eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 39/77

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
121
2012
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Jean Leclerc (éd.): L’Antiquité travestie: anthologie de poésie burlesque (1644-1658(. Édition établie et commentée par Jean Leclerc. Québec (Québec): Presses de l’université Laval/Éditions du CIERL, «Sources», 2010. 549 p. + Annexes, Variantes et corrections, Glossaire, Répertoire des expressions, Index Nominum, Bibliographie

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2012
Claudine Nédélec
pfscl39770556
PFSCL XXXIX, 77 (2012) 5 6 but did not stop it. Patrick Dandrey has provided a thoughtful and deeply personal vision of it all. Orest Ranum Jean Leclerc (éd.) : L’Antiquité travestie : anthologie de poésie burlesque (1644-1658). Édition établie et commentée par Jean Leclerc. Québec (Québec) : Presses de l’université Laval/ Éditions du CIERL, « Sources », 2010. 549 p. + Annexes, Variantes et corrections, Glossaire, Répertoire des expressions, Index Nominum, Bibliographie. Victimes des vers méprisants de Boileau, mépris abondamment orchestré au XIX e siècle par une critique hostile au burlesque, voici bien longtemps que les travestissements du XVII e siècle de l’épopée et de la mythologie antiques n’avaient plus connu les honneurs de la publication, à l’exception notable du Virgile travesti de Scarron (édité par Jean Serroy, Classiques Garnier, 1988), le seul à bénéficier d’une certaine réputation. Sort injuste, et injustifié, car la floraison des travestissements des années 1640-1660 nous dit en fait beaucoup sur tout ce qui dans la langue, les mœurs, les goûts et la littérature du XVII e siècle échappe aux représentations conventionnelles du Grand siècle - du côté de la transgression, ludique ou violente, des normes inextricablement esthétiques et éthiques qui définissent à nos yeux le « classicisme » et le siècle de Louis XIV… à condition de bénéficier de quelques clés de lecture. C’est ce à quoi s’emploie cette édition de J. Leclerc. Il faut donc saluer cette entreprise qui redonne à lire des textes fort rares, choisis parmi la trentaine de travestissements de la période, selon un principe de variété et de rareté (pour l’essentiel, ils n’ont pas été réimprimés depuis le XVII e siècle) : Aventures de la souris (Jean-François Sarasin, vers 1644-1648) ; L’Orphée grotesque et la Suitte de l’Orphée (anonyme, 1649) ; L’Hératotechnie (D.L.B.M., 1650) ; Le Jason incognito (Nouguier, 1650) ; La Nopce burlesque (Jean du Teil, 1651) ; L’Icare sicilien (anonyme, 1652) ; Lucain travesty (Georges de Brébeuf, 1656) ; Juvénal burlesque (François Colletet, 1657) ; La Batrachomyomachie (anonyme, 1658). On peut s’étonner de l’absence des travestissements de Dassoucy, mais ceux-ci mériteraient une édition particulière. Ces textes sont publiés avec un très grand souci philologique : outre les notes de bas de page éclaircissant les allusions à l’actualité contemporaine et les emprunts aux hypotextes antiques (ce qui est complété, en annexe, par quelques traductions d’époque pour Ovide, Lucain et Juvénal), l’édition est accompagnée d’un riche glossaire et d’un relevé des ex- Comptes rendus 5 pressions, à quoi il faut ajouter les pages 15-20 de l’introduction, consacrées à la langue et au style. Jean Leclerc met ainsi particulièrement bien en relief, et nous permet d’apprécier dans toute sa saveur, une caractéristique majeure des textes burlesques, qui est non d’user d’un uniforme « style bas », mais de mêler ensemble tous les lexiques disponibles, avec une grande virtuosité. Cette pratique nous lègue une image riche et complexe d’une langue « dans tous ses états », en nette opposition avec le mouvement d’épuration en cours. En outre, la succession des textes permet d’observer à la fois leurs principes esthétiques communs et leur diversité, ainsi que, si l’on en croit le succès de certains d’entre eux, le goût persistant du public pour « l’hétéroclite et l’extravagant » (p. 8). Variété des hypotextes antiques, combinés entre eux, mais aussi souvent à des hypotextes modernes (voir par exemple Nouguier) ; variété des formes de leur burlesque, plus galant ici (J.-F. Sarasin), plus trivial ou plus grivois là (L’Orphée grotesque, D.L.B.M.), plus enjoué et pittoresque que « bas » ailleurs (Brébeuf, La Batrachomyomachie). Dans son introduction, J. Leclerc souligne d’abord que cette « Fronde littéraire contre les anciens » (p. 7) veut désacraliser ces textes sérieux et admirés, au profit des Modernes, en contribuant à une réflexion en acte sur la translatio studii, qui ne va pas sans une connaissance approfondie de la culture antique. Ces textes posent la question des limites entre traduction, adaptation, et travestissement, ainsi que celle des modèles, et celle, plus cruciale, de la valeur à accorder aux fables, entendons la mythologie, antiques. Car, s’il y a fronde, elle n’est pas seulement littéraire. Non seulement la querelle des Anciens et des Modernes implique des questions d’ordre philosophique sur la part (ou pas) de « vérité » des fables, mais encore, en raison de la situation historique de ces travestissements, elle est aussi politique, plusieurs d’entre eux (une de leurs caractéristiques est la pratique de l’anachronisme) ayant partie liée avec la Fronde (pour ou contre Mazarin, d’ailleurs). Enfin, la fronde est également idéologique, en réaction contre les faux semblants d’un héroïsme qui paraît désormais dérisoire, et au profit d’une défense quelque peu épicurienne du plaisir - de lire. Car il faut dire que ces textes, au-delà de la richesse des informations qu’ils nous donnent sur le second XVII e siècle, sont encore fort plaisants à lire, voire fort drôles. Leur lecture répond donc tout à fait aux objectifs de la littérature dite classique : plaire pour instruire. Claudine Nédelec