Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2012
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Laure Gauthier: L’Opéra à Hambourg (1648-1728): Naissance d’un genre, essor d’une ville. Préface de Dominique Bourel. Paris: PUPS, 2010. 414 p
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2012
Marie-Thérèse Mourey
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Comptes rendus 263 Laure Gauthier : L’Opéra à Hambourg (1648-1728) : Naissance d’un genre, essor d’une ville. Préface de Dominique Bourel. Paris : PUPS, 2010. 414 p. Très beau sujet que celui de ce livre, issu d’une volumineuse thèse de doctorat, qui s’inscrit dans le courant de nombreuses recherches menées sur les « origines » de l’opéra allemand au XVII e siècle. Son originalité consiste à se pencher, non pas sur le milieu des cours princières d’Allemagne centrale, déjà bien étudiées, mais sur un cas atypique, celui d’un opéra urbain et bourgeois, né en outre dans le Nord du Saint-Empire, à Hambourg. Le fulgurant essor économique et commercial de la cité hanséatique au sortir de la guerre de Trente Ans, la structure très composite de sa population, et la force conférée par son statut éminent de « Ville libre d’Empire » constituaient sans nul doute un terreau favorable à la naissance d’un lieu spécifiquement dédié aux spectacles lyriques, ainsi qu’au développement d’un genre nouveau, l’opéra, qui ne s’était encore illustré qu’épisodiquement et de manière imparfaite en langue allemande, et en milieu curial. Il y avait là un défi multiple à relever, et d’emblée, ce « théâtre d’opéra » à naître fut conçu comme instrument de la politique de représentation que la république marchande entendait développer à son profit. Pour autant, les obstacles étaient de taille ; en dehors des aspects financiers, essentiels à la réussite de l’entreprise, ils tenaient au facteur confessionnel. Le nouveau genre, d’origine italienne, portait l’empreinte du catholicisme et de ses dangereuses séductions, ce qui ne pouvait que susciter l’hostilité d’une partie du clergé luthérien de la ville, influencé par le piétisme à ses débuts. Alors que la ville avait une tradition bien ancrée de musique sacrée, la défiance était grande envers un genre nouveau et profane, nourrissant le fantasme d’une résurgence du paganisme. Néanmoins, grâce aux efforts conjoints des promoteurs de l’entreprise (compositeurs, librettistes et bourgeois aisés, mais aussi le duc Christian Albrecht de Schleswig), l’« Opéra du Marché aux Oies » (Gänsemarktoper), premier théâtre privé sur le sol allemand, réussit à ouvrir ses portes en 1678. Jusqu’à sa fermeture en 1738, quelque 250 œuvres lyriques en langue allemande furent représentées. La renommée de l’institution se propagea bientôt à travers tout l’espace germanique, faisant figure de modèle pour d’autres établissements créés peu après, à l’instar de l’opéra de Leipzig, ouvert en 1693. Composé en 5 grands chapitres, l’ouvrage retrace tout d’abord l’essor de la musique dans la ville avant la création de l’opéra, puis l’échec du projet opératique dans les cours luthériennes durant cette même période, avant d’en venir à l’examen du répertoire de l’Opéra de Hambourg lors de sa PFSCL XXXIX, 76 (2012) 264 première phase, depuis sa création en 1678 jusqu’en 1689. Le chapitre IV est consacré à l’analyse minutieuse des principaux pamphlets ayant défrayé la chronique. Le dernier chapitre examine la phase suivante (1690-1727), où l’opéra public, ayant reçu l’approbation des facultés de théologie, semble avoir triomphé des obstacles et finit par s’institutionnaliser, connaissant alors un grand rayonnement au-delà même des frontières du Saint-Empire. Très vaste et riche, cette étude impressionne par l’ampleur des champs abordés (histoire politique, religieuse et culturelle, de la musique et de la littérature, esthétique, théologie...), par le nombre de sources rares consultées, et par son érudition. Pour autant, la composition révèle des déséquilibres ; la première partie, qui ne porte que sur les prémices (et prémisses...), aurait pu être resserrée. La conclusion ne lève pas la contradiction quant au « terminus ad quem » de l’étude, 1728, comme l’annonce le titre, ou 1738, alors que l’opéra ferme ses portes. En revanche, les chapitres III et IV, respectivement consacrés à la subordination de l’esthétique à l’éthique et à la « querelle de l’opéra », révèlent ce qui constitue la véritable spécificité (luthérienne, urbaine, bourgeoise) de cette institution et le cœur du problème : la tutelle encore très lourde des théologiens dans la moralisation de la vie publique. La violente querelle dite « des adiaphora », qui toucha tous les types de divertissements profanes, décriés comme « vanités mondaines », obligea les avocats du nouveau genre à favoriser la création de spectacles chrétiens, comme les « opéras bibliques ». Mais l’institution fut également la cible de certains groupes sociaux qui critiquèrent la politique dispendieuse du Conseil de la ville au nom d’impératifs économiques. Les enjeux de la querelle étaient donc multiples et fort complexes, et l’on apprécie l’analyse fine et approfondie de documents de premier ordre (livrets d’opéras avec leurs prologues, rapports des facultés de théologie, écrits polémiques dus aux différents camps en présence, Elmenhorst et Reiser notamment), malgré les redites ou la paraphrase à laquelle cède souvent la démonstration. L’ouvrage porte encore l’empreinte d’une « thèse » à défendre, en l’occurrence celle de « l’idéal-type » qu’auraient constitué le genre opératique développé à Hambourg et l’institution elle-même aux yeux du monde germanique. L’on ne peut nier que la Ville sut développer une culture urbaine originale, voire exceptionnelle, qui lui permit de maintenir son opéra durant six décennies, et de devenir un centre majeur de la vie musicale dans l’Empire. Toutefois, la thèse d’un « échec » préalable du « projet » opératique des cours luthériennes (en l’occurrence, celles de Brunswick- Wolfenbüttel et de Hanovre) laisse sceptique, tout comme celle d’une « influence » unique du modèle de Hambourg sur les princes de l’Allemagne luthérienne qui avaient songé depuis bien longtemps à se doter d’un Opéra, Comptes rendus 265 et déjà regardé du côté de l’Italie et de la France... ! . Les deux notions-clés sont contestables dans ce contexte alors qu’elles sont convaincantes dans le cas d’un compositeur tel que Heinrich Schütz, à Dresde, et de ses différentes collaborations avec des librettistes chargés d’adapter la langue allemande aux nécessités du nouveau genre lyrique. Les cours princières avaient surtout le projet de développer une politique de représentation à la hauteur de leurs ambitions, ce qui incluait, en dehors des Lettres allemandes en général, et des formes durables de représentation (châteaux, résidences, jardins, collections précieuses, etc.) toutes les formes possibles de spectacles (parlés, chantés, dansés, mimés, masqués, pyrotechnies, etc...), si possibles grandioses. L’opéra, dans le sens restreint et purement générique utilisé ici par Laure Gauthier (et la persistance de l’ambiguïté sémantique est gênante), ne constituait qu’un aspect parmi d’autres, certes important, de cette politique culturelle. La situation en milieu curial ou urbain diffère quant aux présupposés et quant aux objectifs. Dans le premier cas, le spectacle relève encore de la circonstance, à laquelle il doit s’adapter, y compris dans les dimensions matérielles et techniques (artistes disponibles, personnes princières impliquées, nature de l’événement, finances, etc.). Souvent unique, rarement repris, il relève de la performance éphémère, mais hautement symbolique. En milieu urbain en revanche, et surtout pour un théâtre porté par des investisseurs privés, il s’agit d’entrée de jeu de pérenniser l’entreprise en élaborant un répertoire qui tienne compte des goûts (changeants...) et des aversions du public, très mixte (donc aux attentes contradictoires), voire des modes (la galanterie) afin de satisfaire à l’impératif économique de rentabilité, sans rien céder sur les exigences esthétiques. En dehors de problèmes de gestion, ce sont en grande partie ces erreurs stratégiques de programmation et l’absence d’innovation qui finiront, malgré l’engagement de musiciens comme Mattheson ou Telemann, par causer la fermeture de l’établissement en 1738, ce dont la conclusion rend clairement compte. Quant à l’étude de quelques opéras festifs, consacrés à la célébration des Habsbourg, elle fait trop peu de place à l’autre grande puissance d’alors, le Brandebourg, grand rival des Habsbourg. La principauté électorale soutint pourtant à plusieurs reprises la ville de Hambourg contre les agressions danoises. Et sa tolérance en matière religieuse était connue. Il était donc diplomatiquement prudent de rendre également hommage à ce puissant voisin. C’est la raison de deux grandes fêtes qui furent données, pour l’une en 1701, lors de la création ex nihilo du royaume « en » Prusse (un ballet, qui connut des reprises, mais passé ici sous silence), pour l’autre en 1708 (à l’occasion des 3 e noces du roi Frédéric I er ), un opéra, Bellerophon (d’après Thomas Corneille), trop brièvement mentionné (p. 358). PFSCL XXXIX, 76 (2012) 266 Mais il y a encore plus ennuyeux. De nombreuses inexactitudes, confusions ou anachronismes trahissent une négligence regrettable, tout comme une accumulation d’erreurs factuelles doublées de contradictions à quelques pages ou même lignes d’intervalle : le duc Anton Ulrich n’est pas né en 1645 (p. 110), mais en 1633 ; il se voit qualifié successivement de « plus jeune petit-fils » du duc Auguste (p. 107), puis de plus jeune des trois fils du duc, et de son épouse Sophie Elisabeth (p. 111), alors que cette dernière n’est que la belle-mère d’Anton Ulrich (p. 111 toujours ! ) et qu’il est le second fils du duc Auguste. Ce dernier meurt en 1665 (p. 113) puis en 1666 (p. 115). Les textes des ballets et mascarades dus à Morhof sont attribués (p. 118) à sa poétique, Unterricht von der deutschen Sprache, alors que l’auteur les a fort logiquement inclus dans son recueil de poésies, les Teutsche Gedichte. Les considérations poétologiques, en revanche, se trouvent bien dans le Unterricht (mais curieusement, Laure Gauthier ne cite pas d’après cette édition, p. 122 ? ), et démontrent au reste que Morhof conçoit clairement ces spectacles comme des ballets, et nullement comme des opéras. Trop d’incertitudes et de tâtonnements, accompagnés de jugements de valeur déplacés (le ballet n’était pas qu’une « mode »...) fragilisent la démonstration, notamment au sujet des déterminations génériques des œuvres, certes délicates à établir (ballet, opéra-ballet, pastorale, Singspiel, etc.) ou du rôle des divertissements dans l’opéra (lien ou non avec l’action principale, p. 206), alors qu’il aurait été préférable de s’appuyer sur un ouvrage de référence tel que Die Musik in Geschichte und Gegenwart qui curieusement n’est pas mis à contribution, alors que le travail porte sur la musique et sur un genre lyrique développé dans l’espace allemand... ? Les références bibliographiques sont souvent anciennes (pour les deux spectacles dus à Morhof, on regrette l’absence de référence à l’étude majeure de Claudia Schnitzer, Höfische Maskeraden, pourtant parue en 1999), ou citées sans être réellement mises à profit. C’est dommage, car ce travail riche présente un intérêt incontestable, et offre un très bon aperçu sur un aspect encore trop peu connu, mais passionnant de l’histoire culturelle allemande du XVII e siècle. Marie-Thérèse Mourey Larry F. Norman : The Shock of the Ancient : Literature & History in Early Modern France. Chicago & London : The University of Chicago Press, 2011. 260 p. + Bibliography, Index. Larry F. Norman’s The Shock of the Ancient: Literature and History in Early Modern France is only ostensibly an analysis of the quarrel of the Ancients
