eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 37/72

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2010
3772

Véronique Lochert: L’écriture du spectacle. Les didascalies dans le théâtre européen aux XVIe et XVIIe siècles. Genève: Droz, 2009 (Travaux du Grand Siècle). 712 p.

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2010
Emmanuelle Hénin
pfscl37720253
Comptes rendus 253 Véronique Lochert : L’écriture du spectacle. Les didascalies dans le théâtre européen aux XVI e et XVII e siècles. Genève : Droz, 2009 (Travaux du Grand Siècle). 712 p. L’ouvrage de Véronique Lochert entend revenir sur un lieu commun : les didascalies, ces annotations scéniques inscrites en marge ou en italiques, et ainsi nommées depuis le XIX e siècle, seraient quasiment absentes du théâtre jusqu’à Beaumarchais. Loin d’être infondée, cette idée reçue correspond à la suspicion dont les doctes de l’ Â ge classique, tel l’abbé d’Aubignac, entourent les didascalies à plusieurs titres : celles-ci font obstacle à l’autosuffisance du texte dramatique, fondé sur l’exemple du théâtre antique ; elles font entendre la voix de l’auteur, par définition exclue de la mimésis ; enfin, elles brouillent l’expérience du lecteur, en mêlant aux répliques des personnages un second texte parasite. De fait, la plupart des dramaturges « classiques », à commencer par Racine, Molière et Corneille à partir de Cinna (1641), règlent leur conduite sur cet oukase et se montrent extrêmement avares de ces annotations, réservées à dissiper de rares ambiguïtés. Cependant, les chefs d’accusation portés contre elles éclairent a contrario le statut même du texte dramatique quand il naît à la théorie : il est indissolublement texte et spectacle, lecture et représentation. Loin donc de concerner un phénomène marginal (à tous les sens du terme), l’enquête questionne l’essence du théâtre à l’époque prémoderne, à travers un jeu d’éclairages croisés, puisque les didascalies éclairent la dramaturgie et vice-versa. Le corpus envisagé est à la mesure de cette ambition en convoquant l’ensemble des textes théoriques et des pièces produites pendant deux siècles dans quatre grandes dramaturgies européennes : anglaise, espagnole, française et italienne. La volumineuse bibliographie donne une idée de l’amplitude de cette recherche et constitue à elle seule un précieux outil documentaire. Enfin, des annexes statistiques permettent de mesurer concrètement l’importance et la fonction des didascalies sur les différents théâtres. L’ouvrage comprend cinq parties, reflétant autant de fonctions du texte didascalique et de perspectives critiques. La première envisage son histoire avant le XVI e siècle et sa conception dans les différentes esthétiques dramatiques. La deuxième et la troisième étudient ses deux principaux rôles, consistant à régir respectivement le spectacle et la lecture. La quatrième s’intéresse à l’écriture didascalique, à son statut énonciatif et à ses traits stylistiques. Enfin, la cinquième étudie les rapports du geste et de la didascalie, redondants en apparence, mais le plus souvent complémentaires voire contradictoires. Les origines antiques et médiévales méritaient d’être rappelées, tant elles constituent une référence constante. Dans l’Antiquité, le discours des PFSCL XXXVII, 72 (2010) 254 personnages absorbe toutes les indications de régie, et en l’absence d’annotations du dramaturge même, fournit de nombreux indices aux philologues alexandrins, imités ensuite par les éditeurs de la Renaissance. D’autre part, la fin du Moyen Âge voit conjointement l’avènement du livre imprimé et l’essor d’un théâtre spectaculaire, notamment religieux. Ce nouveau théâtre imprimé développe alors un type d’annotations marginales inspiré des rubriques qui décrivaient le geste de l’officiant dans les livres liturgiques, avec la même fonction d’organiser la cérémonie (en amont) et d’en rendre compte (en aval). Ancêtre du metteur en scène, le conducteur ou meneur de jeu s’appuyait sur un « registre » ou « protocole » contenant toutes les actions scéniques. Doublant le spectacle d’un texte narratif, ces didascalies font le lien entre l’intrigue et sa représentation scénique. Les deux traditions, antique et médiévale, fusionnent à la fin du XV e siècle, quand les éditions savantes du théâtre antique développent un apparat critique considérable, proposant une compilation de tous les commentaires antérieurs sur le modèle de la glose. Héritant de cette pratique, les éditions du XVII e siècle introduisent des didascalies plus ou moins copieuses, selon leur pays respectif : à la parcimonie d’Anne Dacier s’oppose la prolixité d’un Lawrence Echard. À la Renaissance, le double héritage antique et renaissant détermine en effet deux types d’esthétiques dramatiques : à l’instar du théâtre antique et humaniste, la France et l’Italie développent un théâtre fondé sur la parole de l’acteur, et entièrement absorbé par elle. À l’inverse, les scènes espagnole et anglaise s’inscrivent dans la continuité des pratiques médiévales, faisant une large part au spectacle et aux indications de régie. Cette partition ne doit pas gommer d’autres différences, de nature historique ou générique : en France, la vogue de la tragicomédie conduit ainsi les dramaturges à multiplier les didascalies dans les années 1630-1650, avant qu’elles ne se raréfient dans la seconde moitié du siècle. En devenant plus économe, l’annotation gagne en cohérence et en efficacité, comme en témoignent les adaptations de pièces antiques : de Rotrou à Racine, l’équilibre se renverse entre didascalies explicites et implicites. La seconde partie se consacre à la fonction la plus évidente des didascalies : programmer la représentation. Dès l’instant où le théâtre n’est pas considéré comme un genre purement littéraire, le besoin se fait sentir de développer une écriture intermédiaire, reflétant l’emprise de la représentation, tout en relevant du dramaturge. En l’absence de metteur en scène attitré, ce dernier est à la fois l’inventeur et l’ordonnateur du spectacle, avec une autorité parfois contestée : ses annotations peuvent découler de réelles contraintes scéniques ou, au contraire, se révéler incompatibles avec elles. Quand à l’inverse les deux fonctions sont dissociées, elles donnent parfois lieu à des rivalités, telle celle qui opposa Ben Jonson et Inigo Jones dans les Comptes rendus 255 années 1620. Cependant, les didascalies ne sont pas le seul outil de programmation : celle-ci passe également par la ponctuation, les didascalies implicites, les conventions théâtrales ou encore les textes de régie, telle la liste des costumes ou des accessoires, ou les memorias de apariencias en Espagne. Dans leur fonction de régie, les didascalies constituent un document précieux pour l’histoire du théâtre, malgré l’écart susceptible de les séparer des représentations réelles. En France, elles servent surtout à régir le discours, précisant à qui le personnage parle et sur quel ton. Certaines décrivent les déplacements physiques, réduits dans la tragédie à l’opposition debout/ assis, tandis que la comédie a des mouvements beaucoup plus libres ; le jeu de l’acteur y est plus varié, car il intègre une gestuelle et des mimiques propres à chaque situation. À mesure que se développe l’art du comédien, les didascalies évoquent l’état d’âme et la psychologie du personnage. Le costume, principal élément spectaculaire, peut aussi faire l’objet d’annotations, surtout quand les personnages en changent pour se déguiser. Enfin, les didascalies ont souvent pour rôle de décrire le décor, et reflètent fidèlement ses évolutions successives : limitées à une note liminaire sur la scène classique, elles se démultiplient et s’allongent avec l’apparition du décor successif à l’italienne, tout en intégrant des termes techniques. De spectacle vivant, le théâtre devient un genre littéraire au fil des XVI e et XVII e siècles. Conscients de s’adresser aux lecteurs autant qu’aux spectateurs, les dramaturges développent alors un encadrement paratextuel : liste des personnages, préface, argument et didascalies. Ces dernières ne se départissent pas d’une fondamentale ambiguïté : tantôt elles atténuent la spécificité du texte dramatique, tantôt elles la soulignent, pour mettre le lecteur en état d’imaginer le spectacle. La puissance de la représentation est telle qu’en tenter une reconstitution relève de la gageure, à moins que le lecteur n’ait déjà assisté à la pièce. Au mitan du XVII e siècle, la publication est pourtant devenue le prolongement obligatoire de la représentation. Elle permet au dramaturge d’amender son texte en vue de la postérité et de la livrer aux lecteurs sous la forme la plus avantageuse, tantôt en rétablissant les passages coupés, tantôt en l’aménageant radicalement pour l’adapter à ce nouveau mode de consommation. Certaines éditions, telle celle du Théâtre de Molière en 1682, donnent à lire en parallèle le texte effectivement prononcé sur scène et sa version livresque. Pour Corneille, les « avis en marge » sont une aide indispensable à l’imagination du lecteur. Ils permettent aussi à une pièce de s’adapter à d’autres contextes : en Espagne, les autos sacramentales sont publiés avec de nouvelles didascalies, répondant aux codes de la comedia. En Espagne comme en Angleterre, il faut distinguer les didascalies imputables à l’auteur, d’autres ajoutées sur la copie manuscrite servant aux répétitions. Cependant, toutes ne se réfèrent pas au PFSCL XXXVII, 72 (2010) 256 spectacle : certaines donnent la parole à l’auteur pour justifier un effet, intercaler un titre, un complément d’information ou un commentaire personnel, parfois engagé. Héritant de l’annotation et du commentaire, ces notes renvoient au savoir d’un narrateur omniscient, jusqu’à donner parfois un tour narratif au texte dramatique. Cependant, les XVI e et XVII e siècles voient se développer un paratexte propre au théâtre : prologue, argument, liste de personnages sont autant de lieux spécifiques, susceptibles d’évolutions et de pratiques contrastées. La quatrième partie envisage les caractéristiques de l’écriture didascalique, telle qu’elle est progressivement codifiée dans le théâtre imprimé, pour lui garantir une plus grande efficacité. Typographiquement, la didascalie se distingue peu à peu des répliques. La division en actes et en scènes est explicite en Italie et en France, tandis qu’elle repose longtemps en Angleterre et en Espagne sur la seule indication des entrées et des sorties des personnages. Elle s’impose pourtant progressivement comme une marque de théâtralité. Dérivant de la commedia erudita italienne, la présentation classique mentionne le numéro de la scène, puis le nom des personnages dans l’ordre de leur prise de parole. Cette division permet au lecteur de se repérer, tout en reflétant les interruptions de la représentation. Sur la page imprimée, la didascalie possède un statut bien spécifique : elle restitue « la simultanéité du spectacle dans la linéarité de l’écrit » et double le dialogue d’un texte parallèle. D’où l’utilisation d’indices typographiques pour la distinguer du dialogue, tel l’emploi de caractères différents (romains/ italiques en Italie, black letters/ romains en Angleterre) ou une position marginale, fréquente en France. Cependant, la didascalie est de plus en plus intégrée au dialogue, et de plus en plus proche de la portion de texte concernée, facilitant la tâche du lecteur. L’économie, voire la pauvreté du langage didascalique est la condition même de son efficacité : « degré zéro de l’écriture dramatique », il est cantonné dans une fonction informative et reste un outil au service du poème dramatique. Loin de reconstituer l’ensemble du spectacle, les didascalies se contentent de proposer quelques éléments contextuels et de combler les lacunes du texte dialogué ou de le mettre en relief, selon un principe de non-redondance. Elles mêlent un discours directif, donnant des consignes de jeu aux acteurs, et un discours explicatif, commentant pour le lecteur certains aspects de la représentation. Elles utilisent un langage codé, et les actions des personnages y sont décrites de manière sommaire et stéréotypée, qu’il s’agisse des mouvements (exit, enter), des costumes (de noche, de camino), du discours (to them, en soi-même, aside) ou du jeu (ridiculo). La dernière partie revient sur la question de la redondance. Selon les puristes, tels d’Aubignac ou Guarini, le dialogue doit prendre en charge la Comptes rendus 257 totalité des effets spectaculaires, charge au lecteur d’en saisir les didascalies « implicites », « indirectes » ou « cachées ». Le spectacle se voit privé de toute autonomie expressive et la parole est chargée d’en compenser les lacunes, sur les scènes sommaires du Globe ou de l’Hôtel de Bourgogne - qu’il s’agisse de décrire un décor fastueux ou la mimique expressive d’un acteur, tout aussi invisible au spectateur. L’importance de cette rhétorique spectaculaire est telle qu’elle efface les frontières entre les pièces effectivement jouées et les autres : le théâtre s’assimile au spectacle des mots. Le plus souvent, cependant, la didascalie est moins redondante que complémentaire, quand la parole est en contradiction avec le geste (ainsi dans les scènes de feinte) ou quand elle s’interrompt pour laisser parler le corps. Le dumb show anglais intercale au sein du dialogue un jeu de scène muet, décrit dans une longue didascalie. Puisque la parole seule est source de mensonges et le geste seul, source d’erreur, leur décalage génère de multiples effets comiques. Les didascalies vont jusqu’à souligner la feinte verbale à l’attention du lecteur (ces vers ont double sens, elle dit ces vers par ironie). Enfin, les dramaturges n’ignorent pas le potentiel expressif du silence et de la parole coupée, et les comédiens du XVII e siècle l’exploitent habilement. L’ouvrage de Véronique Lochert présente une synthèse aussi riche que passionnante, par ses exemples nombreux et pertinents. À un vaste état des lieux, il joint une réflexion constante sur le statut hybride du texte dramatique, à mi-chemin entre la représentation et la lecture. Aux XVI e et XVII e siècles, la rareté des didascalies est la preuve paradoxale de leur autorité et de leur efficacité dramatique. Emmanuelle Hénin Régine Pouzet (éd.) : Robert Arnauld d’Andilly, Mémoires suivis de Antoine Arnauld, dit l’abbé Arnauld, Mémoires. Édités, présentés et annotés par Régine Pouzet. Avant-propos d’Antony McKenna, Paris : Champion, 2008 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux, 37). 697 p. Robert et Antoine Arnauld sont père et fils, ils abordent donc, du moins en partie, la même période dans deux optiques diverses. Le père semble avoir été généreux pour tous, sauf pour ce fils qui note avec malice à propos de la retraite de Robert à Port-Royal qu’il « n’avait plus lieu de faire de la dépense […]. Son humeur plus que libérale ne le quitta point dans le désert. Il eut besoin de tout ce qu’il avait quitté pour la satisfaire, et ce fut à moi à me réduire » (432). Antoine est un fils peu apprécié de son père, qui, pour sa