Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
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2018
4588
L’Hotel Guénégaud selon un croquis inédit
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2018
Jan Clarke
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PFSCL XLV, 88 (2018) L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit J AN C LARKE (D URHAM U NIVERSITY ) Il y a quelques années, j’ai découvert dans les archives de la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française un document d’un très grand intérêt en ce qui concerne l’histoire du théâtre en France. Il s’agit d’un petit croquis gribouillé qui montre un plan de théâtre. J’ai tout de suite pensé, pour des raisons que j’expliquerai par la suite, qu’il pourrait s’agir de l’Hôtel Guénégaud, au sujet duquel j’avais déjà publié trois livres et plusieurs articles 1 . Le théâtre de l’Hôtel Guénégaud fut construit par le marquis de Sourdéac et son associé Champeron entre 1670 et 1671 pour abriter l’Académie de musique de Pierre Perrin, et fut donc la première salle de l’Opéra de Paris 2 . La salle fut ensuite occupée par la compagnie des Comédiens du roi de l’Hôtel Guénégaud, formée par l’union de la plupart des comédiens de la troupe de Molière et de celle du Marais suite à la mort du grand dramaturge comique et le transfert de son théâtre dans le Palais- Royal à Jean-Baptiste Lully, le nouveau détenteur du privilège sur l’utilisation de la musique dramatique. Puis, en 1680, l’Hôtel Guénégaud devint la première salle de la Comédie-Française quand la troupe qui l’occupait et celle de l’Hôtel de Bourgogne furent fusionnées à leur tour afin de ne laisser qu’une seule troupe de comédiens français à Paris 3 . Si le croquis que j’avais trouvé représentait effectivement l’Hôtel Guénégaud, c’était une découverte d’une importance capitale - mais il fallait le prouver. 1 Jan Clarke, The Guénégaud Theatre in Paris (1673-1680). Volume One : Founding, Design and Production, Lewiston-Queenston-Lampeter : Edwin Mellen, 1998 ; Jan Clarke, The Guénégaud Theatre in Paris (1673-1680). Volume Two : the Accounts Season by Season, Lewiston-Queenston-Lampeter : Edwin Mellen, 2001 ; Jan Clarke, The Guénégaud Theatre in Paris (1673-1680). Volume Three : the Demise of the Machine Play, Lewiston-Queenston-Lampeter : Edwin Mellen, 2007. 2 Voir Clarke, Guénégaud I, pp. 63-68, et Jan Clarke, « The Struggle for Spectacle on the Paris Stage, 1669-1680 », The Seventeenth Century, 27 (2012), pp. 212-24. 3 Voir Clarke, Guénégaud I, pp. 255-65. Jan Clarke 160 Quand j’ai commencé à travailler sur l’Hôtel Guénégaud aux années 1970, les commentateurs s’accordaient pour dire qu’on n’en savait presque rien. Les seuls documents qui existaient alors étaient deux gravures, qui étaient censées montrer une partie de la scène, plus trois descriptions écrites 4 . Les livres de compte ou registres de la compagnie sont pourtant conservés à la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française ; mais, comme l’avait remarqué John Lough en 1957, ils n’avaient pas été dépouillés de façon systématique, ce qui était toujours le cas vingt ans plus tard au moment où je préparais ma thèse 5 . Dans celle-ci 6 , puis dans mon premier livre sur l’Hôtel Guénégaud, j’ai cherché donc à compléter ces quelques rares documents en analysant les ventes de billets afin d’établir autant que possible la disposition de la salle. Je me suis très tôt rendue compte qu’elle avait eu plusieurs catégories de loges, qui pouvaient contenir 4, 6, 8, et même jusqu’à 12 personnes. Il fallait donc déterminer où ces loges avaient 4 Voir ibid., pp. 69-72. Notons que nous avons maintenant peut-être une troisième représentation de la scène de l’Hôtel Guénégaud grâce aux découvertes de Jérôme de La Gorce (Jérôme de La Gorce, Dans l’atelier des Menus Plaisirs du roi : spectacles, fêtes et cérémonies aux XVII e et XVIII e siècles, Paris : Artlys, 2010, pp. 88-89). 5 « It is true that the registers of the Théâtre Guénégaud, from its foundation in 1673 after the death of Molière down to its fusion with the Hôtel de Bourgogne in 1680, are preserved in the Archives of the Comédie Française ; unfortunately they still await the treatment accorded to the registers of the Comédie Française, which have been neatly summarised in recent years by Lancaster. » [« Il est vrai que les registres du Théâtre Guénégaud, de sa fondation en 1673, suite au décès de Molière, jusqu’à sa fusion avec l’Hôtel de Bourgogne en 1680, sont conservés aux Archives de la Comédie-Française ; malheureusement ils attendent toujours le traitement accordé aux registres de la Comédie-Française, qui ont été soigneusement résumé récemment par Lancaster. » (John Lough, Paris Theatre Audiences in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Oxford : Oxford University Press, 1957, p. 49). Les œuvres de Lancaster dont il parle sont les suivants : Henry Carrington Lancaster, The Comédie-Française 1680-1701 : Plays, Actors, Spectators, Finances, Baltimore and London : The Johns Hopkins Press and Oxford University Press, 1941, et « The Comédie-Française 1701-1774 : Plays, Actors, Spectators, Finances », Transactions of the American Philosophical Society, 41 (1951), pp. 593- 849. Nous espérons avoir remédié à ce manque de résumé dans notre deuxième volume sur l’Hôtel Guénégaud. Notons également que les registres de la Comédie- Française (mais non pas ceux de l’Hôtel Guénégaud avant 1680) sont maintenant disponibles sur le site du Comédie-Française Registers Project : http: / / cfregisters.org. 6 Jan Clarke, « The Guénégaud Theatre 1673-1680 and the Machine Plays of Thomas Corneille », thèse de doctorat, Department of French Studies, University of Warwick, 1988. L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 161 été situées, ce que j’ai fait en comparant les statistiques tirées des registres avec ce que nous savons à propos d’autres salles de l’époque 7 . Comme tant de théâtres du XVII e siècle, l’Hôtel Guénégaud fut une adaptation de jeu de paume : le Jeu de Paume de la Bouteille, située entre la rue de Seine et la rue Mazarine, face à la rue Guénégaud, d’où il prit son nom 8 . Ces salles avaient toutes plus ou moins la même forme : des rangs de loges (normalement deux plus une galerie au-dessus) autour d’un parterre où les spectateurs restaient debout devant une scène surélevée, avec un amphithéâtre en pente au fond de la salle et face à la scène, où les spectateurs étaient assis 9 . Dans les premières adaptations de jeux de paume, les loges avaient toutes les mêmes dimensions et pouvaient contenir jusqu’à huit personnes. Par exemple, selon le « Mémoire de ce qu’il faut faire au Jeu de Paume des Marets » de 1644, il fallait y construire « deux rangs de loges, dix huict loges de chacun rang de la largeur d’une thoise de millieu en millieu et de quatre pieds de proffondeur » 10 . La plupart des historiens s’accordent pour dire que les rangs de loges dans ces premières adaptations épousaient la forme rectangulaire du jeu lui-même, et j’ai moi-même émis 7 Sur mon utilisation des registres, voir Jan Clarke, « The Hôtel Guénégaud Auditorium According to the Theatre’s Account Books », in French ‘Classical’ Theatre Today : Teaching, Research, Performance, dir. Philip Tomlinson, Amsterdam- Atlanta GA, Rodopi, 2001, pp. 139-53. 8 Sur les adaptations de jeux de paume, voir W. L. Wiley, The Early Public Theatre in France, Cambridge, MA : Harvard University Press, 1960, pp. 158-77. 9 L’emplacement de l’amphithéâtre dans les adaptations de jeux de paume est un des grands sujets de débat en ce qui concerne l’histoire de l’architecture théâtrale en France au XVII e siècle. Voir S. Wilma Deierkauf-Holsboer, Le Théâtre du Marais, 2 vols, Paris : Nizet, 1954-58 ; John Golder, « The Théâtre du Marais in 1644 : Another Look at the Old Evidence Concerning France’s Second Public Theatre », Theatre Survey, 25 (November 1984), pp. 127-52 ; David Thomas, « The Design of the Théâtre du Marais and Wren’s Theatre Royal, Drury Lane : a Computer-Based Investigation », Theatre Notebook, 53 (1999), pp. 127-45 ; John Golder, « Back to the Théâtre du Marais, Plus a Post-Script on Wren’s Drury Lane : a Reply to David Thomas », Theatre Notebook, 55 (2001), pp. 24-37. 10 Deierkauf-Holsboer, Le Théâtre du Marais, t. 1, p. 195. Rappelons également que quand les comédiens de L’Illustre Théâtre construisit leur salle dans le Jeu de Paume de la Croix-Noire en 1644, il fut spécifié que les loges y devaient être faites « de la façon de celles du Marais », et que quand l’Hôtel de Bourgogne fut réaménagé en 1647, il fut stipulé dans le devis des travaux à exécuter que tout doit être fait « à l’instart et conformément aux theastre, loges et galleryes qui sont au jeu de paulme des Marestz » (Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller, Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, Paris : SEVPEN, 1963, pp. 261-62 ; S. Wilma Deierkauf-Holsboer, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, 2 vols, Paris : Nizet, 1968-70, t. 2, p. 185). Jan Clarke 162 l’hypothèse que cette forme était si ancrée dans l’esprit des comédiens que quand ils investissaient d’autres lieux qui n’était pas à l’origine des jeux de paume (le Petit Bourbon ou le Palais-Royal par exemple), ils en construisaient des imitations à l’intérieur de la salle préexistante 11 . Par contre, les salles les plus proches de l’Hôtel Guénégaud à l’époque avaient elles aussi des loges de différentes tailles. Par exemple, d’après une affiche publiée par Jérôme de La Gorce, le Jeu de Paume de Becquet, la première salle de Lully, avait en 1672 « les loges des costez de huit places chacune » et « les Loges du fond de douze places » 12 . Et les plans du Palais- Royal, adapté pour Lully par Carlo Vigarani l’année suivante, nous montrent que non seulement la salle avait été arrondie, mais qu’au premier étage les loges de fond étaient équipées de trois bancs au lieu de deux et pouvaient donc offrir des places à plus de spectateurs, et qu’il y avait deux loges ou « clavicules », plus petites que la norme, qui laissaient de la place pour les passages qui conduisaient à l’amphithéâtre. Au deuxième rang, cependant, à la place de ces passages et « clavicules », il y avait d’autres loges qui étaient plus larges que d’habitude 13 . La question de savoir à quel moment les salles de spectacle commençaient à être arrondies pour ressembler à des salles « à l’italienne » est primordiale dans l’histoire de l’architecture théâtrale française, et les érudits anglo-saxons l’ont beaucoup discuté, surtout à propos de l’Hôtel de Bourgogne 14 . John Golder a même suggéré que de tels travaux auraient pu être effectués au Marais dès 1655 15 . Encore plus signifiante, puisqu’il s’agit d’une preuve contemporaine, est une esquisse faite par James Thornhill lors 11 Jan Clarke, « Les Théâtres de Molière à Paris », Le Nouveau Moliériste, 2 (1995), pp. 247-72, p. 272. Sur les salles de Molière, voir également Philippe Cornuaille, Les Décors de Molière 1658-1674, Paris : Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 2015. 12 Jérôme de La Gorce, L’Opéra à Paris au temps de Louis XIV : histoire d’un théâtre, Paris : Desjonquères, 1992, p. 37. 13 Henri Lagrave, Le Théâtre et le public à Paris de 1715 à 1750, Paris : Klincksieck, 1972, pp. 81-86 et Figs 8-10. 14 Charles Niemeyer, « The Hôtel de Bourgogne : France's First Popular Playhouse », Theatre Annual, (1947), pp. 64-80 ; William L. Wiley, « The Hôtel de Bourgogne : Another Look at France's First Public Theatre », Studies in Philology, 70 (1973), pp. 1-114 ; David V. Illingworth, « Documents inédits et nouvelles précisions sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne d'après des documents du XVII e siècle », Revue d'histoire du théâtre, 22 (1970), pp. 125-32 ; John Golder et David V. Illingworth, « L’Hôtel de Bourgogne : une salle de théâtre ‘à l’italienne’ à Paris en 1647? », Revue d’histoire du théâtre, 23 (1971), pp. 40-49. 15 John Golder, « The Théâtre du Marais after 1650 : Structural Modifications to the Stage and Auditorium », Maske und Kothurn, (1985), pp. 247-61. L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 163 d’une visite à l’Hôtel de Bourgogne en 1717, publié par Graham Barlow. Sur son plan de la salle, il montre clairement qu’il y avait « 8 divisions », c’est-àdire sept loges de chaque côté, où les spectateurs étaient placés en deux rangs de quatre, avec trois loges de fond dont la profondeur n’est pas indiquée 16 . Mais ce qui frappe le plus dans l’esquisse de Thornhill, c’est la forme du fond de la salle où, au lieu d’un rectangle ou d’une courbe, on avait maintenu les lignes droites, mais en rapprochant les dernières loges de côté autour de l’amphithéâtre. Dans ce contexte, il est intéressant de comparer l’esquisse de Thornhill avec les plans de l’Hôtel de Bourgogne de Girault datant de 1760, découverts par John Golder, où l’on voit qu’à cette date, les dernières loges de côté et les loges de fond visibles dans l’esquisse de Thornhill avaient été divisées pour créer un plus grand nombre de petites loges avec un passage central menant à l’amphithéâtre. Fait intéressant, Golder constate à partir de ces plans que toutes les loges de côté se rapprochaient et non seulement les dernières, mais ceci d’une façon presque imperceptible en ce qui concerne les cinq premières, ce qui explique le fait que ce phénomène avait échappé à Thornhill et, après lui, à Barlow 17 . Mettant ensemble toutes les informations alors disponibles, j’ai proposé dans ma thèse un plan hypothétique de l’Hôtel Guénégaud, où j’ai adopté la forme du fond de la salle de l’Hôtel de Bourgogne selon Thornhill et la taille des loges de fond du Becquet et du Palais-Royal remanié pour Lully par Vigarani 18 . J’ai également emprunté du Palais-Royal les deux passages donnant accès à l’amphithéâtre, ainsi que les clavicules, car j’ai déduit de mon analyse des livres de compte que de telles loges, qui pouvaient contenir jusqu’à quatre personnes seulement, avaient également existé à l’Hôtel Guénégaud. Mais ma restitution était surtout le produit de mon analyse des registres et des informations qu’ils contiennent à propos de la vente des billets. Je travaille actuellement sur la période de 1680 à 1689, quand l’Hôtel Guénégaud abrita la Comédie-Française, et je suis heureuse de 16 Graham Barlow, « The Hôtel de Bourgogne according to Sir James Thornill », Theatre Research International, 1 (1976), pp. 86-98, Plate 3. Les dessins de Thornhill sont reproduits également dans John Golder, « The Hôtel de Bourgogne in 1760 : Some Previously Unpublished Drawings by Louis-Alexandre Girault », Journal for Eighteenth-Century Studies, 32 (2009), pp. 455-90, Figs 8 et 9. 17 Golder, « The Hôtel de Bourgogne in 1760 ». p. 473. 18 Lagrave, Le Théâtre et le public, Figs 8 et 9. Mon plan est reproduit dans Clarke, Guénégaud I, Fig. 13, et, sans permission, dans Charles Mazouer, Le Théâtre français de l’Âge Classique II : l’apogée du Classicisme, Paris : Honoré Champion, 2010, Fig. 7. Il figure aussi (avec permission) sur le site du Projet des Registres de la Comédie-Française, http: / / cfregisters.org/ en/ scholarly-resources/ paris-playhouses / hôtel-guénégaud. Jan Clarke 164 pouvoir constater que jusqu’ici je n’ai rien découvert pour démentir les grandes lignes de mes premières conclusions. Presque vingt ans après avoir terminé ma thèse, j’ai fait donc la découverte dans les archives de la Bibliothèque-Musée de la Comédie- Française que j’ai mentionnée ci-dessus. Je regardais des documents relatifs à un appartement ayant appartenu à un certain M. Du Manoir que la troupe avait loué en 1685 19 . Une feuille de papier avait été pliée en deux afin de garder ensemble des quittances, et quand je l’ai ouvert afin de les remettre, j’ai remarqué un petit croquis au dos (Fig. 1) qui montrait un théâtre, avec son plateau (A), ses loges (B) et son parterre (C) (Fig. 2) 20 , mais qui ne ressemblait à aucun des autres théâtres que j’avais étudiés auparavant. Je me suis mise donc à l’identifier. J’ai commencé en essayant d’établir la date du dessin. Comme nous avons vu, l’Hôtel Guénégaud avait été construit par Sourdéac et Champeron entre 1670 et 1671. Les comédiens, qui avaient acheté le bail en 1673 21 , continuaient à l’occuper jusqu’en 1689, quand ils en furent expulsés à cause de sa trop grande proximité au Collège des Quatre Nations. Après de longues démarches, la troupe réussit à acheter un nouveau jeu de paume, le Jeu de Paume de l’Étoile dans la rue des Fossés Saint-Germain, avec des maisons avoisinantes. Mais cette fois-ci, au lieu d’adapter celui-ci en théâtre, ils le firent démolir afin de construire la salle et la scène conçues pour eux par l’architecte François d’Orbay, et ils y restèrent jusqu’en 1770 22 . En même temps, l’intérieur de l’Hôtel Guénégaud fut démoli et le bâtiment redevint un jeu de paume. La feuille que j’avais trouvée rassemblait des mémoires datant de 1685, mais aurait pu être utilisée à cette fin à n’importe quel moment. Il fallait donc trouver un moyen de la dater avant de procéder à d’autres formes d’analyse. Il y avait une filigrane que j’ai pu identifier comme étant celle de Thomas Dupuy, un des plus grands fabricants de papier auvergnats de l’époque 23 . Cependant, puisqu’il était actif pendant toute la deuxième moitié du XVII e siècle et le début du XVIII e , cela ne m’était guère utile en ce qui concernait la datation de mon document. 19 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, 1 AG-1685-2, Quittances de M. Du Manoir pour un appartement que la troupe tenait de lui, suivant le bail ci-joint. 20 Dans notre Figure 2, le croquis a été retourné afin de faciliter une comparaison avec les autres plans de théâtre. 21 Jules Bonnassies, La Comédie-Française : histoire administrative (1658-1757), Paris : Didier, 1874, pp. 27-30. 22 Nicole Bourdel, « L’Établissement et la construction de l’hôtel des Comédiens Français rue des Fossés-Saint-Germain-des Prés (Ancienne Comédie) 1687-1690 », Revue d'histoire du théâtre, 2 (1955), pp. 145-72. 23 Louis Apcher, Les Dupuy de la Grandrive, Paris : Gaston Saffroy, 1937. L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 165 La feuille porte l’inscription suivante : « Quittances de Mr Du Manoir de 200 l par an pour un appartement que la Trouppe tenoit de luy suivant le bail cy joint expiré le dernier Mars 1685 » (Fig. 3). En examinant l’écriture, j’ai reconnu celle de La Grange, membre des troupes de Molière et de l’Hôtel Guénégaud avant de passer à la Comédie-Française en 1680, où il resta jusqu’à sa mort en 1692 24 . Il s’en suivait donc que l’inscription avait été faite entre 1685 et 1692. Il me semble aussi évident que le croquis était déjà sur la feuille au moment où celle-ci fut utilisée comme classeur, puisqu’il est difficile de concevoir une situation dans laquelle il aurait été ajouté après. Dans une tentative d’identifier la salle du croquis, je l’ai comparé avec des plans d’autres théâtres de l’époque. À mon avis, le détail le plus curieux en est le fond de la salle, où l’on ne voit ni une ligne droite, ni une courbe, mais une sorte d’« indentation » arrondie (D) avec ce qui pourrait être un couloir (E) qui y mène, une forme carrée d’un côté (M) et une autre à peine visible de l’autre (N). Deux petits traits (F) de chaque côté de cette « indentation » centrale sont aussi curieux. Une interprétation possible est que l’« indentation » représente la forme de l’amphithéâtre (très originale, il faut l’avouer) et que les traits indiquent les séparations entre les loges qui l’entourent. Mais dans ce cas, pourquoi y en a-t-il si peu ? Et si l’« indentation » montre l’amphithéâtre, pourquoi les bancs dont il aurait été munis et la séparation entre l’amphithéâtre et le parterre ne sont-ils pas montrés ? Il faut dire aussi que le « couloir » est d’une largeur tout à fait démesurée, même prenant en considération le manque de proportion entre les éléments constituants que l’on voit dans le croquis en général - tout à fait compréhensible, il faut l’avouer dans une production pareille. Notons également, des deux côtés de ce « couloir », deux formes arrondies (G) - j’y reviendrai. De toute façon, dans ma quête d’identifier le théâtre du croquis, il me semblait que je pouvais tout de suite éliminer le Palais-Royal de Lully et Vigarani puisque les deux rangs de loges dans le croquis ne se rapprochent pas vers le fond, et puisque la salle de Vigarani avait deux passages donnant accès à l’amphithéâtre et non pas un seul passage central. Il est vrai que, entre la date des plans qui montrent l’adaptation de Vigarani de 1673 et la publication de l’Architecture française de Blondel 25 , le Palais-Royal aussi 24 Georges Mongrédien et Jean Robert, Les Comédiens français du XVII e siècle : dictionnaire biographique, Paris : Centre National de la Recherche Scientifique, 1981, pp. 121-22. 25 Jean-François Blondel, Architecture françoise, ou Recueil des plans, élévations, coupes et profils des églises, maisons royales, palais, hôtels & édifices les plus considérables de Paris... , 4 vols, Paris : Charles-Antoine Jombert, 1752-56. Le texte et les plans de Jan Clarke 166 avait été équipé d’un passage central, bien que les vestiges des anciens passages et clavicules restent encore visibles (Fig. 4), mais là encore non seulement la date mais aussi la disposition des loges (se rapprochant avec un bout arrondi) semblaient l’éliminer de notre enquête. De la même façon, si la salle de la Comédie-Française construite par d’Orbay en 1689 (Fig. 5) avait un passage central qui divisait les loges de fond, celles-ci formaient une courbe et les loges de côté se rapprochaient. L’Hôtel de Bourgogne restait cependant une possibilité, puisque nous ne savons pas à quel moment la forme de la salle décrite par Thornhill en 1717 fut introduite, mais il était difficile de concevoir pourquoi les Comédiens Français auraient dessiné cette salle 26 . N’ayant pu accorder le fond de la salle dans le croquis avec aucun théâtre de l’époque, j’ai regardé ensuite la scène (A). Le détail le plus étrange ici est un objet rectangulaire devant la scène (H) que j’ai d’abord pris pour un orchestre ou un « parquet », suivant le modèle de l’Hôtel de Bourgogne de Thornhill 27 . Entre cet objet et la scène, six petits traits (I) Blondel sont disponibles sur le site de l’Université de Kyoto : https: / / edb.kulib.kyoto-u.ac.jp/ exhibit-e/ f01/ f01_1cont.html. 26 Au moment de la création de la Comédie-Française en 1680, la troupe italienne avec laquelle les comédiens de l’Hôtel Guénégaud avaient partagé leur théâtre, passa à l’Hôtel de Bourgogne, où elle continua de jouer jusqu’à son expulsion en 1696. Puis, à partir de leur rétablissement en 1716, les Italiens de nouveau occupèrent l’Hôtel de Bourgogne. 27 Barlow, « The Hôtel de Bourgogne according to Sir James Thornill », Plate 2. Sur le parquet, voir Clarke, Guénégaud I, pp. 76-78. Dans son article sur les plans de Girault, John Golder inclut la note suivante : « […] I can find no evidence to support Jan Clarke’s assertion […] that ‘[a]t the new Comédie-Française of 1689, a section of the pit, known as the parquet, was specifically designated a seating area.’ Nowhere, in either his engravings of the Comédie-Française or his account of them, does Blondel mention a parquet. When he does use the term, in 1754, it is to refer to the entire parterre area of the tiny court theatre at Versailles […]. Pierre Patte uses the term in exactly the same way in 1782 […]. » [« Je ne trouve pas de preuves pour soutenir l’affirmation de Jan Clarke qu’à la Comédie-Française nouvelle de 1689 une section du parterre, connue sous le nom de parquet, était spécifiquement réservée pour des places assises. Blondel ne fait mention d’un parquet nul part dans ses plans de la Comédie-Française et les descriptions qu’il en fait. Quand il utilise le terme, en 1754, c’est pour désigner tout le parterre dans la minuscule salle utilisée par la cour à Versailles […]. Pierre Patte utilise le terme de précisément la même façon en 1782 […]. » (Golder, « The Hôtel de Bourgogne in 1760 », p. 489, n. 63). Mais comme Golder le dit lui-même (p. 477), dans la Comédie-Française de d’Orbay, deux sections de la salle, devant la scène et de chaque côté de l’orchestre des musiciens, appelées par Blondel « l’emplacement de l’orchestre pour les spectateurs » (voir Lagrave, Le Théâtre et le public, p. 75), L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 167 semblent figurer les feux de la rampe. Notons que dans l’esquisse de Thornhill, le trou du souffleur est placé au milieu de la scène. À l’époque de Blondel, le Palais-Royal et la Comédie-Française étaient organisés d’une façon comparable en ce qui concerne la présence du parterre, de l’orchestre et du « parquet » (Figs 4 et 5). Et la présence dans le plan du Palais-Royal de sept formes rondes dans la même position que les traits dans notre croquis semble confirmer notre suggestion que ceux-ci représentent la rampe. Mais, si nous comparons la scène du croquis avec le plan de Blondel de la Comédie-Française au niveau du rez-de-chaussée (Fig. 6), nous voyons que dans cette salle, le trou du souffleur était situé non pas au milieu du plateau mais devant lui (marqué « 3 » sur le plan de Blondel). Il me semble donc plus probable que ceci était le cas à l’Hôtel Guénégaud également, ce qui expliquerait l’objet rectangulaire devant la scène dans le croquis. Les loges de côté (B) sont indiquées dans le croquis avec si peu de détail en comparaison avec l’esquisse de Thornhill que nous ne pouvons pas en conclure grande chose - une seule loge y est représentée avec de petites formes rondes pour suggérer les têtes des spectateurs. Il faut cependant noter une spirale curieuse (J) au bout d’un des rangs de loges. Un plan partiel de l’Hôtel de Bourgogne publié par Dumont montre un escalier en colimaçon presque au même endroit 28 , tandis que les plans de Girault publiés par Golder montrent qu’il y avait en fait un escalier de chaque côté 29 . Il me semble donc probable que la spirale dans le croquis représente elle aussi un escalier en colimaçon. étaient équipées de bancs et désignées pour des spectateurs. De la même façon, Thornhill montre deux bancs qui contournaient l’orchestre à l’Hôtel de Bourgogne en 1717. Selon Golder (qui se base sur une remarque de Gueullette), un vrai parquet ne fut créé à la Comédie-Française qu’en 1759 et à l’Hôtel de Bourgogne l’année suivante. Je suis reconnaissante à M. Golder pour ces précisions, et j’ai peut-être utilisé le terme « parquet » pour désigner ces endroits anachroniquement, mais l’argument me semble quelque peu sémantique puisque nous sommes tous les deux d’accord qu’il y avait à la Comédie-Française des places assises pour des spectateurs entre le parterre et la scène à partir de 1689. 28 Gabriel-Martin Dumont, Parallele de plans des plus belles salles de spectacles d'Italie et de France, avec des details de machines theatrales, Paris, 1774 ; New York : Benjamin Blom, 1968. Ce plan est aussi reproduit dans Golder, « The Hôtel de Bourgogne in 1760 », Fig. 7. 29 Golder, « The Hôtel de Bourgogne in 1760 » ; voir surtout les Figs 2 et 2a. Comme Golder l’indique, les plans de Girault furent créés en 1760 afin de procéder à des modifications de la salle, et ce fut à ce moment que l’escalier en colimaçon fut introduit, remplaçant celui qui avait été au même endroit auparavant, comme le prouve le plan partiel de Dumont qui date de 1774. Jan Clarke 168 Le plan partiel de Dumont est fait au niveau du rez-de-chaussée et non pas au niveau des premières loges, qui étaient surélevées au-dessus du parterre, tout comme l’amphithéâtre. Il nous permet donc de voir qu’à l’Hôtel de Bourgogne il y avait un café situé en-dessous de l’amphithéâtre. Et nous voyons d’après le plan de Blondel qui montre la Comédie-Française au même niveau (Fig. 6), qu’en-dessous de l’amphithéâtre dans cette salle il y avait non seulement un café mais aussi une salle pour les gardes 30 . Quelles conclusions donc pouvons-nous tirer de toutes ces considérations et sommes-nous plus proches d’une identification du théâtre ? Quand j’ai présenté ce croquis pour la première fois 31 , j’ai émis trois hypothèses : ou il représente la disposition de la salle de l’Hôtel Guénégaud au milieu des années 1680, ou (moins probable) un autre théâtre que la troupe voulait imiter au même moment, ou des éléments que la troupe voulait incorporer dans une salle future. Mais le plus que j’y réfléchissais, le plus je trouvais ces trois possibilités insuffisantes : il n’y avait pas de raison pour la troupe de dessiner ce qui existait déjà ; il n’y avait pas de théâtre contemporain comparable, donc pas d’imitation ; et les comédiens n’avaient pas l’intention de changer de salle avant 1687, quand ils furent expulsés de l’Hôtel Guénégaud. Plus récemment, cependant, dans le contexte de la préparation d’un autre article 32 , j’ai trouvé des références dans les comptes rendus des assemblées de la Comédie-Française qui pourraient, me semble-t-il, offrir une autre explication plus satisfaisante. J’avais été frappée par les ressemblances entre le croquis et les dessins qui montrent ce qu’il y avait endessous de l’amphithéâtre à la Comédie-Française et à l’Hôtel de Bourgogne. Il me semblait donc que le croquis pourrait indiquer ce qu’il y avait endessous de l’amphithéâtre à l’Hôtel Guénégaud, comme je le développerai par la suite. Ce qui est curieux, cependant, c’est que sur le croquis nous voyons (à mon avis) l’endroit sous l’amphithéâtre en même temps que des éléments qui étaient au même niveau que celui-ci, comme les loges et la scène. Le croquis représente donc un composite, où des éléments situés à plusieurs étages sont combinés ensemble, ce qui est tout à fait logique, vu 30 Sur son plan (Fig. 6), Blondel indique la position du « Caffé au dessus du quel est l’Amphithéatre ». 31 Saint Catherine’s College, Oxford, juin 2006. 32 Jan Clarke, « O Hôtel Guénégaud: de quadra de tênis a teatro e novamente adaptado como quadra », in Arquitetura, Teatro e Cultura: revisitando espaços, cidades et dramaturgos do século XVII, dir. Evelyn Furquim Werneck Lima, Rio de Janeiro, Contra Capa, 2012, pp. 85-120. L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 169 que le croquis n’est pas un plan d’architecte, mais fut probablement gribouillé à la hâte pour illustrer un point quelconque 33 . Afin de pouvoir aller plus en avant dans l’analyse du croquis, il faut comprendre les étapes qu’un membre du public devait suivre avant de pouvoir accéder au spectacle. Tout d’abord il fallait acheter un billet à un bureau qui, pendant les premières années de l’activité de l’Hôtel Guénégaud, était situé à l’extérieur du théâtre. Ce « bureau de la recette » était le domaine de Mme Provost - receveuse de la troupe de Molière puis de celle de l’Hôtel Guénégaud jusqu’à sa retraite en 1703 34 . Après avoir acheté son billet, notre spectateur l’aurait porté à un « contrôleur », qui l’aurait échangé contre une « contremarque », indiquant sa place. Le fonctionnement de ce système au XVIII e siècle est décrit ainsi par Luigi Riccoboni : Pour entrer au spectacle, il y a deux portes dans la rue, une qui conduit au parterre seulement, et l’autre à toutes les autres places. À côté de ces deux portes, il y a deux petites fenêtres grillées par où l’on distribue les billets ; l’une sert pour le parterre seulement, et l’autre pour le reste des places de la salle. Sur chaque billet est ordinairement imprimé le nom de la place selon laquelle on a payé en le prenant. Chacun, en donnant son billet à celui qui est à la porte du théâtre, en reçoit un autre sur lequel est imprimé « contremarque », et le nom de la place que l’on doit occuper. […] Les contremarques se rendent à des gens préposés pour ouvrir les loges, y placer ceux qui arrivent et les refermer […] 35 . Notons que selon Riccoboni, qui n’identifie pas de théâtre en particulier mais qui parle sans doute de l’Hôtel de Bourgogne, il y avait habituellement deux bureaux pour l’achat des billets - j’y reviendrai. Ces bureaux sont visibles sur un des plans de l’Hôtel de Bourgogne publiés par Golder (Fig. 2a), où ils sont appelés le « Bureau du Theatre Et premier et 2e Loge » et le « Bureau du parterre et 3e Loge », et où l’on voit clairement les guichets qui permettaient la vente de billets aux membres du public avant leur entrée dans le théâtre. Il y avait deux bureaux de vente également à la Comédie- 33 Dans son article, « Seeing is Believing : the Historian’s Use of Images », in Representing the Past : Essays in Performance Historiography, dir. Charlotte M. Canning et Thomas Postlewait, Iowa City, University of Iowa Press, 2010, pp. 215- 39, David Wiles signale les dangers inhérents pour l’historien du théâtre dans l’interprétation des images qui représentent des salles qui existaient en trois dimensions. 34 Jurgens et Maxfield-Miller, Cent ans, p. 723. 35 Luigi Riccoboni, Réflexions historiques et critiques sur les différents théâtres de l'Europe, Paris : Jacques Guérin, 1738, pp. 135-36, in Lagrave, Le Théâtre et le public, pp. 53-54. Jan Clarke 170 Française de d’Orbay (Fig. 6), plus trois plus petits pour la distribution des contremarques, qui sont décrits comme suit dans la légende du plan de Blondel : Le bureau G est celui de la recette pour la distribution des billets du Parterre ; celui H pour celle des premieres, secondes & troisiemes Loges, ainsi que pour le Théatre, et ceux I sont destinés pour distribuer les contremarques […] 36 . Il semble pourtant que pendant les premières années de l’Hôtel Guénégaud, il n’y avait qu’un seul « bureau de la recette », ce qui est confirmé par Chappuzeau qui écrit ainsi en 1674 à propos du « Receveur au Bureau » : « Il ne quitte le Bureau que lorsque la Comedie est achevée, et il n’y en a qu’un pour toute la recette du Theatre, de l’Amphitheatre, des Loges et du Parterre » 37 . Selon Chappuzeau, les « contrôleurs » étaient placés à côté des portes que donnaient accès aux différentes sections de la salle (sans mention de bureaux) : Les Contrôleurs des Portes, qui sont deux, l’un à l’entrée du Parterre, et l’autre à celle des Loges, sont commis à la distribution des billetz de contrôle, pour placer les gens qui se presentent aux lieux où ils doivent aller, selon la qualité des billets qu’ils aportent du Bureau où ils les ont esté prendre. Ils ont soin aussi, que les Portiers fassent leur devoir, qu’ils ne reçoivent de l’argent de qui que ce soit, et qu’ils traittent civilement tout le monde 38 . L’année suivante, pourtant, il y avait trois contrôleurs car, selon une liste des « frais ordinaires » ou journaliers dressée par la compagnie en 1675, en plus de Mme Provost, « qui fait la recette au bureau », et Mlle Hubert, qui « a la charge des billets », il y avait M. Duchemin « à la porte du parterre » plus deux « contrôleurs » anonymes « pour recevoir les billets l’un à la porte des loges et l’autre à celle du parterre » 39 . 36 Blondel, Architecture françoise, t. 2, p. 30. 37 Samuel Chappuzeau, Le Théâtre français, éd. C.J. Gossip, Lyon : Michel Mayer, 1674 ; Tübingen : Gunter Narr, 2009, p. 228. 38 Ibid. Auparavant, les deux « Contrôleurs » avaient été des employés de Sourdéac et Champeron : une concession que la troupe du Guénégaud avait été obligée de leur accorder afin de mettre fin à la dispute qui avait interrompu la préparation de Circé de Thomas Corneille et Jean Donneau De Visé. En même temps, selon La Grange, Champeron essaya d’insinuer son frère dans le bureau de la recette, ce qui lui fut refusé (La Grange, Registre, dir. B. E. Young et G. P. Young, 2 vols, Paris : Droz, 1947, t. 1, p. 169). 39 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R6, Registre 1674-1675, p. 138v. Je n’ai pas pu déterminer ce que voulait dire avoir « la charge des billets ». L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 171 Il arriva de temps en temps des désordres aux portes de l’Hôtel, provoqués par des gens qui voulaient entrer sans payer. Afin d’essayer d’y mettre fin, les comédiens prirent la décision lors de leur assemblée du 22 mars 1683 d’installer un tourniquet : On a resolu de faire faire un tourniquet a la porte du parterre et d’y poster Monsieur Dupin pour y recevoir les billets, accompagné d’un garde qui empeschera qu’on ne force le tourniquet, et les gardes qui seront a la porte de la Rue ne laisseront entrer qui que ce soit sans billet 40 . En même temps, la troupe détermina de changer l’emplacement du « bureau de la recette » : On a resolu de faire faire le bureau de la Recepte en dedans la Chambre ou se faict le Conte et de faire abbatre celuy qui est a present en dehors. On a resolu que Mesdemoiselles hubert et Brecourt seront en dedans et qu’on leur fera une place comode et une barriere s’il est besoin dans l’allée qui conduit aux loges 41 . Voici la preuve donc qu’avant cette date à l’Hôtel Guénégaud le « bureau de la recette » était toujours situé en dehors du théâtre. En ce qui concerne son nouvel emplacement, dans « la Chambre ou se faict le Conte », une indication est fournie par le plan du rez-de-chaussée de la Comédie-Française (Fig. 6), où nous voyons que la « Salle des Décomptes » se trouvait entre la salle des gardes et le café, et qu’elle avait une forme curieuse, presque identique à ce que j’avais d’abord pris pour un couloir dans le croquis (E). Il y a donc tout lieu de croire que le nouveau bureau était situé au même endroit dans l’Hôtel Guénégaud, d’autant plus que la nouvelle Comédie- Française avait été conçue avec la coopération des comédiens et semble avoir reproduit bon nombre des caractéristiques de cette salle tout en améliorant d’autres. 40 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R52_0_1683, Feuilles d'assemblée, 1683, s.p. Joseph Du Landas, dit Dupin, avait été auparavant comédien avec les troupes du Marais et de l’Hôtel Guénégaud ; il s’était retiré de la scène en 1680 (Mongrédien et Robert, Dictionnaire biographique, p. 90). Sur les employés de théâtre, voir notre article, « ‘Cinquante pauvres ouvriers’ : employés et fournisseurs chez Molière et à l'Hôtel Guénégaud de 1660 à 1689 », Revue d'histoire du théâtre, à paraître. 41 Mlle Hubert (Catherine Morant) était la femme du comédien André Hubert ; elle avait auparavant joué elle-même avec la troupe du Marais. Mlle Brécourt (Étiennette Desurlis) était la femme de Guillaume Marcoureau, dit Brécourt, et avait joué à l’Hôtel de Bourgogne avant d’entrer à la Comédie-Française. Selon Mongrédien et Robert, elle ne prit sa retraite qu’en 1687, ce qui doit être une erreur, vu sa présence au contrôle des loges dès 1683 (Mongrédien et Robert, Dictionnaire biographique, pp. 48, 113). Jan Clarke 172 Mlle Hubert (qui semble avoir changé d’emploi) et Mlle Brécourt étaient les « contrôleurs » des loges. Le compte rendu de l’assemblée du 22 mars 1683 laisse entendre qu’à ce moment-là c’était la norme d’en avoir deux à chaque représentation. Mais la liste des « frais ordinaires » dressées au commencement de la saison suivante, où il est question de « Mlle Hubert ou Brécourt » suggère par contre (et à mon avis à tort) qu’elles travaillaient alternativement 42 . Avec M. Dupin qui était alors « contrôleur du parterre », ce sont ces trois individus qui auraient échangé les billets achetés au bureau contre des « contremarques ». Mais ces nouvelles informations peuvent-elles nous aider dans l’interprétation du croquis ? Il y a deux objets rectangulaires contre le mur à l’extrême droite du croquis inversé (K dans la Fig. 2), qui pourraient être des bureaux. Mais dans le mémoire d’assemblée de 1683 cité ci-dessus il n’est question que d’un seul bureau de la recette et il y est dit que Mlles Hubert et Brécourt seront placées dans l’allée qui conduit aux loges 43 . Je mettrai donc ces objets temporairement de côté pour y revenir plus tard. J’ai déjà dit qu’à mon avis la forme spirale (J) indique un escalier en colimaçon menant au premier étage et donc aux loges. Je suis tentée donc de voir la loge de Mlles Hubert et Brécourt dans la forme étroite rectangulaire qu’on peut à peine distinguée à côté de celle-ci (L). Le fait que les deux femmes partageaient un seul bureau est confirmé par un autre mémoire, du 24 décembre 1685, où il est dit que « Les Demoiselles Brecourt et guiot qui controllent la porte des loges se tiendront a leur poste jusques a la moitié de la petite comedie lors qu’il y en aura et jusques a la moitié du cinquieme acte des pieces comiques 44 . » Puis, le 20 mai 1686, quand Mme Provost semble avoir été temporairement remplacée par Mme La Roque 45 : 42 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R15, Registre 1683-1684, p. 2. 43 Dans les théâtres de l’époque, les planchers étaient garnis de natte. Ainsi, le 5 septembre 1683, 6 livres 15 sols furent payés pour « trois toises [5.85 m.] de natte mise dans le passage des loges » (Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R14, Registre 1682-1683, p. 142). Mais nous ne pouvons pas savoir s’il s’agit de l’allée qui conduisait aux loges ou d’une galerie derrière elles. 44 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R52_0_1685, Feuilles d'assemblée, 1685, s.p. Mlle Guyot (Judith de Nevers, dite) avait été membre de la troupe de la Comédie-Française et remplaça Mlle Hubert quand celle-ci prit sa retraite le 14 avril 1685. Ainsi, elle figure au « Controlle » dans la liste des « frais ordinaires » pour la saison 1685-86, à côté de Mlle Brécourt et M. Dupin (Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R17, Registre 1685-1686, s.p.). Elle avait auparavant joué avec les troupes du Marais et de l’Hôtel Guénégaud (Mongrédien et Robert, Dictionnaire biographique, p. 109). 45 Sans doute Catherine de Bière, la veuve du comédien La Roque (Mongrédien et Robert, Dictionnaire biographique, pp. 127-28). L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 173 La Compagnie a resolu lors que l’on joue une grande piece et une petite, de ne recevoir les comptes du bureau que pendant la petite et Mlles Brecourt et guiot se tiendront s’il leur plaist a leur controlle jusques a ce que l’on reçoive lesd. comptes de Mlle de la Roque 46 . Je conclus donc que « la Chambre ou se faict le Conte », où allait se trouver le nouveau bureau de la recette de 1683, était située dans l’Hôtel Guénégaud plus ou moins au même endroit que la « Salle des Décomptes » de la Comédie-Française. Le seul problème c’est qu’un tel bureau n’est pas montré dans le croquis. On y voit deux grandes formes carrées de chaque côté du « couloir » (M et N), dont l’une peut à peine être distinguée, mais celles-ci paraissent trop grandes pour être le bureau, même prenant en considération le manque de proportion que nous avons noté plus haut. De plus, des ouvertures vers la rue n’auraient pas été possible dans cette position. La question reste donc un mystère pour l’instant, mais je suis tentée de croire que le bureau de la recette de 1683 aurait été situé contre le mur de face entre les deux formes rectangulaires (K). Les travaux ne s’avançaient guère. Le 24 mai 1683, la troupe nota que « Mrs Baron et Brecourt se sont chargez de faire accomoder les Bureaux comme on l’a cy devant resolu dont on leur donnera un devis tiré sur les delliberations qui en ont esté faictes » 47 . Mais l’année suivante, il fallut encore rappeler que : Messieurs le Baron, de Brecourt et Raisin se sont chargez de faire construire les bureaux de la porte et de la recepte suivant la delliberation qui en fut fait l’année derniere ce qui sera executé aussitost que l’on aura quitté le Theastre pour estre prest pour le commencement apres pasques 48 . Ce ne fut, cependant, qu’en 1685 qu’un maçon soumit un mémoire où il était question d’avoir « sellé quatre tourniquets dans les galleries qui servent aux portes des entrées » 49 . C’était sans doute en raison de ces travaux que le 25 juin 1685, la troupe « a commis pour examiner les affaires et memoires 46 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R52_0_1686, Feuilles d'assemblée, 1686, s.p. 47 Feuilles d'Assemblée, 1683. Brécourt et Baron étaient des membres de la troupe (Mongrédien et Robert, Dictionnaire biographique, pp. 20-21, 47-48). 48 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R52_0_1684, Feuilles d'Assemblée, 1684, 13 mars. Raisin (sans doute Jacques, souvent appelé « l’aîné » pour le distinguer de son frère cadet, Jean-Baptiste) était un autre membre de la troupe (Mongrédien et Robert, Dictionnaire biographique, pp. 176-78). 49 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, 1 AC, Archives Comptables, s.p. Le fait qu’il y en avait autant me fait penser que les comédiens avaient pris la décision de placer un tourniquet à chaque entrée de la salle : pour le parterre, les loges, le théâtre et l’amphithéâtre. Jan Clarke 174 des ouvriers qui ont travaillé aux galleries et ouvrages du Theastre Mrs le Comte, la Tuillerie, Raisin l’aisné et La grange » 50 . Malheureusement, le problème des désordres n’avait pas été résolu et le 24 septembre 1685, la troupe dut y réfléchir de nouveau : La Compagnie s’est assemblée extraordinairement au sujet du desordre qui arrive a la recepte de l’argent. On a resolu de changer les postes pour aujourd’huy. Le fevre et Subtil se mettront au parterre. Les deux gardes du parterre se mettront a la porte des loges avec les deux demoiselles dont l’une donnera les billets d’un escu, et l’autre les billets de trente et de vingt sols. Mr Dupin se mettra a la petite loge des demoiselles pour prendre garde a l’amphitheatre et a la loge de limonade et aux billets escrits a la main. Deffence expresse a ceux qui sont a la porte de prendre de l’argent et ordre de renvoyer tous ceux qui se presentent au bureau pour y prendre des billets 51 . Nous voyons donc d’après ce document que « l’allée qui conduit aux loges », où avait été située « la petite loge des demoiselles » avant ce changement était proche de l’amphithéâtre et de la loge à limonade, c’est à dire le café. Il nous semble donc qu’à l’Hôtel Guénégaud aux années 1680, la loge à limonade était située sous l’amphithéâtre (comme à la Comédie-Française de d’Orbay et l’Hôtel de Bourgogne au XVIII e siècle) 52 , et qu’elle pourrait être représentée dans le croquis par le demi-cercle que nous avons appelé cidessus une « indentation » (D). Elle aurait donc ressemblé plus au café de l’Hôtel de Bourgogne, qui occupait toute la largeur de l’amphithéâtre, qu’à celui de la Comédie-Française, qui était situé d’un côté de la « Salle des Décomptes » avec une salle des gardes de l’autre (Fig. 6). Je suis confortée dans cette opinion par le fait que le rectangle que j’ai proposé comme indiquant « la petite loge des demoiselles » (L), est effectivement entre 50 Feuilles d'assemblée, 1685, s.p. Le Comte et La Tuillerie étaient aussi des membres de la troupe (Mongrédien et Robert, Dictionnaire biographique, pp. 131, 134-35). 51 Feuilles d'assemblée, 1685, s.p. Subtil était l’un des portiers de la troupe ; sans doute Lefèvre en était un autre. En ce qui concerne les « demoiselles », l’une aurait donné les billets pour les premières loges, (et peut-être aussi pour le théâtre et l’amphithéâtre), qui étaient tous à 3 livres, et l’autre les billets pour les deuxièmes loges (à 30 sols) et troisièmes loges (à 20 sols). Ceux-ci étaient les prix « au simple » ; sur la pratique du « double » voir Clarke, Guénégaud I, pp. 190-94. 52 Voir Fig. 6 et Golder, « The Hôtel de Bourgogne in 1760 », Figs. 2a et 7. Selon Chappuzeau, en 1674, la « Distributrice des liqueurs et des confitures […] occupe deux places, l’une pres des Loges, et l’autre au Parterre où elle se tient, donnant la premiere à gouverner par commission » (Chappuzeau, Le Théâtre français, p. 233). Les documents que nous avons cités font croire, cependant, que dix ans plus tard à Guénégaud au moins il n’y en avait qu’une seule. L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 175 l’escalier en colimaçon qui mène vers le haut et l’espace que je prends pour le café. Dans la Figure 6 qui représente la Comédie-Française de d’Orbay, il y a deux ouvertures dans le mur courbé qui épouse la forme du fond de la salle : l’une qui mène au café et l’autre qui mène à la salle des gardes. Celles-ci ressemblent énormément aux traits F dans le croquis, qui pourraient donc figurer des portes ou ouvertures aussi. Mais je dois avouer tout de même qu’il me semble étrange que le devant du café ne soit pas montré dans le croquis et j’hésite à suggérer qu’il aurait été ouvert sur toute sa largeur derrière le parterre. Mais il reste toujours le problème des deux formes rectangulaires de chaque côté du « couloir » (K). Nous avons déjà vue que, selon John Golder, les dessins de Girault furent créés en vue des rénovations à faire à l’Hôtel de Bourgogne en 1760. Les Figures 2 et 2a sont les plus intéressantes dans le contexte de notre discussion, puisqu’elles représentent deux possibilités de modification, dont l’une est plus développée que l’autre, tandis que le plan partiel de Dumont de 1774 nous permet de voir quelles modifications furent adoptées. Ainsi, dans la Figure 2a, nous voyons la forme primitive du vestibule, avec deux entrées pour les différentes catégories de places (théâtre, premières et secondes loges ; parterre et troisièmes loges), les deux bureaux de la recette à côté de ces deux entrées, un petit escalier menant aux loges, un passage menant au parterre, et un grand café. Dans la Figure 2, le café a été réduit afin de créer une entrée plus imposante pour les spectateurs dans les places les plus chères plus un grand escalier en colimaçon. Comme nous avons déjà constaté, les ressemblances entre notre croquis et la Figure 2a de Golder sont remarquables en ce qui concerne cette partie de la salle. En fait, l’« Entrée » et la première partie du « Passage » menant aux loges à l’Hôtel de Bourgogne ont précisément cette forme carrée que nous remarquons de chaque côté du « couloir » dans le croquis (M et N). L’installation des tourniquets et le déplacement des postes de contrôle n’étaient pas les seuls travaux effectués à l’Hôtel Guénégaud en 1685, car cette même année la troupe prit la décision de ne plus permettre la vente de livres dans la salle : La compagnie a resolu de ne plus souffrir que l’on vende des livres de comedie dans la salle et particulierement le garçon de Mr Ribou parce que l’on a desseing d’establir une boustique qu’on loue a un libraire pour y faire la distribution desd. comedies au plus offrant 53 . Les documents n’indiquent pas la place de cette boutique, mais le carré M pourrait être une possibilité, d’autant plus qu’il est situé tout près de 53 Feuilles d’assemblée, 1685, s.p. Jean Ribou avait été l’un des éditeurs de Molière. Jan Clarke 176 l’escalier qui mène aux loges (J) et donc aurait été sur le chemin des spectateurs les plus huppés 54 . Nous savons également par ses registres que l’Hôtel Guénégaud était équipé d’une salle des gardes, qu’ils partageaient avec une certaine Mme Des Barres, ce qui pourrait indiquer la présence d’un vestiaire 55 , mais je n’ai pas pu l’identifier dans le croquis. Un dernier point à noter c’est qu’il n’y a pas moyen de savoir si cet escalier en colimaçon (J) existait déjà ou s’il fut installé en même temps que les bureaux et la boutique. La première de ces hypothèses me semble cependant la plus probable. Revenons donc aux petits rectangles K qui sont situés tout contre la façade du théâtre et qui ressemblent énormément non seulement aux bureaux visibles dans la Fig. 2a montrant l’Hôtel de Bourgogne publiée par Golder mais encore plus à ceux qui étaient présents dans la Comédie- Française de d’Orbay (G et H dans la Fig. 6). Pourraient-ils représenter des bureaux également ? Mais dans ce cas, pourquoi est-ce qu’il y en a deux, puisque nous savons qu’à l’Hôtel Guénégaud, du moins de 1673 à 1683, il n’y avait qu’un seul « bureau de la recette » ? Jusqu’à récemment, en considérant toutes ces preuves, j’avais conclus que le croquis avait été fait en vue des travaux effectués sous l’amphithéâtre en 1685 par rapport aux changements dans les postes de contrôle et la construction de la boutique. Mais, en regardant récemment la liste des « frais ordinaires » dressée au début de la saison 1687-88, je me suis rendue compte qu’elle fait mention de deux bureaux : le « Bureau des loges » occupé par Mme Provost et le « Bureau du parterre » occupé par Subtil, qui avait auparavant été un des portiers de la troupe 56 . Dans les « frais ordinaires » pour la saison précédente, il était toujours question de « Mme Provost pr le Bureau » 57 . Il est clair donc qu’à un certain moment entre avril 1686 et avril 1687, un nouveau bureau fut créé, même si les « mémoires » des assemblées de la troupe n’en soufflent pas mot. Néanmoins, il me semble qu’on peut maintenant affirmer avec une certaine assurance que les rectangles K dans le croquis représentent ces deux bureaux : dont l’un pour les billets pour le parterre et l’autre pour les loges. Et j’ajouterais même qu’à mon avis le croquis fut confectionné en vue de ces modifications. Comme nous avons vu, à l’Hôtel de Bourgogne avant 1760, les billets pour le troisième rang de loges furent vendus avec ceux du parterre, mais Blondel commente ainsi son plan de la Comédie-Française de 54 Pour être tout à fait honnête il faut avouer que ce carré M pourrait aussi bien représenter le café, ce qui rend l’indentation D encore plus difficile à expliquer. 55 Clarke, Guénégaud I, pp. 116-17. 56 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R19, Registre 1687-1688, s.p. 57 Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R18, Registre 1686-1687, s.p. L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 177 d’Orbay (Fig. 6) : « Le bureau G est celui de la recette pour la distribution des billets de Parterre ; celui H pour celle des premieres, secondes & troisiemes Loges, ainsi que pour le Théatre » 58 . Il y a tout lieu de croire donc que la troupe avait opéré le même système à l’Hôtel Guénégaud auparavant. Ces bureaux étaient chacun situé devant un vestibule (M et N) qui étaient séparés par la salle des décomptes (E), et deux portes (ou ouvertures) (F) donnait accès à la « loge à limonade » ou café (D). Il reste les deux petites loges (G) que nous voyons l’une de chaque côté de la salle de décompte dont la fonction reste mystérieuse. Il me semble pourtant qu’il pourrait s’agir des loges préposées pour la distribution des contremarques. Il y en a trois de celles-ci sur le plan de Blondel, toutes situées contre le mur de la façade de la salle : deux du côté de l’accès aux loges et un seul de l’autre côté. Et si l’on inclut ce que nous avons identifié comme « la petite loge des mademoiselles » (L sur le croquis) avec les deux petites loges G, nous retrouvons la même distribution à l’Hôtel Guénégaud. Il fait avouer que la position de ces petites loges (G) n’aurait pas été idéale, ce qui pourrait expliquer le fait que dans la salle de d’Orbay elles ont été déplacées vers le mur de la façade tout près des bureaux. Je terminerai en offrant quelques dernières réflexions et en posant quelques questions supplémentaires. Nous savons jusqu’à quel point le public était stratifié dans les salles du XVII e siècle, où des zones spécifiques correspondaient à des milieux sociaux différents, avec le parterre comme seul espace de mélange (masculin) possible. Ce qui est peut-être moins connu est le fait que dans les théâtres des deux dernières décennies du siècle la séparation des spectateurs de catégories différentes étaient rigidement renforcée même en dehors de la salle. Car si la Comédie-Française de d’Orbay avait deux bureaux, l’un pour le parterre et l’autre pour les autres places, elle avait aussi des escaliers réservés pour ces différents publics pour qu’ils n’aient pas à se rencontrer : … l’escalier K est destiné pour monter et descendre aux secondes & troisiémes Loges, celui L sert de dégagement à ces mêmes Loges lorsqu’on sort du Spectacle, celui M est le grand escalier qui conduit les spectateurs 58 Blondel, Architecture françoise, t. 3, p. 30. Notons que Blondel ne mentionne pas la vente des billets pour l’amphithéâtre. À l’Hôtel Guénégaud, la troupe essayait désespérément d’attirer le public dans cette partie de la salle (Jan Clarke, « Le Spectateur au Palais Royal et à l'Hôtel Guénégaud », in Le Spectateur de théâtre à l’Âge Classique : XVII e et XVIII e siècles, dir. Bénédicte Louvat-Molozay et Franck Salaün, Montpellier, L'Entretemps, 2008, pp. 66-77, pp. 76-77), tandis que Lagrave cite Riccoboni pour montrer qu’au XVIII e siècle elle était très fréquentée (Lagrave, Le Théâtre et le public, pp. 109-10). Jan Clarke 178 aux premieres Loges & au Théatre, les marches N sont celles qui du rez-dechaussée de la rue, par le passage O, montent au Parterre […] 59 . Et, comme le remarque John Golder, si en 1760 l’Hôtel de Bourgogne avait deux bureaux afin de garder séparés les publics différents, quand la troupe procéda à des modifications de l’entrée au théâtre qui auraient pu mener à un frôlement indésirable, cette division fut maintenue en utilisant des moyens qui pourrait nous sembler extrêmes : … patrons bound for the more expensive boxes (‘Theatre Et premier et 2 e Loge’) were physically segregated from those intent upon the cheaper ‘partere et 3 e Loge’ : each category has its own entrance door, pay-box and ticket-window. By means of a steel grating, Girault maintained this segregation, at least until the end of the show 60 . Nous avons si peu d’information en ce qui concerne la salle de l’Hôtel Guénégaud et de ses dépendances qu’il est difficile de le situer dans ce contexte, mais il me semble probable que les modifications apportées dans cette partie du théâtre ainsi que l’introduction d’un deuxième bureau au cours de la saison 1686-87 étaient motivées par un souci semblable. Comme j’ai noté ci-dessus, une des grandes questions en ce qui concerne les théâtres de cette période est celle de la forme du fond de la salle. Est-ce que notre croquis peut y contribuer quelque chose ? À la Comédie-Française de d’Orbay, la forme arrondie du fond du café et de la salle des gardes fut imposée par la courbe des loges, ce qui pourrait suggérer que c’était également le cas à l’Hôtel Guénégaud. En revanche, dans le croquis, les rangs des loges de côté forment un angle droit avec le fond de la salle (ou au moins la ligne du devant de l’amphithéâtre), ce qui semblerait indiquer plutôt la présence d’une salle rectangulaire. Mais si nous regardons les plans de la Comédie-Française de d’Orbay et de l’Hôtel de Bourgogne en 1760, nous retrouvons la même chose, même si les loges de côté se rapprochent 59 Blondel, Architecture françoise, t. 3, p. 30. 60 Golder, « The Hôtel de Bourgogne in 1760 », p. 470 (« les clients qui se dirigeaient vers les loges les plus chères (‘Theatre Et premier et 2 e Loge’) étaient ségrégués physiquement de ceux qui cherchaient les places moins chères dans les ‘partere et 3 e Loge’ : chaque catégorie avait sa propre porte, bureau et guichet. Grâce à une grille de fer, Girault maintenait cette ségrégation au moins jusqu’à la fin de la représentation. »). Le fonctionnement de cette grille est décrite dans un article dans l’Année littéraire de 1760 cité par Golder (p. 469) : « L’escalier qui conduisait aux premières et secondes loges a été totalement changé, et on a substitué un nouveau beaucoup plus large et plus commode. On a ménagé à l’entrée un beau vestibule qui communique au parterre et à l’escalier des troisièmes, dont cependant la communication est interrompue pendant le spectacle par une grille de fer qu’on ouvre à la fin, et qui laisse au public un grand espace pour sortir. » L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 179 un peu. Il faut se rappeler aussi du fait que (comme j’espère avoir prouvé) le croquis montre ce qu’il y avait en-dessous de l’amphithéâtre, et ne nous renseigne donc pas nécessairement sur ce qu’il y avait au-dessus et surtout sur la forme de l’amphithéâtre lui-même. Je suis consciente du fait que cet article pose beaucoup de questions et ne donne que peu de réponses. J’ai passé plusieurs années à réfléchir à ce petit croquis, qui frustre autant qu’il éclaire. Voilà tout ce que je peux en dire actuellement en attendant la découverte de nouvelles preuves. Je terminerai donc en évoquant une question supplémentaire que le croquis a suscitée. Au début de cet article, j’ai parlé du fait que c’était l’« indentation » D qui m’avait le plus frappée. J’étais donc surprise de voir que, d’après les dessins publiés par Golder, le devant de l’amphithéâtre à l’Hôtel de Bourgogne était lui aussi légèrement courbé. Et au cours de mes comparaisons avec d’autres plans de théâtres, j’ai vu que les architectes de deux autres salles du XVIII e siècle - l’Opéra Comique de la Foire Saint Laurent (1752) et le Théâtre public de Versailles (1756) - avaient totalement supprimé les loges de fond pour les remplacer par un grand amphithéâtre avec une forte « indentation » 61 . Quels auraient été les avantages d’une telle configuration ? Pour l’instant, malheureusement, je suis incapable de le dire. 61 Dumont, Parallèle. Jan Clarke 180 Illustrations Fig. 1 : Croquis de théâtre (Avec la permission de la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française) Fig. 2 : Croquis inversé avec clé (Avec la permission de la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française) L’Hôtel Guénégaud selon un croquis inédit 181 Fig. 3 : Inscription sur la feuille (Avec la permission de la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française) Fig. 4 : Palais-Royal, plan au niveau du premier étage (détail) (Avec la permission de la Bibliothèque de l’Université de Kyoto) Jan Clarke 182 Fig. 5 : Comédie-Française, plan au niveau du premier étage (Blondel) (Avec la permission de la Bibliothèque de l’Université de Kyoto) Fig. 6 : Comédie-Française, plan au niveau du rez-de-chaussée (Blondel) (Avec la permission de la Bibliothèque de l’Université de Kyoto)
