Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
121
2009
3671
Claire Cazanave: Le dialogue à l’âge callique. Étude de la littérature dialogique en France au XVIIe siècle. Paris: Champion, 2007, 632 p.
121
2009
Volker Kapp
pfscl36710559
PFSCL XXXVI, 71 (2009) Claire Cazanave : Le dialogue à l’âge classique. Étude de la littérature dialogique en France au XVII e siècle. Paris : Champion, 2007. 632 p. Le titre de cette étude focalise l’attention sur la littérature dialogique du XVII e siècle en France. L’auteur juge opportun d’expliquer la spécificité de ces textes en remontant jusqu’à l’Antiquité et en passant par la tradition italienne du genre. On ne peut que la féliciter de ce programme ambitieux dont la réalisation ne satisfait cependant pas toujours. Une des limites de ce livre consiste à promettre plus qu’il ne peut tenir. Le critique germanophone se réjouit de rencontrer dès la page 15 un titre allemand, à savoir l’étude, publiée en 1895, de R. Hirzel sur le dialogue. Que le lecteur francophone, intimidé par ce livre en allemand, se rassure, l’auteur ignore probablement cette langue et surtout quasi toutes les recherches qui s’en servent, à l’exception de celle de Ch. Strosetzki, traduite en français. On regrette l’absence de R. Kroll (Femme poète, 1996) dont l’interprétation de Mlle de Scudéry devance celle de l’auteur. Son plaidoyer en faveur des Entretiens de Félibien (234, 398-401) aurait pu profiter de la monographie magistrale de St. Germer (Kunst-Macht-Diskurs, 1997). Loin de faire grief à Mme Cazanave d’ignorer cette langue, on se demande pourquoi elle érige en repoussoir Hirzel ce qui est loin de refléter l’état actuel des recherches d’Outre-Rhin. Le domaine italien satisfait encore moins. Le genre du dialogue y fleurit et il est impossible d’en élaborer l’histoire sans dépasser le cadre du présent volume. Cette impossibilité ne dispense toutefois pas d’être précis dans la sélection qu’on opère. Un certain nombre d’ouvrages est disponible en traduction, Castiglione, della Casa, le Tasse, Guazzo. Mme Cazanave brigue d’évoquer en plus Sperone Speroni et Carlo Sigonio (89). De dialogo liber (1591) de Sigonio figure dans la bibliographie (sans indications précises), l’Apologia dei miei dialoghi de Speroni, titre qu’elle transforme en Apologia dei dialoghi (89), en est aussi bien absente que l’étude remarquable de J.-L. Fournel Les dialogues de Sperone Speroni (1990), mentionnée pourtant p. 18, où elle aurait pu s’informer (198-205) sur cette Apologie. Si l’on prétend que les commentaires de la Poétique d’Aristote créent « un climat de théorisation intensive, qui bénéficie, entre autres, au dialogue » (89), il faudrait évoquer Castelvetro au lieu de Speroni. L’analyse des théories italiennes du dialogue par J.R. Snyder dispense peut-être de la lecture de Fournel, mais elle n’autorise pas pour autant des erreurs évidentes. Ne chicanons pas l’auteur sur ce qui reste marginal et passons au centre de son travail. Le répertoire des ouvrages français en forme de dialogues 1600-1699 (509-555), complété par une liste des auteurs de dialogues (557-565), est méritoire. Il soulève toutefois une interrogation sur le travail bibliographique effectué. L’auteur s’abstient d’enregistrer les éditions critiques ou des PFSCL XXXVI, 71 (2009) 560 anthologies comme celle sur L’art de la conversation (1997) procurée par J. Hellegouarc’h, inspirée par M. Fumaroli qui en a écrit une préface de 29 pages. Cette anthologie dispenserait d’aller chercher en bibliothèque un certain nombre des dialogues analysés. À l’opposé de Fumaroli, Mme Cazanave érige Fontenelle en « gage d’une ouverture d’esprit » qui amorce une compréhension de l’entretien telle qu’elle se développe au XVIII e siècle » (427) et elle prolonge son analyse, à la suite d’A. Viala, jusqu’aux Rêveries de Rousseau. On sait que les Entretiens d’Ariste et d’Eugène de Bouhours ont profité (en 2003) d’une édition critique par B. Beugnot et G. Declercq, dont on apprend l’existence par la note 34, p. 373. Le lecteur aura intérêt à substituer les indications bibliographiques précises de l’édition critique à celles assez sommaires du répertoire de Cazanave (526) et à confronter la reproduction du frontispice, provenant, selon Beugnot et Declercq, de l’« édition originale », avec le cliché reproduit dans le présent ouvrage (p. 452), de moindre qualité, qui semble provenir de la seconde édition, éditée par Marbre-Cramoisy en 1671. Le peu de souci des éditions entraîne une stratégie irritante de citations, que nous nous contenterons d’illustrer par un cas typique. Les Colloques d’Erasme bénéficient d’une analyse rapide (98-99), qui mentionne d’abord l’édition par l’Imprimerie nationale (1992) et fournit ensuite des allégations provenant de celle de la Librairie des Bibliophiles de 1873. Cette négligence contraste avec le zèle, par ailleurs sympathique, à mettre en évidence les mérites d’A. Viala, son directeur de thèse. La surabondance d’allégations, qui fait sourire, pourrait donner l’impression que l’élève se contente de développer les travaux bien connus du maître. Son hypothèse de travail ne figure toutefois pas chez Viala, à savoir qu’il existe « une évolution chronologique qui, au « dialogue lettré », dominant des années 1630 à 1660, voit succéder les beaux jours de la « conversation » et de l’« entretien » dans les années 1670-1680 » (500). Sa méthode associe « l’analyse générique et l’interrogation sur les fonctions sociales » (23). Sa démarche de recherche se base sur un critère, « objectif et empirique, de la forme dialogique, afin d’envisager le domaine dans son entier » (27), même, sur la base du travail effectué par J.-C. Dhôtel, les catéchismes (107-122). La modification du genre des conversations se manifeste, entre autres, par la présence de plus en plus massive des gens du monde ainsi que par « une acclimatation des modalités de l’échange à leurs valeurs et à leurs goûts » (265). L’auteur en déduit « une définition minimale de la conversation » : c’est « un dialogue mettant en scène un groupe d’interlocuteurs accueillant à la fois hommes et femmes » (248). L’importance des hommes se réduit pendant la période envisagée sensiblement au profit des femmes, mais « la figure de la femme savante reste mal reçue pendant toute la Comptes rendus 561 seconde moitié du siècle » (314). La répartition de la prise de parole entre hommes et femmes s’équilibre chez Mlle de Scudéry qui « peut être tenue pour un modèle du genre » (258). Sa forme littéraire varie puisque la conversation « peut accueillir des récits, mais aussi des lettres […] ou des poèmes » (255). Elle s’approprie même les principes des cours d’amour de la littérature médiévale. L’évocation brève du principe ludique (264), illustré par le Recueil de pièces galantes en prose et en vers de Madame la Comtesse de la Suze et de Monsieur Pellison, rejoint le résultat des travaux, ignorés ici, sur les genres lyriques mondains. L’argumentation inclut toutefois l’interprétation d’un grand nombre de dialogues. Les « pratiques lettrées » et ses « normes » (285), largement analysées dans cet ouvrage, opèrent un déplacement « de la confrontation du pour et du contre » à « la liberté d’allure de la conversation » (258) qui « reconnaît à l’argument mondain une efficacité rhétorique » (282) et cherche « à élargir les connaissances de l’honnête homme vers les domaines réservés aux professionnels du savoir » (390). Tous ces éléments caractérisent « le passage du modèle érudit au modèle galant du dialogue » (208) qui s’accompagne d’un changement de l’endroit où il a lieu. Le salon perd son prestige en faveur de la promenade et du jardin, « espace d’échange, qui se construit comme lieu commun aussi en ce qu’il délimite un espace de la communauté partagée de la parole » (457). La déambulation, chère à la philosophie grecque, qu’évoque M. Fumaroli avec un esprit de finesse, est érigé par Mme Cazanave en principe oratoire du dialogue et le terme, provenant d’Horace, « du sermo pedestris » (458) que Fumaroli utilise, se métamorphose alors en calambour. Pour s’en consoler, il faut recourir aux développements limpides sur le style moyen de la rhétorique de la conversation qu’A. Génetiot présente dans la Poétique du loisir mondain (1997). Parmi les résultats fort éclairants, dus à l’esprit de système, il faut signaler la réflexion sur « les espaces de la sociabilité mondaine » qui se limitent à des milieux très réduits où « la circulation manuscrite […] peut être tout aussi efficace que l’imprimé » (212). La correspondance des gens de lettres confirme largement cette hypothèse. Il n’est pas faux d’alléguer dans ce contexte les dialogues de Claude Fleury, inédits à l’époque, Si on doit citer dans les plaidoyers, dont Gabriel Guéret discute le premier. Mme Cazanave aurait toutefois dû signaler que Fleury refuse de les publier en notant à la fin du manuscrit onze éléments à corriger ou à remanier. Cette étude précise bien notre vision du dialogue à l’âge classique. Sa polémique contre S. Gueullouz et les travaux remarquables qui nous ont révélé l’importance du genre, donnent toutefois envie à reprendre en main les devanciers de Mme Cazanave. Volker Kapp
