notes par François Lasserre. Paris: Champion, 2008 (Collection "Sources Classiques", 87) 462 p.
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2009
Emmanuel Minel
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Comptes rendus 297 Fr a n ç oi s L a s s e rr e ( é d .) : Les Cinq Auteurs, La Comédie des Tuileries et L’Aveugle de Smyrne (écrites en collaboration par F. de Boisrobert, G. Colletet, P. Corneille, CL. de L’Estoile, J. Rotrou, sous la direction de Richelieu avec la participation de J. Chapelain). Édition critique, introduction et notes par François Lasserre. Paris : Champion, 2008 (Collection « Sources Classiques », 87). 462 p. François Lasserre, maintenant bien connu pour ses travaux novateurs, parfois audacieux, autour de Corneille (la pastorale d’Alidor, Corneille et le théâtre anglais, Gougenot ami méconnu de Corneille), nous propose en 2008 un nouveau détour cornélien avec son excellente édition de La Comédie des Tuileries suivie de celle de L’Aveugle de Smyrne, des fameux Cinq Auteurs réunis par Richelieu pour faire du théâtre d’État et promouvoir les lettres françaises. Les deux pièces sont connues à ce titre dans l’histoire du théâtre français (mais rarement étudiées, pour cause de médiocrité ... et d’indisponibilité du texte) ; elles sont connues aussi pour la participation (éphémère) du grand Corneille au groupe. François Lasserre nous donne l’occasion de juger sur pièce de ces deux textes, dans leur version complète, et resitue la collaboration cornélienne dans son contexte richelien d’une part, cornélien d’autre part. À une édition de poche, on aurait sans doute reproché de ne pas avoir restitué plus scolairement le contexte général, mais François Lasserre s’adresse ici à un lectorat éclairé, voire engagé dans les polémiques et les incertitudes documentaires de la recherche dix-septiémiste, et on lui fera volontiers grâce de cette absence de prolégomènes. L’édition des textes est soignée, annotée avec minutie et inventivité, sur la langue, les références ou l’état du texte. Ces comédies dépassent un peu sans doute l’intérêt de curiosité ou de document pour l’histoire littéraire lorsqu’elles nous restituent le plaisir de faire des vers de cette époque (1635) grâce justement, sans doute, à la naïveté de l’entreprise (dans laquelle aucun des poètes ne peut être autre chose qu’un exécutant, un artisan) et grâce à la juxtaposition des « manières » de chaque auteur, fort bien analysées par F. Lasserre, à l’occasion des attributions. Le lecteur a aussi accès à quelques bons ou très bons passages de Corneille, de Rotrou ou de Boisrobert, que le commentateur signale et rapproche d’autres œuvres. L’édition de François Lasserre est cependant essentiellement importante, à l’évidence, comme contribution critique à l’histoire du théâtre des années Richelieu ... voire au-delà - puisque l’une des nombreuses démonstrations porte sur la réorientation quasi-définitive de l’inspiration cornélienne entre PFSCL XXXVI, 70 (2009) 298 Le Cid et Horace et propose de faire le lien entre La Comédie des Tuileries et Le Menteur ou entre L’Aveugle de Smyrne comédie de l’obéissance inconditionnelle et Horace tragédie de l’obéissance inconditionnelle. À la vérité, les pistes d’exploration et les belles démonstrations sont nombreuses, dans cette « introduction » de 194 pages. Celle-ci s’intéresse d’abord à « l’œuvre collective », avec le problème des attributions (solutionné de façon solide et nouvelle) et celui du contexte (Richelieu commanditaire, Chapelain théoricien, Boisrobert coordinateur). L’analyse du rapport à la doctrine (les unités) et celle de la (in)cohérence dramaturgique du canevas puis des auteurs sont menées avec précision pour les deux pièces. On regrettera peut-être seulement que l’objet-livre ne permette pas un report de manipulation très commode à ce qui concerne l’un ou l’autre des textes. Les analyses sont fortes et serrées, mais qui voudra revenir sur tel aspect de L’Aveugle devra louvoyer sans beaucoup de repères entre les pages consacrées à La Comédie. La démonstration cornélienne l’emporte sur le guide de lecture. C’est en vérité qu’il y a beaucoup à démontrer, et François Lasserre soutient l’attention du lecteur bien mieux et par bien plus de matière que les Cinq Auteurs eux-mêmes. Il est passé maître, depuis son édition en Italie de la Pastorale d’Alidor dont il a étayé l’hypothétique attribution à Corneille, dans l’analyse stylistique et lexicographique raisonnée, dans l’analyse critique des « traditions » d’attribution et des rumeurs, dans l’exhumation et la sollicitation originale des sources, qu’il manipule avec la justesse et l’humilité du véritable érudit, sachant avouer la distinction entre une hypothèse, une preuve, un sentiment de certitude et une doxa. C’est avec une prudence savante - et obstinée - qu’il donne une grande force à ses conclusions, et en particulier qu’il formule l’attribution des dix actes écrits par l’équipe de Boisrobert. Il fait ensuite le point sur le rôle spécifique de Richelieu, celui de Chapelain, celui de l’abbé poète. Puis sur l’esthétique (fort peu moderne, en termes de dramaturgie) des concepteurs du canevas, qu’il compare de façon éclairante avec celle des véritables novateurs de l’époque - parmi lesquels Corneille et Rotrou, pourtant embauchés dans l’équipe. Sur le « sujet » des pièces et sur ce qu’un commentateur plus grossier aurait sans doute appelé leur message idéologique (en particulier pour la seconde) les analyses et les rapprochements de textes sont éclairants, comme c’est le cas à propos de l’encodage allégorique (fonctionnement poétique) et mimétique (fonctionnement dramaturgique) qui sollicite, selon les explications de Chapelain luimême, « le goût italien » raffiné plutôt que celui des spectateurs français du Cid (ou, pire, celui des amateurs du théâtre anglais ! ). La deuxième partie de l’introduction se consacre au cas Corneille. La troisième est constituée des « Annexes et documents » proposés après l’exa- Comptes rendus 299 men des éditions et surtout de l’intéressant manuscrit Le Masle (le secrétaire de Richelieu) qui renferme un très exceptionnel état manuscrit de L’Aveugle de Smyrne antérieur à l’édition imprimée (ce qu’établit clairement F. Lasserre). Les annexes comportent, outre le texte des deux lettres de Chapelain à Boisrobert, toujours utile à rappeler, une magnifique analyse de l’un des pamphlets relatifs au Cid, L’inconnu et véritable ami..., et de son attribution peu probable à Rotrou et très probable à Du Ryer. Cet intéressant aperçu d’une nouvelle querelle sur la Querelle du Cid laisse envisager d’autres développements, mais vaut surtout directement pour l’analyse du contexte de la création cornélienne des années 1630-1640 et de sa logique - que F. Lasserre explore avec persévérance depuis son Corneille de 1638 à 1642 (1990). Revenons, du coup, sur la deuxième partie, intitulée « Entrée et sortie de Corneille ». On y examine les différents aspects de l’année 1634 pour Corneille, année essentielle qui voit à la fois la représentation de La Place royale, l’écriture de Médée, la publication de La Veuve, celle de l’Excusatio, celle de l’Excuse à Ariste et - conséquence stratégique - l’entrée dans le groupe des Cinq Auteurs. On examine ensuite la réalité et la nature du reproche qui aurait été fait à Corneille (par Richelieu, selon Voltaire) de « manquer d’esprit de suite ». Après une belle identification du passage de l’acte III de La Comédie logiquement concerné par la remarque, F. Lasserre analyse les raisons techniques de l’indiscipline de Corneille et mesure ainsi l’écart qui le sépare de l’esthétique chapelainienne. Après quoi, la « démission » de Corneille s’en trouve éclairée, mais aussi l’inspiration de ... L’Illusion comique. Entre-temps, une analyse de sources, concernant les Mémoires d’Henri de Campion et les Entretiens, est l’occasion d’une nouvelle excellente mise au point biographique sur les relations entre Corneille et le clan Campion (en particulier Alexandre). Elle semble prendre place dans une exploration de beaucoup plus grande envergure de la biographie cornélienne, qu’il est à espérer que François Lasserre produira quelque jour à venir, tant elle semble prometteuse et novatrice. Enfin, après avoir montré que Corneille n’avait pas du tout écrit de vers pour L’Aveugle, le critique ne pouvait pas parler de l’importance de Corneille pour cette pièce ... mais il nous parle de façon tout à fait inattendue de l’importance de cette pièce pour l’orientation future du théâtre cornélien. Même si la problématique du service et de l’obéissance est travaillée depuis longtemps, par le Corneille de 1640, la question horacienne de l’obéissance absolue (voire excessive, donc tragique plutôt que tragi-comique ou comique) prend un nouveau relief pour le lecteur. L’analyse de F. Lasserre est psychologiquement très fine et très vraisemblable de ce que Corneille a cru PFSCL XXXVI, 70 (2009) 300 risquer de la part de Richelieu, au moment de la Querelle (à savoir la prise de corps) et du travail qu’il a ensuite accompli, pour Horace, en reprenant par sécurité le thème moral richelien de L’Aveugle, à savoir l’obéissance absolue. Le trajet cornélien de 1634 à 1640, de La Place royale à Horace en passant par Le Cid et le genre tragi-comique (dont l’abandon se trouve ainsi éclairé de façon nouvelle) est donc balisé de façon extrêmement importante, à notre avis, dans cette seconde partie de l’introduction, la plus nette, la plus dynamique et la plus polémique, aussi, de l’ouvrage. Cette édition des deux comédies des Cinq Auteurs est donc à la fois un utile présent à la communauté universitaire et estudiantine et un tour de force cornélien qui mérite un intérêt durable. Curiosité. - F. Lasserre signale que l’illustration originale de L’Aveugle de Smyrne est due à un certain C. Le Brun, et attire l’attention des historiens de l’art. Humour. - L’érudit ironise heureusement, à l’occasion, sur son matériau. Ainsi, le personnage d’Asphalte est-il qualifié (p. 26) d’esprit piquant, serviable, un peu superficiel. Les compatriotes de McAdam apprécieront ce précurseur ! Mise en page. - On notera une erreur de pagination dans la table des matières, due à n’en pas douter à l’étoffement de l’index qui précède : la liste des livres cités est p. 455 et non 453. On déplorera aussi peut-être, au risque de se répéter, le manque de détail dans les surtitres de haut de page, qui ne permettent pas de se repérer dans la richesse de l’argumentation. Ainsi, pour les pages 106-120, au lieu du monotone « le poète en 1634 » on aurait aimé avoir : « la dédicace de La Veuve oriente vers Shakespeare » puis « Corneille et la connaissance de l’anglais » puis « stratégie d’autopromotion auprès de Richelieu » puis « pourquoi l’Excuse est de 1634 » puis « la chronologie des dédicaces cornéliennes ». Le même regret s’applique à d’autres passages très denses comme pp. 125-139 (sur les Campion) ou pp. 71-85 (sur Richelieu auteur). Emmanuel Minel Aur o r e E v a in , P e rry G e thn e r, H e nrie tt e Go ld wyn ( é d s .) : Théâtre de femmes de l’Ancien Régime: XVII e siècle. Publication de l’Université de Saint-Etienne, 2008 (Collection « La cité des Dames »). 622 p. The second volume of Théâtre de femmes de l’Ancien Régime, directed by Aurore Evain, Perry Gethner, and Henriette Goldwyn, is an excellent intro-
