eJournals Vox Romanica 51/1

Vox Romanica
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2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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1992
511 Kristol De Stefani

Anden et moyen fram;;ais: si «thematique»

121
1992
Pieter van reenen
Lene Schøsler
vox5110101
Le systeme des «pronoms personnels» en moyen frans;ais ..., et si ne puis trouver Ne en toi vit Grasce qui me puist resjoi'r, Mais eslongier et defui'r Et moi donner Aperte cause de morir; ... (Froissart, Espinette 1674-80) 93 Cependant, depuis l'ancien franyais, ces formes commencent a penetrer dans le domaine du sujet (FOULET 1935/ 36, MorGNET 1973: 137s.), et en moyen franyais, cet usage s'etend a tel point qu'il depasse en frequence l'usage des formes de la serie I en position predicative ou accentuee (MARCHELL0-N1z1A 1979: 180ss., MARTIN/ WILMET 1980: lSls.). En voici quelques exemples: ... si nostre seigneur Dieu n'y pourvoit de sa grace, moy Je plus simple des aultres, ... donnerai advertence d'aucunes chozes espantables et fort a redoubter ... (Molinet, Pieces III, 7-10) Pour ce, ne soyes si esbahys et ne demandes pas, toy qui es en commun royamme a tous, une seule Joy pour toy. (De Ja Sale, La Sale 221) Et qui resgarderoit tout, l'en devroit faire une derision de celui qui diroit que soy ou autre fust magnanime et il ne fust bon. (Oresme, Ethiques 76a) ...; car eulx pugnissent et establissent painnes et affliccions a touz ceulz qui font mal quelz que il soient, se il n'i sont contrains par force ... (Oresme, Ethiques 49c) Toutes ces donnees nous obligent donc a la conclusion que les formes de la serie III ont bien garde leur caractere predicatif en moyen franyais, mais qu'elles sont devenues indifferentes quant a la distinction sujetlregime. Nous nous voyons donc confrontes avec une structuration pour ainsi dire asymmetrique en moyen franyais: Tandis que la serie II est bien definie par les traits 'non-predicatif' et'regime', les deux autres series sont deficitaires soit par rapport a l'une, soit par rapport a l'autre des oppositions impliquees: la serie I est marquee par le trait'sujet', mais elle est indifferente en ce qui concerne l'opposition predicatif/non-predicatif; la serie III est caracterisee par le trait'predicatif', mais elle ignore l'opposition sujet/ regime. 4.2. Si nous essayons maintenant de systematiser les trois series, il nous faut partir des donnees que voici en ce qui concerne les traits distinctifs a retenir: Serie I (je etc.): '+ sujet','0 predicatif' (=indifferent a l'oppositionpredicatif/ non-predicatif) Serie II (me etc.): 'sujet' (='+ regime'),'predicatif' Serie III (moi etc.): '+ predicatif','0 sujet' (=indifferent a l'opposition sujet/ regime) Une telle constellation peut etre systematisee de deux manieres differentes, selon 94 Peter Wunderli l'opposition dont on tient campte en premier lieu; d'un point de vue logique et methodique, les deux solutions sont (en principe) equivalentes. Si nous debutons par l'opposition sujet/ regime, le systeme des pronoms personnels en moyen fran1rais se presente de la maniere que voici: 1. + sujet 2. serie I [pronom personnel] 0 sujet � + predicatif 1 serie III predicatif (sujet) 1 serie II Ce schema demande encore quelques commentaires. L'opposition au niveau 1 est en principe de nature participative, c'est-a-dire que les formes du domaine '0 sujet' peuvent aussi etre employees pour le domaine '+ sujet'. Ceci est effectivement le cas pour la serie III, mais non pour la serie II. C'est pour cette raison que nous considerons cette serie comme non seulement caracterisee par le trait 'predicatif', mais aussi par un trait supplementaire (redondant ou simplement pertinent [mais non distinctif] 12) 'sujet'. - En ce qui concerne l'opposition au niveau 2 (+/ predicatif), elle est de nature equipollente, car ni l'un ni l'autre des deux termes oppositifs ne peut se rencontrer dans les fonctions de l'autre. Si l'on debute par contre par l'opposition predicatif/non-predicatif, le systeme du moyen frarn,;ais prend la forme qui suit: [pronom personnel] 1. + predicatif 0 predicatif � 2. + sujet sujet 1 (predicatif) 1 Serie III Serie I serie II 12 Dans la terminologie allemande de PrLCH 1974 il s'agirait d'un «relevantes Merkmal». Le systeme des «pronoms personnels» en moyen franc; ais 95 Cette solution demande aussi quelques commentaires qui sont pour ainsi dire symetriques avec le commentaire du premier stemma. L'opposition du niveau 1 (+/ 0 predicatif) est une opposition en principe participative, car les formes de la serie I au moins peuvent aussi etre employees pour le domaine '+ predicatif'; il n'en va pas de meme pour la serie II qui est limitee au domaine 'predicatif', ce qui nous oblige a jumeler le trait distinctif 'sujet' avec un trait pertinent (ou redondant) non-distinctif 'predicatif' qui revoque pour ainsi dire la possibilite de fonctionner comme terme non-marque de l'opposition caracteristique du niveau 1. - De nouveau, l'opposition du niveau 2 (+/ sujet) doit etre consideree comme equipollente, etant donne qu'il n'existe aucune possibilite de substitution entre les series I et II. 4.3. II s'agit maintenant de savoir a laquelle des deux solutions il faut donner la preference. Pour eviter une decision arbitraire, nous avons decide de comparer la situation en moyen franc;:ais a celle en ancien franc;:ais et en franc;:ais moderne et a faire dependre notre decision du resultat de cette confrontation. Par rapport au moyen franc;:ais, la situation en ancien franc;:ais «classique» se presente sous une forme beaucoup moins complexe (MorGNET 1973: 126ss., MENARD 1973: 52ss., FOULET 1930: 106ss., FOULET 1935/ 36). Les formes de la serie I sont toujours sujet et se montrent indifferentes quant a la distinction predicatif! non-predicatif; leur caracterisation semique est identique a celle en moyen franc;:ais, quoique au niveau de la norme, la concurrence des formes de la serie III se fasse de plus en plus sentir. - En ce qui concerne les formes de la serie II, nous avons encore une identite de caracterisation, et en plus aussi un comportement largement similaire au niveau de la norme. - La difference essentielle concerne donc les formes de la serie III. En effet ces formes sont limitees, en ancien franc;:ais classique, au domaine du regime et ne commencent a penetrer dans le domaine du sujet que tardivement; en outre il ne semble exister de terme nonmarque dans ce systeme d'oppositions, ni en ce qui concerne le domaine sujet/ regime ni pour le domaine predicatiflnon-predicatif, de sorte que nous postulons deux oppositions de nature equipollente 13. Ceci nous permet de proposer pour l'ancien franc;:ais classique le systeme que voici: 13 Nous ne nions pas qu'il existe certains emplois des formes predicatives en ancien frans;ais qui au premier abord semblent contredire notre affirmation. Malheureusement il n'est pas possible de justifier ici notre decision dans tous les details. Cette lacune sera comblee dans une etude a part. 96 Peter Wunderli [pronom personnel] 1. + sujet sujet � 2. + predicatif predicatif 1 1 serie I serie III serie II En ce qui concetne la situation en fram;:ais moderne, nous n'avons qu'a resu-. mer ce que nous avons deja developpe ailleurs (WuNDERLI 1989). Les formes predicatives sont indifferentes quant aux distinctions actancielles (sujet/ regime directlregime indirect) et se trouvent en opposition equipollente avec les formes non-predicatives.--Ce dernier domaine connait une opposition entre sujet et regime (non-sujet) qui est encore de nature equipollente, etant donne qu'il n'existe pas de cas qui obligeraient a conclure a un emploi extensif d'un terme nonmarque. Le systeme du fran9ais moderne se presente donc sous la forme suivante: [pronom personnel] 1. + predicatif predicatif � 2. + sujet sujet 1 1 serie III serie I Serie II 4.4. La comparaison avec la situation en ancien fran9ais et en fran9ais moderne fournit un resultat assez surprenant: le premier des systemes pris en consideration pour le moyen fran9ais ressemble largement a celui de l'ancien fran9ais, le deuxieme a celui du fran9ais moderne. Ceci nous a amene a ne rejeter ni l'une ni l'autre de nos hypotheses, mais a les retenir toutes les deux. Une telle solution semble etre impossible en banne methode, et en fait elle presuppose une nouvelle hypothese qui est, cette fois-ci, de nature diachronique: Je pretends que le premier systeme etait valable pour une premiere phase du moyen fran9ais, le deuxieme pour une seconde phase. Je m'explique. La possibilite d'employer en ancien fran9ais les formes predicatives (serie III) dans des fonctions proches du sujet (attribut, apposition, etc.) s'etendant au sujet Le systeme des «pronoms personnels» en moyen frarn; ais 97 proprement dit, l'opposition equipollente entre sujet et non-sujet a ete reinterpretee 14 en opposition participative, ce qui a eu pour consequence le systeme 1 du moyen franc;;ais. Le developpement ulterieur de la serie I, qui consiste en une reduction successive de son emploi dans le domaine predicatif, a eu pour consequence une reinterpretation fondamentale du systeme de base du «pronom personnel» qui consiste en une relegation de l'opposition sujetlnon-sujet au deuxieme plan et une promotion de l'opposition predicatif/ non-predicatif au premier. Nous arrivons ainsi au systeme 2 du moyen franc;;ais. La perte des emplois predicatifs de la serie I au cours du XVI e siede a finalement permis une reinterpretation du niveau de la predicativite (opposition participative) en opposition equipollente. Et nous voila arrives au systeme de base du franc;;ais moderne qui, comme celui de l'ancien franc;;ais, ne connait plus que des oppositions equipollentes et peut renoncer a recourir a des traits redondants impliques. Ainsi le moyen franc;;ais s'avere etre encore une fois une epoque de la restructuration. Ceci n'a rien a voir avec le cliche traditionnel d'apres lequel il s'agirait d'une periode chaotique sans regles bien definissables. Une telle impression ne peut naitre que si l'on mesure les donnees du moyen franc;;ais soit aux regles valables pour l'ancien franc;;ais, soit a celles qui caracterisent le franc;;ais moderne. Naturellement, le passage d'un systeme a l'autre (ancien franc;;ais moyen franc;;ais 1 moyen franc;;ais 2 franc;;ais moderne) n'est dans aucun cas datable de fac;;on exacte: il faut toujours tenir compte d'une epoque de transition pendant laquelle l'un et l'autre des systemes en question sont valables et peuvent etre utilises selon la preference des differents groupes ou meme des differents individus. Ceci est possible puisque les differences entre les systemes successifs sont minimes, de sorte que les structures restent largement compatibles. - En outre notre analyse nous a montre que l'affirmation de GumAuD (1963: 14), selon laquelle le moyen franc;;ais serait «la forme archai'que du franc;;ais moderne», simplifie trop les choses: il est en meme temps la derniere manifestation des structures de l'ancien franc;;ais et opere une sorte de passage cache de l'un a l'autre. 5. Pour terminer, je tiens a souligner qu'avec la presentation du systeme des «pronoms personnels» nous sommes loin d'avoir dit tout ce qui importe dans ce domaine de la morpho-syntaxe. A cöte des donnees structurales que nous venons de decrire et qui se situent au niveau de la langue, il y a aussi un grand nombre de faits qui sont attribuables a un niveau moins abstrait qu'on peut appeler avec Coseriu celui de la norme (descriptive) (p. ex. CosERIU 1988: 297ss.); il comprend les «realisations traditionnelles» qui constituent des sous-ensembles a l'interieur des classes constituees sur la base des oppositions distinctives. 14 Pour la notion de reinterpretation cf. WuNDERLI 1981: 72ss.; eile correspond plus ou moins a Ja metanalyse de BLINKENBERG. 98 Peter Wunderli Des donnees de ce genre existent aussi bien dans les domaines morphologique et syntaxique proprement dits. Un phenomene exclusivement morphologique attribuable a la norme serait p. ex. l'existence de restes de l'ancienne forme el pour le feminin elle (MARTIN!WILMET 1980: 148) qui ne constitue qu'une simple variante jouant un r6le tout a fait efface; il en va de meme pour les restes de li pour lui (MARTINIWILMET 1980: 148). Est attribuable aussi a cette categorie l'innovation sans avenir de munir leur d'un s pluralisant (MARTIN!WILMET 1980: 148). Plus interessants sont sans aucun doute les phenomenes syntaxiques attribuables a des fixations (ou non-fixations) particulieres au niveau de la norme. Nous n'en mentionnerons que quelques-uns a titre d'exemple: - Dans nos schemas, nous avons presente l'opposition entre masculin et feminin (la Oll elle existe) comme opposition participative avec le soi-disant «masculin» 15 comme forme non-marquee. En franyais moderne, le terme non-marque ne peut etre employe pour un feminin que dans les cas oll il se rapporte en meme temps a un masculin (p. ex. lui et elle, ils sont arrives); en moyen franyais par contre, il existe encore des exemples Oll le terme non-marque renvoie a un feminin sans qu'il y ait jumelage avec un masculin (MARTIN!WILMET 1980: 149). - Dans les constructions absolues, on emploie normalement, en moyen franyais, les formes du regime direct pour marquer le «sujet» de l'infinitif avec les verbes intransitifs et attributifs, les formes du regime indirect avec les verbes transitifs (accompagnes de leur objet). Qu'il s'agisse 1a d'une regle de la norme ressort aussi du fait que des exemples avec une constellation inverse sont faciles a trouver et ne constituent evidemment aucune infraction aux donnees structurales et a l'eventail des possibilites d'emploi impliquees dans celles-ci (MARTINIWILMET 1980: 152s.). - Devant un infinitif, le pronom regime apparait normalement a la forme predicative si on a affaire a un infinitif d'un verbe «plein»; ne font exception que les formes de la troisieme personne non-reflechies, qui proviennent normalement du paradigme non-predicatif 16. Si nous avons affaire a l'infinitif d'un auxiliaire de mode, les formes anteposees proviennent par contre plus ou moins regulierement du paradigme des formes non-predicatives (MARTINIWILMET 1980: 156ss., MAR- CHELLo-NrzrA 1979: 191ss.). La encore, de nombreuses infractions a la regle (qui 15 En fait, il n'existe pas de «masculin» proprement dit en fran�ais; Je soi-disant masculin est une forme a laquelle manque taut simplement la marque positive du feminin('+ feminin'). 16 II nous semble cependant peu indique de postuler pour Ja position devant infinitif(plein) des paradigmes specifiques qui melangent ! es formes predicatives et non-predicatives d'apres ! es regles sus-mentionnees; nous n'avons pas affaire a des paradigmes differents des series II et III presentees ci-dessus, mais a des regles normatives particulieres qui sont responsables de leur emploi dans ! es cas ou ! es donnees structurales laissent Je choix soit de l'un, soit de l'autre des deux types. Le systeme des «pronoms personnels» en moyen fran�ais 99 du point de vue structural sont sans aucune consequence) montrent que nous avons affaire a une fixation au niveau de la norme. Cette liste pourrait encore etre allongee considerablement, mais toutes ces questions n'entrent plus dans le sujet que nous nous sommes propose pour cette contribution qui n'a pour but que de decrire les donnees au niveau du systeme. La question de savoir quels principes sous-tendent les donnees au niveau de la norme (si jamais il y en a) fera l'objet d'un autre discours. Düsseldorf Peter Wunderli Bibliographie BRANDT, G. 1944: La concurrence entre «soi» et «lui, eux, elle(s)». Etude de syntaxe historique fran�aise, Lund/ Copenhague 1944 BoYER, H.: «Les traits distinctifs des <pronoms personnels, predicatifs et non-predicatifs en frarn; ais», RLaR 81 (1975), 539-45 CosERIU, E. 1988: Einführung in die Allgemeine Sprachwissenschaft, Tübingen 1988 DAMOURETTE, J./ PrcHON, E. 1927-40: Des mots a la pensee. 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Analyse exhaustive d'une serie de textes 1 0. lntroduction Dans l'analyse qui suivra, nous allons demontrer que les deux notions de Theme et de Rheme sont utiles pour l'analyse de l'organisation du contenu des textes dans la periode de l'ancien et du moyen frarn;:ais. Il est notre intention de montrer que les deux notions se revelent particulierement pertinentes pour la comprehension de la fonction de la particule si dite «thematique», par opposition aux autres emplois de si adverbe (pour une definition du si «thematique», cf. infra, p. 105). Il n'est pas necessaire, dans l'optique que nous nous sommes fixee, d'entrer dans des discussions tres complexes concernant les deux notions de Theme et de Rheme. Nous partons de deux definitions tres simples: le Theme etant defini comme le sujet dont on parle, alors que le Rheme est defini comme l'information apportee a propos du sujet connu. Cette definition rejoint plus ou moins celle de MATHESIUS (cf., pour plus de details, FIRBAS 1964). Dans les constructions non-focalisees, qui nous interessent ici, c'est-a-dire: dans les constructions ou nul element 2 de la phrase n'est emphatique, nous trouvons le Theme au debut de la phrase. Il comprend le sujet grammatical de la phrase, que celui-ci soit explicite - Snom (Sujet nominal), Spron (Sujet pronominal) ou sous-entendu (SO). On rencontre Je Rheme vers la fin de la phrase. Le Theme est soit identique d'une phrase a l'autre, soit variable. Le premier cas constitue ce que nous appellerons une structure thematique fixe. Le second cas, qui se laisse subdiviser en differents types: structure thematique lineaire, elaboration, digression, etc., sera appele une structure thematique lineaire. Voici un passage (a), provenant des lsopets, tiers livre d'Esope, premiere fable, 1098ss., illustrant ces deux structures thematiques. Le passage ne met en scene que deux personnages, le lion et le pasteur, alternativement Theme, ce qui le rend particulierement apte a illustrer la succession des deux structures thematiques. Les themes seront numerotes dans l'ordre de succession: Sl, S2. La succession des themes est illustree dans les figures 1 et 2. 1 A l'Universite Libre, Ja presente etude fait partie du programme de recherche «Corpusgebaseerde Woordanalyse» (VULET 88/ 9). 2 Il y a deux exceptions nrn·< 0 r""'" a cette formulation, dont il sera dans Ja section 2.2. 102 Pieter van Reenen/ Lene Schosler Figure 1: La structure thematique du passage 1098ss. d'lsopets: Le lyün(Sl, Snüm) s'en vint et le cümmenc;a(Sl, SO) a Je flater Et Je pastüur (S2, Snüm) en eut grant paüur et luy gecta(S2, SO) une brebis Mais Je lyün (Sl, Snüm) ne demandüit püint car plus desiroit(S1, SO) Et, quant Je pastüur(S2, Snüm) vit Ja blesseure subtillement luy tira(S2, SO) et en gecta (S2, SO) luy üignyt(S2, SO) sa playe Et, tantüst apres, le lyün(Sl, Snüm) fut gary Et ... il(Sl, Spron) luy alla baiser ! es mains et s'en retüurna (Sl, SO) en la forest nü de phrase: 123 45 6 78 9 10 11 12 13 Figure 2: la structure fixe(: ) vs. structure lineaire(--) du passage 1098ss. d'Esope: Sl Sl--S2 S2--Sl Sl--S2 S2 S2 S2--Sl Sl Sl (a) 1098 Le lyün s'en vint a ung pastüur qui gardüit ses brebis et le cümmenc;a a le fiater de sa queue en lui münstrant Süll pie navre. 1099 Et le pastüur en eut grant paüur et luy gecta une brebis. Mais Je lyün ne demandüit püint a menger, car plus desiroit a estre medicine et gary de sün pie.1100 Et, quant le pastüur vit la blesseure, d'une aguille subtillement luy tira l'espine hors de Süll pie et en gecta la püurriture et luy üignyt sa playe. Et, tantüst apres, le lyün fut gary. 1101 Et, püur rendre graces et remercier Je pastüur, il luy alla baiser ! es mains et s'en retüurna en la forest. Nous allons considerer ici surtout le premier cas, c'est-a-dire la structure thematique fixe, en etudiant comment l'ancien et le moyen fram;;ais signalent la structure thematique fixe au moyen du si «thematique». Ancien et moyen franc;:ais: si «thematique» 103 Si l'on desire etudier une structure thematique du moyen äge, nous croyons qu'il faut faire une distinction prealable entre ce qu'on peut appeler Narration et Discours direct. Dans cette etude, nous definissons la Narration comme une structure de texte exclusivement exprimee a la troisieme personne du singulier ou du pluriel, et le Discours direct comme une structure de texte exprimee a la premiere ou a la seconde personne du singulier ou du pluriel, eventuellement en alternance avec la troisieme personne du singulier ou du pluriel. Dans le Discours direct, c'est le changement de la personne grammaticale qui contribue principalement a signaler un changement de Theme. Par contre, dans la Narration, il existe une gamme beaucoup plus etendue de possibilites de references, linguistiques et extralinguistiques. Par consequent, il est logique de presumer que la Narration contient un tres grand nombre d'elements formels indiquant la nature de la structure thematique. Nous allons nous pencher ici sur les elements indiquant la structure thematique fixe dans la Narration et reserver l'analyse de la structure thematique fixe du Discours direct a une autre etude. Au moyen äge, la structure thematique fixe de la Narration se manifeste au moins de quatre fa�ons differentes: 1) par la repetition, variee ou non, du Theme, cf. (b) 2) par la reference anaphorique des pronoms, cf. (c) 3) par l'absence du sujet grammatical, qui sera notee comme SO, cf. (d) 4) par l'adverbe si (si thematique), precedant le verbe (V), souvent sans sujet grammatical exprime formellement; ce cas sera note comme si V SO. Un exemple en est: Ele entra en la loge, si lijeta ses bras au col (cf. exemple [2]). Cet exemple illustre le type de structurethematique fixe dont nous nous occuperons dans cette etude. Le si thematique correspond au si «banal», tres repandu, mais peu etudie, meme dans ! 'excellente etude de CHRISTIANE MARCHELLO-NIZIA (1985). (b) Structure thematique fixe marquee par la repetition, variee ou non: (Mais il avoit dedens un monstre Merveilleux, fier et orgueilleux Et sur touz aultres perilleux). Tant fut grant que c'estoit merveille,/ Ce monstre (Sl, Snom), et n'avoit (S1, SO) qu'une oreille./ Point de narrilles n'ot en teste/ Celle tres merveilleuse beste (Sl,Snom)/ (Melusine, v. 6286-6294) Structure thematique fixe marquee par la reference anaphorique des pronoms: 104 Pieter van Reenen/ Lene Sch�sler ... il (Sl, Spron = chiax de Pise) leur respondirent qu'il (Sl, Spron = chiax de Pise) n'aroient mie tant de vaissaus et qu'il (Sl, Spron = chiax de Pise) ne porroient nient faire. (Clari VI, 13) (d) Structure thematique fixe marquee par l'absence du sujet grammatical (SO): Et Esope (Sl, Snom) tantost prist ung vasseau plain d'eaue chaulde, ... et prist (Sl, SO) de l'eaue et Ja mist (Sl, SO) en ung bassin et Ja beut (Sl, SO). Et ung peu apres, mist (Sl, SO) ! es doiz en sa bouche etjecta (Sl, SO) seulement d'eaue, car icelluyjour n'avoit gouste (Sl, SO) que icelle eaue, et pria (Sl, SO) que (Isopets, par. 18-20) Dans ce qui suit, nous ne nous occuperons pas des trois premieres fa�ons de signaler la structure thematique fixe. Nous nous bornerons a observer que les deux premieres ont elimine les deux dernieres au cours du moyen age. Nous allons nous concentrer sur le quatrieme cas, dans le but de suivre sa typologie et sa distribution pendant l'ancien et le moyen fran�ais. Ce cas est d'ailleurs suffisamment complique pour nous avoir occupes depuis plusieurs annees sans que nous ayons epuise le sujet. Notre etude est nee comme complement a une tres interessante etude de Suzanne FLEISCHMAN, qui vient d'etre publiee dans Romance Philology, cf. FLEISCH- MAN 1991. Dans sa forme actuelle, notre etude prend comme point de depart certaines hypotheses formulees dans FLEISCHMAN 1991, que nous avons precisees pour arriver aux definitions exprimees dans (1). 3 En outre nous nous basons sur l'etude tres riche en informations de CHRISTIANE MARCHELLO-NIZIA (1985). Nous avons consulte un choix de textes d'ancien et de moyen fran�ais, chartes et textes litteraires. Les textes ont ete localises selon la methode exposee dans DEES et al. (1980 et 1987); les datations sont celles des manuscrits. Dans ce qui suit, nous allons proceder d'abord, dans la section 1, a la definition de quelques notions fondamentales de reference, ensuite, dans la section 2, a une classification et a une discussion des sequences de PR-PM (cf. les definitions cidessous). Dans la section 3, nous analyserons nos donnees d'un point de vue, dialectal, diachronique et stylistique. Les conclusions se trouvent dans la section 4 et, en appendice, figure un tableau qui resume les resultats principaux de nos investigations. Nous nous servons des abreviations suivantes: PM = Phrase Marquee PR = Phrase de Reference MS = Meme Sujet AS = Autre Sujet 3 Nous tenons a remercier Suzanne FLEISCHMAN et Ingrid VELLEINE qui ont bien voulu apporter des precisions et des corrections importantes a une premiere version de notre etude. Nous remercions aussi lrene Baron, qui a accepte de se charger de Ja revision du style, de ses observations pertinentes sur notre argumentation. Ancien et moyen frarn;;ais: si «thematique» 105 1. Definition des notions de reference Dans notre expose, nous avons besoin de deux notions de reference pour caracteriser la structure thematique fixe: la phrase de reference (PR) et la phrase marquee (PM), qui sont definies ci-dessous: (la) La PR introduit un nouveau Theme ou bien continue le Theme precedent. La PR est la phrase qui constitue le point de reference de la phrase suivante; cette seconde phrase ne lui est pas subordonnee. (lb) La PM a un sujet implicite, elle suit la PR a laquelle elle est coreferentielle; elle debute par si. La fonction de si est de signaler explicitement la continuation du Theme sur ce point elle se distingue de la structure SO, sans si, mentionnee sous le point 3 cidessus, ou la continuation du Theme est implicite. (lc) Une PM peut, a son tour, avoir la fonction d'une PR d'une PM suivante. II s'ensuit des definitions precedentes que si n'apparait jamais au debut d'une structure thematique fixe, donc jamais au debut d'une subdivision majeure d'un texte ni au debut d'un paragraphe. 2. Classification des sequences contenant si thematique Dans la section 2.1, nous introduirons les manifestations de notre structure thematique fixe: les sequences PR-PM. Puis, nous traiterons, dans la section 2.2, des constructions dont la classification presente des difficultes. Dans la section 2.3, enfin, nous discuterons les phrases quoi qu'introduites par si thematique, n'ont pas la fonction d'une PM. 2.1. Types de constructions PR-PM A partir de nos definitions exprimees en constructions suivants: nous distinguons les quatre types de 2.1.1. La PR et la PM sont deux principales simples, ayant la meme fonction syntaxique, comme on le voit dans l'exemple (2), qui est un cas typique. On y voit une PRl et une PMl, et de nouveau une PR2 et une PM2 (la PMl fonctionne comme PR2 de la PM2). La frequence de ce est signalee dans col. 1. 106 Pieter van Reenen/ Lene Seh0sler (2) Eie entra en la loge (PRl), si lijeta ses bras au eo! (PMl = PR2), si le baisa et aeola (PM2) (Aue XXVI,6) 2.1.2. La PR contient une ou plusieurs subordonnees, dont le sujet grammatical peut etre different de celui de la PR et de la PM. La ou les subordonnees sont soit nominales, soit relatives ou, plus rarement, adverbiales, une subordonnee precedant une PM pourrait etre interpretee comme une PR, mais en realite, elle s'integre dans la PR sans jouer aucun r6le pour le systeme de reference thematique. Une telle subordonnee ne fait qu'apporter une information secondaire, sans modifier la structure thematique. Ainsi, il faut admettre une difference fondamentale, lorsqu'on analyse la structure thematique, entre les principales et les subordonnees. Les exemples (3) a (6) illustrent ce type de construction; les subordonnees sont entourees de {}. La frequence de ce type est signalee dans l'A pp endice, col. 2. (3) ... li marehis 01 ehe (PRl), si se merveilla molt de ehou{que li baron de Franehe l'avoient mande} (PMl = PR2), si respondi as messages {qu'il s'en eonseilleroit ...} (PM2) ( Clari III, 14) (4) ... li eonte et li homme eroisie ... enprunterent tant de deniers {eomme il peurent} a ehiax {qu'il quidoient {qui en eussent}} (PR). Si ! es paierent as Venieiens ... (PM) ( Clari XII, 4) (5) ... dist as voisins {que ele voloit aler au tombel saint Loys} et {que ele avoit esperanee d'estre ileeques guerie} (PR), si requist a ses voisins pardon {se ele ! es avoit en aueune chose coroueiez} (PM) (Loys XLIII, 16) (6) Puis revint, {si eomje vous di}, Nostre seignor endreit midi (PR), si aloa le bon Davi (PM) (Best 3769) 2.1.3. Nous n'avons considere jusqu'ici que des PR et des PM qui sont des principales. Selon la definition (la), une PM n'est jamais subordonnee a sa PR. Par contre, une PR peut etre subordonnee a sa PM. En effet, nous rencontrons souvent une temporelle introduite par quant, ayant la fonction de PR; une conditionnelle, une causale ou une comparative peuvent egalement constituer des PR. Le tableau 1 signale les types d'adverbiales et leurs frequences, les exemples (7) a (12) les illustrent. Les PR des exemples contiennent en outre des subordonnees du type decrit dans 2.1.2. L'Appendice, col. 3, presente la frequence par texte des adverbiales fonctionnant comme PR. (7) Et { quant ee oi't Charles (PR)}, si s'an repaira en France (PM) (Turpin XI,3) (8) Et {pour ce que ele ne veoit son fiuz ailleurs (PR)}, si Je regarda plus certainement et le reconnut (PM) (Loys XIX, 39) (9) { quant Ii croisie seurent {que li euens de Champaingne, leur sires, fu mors et maistres Foukes ausi} (PR)}, si en furent malt dolent (PM) (Clari lII, 1) Ancien et moyen frarn;;ais: si «thematique» 107 (10) E {cum Herodes oi:t parler {que il i aveit ne .1.rei {qui deveit estre rei daus Jues}} (PR)}, si fut mot troblez (PM) (Sully 22, 12) (11) Li archetreclins esteit apelez eil {qui aveit en garde la chose a l'espous}, e {cum il ot goste dau vin {que nostre sires ot fait d'aigue}, e il ne saveit pas lo miracle, e li sirvent ou saveient ben {qui aveient poise l'aigue}} (PR), si dist a l'espous (PM): «Autres genz mettent avant le meillor vin» ... (Sully 37, 28) (12) {apres ceu que nostre sires ot demande au pople} s'il estoient ale veer homme vestu de moles choses, ...}}, si lor demande e dit (PM): ... (Sully 24, 30) Tableau 1: Phrases subordonnees fonctionnant comme PR. quant comme si comme comparative si conj si cum temp/ causal tant que endementiers que que temporal coment maintenant que pour ce que apres ce que ou que (= des que) total 116 84 12 9311111 1111 exemple numero (7) (9) (11) (13) (20) (10) (8) (12) Comme il ressort des cas que nous venons de citer, le sujet grammatical d'une subordonnee ayant la fonction d'une PR se trouve exprime plus souvent que le sujet grammatical d'une principale ayant la fonction d'une PR. Cette difference de frequence est due a un phenomene d'ordre general: la difference de distribution des sujets entre les principales et les subordonnees (cf. a ce propos ScH0SLER 1984, 1988). Pour eviter une argumentation circulaire, il nous faut evidemment distinguer le type de subordonnee adverbiale fonctionnant comme PR, dont nous parlons ici, des subordonnees mentionnees dans 2.1.2 que nous avions placees a un niveau thematique inferieur a l'ensemble PR-PM. Dans notre corpus, les subordonnees substantives ou adjectives 4 se placent toujours au niveau thematique inferieur, et ne sont jamais des PR, alors que seuls les types de subordonnees adverbiales mentionnees ci-dessus, peuvent avoir la fonction de PR. Considerons, en guise 4 II s'agit surtout de completives, interrogatives indirectes et relatives subordonnees. 108 Pieter van Reenen/ Lene SchiZ\sler d'exemple, les temporelles introduites par quant dans (7) et (9) 5 et la comparative introduite par si comme dans (13) 6: (13) ... einsi en usoit len notoirement en la ville de Paris, {si comme le dit procureur ou nom des diz religieus disoit (PR), si disoit encore (PM) {que les diz religieus avoient droit ... }} ... (Paris 14, 1323) 2.1.4. Il arrive que l'ensemble PR-PM se trouve subordonne a un verbe, le plus souvent a un verbe de declaration. Dans de tels cas, l'ensemble PR-PM a la fonction grammaticale de complement d'objet direct de ce verbe, qui se trouve a un niveau different: a un meta-niveau, introduisant un discours direct ou indirect. Les exemples (14) et (15) illustrent ce passage d'un meta-niveau au niveau de la Narration proprement dite. (14) Et les gens del pais dient au roi {qu'il cast Aucassin fors de sa tere (PR), et si detiegne Nicolete avuec son fil (PM)} (Aue XXXII, 17) (15) Nos trobom on saint evangile d'ui {que nostre sire dameredex apela ses apostres a conseil davant sa passion (PR), e si lor dist (PM) ... } (Sully 52, 4) Nous avons inclus les cas de PR-PM subordonnees a un autre verbe parmi ! es cas conformes a notre definition exposee dans (1); par consequent, nous les avons inclus dans l'Appendice parmi les cas reguliers (col. 1-3). Le cas n'est pas frequent, sauf dans ! es chartes; il n'apparait ni dans Clari, ni dans Turpin 7 • s Une subordonnee adverbiale ayant la fonction d'un simple complement adverbial et non pas d'une PR est rare dans les series de PR-PM que nous avons relevees.L'exemple (12) illustre un tel cas, il s'agit de Ja temporelle introduite par quant. Nous citons ici le texte in extenso: (12) {apres eeu que nostre sires ot demande au pople} s'il estoient ale veer homme vestu de moles choses,} quant il alerent veer mon seignor saint Johan Baptiste} (PR)}, si lor demande e dit (PM): ... (Sully 24, 30) 6 Si nous comparons les deux cas de conjonctions de comparaison: si eom(me) dans (13) et (6), il est evident que si com je vos di dans (6) ne fonctionne pas comme PR de notre si thematique, tandis que dans (13) le si thematique continue la phrase commencee par «si comme», a un niveau plus bas. 7 Nous ne sommes pas d'accord avec FLEISCHMAN (1991, N 36) quand eile observe: «Where, exceptionally, si does occur in dependent clauses, these are typically relative or complement clauses in which the predication is separated from the relativizer (qui) or complementizer (que) by another embedded clause, e.g., eeaus ... qui, quant il ont oi la parole damrede, si pensent tant a la eure d'ieeste (sie! PvR! LS) secle ... (Sully, Sermons, 100)». Dans le corpus de textes litteraires, nous avons trouve seulement six cas sur 22 qui confirment la remarque. accord desaccord total Aucassin 1 4 5 Bestiaire 1 8 9 Floovant 1 0 1 Louis 1 1 2 Sully 2 3 5 6 16 22 Ancien et moyen fran1;ais: si «thematique» 109 2.2. Constructions difficiles a classer Nous avons releve trois types de constructions qui presentent des difficultes en ce sens qu'elles ressemblent aux emplois de si thematique, mais elles sont en desaccord avec les definitions proposees dans (1) et elles seront ecartees plus loin. Si nous continuons a nous servir des abreviations PM, PR contrairement a nos definitions dans (1) c'est parce que nous ne desirons pas compliquer l'expose en introduisant ici une nouvelle terminologie. On verra qu'il s'agit de constructions qui posent des problemes pour toute analyse thematique. Il s'agit des cas suivants: les constructions impersonnelles (cf. 2.2.1.), l'extraposition (cf. 2.2.2.) et l'inclusion (cf. 2.2.3.). 2.2.1. Les constructions impersonnelles sont frequentes dans nos textes. Elles apparaissent dans les PR et dans les PM. 11 y en a plusieurs types; nous ne faisons mention que des plus frequents: les cas dans lesquels le «sujet logique» est exprime soit par un infinitif ou une completive (cf. les exemples [16] et [20]), soit par un syntagme nominal (cf. les exemples [17] et [19]). Dans un seul cas, (18, PM4), il n'y a pas de «sujet logique». Il n'y a que les exemples (17) et (20) qui contiennent un sujet grammatical neutre explicite («il»). (16) si avint par Ja volunte de De {que Moyses ]es aveit gite d'Egipte (PR)}, si les enmenot ons deserz (PM) ... (Sully 80, 22) (17) II y fut d'Aminois mesires Pierres d'Amiens, [enumeration de noms propres] {que nous ne vous savons mie tous nommer} (PR); et si y fut messires Jakes d'Avesnes (PMl).Et si y fu de Bourgougne Oedes de Chanlite et Willames ses freres (PM2) (Clari I, 45) (18) Une lasse mere avoie (PR), si n'avoit plus vaillant que une keutisele (PMl), si li a on sacie de desou Je dos (PM2), si gist a pur l'estrain (PM3), si m'en poise asses (PM4) (Aue XXIV, 58) (19) Estes vos le sire meisme {Qui encontra altres ovrers} (PR), sis (= Si ! es) enveia od les premers (PM) ... (Best 3670) (20) Car {si (= se, conjonction de condition) il viveit eine vinz anz (PR)}, si l'estoet il ades combatre (PM) ... (Best 4097) Pour les constructions impersonnelles, il est evidemment exclu de parler d'identite thematique d'un sujet grammatical a l'autre. De ce point de vue strictement formel, les constructions impersonnelles s'ecartent de nos definitions exposees dans (1). Neanmoins, comme la raison d'etre des constructions imperson'nelles est de deplacer l'interet, ce qui implique le plus souvent un deplacement du focus de gauche a droite, pour focaliser ce qu'on nomme traditionnellement «le sujet logique» de la Parmi les cinq occurrences pertinentes dans Sully, par exemple, deux seulement connaissent l'«embedding» en question (Sully p.50, 24-26; p.51, 1-2 [= Sully, Sermons, 100 de Fleischman que nous venons de citer]). Dans les autres cas l'«embedding» fait defaut (Sully p.52, 4-7 = (15) ci-dessus; p. 54, 16-21; p.56, 13-16). Dans Aucassin il y a seulement accord dans XL, 7; il y a desaccord dans VI, 15; XXVIII, 17; XXXII, 18 (= [14] ci-dessus); XL, 33. Etc. 110 Pieter van Reenen/ Lene Schizjsler construction, il est possible de considerer ce sujet logique comme le veritable Theme de la construction. C'est par consequent ce sujet logique qui sera analyse comme appartenant a une structure thematique fixe ou non (cf. l'Introduction). Cette analyse ne posera pas trop de difficultes. Par contre, il est plus difficile de proceder a une classification des constructions impersonnelles selon le critere du sujet grammatical explicite ou implicite. Vu ce probleme, et vu que nous n'avons pas l'intention de nous occuper des structures focalisees (cf. aussi la section 2.2.2.), nous avons decide d'ecarter les constructions impersonnelles de notre analyse. Nous avons neanmoins indique la frequence des constructions impersonnelles dans l'Appendice, col.4. 2.2.2. Il arrive qu'un membre de phrase, souvent un syntagme nominal, soit deplace vers la gauche, en extraposition, pour etre repris par un si thematique, qui relance la phrase.L'exemple (2 1) illustre ce cas.Dans (2 2), l'element extrapose est une relative independante ayant la fonction de sujet de la principale. Dans (23) et (24) ce sont des syntagmes prepositionnels qui sont extraposes, et il n'y a pas toujours de sujet explicite. Ce dernier cas est tres rare dans notre corpus.L'exemple le plus connu d'extraposition provient des Serments de Strasbourg: «Pro Deo amur ... d'ist di en avant in quant Deus savir et podir me dunat, si salverai eo ...». Dans le cas de (25), le syntagme nominal antepose constitue le noyau du complement d'objet direct de n'a (= «il n'y a pas»). Dans l'exemple (26), il s'agit de l'anteposition d'un complement d'objet indirect d'un verbe impersonnel. L'Appendice, col. 5, donne les frequences des extrapositions dans notre corpus. Elles sont relativement frequentes dans Sully. (21) La premere chose, {ce vos di}, si est {que li prestes {qui parroise tent} deit aver sainte vie} ... (Sully 2, 11) (22) {qui ceste creance a}, si a bone creance (Sully 8, 20) 8 (23) Pur aver le confermement de Ja graunt chartre des fraunchises d'engJeterre e de Ja chartre de Ja forest, {Je queu confermement Je roy leur ad graunte bonement}, si li graunterent un commun doun ... (Anglo-Normand, 1294, deuxieme charte) (24) En trestotes ! es paroles {qui furent dites en terre}, si est Ja plus seinte e Ja plus haute e Ja meildre la pater nostre. (Sully 10,11) (25) Ices asnes, {dont jeo vos cont}, si n'a si granz en tot Je mont, e si ne sont mie dantez (Best 1846) (26) chi! {qui avoit Je noiel au brief} si couvenoit {qu'il alast en l'estoire} (Clari XI, 14) Comme l'element auquel se refere le si dans les exemples ci-dessus est un syntagme qui est membre de la PM, ce type de construction s'ecarte de nos definitions (1).La s La relative qui ceste creance a est une relative independante, sans antecedent, differente de celles discutees dans 2.1.2, qui sont toutes des relatives dependantes, a antecedent. Ancien et moyen frarn;:ais: si «thematique» 111 fonction de la dislocation est de focaliser le membre de phrase extrapose. Sur ce point, l'extraposition rejoint la construction impersonnelle en ce sens que toutes deux signalent une focalisation par rapport a la structure thematique non focalisee. Comme c'est la structure non focalisee qui retient notre attention, nous excluons de cette etude les structures disloquees. 2.2.3. Selon notre definition (lb), le sujet grammatical implicite de la PM introduite par si est coreferentiel, c'est-a-dire identique a celui de la PR. La notion d'«identite» est le plus souvent claire. Neanmoins, il arrive que cette «identite» soit partielle ou doive etre induite par le contexte, comme c'est le cas pour les exemples (27) et (28). Ici le sujet au pluriel de la PM inclut logiquement le sujet au singulier de la PR. Quoique, logiquement, l'inclusion se conforme a notre definition (lb), elle s'en ecarte formellement, et nous avons cru bon de l'ecarter de notre etude comme un cas difficile a classer par rapport a nos definitions. L'A pp endice, col. 6, presente les frequences. L'exemple (27) aurait pu etre compte parmi les impersonnelles. (27) Mes { quant par aventure avent {Que l'une ( = une pierre) pres de ! 'altre vent (PR)}, si espernent e feus en ist (PM) ... } (Best 361) (28) { quant il ( = la colombe) se moet (PR)}, si moevent ( = ! es colombes) toz (PM) ( Best 2908) 2.3. Constructions en desaccord avec les definitions Nos definitions dans (1) excluent 9 d'abord la presence d'un sujet explicite dans la PM. Pourtant les sujets explicites, autant identiques a ceux des PR que differents de ceux-ci, se rencontrent par centaines dans nos textes, cf. 2.3.1. et 2.3.2. pour les sujets nominaux et indefinis. La colonne 10 de l'Appendice fournit les frequences des sujets pronominaux (personnels et demonstratifs) explicites apparaissant dans les PM. Nos definitions excluent ensuite un sujet implicite different de celui de la PR. L'Appendice, col. 9, montre qu'il y a 21 occurrences de ce type de structure, a premiere vue surprenant, dans notre corpus, cf. aussi 2.3.3. Comme dans la section 2.2., nous continuons a nous servir de la terminologie definie dans (1), tout en sachant qu'elle n'est pas entieremerit adequate. 2.3.1. Nous avons releve des cas de PM introduites par si, ou figure un sujet explicite postpose. Ce sujet explicite peut etre nominal ou pronominal (pronom personnel, demonstratif ou indefini: on, chascun). Nous allons considerer ici les cas 9 II s'agit ainsi ici de constructions contraires aux definitions exprimees dans (1) plus importantes que celles etudiees dans le paragraphe 2.2. 112 Pieter van Reenen/ Lene Schpsler de sujets nominaux ou indefinis. Comme nous venons de l'affirmer, la presence d'un sujet explicite contredit formellement la definition exposee dans (1). Pourtant, les cas de sujets grammaticaux explicites, identiques a ceux des PR, peuvent etre consideres de par leur sens comme etant en accord avec la definition. Il est possible d'analyser du moins une partie de ces sujets comme focalises, et par consequent comme des cas a ecarter de cette analyse de la structure thematique non focalisee, cf. par exemple (29). L'existence de ce type de construction nous fait pourtant comprendre que notre definition exposee dans (1) n'arrive pas a couvrir toutes les occurrences du si thematique au moyen äge. Les exemples (29) et (30) illustrent ce phenomene. Nous y avons riiis en italique les sujets explicites de la PM. (29) S'est a savoir10 {ke li ahanier devant nomet doivent avoir ... } (PR). Et si doivent li ahanier devant noumet mener tous ! es biens de l'iretage Jakemon Erbaut meesmes, en se grange, a Rumegnies, parmi le markiet devant noumet (PMl). Et si ont li ahanier devant noumet leuwet a Jakemon Erbaut leur char et leur harnasc (PM2) ... (Tournai 14 1301) (30) Et {quant ele aloit}, ele portoit son chief pres de terre pie et demi, apuiee d'un baston {que ele tenoit en sa main de pie et demi de longueur ou environ} (PR). Et si aloit la dite Amelot (PM) ... (Loys V, 8) Taus les textes ne connaissent pas ce type de PM commern; ant par si et contenant un sujet explicite, ainsi on ne le trouve pas dans Best, Aucpr, Turpin, RegPar13, ANl3, Floov et AN14 (cf. l'Appendice, col. 7). 2.3.2. Nos textes contiennent un nombre assez important de cas de PM introduites par si, suivies d'un sujet explicite qui n'est pas identique a celui de la PR. L'Appendice, col. 8, montre que cette construction se rencontre dans tous les textes sauf Turpin, Aucpo, RegPar et AN14. Il est certainement tres genant de constater qu'une meme succession de membres de phrase peut correspondre a deux structures thematiques pour ainsi dire contradictoires. Cette construction est specialement frequente dans les chartes de Tournai et dans Sully. Nous nous limitons a donner trois exemples de (31) a (33) illustrant cette construction: si Vsujet explicite non-identique a PR. Nous y avons mis en italique les sujets explicites AS de la PM. (3 1) Ceste rente {si con elle est nomee} a Watiers de! Pret (Sl) en couvent a aquiter a Gillion Gourdinne al asens des eskievins (PR) et s'en (= si en) est plege de l'aquiter Jehans Froide Quisine (S2, AS) (PM) ... (Tournai 13 1253) (32) (Le roi de Carthage) ... en fist (Sl, SO) molt grant feste (PR); si li (= la fille du roi) veut on (S2, AS) doner cascun jor baron un des plus haus rois de tote Espaigne (PM) (Aue XL, 9) 10 S'est a savoir ke•est une construction impersonnelle, cf. 2.2.1. Ancien et moyen frans;ais: si «thematique» 113 (33) ... {�omme frere Jehan de Leigni (Sl) ... eust este sain et heitie jusques a ceJ tens}, une tres grief douJeur (S2) Je prist (PR) ..., et si Je prist une fievre continue (S3, AS) (PM) Loys L, 9) 2.3.3. A premiere vue, on ne s'attendrait pas a rencontrer des constructions comportant un changement de sujet sans que le sujet soit explicite 11 • Pourtant, nous avons trouve quelques constructions de ce type, dont nous citons trois exemples, de (34) a (36); cf. aussi l'Appendice, col. 9. Nos definitions nous obligent a considerer, dans (34), la phrase commenfant par puisque comme la PR de la phrase debutant par si, ce qui implique qu'il y a changement de sujet dans les deux phrases, manifeste pourtant explicitement dans les formes verbales qui changent de nombre: «atorne, sont». Dans (35) et (36), c'est le contexte seul qui decide. (34) {Tant come dure Je creissant (Sl)}, Sont il (S2) mult heite e joiant, Mes {puisque al decurs atorne (Sl) (PR)}, si sont (S2, AS, SO) doJenz, tristes e morne (PM) (Best 1961) (35) ... il (= chiax de Pise = Sl) leur (= aux messagiers) respondirent {qu'iJ (= chiax de Pise = Sl) n'aroient mie tant de vaissaus} et {qu'il ( = chiax de Pise = Sl) ne porroient nient faire} (PR). Apres si s'en aJerent (= li message = S2, AS, SO) en Venice (PM) ... Clari VI,13) 12 (36) Nicolete (Sl) ... se quatist en un espes buisson; et soumax (S2) li prist (PR), si s'endormi (Sl, AS, SO) (PM) (Aue XVIII, 5) 2.4. Conclusion Si nous consultons l'Appendice, col. 1-3, pour calculer le nombre de constructions en parfait accord avec les definitions dans (1), nous constatons qu'elles contiennent 564 occurrences. Si nous considerons les col. 7-10, en desaccord avec les definitions dans (1), il faut compter 380 occurrences. Ceci implique que 40% des constructions avec si thematique en ancien frarn;:ais ne sont pas en accord avec la structure definie dans (1). Si nous n'avions pas laisse hors de consideration les donnees des colonnes 4-6, constructions focalisees mal classifiables, ce pourcentage approcherait les 50% (les donnees de la colonne 11, contenant les sequences de discours direct restent, comme indique dans l'Introduction, hors de consideration). Le pourcen- 11 II a deja ete observe, dans Sch0sler 1988, a propos de quelques textes du moyen frans; ais, qu'un changement de sujet n'est pas obligatoirement explicite. 12 Comme ce passage est assez complique, il sera cite ici in extenso: Li message atomerent leur oirre et s'en alerent tout droit tant qu'il vinrent a Genvres, et parJerent a Genevois et disent leur chou qu'il queroient, et li Genevois disent qu'il ne leur en porroient nient aidier. II s'en alerent apres a Pise et parlerent a chiax de Pise, et il leur respondirent qu'il n'aroient mie tant de vaissaus et qu'il ne porroient nient faire. Apres si s'en alerent en Venice, si parlerent au duc de Venice et disent ... 114 Pieter van Reenen/ Lene Sch0sler tage de structures contenant si thematique sans correspondre aux definitions exprimees dans (1) constituant au moins 40%, il faut conclure que ce pourcentage est nettement trop eleve pour nous permettre de considerer la definition de (1) comme decrivant d'une fas;on satisfaisante la structure thematique fixe en ancien et en moyen frans;ais. Neanmoins, on verra, dans la section 3, que la consideration des aspects dialectaux, chronologiques et stylistiques de nos donnees va modifier considerablement le resultat assez decevant de cette premiere conclusion. 3. Aspects dialectaux, chronologiques et stylistiques Jusqu'a maintenant nous avons simplifie la realite linguistique, en considerant l'ancien et le moyen frans;ais comme un systeme homogene. Dans une approche plus realiste, il faut tenir compte des facteurs suivants: 1) II y a un grand nombre de dialectes a distinguer: l'ancien et le moyen frans;ais ne sont que la somme de leurs dialectes; a son tour chaque dialecte connait des variations, c'est-a-dire que chaque dialecte est heterogene. 2) II y a plusieurs periodes a distinguer; ceci est evident dans le cas des chartes, mais il y a encore les couches superposees des manuscrits provenant inevitablement d'epoques differentes. En effet, les textes litteraires se trouvent dans des manuscrits non originaux et ils se composent souvent d'un melange de dialectes. Ils ont ete transcrits et transposes dans d'autres dialectes que le texte original, dont ils peuvent pourtant porter des traces. 3) II y a plusieurs styles a distinguer: au moins deux styles litteraires, prose et poesie, et le style juridique des chartes nous rappelons que nous avons deja ecarte le discours direct. II s'ensuit des precisions que nous venons d'apporter a notre conception du terme «ancien et moyen frans;ais» qu'il nous devient possible de poser la question de savoir si les definitions exprimees dans (1) se manifestent de la meme fas;on dans tous les dialectes, a toutes les periodes et a tous les niveaux stylistiques. II y a des differences parfois considerables a signaler, comme il ressortira ci-dessous de l'examen de nos donnees. On verra que ces differences seront d'une certaine importance pour l'evaluation de la pertinence des definitions exprimees dans (1). 3.1. Differences dialectales Nous distinguons les groupements dialectaux suivants: Nord, Centre, Sud (Est et Ouest), Angleterre. Ancien et moyen fran9ais: si «thematique» 115 Tableau 2. Le corpus des textes analyses. Pr = Prose, Po = Poesie, Ch = Chartes. Le nombre absolu d'occurrences de SI thematique et les promillages se trouvent dans les dernieres colonnes. Les datations dans la premiere colonne sont celles des manuscrits. Pour les references completes voir la bibliographie. Siede Dialecte Genre Texte Total Occurrences 0/ 0 0 des mots de SI frequences 13e Nord Pr Aucassin 7 964 196 24,61 13e Nord Po Aucassin 2199 23 10,46 fin 13e Nord Pr Clari 5 8 5 3 164 28,0 2 13e Nord Ch Tournai13 19795 166 8,39 14e Nord Ch Tournai14 315 51 15 8 5,01 13e Centre Ch RegPar13 39812 4 0,10 14e Centre Ch Paris 14 245901 5 8 0,24 debut 14e Centre Pr Loys 5 4447 16 0,29 13e Sud-Ouest Pr Sully 20181 20 3 10 ,0 6 13e Sud-Est Pr Turpin 16251 22 1,35 14e Sud-Est Po Floovant 910 3 71 7,8 0 13e Anglet Po Best 238 61 126 5,28 13e Anglet Ch Anglonor 310 67 21 0,67 14e Anglet Ch Anglonor 125 01 12 0,96 Il y a deux differences d'ordre dialectal a observer. La premiere est la distribution frequentielle de si: si est plus frequent dans le Nord qu'ailleurs (Clari, Aue, Tournai 13 et Tournai 14), cf. le tableau 2. Dans le Centre, si est presque absent (RegPar 13, Paris 14 et Loys). Les autres regions se comportent de fa�on moins prononcee. Dans l'unique texte du Sud-Ouest, la frequence de si est assez elevee, ce qui peut etre un trait particulier de cette region. Pourtant, ce texte, Sully, dont ! 'original provient du Nord-Est, pourrait en porter encore des traces. 11 peut ainsi s'agir d'un melange de dialectes. La seconde difference a relever concerne un emploi particulier de si dans le Nord qui n'est pas visible dans nos tableaux: si peut apparaitre au debut d'un texte ou d'un paragraphe. Voici le debut d'une charte, de Tournai, dans (37) (qui figure dans l'Appendice parmi AS, col. 8). (37 ) Et si sacent tout eil ki sont ... ke Jehans de Bourgiele a vendut ... (Tournai 13 125 9) Il n'y a pas de doute qu'il s'agit ici d'un debut de texte (quoique la presence de «Et» ne laisse pas d'etonner), ce qui va a l'encontre de nos definitions dans (1). Nous pensons que l'emploi de si dans (37) n'est pas un lapsus, mais qu'il est signe d'une collision homonymique, surtout typique du Nord. Si dans (37) peut etre le resultat de la confusion avec ci deictique-locatif, cf. la charte de 1398 (Doutrepont XVI), ou nous trouvons «si dezoubz nommez» au lieu de «ci dezoubz nommez». Il y 116 Pieter van Reenen/ Lene Sch�sler a une autre construction que l'on rencontre regulierement, surtout dans les chartes du 14 eme siede, a savoir «s(i) est a savoir» (cf. [29] ci-dessus), a cöte de «c'est a savoir». (La construction se rencontre egalement au moins une fois dans une charte de 1261 de la RegPar: «S'est a savoir». Dans ce cas il s'agit de la confusion entre si et le pronom demonstratif neutre ce.) En outre, trois chartes contiennent la formule «tout si que» au lieu de «tout ce que» (Ruelle 95 [1266], 105 [1268, 3 fois], 111 [1269]). La collision homonymique concerne egalement la conjonction se: nous avons trouve un cas de ce au lieu de se dans une charte de Tournai datant de 1311, cf. (38): (38) «Et ce ( = conjonction se) Lotars de Bari ne paioit ... , rendre ... doit Lotars ... » (Doutrepont XVIII). Nous pensons que la «confusion» entre si et ce se rencontre egalement dans Clari, texte litteraire du Nord. Plusieurs paragraphes de ce texte commencent par «Apres si» (VII, XV, XXVI, XXVIII, XL, LVI, LVIII, LXXXI). Cette construction peut representer «Apres ce». La confusion de si et de ce suivant «apres» s'est peut-etre repandue a d'autres cas: «Adont si» (VI, XX, CIII, CXVIII) et «Puis si» (CXII) dans le meme texte. Si notre explication est correcte, cet emploi ne pose pas de problemes pour nos definitions dans (1), etant donne qu'il ne s'agit pas 1a de notre si thematique. Si notre explication n'est pas correcte, il faudrait ecarter les exemples en affirmant que la division en paragraphes a ete mal etablie par l'editeur moderne, ce qui serait faux. Nous avons consulte le seul manuscrit de ce texte (ms. 487, Gammel kgl. Samling, de la Bibliotheque Royale de Copenhague), qui date de la fin du 13 eme siede, pour constater que les subdivisions en paragraphes de l'edition moderne sont identiques a celles du manuscrit. Tous les debuts de paragraphes signales ci-dessus sont en effet des debuts de paragraphes dans le manuscrit. Si si se confond avec CE dans Clari et dans les chartes de Tournai et peut-etre de Paris, on ne retrouve pourtant pas la meme confusion dans le dernier texte que nous avons examine dans le Nord: Aucassin. 3.2. Differences chronologiques Les textes du Centre et du Nord permettent quelques comparaisons d'un point de vue diachronique. Les textes du Centre ont tres peu desi au 13 eme siede et au 14 eme siede, comme il ressort du tableau 2; les chiffres suggerent un etat stable du si. Dans le Nord et dans le Sud il faut distinguer les niveaux stylistiques dont il sera question plus tard, dans la section 3.3, avant de proceder a une comparaison Ancien et moyen fran1;ais: si «thematique» 117 chronologique des textes. Nous comparerons, par consequent, prose et prose, chartes et chartes, region par region. D'une far;:on generale, nos donnees ne permettent pas de condure que le «system of referential tracking (a l'aide de si thematique, PvR, LS) begins to break down in the 13th century» (FLEISCHMAN 1991: 276). A l'interieur de la periode examinee, les differences trouvees, quoique considerables, ne se laissent pas ou guere interpreter en termes de chronologie. 3.2.1. Frequence de si par rapport au nombre total des mots. Si nous presumons que la prose de Aucassin represente une phase anterieure a celle de Clari, il faut constater que la frequence de si augmente legerement dans le courant du 13 eme siede, cf. le tableau 2. Mais d'un point de vue statistique l'ecart n'est pas significatif. Dans les chartes de Tournai l'emploi de si diminue legerement, de 8,39% au 13 eme siede a 5,01% au 14 eme siede (cf. tableau 2, derniere col.). Si le test X 2 est applique, le changement se revele significatif a un seuil de p < 0,001 (X 2 = 21,8). Entre Floovant et Turpin la frequence de si monte. Dans Sully, la frequence de si est assez elevee, mais l'evaluation en est peu süre, cf. la section 3.1. 3.2.2. Frequence de si plus sujet explicite, MS/ AS, versus si plus sujet sousentendu, MS/ AS La frequence de si + sujet explicite (MS/ AS cf. l'Introduction pour la resolution des abreviations) versus si + sujet sous-entendu (MS/ AS) augmente de Aucpr a Clari, ce a quoi il faut s'attendre: l'emploi d'un sujet explicite est conforme a l'evolution generale du langage. Par contre, dans Tournai, cette evolution ne se manifeste pas. Dans les chartes de Tournai la frequence de si + MS explicite reste stable: si l'on considere l'ensemble de si + sujet explicite, MS et AS, le pourcentage ne change guere: 84% et 85%, cf. Tableau 3. Selon l'analyse de FLEISCHMAN (1991: 261), qui se base sur les donnees de MARCHELLO-NIZIA (1985: 165), il y aurait une augmentation de si suivi d'un sujet explicite (MS/ AS) du 13 eme au 14 em e siede. Ceci n'est verifie que dans le cas de Turpin et de Floovant (la difference entre Aucpr et Clari n'etant pas significative). 3.2.3. Correlation de si MS versus si AS (sujets explicites et sous-entendus) Dans les textes litteraires nous constatons une diminution de la correlation si-MS (sujets explicites et sous-entendus) de Aucassin a Clari (prose), et de Turpin a Floovant (poesie). Par contre, cette tendance ne se manifeste pas dans les chartes de Tournai, dans lesquelles il y a une legere progression de si plus MS. Les tendances chronologiques sont donc contraires, cf. Tableau 4. 118 Pieter van Reenen/ Lene SchlZ)sler Tableau 3. Les donnees proviennent de l'Appendice, col. 7, 8 et 10 (sujets explicites) et col. 1, 2, 3, 9 (sujet s i mplicites). N ord 13e Aucpo 13e Aucpr fin 13e C lari 13e Tournai13 14e Tournai14 Cent re de but 14e L oys 13e Re gPar13 14e Par14 Sud 13e Turpi n 13e Sully 14e Floovant Anglo-normand 13e "Best 13e AN13 14e AN14 sujet s (MS+AS) sous-entendus explici tes 0 0% 19 100% 10 6% 147 94% 34 26% 99 74% 119 84% 23 16% 103 85% 18 15% 6 50% 6 50% 0 2 26 54% 22 6% 0 0% 21 100% 43 29% 107 71% 4 9% 40 91% 13 15% 76 85% 5 2 0 0 Tableau 4. Les donnees proviennent de l'Appendice, col. 1, 2, 3, 7 (MS) versus col. 8, 9 (AS). sujet s (explici tes et sous-entendus) MS AS N ord 13e Aucpoesie 19 100% 0 0% 13e Aucprose 143 92% 12 8% fin 13e C lari 107 80%26 20% 13e Tournai 13 47 33% 95 67% 14e Tournai14 54 45% 67 55% Centre de but 14e L oys 10 83% 2 17% 13e Re gPar13 2 0 14e Par14 38 90% 4 10% Sud 13e Turpi n 21 100% 0 0% 13e Sully 105 72% 41 28% 14e Floovant 40 91% 4 9% Anglo-normand 13e Best 73 86% 12 14% 13e AN13 2 4 14e AN14 0 0 Ancien et moyen fran�ais: si «thematique» 119 Tableau 5. Les donnees proviennent de l'Appendice, col. 8 versus 9. sujets AS explicites sous-entendus N ord 13e Aucpoesie 0 0 13e Aucprose 6 50% 6 50% fin 13e Clari 24 92% 2 8% 13e Tournai13 93 98% 2 2% 14e Tournai14 66 99% 1 1% Centre debut 14e Loys 2 0 13e RegPar13 0 0 14e Par14 4 0 Sud 13e Turpin 0 0 13e Sully 37 90% 4 10% 14e Floovant 4 0 Anglo-normand 13e Best 6 50% 6 50% 13e AN13 4 0 14e AN14 0 0 Tableau 6. Les donnees proviennent de l'Appendice, eo! . 7 versus 1, 2, 3. sujets AS explicites sous-entendus N ord 13e Aucpoesie 0 0% 19 100% 13e Aucprose 2 1% 141 99% fin 13e Clari 10 9% 97 91% 13e Tournai13 26 52% 21 48% 14e Tournai14 37 69% 17 31% Centre debut 14e Loys 4 40% 6 60% 13e RegPar13 0 2 14e Par14 16 42% 22 58% Sud 13e Turpin 0 0% 21 100% 13e Sully 2 2% 103 98% 14e Floovant 0 0% 40 100% Anglo-normand 13e Best 0 0% 73 100% 13e AN13 0 2 14e AN14 0 0