Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2012
3977
Daniel Vaillancourt: Les urbanités parisiennes aus XVIIe siècle: Le livre du trottoir. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 2009 («Les collections de la République des Lettres, Série études»). 315 p
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2012
Goulven Oiry
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PFSCL XXXIX, 77 (2012) 5 Daniel Vaillancourt : Les urbanités parisiennes au XVII e siècle : Le livre du trottoir. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2009 (« Les collections de la République des Lettres, Série études »). 315 p. Spécialiste de la théâtralité urbaine et des entrées royales 1 , Daniel Vaillancourt signe un ouvrage passionnant sur les transformations de Paris, d’Henri IV à Louis XIV. La réflexion se noue autour du concept d’« urbanité », lequel désigne les pratiques sociales des Parisiens et les systèmes signifiants qui tissent la cité. Le terme signale une volonté d’apprécier les intrications de l’imaginaire et de la réalité. L’intention de l’auteur est d’interroger les relations entre les pierres et les mots, entre les formes matérielles et les structures sémiotiques, pour éclairer d’un jour neuf les expériences citadines. Le mérite de l’ouvrage est de replacer l’histoire du Grand Siècle dans son « horizon urbain » (page 14) et, inversement, d’inscrire l’évolution de Paris dans ce qui est appelé l’ « économie symbolique » (page 15) de l’époque. Daniel Vaillancourt se défend de faire œuvre d’historien. De fait, le livre déborde l’approche strictement historique par sa méthode aussi bien que par ses références : la très utile et impressionnante bibliographie (pages 299- 315) témoigne d’une approche authentiquement pluridisciplinaire. Le regard critique embrasse un large spectre, qui court de la rhétorique à la sociologie en passant par la philosophie, la théologie et la lexicographie. La variété des sources fait toute la qualité de la recherche. Daniel Vaillancourt fonde souvent sa réflexion sur les prescriptions juridiques, édits et lois relatifs à la gestion urbaine, mais l’analyse s’appuie très largement sur des textes littéraires. « Opérateurs de lisibilité » (page 13), poèmes et romans font ressortir en pleine lumière le sens et la texture discursive de la ville. La démonstration sollicite des classiques : Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, les Fables de La Fontaine, Les Caractères de La Bruyère, le Polyandre et le Francion de Sorel, Le Roman bourgeois de Furetière ou Les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau. Elle commente aussi des textes moins connus : La Pourmenade du Pré aux Clercs (1622), Les Caquets de l’accouchée (1623), Le Cours de la Reyne ou le grand promenoir des parisiens (1649). 1 Voir « Le spectacle du lieu public : éléments d’esthétique urbaine », Les arts du spectacle dans la ville (1404-1721), Paris, Honoré Champion, 2001, pages 205-236 ; Un roi dans la ville. Anthologie des entrées royales dans les villes de province (1615- 1660), Paris, Honoré Champion, 2001 ; « Les entrées royales : urbanité et société au XVII e siècle. Avant-propos », XVII e siècle, n°212, juillet-septembre 2001, pages 379-381 (ces deux derniers travaux ont été écrits en collaboration avec Marie- France Wagner). Comptes rendus 5 L’ouvrage montre qu’à la fin des conflits religieux, l’affermissement de la monarchie va de pair avec une planification normative de la vie parisienne. Sous l’impulsion de Sully et d’Henri IV, l’organisation de la ville repose de plus en plus sur l’efficacité, la communication, la réglementation, les lois de la perspective et de la police de soi. Place doit être faite à la circulation des hommes, des biens et des informations dans le contexte d’une montée en puissance de la bourgeoisie, du capitalisme et de la sécularisation utilitariste. Conjointement, Paris est censée devenir l’écrin du pouvoir « absolu ». Les « lieux de monstration » (page 37) se multiplient. La monumentalisation est à l’ordre du jour, de la construction de la Place Dauphine à l’installation de la cour à Versailles. Vaillancourt prouve néanmoins que la mise au pas des bouillonnements citadins reste très largement de l’ordre du fantasme. L’ordonnancement classique ne se concrétise que progressivement et très partiellement. Seuls quelques quartiers emblématiques - l’île de la Cité articulée autour du Pont Neuf, la Place Royale et ses environs immédiats, les alentours du Louvre et du faubourg Saint-Honoré - ressortissent à la police urbaine rêvée par les maîtres des temps nouveaux. Ces oasis font figure de quadrillage d’avantgarde au sein d’une ville fondamentalement disparate et grouillante. La bigarrure demeure irréductible. Uniformité, régularité et alignement ne constituent finalement que l’exception. La tension vers une fluidité accrue n’empêche pas la persistance des fameux « embarras » que stigmatisent, goguenardes, les plumes satiriques. L’idéologie de l’ordre reste virtuelle. Sa réitération, dans les textes technocratiques, tend à montrer qu’elle ne cesse de se heurter à une réalité rugueuse. Les relations sociales de proximité, dans leur diversité, gardent de beaux jours devant elles. Le premier chapitre (« Le Pari d’Henri IV ») travaille à saisir la façon dont la royauté investit la capitale, et notamment le Louvre, au lendemain des guerres civiles. La section suivante (« La maîtrise des voies ») est centrée sur la figure de Sully et explique les attributions de la fonction de Grand Voyer - telles que les définissent les édits de 1599, 1603 et 1607. Le raisonnement dégage alors les soubassements philosophiques et symboliques de la nouvelle pensée urbaine (« Paris au tournant de l’urbanité »). Ce qui est appelé par ailleurs la « protestantisation des esprits » (page 75) va de pair avec le développement de l’appareil d’Etat et la promotion de l’urbanisme. Le rationalisme et les théories de l’honnêteté concourent aussi puissamment à l’émergence d’une sociabilité proprement citadine, modelée par les jeux de rôles et la maîtrise des passions. Le chapitre quatre (« Le fil de la rue ») prolonge directement le précédent en décrivant les principes de l’urbanité dominante. Géométrisation, théâtre et PFSCL XXXIX, 77 (2012) 56 vitesse en sont les maîtres mots. Le cartésianisme appliqué à la ville vise au désencombrement de la rue. Le travail sur le corps fait valoir la propreté du vêtement et refluer les pulsions agressives. La « mise en façade » (page 130) concerne les maisons autant que les sujets curialisés. Elle oriente la cité tout entière vers une « pragmatique du spectacle » (page 131). La « civilisation des mœurs » chère à Norbert Elias passe par l’urbanisation ; elle repose sur l’enracinement de structures de contrôle. Les quatre chapitres finaux partent de formes matérielles ou sociales minimales, procédant en quelque sorte par induction. L’approche a souvent quelque chose de fascinant : elle excelle à extraire la signification des petites choses. Le chapitre cinq, intitulé « La rue et ses matières », concerne le refoulement des boues au profit du pavé. Le chapitre six (« La rue et son personnel ») décline les destins que la modernité citadine réserve aux différentes classes de la société. La bourgeoisie est à l’initiative des changements, dont elle bénéficie pleinement. L’esprit de la ville entre en résonance avec son éthique. Le peuple et la noblesse subissent à l’inverse les inflexions apportées par l’urbanité dominante, pour des raisons différentes. La foule itinérante, des pauvres aux filous, essuie une vague de répression. La stratégie de la criminalisation la conduit vers l’Hôpital général. Il s’agit d’écarter de la rue et de confiner une masse qui « embarrasse ». La noblesse, quant à elle, s’intègre difficilement à une cité-théâtre qui s’avère à la fois trop petite et trop artificielle pour lui permettre assouvir ses aspirations héroïques traditionnelles. Elle est cependant peu à peu happée par le monde nouveau, fondé sur la puissance des simulacres. Le chapitre sept (« Histoire de pieds ») s’attache à décrypter les façons de marcher. Il s’intéresse aux pas, aux bottes, aux promenades. Il caractérise le premier trottoir, érigé sur le Pont Neuf, comme un dispositif dédié au spectacle, au commerce, aux flux en tous genres. Certainement rattrapé lui aussi par la loi de la vitesse, le parcours se clôt sur des « histoires de roues ». Le chapitre huit rappelle qu’au XVII e siècle, le carrosse, signe de prestige, peine à se faire accepter dans les rues de Paris. Daniel Vaillancourt tire profit d’une lecture minutieuse des historiens de Paris ainsi que des nombreuses études consacrées, depuis les années 1990, à la civilité, à l’honnêteté et au savoir-vivre. Sur le plan des références, d’aucuns regretteront que l’auteur n’aille pas au bout de sa logique de décloisonnement scientifique. Les argumentations des philosophes de la ville et des urbanistes auraient pu être intégrées au corpus. Or seuls Richard Sennett et Lewis Mumford se trouvent allégués et médités. Il est également curieux que la recherche, extrêmement attentive à la dimension spectaculaire de l’expérience urbaine, fasse relativement peu de cas des œuvres Comptes rendus 56 dramatiques 2 . Si la vie citadine s’avère bel et bien pétrie par une théâtralité croissante, ne serait-il pas judicieux de sonder, en miroir, les représentations que le théâtre peut offrir de la ville ? Sur le plan de la forme, une somme d’erreurs et de circonvolutions syntaxiques ralentit sensiblement la lecture. Une réédition corrigée de l’ouvrage est annoncée. La démarche serait bienvenue : elle ferait définitivement ressortir l’extrême intérêt de la réflexion. Goulven Oiry 2 Seul Le Bourgeois gentilhomme est cité.