Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2010
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Régine Pouzet (éd.): Robert Arnauld d’Andilly, Mémoires suivis de Antoine Arnauld, dit l’abbé Arnauld, Mémoires. Édités, présentés et annotés par Régine Pouzet. Avant-propos d’Antony McKenna, Paris: Champion, 2008 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux, 37), 697 p.
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2010
Volker Kapp
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Comptes rendus 257 totalité des effets spectaculaires, charge au lecteur d’en saisir les didascalies « implicites », « indirectes » ou « cachées ». Le spectacle se voit privé de toute autonomie expressive et la parole est chargée d’en compenser les lacunes, sur les scènes sommaires du Globe ou de l’Hôtel de Bourgogne - qu’il s’agisse de décrire un décor fastueux ou la mimique expressive d’un acteur, tout aussi invisible au spectateur. L’importance de cette rhétorique spectaculaire est telle qu’elle efface les frontières entre les pièces effectivement jouées et les autres : le théâtre s’assimile au spectacle des mots. Le plus souvent, cependant, la didascalie est moins redondante que complémentaire, quand la parole est en contradiction avec le geste (ainsi dans les scènes de feinte) ou quand elle s’interrompt pour laisser parler le corps. Le dumb show anglais intercale au sein du dialogue un jeu de scène muet, décrit dans une longue didascalie. Puisque la parole seule est source de mensonges et le geste seul, source d’erreur, leur décalage génère de multiples effets comiques. Les didascalies vont jusqu’à souligner la feinte verbale à l’attention du lecteur (ces vers ont double sens, elle dit ces vers par ironie). Enfin, les dramaturges n’ignorent pas le potentiel expressif du silence et de la parole coupée, et les comédiens du XVII e siècle l’exploitent habilement. L’ouvrage de Véronique Lochert présente une synthèse aussi riche que passionnante, par ses exemples nombreux et pertinents. À un vaste état des lieux, il joint une réflexion constante sur le statut hybride du texte dramatique, à mi-chemin entre la représentation et la lecture. Aux XVI e et XVII e siècles, la rareté des didascalies est la preuve paradoxale de leur autorité et de leur efficacité dramatique. Emmanuelle Hénin Régine Pouzet (éd.) : Robert Arnauld d’Andilly, Mémoires suivis de Antoine Arnauld, dit l’abbé Arnauld, Mémoires. Édités, présentés et annotés par Régine Pouzet. Avant-propos d’Antony McKenna, Paris : Champion, 2008 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux, 37). 697 p. Robert et Antoine Arnauld sont père et fils, ils abordent donc, du moins en partie, la même période dans deux optiques diverses. Le père semble avoir été généreux pour tous, sauf pour ce fils qui note avec malice à propos de la retraite de Robert à Port-Royal qu’il « n’avait plus lieu de faire de la dépense […]. Son humeur plus que libérale ne le quitta point dans le désert. Il eut besoin de tout ce qu’il avait quitté pour la satisfaire, et ce fut à moi à me réduire » (432). Antoine est un fils peu apprécié de son père, qui, pour sa PFSCL XXXVII, 72 (2010) 258 part, ne croit pas, en revanche, « qu’il se soit jamais vu une plus forte et plus étroite amitié qu’était la [sienne] avec [son] père » (124). Robert met en évidence l’ethos familial qu’il voudrait léguer à sa descendance par ses Mémoires tandis qu’Antoine, loin de s’adonner à la moindre intention didactique, fait deviner sa satisfaction d’appartenir à une famille si bien placée dans la société. Tous les deux ne cachent pas leur désaccord sans avouer toutefois le vrai point de dissension. R. Pouzet qui commente admirablement les deux textes, avance l’hypothèse, fort probable, que Robert reproche à Antoine d’avoir « trahi sa famille en signant le Formulaire dans la crainte de perdre ses bénéfices » (71). Robert évoque le réquisitoire de son père contre les jésuites et soutient qu’il « a été la première cause de la haine mortelle et irréconciliable que les jésuites témoignent avoir pour [sa] famille » (117). Antoine reproduit l’anecdote suivant laquelle le vent, qui souffle toujours devant l’église des jésuites à Rome, s’explique par un détour du diable se promenant avec le vent et lui demandant d’attendre son retour d’une visite - jamais terminée - dans ce lieu sacré (cf. p. 446). Les Mémoires de l’abbé entonnent l’éloge de Louis-Isaac Le Maistre de Saci, qui lut l’ordre royal de sa libération de la Bastille le 31 octobre 1668 « sans changer de visage, aussi peu altéré par la joie qu’il l’avait été un moment auparavant par l’éloignement de sa délivrance » (549). Or, l’abbé est témoin de cet épisode parce que, accompagnant son frère, Arnauld de Pomponne, il fut un des messagers royaux. Antoine ne correspondit aux espérances de son père ni quand il choisit le métier des armes (ses Mémoires tracent une fresque éclairante de la vie militaire) ni quand il devint prêtre, abbé trop mondain aux yeux d’une personne vivement impliquée dans les querelles du jansénisme. Il raconte sans remords ses démêlés dans un monde qu’il ne se fatiguait pas trop à convertir. Le coté anecdotique des choses le séduit, particulièrement quand il évoque son séjour à Rome où il accompagne Hugues de Lionne, abbé de Saint-Nicolas, choisi par Mazarin pour négocier le retour des Barberini auprès du pape Innocent X. Son témoignage sur Poussin, « qu’on ne se pouvait lasser d’entendre raisonner sur son art » (482), serait encore plus précieux s’il rapportait quelque propos du peintre. Robert, qui écrit ses Mémoires sur les « instances si pressées » (97) de son fils de Pomponne, constate pour terminer s’être bien acquitté de cette tâche. Il vante sa passion pour ses amis qu’il qualifie de « véritables » amis et de personnes « les plus dignes d’estime » (328). Son mariage avec M elle de La Broderie s’inscrit dans ce contexte de respect puisque, d’après notre mémorialiste, son beau-père avait le dessein « de choisir un gendre tel qu’il le désirait, disant qu’il aimait beaucoup mieux que Dieu lui eût donné une Comptes rendus 259 fille qu’un fils, parce que […] il choisirait pour sa fille un gendre selon son cœur » (185). Le lecteur d’aujourd’hui attendrait dans ce contexte un portait de sa future épouse, mais Robert se contente de noter que cette jeune femme de quatorze ans « avait toutes les qualités qui peuvent rendre aimable et estimable une personne de cet âge » (185). C’est, par ailleurs, le charme de ces Mémoires de dépayser dans un monde qui diffère tellement du nôtre. On peut apprendre beaucoup d’un témoin du rang intellectuel et moral de Robert Arnauld qui occupa des postes de prestige dans l’administration royale et dont le récit vise plus le cercle intime des siens que le lectorat anonyme. Une occasion manquée, celle d’accepter la charge de secrétaire d’État qui lui fut offerte par Louis XIII en 1662, est évoquée avec regret. Il ne put pas se résoudre « à l’acheter aussi chèrement » (223), mais « [l]es suites ont fait voir que je fis une grande faute » (223). Robert se façonne une persona telle qu’il voudrait rester dans la mémoire de sa famille. Aussi importe-t-il de bien saisir les points qu’il désire souligner, et de découvrir les principes déterminant la société de son époque, avant de réfléchir sur ses silences qui cherchent à cacher quelque chose ou même avant de lui intenter un procès de manque de sincérité. On y découvrira bien des épisodes et beaucoup de sentences révélant la mentalité de l’époque. Le même jour que Louis XIII s’éteint, la reine est proclamée régente. Robert raconte qu’elle lui fit l’honneur de lui « parler de choses fort importantes avant que d’aller au Parlement » (303). M. le Prince, Henri II de Bourbon, prince de Condé, le presse de lui dire de quoi il l’avait entretenue, mais il s’excuse, « parce que ce n’étaient pas des choses que je pusse dire à d’autres qu’à Sa Majesté même » (303). De fait, il ne les révèlera pas non plus au lecteur des Mémoires. Ces Mémoires des deux Arnauld sont d’un intérêt primordial pour étudier la vie sociale et religieuse de l’époque. On peut recommander cette édition de R. Pouzet, enrichie d’annexes éclairantes et décryptant bien les allusions multiples qui parsèment ces textes. Volker Kapp Laurent Susini : L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées. Paris : Champion, 2008. 703 p. C’est courageux de traiter l’écriture de Pascal dans une thèse de doctorat face au grand nombre de publications qui semblent en avoir épuisé le sujet. L. Susini connaît à fond cette bibliographie très vaste puisqu’il en tient compte en situant la démarche de ses prédécesseurs dans des contextes qui
