eJournals Vox Romanica 52/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
1993
521 Kristol De Stefani

«Ecouter du Mozart»: Variations sur un thème

121
1993
Marc Wilmet
vox5210194
«Ecouter du Mozart»: Variations sur un theme Le fonctionnement des noms propres quantifies encore appeles articules, determines ou modifies pose un casse-tete a la linguistique franfaise. J'en ai traite naguere, apres beaucoup d'autres, dans une contribution au volume Determinants: syntaxe et semantique (cf. WILMET 1986b en_ bibliographie), qui reprenait ou adaptait une serie d'exemples tires d'un corpus litteraire (ENGWALL 1984). Ainsi, de(l]a(9]1. [1] Quand il n'y aurait plus de Charles Swann, il y aurait encore une M 11e Swann. [extensite de Charles Swann = 0, extension = 1, extensivite partitive O < 1] [2] Les Guises frequentent peu les Dupont, et vice versa. [extensite et extension de Guises et Dupont = n > l, extensivite extensive nln] [3] Les Corneille, les Racine, / es Moliere ont illustre Ja scene fran9aise. [extensite 1 + 1 + 1 = n et extensivite extensive n/ n x 3 (repetition emphatique): une triade d'auteurs suffisant a l'illustration du theätre fran9ais] [4] Narcisse si l'on veut mais un Narcisse sans passion, simplement interesse. [extension n > l de Narcisse (Narcisse indifferent + Narcisse passionne, etc.) et extensite = 1 de Narcisse sans passion, extensivite partitive 1 < n] [5] Le Celine antisemite est plutöt souriant. [extension > 1 de Celine (Celine raciste + Celine medecin des pauvres, etc.), extension = 1 et extensite = 1 de Celine antisemite, extensivite extensive 1/ 1] [6] Madeleine veut epouser un Dupont. [extensivite partitive: soit, en lecture predicative existentielle, «un element x connu (= 'un membre de la famille Dupont') ou inconnu ( = 'un certain/ nomme Dupont') preleve sur l'ensemble XDupont» ou, en lecture predicative universelle, «un individu qui sera/ se nommera obligatoirement Dupont»] 1 Pour memoire (cf. WrLMET 1986 et passim), l'extensite designe Ja quantite d'objets auxquels Je nom-noyau d'un syntagme nominal est applique; l'extension designe l'ensemble des objets auxquels ce nom est contextuellement applicable; l'extensivite designe Je rapport de l'extensite a l'extension (rapport d'inferiorite: extensivite partitive, que declarent notamment les articles UN et DE; rapport d'egalite: extensivite extensive, que declare l'article LE). La these adoptee est que Je nom propre se passe normalement de quantification dans tous ! es cas ou son extensite vaut 1, son extension 1, et par consequent son extensivite 1/ 1 = 1. L'apparition d'un quantifiant resulterait en contrepartie d'un quelconque changement de Ja formule 1/ 1 = 1 relatif a l'extensite (intervention d'un quantifiant poussant l'extensite = 1 vers < 1 ou > 1: exemples 1, 2, 3), a l'extension (intervention d'un caracterisant demultipliant l'extension = 1 en une extension > 1: exemples 4 et 5) ou a l'extensivite (instauration deliberee c'est-a-dire sans intervention de nul quantifiant < 1 ou > 1, ni de nul caracterisant d'une extensivite partitive ou extensive: exemples 6 a 9). «Ecouter du Mozart»: Variations sur un theme 195 [7] J'admire la traversee du desert d'un de Gaull ou d'un Mitterrand. [extensivite partitive 1 < n: «de Gaulle et Mitterrand pris chacun comme echantillon d'un type»] [8] Vous etes le Lucky Luke? [soulignement de l'extensivite extensive 1/ 1 destine a prevenir tout risque de quiproquo = 'vous n'etes pas un simple homonyme de Lucky Luke? '] [9] Y a Gabriel qui a garde la Zazie avec lui. [emploi populaire du nom propre canonique d'extensivite extensive 1/ 1, refletant l'ultime progres de la determination au cours de son histoire] Les noms propres reputes «metonymiques» de [10) entrent-ils ou non dans ce cadre? [10] Paul ecoute du Mozart, lit du Colette, achete un Matisse ... Le theme ayant inspire a date recente GARY-PRIEUR (1990) et KLEIBER (1992), il nous faut rappeler succinctement les positions en presence avant de degager les enjeux. * MARIE-NOELLE GARY-PRIEUR conteste l'explication courante de ecouter du Mozart, lire du Colette ou acheter un Matisse par l'omission de p. ex. musique, livre ou toile: ecouter de la (musique de) Mozart, lire un (livre de)/ des (livres de) Colette, acheter une (toile de) Matisse. Ce processus d'effacement sauvegarde en effet le genre et le nombre du nom implicite: un (fromage de) Camembert, une (biere de) Chimay, un (vin de) Champagne, une (voiture) ou un (camion) Renault, etc. Ici, non seulement le masculin regne, mais le retablissement de noms feminins n'y change rien: La musique/ nouvelle/ toile que Paul ecoutellit/ achete, c'est du Mozart/ du Colettelun Matisse . . . GEORGES KLEIBER excipe aussi de p.ex. *ecouter de Ja Mozart pour renoncer aux solutions en termes d'ellipse. La difficulte du masculin obligatoire, meme devant un patronyme feminin (p.ex. lire du Colettevs *lire de la Colette), l'arrete peu, car il s'interesse d'abord a la reprise anaphorique des «noms propres metonymiques», coreferentielle et fidele dans le cas des «comptables» (p.ex. Paul s'est arrete devant un Matisse. Ce Matisse etait une ceuvre de la premiere periode du peintre), non fidele a l'en croire, quoique coreferentielle, dans le cas des «massifs», ou l'anaphore transfererait le «massif» en «comptable» (p.ex. Paul a ecoute du Mozart hier soir. Ce Mozart etait formidable = 'ce morceau, ce disque, etc. de Mozart'). Du coup, le spectre du nom efface (morceau, disque ...) resurgit, a moins qu'on prefere imaginer un detour par l'article un: du Mozart� un Mozart� ce Mozart . . . Retenons en tout etat de cause l'apparent consensus quant au statut de «nom propre» des exemples allegues. Premier point que j'aimerais discuter. Nous retrouverons ensuite le probleme particulier que souleve le couple «massif/comptable». 196 Marc Wilmet Nom propre et nom commun Le «nom propre metonymique» est-il ... un nom propre? Tout depend bien entendu de la definition qu'on donne du nom propre. Personnellement (WILMET 1991), j'y distingue: en langue, un «asemanteme» ou (adoptons le vocabulaire saussurien) un signe dote d'un signifiant une suite de phonemes et d'un signifie vide, donc disponible a priori: p.ex. Mozart s'annonce capable de denoter un homme, un chien, un lycee, un restaurant, une avenue ... lors du passage au discours, une «denomination», qui, connectant la sequence sonore p.ex.Mozart avec un referent, et muant un objet virtuellement appelable Mozart en objet effectivement appele Mozart, forme, si l'on veut, le noyau atomique du sens final ... en discours, un «semanteme», desormais circonscrit a un objet du monde, recevant a posteriori une constellation d'apports significatifs qui gravitent comme des electrons autour du nucleus (p.ex.Mozart, compositeur autrichien ne a Salzbourg en 1756 et mort a Vienne en 1791, fils de Leopold, amant d'Aloysa Weber, epoux de Constance, auteur prolifique de symphonies, de sonates, de concertos, de messes, d'operas, etc.): des connaissances ad libitum perfectibles et inegalement distribuees parmi les membres de la communaute linguistique. On voit que le «nom propre metonymique» parcourt les trois etapes de l'«asemanteme», de la «denomination» et du «semanteme», puis bifurque: ecouterdu Mozart revient a percevoir de la musique, non le musicien muni de sa nebuleuse semique (la boutade C'est du Mozart qu'il execute, mais c'est Mozart qu'il assassine serait impermutable: *C'est Mozart qu'il execute, mais c'estdu Mozart qu'il assassine), en feuilletant du Colette on n'aura jamais l'impression d'effeuiller la dame, et acheter un Matisse n' equivaut pas a faire l'emplette d'une personne ainsi baptisee. Au depart, un producteur (Mozart, Colette, Matisse), a l'arrivee un produit (musical, litteraire, pictural).Metonymie, certes, mais descriptible en amont sous l'appellation de «nom propre metonymique» ou en aval sous celle de «nom commun issu de nom propre par antonomase». Trions a present les questions et les reponses. (1) Existe-t-il des contre-arguments serieux a l'enrölement de [10] dans les noms communs? GARY-PRIEUR argue (a) de la majuscule, (b) de l'impossibilite du pluriel.Inutilement selon moi. (a) La majuscule n'est pas rare s'agissant de metonymies toponymiques transparentes: du bourgogne, du bordeaux ou du Bourgogne, du Bordeaux ...; elle disparait en revanche des metonymies patronymiques opacifiees: un calepin, une «Ecouter du Mozart»: Variations sur un theme 197 poubelle ... Cet indice graphique marque purement et simplement la filiation du nom propre au nom commun (comparer deja les Anglais mais une minuscule en espagnol: los ingleses-, un Jesuite ou unjesuite, etc., derives d'Angleterre, de Jesus ...)2. (b) L'exemple [2] supra des Guises avec -s visible et des Dupont prouve que les authentiques noms propres s'accommodent du pluriel.Mais refuserait-on vraiment un [10 bis] = 'des morceaux de Mozart, des ouvrages de Colette/ des tableaux de Matisse'? [10 bis] ? Paul ecoute des Mozart(s), lit des Colette(s), achete des Matisse(s) ... Peut-etre la fecondite du fabricant favorise-t-elle le tour: Lire du ou des Simenon (et, de taute fa�on, devorer des Maigret = 'des romans policiers mettant le fameux commissaire en scene'), du (de I') ou des Agatha Christie, debiter du ou des Bernard Buffet, ecouler du (de 1') ou des Utrillo ... (2) En vertu de ce qui vient d'etre expose, les vrais «noms propres metonymiques» se limitent aux constructions non articulees [10 ter]3: [10 ter] Paul ecoute Mozart, lit Colette, aime Matisse ... Les reprises pronominales le suggerent: J'ecoute Mozart: il me fascine et Je lis Colette: eile me plaft, face a J'ecoute du Mozart: �a (cette musique)/ ? ? il me fascine et Je lis du Colette: �a (cette litterature)/ ? ? eile me plaft 4 • (3) L'article transforme le nom propre en nom commun, antonomase a declic metonymique dont les grammaires enumerent des realisations paralleles a declic metaphorique: un Hercule = 'un fier-a-bras', un Harpagon = 'un avare', une Venus = 'une beaute', une Messaline = 'une courtisane' ... 5 2 Cela ne remet pas en cause l'arbitrarite du signe linguistique (p.ex. Ja musique de Mozart aurait pu etre signee d'un pseudonyme sans aliener ses proprietes, comme un arbre pouvait en theorie s'appeler tree, albero, Baum ...) mais en redouble Ja contrainte (de meme que Je signifiant arbre ne saurait impunement s'appliquer a un serpent ou a une cheminee, on n'accole en toute legitimite Je nom commun Mozart qu'a ... Ja musique de Mozart). J'avoue ne pas bien comprendre ainsi GEORGES KLEIBER quand il ecrit 1992: 252: «...si Je nom propre metonymique etait un veritable nom commun tel que musique il s'appliquerait a toute occurrence de ... Mozart, comme Je substantif musique peut servir pour toute occurrence de musique.Mais, comme il n'en est pas un, son emploi ne peut etre justifie que pour une occurrence dont Ja pertinence avec Je nom est admise ...» 3 Paul aime Matisse au lieu de Paul achete Matisse, un verbe qui orientait par nature vers Ja marchandise (il en irait autrement pour peu qu'un proprietaire de galerie cherche a s'assurer l'exclusivite de l'artiste X ou Y). 4 Double point d'interrogation a il ou eile, non pas asterisque d'agrammaticalite, car ! es deux phrases incriminees deviennent acceptables a condition, justement, de sauter du nom commun au nom propre, comme dans Je lis un roman de Colette: eile (cette romanciere) m'a toujours plu, etc. s KLEIBER (1992b) revendique Je meme referent pour p.ex.J'ai rencontre Fram,;oise Sagan et Fram,;oise Sagan est sur l'etagere de gauche. On devine que je ne partage pas son sentiment: J'ai 198 MarcWilmet (4) Condition necessaire de l'antonomase 6 , l'article n'en constitue pas pour autant une condition suffisante. Les exemples 1 a 9 ci-dessus renfermaient des noms propres quantifies (et cf. aussi, p.ex.,faire son Mozartoufaire sa Colette = 'singer Mozart ou Colette, jouer les Mozart ou les Colette'). L'emploi de du n'y est pas illustre. J'en releve toutefois saus la plume d'Herve Bazin deux attestations non metonymiques: Et qu'est-ce qui lui prend, a lui? 11 s'est souleve taut seul, sans en avoir ete prie pendant une heure. Sa tete jaune se balance avec une grace d'oison. 11 fait trois pas, il chavire, il vient s'abattre entre mes genoux. - Taut seul, hein! Taut seul, Stance! murmure-t-il, faraud. Petit bougre! Voyez-moi cette Constance qui avance une main de eire, qui essaie de lui fourrager dans les cheveux. Et qui serre les levres. Et qui plisse les yeux. Qui lutte contre le grelottement de son menton. Qui repete d'une voix rauque: «Mon pauvre cheri! » Qui c'est un comble! eclate soudain en sanglots ridicules . . . Ma tante est pres de moi, pressante, enveloppante, prodigue de meches et de mots. Mais non, mais non, elle n'est pas malheureuse, votre niece, qui secoue ses larmes, qui embrasse du Claude et du Mathilde, taut ce qui se trouve a la portee de sa bauche, au hasard. Leve-toi et marche (coll. du «Livre de poche», p. 143s.) (Constance, la protagoniste du roman, une jeune infirme, s'occupe elle-meme d'un enfant handicape, Claude. Emue par les quelques pas qu'il vient d'esquisser en presence de la tante Mathilde, elle essaie de dissimuler son emotion en embrassant pele-mele l'acteur maladroit et la spectatrice attendrie.) Le «partitif» traduit le brouillage des objets a travers un regard embue («votre niece qui secoue ses larmes») et l'aspect convulsif des effusions («taut ce qui se trouve a la portee de sa bauche, au hasard»). Noter que le feminin de la Mathilde ne semble pas exclu, mais la vision morcelee des personnes (du Claude et du Mathilde = 'des petits bouts de Claude et de Mathilde') a sans doute facilite leur «desexuation» 7 . rencontre Fran�oise Sagan contient un nom propre, Fran�oise Sagan est sur l'etagere de gauche metonymise a mon avis Je nom propre, et p.ex. J'ai tu tout (tous les) Fran�oise(s) Sagan(s) opere l'antonomase a declic metonymique du nom propre en nom commun. 6 Exception: Je «style telegraphique» des petites annonces (p.ex. «Antiquaire achete Matisse, Braque, Picasso ... »). 7 Voir quelque chose de semblable pour ! es noms de villes: Je feminin de Ja terminaison consonantique bascule au masculin sous l'action d'une caracterisation restrictive (p.ex. le vieux Bruxelles ainsi que le vieux Paris) ou d'une synecdoque (p.ex. Bruxelles defait = 'l'equipe de Bruxelles'): cf. FEIGENBAUM 1989. «Ecouter du Mozart»: Variations sur un theme 199 (5) 11 decoule de la remarque precedente que l'exemple 24 de GARY-PRIEUR repris sous [11] etait ambigu: [11] 11 y a du Maquart la-dessous. Deux traductions. Ou 1° antonomase metonymique = 'l'individu nomme Maquart a trempe dans cette affaire et y a laisse sa marque' (rapprocher l'antonomase metaphorique II y a du Don Juan en Paul= 'du seducteur'), ou 2 ° nom propre non metonymique quantifie = 'Maquart est son pere et revit en lui'. (6) La prise en consideration partielle du nom commun dans ecouter du Mozart, etc. a pour pendant sa prise en consideration totale au moyen de tout 8 • Voyez p.ex. les vers bien connus de [12]: [12] 11 est un air pour qui je donnerais/ Taut Rossini, taut Mozart, taut Weber ... (Nerval) Quel röle assume tout? Quantification plurielle? Non, l'extensite de Rossini, Mozart, Weber egale 1. Caracterisation ( = 'Rossini, Mozart, Weber entiers')? A la rigueur, mais l'invariabilite de p.ex. J'ai lu tout Colette permet d'en douter. Adverbe de la determination zero, apropos de laquelle notre remarque 2 refusait pourtant l'antonomase? Force est d'admettre la transmutation occasionnelle du nom propre en nom commun, tout palliant la carence de l'article le en cette fonction 9• Pour trois raisons: - Premierement, la bizarrerie de Il est un air pour qui je donnerais Rossini, Mozart, Weber, en comparaison de Il est un musicien pour qui je donnerais Rossini, Mozart, Weber. - Ensuite la difference de reprise personnelle. On aura de fait (comparer KLEIBER 1992b en NS): Colette est sur l'etagere de gauche. Elle est reliee plein cuir (nom propre metonymique), mais Tout Colette est sur l'etagere de gauche. II est relie plein cuir (nom commun). s La terminologie linguistique tend a confondre partitif et partiel, bien que l'article «partitif» releve le cas echeant de l'extensite maximale (p.ex. Du vin blanc desaltere mieux que du vin rauge = 'il est vrai de la tatalite du vin blanc qu'il desaltere mieux que Ja tatalite du vin rouge, Ja proposition se verifiant rasade apres rasade') et que ! '«adjectif indefini» taut = 'n'importe quel' incombe autant que un ou du il. l'extensivite partitive (cf.Nl): p.ex. Le soldat espagnol est le plus brave, mais * Uni* Tout soldat espagnol est Je plus brave et Un! Tout soldat espagnol est tres brave (WILMET 1986). 9 Le determinant un nom commun issu de nom propre le cantonnerait-il dans Je registre «numeratif» (cf. infra): J'ai ecoute Je Mozart ( = 'le morceau que tu m'avais conseille') ... ton Mozart ( = p.ex. 'ton disque favori') et ... tout ton Mozart ( = 'j'ai ecoute ton disque favori jusqu'au bout', voire 'j'ai epuise les ressources de ta discotheque en musique de Mozart', moins bon que J'ai ecoute tous tes Mozart(s))? Autre eventualite, Je souci d'eviter un decryptage conforme a nos exemples [8]: J'aime Je Mozart= 'Wolfgang Amadeus a l'exclusion de son pere Leopold', [10] (populisme, ou italianisme: Je Mozartcomme Je Tasse, donc aussila Colette comme Ja Callas ou Ja Malibran). 200 MarcWilmet - Antonomase facultative, enfin, parce que p.ex.II est un musicien pour qui je donnerais tout Rossini, tout Mozart, tout Weber recree l'ambigui:te constatee au paragraphe 5, exemple 11: 1 ° 'la musique de Mozart/ Rossini/ Weber dans son integralite' (nom commun), 2 ° 'les personnages de Mozart/ Rossini/ Weber dans la totalite de leurs composantes' (nom propre) 10• (7) D'ou sort en definitive le masculin de p.ex.lire du Colette si le nom determine est bien un nom commun? Trois pistes s'ouvrent: (a) la pronominalisation du caracterisant, (b) la nominalisation du caracterisant, (c) la deshumanisation du nom propre. (a) A cöte des pronominalisations retenant le genre du nom efface: la (course) transsaharienne, 1a (route) transcanadienne, le (train) transsiberien, le (Thelitre) Franr;ais = 'la Comedie Frans;aise', un (parcours de golf a) dix-huit trous, du super (carburant) en France, de la super (essence) en Belgique, etc. on rencontre p.ex. boire un aperitif ou chausser du 38 quand il y a hesitation sur l'identite du nom omis: une boisson aperitive ou n'importe quel breuvage aperitif, un masculin soulier, chausson, escarpin ... ou un feminin chaussure, botte, pantoufle ... de pointure 38. Cette espece de neutralisation eclaire et conforte la critique de Gary-Prieur: «Pourquoi, lorsqu'on pense a Colette, aurait-on dans la pensee le nom livre plutöt que le nom ceuvre? » (177).Ecouter (oujouer) du Mozart, c'est aussi, indifferemment, ecouter (jouer) une symphonie ou un concerto, et lire du Colette parcourir une nouvelle ou un recit de l'ecrivain ... Que presumer de Claudel, poete, dramaturge, essayiste ...? [13] Elle dedame du Claudel, du Claudel, j'ai bien dit. (Brassens) Principale faiblesse du raisonnement, l'obligation que represente le masculin demeure inconnue des adjectifs originels (p.ex. une automobile) 11, des noms communs (p.ex. une deux-chevaux), des noms propres toponymiques (p.ex. une 10 Une troisieme et une quatrieme interpretations sont permises avec tout quantifiant: Leopold ou Wolfgang Amadeus, tout Mozart merite l'attention (nom propre), Paul achete tout Matisse en bon etat (nom commun). 11 TESNIERE (1959: 412): «Le genre de [automobile] a fait, il y a un demi-siede, couler beaucoup d'encre, et pour pas grand'chose. Certains ont pretendu que le mot devait etre masculin et qu'il fallait dire un automobile. Tout le monde s'est mele de la question, meme le Conseil d'Etat ... Et il est de fait que, vers le commencement du siede, certains puristes plus ou moins bien inspires preconisaient le genre masculin et s'effors;aient de precher d'exemple, sous le pretexte fallacieux que le substantif dont procedait semantiquement le mot etait vehicule, qui est du masculin. Mais ce fut 1a une tentative tres artificielle et que l'usage ne devait pas ratifier. Le Nouveau Larousse illustreindiquait le masculin, mais un quart de siede plus tard le Larousse du XX' siede enregistrait le feminin en se bornant a ajouter «Quelques-uns font ce mot du masculin ». En fait, personne n'hesite plus aujourd'hui a admettre que le mot est feminin.» «Ecouter du Mozart»: Variations sur un theme 201 Chimay) 12 et des noms propres patronymiques exterieurs au domaine de l'art (p.ex. une Renault). Faudra-t-il des lors sous-entendre systematiquement le nom masculin (EUVre au sens d'«ensemble des reuvres»? L'hypothese a le triple inconvenient (i) de requerir pour une tournure vivante la perpetuation d'un archa'isme ou au bas mot d'une preciosite, (ii) de rendre malaisement interpretable p.ex. faire du Colette = 'pasticher le style ou la maniere de la romanciere', (iii) de ne plus convenir aux noms d'individus moins illustres (cf. Cette plaisanterie, c'est bien du Louis chez GARY-PRIEUR: le nom (EUVre eventuellement omis ne saurait etre que feminin et un neutre quelque chose vaudrait aussi pour Chimay on Renault). (b) L'absence du feminin est symptomatique de la nominalisation plutöt que de la pronominalisation par suppression de nom-noyau: comparer broyer du noir ou distinguer Je vrai du faux (nominalisations) et porter Ja (robe) noire ou distinguer Ja vraie (perle) de Ja fausse (pronominalisations). On con�oit mal cependant que le processus s'applique a un nom, sauf a postuler une translation adjective qui reexige un noyau a effacer ulterieurement (p.ex. l'reuvre ou le style de CoJette � Je Colette).Complication inutile. Je prefere defendre le point de vue simplificateur de la deshumanisation du nom propre patronymique. (c) L'antonomase, en privant le nom commun du trait 'humain' inherent au nom propre, le rend asexue. De 1a le masculin passe-partout (epicene). Reste a expliquer le traitement diversifie des masculins exclusifs du Mozart, du Colette, un Matisse . . . et des pronominalisations masculines ou feminines p.ex. un(e) Citroen, un(e) Peugeot, un(e) Renault ... Hasardons, faute de mieux, une conjecture psychologisante. Le travail artistique preserve a l'encontre de la production industrielle une relation en ligne directe sans l'intermediaire d'un quelconque nom d'objet a retablir du createur (musicien, ecrivain, peintre) a sa creation: Mozart passe taut entier dans sa musique, Colette dans ses ecrits, Matisse dans sa peinture 13• Paternite le cas echeant putative (exemple 14): [14] Cette musique/ ce livre/ ce tableau n'est pas de Mozart/ Colette/ Matisse, mais c'est du Mozart/ du Colette/ du Matisse. [= 'ces reuvres ont toutes les qualites des reuvres de Mozart, de Colette, de Matisse meme si Mozart, Colette, Matisse n'en sont pas les auteurs']14 12 11 y aurait une enquete a mener sur le genre pas toujours clairement fixe des eaux de table: du/ un Perrier, du/ un Spa, du/ un Vichy (finales vocaliques) mais de la/ une Badoit; de la/ une Chaudfontaine, de la/ une Volvic (finales consonantiques) mais du/ un Vitel et de la/ une ou du/ un Contrex, etc. 13 On entend aussi du Sevres ou un Saxe en depit de l'implicitation naturelle des noms porcelaine ou ceramique. Alignement des noms propres toponymiques a caractere artistique sur leurs homologues patronymiques, ou plutöt pronominalisation neutralisee (= 'des objets en porcelaine ou en ceramique de Sevres, de Saxe')? 14 Ce tableau n'est pas de Matisse, mais c'est un Matisse signifierait 'ce tableau porte la signature usurpee de Matisse, c'est un faux'. On rend l'acception de [14] par une «enclosure»: Ce tableau n'est pas de Matisse, mais c'est un vrai Matisse. 202 MarcWilmet Une consubstantilite identique se retrouve en p.ex. Voila bien du Louis ou C'estdu Louis tout pur/ crache etc. = 'une attitude/ conduite ... portant l'empreinte inalienable de Louis' (les precisions bien ou tout purlcrache accusent l'homogeneite du nom propre et du nom commun) 15• [15] C'est de l'Oriane tout pur. (Proust) [= 'une quintessence d'Oriane'] Au bout du compte, ne serait-il pas preferable d'inverser les priorites: 1 ° du Louis ou de l'Oriane ... (cas general), 2 ° du Mozart, du Colette, un Matisse, etc. (cas particulier, la celebrite des personnages retrecissant l'eventail des manifestations attendues) 16 ? Nous sommes en mesure d'envisager maintenant le contraste «massif/comptable». Nom massif et nom comptable Au risque de rabächer (cf. WILMET 1988, 1990, 1992), commen�ons par redire que les linguistes auraient tort de trop melanger les plans (1) des objets du monde, (2) de leur representation mentale. (1) Ontologiquement parlant, existe-t-il une difference, et laquelle, entre p.ex. une chaise et de l'eau, celle-la nombrable, celle-ci non nombrable? Le debat s'alimente depuis JESPERSEN (1924) au principe de reference cumulative «toute somme des parties d'un objet x est x» de QUINE (1960), presupposant le principe de reference distributive «toute partie d'un objet x est x» de CHENG (1973), l'un et l'autre coiffes du principe de reference homogene «toute partie de x qui est x est partie d'une quantite superieure de x» de TER MEULEN (1981). Laissons sans regret le domaine des realia aux physiciens et aux philosophes. (2) L'attention se deplace de la realite objective vers (a) saperception collective et (b) sa restitution individuelle, deux niveaux que diverses inventions terminologiques de Culioli (dense vs discret), de Damourette et Pichon (massifvs numeratif) et de Guillaume (continu vs discontinu) aideront a stratifier. (a) La fa�on dont les hommes per�oivent les objets du monde est denoncee par les affinites positives ou negatives de tel ou tel nom avec tel determinant et/ ou tel 1s GARY-PRIEUR met l'asterisque a *Cette plaisanterie, c'est bien de Ja Marie. Je ne serais pas aussi categorique: du Marie = 'un trait de Marie observable en n'importe qui', ? de Ja Marie = 'un trait de Marie observe en Marie'. 16 En dissociant ! es «qualitatifs» du Louis, de I'Oriane ... des «quantitatifs» du Mozart, du Colette ... ( = 'quelques mesures/ lignes ou des heures d'ecoute/ de lecture'), GARY-PRIEUR betonne exagerement Ja frontiere: cf. Pareille irreverence, c'est du Mozart taut pur (qualitatif) et Je me suis tape du Louis aforte dose pendant des heures (quantitatif = 'Ja conversation de Louis'). «Ecouter du Mozart»: Variations sur un theme 203 nombre. Des noms statistiquement denses (p.ex. eau) s'opposent de la sorte a des noms statistiquement discrets (p.ex. chaise) 17• (b) Les determinants du nom et le nombre grammatical entrent en jeu, les premiers opposant une restitution (i) massive (p.ex., en accord avec la perception dense: de l'eau, et en rupture avec la perception discrete: de la chaise) a une restitution numerative (p.ex., en accord avec la perception discrete: une chaise, et en rupture avec la perception dense: une eau), le second une restitution (ii) singuliere ou continue (p.ex. une chaise ou de l'eau) a une restitution plurielle ou discontinue (p.ex. des chaises ou des eaux). Soient quatre syntheses: 1° Restitution numerative continue: la/ une chaise (perception discrete), une eau (perception dense). 2° Restitution massive continue: l'eau, de l'eau (perception dense), de Ja chaise (perception discrete). 3° Restitution numerative discontinue: ! es/ des eaux (perception dense), ! es/ des chaises (perception discrete) 18• 4° Restitution massive discontinue: pluriels «internes» ! es/ des eaux/ nuees = 'une accumulation d'eau, de nuages', les! des ordures (noms d'objets composites), les/ des ai"eux/ cieux (noms a double pluriel: massifs cieuxlareux, numeratifs ciels/ ai"euls), les/ des ciseaux/ tenailles/ bretelles/ braies (noms d'objets apparies), les/ des rillettes/ semailles/ epousailles/ vicissitudes . . . (noms depourvus de singulier en usage standard) 19• On aura observe que l'article le (la) indifferencie a l'instar de l'article de les n KLEIBER (1987) adopte le test de un peu de + singulier, effectivement revelateur: p.ex. un peu d'eau mais ? ? un peu de chaise. Ajoutons que des facteurs cognitifs interviennent dans la perception dense ou discrete, en particulier (1) le caractere intrinseque ou extrinseque des notions (cf. GUILLAUME 1919: p.ex. intelligence ou chat sont autosuffisants mais aptitude ou animal renvoient ii une application -c'est la seconde propriete qui rend ! es «mesureurs» kilo, livre, metre, litre, stere . . . et ! es «classifieurs» categorie, genre, sorte, chapitre . . . assez refractaires ii la perception dense), (2) la taille des objets (cf. GALMICHE 1986, 1987: p.ex. manger dupoulet mais ? manger de l'huitre, manger du brachet mais ? manger du goujon, manger du raifort mais ? manger du radis, manger de la courge mais ? manger de la mure), et leur plasticite (acceptabilite decroissante, parallelement aux dimensions croissantes, de du fit, de la corde, du cable, ? du rail, ? ? de l'oleoduc .. .). 1s Le pluriel externe coule uniformement ! es objets en restitution numerative, mais ! es objets de perception discrete additionnent des individus (p.ex. ! es/ des chaises = '1 chaise + 1 chaise + 1 chaise . . .') et ! es objets de perception dense additionnent des instances (p.ex. ! es/ des eaux = '1 variete d'eau + 1 variete d'eau + 1 variete d'eau . . .'). 19 L'amalgame du numeratif et du discontinu aboutit ii refuser un article partitif pluriel (cf. p.ex. GoossE 12 1986: §568: «Ce n'est qu'au singulier qu'on distingue l'indefini et le partitif») et au classement scolaire de des comme pluriel de un. II est vrai que certains manuels trient un des «indefini» dans p.ex. des lentilles ( = 'une lentille' + 'une lentille' + 'une lentille', etc.) et un des 'partitif' dans p.ex. des confitures ou des epinards ( = 'de l'epinard' + 'de l'epinard' + 'de l'epinard', etc.). Que faire en cas de cuisson excessive des lentilles? Angoisse . . . Pour nous, des est un quantifiant partitif discontinu (toujours), numeratif (le plus souvent) ou massif (exceptionnellement), 1a langue n'ayant pas juge utile ou trouve le moyen -d'etablir le seuil. 204 MarcWilmet restitutions massive et numerative ou, plus correctement exprime, n'intercale aucun filtre entre la perception et la restitution (exemples 16 et 17: le/ (pas) de veau = 'animal de boucherie' ou 'viande'). [16] Maman prepare Je veau (pour Ja parade ou pour Je diner). [17] Nous n'avons pas de veau (a l'etable ou a Ja cuisine). A cette reserve pres, la restitution exerce la liberte en dernier ressort des utilisateurs. Si nous revenons a nos «moutonymies», voila le moment de rendre campte du phenomene qu'avait signale KLEIBER, cette Substitution «infidele» du numeratif [19] au massif [18], tandis que le numeratif [21] reproduit «fidelement» le numeratif [20]. [18] Paul ecoute du Mozart. [19] Le Mozart que Paul ecoute/ Ce Mozart est admirable. [20] Paul achete un Matisse. [21] Ce Matisse fera Je bonheur de ses vieux jours. Une alternative theorique se dessine. Premiere hypothese Le nom propre originel doterait intrinsequement le nom commun de la perception discrete. Les desagrements pratiques sont negligeables puisque la restitution numerative acheter un Matisse s'inscrit dans le droit fil de la perception et que les restitutions massives ecouter du Mozart ou lire du Colette de [10] s'inspirent d'un procede familier (exemple 22). [22] Paul a casse du flic lors de Ja manifestation. [23] prenant le contrepied de [10] n'exigerait a son tour qu'un «broyage» de Matisse ( = 'un pan de sa production picturale': non plus une toile, de la toile) 20: [23] Paul ecoute un Mozart, lit un Colette, achete du Matisse . . . 20 PELLETIER (1979) a elabore Ja fiction souvent reprise d'un «broyeur universel» et BUNT (1985), en replique, celle d'un «conditionneur universel». Ces metaphores risquent de donner a entendre que Je determinant denaturerait l'objet. Admettons pour p.ex. gagner une place = 'un rang' et gagner de la place = 'un espace', mais manger de la pomme n'est pas forcement 'se nourrir de compote', un vin de qualite se soutire, pourquoi pas, «au robinet», etc. Sur Ja massivation (passablement meprisante ou au minimum desinvolte) de toile, cf. HERVE BAZIN, dans Madame Ex, Paris (Seuil) 1975, p.140: «... associer Je possible au certain, le peintre au decorateur, en lui faisant ecouler de la toile aux clients Mobiliart.» «Ecouter du Mozart » : Variations sur un theme 205 Avouons malgre tout une triple gene: 1 ° ecouter un Mozart et lire un Colette s'averent moins naturels ou moins «primitifs» que ...du Mozart, ...du Colette, 2 ° l'idee du nom commun perpetuant la perception discrete du nom propre alors qu'il resilie son trait humain a quelque chose d'irremediablement ad hoc, 3 ° en quoi [24] detonne-t-il plus que la succession «infidele» [18] � [19]? [24] Paul a casse du flic lors de Ja manifestation. *Ce flic s'est retrouve a l'höpital [tlic 1 en perception discrete mais en restitution massive = 'flicaille', flic 2 en restitution numerative respectant Ja perception discrete d'un individu] Seconde hypothese Les noms communs issus des noms propres Mozart, Colette, Matisse ... participeraient de la perception dense ou de la perception discrete suivant le produit qui assure la notoriete du nom propre 21: p.ex. Mozart ou Colette denses a l'egal de musique ou litterature, et Matisse discret a l'egal de peinture (de chevalet: ni le travail ni la matiere, le resultat).[10] n'a pas plus besoin de «conditionnement» que de «broyage» (reserves a [23]), mais le hie de la sequence [18] massive � [19] numerative se reinstalle. Solution de facilite ou derobade, on pourrait evidemment nier la realite du constat.Tous les observateurs n'acceptent pas que le massif du Mozart se mue ipso facto en numeratif ce Mozart. Glissons sur l'objection faite a un exemple comme [25], ou le nom propre fournit une lecture d'emblee plausible (cf. N4): [25] Paul et Pierre ecoutent du Mozart. Paul dit a Pierre: «Ce Mozart est admirable. » Mais p.ex. [26] engendre l'hesitation: [26] Pierre a joue hier du Mozart et du Bach, j'ai to11tefois prefere son Bach a son Mozart. Son Bach et son Mozart= 1 ° 'son interpretation de Bach et son interpretation de Mozart' (noms propres; comparer [5]) ou 2 ° 'le Bach et le Mozart qu'il a joues' (noms communs issus de noms propres en restitution numerative-p.ex.'la partita de Bach et la sonate de Mozart'-ou d'aventure en restitution massive-'sa musique de Bach et sa musique de Mozart')? [27] non plus ne parait pas irrecevable: [27] Paul et Pierre jouent du Mozart et le Mozart qu'ils jouent leur plait plus que celui de Grumiaux et Haskil [='Ja musique de Mozart',* 'teile piece de Mozart']. Quid? Un fait certain, la comprehension spontanee de [19] est numerative.Et si la de du mystere residait taut bonnement dans la relative caracterisante le Mozart que Paul ecoute ou dans le quantifiant-caracterisant ce Mozart (anaphore en [19]: 21 De Ja aussi Ja perception dense «par defaut » des noms communs issus de noms propres obscurs: C'est bien du Louis, r;;a, etc. (ou alors C'est un Louis = 'une piece d'or a l'effigie du roi Louis'). 206 Marc Wilmet 'le Mozart que Paul vient d'ecouter'; ailleurs ostension: 'le Mozart que Paul ecoute en ce moment', ou cataphore 'le Mozart que Paul va ecouter'). On se souviendra (cf. WrLMET 1986) que la caracterisation des noms de perception dense facilite la restitution numerative: du vin et du/ un vin de prix (dedoublement de l'ensemble X 'vin' en un sous-ensemble X' 'vin de prix' + un sous-ensemble X'' 'vin bon marche'), du beurre et du/ un beurre sale, Qu'est-ce que l'or? et *Qu'est-ce qu'un or? mais Qu'est-ce que l'or pur? et Qu'est-ce qu'un or pur? , etc Ce virage confine a l'obligation avec les noms abstraits: du courage et uu/ ? du grand courage, du charme et uu/ ? du charme discret. On aura de meme [28]: [28) Paul ecoute un/ ? du Mozart admirable, lit un/ ? du merveilleux Colette. Les noms communs issus de noms propres conjugueraient ainsi deux motifs la caracterisation brochant sur le mecanisme extractif pour passer de la restitution massive a la restitution numerative ou, soyons precis, pour substituer a la perception dense de l'ensemble Mozart ou Colette la perception discrete du sous-ensemble Mozart admirable ou merveilleux Colette, que l'article le pur ou incorpore au demonstratif ce enregistre numerativement. L'impraticabilite simultanee de la restitution numerative (exemple [29] modifiant [15]) et de la reprise anaphorique (exemple [30] prolongeant [15]) apporte un debut de confirmation: [29) ? ? C'est un Oriane tout pur [= 'c'est un mot typique d'Oriane'; cf. N21). [30) C'est de l'Oriane tout pur et ? ? cet Oriane m'agace [a ne pas confondre avec le nom propre cette Oriane: cf. N4). Se non e vero ..., je relance bien volontiers la balle aux amateurs qui voudront la saisir. Bruxelles MarcWilmet Bibliographie BUNT, H. 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