Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2013
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Jean Lesaulnier (éd.): Racine, Abrégé de l’histoire de Port-Royal. Édition établie, présentée et annotée par Jean Lesaulnier. Préface de Philippe Sellier. Paris: Champion, 2012 («Sources classiques», 110). 413 p
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Delphine Reguig
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Comptes rendus 401 Le livre de Tiphaine Karsenti se clôt sur deux chapitres, l’un consacré aux tragédies lyriques, l’autre aux pièces de collège. A la fin du XVII e siècle, le traitement du mythe troyen a rompu avec un passé agité de désordres pour fonder la légende du triomphe de la monarchie de Louis XIV. La tragédie lyrique s’appuie sur les figures troyennes afin de proposer une représentation de l’Histoire délibérément orientée par le progrès, reflétant ainsi la position des Modernes. Le théâtre des collèges jésuites, quant à lui, exploite la fiction troyenne pour condamner conflits et passions dans un but édifiant, en promouvant paradoxalement le refus du théâtre. Au terme du parcours, Tiphaine Karsenti attribue trois fonctions au détour troyen dont le riche potentiel a été mis en scène : figuration d’un cas moral, mise en forme pour explorer les variations passionnelles du sujet, échappée divertissante dans un ailleurs merveilleux et pathétique. De riches annexes complètent l’étude. On trouve d’abord le résumé de chaque pièce, puis une présentation du corpus accompagnée de tableaux bien conçus : mise en évidence des sujets traités dans les pièces, des sources, des représentations et des éditions ; cette dernière information est malheureusement faussée par la confusion établie entre éditions, rééditions et simples émissions (attestant que l’étude délaisse les phénomènes éditoriaux pourtant utiles à la bonne compréhension de la réception des œuvres). Ensuite des données formelles sont fournies (nombre de vers ou de scène, structure des pièces, éléments de l’action, décors, personnages), de même qu’une bibliographie et un index. L’ensemble de l’ouvrage est de facture très soignée ; imprimé avec soin par des typographes suisses, il offre une mise en page claire et recèle fort peu de coquilles (p. 489 un renvoi de note en bas de page est erroné, p. 493 on trouve remord pour remords). Avec ce livre le chercheur dispose d’un excellent outil de travail, de l’examen érudit d’un corpus de pièces puisant leur sujet dans le mythe troyen, et d’une méthode d’interprétation intelligente permettant d’articuler la production littéraire aux enjeux historiques et esthétiques. Alain Riffaud Jean Lesaulnier (éd.) : Racine, Abrégé de l’histoire de Port-Royal. Édition établie, présentée et annotée par Jean Lesaulnier. Préface de Philippe Sellier. Paris : Champion, 2012 (« Sources classiques », 110). 413 p. Avec l’édition de l’Abrégé de l’histoire de Port-Royal de Racine, Jean Lesaulnier poursuit son infatigable entreprise de recherche sur Port-Royal, entreprise marquée notamment par le capital Dictionnaire de Port-Royal, dirigé PFSCL XL, 79 (2013) 402 avec Antony McKenna et paru chez Champion en 2004. Et c’est avec toute son érudition qu’il éclaire la lecture du texte racinien le plus énigmatique qui soit et qui profite aujourd’hui des progrès que la recherche a effectués, ces dernières décennies, dans la connaissance de Port-Royal. Dans l’Avant- Propos de son édition, J. Lesaulnier reconnaît ses dettes envers les éditions précédentes, notamment celle de Paul Mesnard dans les Œuvres complètes de Racine chez Hachette en 1886 et celle d’Augustin Gazier en 1908 chez Boivin. Pourtant l’Abrégé n’avait jamais bénéficié d’une édition critique indépendante : le travail de Jean Lesaulnier comble donc une lacune de taille en rendant disponible un texte indispensable à la compréhension de l’itinéraire de Racine. Ce dernier a, dans l’Abrégé, investi autant de sa qualité de témoin, dès son enfance, des événements relatés, que de sa compétence d’historiographe et de son expérience de dramaturge. Au terme de sa vie, Racine renoue avec Port-Royal, s’en fait le discret défenseur auprès du pouvoir royal et participe au travail de mémoire qui s’élabore collectivement autour de l’abbaye menacée de destruction. À sa mort, le 21 avril 1699, Racine laisse la première partie de son texte achevée (elle ne sortira de l’obscurité qu’en 1742) et la deuxième partie (qui restera disjointe de la seconde jusqu’en 1767) amputée du récit de la période allant de 1665 à 1669, période où les religieuses refusant de signer le Formulaire vivent recluses à Port-Royal des Champs et où Racine s’est tenu éloigné de Port- Royal. Or, Racine avait le projet de continuer l’histoire du monastère au moins jusqu’à la mort d’Antoine Arnauld : Jean Lesaulnier rejoint sur ce point la conviction de Georges Forestier (Jean Racine, Gallimard, 2006). Dans la première partie de l’importante introduction qui précède son édition, J. Lesaulnier fait ainsi l’inventaire, jamais reconstitué jusqu’alors, des matériaux et des sources dont disposait Racine, des informations qu’il a rassemblées pour composer l’histoire de l’abbaye. C’est tout le contexte humain dans lequel l’Abrégé a été rédigé qui se trouve ainsi présenté et qui permet de comprendre à quel point la disparition progressive d’un monde, la disparition successive des personnalités qui ont marqué Racine dans sa formation et son éducation ont nourri sa crainte de la ruine de Port-Royal des Champs dans les dernières années de sa vie. L’Abrégé, selon les mots de Ph. Sellier dans la préface qui accompagne l’édition de J. Lesaulnier, « témoigne d’une empathie partout sensible de l’auteur avec son sujet » (p. 8). G. Forestier écrivait déjà à propos de l’auteur de l’Abrégé : « c’est une histoire de cœur qu’il rédigea » (Jean Racine, Paris, Gallimard, 2006, p. 776). Cependant, si le « chef-d’œuvre » à la prose parfaite exerce sur son éditeur ce que Ph. Sellier nomme une « fascination » (p. 9), cette dernière n’entame jamais la très grande rigueur philologique appliquée. L’édition reproduit, en modernisant orthographe et ponctuation, Comptes rendus 403 le texte de la première édition de Cologne en 1742 pour la première partie de l’Abrégé et le texte du manuscrit autographe conservé à la B.N.F. pour la seconde partie. L’établissement du texte, irréprochable, n’occulte pas le caractère inachevé et parfois précaire de ses états. Ainsi J. Lesaulnier donnet-il, par un jeu de variantes lisibles en notes de bas de pages ou dans l’Annexe I de l’édition, la mesure du travail de confrontation qu’il a mené entre les différents manuscrits et copies du texte. C’est ainsi que l’on peut par exemple suivre le détail, mot à mot, de la collaboration de Boileau avec Racine vers la fin de la seconde partie de l’Abrégé : l’évolution du texte apparaît visible, dans toute sa complexité. Il faut souligner dans ce cadre la très utile partie de l’introduction consacrée à retracer, avec minutie et clarté, l’histoire du manuscrit, des conditions de sa conservation, de sa transmission, et à exposer le rôle des fils de Racine, Louis et Jean-Baptiste, dans la quête du texte. J. Lesaulnier aboutit à des résultats très fermes en dressant avec un soin archéologique sûr l’architecture des copies qui ont mené à reconstituer le texte. L’éditeur garde néanmoins toute sa réserve en ne tranchant pas entre les hypothèses portant sur la date à laquelle Racine aurait composé l’Abrégé (entre 1692 et sa mort) ni sur l’hypothèse selon laquelle Racine aurait écrit le texte à la demande de l’archevêque Noailles (p. 64). Cette suspension du jugement maintient les zones d’ombre qui entourent le texte, sans doute définitivement. En revanche, la riche Annexe II, qui recense des textes dits « complémentaires », convie le lecteur à entrer dans l’atelier de Racine, rassemblant variantes raciniennes portant sur des paragraphes entiers, préfaces et additions des éditions de 1742 et 1767, documents rassemblés par Racine durant la préparation de l’Abrégé. Ce matériau est encore complété par des textes documentaires qui permettent d’enrichir la compréhension de la genèse et du devenir du texte. Il faut aussi mentionner l’impressionnante richesse des notes de bas de pages qui permet de prendre la mesure de la matière engagée et du contexte dans lequel écrit Racine. Pour compléter ce paratexte fourni, J. Lesaulnier pourvoit l’édition d’un indispensable index des noms propres. Cette densité contraste quelque peu avec la bibliographie « choisie » qui écarte certaines études comme le collectif Racine et l’histoire, édité par M.-Cl. Canova-Green et A. Viala (Biblio 17-155, Günter Narr Verlag, Tübingen) en 2004, où A. Viala (« Le Récit est un théâtre », pp. 225-235) et S. Robic-De Bæcque (« L’Abrégé de l’Histoire de Port-Royal, ou le tombeau de la représentation politique », pp. 257-267) invitent notamment à tirer parti de l’essai de Louis Marin, Le Récit est un piège (Paris, Minuit, 1978) pour analyser l’écriture et la démarche de Racine historien. Une telle édition aurait pu également fournir l’occasion d’un bilan critique sur les lectures de l’Abrégé. PFSCL XL, 79 (2013) 404 Dans la présentation du texte lui-même, si J. Lesaulnier reprend sa partition originelle en deux parties, il introduit une partition secondaire en chapitres et ajoute un titre à ces chapitres « tiré le plus souvent du texte de Racine même » (p. 14) mais aussi de sa propre plume. Ce choix paraît discutable, du point de vue poétique surtout, tant la continuité originelle du texte racinien, sa linéarité, joue son rôle dans la puissance évocatrice du récit et tant il semble aller à l’encontre de la rigueur philologique partout conservée ailleurs dans l’édition. Ces titres, s’ils facilitent le repérage, notamment chronologique, dans le récit de Racine, introduisent des ruptures stylistiques et soulignent les charnières et pivots rhétoriques du texte de manière parfois trop voyante et sans doute artificielle. On s’étonne d’un tel choix alors que l’édition est pourvue d’une importante introduction qui ne manque pas de caractériser l’Abrégé comme « une œuvre d’art » et de l’analyser comme telle. J. Lesaulnier insiste à juste titre dans ce cadre sur trois points : tout d’abord la capacité de Racine à adopter sur les faits une perspective collective, perspective qu’il emprunte notamment aux écrits de la Mère Angélique de Saint-Jean ; ensuite l’art de la dramatisation dont il se sert pour animer la narration, art qui recourt aux digressions, qui utilise les variations de rythme, les pauses comme les accélérations, art qui finalement rend vivante une véritable analyse politique des situations ; enfin le véritable travail dramaturgique pour lequel il installe une scène à lieux multiples (abbaye des Champs, maison de Paris, Institut du Saint-Sacrement), scène où évoluent des acteurs parmi lesquels se détache la fondatrice, la Mère Angélique Arnauld organisant autour d’elle et de l’abbaye tout un réseau de liens de solidarité, acteurs parmi lesquels se singularise encore la Compagnie de Jésus. L’action elle-même, comme le montre J. Lesaulnier, est structurée comme une « tragédie » pourvue d’un prologue (la première partie du texte) et qui éclate dans la seconde partie avec le coup d’éclat du 24 août 1664 et l’arrivée de l’archevêque Hardouin de Péréfixe à Port-Royal de Paris, « acmé de la tragédie de Port-Royal » (p. 55), épisode auquel Racine donne un large et profond écho. J. Lesaulnier souligne avec raison l’absence de manichéisme chez Racine dans la conduite de cette action. Au contraire, l’auteur de l’Abrégé n’accable ni l’archevêque ni le roi : le Racine qui écrit ce récit est très différent de celui qui a écrit la Lettre à l’auteur des Hérésies imaginaires et des deux Visionnaires, il a bien renoncé aux prises de position polémiques et aux peintures forcées. J. Lesaulnier propose au contraire que Racine, sans être théologien, « développe dans l’Abrégé des réflexions ou des conceptions théologiques » qui résultent « d’une évolution personnelle face à l’histoire passée et à la situation présente de la communauté des religieuses de Port-Royal » (p. 60). L’indignation sensible de Racine devant la persécution qui s’abat sur Port-Royal ne donne donc pas Comptes rendus 405 lieu à un plaidoyer : le récit reflète en revanche une vision de l’histoire entièrement déterminée par la volonté divine qui manifeste l’élection des membres de Port-Royal. La question irritante de la continuité entre Racine dramaturge, Racine courtisan, et Racine historien de Port-Royal n’est pas résolue. Cependant, si l’on peut considérer l’Abrégé de deux points de vue - selon qu’il prend place dans « la grande entreprise historiographique » (p. 62) qui entend faire perdurer la mémoire de Port-Royal, selon qu’il entre à part entière dans l’œuvre de Racine poète et dramaturge -, il est à souhaiter que l’édition de Jean Lesaulnier, qui a mis toute son érudition au service d’un texte qui reste parmi les plus belles énigmes du Grand Siècle, permette une conciliation toujours plus fine et plus juste de ces deux points de vue. Un tel ouvrage autorise enfin un travail littéraire sur le texte définitivement compris dans l’œuvre de Racine dont il faut s’attacher à penser à présent l’intégrité si ce n’est l’unité. Delphine Reguig Anne Régent-Susini : Bossuet et la rhétorique de l’autorité. Paris : Champion, 2011 (« Lumière classique », 89). 838 p. Bossuet « oscillant entre rhétorique d’exposition et rhétorique autoritaire » (748), quel beau sujet de thèse ! Anne Régent-Susini sait en tirer des éclaircissements de celui qui passa du statut de modèle de l’éloquence religieuse au rang d’éminent orateur de la France laïque. Elle part d’une donnée fondamentale de son œuvre, son concept de vérité caractérisée « par sa force persuasive » et donc « par sa capacité à faire autorité » (49), aspect lié à sa foi, mais étranger de nos jours même aux catholiques convaincus. Elle en notifie une suite logique, mais déroutante pour nous autres marqués par l’opposition entre vérité scientifique et foi religieuse, à savoir que « la simple exposition des faits et des dogmes […] doit faire triompher le vrai » (55). Rappeler cette donnée centrale de l’œuvre bossuétiste, c’est déjà une entreprise méritoire, mais d’autant plus ardue qu’elle force à élucider les présupposés, les stratégies argumentatives et les inconvénients de cette manière de penser par une mise en évidence de ses bases théologiques et socioculturelles, philosophiques et logiques, littéraires et oratoires. Ce projet de recherche se complique face à un paradoxe que découvre l’auteur de la thèse, à savoir que la doctrine du fameux prédicateur « prend à bien des égards l’allure d’une anti-rhétorique » (55). Anne Régent-Susini s’interroge « sur la manière dont la conception bossuétiste de l’autorité débouche sur une pratique rhétorique certes spéci-
