Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2009
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Laurence Devillairs (éd.): Augustin au XVIIe siècle. Actes du Colloque organisé par Carlo Ossola au Collège de France les 30 septembre et 1er octobre 2004. Textes réunis par Laurence Deviallairs. Firenze : Leo S. Olschki Editore, 2007. XVIII + 300 p.
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2009
Federico Corradi
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PFSCL XXXVI, 71 (2009) 562 Laurence Devillairs (éd.) : Augustin au XVII e siècle. Actes du Colloque organisé par Carlo Ossola au Collège de France les 30 septembre et 1 er octobre 2004. Textes réunis par Laurence Devillairs. Firenze : Leo S. Olschki Editore, 2007. XVIII + 300 p. Parler du XVII e siècle comme de l’âge d’or d’Augustin relève presque du lieu commun : de la querelle sur la grâce à l’interprétation providentielle de l’histoire, de la démystification des vertus des païens aux spéculations mystiques sur le Dieu intérieur, aucune époque n’a mis à profit si largement, dans tous les domaines du savoir, l’immense héritage légué par l’évêque d’Hippone à la culture occidentale. Ce volume, qui rassemble les actes du colloque organisé par Carlo Ossola au Collège de France à l’occasion du 1650 e anniversaire de la naissance d’Augustin, nous offre un aperçu de la question riche et diversifié, puisqu’il embrasse la littérature spirituelle aussi bien que la spéculation théologique, philosophique et scientifique. En étudiant quelques-unes de ces innombrables filiations, il fait mieux apparaître à la fois les continuités, les décalages et les ruptures qui marquent cette appropriation. Jean-Louis Quantin, dans le passionnant essai qui ouvre le volume, pose la question fondamentale du corpus pour montrer qu’il faudrait parler de plusieurs Augustins au XVII e siècle : car, même si on décide de réduire d’emblée le saint à l’auteur, on découvre d’abord que ses ouvrages les plus diffusés sont des compilations médiévales, destinées à la piété d’un public surtout féminin, qui mélangent des extraits d’Augustin à des passages d’auteurs très postérieurs. Quantin passe en revue les éditions des Opera omnia qui se succèdent au cours du siècle, depuis celle des docteurs de Louvain jusqu’à celle des mauristes : elles assurent une relative stabilité au canon augustinien sans pour autant empêcher une mobilité significative qui affecte surtout les marges du corpus, notamment les sermons et les lettres. La construction du corpus étant « indissociablement enjeu de savoir et de pouvoir », l’auteur essaie de dégager la logique qui préside à sa définition progressive. Si les nouvelles découvertes qui ont lieu au XVII e siècle ne sont pas de nature à modifier sensiblement l’interprétation de la pensée augustinienne, certaines questions philologiques, notamment l’identification des nombreux textes apocryphes mêlés aux Opera omnia, assument une importance cruciale, puisque l’autorité théologique d’un passage dépendait de son authenticité et les théologiens des camps adverses s’accusaient mutuellement de répandre des faux. Le corpus eut donc des frontières instables, déplacées selon les positions relatives des adversaires, jusqu’à ce que les jansénistes de Port-Royal ne parviennent à imposer un corpus étroit afin de dégager de manière rigoureuse le système d’Augustin sur la grâce. Cette clôture progressive, consacrée par l’édition Comptes rendus 563 mauriste, est le fruit d’un bouleversement intellectuel qui commence à se manifester à cette époque : la séparation des domaines de la théologie et de la critique. Gérard Ferreyrolles, de son côté, s’interroge sur la présence du De civitate Dei au XVII e siècle. La variété des usages que l’on fait de cette imposante summa de la pensée augustinienne en confirme la richesse. Cet ouvrage est invoqué dans plusieurs querelles du temps pour défendre des positions contradictoires. C’est ce qui se produit, par exemple, dans le débat sur la vertu des païens : Augustin semble la nier radicalement et toute l’anthropologie des moralistes classiques repose sur son analyse des conséquences désastreuses du péché originel, pourtant La Mothe Le Vayer peut alléguer des passages du chef-d’œuvre augustinien pour prouver qu’entre les vertus païennes et les vertus chrétiennes il n’y a qu’une différence de degré et non pas de nature. Mais si le Grand Siècle est bien l’âge d’or de la Cité de Dieu, c’est aussi l’âge de son déclin annoncé. Bossuet en est l’exemple le plus frappant : s’il relance de manière grandiose, dans le Discours sur l’histoire universelle, la vision augustinienne, il propose aussi une distinction des domaines de l’histoire providentielle et de l’histoire scientifique qui amorce un processus irréversible d’autonomisation de l’histoire comme science. La communication de Martine Pécharman porte sur l’analyse augustinienne du langage et son influence sur la Grammaire générale d’Arnauld et Lancelot : ceux-ci considèrent l’énonciation, à l’instar d’Augustin, comme l’effet d’une intentionnalité, d’un appetitus significandi antérieur à tout langage. Mais les auteurs de la Grammaire générale dépassent l’irréductible distance posée par Augustin entre le dehors et le dedans, entre le langage extérieur et le dire intérieur, en affirmant que les mots ont le pouvoir d’épuiser la signification de nos pensées. Mais c’est dans la dualité conceptuelle du signe et de la chose signifiée, postulée dans La Logique ou l’art de penser, que les Messieurs de Port-Royal retrouvent l’un des aspects essentiels de la spéculation augustinienne en ce domaine. Le versant philosophique de l’héritage du Père de l’Église est abordé par les deux articles d’Emanuela Scribano et de Vincent Carraud : ce dernier, dans une perspective tout à fait inattendue, s’attache à démontrer l’antiaugustinisme de Pascal ou, pour mieux dire, ses « points de résistance » à la pensée augustinienne. Selon cette thèse, les quelques citations du De civitate dei présentes dans les Pensées n’obligent pas à postuler une connaissance directe de l’ouvrage, puisqu’elles seraient toutes tirées de l’Apologie de Raimond Sebond. Carraud en conclut donc que Pascal, tout proche de Port- Royal qu’il était, a pu mettre en chantier une apologie de la religion chrétienne sans tenir compte aucunement de la Cité de Dieu. La dévalorisation de l’Augustin philosophe est particulièrement évidente dans la question du PFSCL XXXVI, 71 (2009) 564 cogito, que le philosophe latin avait formulé avant Descartes mais dont il n’avait pas soupçonné, d’après Pascal, toutes les implications. L’antiaugustinisme de Pascal ressort donc sur un fond de fidélité à la méthode cartésienne. Emanuela Scribano, par contre, centre son propos sur l’innéisme de Descartes, qui serait une réponse à la théorie augustinienne de la connaissance, fondée sur la participation directe à la vérité incréée. Si Thomas d’Aquin, suivant Augustin pour ce point, avait rejeté l’innéisme en le réservant à la connaissance des anges, Descartes applique aux hommes ce modèle, puisé dans l’angélologie thomiste ; cela lui permet, à rebours de la vision augustinienne, de fonder l’indépendance de l’entendement humain par rapport à l’entendement divin. L’article de Laurence Devillairs met en valeur l’augustinisme de Fénelon sur la question de l’amour pur, cet amour désintéressé que nous devons à Dieu et qui ne comporte pas une attitude passive, mais bien un choix de la volonté, une puissance d’agir. Cette valorisation de la liberté humaine par rapport à Dieu permet de mesurer l’écart de l’augustinisme janséniste, qui réduit l’homme à la passivité face à l’élection divine, par rapport à la pensée d’Augustin : d’après Pascal, l’homme n’est qu’un esclave du plaisir et, même quand il opte pour la grâce, c’est qu’il y trouve plus de délectation que dans le mal. Hélène Michon analyse de manière suggestive la notion de « cœur » au XVII e siècle, pour montrer comment on passe progressivement d’une relative orthodoxie augustinienne, qui consiste à désigner par ce terme l’intériorité humaine dans son ensemble sans dissocier intelligence et volonté (François de Sales), à une polarisation progressive du cœur et de la raison, qui deviendra un cliché chez les moralistes mondains de la deuxième moitié du siècle. Hélène Michon distingue deux traditions qui remontent également à Augustin mais qui restent séparées dans les auteurs postérieurs : celle qui développe l’imaginaire de l’espace intérieur, décrit par la métaphore du cellier ou de la chambre secrète, et celle qui, définissant une véritable architecture intérieure orientée selon un axe ascensionnel, voit dans le cœur le sommet, la « pointe » de l’âme. Jean-Robert Armogathe aborde la question moins connue de la contribution d’Augustin à l’émergence de nouvelles théories de la lumière et de la vision, étroitement liées à l’évolution de la spiritualité et à la doctrine théologique de l’illumination intérieure. Benedetta Papasogli nous offre une série de suggestions sur la mémoire dans la culture du XVII e siècle, « ce laboratoire obscur », où se fait le passage entre la tradition de la mémoire objective et une vision plus souple des profondeurs de la conscience. L’auteur relève la fécondité de la réflexion augustinienne sur la mémoire aussi bien dans la spéculation théologique que dans l’analyse psychologique Comptes rendus 565 la plus concrète. Il semble que ce soit dans ce dernier domaine que l’influence d’Augustin se fait sentir davantage ; mais derrière la fidélité de surface à l’imaginaire augustinien des « vastes salles », on perçoit un souci, qui est bien propre au XVII e siècle, de fermer l’espace intérieur, d’y mettre de l’ordre et d’atténuer le sentiment d’admiration et d’horreur éprouvé par Augustin face à ces profondeurs sans fin : le cas le plus frappant à cet égard est la Démonstration de l’existence de Dieu de Fénelon. L’article de Brian Stock nous offre un aperçu de l’influence augustinienne sur la littérature anglaise, notamment sur la tradition méditative de la poésie du XVII e siècle et sur les utopies politiques de Thomas More et de Francis Bacon. Le volume se termine par une étude consacrée par Carlo Ossola à une petite anthologie des Confessions largement répandue au XVII e siècle et diffusée aussi bien dans une version latine, les Piissimi in Deum affectus cordis, que dans une réélaboration française, Les plus tendres sentiments d’un cœur envers Dieu : cet ouvrage se configure comme une « miniaturisation » du texte augustinien, dont elle conserve le caractère d’oratio en effaçant complètement la narratio. Les Confessions sont donc assimilées aux Psaumes avec leur tissu continu de prière, ce qui revient à effacer dans l’anonymat la persona de l’auteur, qui occupait autrefois le centre de l’œuvre. L’auteur anonyme de ce recueil fait donc subir au texte le même traitement qu’Augustin réservait à la Bible, faisant souvent de son ouvrage une « narration par citations bibliques ». Federico Corradi Jacqueline Duchêne : François de Grignan. Marseille : Ed. Jeanne Lafitte, 2008. 175 p. Bibliographie choisie. L’auteur de cette excellente biographie fait revivre un membre important de la famille de Madame de Sévigné, son gendre, François de Grignan (1632- 1714), dans le contexte historique et social d’une grande famille aristocratique du XVII e siècle. Jacqueline Duchêne, membre de l’Académie de Marseille, bien connue par ses précédentes biographies de Françoise de Grignan, Bussy-Rabutin, Henriette d’Angleterre publiées chez Fayard, était éminemment qualifiée pour entreprendre ce travail. Elle avait collaboré à la monumentale édition de la Correspondance de Mme de Sévigné, procurée par son époux, le regretté Roger Duchêne auquel le présent ouvrage est dédié : l’éminent spécialiste admirait la personnalité et l’oeuvre du comte de Grignan, « parfait honnête homme », administrateur habile, entièrement dévoué à son souverain, Louis XIV depuis sa nomination comme lieutenant-
