Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2013
4078
Jan Clarke, Pierre Pasquier, Henry Phillips (éds.): La Ville en scène en France et en Europe (1552-1709). Bern: Peter Lang, 2011 («Medieval and Early Modern French Studies», vol. 8). 225 p
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2013
Goulven Oiry
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COMPTES RENDUS PFSCL XL, 78 (2013) Hélène Baby (éd.) : Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre. Paris : Champion, 2011. 675 p. + Annexes, Bibliographie, Index. Cette édition critique est une réimpression sans changements de l’ouvrage d’Hélène Baby publié en 2001, la première édition de La Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac depuis celle de Pierre Martino (1927). Paru le 6 octobre 2011, le livre broché fait partie de la série Littératures des Éditions Champion. L’édition comporte une introduction, les variantes de la première édition de 1657, plus de 1.000 notes et une analyse critique intitulée Observations sur la Pratique du théâtre. Trois dissertations qui suivaient La Pratique dans l’édition originale sont présentées en annexe : l’Analyse d’Ajax, le Jugement de Penthée et le Projet pour le Rétablissement du Théâtre Français. L’édition est présentée avec grand soin. Les notes marginales de d’Aubignac sont maintenues à la place où elles se trouvent dans le texte originale. L’ouvrage comporte une bibliographie divisée en cinq catégories : les œuvres antiques ; les textes théoriques des XVI e et XVII e siècles ; les œuvres dramatiques du XVII e siècle ; les œuvres de d’Aubignac ; les textes critiques postérieurs à 1700. Il est regrettable que, sur la liste des œuvres de l’abbé, la réimpression comporte deux erreurs que l’on retrouve dans l’édition de 2001. Premièrement, le libraire de la tragédie en prose La Pucelle d’Orléans, de l’abbé d’Aubignac, est Targa et non Sommaville et Courbé, qui publièrent l’adaptation en vers de la pièce (724). La première cote qui est indiquée par Baby, [Yf.1152], correspond à un exemplaire à la Bibliothèque nationale de France de la pièce versifiée par Benserade ou La Mesnardière. En second lieu, la cote indiquée pour la tragédie en prose de d’Aubignac La Cyminde ou les deux victimes, [Rf.5370(2)], est celle de l’adaptation en vers par Colletet (723). Les cinq index à la fin de l’édition sont d’une grande utilité, permettant au lecteur de rechercher les noms et les œuvres cités dans La Pratique du théâtre et dans le reste de l’ouvrage, ainsi que les notions dramaturgiques contenues dans La Pratique. L’introduction de l’ouvrage présente de façon concise une biographie de d’Aubignac, « le seul au XVII e siècle à traquer ce qu’on appelle aujourd’hui la théâtralité » (20). Les principes éditoriaux de l’édition y sont précisés : modernisation complète de l’orthographe, respect de l’orthographe des noms propres et de l’usage des majuscules aux noms communs, aucune modification d’ordre syntaxique, respect de la ponctuation du remaniement manuscrit de l’abbé. Baby choisit d’utiliser un système de ponctuation pour signaler les changements effectués par d’Aubignac dans le texte corrigé : des crochets pour les passages enlevés, des chevrons pour les lettres et les mots modifiés. Comme l’affirme Baby elle-même (29), cette approche pourrait PFSCL XL, 78 (2013) 198 importuner certains lecteurs qui préféreraient peut-être des appels de notes aux deux versions juxtaposées du texte. L’ouvrage de Baby est très impressionnant. Les nombreuses notes en bas de page servent à élucider le texte, traitant de façon détaillée les éléments langagiers distinctifs, les sources et les références savantes. En outre, les citations latines, grecques et italiennes présentées par d’Aubignac en notes marginales sont traduites par Baby dans ses propres notes, identifiant, le cas échéant, l’inexactitude des passages ou des références erronées. À la note 198 du Livre Premier, par exemple, Baby déclare : « Cette référence à Scaliger est fautive. Il s’agit du chapitre III, 26 intitulé Prudentia, et non du chapitre IV, 26. De même, d’Aubignac supprime quelques lignes au sein du passage qu’il cite » (194). Cette érudition rigoureuse est caractéristique de l’ouvrage tout entier. Bien que la doctrine aubignacienne soit traitée en détail dans les Observations, certaines questions dramaturgiques sont aussi abordées dans les notes en bas de page. Parlant de la notion de l’unité de l’action chez d’Aubignac, l’auteur affirme : « Il est remarquable que le sens de la subordination d’une intrigue à l’autre soit si mal perçu. [...] D’Aubignac décrit en fait, et à juste titre, une action une, où l’épisode appartient sans conteste à l’intrigue principale, qu’il nourrit et qu’il dénoue : partant, la notion d’épisode disparaît » (152). Les commentaires de Baby, pénétrants et mesurés, ne résistent pas toujours à la tentation de se moquer un peu de notre abbé. Lorsque d’Aubignac se prononce sur les « histoires à deux fils », Baby déclare : « Il n’y a vraiment que lui qui sache composer une intrigue ! » (152). Ailleurs, elle souligne de nouveau l’égoïsme du théoricien : « Mais cela ne veut pas dire [...] que, dans la Querelle des Anciens et des Modernes, d’Aubignac eût défendu les premiers nommés ; car il existe à ses yeux au moins un Moderne capable d’égaler et de surpasser les Anciens : lui-même ! » (561) Ces remarques pleines d’esprit sont à la fois instructives et rafraîchissantes. Un des aspects les plus notables de l’édition de Baby est les 182 pages d’analyse critique intitulés Observations sur La Pratique du théâtre. Avec une vaste érudition, l’auteur présente une étude perspicace du système dramaturgique aubignacien. Les Observations se composent de trois sections : I. Poétique critique ; II. Les Lieux de mémoire ; III. D’Aubignac et Corneille, ou de la vraisemblance. L’analyse méticuleuse et approfondie de Baby lui fait subdiviser les trois sections en plusieurs catégories, qui sont par la suite, elles aussi, subdivisées, agencement qui pourrait gêner certains lecteurs. L’auteur examine d’abord la question de l’ambivalence du destinataire de La Pratique, affirmant qu’avec cet ouvrage, l’abbé écrit « sa propre légitimation en tant que dramaturge » (513), le destinataire étant et le poète dramatique et le critique savant. En outre, d’Aubignac crée un public très large, évo- Comptes rendus 199 quant parfois un spectateur/ lecteur naïf, parfois un récepteur savant. Baby en conclut que le traité théorique est écrit pour « un destinataire privilégié, qu’il est facile de confondre avec le poète dramatique établi (reconnu ou à venir) » (502). Identifiant les nuances et les incohérences de la méthode critique de l’abbé, Baby réussit remarquablement à démontrer que La Pratique se fonde sur la raison substituée à l’autorité des Anciens, mais que cette raison est celle de d’Aubignac lui-même, qu’il propose comme « ultime référence du bon sens » (552-553). Dans la section intitulée Les Lieux de mémoire, Baby soutient que malgré les nombreuses citations grecques et latines en notes marginales, d’Aubignac n’a probablement jamais lu les auteurs antiques qu’il évoque, à l’exception d’Aristote, se fiant aux écrits d’Athénée et du père Jules-César Boulenger pour les références savantes. Le silence absolu sur Jean Chapelain dans La Pratique démontrerait l’égoïsme de l’abbé, qui préfère vanter ses connaissances des Italiens du XVI e siècle, plutôt que de citer les ouvrages français de ses contemporains. Dans la troisième section des Observations, Baby nous rappelle que, malgré les quelques reproches des œuvres de Corneille, La Pratique du théâtre de 1657 était un véritable éloge du grand dramaturge. La décision de Corneille de répondre à d’Aubignac sans jamais le nommer signifierait un désir de laisser l’abbé dans l’obscurité, « moins une opposition théorique absolue que la crainte de laisser apparaître la moindre parenté intellectuelle » (626). Examinant la notion du vraisemblable, Baby soutient que la véritable différence entre la théorie de d’Aubignac et celle de Corneille porte sur le concept de fiction littéraire : « En effet, Corneille, en affirmant choisir des sujets indépendamment de toutes contraintes littéraires, loin de se soumettre, par un attachement borné, à l’histoire ou au vrai, permet l’avènement de la fiction théâtrale » (658). L’édition de Baby est un magnifique ouvrage qui est indispensable à tous les chercheurs dans le domaine du théâtre français du dix-septième siècle. De façon magistrale, l’auteur réussit non seulement à éclairer La Pratique du théâtre, mais aussi à éclaircir les subtilités et les contradictions du système dramaturgique de l’abbé d’Aubignac. Bernard J. Bourque Jan Clarke, Pierre Pasquier, Henry Phillips (éds.) : La Ville en scène en France et en Europe (1552-1709). Bern : Peter Lang, 2011 (« Medieval and Early Modern French Studies », vol. 8). 225 p. Les actes du colloque intitulé « La Ville en scène : représentations de l’espace urbain dans le théâtre français et européen aux XVI e et XVII e PFSCL XL, 78 (2013) 200 siècles », qui s’est tenu au Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours les 8 et 9 janvier 2009, ont été publiés à la fin de l’année 2011 sous la direction de Jan Clarke, Pierre Pasquier et Henry Phillips. La Ville en scène en France et en Europe (1552-1709) renouvelle considérablement le regard sur la dimension urbaine du théâtre de la fin de la Renaissance et du XVII e siècle. L’introduction de Henry Phillips inscrit le théâtre européen post-médiéval dans le contexte d’une montée en puissance des villes. Le propos pose efficacement un faisceau d’interrogations problématiques. La question centrale est celle de la relation qu’entretient l’art dramatique, notamment dans ses formes comiques, à la réalité sociale. Ce rapport est-il de l’ordre du mimétisme référentiel ou bien de la distanciation affabulatrice ? Entre ces deux pôles, où placer le curseur d’un « réalisme » toujours épineux à évaluer ? Ne faut-il pas déplacer le problème, penser le théâtre comme une forme de re-création de la ville ? Outre ce texte liminaire, Henry Phillips signe une synthèse sur la place de « la ville dans le théâtre français du XVII e siècle ». Le travail cherche à voir si la cité fait office d’« espace dominant » ou d’« espace dominé ». Il établit que le théâtre n’est pas seulement le reflet d’un état de la société urbaine, mais aussi une façon de l’anticiper. La poésie dramatique ne se contente pas d’enregistrer les évolutions sociales, elle peut aussi les induire. Elle serait vectrice d’urbanité plus que simple réceptacle. Le lien entre le théâtre et la ville engage en définitive un rapport d’action-rétroaction. L’approche, pour être stimulante, reste peu explicite - le recours aux textes s’avère limité. Elle laisse de surcroît apparaître un biais problématique : Henry Phillips réduit le « théâtre du XVII e siècle en France » à Corneille et Molière, qui sont eux-mêmes réduits à leurs pièces les plus fameuses - les grandes comédies moliéresques ne sont même évoquées que de façon allusive. L’exception se donne comme représentative de la règle. La démarche est problématique. La contribution de Christian Biet, placée dans le sillage d’Elie Konigson et intitulée « Le Théâtre et la ville / le théâtre est la ville », distingue d’abord deux types de mises en œuvre de la fonction dramatique. Le « théâtre de tréteaux » est assumé par des comédiens professionnels, extérieurs à la cité. Le « théâtre de plateau » est le fait d’amateurs habitant la ville et se présente comme une cérémonie sociale fédératrice. Les acteurs qui viennent de loin sont au Moyen Âge des artisans spécialisés, ce sont eux qui peuvent représenter la ville en l’envisageant de façon critique. Les citadins-comédiens visent de leur côté, par le jeu ritualisé qu’ils assument, à renforcer l’harmonie du corps civique.