eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 40/79

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
121
2013
4079

Tiphaine Karsenti: Le Mythe de Troie dans le théâtre français (1562-1715). Paris: Champion, 2012 («Lumière classique», 90). 954 p

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2013
Alain Riffaud
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PFSCL XL, 79 (2013) 398 Tiphaine Karsenti : Le Mythe de Troie dans le théâtre français (1562- 1715). Paris : Champion, 2012 (« Lumière classique », 90). 954 p. Ce volume de près de mille pages se propose de considérer la manière dont les dramaturges de la fin du XVI e siècle au début du XVIII e siècle ont traité le motif troyen, en tenant compte des transformations politiques, philosophiques et esthétiques. Selon Thiphaine Karsenti le mythe guerrier de Troie se révèle précisément utile dans une époque marquée par la naissance de la tragédie et de l’Etat modernes. L’auteur tente d’appréhender les rapports établis entre les textes et leurs auteurs, leurs publics et leurs contextes historiques. Sa démarche herméneutique, à la fois diachronique et synchronique, appuyée sur les outils promus par l’esthétique de la réception, cherche à caractériser les différentes fonctions de la topique troyenne et la manière dont les auteurs organisent le mythe de Troie, « ensemble désordonné de caractères, de situations, de relations, d’enchaînements narratifs ». Le corpus se compose de trente-cinq pièces, dont vingt-cinq complètes. La première partie du livre détermine quelles sont les sources antiques de la légende troyenne et montre comment le mythe résulte d’un long processus de réception, dont sont tributaires les auteurs de l’époque moderne. Les deux autres parties suivent l’évolution des figures troyennes selon le contexte historique. L’étude initiale des sources antiques offre de précieuses synthèses, aussi bien sur l’éducation dans les collèges que sur la diffusion et l’influence des différents textes grecs et surtout latins (Virgile, Sénèque, Ovide). La transmission de la matière troyenne résulte d’une évolution continue et la période médiévale joue un rôle important dans la réception de la fable troyenne ; c’est au cours de l’antiquité tardive et du Haut Moyen Âge que s’élabore - par le truchement des romans antiques, des histoires et des moralisations - une double lecture de la légende, allégorique et historique, dotant le récit troyen d’enjeux moraux, philosophiques et politiques. Puis se met en place une articulation historique entre la Grèce, Rome et la France. Au XII e siècle, une nouvelle représentation chrétienne du déroulement de l’histoire trouve le support de la généalogie troyenne. Depuis la fin du VII e siècle, les chroniqueurs avaient inventé l’ascendance troyenne des Francs par le biais du Troyen Francion, devenu parfois le frère d’Astyanax, comme le rappelle Racine dans son Andromaque. Dès le Moyen Âge, l’ascendance troyenne devient un outil pour légitimer le pouvoir royal et penser l’unification de la nation. La généalogie troyenne des Francs sera mise en doute à partir du XV e siècle, réfutée au siècle suivant, et finalement transférée à la littérature, le discours historique distinguant deux souches à la nation françaises, les Gaulois et les Germains. Comptes rendus 399 Avec la deuxième partie de l’ouvrage - des guerres de religion au ministère de Richelieu - nous parvenons au cœur d’une étude détaillée, appuyée sur les œuvres parues entre 1562 et 1642. Des facteurs conjoncturels expliquent l’intérêt qu’ont éprouvé les dramaturges pour un mythe organisé autour de la guerre, qui va leur permettre de figurer les conflits et leurs conséquences. Ainsi l’Achille de Nicolas Filleul, première tragédie de la série parue en 1592, correspond-t-elle au commencement des guerres de religion. Puis la guerre de Troie servira à penser la souffrance de la guerre civile, puis après l’édit de Nantes la sortie de crise et ses effets politiques. Les productions sont concentrées entre 1592 et 1607, avec six pièces. Il faut ensuite attendre 1635-1640 pour voir paraître quatre tragédies à sujet troyen, précisément quand la France s’engage dans la guerre de Trente Ans. Le mythe semble convoqué pour figurer non seulement des crises politiques mais aussi des querelles esthétiques ; c’est précisément à partir de 1630 que la tragédie à l’antique se trouve au centre du débat sur les règles dramatiques. La richesse du mythe autorise donc des investissements et des points de vue différents sur des problématiques variées autour de la notion de conflit. L’étude approfondie des pièces dévoile alors des configurations singulières du mythe, produisant elles-mêmes des réceptions et des récritures nouvelles. La méthode utilisée pour l’examen des tragédies repose sur une analyse de l’inventio, puis de la dispositio, enfin sur l’interprétation de la pièce et sur la signification de son esthétique. Chaque chapitre est doté d’une conclusion très utile qui synthétise les acquis et permet au lecteur de bien saisir le jeu des configurations historiques. Selon le contexte tel personnage du mythe troyen est plus à même de réfléchir les conflits qui marquent la France : au cœur des guerres de religion, Hécube, à la fois victime et bourreau, incarne le caractère insupportable de la lutte fratricide, tandis que dans les années 1590 Andromaque et Polyxène représentent la souffrance d’un conflit dont on se souvient encore. Les tragédies du règne d’Henri IV, marquées par le néo-stoïcisme, valorisent les caractères héroïques d’Hector, de Priam ou ceux de femmes fortes comme Polyxène ; la mise en scène de Troie devient alors le moyen de défendre la raison contre la passion et de traduire la mise en place d’une institution souveraine rationnelle destinée à assurer la concorde nationale. La Régence de Marie de Médicis, favorable à la paix, voit en même temps disparaître les figures troyennes du théâtre. Elles vont ressurgir en 1635 avec l’entrée de la France dans la guerre décidée par Richelieu et Louis XIII contre la puissance extérieure des Habsbourg. La tragédie troyenne adopte alors le point de vue des vainqueurs et met en avant la figure d’Achille, guerrier dont la valeur militaire peut susciter l’admiration, mais dont l’excès passionnel peut aussi se retourner contre sa propre PFSCL XL, 79 (2013) 400 patrie, figurant ainsi l’ancien orgueil nobiliaire et tyrannique qui s’oppose à l’Etat royal moderne. Après la mort d’Achille, Ulysse, qui sort vainqueur du combat contre le fougueux Ajax, offre une représentation adéquate de la prudence stratégique d’un ministre tel que Richelieu, nouvel appui du roi. A la fin des années 1630, le personnage d’Iphigénie renouvelle le personnel troyen ; cependant en 1641, Rotrou dans son Iphigénie introduit Ulysse pour faire jouer le conflit entre droit privé et droit public ; le roi d’Ithaque oppose les arguments politiques de la raison d’Etat à Agamemnon, partagé entre son statut de roi et son rôle de père. De son côté le guerrier Achille défend le droit naturel classique fondé sur l’image idéale de l’homme serviteur héroïque de la société. Tous ces conflits se trouvent finalement dépassés par l’intervention de Diane qui montre que la synthèse idéale ne peut relever que de la loi divine et que le monde demeure le lieu de l’instabilité. La mise en scène du merveilleux et de l’artifice légitime enfin un théâtre fier d’exhiber le plaisir qu’il entend procurer, alors que les querelles esthétiques ont abouti au milieu des années 1630 à valider ce genre de spectacle qui divertit les spectateurs. La troisième partie de l’ouvrage est consacrée au règne de Louis XIV. A partir de 1667, avec Andromaque de Racine on constate non seulement un retour de la matière troyenne dans le théâtre qui l’avait délaissée depuis 1641, mais aussi son inscription dans de nouveaux genres comme la tragédie en musique. Le retour des sujets mythologiques correspond au développement de la galanterie et fournit au Roi Soleil l’occasion de puiser un réservoir d’images au service de sa propagande. La volonté de Racine d’égaler Euripide explique le renouveau troyen dans les années 1670, tandis que les adversaires de Racine (Thomas Corneille, Michel Leclerc) investissent le même terrain mythologique pour rivaliser avec lui. Dans Andromaque, à travers Troie c’est la France qui triomphe car le mythe reste attaché à l’histoire nationale ; la veuve d’Hector incarne un ordre politique idéal et rationnel face à la figure passionnelle d’Oreste qui de son côté devient la figure d’une tragédie moderne consacrée à l’exploration des passions. La tragédie Iphigénie met en place au contraire un théâtre passionnel sans effet politique ni spectaculaire, qui refuse l’esthétique de l’opéra naissant. Chez les dramaturges des années 1670, la dimension guerrière du mythe troyen intéresse moins que les figures d’innocentes qu’il fournit ; leur constance et leur fidélité offrent une image de l’idéal monarchique tel qu’il est promu à l’époque. Dans les années 1680, Pradon et La Fontaine confrontent caractères galants et héroïques. Puis à la fin du siècle, le « contraste des caractères et des traditions est mis au service d’une réflexion philosophico-historique dans le contexte de la Querelle des Anciens et des Modernes ». Comptes rendus 401 Le livre de Tiphaine Karsenti se clôt sur deux chapitres, l’un consacré aux tragédies lyriques, l’autre aux pièces de collège. A la fin du XVII e siècle, le traitement du mythe troyen a rompu avec un passé agité de désordres pour fonder la légende du triomphe de la monarchie de Louis XIV. La tragédie lyrique s’appuie sur les figures troyennes afin de proposer une représentation de l’Histoire délibérément orientée par le progrès, reflétant ainsi la position des Modernes. Le théâtre des collèges jésuites, quant à lui, exploite la fiction troyenne pour condamner conflits et passions dans un but édifiant, en promouvant paradoxalement le refus du théâtre. Au terme du parcours, Tiphaine Karsenti attribue trois fonctions au détour troyen dont le riche potentiel a été mis en scène : figuration d’un cas moral, mise en forme pour explorer les variations passionnelles du sujet, échappée divertissante dans un ailleurs merveilleux et pathétique. De riches annexes complètent l’étude. On trouve d’abord le résumé de chaque pièce, puis une présentation du corpus accompagnée de tableaux bien conçus : mise en évidence des sujets traités dans les pièces, des sources, des représentations et des éditions ; cette dernière information est malheureusement faussée par la confusion établie entre éditions, rééditions et simples émissions (attestant que l’étude délaisse les phénomènes éditoriaux pourtant utiles à la bonne compréhension de la réception des œuvres). Ensuite des données formelles sont fournies (nombre de vers ou de scène, structure des pièces, éléments de l’action, décors, personnages), de même qu’une bibliographie et un index. L’ensemble de l’ouvrage est de facture très soignée ; imprimé avec soin par des typographes suisses, il offre une mise en page claire et recèle fort peu de coquilles (p. 489 un renvoi de note en bas de page est erroné, p. 493 on trouve remord pour remords). Avec ce livre le chercheur dispose d’un excellent outil de travail, de l’examen érudit d’un corpus de pièces puisant leur sujet dans le mythe troyen, et d’une méthode d’interprétation intelligente permettant d’articuler la production littéraire aux enjeux historiques et esthétiques. Alain Riffaud Jean Lesaulnier (éd.) : Racine, Abrégé de l’histoire de Port-Royal. Édition établie, présentée et annotée par Jean Lesaulnier. Préface de Philippe Sellier. Paris : Champion, 2012 (« Sources classiques », 110). 413 p. Avec l’édition de l’Abrégé de l’histoire de Port-Royal de Racine, Jean Lesaulnier poursuit son infatigable entreprise de recherche sur Port-Royal, entreprise marquée notamment par le capital Dictionnaire de Port-Royal, dirigé