Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2010
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Alexandra Torero-Ibad: Libertinage, science et philosophie dans le matérialisme de Cyrano de Bergerac, préface de Francine Markovits. Paris: Champion, 2009 (Libre pensée et littérature clandestine). 664 p
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2010
Mathilde Levesque
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PFSCL XXXVII, 73 (2010) 478 à - l’exercice - du - grotesque - pour - saisir - une - autre - dimension - de - la - réalité. - Notre dramaturge -aime -contraster -ces -deux -registres -et -il -faut -se -garder -de -lui -en -faire grief. Cette - édition - du - Théâtre - complet - de - Scarron - sera - saluée - chaleureusement par - les - historiens - du - théâtre. - Elle - rend - accessibles - des - matériaux - réservés jusqu’à - présent - aux - seuls - historiens - spécialisés - de - cette - époque - de - la - scène française - et - elle - encouragera - sans - doute - à - réévaluer - le - dramaturge - Scarron ainsi -qu’à -approfondir -l’étude -de -la -dramaturgie -de -la -première -moitié -du -XVII e siècle. - Volker Kapp Alexandra - Torero--Ibad : - Libertinage, - science - et - philosophie - dans - le matérialisme - de - Cyrano - de - Bergerac, - préface - de - Francine - Markovits. Paris : -Champion, -2009 -(Libre -pensée -et -littérature -clandestine). -664 -p. Dans - la - lignée - des - travaux - pionniers - de - Madeleine - Alcover 2 - et - de - Jean--‐Charles Darmon 3 , - cet - imposant - ouvrage - se - penche - sur - la - place - et - l’aspect - de - la philosophie -dans -l’œuvre -de -Cyrano ; -le -matérialisme, -fil -d’Ariane -de -l’étude, -est pertinemment - posé - comme - trait - dominant - dans - la - diversité - dogmatique - de l’œuvre. - Toutefois, -le -titre -de -ce -travail -soulève -d’emblée -plusieurs -interrogations. -La catégorie - du - libertinage - est - considérée - comme - acquise, - alors - même - qu’elle - est éminemment - problématique : - l’appartenance - de - Cyrano - au - cercle - des - libertins érudits - est - certes - défendue - par - René - Pintard 4 , - mais - elle - mérite - d’être - confron--‐ tée -à -l’hypothèse -d’un -auteur -en -marge -de -tout -cercle -littéraire. -Le -mot -libertin, que - l’on - trouve - notamment - chez - La - Mothe - Le - Vayer, - est - absent - de - l’œuvre - de - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2 - - Voir, -notamment, -La -Pensée -philosophique -et -scientifique -de -Cyrano -de -Bergerac -(Paris/ Genève -: - Droz, - 1970), - ainsi - que - les - nombreuses - notes - de - son - édition - Les - États - et Empires -de -la -Lune -et -du -Soleil -avec -le -Fragment -de -physique -(Paris -: -Champion, -2000). 3 - - Principalement - « -Cyrano - de - Bergerac - et - les - images - de - la - Nature -», - dans - L’Idée - de nature - au - début - du - XVII e - siècle, - Littératures - classiques, - n°17, - 1992, - pp. - 153--‐175 -; « -L’épicurisme - et - les - fables - du - monde -: - remarques - sur - Gassendi - et - Cyrano -», - dans - La Notion - de - ‘monde’ - au - XVII e - siècle, - Littératures - classiques, - n° - 21, - 1994, - pp. - 87--‐125 -; « -L’imagination -de -l’espace -entre -argumentation -philosophique -et -fiction. -De -Gassendi à - Cyrano -», - Espaces - classiques. - Études - littéraires. - Théories, - analyses - et - débats, - vol. - 34, n° -1--‐2, -hiver -2002, -pp. -217--‐240, - et -Le - songe - libertin. - Cyrano -de -Bergerac -d’un -monde -à l’autre -(Paris -: -Klincksieck, -2004). - 4 - - Le -Libertinage -érudit -dans -la -première -moitié -du -XVII e -siècle -(Paris, -Boivin -1943). Comptes rendus 479 Cyrano, -qui -ne -se -réclame -pas -de -cette -construction -apologétique 5 . -Se -pose -alors la - question - de - la - conscience - d’une - quelconque - appartenance - à - un - groupe littéraire. - Par - ailleurs, - dans - sa - thèse - récemment - publiée 6 , - Isabelle - Moreau propose - un - vaste - panorama - des - réseaux - sémantiques - du - mot - libertin : - on - peut ainsi - s’étonner - qu’A. - Torero--‐Ibad - emploie - indifféremment - « libertinage » - dans le - titre - de - son - étude - et - « libertinisme » - dans - le - résumé - qu’elle - en - propose - en quatrième - de - couverture ; - le - choix - d’un - tel - axe - d’étude - aurait - exigé - d’en préciser - les - contours - définitionnels, - et - d’en - montrer - la - nécessité - pour - une approche -de -l’œuvre -de -Cyrano. -L’introduction -évoque -une -acception -en -termes de - « caractère - subversif, - tant - sur - le - plan - intellectuel - que - moral » - et - d’« impi--‐ été » - cette -dernière -caractéristique -étant, -me -semble--‐t--‐il, -sujette -à -caution. L’ensemble - de - l’ouvrage, - organisé - autour - de - quatre - axes - principaux, - est clair -et -cohérent. -Le -souci -de -didactisme, -parfois -excessif, -permet -d’explorer -les différentes - facettes - de - la - présence - matérialiste - dans - l’œuvre. - A. - Torero--‐Ibad maîtrise - parfaitement - l’arrière--‐plan - philosophique - qui - fut - celui - de - Cyrano : Épicure - et - Lucrèce - dialoguent - ainsi - avec - Descartes, - ou - encore - Gassendi. - Le texte - cyranien - est - prudemment - analysé - à - la - lumière - de - ces - traités - fondateurs. De - nombreuses - analyses - sont - certes - inspirées - de - l’importante - bibliographie cyranienne, -mais -le -choix -exclusif -du -prisme -matérialiste -donne -à -ce -travail -son originalité. Plusieurs - éléments - sont - cependant - discutables - dans - l’ensemble - de - cette étude - parfois - répétitive. - L’auteur - revient - sur - de - nombreux - points - déjà - longue--‐ ment -développés -par -la -critique, -sans -apporter -d’éclairage -nouveau ; -les -extraits cités - sont - souvent - commentés - dans - des - développements - paraphrastiques, faisant -ainsi -écho -aux -passages -exclusivement -descriptifs -de -l’étude. L’horizon - d’attente - philosophique - de - cette - thèse - est - incontestablement atteint, - par - des - mises - en - perspective - le - plus - souvent - probantes. - Toutefois, l’auteur - ne - prend - pas - assez - en - compte - la - dimension - proprement - littéraire - de l’œuvre - cyranienne, - ce - qui, - d’une - part, - engendre - une - confusion - permanente entre - narrateur - et - personnage, - et, - d’autre - part, - fait - perdre - de - vue - l’intérêt fictionnel -de - la -présence -philosophique. -La - science, - le -matérialisme, - et, - si - l’on -y tient, - le - libertinage, - apparaissent - en - définitive - moins - comme - des - thèmes - de l’œuvre - que - comme - des - représentations - discursives. - A. - Torero--‐Ibad - déplore que - les - travaux - de - Jean--‐Charles - Darmon - et - d’Isabelle - Moreau - « continuent - à subordonner - les - choix - philosophiques - à - l’entreprise - littéraire » : - il - semble pourtant - que - ce - soit - bien - là - même - pour - un - travail - de - philosophie - la - seule approche -pertinente. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 5 - - Voir -à -ce -propos -l’ouvrage -de -L. -Godard -de -Donville, -Le -libertin -des -origines -à -1665 -: -un produit -des -apologètes -(Tübingen--‐Paris--‐Seattle -: -PFSCL, -coll. -« -Biblio -17 -», -n° -51, -1989). 6 - - « -Guérir - du - sot -». - Les - stratégies - d’écriture - des - libertins - à - l’âge - classique - (Paris, Champion, -coll. -« -Libre -pensée -et -littérature -clandestine -», -2007). PFSCL XXXVII, 73 (2010) 480 Par -ailleurs, -la -« cohérence » -de -la -pensée -cyranienne, -maintes -fois -évoquée dès - l’introduction - de - l’étude, - gagnerait - à - être - envisagée - à - l’échelle - de l’ensemble - de - l’œuvre. - Or, - l’auteur - accorde - une - place - prépondérante - aux - deux romans, - déjà - amplement - analysés - par - la - critique : - les - Lettres - et - le - Fragment - de physique, - étudiés - séparément, - font - l’objet - d’un - chapitre - chacun, - et - ne - sont - que partiellement -convoqués -dans -le -reste -de -l’étude. Enfin, - la - thèse - de - l’athéisme - cyranien, - fortement - assertée, - exige - la - plus grande - prudence : - si - certains - passages - de - l’œuvre - plaident - en - faveur - de - cette analyse, -d’autres, -que -l’auteur -cite -elle--‐même, -instaurent -le -doute. -Peut--‐être -est--‐ il - préférable - de - conclure - à - une - difficile - systématisation - de - l’œuvre - de - Cyrano, même -si, -en -effet, -la -récurrence -du -matérialisme -permet -de -postuler -une -forme de -cohérence. Dès - l’introduction - l’auteur - instaure - un - paradoxe - qui - persiste - dans l’ensemble - de - l’étude, - et - nuit - à - la - fermeté - des - conclusions : - « loin - de - mettre - en œuvre - les - thèses - d’une - seule - philosophie - existante, - les - romans - cyraniens exposent - de - façon - fragmentée - des - éléments - disparates », - mais - « Cyrano - nous invite - à - trouver - une - cohérence ». - Une - telle - analyse - relève - de - la - volonté d’attribuer - à - Cyrano - une - intention - de - cohérence, - qui - reste - cependant - encore - à démontrer, - comme - en - convient - A. - Torero--‐Ibad - elle--‐même : - « la - question - que l’on - doit - se - poser - n’est - pas - celle - de - la - croyance - intime - de - [Cyrano], - mais - des effets - produits - par - les - textes ». - Au - terme - de - l’introduction, - l’auteur - récuse - à - la fois -l’idée -d’un -Cyrano -sceptique, -et -celle -d’un -écrivain -qui -priviligierait, -dans -la diversité, - une - seule - et - unique - thèse. - Elle - s’oriente - plus - volontiers - vers - une approche - positive - de - la - multiplicité : - « la - démarche - de - Cyrano - est - à - la - fois cohérente -et -pluraliste ». -Un -obstacle -demeure -toutefois : -il -est -d’emblée -acquis que - le - monde - cyranien - se - passe - de - Dieu, - mais - l’omniprésence - de - ce - dernier dans -l’ensemble -de -l’œuvre -invalide -partiellement -cette -thèse. Dans - la - première - partie, - la - « position - du - discours - cyranien » - est - définie - en deux - étapes - successives : - l’étude - de - la - « désacralisation » - et - de - la - « critique » instaurent - une - approche - par - la - négative, - tandis - que - la - consécration - de - l’imagi--‐ nation -et -de -l’expérience -dans -l’œuvre -redonnent -au -projet -cyranien -une -orien--‐ tation -positive. -Le -premier -chapitre, -descriptif, -rappelle -de -manière -synthétique l’ensemble - des - positions - scientifiques - et - philosophiques - concernant - la - distinc--‐ tion -entre -science -et -religion : -Galilée -côtoie -ainsi -Averroès. -Cette -mise -au -point est -nécessaire -pour -replacer -le -discours -cyranien -dans -son -contexte -de -produc--‐ tion. - Les - analyses - du - deuxième - chapitre, - consacré - à - la - désacralisation - du - texte sacré, - sont - convaincantes - sur - le - corpus - choisi, -mais - l’auteur - n’envisage - aucune hypothèse -pour -comprendre -les -extraits -où -un -déisme -possible -de -Cyrano -vient bouleverser - l’impression - massive - d’impiété. - En - revanche, - le - chapitre - 3, - consa--‐ cré -à -la -critique -des -principes -fondateurs -d’Aristote, -est -tout -à -fait -pertinent : -s’il reprend - un - certain - nombre - de - conclusions - déjà - établies - par - la - critique, - il Comptes rendus 481 confronte -toutefois -avec -précision -le -texte -cyranien -et -le -texte -aristotélicien. -La place - centrale - de - l’imagination - dans - l’œuvre - est - parfaitement - démontrée - dans le - chapitre - 4, - mais, - de - nouveau, - la - pétition - de - principe - qui - prive - l’œuvre - de - sa fondamentale -dimension -fictionnelle -au -profit -d’une -approche -purement -philo--‐ sophique - induit - des - conclusions - surprenantes : - « l’admiration - provoquée - par Cyrano - [lors - de - l’épisode - de - la - transformation - du - petit - peuple] - est - une - invi--‐ tation - à - comprendre - que - ce - qui - apparaît - miraculeux - est - tout - à - fait - naturel ». Comment - lire - alors - la - récurrence - obsessionnelle - du - miraculeux - et - du - mer--‐ veilleux - dans - l’œuvre ? - Peut--‐on - vraiment - considérer - qu’ils - ne - visent, - dans - leur alliance - avec - le - « rationnel », - qu’à - « penser - la - puissance - de - la - matière » ? - De - la même - façon, - l’étude - du - statut - de - l’expérience - dans - l’œuvre - est - tout - à - fait - lumi--‐ neuse - d’un - point - de - vue - philosophique, - mais - souffre - d’un - manque - de - perspec--‐ tive -fictionnelle -et -discursive. -Il -n’est -pas -certain -qu’au -début -du -premier -roman « l’expérience - [soit] - opposée - à - la - recherche - de - la - définition » : - la - première - est au - contraire - un - moyen - de - parvenir - à - la - seconde. - A. - Torero--‐Ibad - explique - que lors - de - l’atterrissage - du - héros - au - Canada, - le - personnage - et - M. - de - Montmagny « s’appuient - sur - les - même - faits » - pour - parvenir - à - des - conclusions - cosmolo--‐ giques -différentes. -De -nouveau, -il -faudrait -s’intéresser -à -la -mise -en -discours -des positions - dogmatiques : - si - le - héros - se - fonde - en - effet - sur - son - expérience - pour démontrer - que - l’hypothèse - du - mouvement - de - la - terre - est - valide, - le - vice--‐roi - du Canada, - lui, - se - réfugie - derrière - le - seul - argument - d’autorité - preuve - ultime - de l’inefficience -de -ce -dernier, -vestige -du -dogmatisme -aristotélicien, -face -à -la -force de - conviction - de - l’expérience. - Enfin, - ce - n’est - pas - à - proprement - parler - le « hasard » - qui - est - déterminant - dans - l’expérience, - mais, - a - posteriori, - la - resti--‐ tution -de -l’erreur -dans -la -prédiction -scientifique : -d’où -l’impérieuse -nécessité -de dissocier -personnage -et -narrateur. La -seconde -partie, -de -teneur -philosophique -et -scientifique, -s’ouvre -elle -aussi sur - une - approche - du - projet - cyranien - par - la - négative, - et - souligne - le - « rejet - du surnaturel » - et - le - « refus - du - finalisme » - de - Cyrano. - Le - premier - chapitre, - bien mené, - montre - que - l’éviction - du - finalisme - passe - par - une - critique - de l’anthropocentrisme, - au - profit - d’une - consécration - de - l’atomisme - et - du - hasard dans - la - formation - du - monde. - La - pluralité - des - thèses - exposées - dans - l’ensemble de - l’œuvre - pose - pour - le - finalisme - le - même - problème - que - pour - l’existence - de Dieu : - une - finalité - possible - est - à - plusieurs - reprises - évoquée - par - Cyrano. - A. Torero--‐Ibad, - à - la - fin - de - son - étude, - conclut - elle--‐même - au - sujet - du - Démon - de Socrate, - mentor - du - héros : - « ce - personnage - se - propose - pour - sa - part - de - conce--‐ voir - les - hommes - comme - la - fin - que - se - propose - la - matière - à - travers - ces transformations -successives, -du -minéral -au -végétal, -à -l’animal -et -à -l’humain ». Le - second - chapitre - examine - les - différents - visages - du - matérialisme - dans l’œuvre, - à - partir - de - l’hypothèse - fondatrice - qu’ « il - n’y - a - pas - construction progressive - d’une - conception - unifiée - de - la - matière - et - de - ses - propriétés - à PFSCL XXXVII, 73 (2010) 482 travers - le - récit, - mais - convergence - d’une - pluralité - de - conceptions - de - la - matière vers - une - même - position - matérialiste ». - C’est - à - la - lumière - de - cette - proposition, jointe - à - l’aspiration - anti--‐aristotélicienne - de - Cyrano, - que - l’auteur - revisite - la présence - du - mécanisme, - de - l’épicurisme - et - de - l’atomisme - dans - l’œuvre. - Elle souligne - aussi - les - éventuelles - entorses - aux - principes - lucréciens, - à - partir - d’une glose -des -différents -discours. Les -chapitres -3 -et -4 -s’intéressent -respectivement -aux -Lettres -et -au -Fragment de - physique. - Les - représentations - de - la - nature - dans - le - premier - corpus s’organisent - selon - trois - principes. - Le - premier, - qui - consisterait - à - « utiliser - des concepts - pour - en - faire - un - usage - non - conceptuel » - est - peu - convaincant : - il - est douteux - qu’en - usant - des - termes - « distiller » - ou - « matière », - Cyrano - mobilise sciemment - un - vocabulaire - spécialisé - avec - intention - de - ne - retenir - qu’un - sens second, - par - ailleurs - fort - courant. - Cette - analyse - quelque - peu - extrapolée - est - la conséquence - de - l’opiniâtreté - avec - laquelle - A. - Torero--‐Ibad - défend - l’hypothèse d’une - omniprésence - matérialiste - chez - Cyrano. - Le - second - principe - consiste, dans - les - lettres, - à - « prendre - appui - sur - une - thèse - pour - élaborer - une - représen--‐ tation : - en - ce - cas - on - peut - dire - que - la - thèse - sert - le - propos - de - la - lettre - et - non l’inverse ». - Si - cette - analyse - est - juste, - il - faut - néanmoins - rappeler - que - les - lettres ont - la - particularité - de - ne - mentionner - des - éléments - scientifiques - ou - philo--‐ sophiques - que - par - allusion : - ces - brèves -mentions - participent - de - la - poéticité - du texte - littéraire - et - n’ont - pas - nécessairement - de - portée - argumentative. - Le troisième - principe - est - incontestable : - « la - lettre - peut - se - donner - pour - objet - de défendre - une - position, - et - c’est - alors - le -rire - qui - est - utilisé - pour - se -moquer - de - la position -adverse ». -La -raillerie -est -avant -tout, -chez -Cyrano, -un -geste -discursif. Prétendre -que -« dans -le -traité -de -physique, -le -pluralisme -n’est -pas -de -mise » revient - à - négliger - son - argumentation - même, - dans - la - lignée - des - Paradoxes - de Gassendi -ou -du -Dialogue -de -Galilée. -C’est -au -contraire -parce -que -deux -positions sont -mises -en -regard -que -l’une -s’effondre -au -profit -de -l’autre. - Ce -chapitre, -dont l’exposé - suit - la - linéarité - du - Fragment, - n’aboutit - bien - souvent - qu’à - une - simple reformulation. - Toutefois, - à - diverses - reprises, - l’auteur - pousse - le - texte - dans - ses retranchements, - soulignant - ainsi - les - négligences - cyraniennes. - De - tels - passages sont -aussi -novateurs -qu’éclairants : -« si -le -texte -propose -d’emblée -de -distinguer ce -qui -est -en -nous -et -ce -qui -est -hors -de -nous, -l’existence -de -ce -‘nous’ -est -d’emblée posée, - sans - être - mise - en - doute - et - il - n’est - pas - estimé - que - la - nature - de - ce - ‘nous’ doive - être - définie - - - âme, - corps, - ou - union - d’âme - et - de - corps ». - A. - Torero--‐Ibad s’attache - ainsi - à - traquer - les - flous - dans - un - texte - à - prétention - scientifique. - Le contenu - du - Fragment - est - étudié - à - la - lumière - des - Principes - de - Descartes - plus que - de - la - Physique - de - Rohault, - cette - dernière - confrontation - ayant - déjà - été longuement - développée - par - M. - Alcover. - L’auteur, - après - avoir - relevé - de - nom--‐ breuses - connivences, - conclut - à - un - désaccord - fondamental. - Si - pour - Descartes, Dieu - est - la - cause - première - du - mouvement, - pour - Cyrano - une - telle - hypothèse Comptes rendus 483 doit - rester - cantonnée - au - domaine - de - la - foi : - la - physique - cyranienne - ne - repose pas -sur -la -métaphysique. La - troisième - partie, - consacrée - à - la - « pluralité - des - mondes » - et - à - l’« appré--‐ hension - positive - de - l’infini », - s’ouvre - sur - un - chapitre - qui - présente - de - manière synthétique - les - positions - géocentristes - et - héliocentristes - antérieures - et contemporaines - de - Cyrano : - on - se - souviendra - notamment - que, - si - l’Antiquité pouvait - penser - un -monde - infini, - Copernic - concevait - quant - à - lui - un -monde - clos. La - présence - d’un - univers - « indéfini » - dans - l’œuvre - cyranienne - relève - d’une position - cartésienne : - pour - Descartes, - seul - Dieu - peut - être - infini. - Si - l’on - admet avec - A. Torero--‐Ibad - que - pour - Cyrano - le - monde - peut - se - passer - de - Dieu, comment - comprendre, - dans - le - sommaire - du - Fragment - de - physique, - l’évocation de - « l’ignorance - dans - laquelle - nous - sommes - des - secrets - de - Dieu », - et - la - certi--‐ tude - que - « le - monde - est - indéfini » ? - De - tels - éléments - invitent - à - la - prudence, d’autant -que -l’auteur -écrit -plus -loin : -« loin -d’opposer -l’infini -divin -à -l’indéfini -de l’univers, -Cyrano -les -met -en -parallèle ». Le - second - chapitre - souligne - à - nouveau - les - approximations - de - Cyrano, - qui emploie - indifféremment - le - terme - de - monde - pour - les - « globes - habités » - et - pour l’ « univers -infini ». -A. Torero--‐Ibad -montre -par -ailleurs -que -la - suppression -de -la majuscule - aux - signifiants - Terre - et - Lune - influe - sur - leurs - signifiés, - engendrant ainsi - la - relativité - et - « facilit[ant] - la - dynamique - du - changement - de - point - de vue ». - L’argument - est - convaincant, - mais - invalidé - par - la - typographie - de - la - pre--‐ mière -édition, -en -1657. - Cette -partie -de -l’ouvrage, -malheureusement -très -brève, mériterait - d’être - approfondie - pour - approcher - de - plus - près - le - geste - littéraire cyranien - dans - l’écriture - scientifique. - Une - telle - étude - aurait - constitué - une intéressante -introduction -au -troisième - chapitre, -qui -évoque -l’intérêt -de - Cyrano pour - ce - qui - est - « potentiellement - réalisable », - indépendamment - de - ce - qui - est matériellement - possible, - ainsi - qu’une - argumentation - qui, - dans - toute - sa - diver--‐ sité, -n’entre -jamais -« dans -la -précision -des -problèmes -scientifiques ». -La -« renta--‐ bilité - polémique », - dont - la - latence - transparaît - derrière - chaque - morceau - de bravoure -argumentatif, -est -une -dimension -essentielle -de -l’écriture -cyranienne. On - trouvera - dans - le - quatrième - chapitre - d’éclairantes - hypothèses : - Cyrano partage - avec - Lucrèce - et - Descartes - la - conviction - que - le - monde - s’est - formé - à partir - d’une - matière - en - mouvement. - Une - fois - de - plus, - les - profonds - désaccords des - deux - philosophes - - - notamment - sur - la - question - de - l’existence - du - vide - n’empêchent -pas -leur -cohabitation -au -sein -de -l’œuvre -littéraire. -Par -ailleurs, -le principe - d’équivalence - des - hypothèses - est - quelque - peu - gauchi - par - Cyrano : - tel ou -tel -système -n’est -ainsi -convoqué -que -« pour -expliquer -ponctuellement -tel -ou tel -phénomène ». -Il -s’agit, -donc, -d’un -réagencement -à -visée -fictionnelle. L’étude - s’achève - sur - l’examen - de - la - matérialité - de - l’espèce - humaine. L’auteur - résume - les - quatre - théses - défendues - par - Cyrano : - les - êtres - vivants - ne sont - séparés - que - par - une - différence - de - degré ; - l’âme - humaine - est - par - consé--‐ PFSCL XXXVII, 73 (2010) 484 quent - aussi - matérielle - que - celle - des - autres - êtres ; - elle - est - de - la - matière - qui pense ; - l’âme - et - le - corps - naissent - et - meurent - conjointement. - Cyrano - renverse ainsi - non - seulement - les - positions - aristotéliciennes, - mais - encore - les - propriétés mêmes -du -finalisme -anthropocentriste : -les -êtres -vivants -diffèrent -quantitative--‐ ment - en - fonction - du - nombre - d’atomes - mais - en - aucun - cas - qualitativement. L’héritage - lucrécien - subit - lui - aussi - de - nombreux - infléchissements ; - la - théorie gassendiste, - qui - prétend - concilier - épicurisme - et - immortalité - de - l’âme, - est -mise à - mal. - Toutefois, - A. - Torero--‐Ibad - est - à - nouveau - gênée - par - son - hypothèse - d’un Dieu - absent. - L’ « ironie » - ne - va - pas - de - soi - lorsque - Cyrano - s’insurge : - « Père écervelé ! -Me -croyez--‐vous -si -stupide -de -me -figurer -que -le -monde -soit -né -comme un - champignon ; - […] - qu’une -matière -morte, - de - telle - ou - telle - façon - disposée, - ait pu -faire -raisonner -un -homme, -sentir -une -bête, -végéter -un -arbre ? ». Dans - le - dernier - chapitre, - l’auteur - prête - à - Cyrano - une - triple - ambition : remettre -en -question -l’idée -d’un -Dieu -juste, -relativiser -les -normes -instituées, -et engager -à -« suivre -la -nature ». -La -relecture -qu’elle -propose -de -la -fin -du -premier roman - est - assez - séduisante : - comment - Dieu - aurait--‐il - pu - faire - des - hommes « naturellement - impies » ? - De - même, - l’analyse - de - l’avatar - utopique - dans l’œuvre - cyranienne - est - bien - menée. - En - créant - des - mondes - possibles, - Cyrano vise -moins -à -la -critique -de -sa -propre -société -qu’à -rejeter -la -« façon -dont -l’utopie construit -une -autre -société » : -nulle -recherche -de -modèle -dans -cette -entreprise. En - revanche, - on - regrettera - que - l’auteur - ne - relève - pas - l’équivoque - sémantique dans - la - célèbre - réplique - de - Séjanus : - « qui - craint - [les - dieux] - ne - craint - rien ». L’exercice - de - la - pensée - est - en - effet - pour - Cyrano - « jubilatoire », - et - c’est - dans l’équivoque -que -se -glisse -en -permanence -le -doute -herméneutique. La - catégorie - poreuse - et - éminemment - problématique - du - « libertinage », source - de - difficulté - dès - le - début - de - cette - étude, - ne - se - révèle - finalement - pas essentielle -à -la -conduite -du -propos ; -elle -revient -pourtant -dans -la -conclusion -de manière - quelque - peu - superficielle. - Pour - comprendre - la - position - de - Cyrano, - il est - plus - prudent - de - privilégier - les - nombreux - cas - d’incertitude - interprétative, sans -chercher -à -tout -prix -à -systématiser -une -pensée -fuyante. Il - n’en - demeure - pas - moins - que - ce - travail - constitue - une - rigoureuse - mise - au point - sur - la - place - et - le - rôle - de - la - philosophie - matérialiste - dans - l’œuvre cyranienne. -Le -pari -est -audacieux, -mais -il -est -un -défi -à -la -massive -impréhension d’incohérence -qui -s’impose -à -la -lecture -de -ce -texte -déroutant. Mathilde -Levesque -
