Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2012
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Delphine Denis (dir.): Honoré d’Urfé, L’Astrée. Première partie. Édition critique établie sous la direction de Delphine Denis par Jean-Marc Chatelain, Delphine Denis, Camille Esmain-Sarrazin, Laurence Giavarini, Frank Greiner, Françoise Lavocat et Stéphane Macé. Paris: Honoré Champion, 2011 («Champion Classiques, Littératures»). 700 p
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2012
Volker Kapp
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PFSCL XXXIX, 76 (2012) 258 to be inadvertent errors by the current editors). Despite these negligible defects, the volume makes an invaluable contribution to scholarship and will provide great enjoyment to lovers of early modern French drama. Perry Gethner Delphine Denis (dir.) : Honoré d’Urfé, L’Astrée. Première partie. Édition critique établie sous la direction de Delphine Denis par Jean- Marc Chatelain, Delphine Denis, Camille Esmain-Sarrazin, Laurence Giavarini, Frank Greiner, Françoise Lavocat et Stéphane Macé. Paris : Honoré Champion, 2011 (« Champion Classiques, Littératures »). 700 p. L’Astrée semblait trop volumineuse pour les lecteurs d’aujourd’hui, qui lisaient le roman d’Honoré d’Urfé tout au plus dans les anthologies s’ils ne le rangeaient pas parmi les œuvres vouées « à la grande paix des bibliothèques » (7). On présume que cette situation se modifiera désormais grâce à l’engagement de l’équipe dirigée par Delphine Denis, qui a le courage d’en établir la première édition critique intégrale. Ce premier volume permet d’accéder la première partie dans un volume de 700 pages mais bon marché. La « table des histoires » (p. 691), « des poésies » (pp. 693-696), « de lettres » (pp. 697-698) y invite à une lecture sélective selon les pratiques du XVII e siècle où ces romans abondants trouvaient un lectorat profitant des secours pour une consultation partielle aussi bien que disposée à se plonger dans les méandres des intrigues complexes. La manière des lecteurs d’aborder la fiction romanesque correspondait toutefois plus à la structure de L’Astrée que nos anthologies qui se passent d’éléments structurant son intrigue et déterminant le récit. Est-ce une gageure de vouloir, au XXI e siècle, faire redécouvrir une lecture dont on s’enthousiasmait au XVII e siècle en France et partout en Europe (voir la journée dirigée par Delphine Denis consacrée à « La gloire de L’Astrée » dans Cahiers de l’AIEF 60 (2008), pp. 139-276). On ne peut que souscrire au constat que « L’Astrée est une pièce majeure du patrimoine littéraire occidental » (p. 61) et qu’elle « occupe une place de choix dans ce que Goethe a appelé ‘la littérature mondiale’ » (p. 61). Son éminence sera mise en évidence par l’équipe qui mettra à la disposition des érudits, sur le site web « Le Règne d’Astrée », l’intégralité du texte ainsi que ses nombreuses variantes dans une édition hypertextuelle, enrichie du corpus de la littérature pastorale avec laquelle Honoré d’Urfé entretient un dialogue Comptes rendus 259 intertextuel. On disposera, dès lors, d’une base précieuse d’informations abondantes sur le genre pastoral aux XVI e et XVII e siècles. Nous avons en main le premier des cinq volumes programmés pour le texte imprimé. Ce livre rend « accessible un ouvrage difficile à trouver et parfois malaisé à comprendre » (p. 8) en acceptant son « altérité […] dont la radicale et fascinante étrangeté nous arrache en effet à nous-mêmes » (p. 8). L’exclamation : « Et voyez comment l’Amour se jouë & se mocque de la prudence des Amants ! » (p. 506) illustre bien cette altérité par l’« Histoire de Galathée et Lindamor » (I, 9). Les commentaires sont nécessaires pour nous, parce qu’un personnage mythologique comme Antéros dans les ekphaseis de l’« Histoire de Ramon & de Fortune » (I, 11) est pratiquement inconnu même de ceux qui pensent s’y connaître en ce domaine. Ils sont nettement allégés par leur focalisation sur les informations indispensables pour évaluer la signification des différents personnages ou des épisodes du roman comme par exemple celui du berger Pâris (p. 263). La langue, déjà désuète pour les lecteurs de l’époque de Louis XIV est parfois incompréhensible pour ceux du XXI e siècle, à titre d’exemple le verbe « ressentir » dans le sens d’« avoir le caractère, l’apparence de » (p. 408). Le haut niveau d’information de ces notes est aisé à lire grâce au courage des auteurs de renoncer à toute érudition pesante. Le personnage de Philandre qui se trouve sous cette orthographe dans la traduction de l’Orlando furioso de l’Arioste par Jean de Favoral, revient chez Nervèze, Maynard, Des Vallottes (p. 362), donnée importante pour évaluer le rayonnement de L’Astrée. Les commentateurs distillent toujours l’essentiel du corpus de textes qui sera disponible en ligne dès que l’édition aura aboutie à son terme. Cette solution procure un plaisir de la lecture qui se maintient jusqu’à la fin du roman. Cela vaut vraiment la peine de pénétrer dans cet univers imprégné des idées de Platon et du néoplatonisme, de Pétrarque et du pétrarquisme, mais très étranger à notre littérature contemporaine. L’introduction générale (pp. 7-102) synthétise les recherches sur ce roman à la lumière des vues nouvelles et pertinentes des membres de cette équipe. Elle commence par des repères biographiques et sociologiques, éclairant le « ‘climat’ qui forme le contexte dont l’empreinte reste sensible dans L’Astrée » (p. 9). Le romancier est marqué par sa famille, l’enseignement reçu au collège de Tournon et la condition sociale de l’aristocratie militaire. Auerbach rattachait la vie littéraire du siècle classique surtout à la noblesse de robe, mais d’Urfé a composé son roman « pendant les espaces de loisir d’une vie militaire » (p. 13). Il s’approprie la tradition pastorale et l’enrichit dans L’Astrée « d’une matière romanesque » (p. 15). En transportant l’action en Forez, l’Arcadie, chère un siècle auparavant à Sannazar, cède sa fonction à « la représentation idéale, en miniature, du royaume de PFSCL XXXIX, 76 (2012) 260 France » (p. 21). D’Urfé s’écarte de la Diana de Montemayor en focalisant son roman sur les amours de Céladon et d’Astrée, que le titre érige en personnage-clé, tandis que les nombreuses histoires enchâssées amplifient le fil conducteur de l’intrigue principale par l’écho des histoires insérées qui « servent toujours à modifier, éclairer et juger la situation des personnages placés au premier plan du roman » (p. 31). L’introduction vante « l’art du récit » (p. 33) en y rattachant la problématique de finir ce roman (pp. 34- 39) ainsi que de ses ‘ornements’ : les poésies lues ou récitées, les lettres et les énoncés sentencieux, mis en évidence par des guillemets selon la pratique originaire des imprimeurs. L’Astrée introduit le lecteur dans l’art de pratiquer les lieux communs, art fort apprécié à l’époque, toujours très présent dans les Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand touffues de sentences, mais peu connu aujourd’hui. Les poésies, qui parsèment les histoires, s’inspirent de modèles italiens. Si d’Urfé s’approprie les formes de Pétrarque, il décalque même des poèmes du Tasse auquel il « emprunte le plus régulièrement » (p. 41), remarque qu’il faut retenir pour relativiser le verdict de Boileau qui le qualifie de « clinquant du Tasse ». Dès la deuxième et la troisième partie de L’Astrée, il devient malaisé de « déterminer si tel poème a été d’abord composé pour le roman ou dans le cadre d’un recueil collectif » (p. 43), d’où résulte la difficulté d’interpréter les « remaniements spectaculaires » (p. 43), indices de l’importance que l’auteur attribuait à ces poésies en tant que registres privilégiées du message à transmettre par la fiction. L’introduction (et les notes) éclairent la matière historique et la doctrine de l’amour (pp. 47-57) mais récusent toute « lecture référentielle » (p. 58), qui remonte à une lettre de Huet à Mlle de Scudéry et à un essai de Patru transformant le mariage de raison du romancier avec Diane de Châteaumorand en « idylle matrimoniale » (p. 59). « Le règne d’Astrée », tel l’intitulé d’une section importante consacrée à son influence sur le monde littéraire et les mœurs (pp. 61-73), survit à l’Ancien Régime bien que son omniprésence se retreigne au XVII e siècle. L’histoire éditoriale complexe de 1607-1647 est bien illustrée par un schéma (pp. 92-95) ainsi que celle de la première partie (p. 100). Les états textuels de la première partie sont liés au succès fulminant de l’œuvre et aux stratégies de son exploitation économique. Les éditeurs supposent « que certains remaniements ont été dictés par la seule volonté d’obtenir la prolongation du premier privilège » (p. 97), aussi décrivent-ils les vicissitudes des libraires. Ils identifient « six états successifs du texte » (p. 97), dont le dernier de 1627 est « attribuable à Balthasar Baro » (p. 97), et ils ne réservent une signification d’ordre littéraire qu’aux trois premières. Leur choix retient le texte de l’édition de 1612 en format in-8 o , celle en format in-4 o étant « beaucoup plus fautive » (p. 99). Ils corrigent pourtant Comptes rendus 261 les erreurs de ce texte par la leçon de 1607 et 1610 comme par exemple dans la phrase : « […] je partis si secrettement sur le commencement de la nuit, qu’avant le jour je me trouvay [au lieu de trouveray] fort esloignée » (pp. 432). Ces principes d’édition convainquent pleinement. On ne peut que féliciter Delphine Denis et son équipe de cette édition magistrale et espérer qu’elle sera couronnée du succès d’un retour massif à ce chef-d’œuvre trop peu connu de la littérature mondiale. Volker Kapp Anne Duprat : Vraisemblances : Poétiques et théorie de la fiction, du Cinquecento à Jean Chapelain (1500-1670). Paris : Honoré Champion, 2009 (« Bibliothèque de littérature générale et comparée », 79). 408 p. Ce livre à la fois dense et fascinant, version remaniée de sa thèse de doctorat, vient s’ajouter à d’autres travaux récents d’Anne Duprat, surtout son édition de La Constitution de la tragédie de Daniel Heinsius, 1611 (2000) et celle des Opuscules critiques de Jean Chapelain (2007). Ces deux auteurs serviront à étayer la charpente de sa deuxième partie, consacrée aux poétiques de la vraisemblance entre 1560 et 1660. Dans une première partie qui examine la période de 1480 à 1570, Duprat analyse de nombreux théoriciens italiens du Cinquecento dont les conceptions de la poésie insistent d’abord sur la rhétorique comme base de la fiction avant de chercher à définir celle-ci comme un domaine autonome qui dépend non pas de la mode de la représentation mais d’une différence dans l’objet imité ou dans la façon dont il est exprimé. La redécouverte de la Poétique d’Aristote dans une série de commentaires à partir d’une édition vénitienne de 1481 permet la construction d’une doctrine qui voit la poésie comme l’imitation d’actions, de passions et de comportements qui visent ce qui est approprié, dans un programme qui combine l’éthique et l’esthétique. Pour les premiers théoriciens transalpins, il s’agit de conceptualiser la poésie comme génératrice de plaisir, que l’invention soit basée sur le vrai universel, sur l’allégorie ou sur le persuasif, à la manière aristotélicienne ou horatienne. Chez Scaliger, par exemple, la « poétique de la diction » implique, dans la création, la suprématie du langage, des mots qui sont à l’origine des choses plutôt que des choses traduites par des mots (p. 67). Dans son travail d’invention, au lieu de créer de nouveaux sujets, le poète imite ce qui a déjà été écrit, confondant sou-