Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
61
2013
4078
Aurore Évain, Perry Gethner, Henriette Goldwyn (dir.): Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. Volume 3: XVIIe-XVIIIe siècle. Saint-Étienne: Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2011 («La cité des dames»). 609 p
61
2013
Edwige Keller-Rahbé
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Comptes rendus 207 en 1635, Le Véritable Capitan Matamore, représenté pour la première fois au cours de la saison 1637-1638. Comme celles de Corneille, ces comédies se caractérisent par l’ancrage de la fiction dans l’époque contemporaine, le Paris des années 1630. Toutes deux s’inspirent aussi fortement, à travers le personnage du capitan en particulier, de Plaute qui, s’il n’est traduit en français qu’en 1658, bénéficie de nombreuses adaptations théâtrales dans les années 1630. C’est cette tension entre héritage (antique et humaniste) et modernité qui constitue l’angle d’approche de V. Lochert, qui livre dans les introductions des pièces une étude fondée sur une perspective historique précise, tandis que les textes eux-mêmes sont dotés d’une ample annotation. Le Railleur, qui fut un succès à l’époque, avait déjà retenu l’attention de la critique actuelle qui la considère comme une des premières comédies de mœurs du XVII e siècle : aussi existait-il déjà des éditions critiques modernes de cette comédie qui met en scène, avec un regard satirique, la sociabilité mondaine. L’édition de V. Lochert toutefois, loin d’être redondante, s’avère très utile, extrêmement complète, qui étudie, dans la notice, la création de la pièce (p. 10-20), l’action (« une agréable comédie à l’italienne », p. 20-30) et les personnages (p. 31-64), avec beaucoup de rigueur et d’honnêteté, sans masquer ainsi les zones d’ombre qui demeurent encore (pourquoi les représentations du Railleur furent-elles interrompues ? ). L’attention portée aux « influences littéraires » permet au lecteur de mesurer l’importance de la filiation de Plaute, par le biais de la Comédie Française humaniste mais également par le biais de l’Italie, de la commedia erudita autant que de la commedia dell’arte. De façon pertinente, l’influence de cette dernière n’est pas envisagée uniquement sous l’angle de la circulation des textes mais aussi sous celui des déplacements des comédiens eux-mêmes (p. 22). Parce que le railleur Clarimand fait la satire du temps, tout en étant lui-même aussi léger que l’époque qu’il dénonce, la comédie rejoint les terres de la satire et « Le Railleur préfigure ainsi, à plus d’un titre, le développement de la comédie dans la seconde moitié du siècle, conçue comme un art de la fine raillerie » (p. 48), si bien que Le Railleur apparaît comme un ancêtre direct du Misanthrope. V. Lochert propose alors une poétique de la comédie satirique, en examinant la raillerie comme une pratique mondaine mais aussi comme une structure proprement théâtrale (p. 49-52), en étudiant les modèles poétiques et théâtraux de la satire des années 1600-1630 (p. 52- 54), en se penchant sur la réalité historique du Paris des années 1630 (mode vestimentaire, hiérarchie sociale encore dominée par la noblesse d’épée même si « la maîtrise des signes tend à remplacer la maîtrise des armes », p. 54-61). Le Véritable Capitan Matamore se présente quant à lui, dans son titre même, comme une imitation du Miles gloriosus de Plaute (« comédie... PFSCL XL, 78 (2013) 208 imitée de Plaute par A. Mareschal ») mais apparaît véritablement comme une comédie moderne et originale, en particulier grâce à la transformation du capitan adapté à la nouvelle réalité contemporaine. V. Lochert étudie très minutieusement la création de la pièce, s’intéressant à l’acteur Bellemore qui créa très probablement le Taillebras du Railleur et le Matamore de L’Illusion comique, comparant la composition de la troupe du Marais entre la création des deux comédies (p. 184-186), situant la pièce par rapport à sa rivale anonyme de l’Hôtel de Bourgogne, Le Capitan ou le miles gloriosus (p. 187-190). Une deuxième partie de l’introduction, particulièrement bien menée, montre comment la pièce est « une adaptation moderne de Plaute », Mareschal se proposant, dans l’avertissement de la pièce, d’« habiller ce vieil Auteur à la moderne » en corrigeant l’irrégularité de la pièce antique et en la soumettant aux principes de la bienséance et de la vraisemblance (p. 191- 203). La troisième partie de l’introduction déplie le type du capitan qui « réfléchit l’association de l’ancien et du moderne qui caractérise la pièce » (p. 203) : type dramatique issu de la tradition antique du soldat fanfaron mais commun au théâtre européen depuis la Renaissance, le Capitan a, en France même, une longue histoire avant que Mareschal ne s’en saisisse et ne l’ancre dans l’actualité de la guerre entre la France et l’Espagne (p. 209- 214), ou de la folie littéraire à la manière de don Quichotte (p. 219-222). La dernière partie de l’introduction porte sur les enjeux de la pièce, marquée par une importante dimension réflexive autant que par un réel souci de faire rire. « Le motif des sœurs jumelles et le déguisement de Placide reflètent les enjeux d’une comédie qui cherche à se distinguer de ses rivales et à revêtir la pièce antique d’un costume à la mode française » (p. 225), tandis que l’éloquence hyperbolique du fanfaron peut se lire comme une allégorie satirique de la prose de Guez de Balzac. Du côté du rire, Le Véritable Capitan Matamore adopte un ton qui repose largement sur la moquerie, les bons mots (« Gallas n’est qu’un galeux » v. 169), la satire de celui qui ignore les codes de la société mondaine (p. 229-231). Les deux caractéristiques, réflexive et comique, sont alliées dans les deux feintes successives (littéralement des burles) conduites dans la pièce, qui prennent chacune la forme d’une représentation théâtrale (p. 231-236). Le spécialiste de théâtre en somme ne pourra que se réjouir de l’excellente édition de ces deux comédies, suivies, pour la commodité de sa lecture, d’un glossaire, d’une bibliographie et d’un index des noms. Non seulement les introductions des pièces donnent beaucoup de matière à la réflexion, mais l’établissement des textes lui-même est très soigné, et la généreuse annotation profite aussi bien aux spécialistes qu’aux honnêtes gens qui voudraient découvrir des comédies mineures du XVII e siècle. Les premiers toutefois auraient peut-être aimé avoir davantage de commentaires Comptes rendus 209 de langue, et savoir si tel écart par rapport à la langue française actuelle tient à la nature même de la langue du XVII e siècle, ou à une licence poétique. Mais toute annotation correspond à une position particulière du critique et V. Lochert a légitimement privilégié, en spécialiste du théâtre européen des XVI e et XVII e siècles, des commentaires dramaturgiques et comparatistes. Carine Barbafieri Alain Riffaud (éd.) : Pierre Corneille, Cinna, Tragédie, 1643. Genève : Droz, 2011 (« Textes littéraires français »). 237 p. Alain Riffaud’s new edition of Corneille’s Cinna is a rich addition to Droz’s “Textes littéraires français” collection, which until now has only published ten of Corneille’s plays. The editor’s fifty-page introduction has both strengths and weaknesses. Riffaud does a fine job discussing the play in the context of his fellow playwrights and dramatic theory, both contemporary and ancient. The unqualified success of Cinna is described and Riffaud uses the earlier Querelle du Cid in order to explain how Corneille finally managed in Cinna to respond successfully to all the criticisms made by the doctes; he also situates the play with reference to Aristotle’s theories. Riffaud clearly delineates the Senecan source material, pointing out how little Seneca provided (the conspiracy and Auguste’s final judgment) and how much Corneille himself devised (the reason for the conspiracy, its betrayal and all the secondary characters). Riffaud compares Cinna at some length to another conspiracy play, Georges de Scudéry’s 1636 La Mort de César. He also contrasts Cinna with Scudéry’s Le Prince déguisé, a much less felicitous choice, both because in Corneille’s play it is the courtier and not the prince who is disguised and because Le Prince déguisé is a tragicomedy. A significant weakness of the introduction is Riffaud’s insistence on Cinna’s status as the hero of the play, “un héros vertueux” (p. 28): “comme il [Cinna] ne passe pas à l’acte, il se “conserve innocent” (v. 1736)” (p. 29). Riffaud looks closely at the scene where Auguste asks the advice of Cinna and Maxime, describing well the paradoxical situation in which Cinna finds himself, but he doesn’t acknowledge that Cinna’s behavior costs him his claim to heroism. Auguste receives considerably less attention from Riffaud than Cinna and the word “héros” is never associated with the emperor; instead Riffaud discusses him in the context of clemency and legitimacy. In another section, Riffaud focuses on the role of reflexion and deliberation in Corneille’s play. While the numerous references to such action in other contexts (e.g., in the work of Loyola and François de Sales, in a Rembrandt PFSCL XL, 78 (2013) 210 painting) contribute little to our understanding of the play, Riffaud makes an important point: “L’exercice de la délibération s’oppose à toute dissimulation, éprouve la force d’âme, et surtout fait émerger la résolution” (p. 40). The introduction, despite its length, is not the strongest part of this edition; it suffers from an excessively reverential stance in which Cinna is the greatest of all of Corneille’s plays and Cinna the perfect Cornelian hero. Riffaud refuses to consider or even acknowledge the fascinating, problematic aspects of the play: that Cinna is not the Cornelian hero that Rodrigue is because he does not act, that there is a radical shift in focus from Cinna to Auguste as the play progresses, and that Auguste’s clemency comes only after Livie suggests clemency and he rebuffs her suggestion. The introduction is laudably wide-ranging, but Riffaud seems more comfortable outside the play than within it, occasionally escaping into the playwright’s role (“Corneille fabrique sa tragédie de manière méthodique. Imaginons-le à Rouen, rue de la Pie, dans son cabinet de travail, alors qu’il cherche à concevoir sa prochaine œuvre dramatique,” pp. 13-14) or overbroad generalization (“Le théâtre de Corneille n’est pas accueillant pour le fourbe tandis qu’il l’est pour le magnanime,” p. 50). The true strength of this edition is in the other materials that Riffaud includes. The “Établissement du texte” provides enlightening information concerning punctuation practices. Riffaud chooses to place the paratextual material—the Épitre dédicatoire, Seneca’s De Clementia, a passage from Montaigne in which the latter translates much of the pertinent De Clementia material, the laudatory 1643 letter from Guez de Balzac to Corneille about Cinna, and Corneille’s 1660 Examen—after the play; each item is followed by Riffaud’s commentary (what he calls a “note”) addressing the importance of the given text. Then the editor provides act-by-act plot summaries of Georges de Scudéry’s La Mort de César and Le Prince déguisé, each again accompanied by an enlightening “note” contrasting them with Corneille’s play. Next we find some of the standard apparatus of a scholarly edition: a list of variants and the endnotes for the play itself. The endnotes deal with substantive matters while the notes at the bottom of the page in the play are supposed to clarify the meaning of certain words or lines. The difference between the two is at times blurred and many of the notes at the bottom of the page strike me as unnecessary. The following section is more original: what Riffaud calls a “dossier critique” including short articles on the multiple sources of Corneille’s Cinna (Riffaud accords Scudéry once again a substantial role); a brief performance and publication history of the play, in which the editor focuses on dating the first performance, the probable distribution of roles, scenic elements, Corneille’s innovative system of financial compensation, and the play’s
