Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2012
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Anne Duprat: Vraisemblances: Poétiques et théorie de la fiction, du Cinquecento à Jean Chapelain (1500-1670). Paris: Honoré Champion, 2009 («Bibliothèque de littérature générale et comparée», 79). 408 p
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Christopher Gossip
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Comptes rendus 261 les erreurs de ce texte par la leçon de 1607 et 1610 comme par exemple dans la phrase : « […] je partis si secrettement sur le commencement de la nuit, qu’avant le jour je me trouvay [au lieu de trouveray] fort esloignée » (pp. 432). Ces principes d’édition convainquent pleinement. On ne peut que féliciter Delphine Denis et son équipe de cette édition magistrale et espérer qu’elle sera couronnée du succès d’un retour massif à ce chef-d’œuvre trop peu connu de la littérature mondiale. Volker Kapp Anne Duprat : Vraisemblances : Poétiques et théorie de la fiction, du Cinquecento à Jean Chapelain (1500-1670). Paris : Honoré Champion, 2009 (« Bibliothèque de littérature générale et comparée », 79). 408 p. Ce livre à la fois dense et fascinant, version remaniée de sa thèse de doctorat, vient s’ajouter à d’autres travaux récents d’Anne Duprat, surtout son édition de La Constitution de la tragédie de Daniel Heinsius, 1611 (2000) et celle des Opuscules critiques de Jean Chapelain (2007). Ces deux auteurs serviront à étayer la charpente de sa deuxième partie, consacrée aux poétiques de la vraisemblance entre 1560 et 1660. Dans une première partie qui examine la période de 1480 à 1570, Duprat analyse de nombreux théoriciens italiens du Cinquecento dont les conceptions de la poésie insistent d’abord sur la rhétorique comme base de la fiction avant de chercher à définir celle-ci comme un domaine autonome qui dépend non pas de la mode de la représentation mais d’une différence dans l’objet imité ou dans la façon dont il est exprimé. La redécouverte de la Poétique d’Aristote dans une série de commentaires à partir d’une édition vénitienne de 1481 permet la construction d’une doctrine qui voit la poésie comme l’imitation d’actions, de passions et de comportements qui visent ce qui est approprié, dans un programme qui combine l’éthique et l’esthétique. Pour les premiers théoriciens transalpins, il s’agit de conceptualiser la poésie comme génératrice de plaisir, que l’invention soit basée sur le vrai universel, sur l’allégorie ou sur le persuasif, à la manière aristotélicienne ou horatienne. Chez Scaliger, par exemple, la « poétique de la diction » implique, dans la création, la suprématie du langage, des mots qui sont à l’origine des choses plutôt que des choses traduites par des mots (p. 67). Dans son travail d’invention, au lieu de créer de nouveaux sujets, le poète imite ce qui a déjà été écrit, confondant sou- PFSCL XXXIX, 76 (2012) 262 vent histoire et poésie. Rares sont ceux qui, au milieu du XVI e siècle, estiment qu’il peut feindre à partir de rien, et là encore il s’agit d’imiter un objet déjà donné comme fictif plutôt qu’un objet vrai. Le deuxième Cinquecento, influencé par le Tasse, se tourne vers l’édifiant et le vraisemblable dans un effort pour donner une autonomie et une rationalité aux produits artistiques et à la technique qui les régit. Les éléments merveilleux de la poésie épique chrétienne peuvent coexister, comme au théâtre, par exemple, avec la notion de vraisemblance vue comme une série de faits. Pour Daniel Heinsius, il s’agit de réunir les théories aristotéliciennes et néo-platoniciennes de la littérature dans une même poétique de la fable régulière. Passant sous silence les commentaires du Tasse, de Castelvetro et autres, et essayant de défendre la tragédie profane contre les attaques calvinistes, Heinsius doit repenser les fondements de la mimesis, la relation entre l’art et la nature. Pour lui, la catharsis est une réaction passionnelle plutôt qu’intellectuelle, une remise en ordre des passions. Pour atteindre ce but, il faut construire un dispositif aussi complexe que possible, monter un mécanisme qui produit un effet ménagé par le poète entre l’émotion humaine et la mécanique de l’intrigue. Il est donc question de régularité plutôt que de simplicité classique. Les poéticiens français du XVII e siècle abandonnent la poésie comme ayant une place parmi les sciences du discours et traitent la fiction littéraire (pièces de théâtre, romans, nouvelles) comme le résultat d’un usage de l’imagination. Chez Chapelain, dont les écrits s’échelonnent sur une cinquantaine d’années à partir de 1619, la Lettre à Godeau sur la règle des 24 heures de 1630 établit un lien entre imitation, plaisir et vraisemblance, où celle-ci est définie par l’adhésion du spectateur à ce qu’il voit, et justifie ainsi l’emploi des règles en poésie (p. 321). Au vraisemblable ordinaire, comprenant ce qui arrive aux hommes tous les jours, on peut ajouter la vraisemblance extraordinaire, celle de choses qui arrivent rarement, qui surprennent mais qui sont produites par un enchaînement logique (p. 325). Ainsi sont conciliées l’imagination et la raison, aboutissement de cette progression qui mène de l’humanisme italien au classicisme français. On peut regretter que l’ouvrage monumental de Teresa Chevrolet sur l’idée de fable (2007) trouve sa place dans l’abondante bibliographie mais que ses arguments ne sont pas examinés. Vraisemblances est déparé aussi par un nombre assez important de coquilles, qui disparaîtront sans doute dans un deuxième tirage. Car cette étude restera comme un indispensable instrument de travail pour tous ceux qui s’intéressent aux théories de la fiction, aux origines de la littérature, séparée de l’histoire et de la rhétorique. Christopher Gossip