Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2013
4078
Véronique Lochert (éd.): André Mareschal, Comédies. Paris: Classiques Garnier, 2010 («Bibliothèque du théâtre français», 2). 408 p
61
2013
Carine Barbafieri
pfscl40780206
PFSCL XL, 78 (2013) 202 Jean-Claude Ternaux décrit la comédie humaniste comme un télescopage du « principe de plaisir » et du « principe de réalité ». L’articulation des motifs amoureux et guerrier, ombres portées d’Eros et Thanatos, reste néanmoins à expliciter. Les « représentations de la ville dans La Foire de Madrid de Lope de Vega (1587) sont au cœur du propos de Juan Carlos Garrot Zambrana. De façon intéressante quoiqu’assez convenue, l’analyse décrypte l’ancrage madrilène de la comédie en prouvant que la représentation de la ville dépasse le stade du simple effet de réalité. La pièce cherche à peindre un « tableau de mœurs » (p. 89) et à « matérialiser la ville sur scène » (p. 95) en sollicitant les imaginations des spectateurs. Dans un article dédié aux rapports entre « espace urbain et espace champêtre dans les comédies pastorales de Rotrou » (La Diane, La Célimène, Le Filandre, La Clorinde, La Florimonde), Sandrine Berrégard établit de manière convaincante la contiguïté des deux espaces, en s’attachant à en décrypter les valeurs symboliques. La recherche en vient à rassembler les espaces citadin et bucolique dans une commune « urbanité ». Marie-Claude Canova-Green quant à elle montre que l’exhibition des gueux dans les ballets se charge non seulement d’une fonction ludique d’exorcisme, mais aussi d’une dimension critique : elle porte une satire corrosive des faux-semblants de la cour (« La Cour des Miracles dans le ballet de cour : du motif pittoresque à la leçon morale »). Le travail de Karen Newman (« De Londres à Paris : l’imaginaire urbain sur la scène comique du XVII e siècle ») prouve, par une enquête minutieuse relative au Palais et à la Place Royale, que l’ancrage topographique des comédies cornéliennes est tout sauf superfétatoire. La chercheuse anglaise insiste sur les fonctionnements commerciaux de l’espace urbain. La Galerie du Palais ou La Place Royale brosseraient un Paris dédié essentiellement à l’échange (marchand) et à la consommation. Le propos a le défaut de réduire la « scène comique » du Grand Siècle à Corneille, mais il a le mérite de répondre tout à fait au titre de ces actes de colloque : les comparaisons tissées avec les City comedies anglaises illustrent à merveille le « caractère profondément européen du théâtre de la Renaissance » (p. 134). Jan Clarke centre son article consacré à « l’espace urbain dans la scénographie du dix-septième siècle » sur deux lieux, la Place Royale et les Tuileries. Elle sollicite en priorité Corneille (La Comédie des Tuileries, La Place Royale, Le Menteur), mais convoque également son frère (L’Inconnu, 1675), ainsi que Rayssiguier (La Bourgeoise, ou la Promenade de Saint-Cloud, 1633 ; Les Thuilleries, 1636), Hauteroche (Le Souper mal-apprêté, 1669 ; La Dame invisible, 1684), Baron (Le Rendez-vous des Tuileries, ou le Coquet trompé, 1685), Biancolelli (La Thèse des Dames, 1695) et Mongin (Les Promenades de Comptes rendus 203 Paris, 1695). Les exemples gagnent en diversité ce que l’interprétation perd en précision. La revue est fort intéressante et agréable à lire. On peut cependant reprocher à l’analyse de se limiter le plus souvent au repérage et à l’explicitation, certes impeccables, des références topographiques. L’ultime partie de la contribution infléchit le point de vue, et pose des jalons stimulants pour une histoire du théâtre classique. Jan Clarke rappelle que l’expansion de l’activité dramatique est liée à celle de la capitale. Elle retrace de façon synthétique le mouvement de construction de salles fermées, depuis la création de l’Hôtel de Bourgogne (1548) jusqu’à l’installation de la Comédie-Française dans la Salle des Machines des Tuileries (1770). Portée par une réjouissante verve humoristique, l’étude que propose William Brooks de « la topographie urbaine dans L’Amant indiscret de Quinault » s’avère également extrêmement minutieuse. A Tours, par Powerpoint interposé, le chercheur anglais avait déployé la logique spatiale de la pièce sur le « plan de Turgot » de 1739 - l’idéal est de lire l’analyse avec ce document sous la main (le lien électronique nécessaire pour envisager cet aller-retour entre le texte et l’image est donné à la page 162). De façon passionnante, William Brooks explique que la comédie sollicite les imaginations du public parisien. Le théâtre ne représente pas la ville à la manière d’un « Blay-Foldex » ou d’un « Michelin dramatique », il procède davantage par « autosuggestion » (p. 173). Le repérage des lieux joue de la connivence avec les spectateurs. Les deux dernières communications portent sur Molière. Michael Hawcroft (« Molière architecte de la société parisienne ») comble en partie le manque d’études sur les représentations de la ville dans son œuvre. Mais le parcours chronologique qu’il propose, qui envisage successivement Le Dépit amoureux, Les Précieuses ridicules, Sganarelle, L’Ecole des Maris, Les Fâcheux, L’Ecole des femmes, La Critique de l’Ecole des femmes et L’Impromptu de Versailles, reste assez classique. Dans le sillage de l’équipe de Georges Forestier, Hawcroft dépeint l’auteur des Fourberies de Scapin comme un auteur d’abord et avant tout « galant ». Molière esquisse une image de Paris susceptible de plaire à son public, la représentation de la ville est le pivot d’une « esthétique de participation » (p. 180) : difficilement contestable, cette conclusion n’en reste pas moins un peu courte. Le travail de Noël Peacock envisage pour sa part la façon dont les metteurs en scène de Molière, au XX e siècle, ont conçu l’ancrage urbain de L’Ecole des femmes et des Fourberies de Scapin. L’article évoque de façon riche et précise les interprétations réalistes, post-réalistes ou métathéâtrales qu’ont données de l’une ou l’autre de ces comédies André Antoine (1908), Jacques Copeau (1917-1920), Charles Grandval (1921), Lucien Guitry PFSCL XL, 78 (2013) 204 (1924), Georges Berr (1924), Louis Jouvet (1936), Fernand Ledoux (1937), Jacques Charron (1961), Jean-Paul Roussillon (1973), Jacques Echantillon (1973), Laslo Marton (1976), Roger Coggio (1981), Jacques Rosner (1983), Bernard Sobel (1985), Jean-Pierre Vincent (1990), Jean-Luc Boutté (1992), Jean-Louis Benoît (1997), Eric Vigner (1999), Jacques Lassalle (2001) et Coline Serreau (2006). La Ville en scène en France et en Europe s’adosse essentiellement aux œuvres de Corneille et de Molière, bien éclairées. Cette focalisation de l’attention sur les « grands » dramaturges du Grand Siècle court toutefois le risque de la généralisation abusive. Les arbres de La Place Royale, de L’Illusion comique et du Menteur en viennent à cacher une forêt largement inexplorée. Or on sait que les arbustes ne sont pas toujours du bois dont Corneille ou Molière aiment à se chauffer. On peut donc regretter que le texte de l’intervention de Véronique Sternberg qui, le 8 janvier 2009, portait sur les comédies du premier XVII e siècle, ne figure pas dans cet ouvrage collectif. On peut également regretter que l’ouvrage ne comprenne ni bibliographie, même succincte, ni conclusion. La logique de ces actes de colloque reste éclatée. Loi du genre ? Il n’en manque pas moins des éléments de synthèse susceptibles de transcender la diversité des contributions. Goulven Oiry François Lasserre : Nicolas Gougenot, dramaturge, à l’aube du théâtre classique. Étude biographique et littéraire, nouvel examen de l’attribution du « Discours à Cliton ». Tübingen : Narr Verlag, 2012 (« Biblio 17 », 200). 200 p. Le livre réexamine le Discours à Cliton et son « Traîté de la disposition », La Comédie des comédiens de Gougenot, La Fidèle Tromperie et Le Roman de l’infidèle Lucrine, du même. François Lasserre apparaît ici comme un critique majeur de la décennie par la cohérence de son travail d’investigation (poursuivi depuis les années 1990) et par la puissance des renouvellements qu’il nous propose. L’un des moteurs du livre est l’attribution du Discours à Cliton à Gougenot et non à Durval. La querelle érudite qui l’oppose à J.-M. Civardi n’est pas anecdotique car - et c’est une des clartés du propos - elle rejoue celle qui opposait à l’époque deux philosophies du théâtre (p. 70 à 78). F. Lasserre a longtemps fait figure de héros solitaire (avec cependant l’appui de Pierre Pasquier) mais son argumentation présente ne semble plus guère laisser de doutes : Comptes rendus 205 D’un bras vengeur et fort, Lasserre va balayant Du parti de Durval les échafauds branlants ! (cf. p. 58) On lui accordera donc maintenant l’attribution à Gougenot du Discours à Cliton. La connaissance progresse. Tant mieux pour tout le monde. On se félicitera au passage que la recherche érudite continue d’avancer sur ses deux jambes : celle de la critique universitaire (dont les voix ont parfois à composer avec les influences sur la carrière de tel ou tel désaccord) et celle de la critique d’amateurs désintéressés, qui, forte d’un honnête héritage la mettant à l’abri du besoin, poursuit son chemin dans une liberté utile à tous. Il faut saluer en F. Lasserre un tel érudit, et saluer sa patiente et courageuse obstination en faveur de Gougenot. Si le lecteur devine en plusieurs occasions qu’il a été blessé des critiques dédaigneuses, il doit le féliciter d’avoir à chaque fois remis l’ouvrage sur le métier et apporté de véritables précisions dans ses argumentations. Mais l’intérêt du livre dépasse cette polémique et fait véritablement émerger un nouvel auteur, avec biographie, œuvre diversifiée, et portrait ! Souhaitons que le personnage attachant de Nicolas Gougenot, chaînon manquant du théâtre français entre Hardy et Corneille, bénéficie de cette étude précise, savante et suggestive, qui ouvre mainte perspective de réflexion sur le théâtre hors des règles chapelaines. Sa biographie de protestant dijonnais, maître calligraphe et inventeur de notre « ronde » moderne, se trouve éclairée de façon extraordinaire. Son portrait intellectuel est enrichi avec finesse et minutie. Né avant 1580, héritier d’une famille ayant eu à souffrir des Ligueurs mais aussi des interdits sur le travestissement, Gougenot fait entrer dans sa réflexion sur le théâtre toute la tradition humaniste renaissante du travail sur soi et de la concorde sociale. Auteur tardif, sans doute à la fois stimulé et interrompu par la cécité, il ne fut ni inconnu ni méprisé par Corneille. La liste de ses ouvrages disponibles est ici augmentée par F. Lasserre de deux odes de qualité, Sur le Ballet du Véritable Amour, à la duchesse de Montmorency, et à son maître d’hôtel, fils du sculpteur Germain Pilon (Appendice A). Le critique nous propose également de façon très convaincante l’élucidation des mystérieuses dédicaces de Corneille dans La Suivante et dans Médée (« à Monsieur P.T.N.G. »). Au total, un certain nombre de points d’histoire littéraire seront donc à revoir à partir de ce livre : sur Corneille, sur Rotrou, Du Ryer, Scudéry, etc., sur l’esprit humaniste et le théâtre des années 1630, sur l’esprit gallican et sur l’héritage des temps de la Ligue, sur les différentes philosophies du « théâtre dans le théâtre » (sociale vs illusionniste), sur la Querelle du Cid.
