eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 37/72

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2010
3772

Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé

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2010
François Lasserre
pfscl37720147
PFSCL XXXVII, 72 (2010) Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé F RANÇOIS L ASSERRE Les célèbres Recueils Conrart, conservés à la Bibliothèque de l’Arsenal, sont très variés, et l’ordre des pièces y est assez aléatoire. C’est par un effet du hasard que les deux documents dont il va être question se sont signalés à mon attention 1 . Information donnée par Chapelain On connaît les deux passages de lettres de Chapelain, parlant de sa collaboration occasionnelle avec Rotrou. L’une fut adressée à Godeau, début déc. 1632, l’autre à Balzac, le 17 février 1633 (éd. Tamizey, T. 1, p. 27, et Bnf. Ms. NAF, 1885, cité partiellement dans G. Collas, Jean Chapelain, p. 108) : À votre arrivée je vous donnerai la comédie par régale, c’est une pièce de commande, dont nous avons donné le devis, qui n’a pas été mal exécuté,et à qui un Druide 2 a baillé le coloris,… mais pour l’entendre il ne faut pas manquer à l’assignation et être précisément mardi à Paris. 1 Cet article sera consacré au plus important des deux documents, qui est annoncé dans le titre. Le deuxième, beaucoup moins important, ne concerne nullement la Diane ; nous le reproduirons en appendice, car il étoffe un peu la maigre collection des poésies diverses de Rotrou. 2 Chapelain, dont la lettre est envoyée à Dreux, joue sur ce nom, et déjà dans une lettre précédente, employait le mot de « druide » pour désigner les compatriote de Godeau, drouais comme lui. Il a déjà sollicité de Godeau des renseignements sur Rotrou, qu’il envisageait de prendre sous sa protection. Pour nous, la lettre à Balzac va préciser encore l’identité du coloriste. Pour la date, la lettre à Godeau n’en porte pas. Les deux qui la précédent dans le recueil sont datées respectivement du « 28 novembre », et de « novembre » ; celle qui suit est datée du « 8 décembre ». La datation vraisemblable que nous retenons est proposée par Tamizey et par G. Collas. François Lasserre 148 [A Balzac, il écrit : ] La comédie dont je vous ai parlé dans mes précédentes n’est mienne que de l’invention et de la disposition. Le vers en est de Rotrou, ce qui est cause qu’on n’en peut avoir de copie, pour ce que le poète en gagne son pain. J’en ai bien gardé le plan sur lequel elle a été exécutée, mais il serait malaisé qu’il vous divertît plaisamment ; si vous le désirez toutefois, je vous en ferai voir 3 une copie et vous l’envoierai. Certaines pièces de Rotrou sont perdues. Cependant, celle dont parle Chapelain (non sans quelque satisfaction, semble-t-il) ne saurait avoir échappé à l’impression, car cette omission eût été bien ingrate de la part du poète. Admettons par conséquent que nous sommes en possession de cette pièce : il ne resterait plus qu’à l’identifier. Les commentateurs essayant de le faire, ont hésité entre la Célimène et la Diane. Deux raisons conduisent à ne pas retenir la Célimène. En premier lieu, cette pièce n’est pas récente à la date des lettres citées, car elle fut représentée un peu avant La Veuve de Corneille, c’est-à-dire, dans la saison 1631-32. Or la première lettre indique une pièce représentée dans la saison 1632-33, plus exactement en novembre ou décembre 1632. Mais, deuxième raison, plus forte, la Célimène couvre une bonne quarantaine d’heures (comme l’indique son commencement au matin [v. 116, 361], à coordonner avec diverses indications de temps [v. 807, 1094]). Le dernier vers mentionné, comme le signale en note V. Lochert, dans l’édition STFM, établit que la pièce occupe deux journées, et son dénouement n’intervient qu’au début de la nuit. En outre, d’un point de vue plus global, on n’est informé, au fil des répliques de la Célimène, d’aucune préoccupation de respect de l’unité de jour (voir également la note 5 ci-après). Ceci serait tout à fait incompatible avec l’attachement obsessionnel de Chapelain à cette « règle ». 4 La Diane, au contraire, offre sur ce point la condition requise. On y trouve en surabondance les jalons horaires auxquels s’assujettissent alors les poètes veillant à ladite régularité : vers 1, 163, 172, 191, 216, 261, 323, 467, 704, 829, 867, 964, 1002, 1068, 1125, 1135, 1261, 1273, … On notera 3 Tamizey de Larroque pratique une correction, « [a]voir », qui me semble nettement plus illogique que « voir ». Balzac ne peut assurément voir la copie avant qu’elle lui ait été envoyée ; mais je comprendrais : j’en ferai voir [= produire] une copie à votre intention, et vous l’envoierai. 4 La discussion entre la Diane et la Célimène est résumée par G. Collas, Jean Chapelain, p. 109. Pour ma part, je contesterais plusieurs des arguments exposés, mais je retiendrais deux d’entre eux : le témoignage de Beauchamps, qui a recueilli sur la Diane des informations non connues par ailleurs (qu’elle « fut faite en dixhuit jours », et que Chapelain « se dit auteur de ce mauvais sujet »), et, deuxièmement, la dédicace ultérieure de la Diane au comte de Fiesque, personnage que Chapelain sut intéresser dans l’effort de promotion des 24 heures. Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 149 d’ailleurs que, par exemple, les mots « ce matin » du vers 1002 (fin de l’acte IV), renvoient à une action qui a eu lieu au I er acte. Tous les entractes ou ruptures de liaison des scènes comportent des agrafages similaires marquant l’étroite continuité temporelle (v. 259, pour les actes I à II ; v. 617-9, pour actes I à III ; v. 693 pour les scènes III, 4 à 8 ; continuité, en IV, 1, de la démarche que Philémon avait confiée à un certain Cléonte en III, 7 ; livraison dans l’acte V, au vers 1166, du « mot d’écrit » qu’allait faire Lysimant à l’acte IV, au vers 1129 ; description par Dorothée, aux vers 1257-64, de la feinte que Diane accomplit à la même heure chez Orimand). Il existe donc une incontestable et expresse volonté de contenir l’action strictement dans une seule durée diurne. Nous ne souscrivons pas à la notation de Liliane Picciola, « l’action… peut très bien ne pas dépasser vingtquatre heures, etc… » (Diane, éd. STFM, 2003, p. 253), car elle ferait de l’unité de jour de la Diane une option indifférente. Cette profusion chronométrique, publiant à son de trompe l’unité de jour, suffirait largement à emporter la conviction que Diane est la pièce dont Rotrou a recueilli le canevas auprès de Chapelain, car on pourra constater que, parmi les pièces de Rotrou en cette période, il n’y en a aucune autre qui nourrisse cette préoccupation de manière comparable 5 . 5 Au sujet de cette remarque, qui pourrait paraître hâtive, voici quelques précisions. L’action de l’Hypocondriaque, de l’Heureuse Constance et des Occasions perdues dure de 10 jours à un mois. Les autres pièces connues de Rotrou dans cette période sont de brève durée. On en trouve 3 dont l’action se borne à un seul passage du soleil : Hercule mourant, les Menechmes et la Diane. Cinq autres occupent un « 24 heures » de convention (à la façon du Cid), incluant une nuit et chargé d’évènements de part et d’autre de cette nuit : la Bague de l’Oubli, la Célimène, Filandre, Crisante, l’Innocente Infidélité. Enfin Céliane, la Pélerine amoureuse, Amélie, Clorinde, Florimonde, couvrent plus de 2 journées. De manière habituelle, les pièces susdites ne contiennent que 2 ou 3 références explicites (voire aucune) au déroulement des heures et du temps. Exceptionnellement, Amélie et Clorinde (mais sans respecter l’unité de jour) vont jusqu’à 8 et 9 références, ce qui, au demeurant, est encore très loin des 25 références de la Diane. Chez Rotrou, (hors la Diane, ~ fin 1632), ce n’est qu’en 1634 ou 35, avec l’Innocente Infidélité, que nous retrouvons, à la fois, une durée gouvernée par l’idée des 24 heures, jointe à la série maintenant assez significative de 12 références aux heures et moments de la journée. Il faut revenir sur deux cas spéciaux, les Menechmes et la Doristée. Dans la première de ces pièces, on trouve 18 indications temporelles. Mais la méthode habile utilisée pour établir ces indications diffère de celle à laquelle s’attachent Chapelain et les réguliers de cette époque. Ceux-ci s’astreignent à des mentions explicites des heures du jour. Or ce que l’on a dans les Menechmes, ce sont des rappels répétés et variés de telle donnée antérieure de l’action : les variations autour du poinçon déposé chez l’orfèvre, puis récupéré avant le soir, l’esclave annonçant qu’il vient de retenir une hôtellerie, marquant par là que lui et son maître ne sont là que François Lasserre 150 Document trouvé dans le Recueil Conrart Un tome des Recueils Conrart, portant le numéro 5 (manuscrit n° 5414 de la Bibliothèque de l’Arsenal), contient, dans ses pages 1023 à 1031, un document que le catalogue décrit de la façon suivante : « Plan d’une comédie : Lizimant, cavalier, aime passionnément Diane, villageoise… » 6 . Je fus surpris de lire cet incipit, qui renvoie sans ambiguïté à la Diane. Je reproduis le texte, en aérant un peu sa présentation graphique 7 : Lizimant cavalier aime passionnément Diane villageoise et voyant qu’il n’en pouvait rien obtenir que d’honnête se vit plusieurs fois tenté de l’épouser, Mais la bassesse de sa condition lui fit toujours honte, et ses parents lui ayant proposé un mariage avantageux il s’y laissa d’autant plus facilement persuader, qu’il crut que c’était un moyen très propre pour le défaire de cette inutile affection. Il conclut le mariage avec Philémon père d’Orante et va à la campagne convier quelques-uns de ses proches à ses noces ayant cependant donné ordre qu’on tînt toutes choses prêtes pour le jour qu’il devait retourner. Diane de son côté touchée du mérite de Lizimant et chatouillée de l’avantage que lui apporterait un mariage de cette qualité, avait pris un extrême amour pour lui et s’était promise de le posséder un jour. Et bien qu’elle fût demeurée quelque temps sans le voir, elle espérait toujours néanmoins que l’impression qu’avait fait sa beauté en son âme le lui ramènerait, depuis le matin, le rythme des repas… Conception non-érudite, réaliste, résolument différente de celle de la Diane. Pour la Doristée, sa construction est d’apparence incohérente. A la fin de la pièce, le récit des vers 1703 à 1738, qui se raccorde aux vers 11 à 17, établit que la totalité de l’action est comprise dans une journée. Cependant les analyses séparées que l’on peut faire des différents évènements, feraient croire que leurs durées dussent être beaucoup plus longues (elles sont notées subtilement dans l’édition de H. Baby - STFM., T. 5, pp. 428-430). La solution de ce dilemme n’est guère douteuse. Nous avons affaire à une gageure ironique sur l’unité de jour, tout à fait analogue à celle de Corneille dans Clitandre. La vengeance de Cléagénor tient la fonction temporelle astreignante que remplit dans Clitandre la journée de chasse. On note que l’exagération parodique, dans la Doristée, est beaucoup plus poussée encore que chez Corneille. 6 Il n’y a pas de nom d’auteur. G. Collas (Jean Chapelain, p. 490) mentionne comme se rapportant à Chapelain dans ce volume, seulement, p. 1, « Querelle de la lettre de Sulpicius à Cicéron », et p. 147, « Gazette de Tendre ». 7 Je me suis efforcé de suivre de très près la ponctuation, afin de respecter le rythme (ici très élémentaire, et relâché) des phrases. L’orthographe dite d’époque, en revanche, aurait inutilement embarrassé l’intelligence du texte. Il paraît probable que nous avons affaire à une copie de seconde main, car un passage de 17 lignes est repris deux fois, ce qui trahit une grande indifférence au contenu. Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 151 lorsque Dorothée sa compagne et confidente un jour en revenant de Paris où elle était allée vendre du fruit et des herbages lui dit ce qu’elle avait appris du mariage de Lizimant avec Orante, A cette nouvelle l’amour et l’intérêt lui font prendre résolution de quitter son village et d’essayer d’entrer pour femme de chambre près d’Orante avant que Lizimant fût de retour et de rompre si elle pouvait ce traité, Elle se dérobe de son père, vient à Paris, change son nom et trouve moyen de s’accommoder avec Orante, laissant la charge à Dorothée d’observer son père et de lui venir dire tous les jours ce qu’elle aurait appris, ce qu’il disait son départ, s’il en était grand bruit au village, Scène 1 Le logis d’Orante était dans la place Royale. Diane en sort de grand matin pour attendre Dorothée qu’elle ne voulait point qui fût vue, elle se plaint de sa fortune qui l’a réduite à abandonner son père et son pays pour suivre un inconstant qui l’a quittée après lui avoir donné tant d’amour, prie le dieu des amants de l’assister aussi bien dans la suite de son entreprise comme il a fait au commencement, lui ayant facilité l’entrée chez Orante sa maîtresse et sa rivale, s’excuse de ce qu’elle se prépare à user d’artifice pour empêcher ce mariage et dit qu’il est permis de sauver sa vie par tous moyens, et qu’en ceci il ne lui va pas moins que de la vie. Scène 2 Là-dessus vient Dorothée, elles s’embrassent, Diane lui dit qu’elle était sortie pour l’attendre, Dorothée lui répond qu’enfin Damon son père s’étant en vain travaillé à la faire chercher aux lieux circonvoisins comme elle lui avait dit les jours précédents, enfin s’était résolu de venir à Paris et d’aller de porte en porte jusqu’à ce qu’il l’eût rencontrée, Elle ajouta que Marin paysan amoureux de Diane et aimé de Dorothée ayant jugé qu’elle était allée trouver Lizimant, l’amour duquel lui était connue, avait aussi quitté le village depuis le jour précédent, pour la venir chercher en sa maison ; qu’elle le venait de rencontrer au coin de la rue, vêtu des livrées de Lizimant. Il lui avait dit qu’allant en son logis son maître d’hôtel lui avait offert de le recevoir pour laquais à quoi il s’était résolu aisément espérant par ce moyen la mieux traverser si elle s’était donnée à Lizimant et de plus qu’elle avait bien reconnu à son discours que Damon avait été averti subtilement par lui que Diane pouvait bien être chez Lizimant de qui elle était aimée, Après tout ce discours elle la prie de lui tenir sa promesse, qu’elle ferait son possible pour lui faire avoir ce Marin. Durant cet entretien Orante avait appelé Diane deux fois, A la première elle dit on m’appelle, à la seconde je m’en vais, et continue néanmoins avec Dorothée, Comme elle achevait de lui dire qu’elle la servirait, qu’elle ne bougeât ce jour de Paris jusqu’au soir, pour ce qu’elle croyait avoir affaire d’elle, que si l’artifice dont elle se voulait servir pour rompre ce mariage réussissait elle voulait s’habiller en homme, se présenter à Lizimant pour lui servir de suivant et risquer plutôt toutes choses que de ne le pas posséder, que pour cela elle lui baillait le présent que sa maîtresse lui avait fait le soir précédent en réjouissance François Lasserre 152 de son mariage, et qu’elle lui allât chercher des habits d’homme de cette condition qui lui pussent être propres, et les tînt prêts à l’hôtellerie où elle avait accoutumé de prendre son repas. Scène 3 Orante sort et la tan[ce,] elle répond artificieusement qu’elle était allée à la porte où l’on frappait, et que c’était une paysanne qui apportait un paquet pour Orante qu’elle l’avait voulu faire entrer mais qu’elle ne l’avait pu, qu’elle lui avait jeté le paquet et ne faisait que de partir. Orante ouvre le paquet, trouve une lettre écrite au nom d’une paysanne nommée Diane qui lui donne avis que Lizimant lui a promis mariage, qu’elle en a la promesse, et pour témoignage lui envoie plusieurs lettres de lui qui confirmaient ce qu’elle disait de la promesse, la prie de lui laisser son mari volontairement, sinon qu’elle se pourvoira par la justice. Scène 4 Orante envoie Diane après la paysanne, et cependant pour ce qu’elle aimait Ariste auquel son père, pour ce qu’il n’était pas si riche qu’elle, n’avait jamais voulu entendre, elle témoigne être ravie que cet obstacle se soit porté devant l’exécution du mariage d’elle et de Lizimant, espérant de faire agréer Ariste sur cette occasion. Scène 5 Philémon son père sort du logis pour aller en affaires et donner ordre de bonne heure à ce qui était nécessaire pour recevoir ses conviés, et la trouvant hors la porte lui demande si elle y attend Lizimant, elle lui répond en lui baillant ce paquet qu’elle venait de recevoir, et lui fait voir par les lettres propres de Lizimant le tort qu’il lui faisait et qu’elle ne pouvait songer à un homme qui eût l’âme si basse. Philémon s’en émeut, Mais dit qu’il veut attendre le retour de Lizimant pour voir s’il avouera la chose, Comme il allait rentrer avec sa fille se ravise qu’il vaut mieux qu’il aille au logis de Lizimant voir s’il n’est point revenu, elle entre dans le logis, il s’en va à celui de Lizimant où il frappe. Scène 6 Marin ouvre la porte vêtu des livrées de Lizimant. Il lui demande où est son maître. Marin répond qu’il était arrivé le soir de devant, mais qu’il était allé descendre chez des baigneurs 8 . Il le prie de le mener là. Marin conteste quelque temps disant qu’il était seul et que tout son monde l’était allé trouver. Enfin il le conduit chez les Picards. Acte 2, Scène 1 Damon vient de son village sur ce que Marin lui avait fait dire de l’amour de Lizimant et se plaint en entrant des soins qu’il a pris à élever cette fille pour en recevoir un tel déplaisir et comme il était en peine de demander le logis de Lizimant, Scène 2 Marin revient tout courant de chez les baigneurs d’où son maître était parti déjà, et Damon l’arrête auprès de la porte, s’enquiert si ce n’était pas la maison de 8 Le mot va se rencontrer quatre fois dans les lignes qui viennent, orthographié deux fois « baigneux », et deux fois « baigneurs ». Il semble d’après la suite qu’on attribuait une origine géographique particulière aux professionnels des bains publics ; je n’en ai pas confirmation par ailleurs. Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 153 Lizimant, Il répond qu’oui et en se retournant reconnaît Damon, et Damon lui, Damon s’étonne de le voir en cet habit et ayant su qu’il était à Lizimant, il s’écrie que c’est lui qui a servi Lizimant pour lui enlever sa fille, la lui redemande, Marin lui répondant qu’il n’y avait jamais pensé, et qu’il ne savait où elle était, Damon le presse avec transport, Marin s’enferme dans le logis de Lizimant, et Damon s’en va menaçant de la justice, laquelle il va essayer de faire venir dans ce logis, Scène 3 Lizimant qui était parti de chez les baigneurs pour s’en venir voir sa maîtresse se plaint en entrant des importuns compliments que lui avaient fait quelques gens de sa connaissance qu’il avait rencontrés en chemin, puis parle de l’étrange humeur où il se trouve d’épouser une femme sans l’aimer, et de ne se pouvoir défaire de la passion qu’il avait pour une paysanne ; Enfin conclut qu’il n’est pas né pour avoir du contentement. Scène 4 Comme il veut entrer chez Orante, elle sort sur le pas de sa porte, ayant vu de ses fenêtres qu’il venait, et au lieu de le recevoir le repousse et lui refuse le salut, lui fait plusieurs reproches de sa lâcheté, et lui dit qu’elle n’est sortie que pour lui défendre son logis et lui déclarer qu’il n’aura jamais de part en elle. Il demeure confus et ne sait pourquoi elle le traite de la sorte. Scène 5 Philémon qui survient de chez les baigneurs où il ne l’avait pas trouvé, prend la parole et lui fait sa plainte, à son tour, lui montre la lettre de la paysanne et les siennes, Pressé de sa conscience et de la vérité, il avoue bien qu’il avait bien aimé la paysanne mais non pas jusque là, que d’avoir pensé à l’épouser. Orante, et Philémon lui donnent son congé, l’une aigrement, l’autre doucement, et entrent chez eux : Scène 6 Lizimant interdit et piqué [monta’] 9 en colère et après avoir pesté contre le père et la fille, dit qu’il s’en veut venger, et que le meilleur moyen qu’il en avait était d’aller de ce pas même trouver Félician, leur voisin, et de lui témoigner qu’il était prêt d’épouser Rosinde sa fille dont un tiers ami lui avait parlé, que l’émulation qui était entre ces deux familles lui rendrait la chose facile, et qu’il leur voulait montrer que les partis ne lui manqueraient pas. Scène 7 Durant qu’il parlait tout troublé se promenant à grands pas, Diane vient, et dit qu’elle a fait son emploi 10 d’habits d’homme elle-même, et les a laissés à l’hôtellerie avec Dorothée, puis l’aperçoit tout à coup, elle se tait et va droit chez Orante, il se tourne comme elle ouvrait la porte, et jugeant qu’elle était à elle, lui dit qu’elle avertît sa maîtresse de son mariage avec Rosinde, où il allait à l’instant même ; sans se tourner à lui elle répond en contrefaisant sa voix qu’elle lui dirait cette nouvelle, 9 Je reproduis ici ce que je lis, mais j’avoue ne pas le comprendre très bien. 10 Emploi est écrit « emploit » dans le manuscrit : Furetière ne donne pas le sens d’« achat », qui semble déjà archaïsant en 1632 ; on le trouve dans Cotgrave : « purchase ». François Lasserre 154 Scène 8 Il entre chez Félician, elle demeure près de la porte d’Orante, surprise de cette résolution, accuse son mauvais destin qui lui a rendu son artifice inutile, et qui a empiré sa condition, songe sans y trouver remède puis entre en soupirant et pleurant, Acte 3, Scène 1 Ariste ancien serviteur d’Orante vient, affligé et désespéré du mariage qu’il croyait sur le point de s’achever, résolu de dire le dernier adieu à Orante, de lui rendre toutes ses faveurs et de se battre sous ses fenêtres avec Lizimant, puis de partir pour s’en aller en Hollande. Scène 2 Orante qui l’a vu venir de loin, descend à la porte pour le recevoir, lui dit qu’elle lui écrivait qu’il était venu bien à propos, et comme elle voulait continuer il lui rompt le propos, l’appelle parjure ; lui dit qu’elle jouisse de son Lizimant, si elle peut, et sans la vouloir entendre en ses justifications, répond qu’il sait tout, que [elle] est une ingrate et une artificieuse, et qu’il lui rend en pièces ses traîtresses faveurs, afin de ne rien emporter d’elle où il s’en va, et en rompant ses lettres et ses cheveux la quitte ; Scène 3 Orante étant demeurée un temps sans dire une seule parole appelle Diane pour lui aider à recueillir ses lettres, et lui dit qu’un déplaisir très sensible qu’elle venait de recevoir, l’obligeait de repenser à Lizimant, mais que ce qu’elle lui avait dit de son mariage avec Rosinde l’embarrassait, Diane qui n’en était pas moins en peine, et qui avait longtemps pensé au remède sur cette aventure lui propose une chose qui lui venait de tomber en l’esprit, Elle lui dit qu’elle avait appris en son village prés duquel Rosinde avait une maison, qu’en son jeune âge elle avait été promise à un jeune garçon fils d’une dame portugaise, demeuré unique de ce qu’une seule sœur qu’il avait, était morte en nourrice en ce village même dans la maison de son père, d’elle qui parlait. Que ce garçon nommé Lizandre était parti de France pour aller à Lisbonne voir ses parents avec sa mère, que sa mère était morte là, et qu’on disait qu’il était allé aux Indes, d’où il y avait dix ans qu’on n’avait point de nouvelles. Que si sa maîtresse lui permettait elle se vêtirait en homme, et irait chez Félician lui dire qu’elle était ce Lizandre arrivé fraîchement des Indes et riche à milliers, en volonté d’achever le mariage arrêté entre lui et Rosinde, et qu’ainsi elle en bannirait Lizimant, qu’on trouverait après, moyen de regagner. Orante l’adore et lui donne ses bagues pour engager, afin d’avoir des habits d’homme, et passe chez une dame de ses voisines pour se divertir. Scène 4 Cependant Diane demeurée seule dit qu’elle se veut servir elle-même, non pas Orante, qu’elle emploiera bien mieux son habit d’homme à ce dessein, qu’à servir de suivant à Lizimant, comme elle avait premièrement pensé, et qu’elle s’en va trouver Dorothée pour se vêtir promptement avec son aide. Scène 5 Félician sort avec Lizimant et l’assure comme en continuant un discours commencé, que dès à présent il doit tenir la chose pour faite, mais que par Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 155 honneur il faut qu’il en aille communiquer à une sienne sœur dont sa fille doit hériter. Félician va chez sa sœur, et Lizimant chez lui, Scène 6 Mais Philémon voyant son affaire faillie avec Lizimant pense en même temps à Ariste, croyant faire plaisir à Orante, et ne la trouvant pas chez lui pour en parler, sort pour aller vers un sien ami pour le faire agir là-dedans selon son intention, et s’explique de tout cela en marchant. Scène 7 Diane vêtue en homme va chez Félician, parle de la fourbe qu’elle prépare, et frappe. Scène 8 Félician, qui revenait de chez sa sœur, lui demande qui il est, Diane feint avec grand artifice d’être Lizandre, lui dit qu’au sortir du vaisseau il avait pris la poste d’impatience de voir sa maîtresse, que son bagage était derrière avec tout plein de richesses, Félician le caresse et montre de le reconnaître, lui promet sa fille, et lui dit qu’il l’allait marier ce jour-là même s’il ne fût heureusement venu, qu’on l’avait cru mort, Ils entrent pour voir Rosinde, Acte 4, Scène 1 Philémon revient chez lui et dit la peine et qu’il a eue à trouver son ami, qu’enfin il a chargé de l’affaire : Scène 2 Orante sort de chez sa voisine, ils se rencontrent, Orante apprend de son père ce qu’il vient de faire, dont elle se montre mal contente, et le suit dans le logis en murmurant. Scène 3 Lizimant revient chez Félician pour achever l’affaire, Félician sortait en même temps afin de lui aller redemander sa parole. Ils se trouvent de front, Félician s’excuse et le paie de raison, le veut mener voir son hôte, mais trouve qu’il est sorti par derrière pour aller rendre un paquet d’importance. Scène 4 Lizimant s’en retourne confus, se plaint de son malheur, et dit qu’il est le jouet de la fortune, et que s’il est sage, il ne pensera plus aux femmes. Scène 5 Diane revient vêtue en femme, dit qu’elle s’est échappée par derrière de chez Félician, sous couleur de rendre des lettres pressées, et qu’après avoir rompu coup à Rosinde, elle revenait vers Orante pour empêcher que Lizimant ne la rapprochât. Scène 6 Orante sort là-dessus, et la rencontrant, lui dit ce que Philémon venait de faire pour Ariste, dont elle se désespère, dit qu’elle veut Lizimant, et que dans l’espérance qu’il aurait été banni de chez Félician, elle venait de dire à un de ses laquais qu’elle avait vu dans son jardin par ses fenêtres hautes qui regardent dedans, qu’il fît venir son maître, lui parler chez la dame leur voisine, pour ce qu’elle ne l’osait voir chez elle. Diane avec grande dissimulation, montre d’approuver ce qu’elle a fait, lui rend compte de son entreprise chez Rosinde, et lui conseille d’aller chez cette dame promptement, afin d’y être quand Lizimant viendra. Elle y entre, Scène 7 Diane demeure seule, et comme elle s’excusait en elle-même sur son amour, de l’infidélité qu’elle prétendait faire à Orante, Lizimant sort de chez lui, François Lasserre 156 disant qu’il ne sait que lui peut vouloir Orante, et qu’il va chez sa voisine pour l’apprendre. Diane qui était vêtue autrement qu’à son village, et qui savait bien que l’affliction l’avait assez changée pour n’être pas reconnue d’abord, va à lui comme de la part d’Orante, et lui dit qu’elle n’a pu sortir à cause de son père qui lui parlait de lui donner Ariste, mais qu’elle l’avait envoyée pour l’assurer de son affection pourvu qu’il lui apportât le cœur de cette paysanne, qu’il aimait, et qu’il n’y avait que ce moyen de lui ôter sa jalousie. A cette proposition Lizimant se montra offensé, et dit qu’il avait trop d’obligation à la fille, pour consentir à une si malheureuse action, quand de lui-même il serait capable d’y penser, et qu’il voulait bien qu’on sût que sans qu’il avait à satisfaire ses parents pour son mariage, qui voulaient qu’il épousât du bien, il avait tant reconnu de vertu en elle, qu’il l’aurait prise pour sa femme assurément. Diane qui n’avait pensé d’abord qu’à lui donner horreur de sa maîtresse, le voyant en cette disposition, prend son temps, et par une invention subtile, lui dit qu’elle connaissait cette fille, et qu’elle savait combien il en avait été aimé ; mais qu’elle doutait fort que sa passion continuât à présent, qu’elle était devenue riche, et qu’un parent de Félician lui avait apporté assurance d’un très grand bien, hérité de certains marchands morts aux Indes d’où il venait. Comme elle vit que ce discours l’avait ébranlé, et qu’il disait que s’il n’avait passé outre jusque là, c’était pour ne se pas mettre ses parents sur les bras, qui voulaient absolument du bien, et que du reste elle avait son inclination toute entière, tout d’un coup haussant la voix, qu’elle avait jusque-là tenue basse, à dessein, pour n’être pas encore reconnue par là, mais sous couleur de lui parler d’une chose qu’elle ne voulait pas qu’on entendît, elle lui demanda de quelle qualité était son amour, pour Diane de mettre la condition du bien en balance contre celle de son mérite, elle qui pour la [sic] suivre avait abandonné son père, laissé son pays, et mis son honneur dans le doute. Lui dit qu’elle ne pouvait croire qu’un homme qui l’eût aimée médiocrement eût pu si longtemps parler à elle sans la reconnaître, qu’aussi elle le voulait traiter comme un homme qui ne l’avait pas véritablement aimée, Qu’il la regardât bien, qu’elle était cette Diane même, mais qu’il la regardât pour la dernière fois, pour ce qu’elle était en état de choisir un mari plus généreux, et moins intéressé que lui. Et suivant à lui reprocher la peine qu’il lui avait causée, et la résolution qu’il lui avait fait prendre, pour essayer de le ramener à son devoir, l’attendrit de telle sorte, qu’enfin il lui demanda pardon du passé, et lui promit de n’en aimer jamais d’autre, et de l’épouser, pourvu qu’elle fît voir à ses proches la moitié du bien qu’elle disait avoir ; Elle offre de lui faire voir à lui-même, et le mène de ce pas chez Félician, où ils demandent Lizandre, on répond qu’il était allé rendre des lettres à la ville, Lizimant dit qu’il s’en va chez lui écrira à Orante, qu’il a été trop maltraité d’elle pour lui pouvoir vouloir du bien, et qu’il s’en va épouser la paysanne sa servante, laquelle il ne peut manquer de lui préférer, tant s’en faut qu’il pensât à acheter ses Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 157 bonnes grâces par la mort d’une fille à qui il avait tant d’obligation, et part làdessus. Scène 8 Diane en s’en allant de son côté comme pour chercher Lizandre, et le lui amener, dit qu’elle s’en va trouver Dorothée, et reprendre en diligence son habit d’homme, afin de retourner chez Félician a[chever] son entreprise. Acte 5, Scène 1 Marin sort de chez Lizimant, pour trouver Orante en son logis, elle sortait de celui de sa voisine, impatiente du long retard de Lizimant, ils s’abordent Marin lui présente la lettre, elle la prend avec plaisir, l’ouvre et l’ayant lue, demeure froide, et ne peut répondre autre chose, sinon qu’il dît à son maître qu’il est un lâche, et un insolent, et déchire sa lettre. Scène 2 Ariste vient, comme Marin partait, qui dit qu’il a appris que Lizimant épousait Rosinde, ce qui lui avait ôté l’envie de se battre avec lui, et que depuis l’ami de Philémon lui ayant parlé, il venait voir en quelle disposition étaient les choses ; puis en avançant vers le logis de Philémon il voit Orante arrêtée en une place, comme immobile, outrée de douleur de ce que Lizimant lui venait de mander ; il l’aborde et en lui parlant, semble la réveiller. L’inclination d’Orante pour lui, reprend sa force, il lui demande pardon de son transport, et le lui fait valoir comme un effet de son extrême amour, elle montre de se fléchir, et lui promet de suivre ce que son père ordonnerait d’elle, ils entrent en son logis, Scène 3 Dorothée vient de la part de Diane vers Lizimant pour le mener voir Lizandre, dit qu’elle le vient de mettre chez Félician par la porte de derrière, ou Rosinde l’avait reçu avec une extrême joie, et lui avait mis au col par faveur un chapelet de diamants, et que la dernière pièce était en état d’être jouée. Scène 4 Elle frappe chez Lizimant, Marin ouvre, et appelle son maître, lui disant qu’une villageoise le demandait. Scène 5 Il sort, lui parle et va avec elle comme par force chez Lizandre. Marin le suit. Diane qui l’attendait, sort au-devant de lui, et à la faveur de la nuit qui approchait, et de son nouvel habit qui la déguisait, aidant, outre cela, un peu d’un accent extraordinaire qu’elle avait affecté dès la première fois qu’elle vit Félician, afin de paraître venue d’étrange pays, lui fait excuses de ce qu’il prend la peine de venir la [sic] chercher pour la seconde fois, mais plus de ce qu’il lui a enlevé sa maîtresse, lui promet de faire ses efforts pour lui en donner un[e] autre qui lui donnerait plus de contentement ; Lizimant répond civilement, Dorothée de concert lui demande s’il était vrai qu’il eût apporté tant de bien à Diane sa compagne ; il répond qu’il lui a apporté des lettres de change pour un grand argent et qu’elles viendront dans deux jours avec ses malles. Scène 6 Sur ce propos arrive le vrai Lizandre avec ses malles, demande Félician qui était sorti avec Diane au devant de Lizimant, et Félician s’étant présenté, lui dit qu’il est Lizandre. Chacun s’étonne et d’abord se moque du dernier ; Diane surprise conteste que c’est elle, mais avec peu d’assurance ; Enfin le vrai Lizandre présente François Lasserre 158 ses lettres et se fait connaître pour ce qu’il est. On saisit Diane et demande-t-on qu’elle soit mise en justice ; Se voyant découverte et au désespoir, elle se secoue de Félician qui la tenait, se jette aux pieds de Lizimant, lui dit qu’elle est Diane, et que l’amour lui avait fait prendre toutes ces formes, pour essayer de le posséder. Il en demeure interdit, et Félician lui voyant le chapelet de diamants au col, et des bagues aux doigts, dit que c’est un voleur qui se veut échapper sous cette couleur. Elle répond que les bagues étaient à Orante, Scène 7 et là-dessus Orante s’entendant nommer, comme elle conduisait Ariste avec son père, avec lequel il venait de conclure leur mariage, elle s’avance, et avec elle Ariste et Philémon. Ils voient Diane vêtue en homme qui continue à parler à Lizimant et à le prier de lui ôter la vie, puisqu’elle l’avait offensé par ses artifices, et qu’elle ne le pouvait avoir pour son mari. Orante la maltraite de paroles, Félician et Lizandre la persécutent, le seul Lizimant ne disait mot, de honte, et de confusion. Marin et Dorothée pleurent. Dans ce désordre, comme on demandait la justice pour la mener en prison, Damon entre avec un exempt et des archers du guet, s’approche du tumulte, et voit sa fille déguisée en garçon aux pieds de ce Lizimant qui l’avait muguettée au village. Il la reconnut principalement à sa voix puis à son visage, à l’aide des flambeaux qu’on y apportait de tous côtés. Il fend la presse, et d’abord la gourmande l’appelant sa mauvaise fille, Félician prend la parole, lui conte ses ruses, et ce qu’elle avait presque fait faire à Lizimant ; puis s’adresse à l’exempt et lui dit qu’il s’en saisisse, qu’aussi bien était-elle surprise en vol manifeste des bagues d’Orante, et du chapelet de Rosinde. Diane répond qu’elle n’a rien volé, et qu’on lui a tout donné, que néanmoins elle est prête de tout rendre. Damon voyant son péril, s’oppose et dit qu’il veut prouver que Lizimant lui a enlevé sa fille, à l’aide de Marin, là présent, que c’est lui qui a amené la justice en ce lieu avec beaucoup de peine pour en avoir la raison, et la lui faire épouser, Qu’au reste il ne se fera point de tort, et qu’elle était d’aussi bonne maison que lui, encore qu’elle fût plus pauvre. Et là-dessus conte qu’une dame de pays étrange, qu’on appelait portugaise 11 , l’avait mise au monde avec un fils, mais qu’ayant dessein de marier son fils à Rosinde fille unique de Félician, elle avait voulu que Félician le crût aussi unique afin que Rosinde ne lui échappât pas. Qu’à ce dessein ayant fait porter sa fille pour nourrir en son village, elle avait voulu que son père nourricier feignît qu’elle fût morte, et tant qu’elle avait été en France que rien ne lui avait manqué. Mais que depuis 10 ou 12 ans, lui qui était ce nourricier n’en avait eu aucune nouvelle. Félician l’interrompt et dit qu’il a forgé cette fable, ne voulant point que Lizandre eût de sœur qui lui vînt partager son bien. Mais Lizandre l’arrêtant, lui dit qu’il est vrai que sa mère lui avait enchargé en mourant de reconnaître sa sœur, et d’en avoir soin quand il serait marié, que toutes les 11 Une sorte de majuscule ou de signe de distinction (à moins qu’il ne s’agisse d’une graphie très emphatique pour le « P »), occupe le début de ce mot de portugaise. Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 159 circonstances et marques qu’elle lui avait données pour cela se rencontraient dans le récit de Damon, et que si cette fille avait un sein au poignet gauche, c’était elle assurément, on le cherche et le trouve. Outre cela la ressemblance approchante de leurs visages, le convainc, Damon se réjouit, et rend grâces à Lizandre, Diane lui embrasse les genoux, Lizimant lui va dire qu’il est son beau-frère, le seul Félician demeure triste, Lizandre débarrassé de ces compliments, se tourne à lui, et lui dit que son bien est suffisant pour le rendre très riche, même après avoir partagé avec sa sœur, qu’il le prie de continuer à le vouloir pour son gendre, et qu’il le recevra à grâce, pourvu qu’il ne veuille pas qu’il soit dénaturé, Philémon, Ariste, Orante, changés par ce changement prient Félician de s’y accorder, enfin il y consent. On renvoie l’exempt, Lizimant relève Diane et l’embrasse, et tous les mariages étant arrêtés, Diane prie Lizimant de marier Marin avec Dorothée et de les garder en sa maison, ce qu’il lui accorde et chacun se retire avec contentement. Remarques générales — Le choix du sujet Ce texte n’est pas signé. Qu’on me permette toutefois d’être affirmatif : il me paraît certain, sauf machination diabolique, que nous avons ici, pieusement recueillie par l’ami Conrart, une copie du plan dont parle Chapelain dans ses lettres citées au début de cet article. Déjà, nous présumions que la pièce due à la collaboration du critique était la Diane. Nous nous trouvons, par conséquent, devant le comblement d’une lacune bien circonscrite. Indice supplémentaire, la minutie du texte est parfaitement compatible avec l’extrême sérieux de Chapelain. Quant au fait que cela n’ait pas été remarqué plus tôt, je l’attribuerai plutôt à la malchance de mes prédécesseurs 12 , qu’à un hasard qui m’aurait été maintenant favorable, car les Recueils Conrart sont un terrain d’investigation qui semble avoir été déjà fouillé en tous sens. Ne boudons pas notre plaisir. Dans mon introduction aux pièces des Cinq auteurs, je déplorais que nous n’ayons, comme trace des travaux dramatiques de Chapelain, que quelques indications indirectes dans sa correspondance. Voici que le corpus desdits travaux, sans devenir encore très considérable, émerge à l’existence. L’incipit comportant le mot de « villageoise » permet sans doute d’identifier ce plan de comédie avec celui qu’un catalogue de la bibliothèque de Chapelain mentionnait, assorti de la mention marginale « perdue », sous le titre : « la Villageoise, comédie » (G. Collas, Jean Chapelain, p. 499). Ce canevas, on vient de le voir, est extrêmement détaillé. Rotrou l’a suivi ponctuellement, et les nuances par lesquelles il s’en écarterait, ne 12 … et de moi-même, dans mon article « Inspirations de Rotrou et conversion de St Genest », Collectif Méthode ! , agrégation 2008, p. 145. François Lasserre 160 peuvent être perçues sans une grande attention. Il nous reste à exploiter la découverte. Lorsqu’on parle des qualités d’invention et de disposition de la Diane, il ne faut plus les attribuer à Rotrou, mais à Chapelain. Mais cette remise en cause ne suffit pas. Car ces qualités peuvent prendre, selon leur auteur, une coloration, une valeur, des intentions dramatiques différentes. J’avoue d’ailleurs que je n’imaginais pas que Chapelain eût un sens aussi minutieux de l’exécution scénique. Par ailleurs, ne minimisons pas l’habileté de l’élocution : du côté de Rotrou, c’est la souplesse de ses dons d’expression qui se trouvera illustrée, je dirais presque magnifiée, par cette expérience. On sait que Rotrou, auteur sans ressources dans ses débuts, produisait avec une rapide fécondité. Son approvisionnement en inventions était vraisemblablement hâtif. On sait par ailleurs que Chapelain le prit sous sa protection. Non sans toutefois quelque désir de lui apporter un « enseignement », qui serait profitable à l’essor du théâtre. Chapelain en effet, bien qu’il lui arrive de déclarer, dans ses lettres, qu’il ne revendique aucune autorité, se montre néanmoins ingénuement persuadé d’être seul à connaître les solutions esthétiques correctes, parce qu’il les a étudiées dans les modèles anciens et italiens. Mais il eut toujours conscience (il s’en explique souvent auprès de Balzac) de sa maladresse à versifier. Mettre en forme, pour son protégé, un sujet soigneusement préparé, c’était lui rendre un signalé service, en se procurant à soi-même la satisfaction de réaliser pleinement la part dans laquelle il avait plaisir à prendre une responsabilité majeure. Peut-on décider si le choix de transposer la pièce de Lope de Vega, La Villana de Getafe revient à Rotrou ou à Chapelain ? La conjecture que l’on peut risquer sur ce point ne repose que sur des indices propres à la personnalité des deux coopérants : les préférences de Chapelain l’auraient porté à proposer l’Italie plutôt que l’Espagne. 13 Du côté de Rotrou, à part La Bague de l’oubli (1629), nous n’avons pas de preuve qu’il se soit jusque là beaucoup inspiré de l’Espagne. 14 Mais il reste qu’il s’en inspirera assez largement par la suite. Qu’en avait-il été pour la bonne vingtaine de ses pièces de jeunesse qui sont perdues pour nous, parce qu’elles ne furent jamais publiées ? Nous pouvons supposer qu’après La Bague de l’oubli, il avait continué de puiser dans Lope de Vega. Bien qu’aléatoire, ce raisonnement nous conduirait à penser que ce serait lui qui aurait découvert le sujet de La Villana, auquel Chapelain apporta son industrieux concours. 13 Il est vrai qu’il avait traduit Guzman d’Alfarache, mais c’était, semble-t-il, à son corps défendant. 14 On pourrait citer Les Occasions perdues, mais sont-elles antérieures à la Diane ? Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 161 Nous nous appuierons sur deux études récentes, d’une part, la présentation de Mme Picciola dans l’édition du Théâtre complet de Rotrou (Tome 6, STFM, 2003), et d’autre part, l’article de Christophe Couderc dans PFSCL n° 66 (2007), « Entre traduction et transfert culturel : de La Villana de Getafe de Lope de Vega à la Diane de Jean de Rotrou ». La Villana de Getafe ne fait malheureusement pas partie de la grande vingtaine de pièces de Lope de Vega (sur un total de 440) qui sont traduites en notre langue. Les pages 232 à 251 de L. Picciola, qui présentent une lecture comparative détaillée de La Villana et de Diane, sont donc très nécessaires. Le résumé de la pièce de Lope donné par C. Couderc apporte quelques précisions éclairantes (par exemple, le fait qu’Inés fut poursuivie à Madrid par Felix jusque dans l’ombre d’un passage, où il la serra de fort près). Je marquerai aussi deux détails absents du tableau comparatif : dès la première scène on voit qu’Ana est très éprise de Felix, et bientôt, qu’elle a de l’aversion pour son autre prétendant, Pedro. La « chute » de cheval supposée de Felix (tableau, p. 236), mensonge de Lope pour excuser qu’il soit encore si près de Madrid, amusera beaucoup le maître et le valet, lorsqu’Ana enverra ses consolations. Une remarque aussi, sur la présentation par C. Couderc des préparatifs du dénouement. Lorsqu’Ana vient « révéler » qu’Inés est sa servante Gila, on ne peut dire qu’elle « prévient à l’avance D. Elena de ce à quoi elle assistera ». Ana (bien qu’elle le sache) ne dit pas alors que D. Juan est Inés travestie, et, par ailleurs, elle ignore encore que c’est pour une dot illusoire que Felix l’a quittée. Sa médisance ne révèle donc rien, c’est simplement un trait de vengeance par dépit. Avouons que ces détails sont peu de chose, et que seule la minutie des travaux de nos deux prédécesseurs (dont le nôtre suppose la lecture) était comme une invitation à nuancer encore ceux-ci. Notre examen de l’adaptation française ne considèrera guère la richesse du fond historique de La Villana, que C. Couderc a utilement exploré. Pour nous, sensibles à l’effet immédiat, la pièce aura été essentiellement, comme le dit L. Picciola, une leçon moralisante : « D. Felix se trouve contraint d’épouser Inés. Son mariage avec une paysanne pauvre constitue en quelque sorte pour lui la punition de son avidité, de sa légèreté, de sa perfidie, de sa dureté ». Il se console, il est vrai, avec les qualités morales de la jeune fille, mais il ne fait en cela rien de plus que perdre la partie de bonne grâce. Cette leçon, (et ce sera l’innovation majeure), est supprimée dans la Diane. Cependant, l’intérêt théâtral du sujet demeure, car il repose sur les déguisements parallèles (Diane et Sylvian), puis le travestissement cumulé avec le déguisement (Diane devenant simultanément Célirée et Lysandre), et sur l’activité d’équilibriste que requièrent ces haletantes entreprises de la paysanne. Rotrou fournit aux acteurs un jeu de « saltimbanques » (pour évo- François Lasserre 162 quer une formule prêtée à Corneille, parlant de son ami). Chapelain approuve chaleureusement cette inspiration, puisqu’ainsi que nous allons le voir, il en aiguise encore les traits. Les vingt-quatre heures Pour enfermer l’action en 24 heures, Chapelain la situe en totalité dans la capitale (où il fait venir Dorothée, confidente de Diane), remplace par un monologue (I, 1) et un entretien de Diane et Dorothée (I, 2) toutes les actions d’exposition, ne commence même qu’après que Diane soit entrée auprès d’Orante, et Sylvian auprès de Lysimant (tandis que les deux scènes de leur admission comme domestiques étaient assez étendues dans Lope), éliminant ainsi une large moitié de l’action espagnole. 15 Paradoxalement, ce sont les termes du Discours à Cliton 16 , qui rendent le mieux justice à cet épurement, dans le cas de la Diane : [les] auteurs transalpins qui… confinent leur théâtre dans une journée… ont raison d’en user ainsi : car ils ne font guère que des comédies dont les sujets risibles ne contiennent que des actions qui passent du soir au matin ou du matin au soir, un plus long temps ôterait beaucoup de la naïveté de leurs facéties, leurs fourbes et leurs intrigues se doivent exécuter entre deux soleils… (éd. 1637, p. 33) L’auteur du Discours, bien que généralement très hostile à la régularité, approuve les 24 heures, pour les comédies de type italien. Sa remarque attire notre attention sur le fait que Chapelain, lorsqu’il s’affranchit de la trame espagnole, s’inspire de sa familiarité avec les modèles italiens. Ajoutons, par ailleurs, qu’il s’attarde à certaines minuties de vraisemblance matérielle, dont aucun spectateur raisonnable ne songerait à remarquer l’absence dans la pièce espagnole : l’habit masculin de Diane aura été préparé dès les vers 85-88 (sous un prétexte d’ailleurs très artificiel), pour 15 On ne peut manquer de relever que Corneille conduira dans des conditions tout à fait analogues l’adaptation de El Honrado Hermano dans Horace. Notons par ailleurs (avec L. Picciola, p. 253) dans la partie de l’action qui est reprise pour la Diane, que la pièce espagnole laissait à Felix entre les deuxième et troisième actes, le temps nécessaire pour faire authentifier son état-civil, ce qui n’a plus lieu d’être dans la française. 16 Nous utilisons la justification proposée par le Discours à Cliton, mais on se souviendra que l’intention de ce texte paru seulement en 1637, est « capellanophage ». Il reprend essentiellement le Traité de la disposition du poème dramatique de 1631 (demeuré manuscrit jusqu’en 1637), réplique à la préface de la Silvanire, rédigée par Mairet, en étroite dépendance de la doctrine de Chapelain. Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 163 qu’elle puisse l’avoir sous la main sans aucun délai, lorsqu’elle revêtira le rôle de Lysandre. L’invention La transformation d’une pièce satirique, en une pièce dont l’action et le dénouement sont purement ludiques, et l’entreprise de concentration et d’enrichissement psychologique, prennent, venant de Chapelain, une signification spéciale. La psychologie sentimentale est considérablement développée. Seule Inés-Diane reste ce qu’elle était chez Lope : amoureuse, « touchée du mérite de Lysimant, et chatouillée de l’avantage que lui apporterait un mariage de cette qualité ». Mais Felix, chez Lope de Vega, n’était qu’un coureur de dot, balançant entre deux filles riches, cependant qu’il réservait l’indépendante Inés pour ses discrets délassements. Le Lysimant français, en revanche, insiste sur le fait qu’il est obligé de contracter un riche mariage pour complaire à son père (v. 349-50, 440-4), supporte mal cette contrainte, songe à y renoncer (v. 902-7), aime profondément Diane, et la regrette (v. 359, 1042-7, 1107-8). Il est habile à se justifier sentimentalement auprès d’Orante (v. 389-92). Bien qu’il reste un lâche, son caractère a de la profondeur. Personnage également intéressant, Ariste, substitué au pâle don Pedro, est un grand amoureux, qu’Orante chérit, cependant qu’elle n’aime pas Lysimant. Chez Lope, beaucoup plus sommairement, Ana était éprise de son promis Felix, et ignorait presque Pedro. Le trio français Lysimant-Orante-Ariste nourrit donc, en face de Diane, de riches conflits d’intérêts amoureux. On doit souligner la maturité de cette réalisation, modèle déjà accompli de nos pièces classiques. 17 La première feinte de Diane germe sur ce terreau de sentiments : au lieu de lancer une accusation calomnieuse d’impureté raciale, elle fait passer à Orante les lettres d’amour qu’elle reçut naguère de Lysimant. La rupture qui s’ensuit est la même, mais le procédé, au lieu d’une feinte perfide et gratuite, est une légitime revendication, qui met en route le bouillonnement passionnel, et répond à un impérieux souci de concentration de l’action. Chapelain évite toute préoccupation satirique. L’action se plaît aveuglément dans son propre jeu. Corrélativement, elle réclame un dénouement qui satisfasse tout le monde. Sylvian, sans doute, sera déçu, mais, contrairement à ce qui se passait dans La Villana, son mariage avec Dorothée comblera du 17 Le pittoresque d’action est fortement réduit. Pour ne prendre qu’un exemple, dans Lope de Vega, la rivalité Felix-Pedro s’exacerbe jusqu’au duel. Dans notre canevas, Ariste aura perdu, à l’acte V, toute « envie de se battre ». François Lasserre 164 moins les vœux de celle-ci. Le personnage de Damon, père de Diane, est ajouté, de manière à dramatiser les péripéties finales par l’intervention de la police, et à cautionner hautement la réhabilitation de l’héroïne. L’aspect purement ludique, le goût du prototype inaltérable de comédie, trouve son apothéose dans le changement opéré par Chapelain au dénouement. Dans La Villana, Inés demeurait ce qu’elle était. Felix se trouvant réduit à aimer en elle la vertu toute nue, revenait à la sagesse. La Diane de Chapelain et Rotrou, au contraire, sera reconnue pour la sœur cachée du riche Lysandre. L. Picciola appelle cela (ironiquement, n’en doutons pas) « une comédie fort morale ». C’est la promotion d’un art dramatique abstrait, préoccupé de grandeur culturelle, plutôt que de spontanéité sociale, dont devront bientôt s’accommoder nos auteurs classiques, et Rotrou, ici, en premier lieu. 18 Les rapprochements partiels que l’on a proposés entre la Diane et Les Bergeries de Racan ne sont pas très convaincants. Bien que je ne traite pas ce point, je me tournerais plus volontiers du côté de la commedia erudita et des plus célèbres pastorales italiennes, dont les titres émaillent la correspondance de Chapelain. Notons spécialement, au titre de l’invention, un passage de la scène 9 de l’acte IV qui est brièvement signalé par L. Picciola (pp. 211 et 224). Diane exprime à Lysimant l’« exigence monstrueuse et digne des contes les plus cruels [d’]apporter comme gage de sacrifice à sa riche maîtresse le cœur de la… bergère ». La comparaison d’Inés se découvrant à Felix dans la pièce de Lope, avec Diane se découvrant à Lysimant chez Rotrou, nous conduira à estimer que la scène dans son ensemble est la plus belle sans doute que Chapelain ait conçue en matière dramatique. Dans La Villana, en effet, Inés se désole de n’avoir réussi, par son travestissement, qu’à ramener Felix vers Ana, et Felix tente de se servir d’elle pour se réconcilier avec celle-ci. Il a à peine prononcé 9 petits vers, que, le traitant de « chien », elle se nomme : « Perro… que Inés soy ». Confus, il lui propose de la marier au cocher. « - Un cocher, moi ? » Et brusquement, dans sa colère, elle invente la dot de 40.000 ducats, qui va le décider à l’épouser. La scène est violente et brève. Celle de la Diane est, au contraire, la plus étendue et la plus sinueuse de toute l’action. Diane (qui, l’espace de 107 vers, n’apparaît encore que sous le nom de Célirée) se donne beaucoup de mal pour convaincre Lysimant 18 C. Couderc estime (sans toutefois étudier le détail) que « la totalité de l’action » est empreinte d’une « ironie amusée », qui distance « l’illusion théâtrale elle-même ». Cette remarque permet de mieux comprendre sur quelle ambiguïté acceptée de part et d’autre repose la coopération d’un expérimentateur comme Rotrou, avec un doctrinaire comme Chapelain. Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 165 qu’Orante est en réalité amoureuse de lui, si bien qu’après 58 vers, il promet mollement de venir la voir le lendemain. À ce moment elle lui déclare en termes anodins qu’Orante exige le cœur de Diane. Sans mettre en doute cette horrible requête, il s’indigne, s’enflamme, et s’écrie « que Diane [lui] est chère à l’égal de [sa] vie ». S’écoulent encore ainsi 26 vers. La fausse servante « prend son temps » (nous dit le canevas, c’est-à-dire, saisit l’occasion de le sonder plus profondément), lui disant qu’elle connaît la villageoise, que celle-ci est devenue riche, et ne doit plus guère l’aimer. Il décide aussitôt de partir la voir (23 vers). C’est seulement alors qu’a lieu l’éclatante révélation : « Traître, qu’espères-tu… », suivie de la réconciliation et des mutuelles promesses (54 vers). 19 Qu’il s’agisse d’une cruauté de conte populaire, ou d’une réminiscence pastorale, la proposition sanglante transporte brusquement le spectateur en pleine fiction abstraite. On s’inquiètera de comprendre comment Chapelain, épris de « vraisemblance » (en un sens fort conventionnel) a pu inventer ce trait. 20 Or il faut observer que ce n’est sans doute pas une maladresse involontaire. Le dialogue, en effet, très artificieux et insinuant qui le précède, joint aux multiples dispositions de scène (ton de mystère, dans le canevas, voix basse, par didascalie, suspens dans les répliques, altération des physionomies, jeux d’ombres, etc.) qu’on doit mettre en œuvre pour que Diane reste méconnue, est de nature à absorber l’attention du spectateur, au point de lui faire admettre sans décrochage la circonstance extravagante. Il est indéniable que si l’on y parvient, la scène produira l’émerveillement théâtral, cher à Chapelain 21 , qui suit en cela ses modèles italiens. L’invention, dans la Diane, est donc profondément travaillée, prometteuse des orientations essentielles de notre théâtre classique, surtout en matière de concentration psychologique et d’élévation morale. Elle est en revanche farouchement destructrice de tout engagement sociologique. 19 Il me semble que, par rapport au canevas, Rotrou a étendu le début de la scène, estimant sans cela difficile de convaincre Lysimant de l’amour d’Orante, dont il avait d’excellentes raisons de douter. 20 Trait absent, on l’imagine bien, de la pièce espagnole. Son audace resterait ce qu’elle est, même s’il avait quelque modèle, qui, au demeurant, nous est inconnu. 21 « Du judicieux mélange de la vraisemblance et de la merveille, naît l’excellence des ouvrages de ce genre-là » (Sommaire reproduit par Ch. Arnaud, les Théories dramatiques, p. 349). François Lasserre 166 La disposition La disposition consiste dans le choix de tel moyen plutôt que de tel autre, pour communiquer les intentions de l’évènement raconté. La disposition dramatique, par opposition à la narrative, qui est explicative, suppose la mise en œuvre de divers effets, de sélection, de surprise, de contrepoint entre la vue et l’ouïe. Lope de Vega laissait paraître, aussi souvent qu’il est raisonnable de le faire, la clairvoyance de personnages qui reconnaissent Inés, sous ses divers avatars. Sa précaution pour ne pas rompre l’intrigue consistait, dans chacune de ces circonstances, à prévoir que le découvreur de la feinte eût intérêt à la garder cachée (Hernando, soupirant respectueux d’Inés), ou fût empêché de la révéler (Lope, que Felix traite d’ivrogne). La scène assez longue dans laquelle l’apprentie servante perd contenance et oublie la tâche qu’Ana lui a confiée, cependant que Felix (« Où donc ai-je vu ce visage ? ») s’assure qu’elle est bien autre que la villageoise qu’il connaît, est, à cet égard, significative. On voit la richesse dramatique de ce type de disposition. Non pas qu’elle soit très vraisemblable, mais c’est par le pittoresque expressif des actions que s’expriment alors les personnalités autonomes et leurs divergences. 22 Au lieu de cela, Chapelain reste de marbre, face aux invraisemblances possibles. La sérénité de sa conviction est visible dans les explications naïves qui lui paraissent suffisantes : Diane sera méconnue de Lysimant « en contrefaisant sa voix », ou parce que « vêtue autrement qu’à son village, et qui savait bien que l’affliction l’avait assez changée pour n’être pas reconnue d’abord » ; plus loin, lorsqu’elle s’est travestie en Lysandre, « à la faveur de la nuit qui approchait et de son nouvel habit,… aidant un peu d’un accent extraordinaire… afin de paraître venue d’étrange pays ». L’intention de Chapelain s’éclaire par les idées qu’il exposait dans la lettre à Godeau sur les 24 heures. 23 Selon lui, le simple bon sens n’a pas sa place au théâtre. S’il est persuadé que les interlocuteurs de la villageoise 22 Notons que dans Clitandre (épisode de Dorise travestie tombant sur Pymante), Corneille exploite, comme le faisait Lope de Vega dans La Villana, les soupçons de reconnaissance de la jeune fille, allant ensuite jusqu’à l’identification par son criminel soupirant (v. 729-32, 985-6). Remarquons, par ailleurs, que les diverses manières d’user du déguisement au théâtre, et l’abandon progressif de cet artifice, posent des questions qui déborderaient très largement notre sujet. Nos remarques sur les déguisements ou travestissements n’envisagent que les détails d’application du procédé dans les pièces examinées. 23 Lettre qui se trouve, (avec malheureusement des fautes de transcription), dans plusieurs publications, par ex. Chapelain, Opuscules critiques, Droz. Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 167 n’usent d’aucune réflexion critique, c’est parce qu’il estime, de la même façon, que le spectateur de théâtre est plongé dans une action dont il oublie le caractère fictif. Un jeu d’acteurs, assorti des artifices spectaculaires, produit cette aliénation. 24 On connaît l’étonnante exclusion par laquelle Chapelain a voué aux ténèbres extérieures le spectateur qui irait « à la Comédie avec cette préparation de… n’entendre rien que de faux et de n’être pas véritablement au lieu où le poète veut que l’on soit ». Celui-ci « abuse de l’intention de la poésie » (lettre citée). On comprend donc que la disposition de la Diane soit linéaire et narrative. Disons-le ici sans esprit polémique. Sur un total de 45 scènes (50, si nous ajoutons, pour 5 scènes, leurs moments monologués), la pièce compte 24 monologues, et à 5 reprises, une succession de monologues divergents. 25 Il est vrai que ceux-ci sont souvent brefs, et même très brefs, mais cela n’empêche pas qu’ils fassent un total de 378 vers, soit 24 % du texte total. 26 Mais cette carence technique, qui n’est pas rare à l’époque, ne nuit pas à l’intérêt. La tradition antique recueillie par l’Italie, ainsi que Chapelain, qui suit cette tradition, utilise abondamment certains artifices, incidents pittoresques, épanchements lyriques… qui sont des adjonctions externes à l’intrigue. C’est de manière pittoresquement remuante, que Lysimant est recherché par les deux vieillards Philémon et Damon, à la jonction des actes I et II, Philémon est conduit par Sylvian chez les baigneurs, d’où Lysimant sera parti ; Damon, par colère, se retirera juste au moment où Lysimant va reparaître. Dans des discours lyriques d’étendue et de ton variés, les principaux personnages commentent, sur le champ, leur successives déconvenues. La plus grande partie de l’action exploite le ressort du pathétique. Trois traits, cependant, appartiennent à la disposition proprement dramatique : Lysimant chassé, alors qu’il s’attend à être bien reçu (II, 4), Ariste persistant à insulter Orante, tandis qu’elle rêvait de lui avouer son amour (III, 2), Philémon imposant Ariste à sa fille, qui l’aime, mais qui s’obstine dans un dépit contraire à son propre souhait (IV, 2). Le premier de ces traits 24 Oubli qui peut effectivement se produire, mais seulement dans une comédie à l’intrigue bien ficelée (c’est le cas de la Diane), servie par des acteurs habiles, mais qui ne saurait être proposé en modèle universel. J’ai montré, dans mon édition des Cinq auteurs, que dans L’Illusion comique Corneille a voulu combattre cette conception autoritaire du théâtre. 25 La liaison de scènes est rompue 7 fois : II, 2 à 3, III, 5 à 6, 6 à 7, 7 à 8, IV, 2 à 3, 5 à 6, V, 3 à 4. 26 Je me borne à proposer ces chiffres, comme pierre d’attente pour approfondir la structure linéaire de l’intrigue. Leur étude nécessiterait de nombreuses comparaisons avec d’autres pièces et distinctions de détail, que je ne peux pas exposer ici. François Lasserre 168 est un peu banal. Le deuxième relance bien l’action, mais la violence psychologique dont il est empreint, manque de subtilité. Le troisième, très heureux, inverse plaisamment le traditionnel conflit de générations. 27 Une scène de La Galerie du Palais revêt peut-être une physionomie critique, par comparaison avec un trait de disposition narrative de la Diane. Dans La Villana déjà, le retour de Felix vers Ana était annoncé par Lope, et c’est en l’apprenant qu’Inés se hâtait de faire en sorte qu’Ana et Felix ne puissent pas se rencontrer. Mais dans la Diane, la solitaire meneuse du jeu, agissant avec duplicité, ramène Lysimant vers l’alliance d’Orante, tout en veillant par ailleurs à empêcher que les deux ne se rencontrent (v. 908-13). L’auteur n’a d’autre ressource que de lui faire réciter linéairement ce programme, avant l’action correspondante. Et voici que dans La Galerie du Palais de Corneille, on trouve un programme analogue ; mais à l’instar de ce qui se passait dans le modèle espagnol de la Diane, ce programme (re)devient action et dialogue entre Aronte, qui pressent la difficulté, et Hippolyte, qui s’avise de contribuer elle-même à y porter remède (v. 1083-4). À propos de la disposition, nous concluons que la Diane, certes, est une pièce captivante, mais que ce n’est presque jamais par le moyen d’une disposition spécifiquement dramatique. Les particularités d’invention et de disposition que nous avons relevées seraient très propres à illustrer, si nous avions à en parler, la désapprobation par Corneille de l’autorité reconnue à Chapelain. Rotrou — L’élocution Beauchamps écrit (Recherches sur les théâtres de France, p. 123) que Rotrou bénéficia, comme on l’a vu, de l’aide de Chapelain, et qu’il rédigea la Diane en 18 jours. Les deux faits s’expliqueraient par la hâte à produire. La première information est exacte ; il est probable que la deuxième le soit aussi. Un sympathique admirateur et ami de Rotrou, dans l’élégie qu’il lui donne à imprimer en tête de la Célimène, déclare au poète : « Puisqu’en si peu de temps tu fais tant de beaux vers », et dans un autre passage, qualifie ces vers de « doux ». Rotrou a l’art de couler en peu de discours toutes sortes de métamorphoses de la pensée, et c’est, semble-t-il, au titre de cette aisance poétique, que Chapelain l’appelle « un garçon d’un si beau naturel » (lettre à Godeau déjà citée). 27 À une date à peine postérieure à celle de la Diane, dans La Galerie du Palais, Corneille reprend ce trait (IV, 8). Un peu plus tard, la scène IV, 2 de La Suivante s’en inspirera encore, mais ce sera alors sur la base d’un quiproquo. Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 169 Il n’a pas apporté de changements dans le canevas de Chapelain, mais il y a mis des nuances qui atténuent la rigidité des sentiments. Dans la scène IV, 9, que nous avons déjà évoquée (pour dire qu’il en a étendu la première partie), on peut voir qu’il glisse très souplement sur le passage où Chapelain faisait proposer par Diane « qu’il [Lysimant] la regardât pour la dernière fois, pour ce qu’elle était en état de choisir un mari plus généreux et moins intéressé que lui ». Les vers se garderont de brandir la menace de rupture ; ils diront seulement qu’il a « une âme inaccessible aux belles passions », et « J’ai de quoi t’acquérir et de quoi m’en défendre ». Ailleurs, les conclusions misanthropiques que le canevas prête à Lysimant, vont, moins amèrement, se teinter d’élégiaque mélancolie (IV, 5). Au début du II ème acte, une menace de tempête jugée sans doute trop lourde en cette place (« Damon presse [Marin-Sylvian] avec transport »), se réduit à quatre vers. Nous ne citons que ces quelques exemples ; il en existe nombre d’autres. Comme on sait, Chapelain aussi faisait des vers, et ils étaient « durs ». En comparant les deux styles, on se ferait une idée plus fine de tout ce qu’ici nous devons à Rotrou. Malgré la rapidité de son travail, nous lui devons aussi la souplesse des interlocutions, technique dans laquelle (comme je l’avais montré à l’occasion du II ème acte de la Comédie des Tuileries), Rotrou atteint naturellement à la grande virtuosité. Quelques négligences dues à la vitesse, certes : l’exclamation « Dieux ! » revient plus de vingt fois en tête d’une réplique. Mais aussi, une impressionnante incivilité (v. 219, 220, 365 …), la suggestion d’un geste (585, …), la plus intelligente prémonition (615, …), etc. L’art des propositions suggérant le jeu des acteurs était rare dans le canevas. Il provient tout entier de l’éblouissant professionnalisme de Rotrou. Mais notons aussi un habile changement, qui concerne, non sans finesse, la partie invention. L. Picciola souligne (p. 216) que la comedia de Lope montre, dans les personnages rustiques, des laboureurs espagnols de son temps, férus de hidalguía. Chapelain se borne à conserver le milieu agraire, mais perd la profondeur de l’opposition citadins/ villageois, car la dignité paysanne n’est rien du tout, à cette époque, dans la société française. C’est Rotrou qui restaure la richesse de cette opposition, en transformant résolument les campagnards en bergers (Sc. I, 2 ; v. 267-84 ; Diane appelée « bergère », passim ; Sc. V, 1). La culture pastorale encore en vogue nourrit des envolées poétiques et des raisonnements pseudo-philosophiques. Chapelain appelait le soupirant de Diane Marin. Rotrou change son nom en Sylvian, et même deux vers de celui-ci (v. 1287-8) font penser à un personnage majeur de L’Astrée, Silvandre : J’enseignais autrefois ce discours amoureux Nos bergers m’adoraient, je travaillais pour eux. François Lasserre 170 Le poète a donc perçu, et rétabli, cet aspect de la pièce-source, qui avait été omis ou insuffisammment retenu par Chapelain. Ceci nous fournit l’occasion de remarquer qu’il n’a pas seulement travaillé selon le canevas, mais s’est souvenu aussi, directement, de Lope de Vega. On en trouverait d’autres marques. Tout ce qui est de Rotrou touche à des détails, mais ces détails font le charme de la pièce. Le canevas a permis au poète de travailler très vite, mais c’est lui seul qui a su restituer, avec l’extraordinaire spontanéité qu’on lui connaît, le rythme du modèle. Pour conclure, j’avoue que l’attribution du canevas à Chapelain me semble sûre. Sous réserve, donc, qu’elle ne soulève pas d’objections bien étayées, le fait de posséder un canevas dramatique établi par lui permet d’espérer, pour l’avenir, une compréhension approfondie de ses conceptions théâtrales. Nous n’avons fait qu’amorcer certains aspects de l’étude. Appendice Un autre document ignoré, de la production de Rotrou, se trouve dans un autre tome de la collection Conrart (manuscrit n° 4124), à la page 367. Il s’agit d’une poésie de circonstance. On lisait dans une lettre de Chapelain à Montauzier, en date du 20 nov. 1639 (T. 1, p. 531), le bizarre passage que voici : « Si Mr de Chavaroche fait bien, il vous envoyera la lettre en rime que Ration écrivit, au nom de M r de Meziere, à M elle de R[ambouillet]. Elle est jolie. Le Docteur, de poète comique se fait lieutenant au baillage de Dreux ». En bas de page, le savant Tamizey de Larroque a mis deux notes. La première, sur « Ration » ; il indique : « je ne connais ni cette lettre, ni son auteur » ; la deuxième sur « Dreux » : « Jean Rotrou, qui venait d’acheter la charge de lieutenant particulier civil, assesseur criminel et commissaire examinateur au comté et baillage de Dreux ». Ces explications sont décevantes (quel docteur Rotrou ? ), mais elles datent du temps où Tamizey, persuadé que le manuscrit des Lettres était de la main même de Chapelain, s’interdisait de pratiquer des corrections. Il changea d’opinion plus tard. Je confirme qu’on lit, de la manière la plus claire : « Ration », « M r », et « le Docteur ». En réalité, il ne fait guère de doute que le copiste avait des lacunes d’information, propres à faciliter la corruption du texte, et qu’on doive comprendre : … la lettre en rime que Rotrou écrivit au nom de M elle de Mézières… et Le canevas de la Diane de Rotrou, retrouvé 171 ensuite : l’Auteur, de poète comique… 28 . Mademoiselle de Mézières était l’une des deux filles de Madame de Clermont, qui appartenaient au noyau du groupe gravitant autour de Julie. On va voir, d’après la lettre en rime que nous retrouvons, qu’il pouvait lui être reproché une trop grande discrétion. Notre proposition est confirmée par la désignation que le catalogue des manuscrits de l’Arsenal donne à une petite poésie de 54 vers, que nous reproduisons : « Vers de Rotrou sous le nom de M elle de Mézières à M elle de Rambouillet ». Je connais, écrirait aujourd’hui Tamizey, et la lettre (qui pourra être ajoutée aux œuvres poétiques diverses du dramaturge), et son auteur : Julie admirez un pouvoir Que vous ne croyez pas avoir En un miracle que vous faites De faire parler les muettes J’achetai bien cher, toutefois Ce bénéfice de la voix Vos offenses sont bien cruelles Puisque vos amitiés sont telles Et qu’une de vos charités Est si pleine de cruautés. Ce n’est pas qu’en effet j’ignore Combien cette faveur m’honore Elle est sans mesure et sans prix Et m’en plaignant je la chéris. Mais plût à Dieu m’eussiez-vous vue En l’état où je l’ai reçue Vous eussiez vu combien fut prompt Mon sang à me monter au front On eût pris pour de la peinture Ce vif coloris de Nature, Et pour Diamants précieux Le feu qui me sortait des yeux ; Enfin ce changement extrême, De moi fit une autre moi même : J’eusse fait rire, et fait pitié, Et je battis si fort du pied En cette fureur sans égale, Que j’en ai dépavé la salle. O combien j’eus de déplaisir 28 La lecture Rotrou/ Ration, sur une écriture manuscrite, est pratiquement indifférente. Pour la désignation « le docteur », on peut imaginer qu’une volute d’« A » majuscule (Auteur) se soit trouvée à l’origine de la transcription en un « d ». François Lasserre 172 Quand ce courroux me vint saisir, De ne pouvoir, sans injustice Rien dire à votre préjudice, Et combien il m’eût été doux De trouver un défaut en vous ! Mais votre vertu sans seconde, L’étonnement de tout le monde, Et l’ornement de notre Cour Me joua lors un mauvais tour. Il a donc fallu, sans murmure, Souffrir cette honorable injure, Et solliciter mon pouvoir De satisfaire à mon devoir. Mais depuis que j’ai pris la plume Une autre aurait fait un volume, Je crois qu’Hercule en ses travaux Funestes à tant d’animaux, Sous le fardeau de sa massue, Ne suait pas comme je sue. Aussi, si je puis avoir fait, Je serai plus vaine en effet, De voir tant de réponses prêtes, Que ce Héros de ses conquêtes. Grâce au bon démon de ce lieu, C’en est fait : j’en suis quitte. Adieu. [signé : ] Sœur Morale, c. M elle de Mezières