eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 40/79

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
121
2013
4079

Anne Régent-Susini: Bossuet et la rhétorique de l’autorité. Paris: Champion, 2011 («Lumière classique», 89). 838 p

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2013
Volker Kapp
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Comptes rendus 405 lieu à un plaidoyer : le récit reflète en revanche une vision de l’histoire entièrement déterminée par la volonté divine qui manifeste l’élection des membres de Port-Royal. La question irritante de la continuité entre Racine dramaturge, Racine courtisan, et Racine historien de Port-Royal n’est pas résolue. Cependant, si l’on peut considérer l’Abrégé de deux points de vue - selon qu’il prend place dans « la grande entreprise historiographique » (p. 62) qui entend faire perdurer la mémoire de Port-Royal, selon qu’il entre à part entière dans l’œuvre de Racine poète et dramaturge -, il est à souhaiter que l’édition de Jean Lesaulnier, qui a mis toute son érudition au service d’un texte qui reste parmi les plus belles énigmes du Grand Siècle, permette une conciliation toujours plus fine et plus juste de ces deux points de vue. Un tel ouvrage autorise enfin un travail littéraire sur le texte définitivement compris dans l’œuvre de Racine dont il faut s’attacher à penser à présent l’intégrité si ce n’est l’unité. Delphine Reguig Anne Régent-Susini : Bossuet et la rhétorique de l’autorité. Paris : Champion, 2011 (« Lumière classique », 89). 838 p. Bossuet « oscillant entre rhétorique d’exposition et rhétorique autoritaire » (748), quel beau sujet de thèse ! Anne Régent-Susini sait en tirer des éclaircissements de celui qui passa du statut de modèle de l’éloquence religieuse au rang d’éminent orateur de la France laïque. Elle part d’une donnée fondamentale de son œuvre, son concept de vérité caractérisée « par sa force persuasive » et donc « par sa capacité à faire autorité » (49), aspect lié à sa foi, mais étranger de nos jours même aux catholiques convaincus. Elle en notifie une suite logique, mais déroutante pour nous autres marqués par l’opposition entre vérité scientifique et foi religieuse, à savoir que « la simple exposition des faits et des dogmes […] doit faire triompher le vrai » (55). Rappeler cette donnée centrale de l’œuvre bossuétiste, c’est déjà une entreprise méritoire, mais d’autant plus ardue qu’elle force à élucider les présupposés, les stratégies argumentatives et les inconvénients de cette manière de penser par une mise en évidence de ses bases théologiques et socioculturelles, philosophiques et logiques, littéraires et oratoires. Ce projet de recherche se complique face à un paradoxe que découvre l’auteur de la thèse, à savoir que la doctrine du fameux prédicateur « prend à bien des égards l’allure d’une anti-rhétorique » (55). Anne Régent-Susini s’interroge « sur la manière dont la conception bossuétiste de l’autorité débouche sur une pratique rhétorique certes spéci- PFSCL XL, 79 (2013) 406 fique et personnelle » (29), mais également typique de son époque. Elle analyse donc l’individu génial face à la portée « emblématique d’une période », qui est décisive « pour l’histoire des mentalités […et] pour la notion d’autorité elle-même » (29). Ce programme ambitieux nécessite de considérer toute la production variée de cet ecclésiastique et le recours à différentes visions de la rhétorique, par exemple celle de M. Fumaroli et de Ch. Perelmann, à la rhétorisation de la linguistique, à la stylistique et à la Nouvelle Dialectique, sans négliger la théologie et la spiritualité. Une des spécificités de cette étude est que le plan religieux est confronté à la pensée contemporaine, en associant la notion d’autorité de Bossuet aux théories de Bourdieu (13-15), rapprochées de celles de Fumaroli (747). Foucault est évoqué pour discuter de l’autorité pastorale (597-600), Derrida pour expliquer l’efficacité de la parole sacramentelle (585). La Conclusion invite « le lecteur du XXI e siècle à repenser quelque peu [l]a définition postromantique de l’auctorialité » (759) face au « discours » de Bossuet qui relève « d’une position institutionnelle devenue aujourd’hui pour bien des lecteurs indifférente » (760) mais dont la rhétorique et la mentalité méritent toujours notre attention. L’analyse s’articule en deux parties : I. « Construire l’évidence » (33-454) et II. « Affirmer la faiblesse » (455-746). La première partie est divisée en trois sections : « La tentation d’une anti-rhétorique » (37-134), « De l’évidence à la démonstration » (135-334), « ‘La Parole souveraine’ : assertivité (la table des matières comporte (833) la coquille « asservité » ) et rhétorique de la certitude » (335-454). La deuxième en comporte deux : « ‘O souveraine autorité ! O incomparable douceur ! ’ : De l’intimidation à la communion » (455-558), « ‘Fonder sur la servitude toute l’autorité de son ministère’ : affirmation et disparition du je » (559-746). Ces intitulés révèlent d’une part le haut niveau de réflexion et en même temps la lecture précise de toute l’œuvre bossuétiste. Bossuet récuse « l’image emphatique d’un orateur copieux » (82), aussi les manuscrits de ses sermons documentent-ils « la suppression d’amplifications oratoires ou […] un resserrement plus général du propos » (83). Les faits vérifiables de l’Antiquité chrétienne sont un des leitmotivs de ses exposés doctrinaires, qui cherchent toutefois à faire valoir les règles de la raison, concept liée pour l’évêque de Meaux à la tradition de la foi. Cette stratégie de l’homme d’Église est entravée « par son ambiguïté » (140) provenant de l’effort de restituer à la définition moderne de vérité son ancrage en Dieu, c'est-à-dire de rendre « à la vérité son évidence naturelle et originelle » (157), qui se cristallise pour les théologiens de cette époque dans les « lieux (communs) théologiques ». Le chapitre consacré à l’« autorité du raisonnement » (155-234) parcoure les différents « lieux » en tant que Comptes rendus 407 moyens de preuve et en tant que principes d’argumentation ainsi que les exempla qui les illustrent. La philosophie de Wittgenstein, rapprochée des théories d’O. Ducrot, sert à distinguer « les deux sens possibles du verbe dire » (325) pour expliquer que Bossuet est convaincu que, « dans le domaine de la foi du moins, l’autorité doit se substituer à la raison déchue » (330). Controversiste, il cherche à faire valoir son propre « engagement affectif » (388), prédicateur, il recourt au « procédé rhétorique, appelé subjection » (390), pour « conjoindre vivacité du discours et mise en valeur pédagogique de certains éléments » (391), polémiste, il exploite les « procédés d’insinuation » et « la calomnie » (434). La rhétorique de la brièveté, qui confère sa vigueur à l’éloquence bossuétiste, rend sa pratique argumentative ambiguë parce que tendant à biaiser « par divers paralogismes » (454). Anne Régent-Susini conclut cette première partie de son exposé, convaincue, tout comme J. Le Brun, que le « discours tenant à exprimer l’indicible » (454) était alors voué à l’échec. Mais elle soutient que Bossuet cherche à remédier à ce défaut par le recours à la « parole s’effaçant derrière ce qui, infiniment, la transcende » (454). Ce dernier aspect sera analysé dans la deuxième partie du livre. Grâce à l’apostrophe et à la prosopopée, Bossuet transforme la « rhétorique des peintures » (466), héritée des jésuites, en « rhétorique spectaculaire » (482), où les verbes de perception, les présentatifs et l’hypotypose entraînent « une sorte de radicalisation de l’idéal rhétorique de clarté » (495). Il emprunte « à son maître Vincent de Paul » (506) la répétition, stylème au service d’« une pastorale de la peur » (509), mais il s’en détache par l’ironie, qui dénonce ses adversaires. La célébration d’une communauté de foi partagée, héritée d’une longue tradition d’orthodoxie remontant aux origines du christianisme, sert à repousser les réformés et à combattre ceux dans l’Église, qu’il accuse d’être novateurs. Le genre épidictique lui permet de pratiquer « une pastorale de la communion » (511) visant « à célébrer une croyance commune » (514) et culminant dans le discours sublime, dont Moïse fournit « le paradigme » (545). Cette vision du sublime explique en dernière instance « le rejet de la rhétorique professé par Bossuet » (547). Comme bien de ses contemporains, l’évêque de Meaux possède « une conscience particulièrement vive de l’incapacité de l’homme à exprimer la transcendance » (550). L’impuissance du langage face à l’indicible explique son recours à la prétérition, qui permet « de proclamer l’inanité de toute parole humaine devant l’innommable » (554). Cette expérience rend « la position rhétorique du je » (559) et « la relation entre éthos (intra)discursif et éthos extradiscursif » (570) peu constantes. La rhétorique de Cicéron et de Quintilien est remplacée en ce point par « l’héritage augustinien » (571). Forcé à assumer le rôle du polémiste, cet homme d’Église voudrait « donner PFSCL XL, 79 (2013) 408 de lui-même l’image d’un écrivain condescendant, par piété, à s’engager sur un champ de bataille, qu’il transcende pourtant par la hauteur de ses vues » (612). C’est ainsi qu’il prétend être un spécialiste utilisant « la rhétorique de l’érudition » (625), affinée « dans le cadre de la controverse antiprotestante » (638), tout en se distanciant des savants théologiens, particulièrement de Richard Simon, attaqué comme faux docteur. A la suite des travaux de J.-L. Quantin, Anne Régent-Susini souligne « les limites du travail entrepris » (635) par le controversiste et perçoit en même temps comment se dessine « en filigrane l’éthos d’un auteur scrupuleux, soucieux d’exactitude et d’objectivité scientifique » (640). La dimension pédagogique de son œuvre ne se cantonne pas aux écrits du précepteur du Dauphin, mais s’épanouit dans sa mission de pasteur qui exploite l’apodioxis (652-654) ou les sentences (655-667) pour se faire comprendre en affirmant son autorité. Bossuet ne réserve à son éthos d’historien « qu’une autonomie relative » (665) puisqu’à ses yeux l’histoire illustre surtout « la puissance et la volonté divines » (691). Il brigue un rôle prophétique mais « peine à se situer par rapport » (695) aux prophètes bibliques tout en qualifiant les réformés de « visionnaires » (703) et Mme Guyon de « fausse prophétesse » (706). À la suite de saint Augustin, il exalte le concept du « Maître intérieur » (724) et en déduit « la parfaite transparence de la parole du prédicateur de chair [… et] sa totale aliénation » (729). Ce programme explique ses procédés grammaticaux d’emphase qui s’associent « à la figure rhétorique d’antéisagoge, forme d’antithèse faisant se succéder la négation d’une affirmation correspondant à l’opinion attendue » (734). Son type de rhétorique des citations (734-743) est une suite de cette démarche. Ce livre poursuit un double but : évaluer le rang de Bossuet dans l’optique du XXI e siècle et nous faire comprendre l’altérité de cet auteur du XVII e siècle tant en ce qui concerne ses limites que ses qualités indéniables. On pourrait chicaner Anne Régent-Susini sur quelques détails théologiques, par exemple sur le rapprochement de Bossuet et de Borges, dont Fénelon paie la facture (755), mais nous préférons la féliciter d’avoir mené à bonne fin son projet, ce qui était une gageure. Volker Kapp Bruno Roche : Le Rire des libertins dans la première moitié du XVII e siècle. Paris : Champion, 2011 (« Libre pensée et littérature clandestine »). 581 p. + Bibliographie et Index. Le 45 e numéro de la collection « Libre pensée et littérature clandestine » donne à lire la thèse de Bruno Roche, dont le sujet passionnant s’inscrit dans