eJournals Vox Romanica 55/1

Vox Romanica
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0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
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1996
551 Kristol De Stefani

Varietas delectat

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1996
vox5510088
Varietas delectat Prolegomenes a une grammaire de l'ancien fran�ais* L'elaboration d'une Grammaire nouvelle de l'Ancien Fram; ais, pour les editions SEDES, reposant sur des bases linguistiques reflechies et elaborees, comme celles de G. Moignet (MOIGNET 1973), de R. Martin et M. Wilmet (MARTIN-WILMET 1980), au regard de grammaires empiriques se bornant a un recueil d'observations commodement classees (CHANTRAINE 1932) 1 a provoque deux effets salutaires sur * II m'est agreable de remercier ici Jean-Pierre Chambon et Gilles Roques, qui ont lu d'un ceil critique la premiere version de cet article, presentee d'abord sous forme de communication aux «Rencontres linguistiques en pays rhenan » (Strasbourg, novembre 1994): leurs remarques m'ont ete tres precieuses et je leur suis redevable de plusieurs amendements et affinements. 1 «Mais, pour le philologue, l'etude de la grammaire n'est pas une fin qui porte en soi sa justification. Elle est un moyen qui permet de prendre contact avec les textes dont le contenu reste l'objet final de son effort. En constituant la grammaire, il vise a faire un recueil d'observations empiriques, sans pretendre etablir une doctrine. » (CHANTRAINE 1932: 95). Et plus loin: «Sans doute ! es philologues ont du reunir des materiaux et les classer de maniere commode. Ils out du en particulier analyser avec finesse ! es emplois et les tournures qu'ils observent dans les textes. Mais pour decrire exactement une langue, il n'est pas superflu de s'etre fait une idee nette de ce que c'est qu'une langue. A un moment donne de leur histoire, le grec et le latin constituent un systeme ferme, dont il appartient au linguiste de definir la structure: ce n'est pas sa täche la moins importante que de decrire «statiquement » un etat de langue donne. » (ibidem, 100s.). Les «Grammaires de l'ancien fran�ais » sur Je marche (MENARD 1988; BoNNARD-RE- GNIER 1989; HASENOHRIRAYNAUD DE LAGE 1993) sont des grammaires-recueils-d'observationsempiriques-commodement-classees. Faites par des philologues plus que par des linguistes, leur but est de permettre de lire des textes. Dans cette perspective, les rapports avec les modeles descriptifs (linguistique descriptive) et les theories linguistiques (linguistique generale) ne se sont pas poses et ne se posent pas. On ne demande pas aux auteurs de «s'etre fait une idee nette de ce qu'est une langue » , ni de reflechir sur leurs procedures et leurs categories, ni de situer ce qu'ils disent dans le cadre de l'etude scientifique des langues et du langage. (Je dois ces references et ces observations a Jean-Pierre Chambon, que je remercie vivement ici pour sa lecture attentive et critique des premieres esquisses de ma Grammaire Nouvelle de l'Ancien Fram; ais). Une syntaxe de l'ancien fran�ais comme celle de P. Menard est ainsi caracterisee comme «pedagogiqne » par S. Fleischman dans Je compte rendu de la derniere edition; elle echappe, de maniere deliberee, aux avances theoriques et methodologiques qui ont renouvele l'approche de notre ancienne langue, sinon sous la forme d'ajouts limites confines aux recherches dans le domaine fran�ais: «The pedagogical orientation of the book and its stated objective an aid to reading Old French texts rather than a grammar designed for linguists explain a number of decisions concerning methodology and expository idiom: the emphasis on empirical description at the expense of explanation or theorical considerations, the adherence to a traditional grammatical vocabulary and avoidance of specialized linguistic terminology, the attention to dialectal variation, and, in particular, the focus on phenomena that separate Old French from Modem French. By stating as his goal <de faire un expose des faits, d'analyser ! es emplois et ! es valeurs, de distinguer l'usage courant et l'exception> rather than attempt ,une syntaxe minutieusement Varietas delectat 89 les recherches que j'ai menees sur notre ancienne langue depuis quelque trente ans a present: une prise en campte critique des avancees theoriques les plus marquantes et les plus solides appliquees a l'ancien frans;ais, assortie d'un retour reflexif sur mes propres monographies, pour en degager la coherence et leur donner de la perspective (cf. BuRIDANT 1987, 1991, 1993, 1995). une reanalyse de l'objet meme «ancien frans;ais» a la lumiere des progres et des orientations qui en ont renouvele les approches, ces dernieres annees. Je me propose ici de faire un point provisoire sur ces elements qui sont entre eux dans un rapport dialectique, la specificite de notre ancienne langue conditionnant dans une certaine mesure l'application et la pertinence des approches theoriques, et la validite de ces approches conditionnant sa (re)connaissance: il s'agira donc, en quelque sorte, de prolegomenes, sans doute elementaires, a une grammaire de l'ancien frans;ais. historique ou explicative, (9), M. guards against potential criticism that his Syntax fails to reflect advances in linguistic theory and methodology. In his assessment of the first edition, P. Dembowski (DEMBOWSKI 1973: 91s.) raises this very point, observing that ,one has a right to expect that modern description of historical syntax take advantage of novel insights and approaches developed by modern linguistics. > Yet in pondering ,HOW MUCH linguistic theory should be allowed to percolate [into] a primer of O[ld] F[rench] (a language of major concern to medievalists and humanists" he ultimately seems to favor the approach taken by M. » (FLEISCHMAN 1993a: 88). Et S. Fleischman fait des remarques analogues apropos des grammaires historiques dans son compte rendu de P.A.MACHONIS, Histoire de la langue. Du latin a l'ancienfranc;ais, New York/ London, 1990, soulignant que ! es grammaires «atheoriques» tendent en fait, tacitement, vers un positivisme philologique: «Authors of historical grammar texts must decide whether or not to integrate theory into their accounts of diachronic change, and if so, how much and what kind. Not surprisingly, most historical grammars presume to be atheorical, and are thus (tacitly) theoretically slanted towards philological positivism. A notable exception is Harris 1978, in which word-order-typology (Greenberg-style) provides a comprehensive theoretical framework for presenting the pathways of syntactic change in Romance. » (FLEISCHMAN 1993b: 200). S. Fleischman annonce, dans ce compte rendu, une etude a paraitre sur ! es incidences de l'ideologie dans la methodologie des grammaires historiques, dont on peut attendre des analyses penetrantes («Methodologies and Ideologies in Historical Grammar: A Case-Study from Old French » , aparaitre dans R. H. Bloch/ S. G. Nichols (ed.), Medievalism and the Modernist Temper, Stanford). «In fairness to M. it should be stated that the 3d edition incorporates albeit implicitly and without attribution a certain amount of recent linguistic work, invariably of French inspiration (reflecting les theories de l'enonciation and French approaches to theme and rheme, presupposition and assertion, and to the argumentational structure of language). This esprit de clocher is reflected in the bibliography also, which, except for early German classics of historical grammar, consists almost entirely of works by French scholars (and, occasionally, Scandinavians working within French traditions); British, American, and contemporary German work on Old French is conspiciously absent. » (Fleischman, 1993a: 88). On observe cependant un progres notable dans une description elementaire de l'ancien fran9ais, tenant compte d'avancees nouvelles, dans le recent Pour lire l'ancien franqais, de C. Thomasset et K. Ueltschi, mais le format de l'ouvrage rend certaines parties schematiques et aJa Jimite du caricatural (cf. Je chapitre 6.3. Quelques adverbes); y sont encore conservees des appreciations obsoletes (la trop fameuse «nuance aristocratique» du cas regime direct sans preposition, en filigrane dans Ja presentation de la p. 36), et rien n'est dit de Ja dialectalite profonde de l'ancien fran9ais (THOMASSET-UELTSCHI: 1995). 90 Claude Buridant C'est qu'une Grammaire de l'ancienfran<; ais ne me semble pas pouvoir s'elaborer sans tenter de degager ce qui caracterise fondamentalement notre ancienne langue, car de ces caracteristiques memes decoulent des consequences theoriques sur les strategies et l'appareil de description, et les orientations theoriques qu'elles impliquent. Mais cette caracteristique va au-dela de la competence linguistique proprement dite: elle engage, au plus profond, ce que j'ai appele, dans des monographies variees, l'architectonique mentale medievale, qui se manifeste a differents niveaux. L'essence de cette architectonique serait un goüt de la variete, de la variance, dans le cadre d'une civilisation Oll prime l'oralite: varietas delectat. L'homme medieval, et en particulier l'intellectuel tel que nous pouvons le reconstituer, se meut naturellement dans un univers de variance Oll il se plait et se complait, et dont je degagerai ici, dans une esquisse de synthese, les principaux parametres, en orchestrant des travaux et des observations anterieurs. L'ancien franc,;ais et les parametres de sa variance Le parametre diachronique Si l'on comprend sous «ancien frans;ais» la longue periode de la langue frans;aise comprise entre les Serments de Strasbourg texte plutöt symbolique que reellement representatif de la «naissance du frans;ais», en depit d'un livre recent (CER- QUIGLINI 1991), par ses calques formulaires et son ossature juridico-sacrale et les debuts du 14 e siede, sur une longue periode donc, l'ancien frans;ais est evidemment, comme toute langue naturelle, une langue en mouvement, et le premier parametre de la variance serait un parametre diachronique. Du 9 e au 14 e siede, l'ancien frans;ais est loin de presenter, a travers ies textes, une physionomie uniforme: le tres ancienfran<; ais, qui embrasserait le 10 e et la premiere moitie du 11 e siede, presente volontiers, a travers les plus anciens monuments de la langue frans;aise au nombre de 9, s'etageant de l'an 900 environ (Sequence de Sainte Eulalie, manuscrit de Saint-Amand), jusque vers 1030 (Epftre de Saint-Etienne) un polymorphisme interessant, remontant a une periode Oll la langue litteraire n'est pas encore constituee, Oll elle se cherche; ces textes sont souvent localement limites en s'adressant a un public restreint (DE PoERCK 1963: 150-62). L'ancien frans;ais dit «dassique», jusqu'au debut du 14 e siede, se presente sans doute dans des monuments litteraires moins circonscrits, en dehors des documents juridiques en frans;ais, mais il est aussi le theätre de transformations touchant des systemes linguistiques fondamentaux: la premiere periode offre surtout des residus de systemes, tels que les formes en -ret du systeme verbal, la seconde periode offre surtout des evolutions marquantes de systemes, telles que l'effritement de la dedinaison bicasuelle des substantifs s'engageant a partir de l'Ouest pour se Varietas delectat 91 condure dans la zone de resistance du Nord-Est (ScH0SLER 1984), non sans qu'intervienne l'attitude des copistes (STANOVAIA 1993). Les parametres diatopique et diastratique Apres la variance diachronique, la variance diatopique apparait consubstantielle a l'ancien frarn; ais, perceptible a travers la conscience de ses propres locuteurs, et les apports des etudes les plus recentes, renouvelant l'analyse des observables. - Conscience linguistique des locuteurs telle qu'elle peut transparaitre dans les observations sur la langue frans;aise reperees dans des ouvrages theoriques ou chez des ecrivains. Tout un ensernble de ternoignages, rassernbles par S. Lusignan pour la plupart (LusrGNAN 1986), affirrnent ainsi la conscience de l'unite du frans;ais au 13 e siede, rnais en rnerne ternps celle de sa diversite regionale. Soit des ternoignages de theoriciens: • Roger Bacon, se referant au frans;ais pour expliquer le rapport entre le chaldeen et l'hebreu (LusIGNAN 1986: 69); • Thomas d'Aquin: «Dans une merne langue on trouve diverses fas;ons de parler (diversa locutio), cornme il apparait en frans;ais, en picard et en bourguignon» (super Evan. Matthaei, 26s.) (LusrGNAN 1986: 61); • Nicolas de Lyre, qui sernble plutöt faire reference aux differences d'«accents» entre les dialectes: «Bien que la langue frans;aise soit une, ceux qui sont de la Picardie la parlent differernrnent de ceux qui habitent a Paris; et par cette diversite (varietas), on peut percevoir d'ou quelqu'un vient» (LusrGNAN 1986: 62). Des ternoignages analogues se retrouvent au 14 e siede, ou s'accuse le sentirnent des differences regionales. Soit des ternoignages d'auteurs litteraires: • Celui de Conon de Bethune, dont la farneuse chanson - Mout me semont Amors ke je m'envoise ironise sur les rnoqueries que provoque a la cour royale son langage provincial (cf. aussi infra). e Celui de Jean Bretel, dans le Tournoi de Chauvency: il y critique legerement, en rneusien qu'il est, les picardisrnes d'un heraut d'arrnes, qu'il parodie, tout en disant le plaisir avec lequel il a entendu le rnenestrel Henri de Laon, qui «ne parloit mie breton, Mais un frans;ois bel et joli, et dont les rnos sont si poli, Si bien taille et si a point Qu'il n'i avoit ne pou ne point De vens qui i fust mal apert» (v. 1062-67). Et S. Lusignan de cornparer l'experience de la diversite regionale, chez les locuteurs rnedievaux, a celle de locuteurs de differents pays de la francophonie. 92 Claude Buridant Cependant commence a se faire jour, a travers des temoignages du temps, la conscience d'une certaine hierarchie entre les varietes regionales, tendant a affirmer la precellence et la preeminence du «frarn;:ois», langue de l'Ile-de-France, de Paris, du roi, langue prestigieuse que l'on commence a sentir telle des le 12 e siecle. Chez les theoriciens se degage ainsi la notion d'un dialecte plus «pur» que les autres, comme le note Roger Bacon, distinguant des autres les «Frarn,;ais purs» (puros Gallicos) (Compendium 8: 467, LusIGNAN 1989: 69). Commence a se developper a la cour royale de Philippe-Auguste, suivie par la cour de Champagne, une sorte de sentiment normatif du «bon fran9ais», qui serait parle a la cour, ayant tendance deja a s'imposer pour des causes auxquelles la politique capetienne n'est vraisemblablement pas etrangere. Plus d'un siecle plus tard, dans la preface de sa traduction de la Consolatio Philosophiae de Boece, l'Anonyme de Meun «temoigne sans equivoque du prestige de ce qui est la langue de Paris» (LuSIGNAN 1989: 71, citant le passage d'apres L. DELISLE, Anciennes traductions frani:;aises de la Consolation de Boece conservees a la B. N. de Paris, BECh. 34 [1873]: 15). Le prestige du fran9ais de l'Ile-de-France lui vaut un rayonnement au-dela de ses strictes limites geographiques: le Braban9on Adenet le Roi confirme, vers 1275, que la norme parisienne est egalement adoptee par certains grands seigneurs «tiois» (A. HENRY (ed.), Berte aus grans pies, Paris 1963: 148-57) 2. - Apport des etudes recentes. L'hegemonie linguistique du modele parisien, qui tend a s'affirmer, est cependant loin d'etre absolue, et la situation linguistique est plus complexe. Si la langue de l'Ile-de-France peut commencer a constituer une langue de reference, elle est loin de s'imposer, en realite, dans les differents domaines de l'ecrit: pour l'ecrit juridique, par exemple, il a ete montre que le debut de Ja «francisation» varie considerablement d'une region a l'autre. Mais surtout, a cöte du modele francilien, d'autres dialectes ont pu jouir, tout au long du 13 e siede et du siede suivant encore, d'un rayonnement non negligeable. On a ainsi observe que le picard a oppose une resistance considerable a ce modele, comme le montre l'influence qu'il a exercee en Angleterre a la fin du 14 e siede encore (KRISTOL 1989), et sa riche litterature regionale dont Molinet est un tardif fleuron. Pendant tres longtemps, la norme de l'ecrit fran9ais est donc restee polycentrique, soumise a l'attraction d'aires et de centres de rayonnement culturels et administratifs qui ont pu offrir des resistances au mouvement centripete. C'est d'abord l'aire anglonormande, aire Plantagenet, partiellement trilingue, au 12 e siede, berceau d'une flamboyante floraison d'ceuvres litteraires dans tous les domaines (SHORT 1991), relayee par l'aire champenoise et I'aire picarde au 13 e siede-ou tend a se repandre une langue litteraire commune francien-picard et au-dela: le trouvere picard 2 II faut cependant tenir compte, dans cette ceuvre, du role majeur de Paris et de Saint- Denis, l'episode en question se situant a l'epoque de Pepin, et faire la part des rapports etroits entre Gui de Dampierre et la Flandre. Varietas delectat 93 Conon de Bethune ecrit sa fameuse chanson, ou il ironise avec finesse sur les reproches que lui ont valu a la cour royale, ses «mos d'Artois», au moment ou le parler litteraire arrageois (d'Artois) est en train de se constituer pour devenir, avec Jean Bodel et beaucoup d'autres, le parler le plus important, litterairement, en detrönant comme langue Iitteraire le fran9ais de l'Ouest et la variante champenoise en vogue dans les decennies precedentes 3 . La conception unitaire d'un frarn;:ais ecrit supra-regional, d'une koine en expansion au 13 e siecle aux depens des dialectes ecrits, ne correspond que d'assez loin a la realite, la langue ecrite refletant au contraire des traits regionaux, tant phonetiques que morphologiques, syntaxiques, ou meme lexicaux, qui ne sont nullement les restes de traditions regionales en voie de disparition (DEES 1985: 87). C'est dire que tout texte medieval, jusqu'au 13 e siede au moins, est par nature regional; la coloration regionale, pour peu qu'elle ne soit pas alteree par les editeurs modernes, est plus ou moins marquee dans la scripta des copies, elle-meme d'interpretation souvent difficile, puisqu'elle est loin d'etre un reflet transparent des habitudes phonetiques des dialectes et de leurs variantes 4• Au-dela de ses varietes diatopiques, cependant, le fran9ais peut avoir, a cette epoque, un caractere beaucoup moins regional que d'autres langues vernaculaires europeennes: iljouit egalement d'une large diffusion en tant que langue de culture, attestee dans les milieux intellectuels, comme en temoigne BRUNET LATIN dans son Livre du Tresor, ecrivant son ouvrage en «rouman9, pour ce que la parleure est plus delitable et plus commune a toutes gens» (Livre dou Tresor l) ou l'auteur norvegien de la Konungs-Skussga, une encyclopedie pedagogique, recommandant la connaissance du fran9ais parce qu'il a la plus grande extension, avec le latin. Comme le fait remarquer S. Lusignan, le rayonnement intellectuel de l'Universite de Paris au 13 e siede a pu contribuer tout autant a la diffusion internationale du fran9ais que la politique centralisatrice des Capetiens. Le prestige du fran9ais ne saurait cependant se mesurer encore a celui du latin. Le latin, dont certains theoriciens considerent qu'il peut remonter jusqu'a l'hebreu, langue divine, est la langue de la res publica clericorum (et clericarum) de l'Europe savante, le latin medieval etant lui-meme marque par des colorations regionales touchant aussi bien la prononciation que la graphie, la morpho-syntaxe 3 Le deplacement de l'aire champenoise vers l'aire picarde se repere egalement a travers la tradition manuscrite des ceuvres de Chretien de Troyes, Oll aux manuscrits champenois de Guyot succedent les manuscrits copies en Picardie. 4 «Le temps n'est plus Oll l'on admirait avec Beaulieux, dans la graphie du 12 e siede, une ,orthographe, simple et quasi phonetique » celle du 'bel fran�ois' -; l'ecriture, loin de noter avec precision et sans equivoque les realites phoniques [masquant] a l'occasion les differences dialectales. » (STEFANINI: 1983: 13). C. Marchello-Nizia a etabli avec bonheur Ja distinction entre - «scripta regionale, langue ecrite plus ou moins fortement coloree de traits dialectaux, mais restant lisible cependant dans tout le domaine de la langue franyaise et le dialecte parle, le parler local tel qu'on devait le pratiquer parallelement, auquel nous ne pouvons avoir acces, mais dont on peut supposer qu'il possedait des caracteres plus marques que la ,scripta, correspondante, puisqu'on sait que la communication entre locuteurs de provinces differentes etait fort difficile. » (MARCHELLO-NIZIA 1979: 18). 94 Claude Buridant ou le lexique, objet de creations et d'emprunts issus de ces langues. Savoir theorique acquis par l'impregnation precoce, possedant seul une grammaire, grammaire lui-meme, il est la langue de reference, langue exclusive de la philosophie, de la theologie, et de la liturgie, dont certains genres, comme l'historiographie en langue vulgaire, commencent a s'emanciper. A l'oppose, le franc;:ais, langue maternelle «nutritive», n'a pas, al'epoque, de grammaire explicitee et systematisee dans une reflexion theorique, meme s'il existe «des traces d'une authentique pensee grammaticale de la langue fran9aise chez les intellectuels medievaux» (LusIGNAN 1987) et s'il n'est pas interdit de supposer qu'ont pu exister en France des manuels d'enseignement elementaire, disparus acause de leur faible valeur marchande et du peu de soin des ecoliers et acause de la rapide evolution de la langue, qui les a rendus tres vite caducs. (Lus1GNAN-ÜUY 1991: 156) 5 . On mettra apart la situation de l'Angleterre ou, apartir du 13 e siede, il devient une langue seconde acquise de fa9on reflechie, avec la creation de grammaires, comme pour le latin dont le Donat franr; ais de JOHN BARTON (av. 1409), sans doute la premiere grammaire fran9aise et de manuels qui l'enseignent telle une mere, les feminae. Cette absence supposee de grammaire elaboree de la langue maternelle n'est peut-etre pas pour rien dans la plasticite et la souplesse d'une langue non reglee par des normes, non corsetee par des interdits: c'est un point sur lequel on reviendra. Les intellectuels medievaux, i.e. tous les clercs ayant beneficie d'un enseignement de base, se trouvent donc naturellement dans un etat de relative diglossie, ayant sans doute des degres 6, mais qui comprend cependant une langue de reference servant de modele et de moule d'apprentissage, ayant ses domaines reserves, et une langue maternelle se manifestant sous tous les aspects d'une langue vivante, dont nous n'avons qu'un aper9u tres limite, puisque nous ne la connaissons qu'a travers les productions ecrites de la langue litteraire, technique ou juridique. Le fran9ais parle nous est irremediablement ferme et n'est reconstituable que de fa9on tres limitee et imparfaite 7: nous n'avons en particulier, malgre des tentatives pour 5 Cet article fait etat d'une discussion entre G. Ouy et S. Lusignan quarrt a l'existence d'un enseignement ecrit de Ja grammaire fran9aise. Contrairement a S. Lusignan, G. Ouy «imagine qu'il a du exister des manuels d'enseignement du fran9ais, sans doute meme a deux niveaux: un niveau elementaire, celui des petites ecoles, et un niveau superieur, correspondant a Ja Faculte des Arts, ou encore a Ja formation donnee aux jeunes notaires de Ja chancellerie royale oll, des Je debut du 14 e siecle, une bonne partie des actes etait redigee en fran9ais.» (LusrGNAN/ OuY 1991: 156). 6 II faudrait ici distinguer bilinguisme et diglossie: Je bilinguisme serait ! 'egale maitrise de deux langues parlees coexistantes, et ce bilinguisme a existe dans Ja Gaule du nord du moins, pendant la periode du 5 e au 10 e siecle, Oll le gallo-roman naissant a coexiste avec Ja langue germanique, celle des Francs, qui a impregne le phonetisme d'un fort accent d'intensite, decisif dans l'evolution ulterieure du fran9ais. La diglossie serait la maitrise plus ou moins approfondie de deux langues n'ayant pas le meme statut, dorrt l'une peut etre une langue savante de diffusion et l'autre une langue vernaculaire. II y a certes des degres dans Ja diglossie, les clercs ne possedant pas tous le latin avec Ja maitrise d'un Jean de Meun, par exemple. 7 Les tentatives de reconstitution du fran9ais parle touchent surtout Ja prononciation. Les travaux d'A. Dees et de ses emules degagent ainsi, a partir d'une analyse systematique de Dimension diastratique Langue de Dieu Langue primitive / grec/ hebreu 11 l Latin Medieval (diglossie des intdT"cis) Fran1;ais L'ancien fram; ais: parametres diastratique et diatopique Dimension diatopique Caracteristiques Domaines d'application Diffusion Savoir Langue Langue unique de Langue de Ja «res publica Coloration regionale theorique non maternelle - Ja philosophie clericorum» (prononciation, orthographe, possedant une la theologie = morphosyntaxe, lexique) grammaire - Ja liturgie langue europeenne Performance Langue Langue ecrite Diffusion assez! arge Scripta regionale: langue et competence maternelle registre en Europe ecrite plus ou moins fortement pratiques sans grammaire litteraire, coloree de traits regionaux, explicitee et technique, «Fran1;ais pur» de mais comprehensible dans systematisee scientifique, I'lle-de-France (verus taut le domaine fran1;ais. dans une juridique gallicus) --+ vers Rayonnement parisien non reflexion l'unification. Processus pertinent pendant le 13 e siecle. theorique* Langue parlee variable selon! es genres Sur le plan de Ja scripta: pas Fran1;ais oral Prestige du francien, d'unite du fran1;ais ecrit: spontane (non mais aussi du picard polycentrisme de Ja norme reconstituable) de l'ecrit * Situation particuliere de! 'Angleterre: a partir du 13 e siecle, le fran1;ais y devient une langue seconde apprise de fa1;on reflechie: creation de grammaires comme pour le latin. � " �;;;- '° UI 96 Claude Buridant apprehender l'ancien frarn; ais parle, aucune notion du «franyais spontane» de l'epoque (SAUVAGEOT 1962), de ce que les Anglo-Saxons appellent l'«impromptu speech» (ENKVIST 1982), qui retient actuellement l'attention des linguistes pour le franyais contemporain. Nous ne pouvons reconstituer du fonctionnement reel de l'ancien franyais qu'un systeme partiel et necessairement reducteur. Dans ses parametres diatopique et diastratique, resumes pour l'essentiel dans le tableau annexe, l'ancien franyais offre donc une situation complexe, en apparaissant a bien des egards comme un carrefour de tensions: entre langue maternelle et langue seconde de reference (latin, langue savante); entre langue homogene, tendant a la diffusion europeenne, et varietes regionales; entre mouvement centripete s'amoryant vers une langue royale precellente, et polycentrisme. Le parametre textuel, la variance des textes L'objet ancien fran9ais ne se livre aussi qu'a travers le crible de textes litteraires pour l'essentiel, transcrits par des scribes marques regionalement. Ces textes sont fondamentalement mouvants: la forme manuscrite s'inscrit dans la continuite de l'oral, comme l'a souligne P.Zumthor, en reprenant la these de Mc Luhan, notant la difference «abyssale» qui distingue «l'homme scribal» de «l'homme typographique»: les «cultures de manuscrits», enseigne-t-il, «restent globalement tactiles-orales, et l'ecriture y exerce beaucoup moins d'effet que dans notre monde». L'idee est reprise par W. Ong, qui situe le manuscrit dans la continuite de l'oral, la rupture n'intervenant progressivement qu'avec l'imprimerie. «La production du manuscrit introduit en effet, entre le message a transmettre et son recepteur, des filtres qu'eliminera en principe l'imprimerie mais qui, en revanche, sont etroitement analogues au bruit parasitant la communication orale ...Toutes les fois qu'une pluralite de manuscrits nous permet d'en contröler la nature, la reproduction du texte nous apparait, fondamentalement, comme reecriture, reorganisation, compilation. Comment mesurer les effets de la duree qui s'etendit entre la production du texte et la premiere transcription qui nous soit graphies localisees et datees et des rimes, les prononciations regionales dans leur dimension diachronique et diatopique (DEES 1990 et DE JoNG 1992). Ces deux articles traitent de la prononciation de l'affriquee [ts], reduite precocement a [s] dans le Nord, pour ne s'effacer qu'a partir de 1320 dans la region parisienne. Sur le plan syntaxique, ! es Manieres de langage enregistrent, comme les methodes actives ! es plus modernes, des phrases-exemples de l'ancien frarn;;ais oral (KRISTOL: 1992). L'ouvrage de G. Steinmeyer tente de remonter, avec l'ancien fran9ais, aux origines des tendances de la langue populaire du «fran9ais avance», traquant des phenomenes qui auraient vecu de fa9on plus ou moins souterraine jusqu'a nos jours (STEINMEYER: 1979), mais il embrasse trop ! arge, comme l'a fait observe R. Martin (MARTIN: 1981). Varietas delectat 97 parvenue? Plus qu'a une tradition typographique, les hasards de cette histoire ressemblent a ceux d'une tradition orale, et posent des problemes d'interpretation a peine differents. Dans une importante these de doctorat presentee a l'Universite de Berkeley en 1982, Amelie van Vleck montre, par un examen attentif de la tradition manuscrite des troubadours, a quel point ces poetes furent conscients de la fragilite de l'ecriture, et certains d'entre eux, hantes par son impuissance a limiter la mouvance des textes. Qu'en conclure, sinon que, globalement et sauf exception, les traditions poetiques du Moyen Age ont eu plutöt le type de fonctionnement des traditions orales observees dans le monde moderne, que des traditions ecrites de, par exemple, l'epoque classique? » (ZuMTHOR 1985: 15-16). La mouvance du manuscrit commence par leur lecture meme: la lecture orale, a haute voix, est deja une premiere interpretation du texte, parce qu'elle est, non pas lecture cursive in silentio, mais dechiffrement d'ecriture a travers la grille d'un systeme d'abreviations et les balises d'une ponctuation faite essentiellement pour l'oral. Elle se trouve ensuite dans leur transcription. - Transcription dans la graphie. Les textes sont transcrits par des scribes qui se trouvent au creur d'un diasysteme, comme l'a souligne C. Segre, a propos du coloris linguistique en particulier. «Les copistes medievaux travaillent normalement entre deux pöles d'attraction: l'effort pour respecter l'exemplaire qu'ils copient et la tendance a suivre leurs propres habitudes linguistiques. Le resultat est un compromis linguistique, et le philologue doit peniblement restituer l'aspect original du texte a l'aide, par exemple, des rimes. Le resultat de cette Sprachmischung est un diasysteme» (SEGRE 1976: 280), un systeme naissant d'un compromis entre deux systemes en contact. C'est dire que le copiste medieval se trouve, sur le plan linguistique, a un carrefour, au croisement des axes diachronique et diatopique, oü jouent les concurrences: • concurrence entre graphies traditionnelles et graphies novatrices, entre o et ou, par exemple, a une epoque ou le [o] ferme est passe a [ u]. • concurrence entre graphies dialectales-sources ou graphies dialectales etendues et graphies dialectales-cibles, entre eh et k par exemple, dans le domaine picard. Un exemple particulierement interessant et apparemment exceptionnel de cette mouvance de la copie nous est donne par l'unique manuscrit nous ayant transmis la traduction des Otia imperialia de Gervais de Tilbury par Jean de Vignay, le manuscrit 3085 de la Bibliotheque Nationale de Paris, du milieu ou de la seconde moitie du 14 e siede. Deux passages de la traduction de la Tercia Decisio y sont negligemment repetes par le meme copiste (m, eh. LVI et eh. crx), et ces reprises 98 Claude Buridant sont riches d'enseignement par leurs variantes: elles illustrent la latitude qu'avait le copiste medieval devant son texte de reference, la coexistence de tendances qui cohabitent dans son plurisysteme, en meme temps que les points sensibles sujets aux alterations (GERNER 1995) 8 . - Transcription stylistique. Les copistes modelent et remodelent les reuvres qu'ils copient sans un respect etroit de la lettre qui n'a de sens que pour un erudit moderne. Tout scribe est aussi un editeur: «Un bon copiste n'est pas qu'un tächeron passif. Ses connaissances et ses initiatives le rendent en fait maitre du destin de l'reuvre qu'il a choisi de copier ou plutöt d'editer, corrigeant ce qui lui parait errone, supprimant ce qui lui parait superflu, ajoutant ce qui lui parait necessaire. La culture medievale a ainsi ete portee, pendant des siecles, par des armees de copistes dont elle a toujours proclame ! 'eminente dignite ... Un scribe copie une reuvre; copie a la suite plusieurs reuvres; extrait d'une oeuvre certains passages qu'il copie; ajoute ici ou 1a quelques mots ou quelques phrases de liaison...» (GuENEE 197: Ss.). Par transitions insensibles, notre scribe est devenu editeur 9 , auteur, se considerant aussi comme detenteur d'un gout esthetique dont il s'autorise pour remanier son modele, a une epoque Oll la compilation est une activite respectable, Oll «les droits d'auteur ne sont pas reconnus, Oll l'exploitation du travail litteraire d'autrui est non seulement permise, mais digne d'eloge, a l'interieur de l'ideologie de l'auctoritas», et oll, par surcroit, «la vitalite d'une reuvre se reconnait a travers sa reproduction toujours renouvelee et adaptee a des publics differents» (SEGRE 1976: 281). Sur le plan stylistique, aussi, la mouvance est consubstantielle a la transmission des textes. C'est dire qu'il n'y a pas, dans la culture medievale, de frontiere rigoureuse et absolue entre le scribe et l'auteur, ce qui n'exclut pas pour autant la notion d'auteur-createur, qu'on a voulu croire abolie a cette epoque: aux 12 c et 13 e siecles, au-dela de l'anonymat du poete epique traditionnel, transcripteur de la geste d'une memoire collective, se dessine un espace auctorial tantöt revendique dans les 8 Ces passages font l'objet de fines remarques dans l'edition de D. Gerner (GERNER: 1995). Qu'il suffise de mentionner ici: - ! es points sensibles que sont ! es noms propres, propices aux alterations et deformations de toutes sortes: Jheremie dans Ja premiere copie ----> Jheroisme dans la seconde. - ! es graphies concurrentielles, souvent en variantes libres d'une copie a l'autre: zls (dedenz----> dedens); o! ou (soloit----> souloit); aile (faire----> fere); consonnes doubles/ simples (bele----> belle). elements de morpho-syntaxe concurrentiels: declinaisons (ii mesel----> les mesiaux); prepositions concurrentielles ( a/ en); prepositions/ adverbes ( en/ dedenz). 9 Ainsi, dans la tradition manuscrite du Perceval de Chretien de Troyes, «il y a deux manuscrits ou nous voyons des copistes tres individualistes a l'ceuvre: la copie de Guiot (A) et R, dont le scribe a visiblement ,edite, son recueil.» (BuSBY 1993: xxxrx). Et plus loin, toujours a ce propos, en referant a J. FoURQUET (Wolfram d'Eschenbach et le Conte del Graal, Paris 1966: N12): «La transmission du Conte du Graal a ete celle des textes <vivants>. Les copistes comprenaient et critiquaient le texte, tant du point de vue du sens que de la metrique. » (ib., XLII). Varietas delectat 99 premiers romans ou le genre lyrique romans du moi -, tantöt occulte saus un anonymat de principe dans les romans en prose Oll l'auteur, compilator non inventor, disparait au profit d'une multitude de temoins (STANESCO 1990). C'est dire aussi que le concept meme d'original, garanti et revendique au nom de la propriete litteraire, est un concept totalement etranger au Mayen Age: si «aucun scribe n'a jamais eu le moindre scrupule ... a retoucher ou a contaminer le texte qu'il lisait ou recopiait » , il n'a pas eu davantage, «dans ses interventions, la moindre pretention a retrouver le texte primitif qu'il pratiquait, s'il avait quelque doute sur la les;on qu'il avait saus les yeux ... Il resulte de cet etat de choses un flottement generalise et aleatoire de tous les textes medievaux (romans s'entend), flottement dont l'ampleur peut etre plus ou moins marquee, bien entendu, mais qui ne fait jamais defaut.II en resulte aussi que, dans la mesure Oll l'on peut parler de la version originale d'une reuvre ..., cette version, a peine venue au jour, a eclate, a disparu, s'est en quelque sorte volatilisee ou metamorphosee, semblable en cela a ces particules de matiere que nos physiciens modernes parviennent, au prix d'enormes efforts, a mettre en evidence, mais dont le temps de vie ne depasse pas la duree d'un rapide eclair. » (LECOY 1984: 5). Au-dela de cette evanescente les;on originale, les copies du texte medieval, multiformes, fragments et temoins authentiques de la vie et de la vitalite des reuvres, traces de la mouvance, apparaissent ainsi comme les resultats d'une Sprachmischung entre l'exemplaire-source et l'exemplaire copie, dans une tradition manuscrite labile depuis le primum mobile declencheur. Ce remodelage permanent n'est evidemment pas sans poser des problemes epineux pour l'etablissement des textes, et, par contre-coup, pour l'elaboration d'une grammaire de l'ancien frans;ais. Chez les philologues, la methode eclectique produisant un texte composite a vecu (cf. l'edition du Roman de Troie par L.Constans dans la S.A.T.F., et le compte rendu d'E. FARAL, Romania 18 (1914: 94-119), alors que la methode de Lachmann, visant a retrouver le «texte original » de l'reuvre medievale par reconstitution est abandonnee par les editeurs frans;ais, au regard de l'Italie et de la Belgique, parce que viciee dans son principe; la pratique de Bedier et de ses emules, editant comme temoin privilegie le manuscrit unique tenu pour Je meilleur d'un stemma, est la plus communement admise. Mais cette pratique pose le probleme de la selection des les;ons et de l'identification et du reperage des «fautes » . C'est que, pour soignes qu'ils puissent etre, les documents ne sont pas sans defauts et l'etablissement du texte exige de reperer ces defauts et ces «irregularites » , et de les corriger. Or, la correction meme se fait en fonction de choix qui touchent, au fond, la competence linguistique de l'editeur, portant un jugement critique sur Je texte et ses variantes, et engageant, en dernier ressort, l'etablissement d'une grammaire de l'ancien frans;ais. C'est un point sur lequel je reviendrai, apres avoir degage un autre parametre fondamental de la variance de l'ancien frans;ais: celui de l'ecriture litteraire. 100 Claude Buridant L'ancien franr.;ais et le parametre stylistique: l'ecriture medievale et ses assises rhetoriques La mouvance de l'ancien franyais se marque egalement dans ses pratiques d'ecriture et ses assises rhetoriques. Se degageant de la vision romantique et post-romantique prönant la disjonction totale de la societe et de l'individu et finissant necessairement par croire que tout sentiment sincere doit s'exprimer contre la societe, toute une revolution s'est operee dans la critique, apres la derniere guerre mondiale, pour retrouver la specificite de I'ecrivain medieval: loin d'etre en rupture avec la societe, il s'y trouve en symbiose, dans la continuite et la variance sur des modeles. E. Köhler rappelle ainsi, apropos des troubadours, les reflexions pionnieres de R. Bezzola qu'amplifieront les belles pages de R. Guiette (GuIETTE 1949, 1960): «Le poete du Moyen Age .. ., comme le sculpteur, le peintre, l'architecte, le musicien, et meme le penseur et le philosophe, cree d'apres un modele qui nait de l'äme meme de l'�uvre qu'il reve, et non pas en premier lieu pour exprimer ses sentiments individuels, comme les estheticiens modernes veulent le faire croire des poetes de tous les temps. L'auteur du Mayen Age, comme celui de l'Antiquite, n'est pas seulement un individu perdu dans un monde chaotique et hostile; il est une personne, c'est-a-dire qu'il se sent individu, mais aussi et surtout, membre d'un organisme, de la societe humaine. Le style qu'il adopte, auquel il se soumet sans en sentir la contrainte, est l'expression de cet organisme. » (KOEHLER 1964: 7; cf. BEZZOLA 1947: 82s.). D'ou la specificite de l'ecriture, que l'on decouvre alors: «Voici que notre monde decouvre seulement, non sans tätonnements, non sans surprise, tres longtemps apres ce qui a ete fait pour la sculpture et la peinture du Moyen Age, le sens et l'art des formules medievales en matiere de litterature, aussi bien dans l'epopee que dans la lyrique. Par la meme occasion, nous commenyons a gouter le plaisir des nuances infinies, celui des "variations sur un theme donne". » (LEJEUNE 1958: 75). Et l'originalite est alors dans l'exploration et l'exploitation du lieu commun, illustrees avec le plus extreme raffinement dans la chanson courtoise, dont R. Guiette ecrit: «Jamais poesie ne fut plus rigoureuse, plus totalement et consciemment calcul, mathematique et harmonie. » (GurETTE 1949: 61, et GurETTE 1960: 15). Et cependant «de tous ces mots, en quelque sorte prevus par le lieu commun et les cliches habituels du genre, Je poete tire un accent qui peut emouvoir » (GurnTTE 1972: 35). Ainsi le stereotype devient le lieu meme de l'originalite (MARTIN 1992: 11). Depuis ce tournant revolutionnaire dans notre esthetique litteraire, l'on n'a fait qu'approfondir l'etude de cette caracteristique essentielle de la litterature medievale ancienne en langue vulgaire, que «hantent sans cesse la formule, le retour, la reprise » (CERQUIGLINI 1981: 10): la stereotypie variationnelle. Sans doute cette stereotypie trouve-t-elle son paroxysme dans la chanson courtoise et la chanson de geste: un ensemble d'�uvres-phares ont ainsi creuse le sillon amorce par les Varietas delectat 101 premiers laboureurs. A la suite de l'etude maitresse de J. Rychner (RYCHNER 1955), taute une serie de travaux ont precise l'identification des elements fondamentaux de la technique litteraire des chansons de geste et affine leur hierarchie et leurs rapports: themes, narremes, motifs (distingues recemment en motifs narratifs/ rhetoriques par J.-P. Martin (MARTIN 1992), cliches, formules. Mais la recurrence formulaire est loin de se limiter aux chansons de geste: elle peut impregner la prose narrative de la chronique, modelee par les cliches de l'epopee (SCHON 1960), le roman en prose aussi. La stereotypie recurrente de l'esthetique litteraire peut, plus largement, etre definie par des «types», au sens Oll l'entend P. Zumthor, le type etant tout element d'«ecriture» a la fois structure et polyvalent, c'est-a-dire comportant des relations fonctionnelles entre ses parties, et reutilisables, indefiniment, dans des contextes differents, au niveau des formes de l'expression et a celui des formes du contenu. L'esthetique litteraire de l'epoque est donc, tout naturellement, une esthetique de la variation, greffee sur tout element typique, «lieu commun» de l'auditeur et de l'auteur. Cette variation est elle-meme le reflet d'un principe rhetorique fondamental consistant a eamdem rem dicere sed commutate, dont une des figures majeures est l'iteration lexicale. Plusieurs monographies ont degage les fonctions majeures de cette figure, et sa valeur fondamentale dans l'architectonique mentale medievale (BuRIDANT 1980a; WITTLIN 1991; MELKERSSON 1992). Cumulant souvent une fonction documentaire et une fonction ornementaire, l'iteration lexicale est un des modes remarquables de la glose. Elle deploie les semes d'un mot par enumeration accumulative, et dans les mots de large champ semantique, tout particulierement, le second terme du binöme joue souvent le röle d'un vecteur semantique, orientant le sens du premier, comme dans fier: fier et orgueillos, fier et crueus, fier et estout, etc. Cette fonction glossatrice est aussi a l'reuvre dans les traductions, Oll le second terme du binöme, neologisme issu de la langue-source, s'appuie sur un premier terme courant, qui lui sert d'appui et de passeport. Ou encore dans les emprunts du latin medieval, Oll les transfuges latinises des langues vulgaires s'appuient sur l'autorite de termes latins confirmes (BuRIDANT 1980b). L'iteration lexicale est ainsi le reflet d'une architectonique mentale ou la variante se greffe sur une base reconnue, Oll la nouveaute exige le recours a l'autorite, lieu de reconnaissance et de communion. Le parametre variationnel en morpho-syntaxe J'indiquais plus haut que l'editeur moderne est souvent amene a appliquer au texte qu'il edite une grille selective filtrant les le<;:ons a retenir. Cette selection n'est pas sans problemes: dans des traditions manuscrites complexes, dans des textes d'interpretation difficile (je songe particulierement a l'anglo-normand, dont la grammaire specifique est encore a affiner), on n'est jamais sur que les le<;:ons rejetees, meme au nom de la plus elementaire coherence et/ ou de regles de morpho-syntaxe, n'aient 102 Claude Buridant pas ete acceptables, linguistiquement, par les locuteurs contemporains. Dans une serie d'ouvrages et d'articles, S. Sandqvist s'est ainsi fait le champion des leyons rejetees par les editeurs du Roman de Tristan et de la Chronique des ducs de Normandie (SANDQVIST 1976, 1978, 1979, 1986), non sans entrainer une polemique avec certains d'entre eux (HOLDEN 1981): telle leyon rejetee ou jugee suspecte par un editeur peut se reveler taut a fait recevable a plus ample examen. Ainsi une leyon comme: De cels d'Espaigne unt Zur les das turnez, du manuscrit Ode La Chanson de Roland, a laquelle plusieurs editeurs ont prefere la leyon de deux autres manuscrits: De cels d'Espaigne unt les escloz truvez en la jugeant sans doute plus conforme a la syntaxe de l'ancien franyais, est en fait confirmee par d'autres attestations relevees par S. Sandqvist, et parfois «rectifiees» par les editeurs. Serait ainsi occultee une construction a pronom regime postpose sans doute rare, et dont la rarete meme a encore ete accentuee par les philologues qui l'excluent, mais bien attestee en ancien franyais. L'ancien franyais apparait ainsi, trop souvent sans doute, comme la langue des leyons refaites (CERQUIGLINI 1981). Il en irait de meme pour ces emplois pleonastiques du possessif dans ces exemples, consideres comme des leyons fautives et corriges par les editeurs, que S. Sandqvist propose de retenir: Apovri et desertie Et essillie furent a tort Li prodome apres sa mort Utherpandragon qui rois fu Et peres le bon roi Artu Graal 441-43, ms. A, corrige en la mort dans l'edition Lecoy 'Et ! es honnetes gens furent, sans l'avoir merite, appauvris, prives de leur heritage et ruines apres Ja mort d'Uterpandragon, qui etait roi et pere de ! 'excellent roi Arthur' Ne de son duel ne de sa honte La reine ne li chaut il ib. 968s., corrige en la honte 'Et peu lui importe la douleur de ceJui-ci, comme Ja douJeur qui atteint Ja reine' Dans ces tours au cas regime absolu, le pleonasme peut certes apparaitre moins recevable 10 que dans ceux ou le possessif refere a la partie d'un taut: 10 Dans ces deux exempJes, J'emploi pJeonastique du possessif intervient avec Je cas regime absoJu, ce qui n'est peut-etre pas negligeabJe. Comme je le developperai dans ma Grammaire, J'etude du possessif est a mettre en rapport avec Ja notion de possession inalienable, ou s'inscrit Od ses princes de son reiaume Est a Loün dreit repairie Varietas delectat Chronique des ducs de Normandie 12792s., ed. C.Fahlin Ses panz de son samit ai trestot deronpuz Floovant 1356, ed. S.Andolf Qui de lui out sa vie escrite ChronDN 9125 103 Mais peut-on veritablement etablir une frontiere nette et rigoureuse entre les emplois recevables et les emplois a proscrire, au risque de raidir un systeme souple au nom d'une competence que nous ne possedons pas? C'est dire a quel point il faut tenir campte, dans l'elaboration d'une grammaire, de taut un ensemble de phenomenes morpho-syntaxiques relegues dans des apparats critiques au nom de regularites somme taute artificielles, et qui peuvent offrir des temoignages non negligeables de systemes parfois passes au lit de Procuste. Il faut donc prendre en consideration, pour appuyer les demonstrations ou pour suppleer les intuitions, de paraphrases donnees dans les manuscrits d'une meme reuvre, d'epoques et de regions differentes, ou de diverses reformulations d'une meme expression au sein d'un meme texte; plus largement, il faut accorder attention aux options apportees par les temoignages de la tradition manuscrite, qui sont autant de «lectures plurielles» d'une meme reuvre et dont on a souhaite qu'ils puissent etre confrontes par «fenestrage» (CERQUIGLINI 1989). Mais plus encore, ce qu'offrent les textes, ce sont, non des systemes rigides et figes, mais bien des systemes souples d'elements concurrentiels, a geometrie variable: parce que non contraints par les normes d'une grammaire explicite; parce que se realisant dans des variantes concurrentielles, temoins de la tradition textuelle 11; l'emploi du cas regime absolu. A mesure que cet emploi se restreint, Je possessif tend a Je doubler. De ces deux leyons, Ja premiere est commune acinq manuscrits (ALPRT), y compris ! es trois meilleurs. La seconde est presente dans tous ! es manuscrits sauf LR. K.Busby y voit deux erreurs de copistes, qui transcriraient machinalement, ce qui n'est pas exclu au demeurant: dans Je premier cas, ! es copistes «ont probablement suppose qu'il s'agissait toujours du pere de Perceval»; dans Je second cas, ! es copistes, sauf celui de C, qui est hypometrique, «semblent avoir ecrit de son duel et de sa honte sans avoir constate que la hontella reine etait un genitif.» (BusBY 1993: 429, 437 [notes aux vers 444-46 et 970s.]). 11 Les copistes interviennent dans Ja tradition textuelle en produisant naturellement des variantes qui s'inscrivent dans ! es possibilites du systeme. K.Busby en donne quelques exemples apropos de Ja tradition textuelle de Perceval: «Un copiste peut voir un verbe au present et Je copier au preterit; il peut voir une formule comme biax amis et ecrire biax frere ou bien biax sire; il peut ecrire si au lieu de et, puis que au lieu de des que; il peut employer assez librement ! es differents pronoms demonstratifs (icistlcest, etc.) ou substituer un pronom sujet pour un demonstratif (il! cil; ele/ cele) ou vice-versa; Ja flexibite de ! 'ordre des mots en ancien franl,!ais est souvent al'origine d'autres variantes ...» (BusBY 1993: xur). Et il remarque en note combien 104 Claude Buridant parce que fonctionnant le plus souvent dans des textes versifies ou jouent des imperatifs formels, la fameuse «licence poetique», si souvent invoquee atout propos par les modernes, n'etant qu'une formule creuse 12. Ce qui fait qu'ils sont souvent exploites au maximum de leurs possibilites. Cette variance et cette labilite de la langue se traduisent bien dans tous les domaines de la morphologie et de la syntaxe. En morphologie derivationnelle, meme si d'importantes etudes restent a faire pour distinguer des strates chronologiques dans leur emploi, au regard du releve non differencie de P. Guiraud (GmRAUD 1975: 27), la suffixation est d'une richesse remarquable, qu'il s'agisse de variantes libres, comme certement, certeinement, ou de derivations pouvant porter des traits differentiels, comme les derives sur la base ire: irour, irance, etudies par G. Kleiber (KLEIBER 1978) 13 , ou encore iree, qu'on releve ala rime dans La Chanson de Jerusalem (ms. D, base de l'ed. Hippeau 1868, v. 7929: Li cuens Rotrox de! Perce i fiert a grant iree iree < : espee, coree>; fiert par grant ai'ree, ms. A, base de l'ed. Thorpe, 1992, v. 8665). Les variantes concurrentielles porteuses d'eventuelles nuances semantiques, que peuvent exploiter les textes versifies, ont tendance as'accroitre dans les traductions, en particulier avec le mouvement de latinisation (cf. devision / devisement; destruison / destruction; delitier ! delicter, etc. dans les Oisivetes des empereres de Jean de Vignay (GERNER 1995). En morphologie encore, se manifeste ataut instant la malleabilite des formes a travers des variations qui peuvent refleter des oppositions systematiques: l'on songe ici a l'exploitation des formes du pronom personnel sujet je et jou, du demonstratif ehe et chou dans les textes picards, ou elles peuvent apparaitre en distribution complementaire, selon l'etude d'A. Eskenazi, les formes jou/ chou se l'etude de l'attitude des copistes face a leur(s) modele(s) pourrait etre riche d'enseignements: «L'attitude des copistes devant leur modele merite une etude approfondie; il est certain qu'une telle etude nous dirait beaucoup sur la syntaxe et la semantique de l'ancien fram,:ais litteraire.» (ib., XLII N21). 12 Cette notion trop commode est condamnee a juste titre par M. Wilmet dans la discussion de Ja communication de P. Demarolle, «Reflexions preliminaires a une tentative de description de la syntaxe de Villon dans le Testament»: «Je trouve regrettable qu'on evoque a tout propos la <licence poetique,: le style d'un auteur peut s'eloigner de la norme (pour des raisons de commodite ou mieux d'expressivite), il ne saurait en aucun cas violer le systeme a une epoque donnee. L'ecart n'est souvent qu'une exploitation rare des possibilites de Ja langue.» (WrLMET 1978: 31). 13 Pour irance, G. Kleiber observe ainsi: «La forme IRANCE qui apparait dans La Chanson de Roland (v. 1845) se presente avec le classeme «COMPORTEMEND> dans le scheme SNl I DEMENER II IRANCE. Elle ne saurait donc etre consideree comme une simple variante formelle d'rRE. Le sememe «douleur» se laisse deduire des vers 1814s. et 1836s. qui traduisent les manifestations de tristesse des Frarn;:ais. » (KLEIBER 1978: 438 N7). Irance est cependant une les;on discutable de la Chanson de Roland, au vers 1845, hypometrique dans le manuscrit 0: N'i ad cel ne demeint irance («corrige » en N'i ad cel fsi ne demaint irance d'apres d'autres MSS dans l'ed. SEGRE- TYSSENS 1989), fa ou certains editeurs retiennent une autre les;on: N'i ad icel durement ne s'en plaigne (cf. ed. I. SHORT, Lettres Gothiques, 1990). Varietas deleetat 105 revelant, dans leur emploi, portees sur un tenseur binaire, comme des formes d'apres, marquees, des formes d'avant communes je/ ehe (EsKENAZI 1980). Et A. Eskenazi de conclure: «[Le] copiste fait de la disponibilite qui lui est offerte l'usage qu'il juge utile. » (EsKENAZI 1980: 348). En syntaxe: - Les imperatifs formels jouent un r6le non negligeable a l'interieur de systemes ouverts admettant des constructions concurrentielles. Ainsi dans ces quelques exemples: • Dans le systeme hypothetique en se: ces imperatifs expliquent, pour R.- L. Wagner, le maintien du subjonctif imparfait dans l'hypothese portant sur le passe, en face de son concurrent au plus-que-parfait qui permet de lever toute ambigu'ite en situant nettement l'epoque. Si cette forme apparait relativement tard, c'est sans doute du au fait que, jusqu'au 13 e siede, l'ecriture normale des textes est la forme versifiee en octosyllabes («pain quotidien » de l'ecriture) ou en decasyllabes: des raisons metriques peuvent expliquer que les poetes aient ainsi eu recours a des formes disyllabiques de verbes de haute frequence comme oist, eüst, feist-, ou trisyllabiques, de preference a des formes periphrastiques trop longues pour entrer dans le metre (WAGNER 1939, et WAGNER 1968, I, 139, note 1) 14 . • Dans le systeme de l'article defini, l'emploi generique, encore limite au regard de l'emploi specifique, auquel se situe d'abord l'article, comporte une part d'alea, au-dela d'une exploitation systemique. Plus largement, des asymetries non exceptionnelles s'observent dans l'emploi de cet article, dans des syntagmes identiques ou alternent presence et absence: Faire le mal et bien laisier TristBe 90 'Faire Je mal et laisser le bien' Que easeune i ot sans dangier Quanqu'est bon au euer et a bouce Eseanor 8982s. 'Car chacune y avait sans reserve tout ce qui rejouit le creur et la bouche' Bien devri'ez laisser orgoil Qui vus maint el euer et en oil Besant 1443s. 'Vous devriez assurement abandonner l'orgueil, qui vous reste dans le creur et dans le regard' Tel eop li donroi de ma pate, Que je ai fort et chamue et plate, 14 «Le plus-que-parfait du subjonctif apparai't relativement tard dans ! es textes mais cela ne prouve pas grand-chose. Les textes sont des poemes ecrits en decasyllabes ou en octosyllabes. Des raisons metriques expliquent tres bien que ! es poetes aient eu recours a des formes disyllabiques (oist, eüst, feist) ou trisyllabiques de preference a des formes periphrastiques trop longues pour entrer dans ! es vers». 106 En col, en piz et an la face, Que je l'abatrai en la place RenartR X, 9377-80 Claude Buridant 'Je lui assenerai un tel coup avec ma patte, que j'ai puissante, epaisse et ! arge, sur Je cou, Ja poitrine et Je visage, que je l'abattrai en ce lieu meme' A ces asymetries ne sont pas etrangeres des considerations metriques et rythmiques dans ies textes en vers, comme dans le Protheselaus de Hue de Rothelande, dont ce serait un usage caracteristique de combiner un substantif accompagne de l'article avec un substantif sans article dans le meme syntagme (ed. Holden m: 18): Saisi citez e les chastels (269) Char et color e le sanc pert (2159) E flurs e mercs e li cristal (4686) Cf. aussi 5135, 8170, 9850, 10035, 10386 L'on assiste, ici encore, a une exploitation des possibilites ouvertes du systeme emploi/ non emploi de l'article -, en fonction d'imperatifs formels. - Dans l'accord du verbe avec son sujet: • Sujet collectif: le sujet collectif gent singulier par sa forme, pJurieJ dans son semantisme, peut regir le singulier ou le pJurieJ du verbe, la tendance etant qu'avec deux verbes Je premier est Je plus souvent au singulier, le second au pluriel, comme l'a releve en particulier l'etude de A. R. Epp consacree au phenomene chez Chretien de Troyes (EPP 1995: 4). Les imperatifs de versification ne sont cependant pas negligeables: De la cite maut grant gent ist Et vont veoir la ou Pyn gist Thebes, 375s. 'Une foule enorme sort de Ja ville pour aller voir ou git Je Sphynx' Mais Si on tel joie demenee Qu'ainz nule gent si grant ne firent Et tuit a lor seignor ofrirent Lor servise ... Yvain 4572-75, ed. Roques: copie Guiot, rime firent: ofrirent 15. 15 Ici encore Ja tradition manuscrite n'est pas indifferente. Le manuscrit P offre Ja leyon: «Si ont tel joie demenee / Que nules gens si grant ne virent, Et tuit a lor seignor offrirent / Lor serviche si com il durent» (ed. C. MELA, Lettres Gothiques, v. 4572-75). Cf. aussi Perceval: «Les angles dont la gent se plaignent, / Qui oci:ent quanqu'il ataignent» (399s., ed. K. BuSBY). Mais les manuscrits BU et M offrent / es genz. On peut en induire une tendance, chez des copistes, a accorder la lettre et Je sens en mettant gent au pluriel. Varietas delectat 107 • Accord avec l'un des sujets d'une sequence: il arrive que l'accord du verbe se fasse uniquement avec le plus rapproche des sujets coordonnes d'une sequence: Car mult vos priset mi sire et tuit si hume Roland 636 'Car mon mari et tous ses hommes vous estiment fort' Amenez / es i a Beranger et Herdre Parise 1844 'Beranger et Hardre ! es ont amenes' Mais ce type d'accord peut etre exploite pour des necessites de versification: Marcus et Jonatas en la croix vos pendi Parise 811 'Marcus et Jonatas vous accrocherent a la croix.' compare a: Si murtrirent son pere Berangiers et Herdre ib. 1824 'Beranger et Hardre assassinerent son pere' - Dans l'emploi de l'articulant que dans le systeme comparatif a deux termes. L'absence de cet articulant ne se rencontre que dans les textes en vers, presque tous du 13 e siede, et plus particulierement chez Gautier de Coinci, selon P. Jonas, qui evoque a ce propos l'eternelle «licence poetique» (JoNAS 1971: 201; cf. supra et Nll). Plus largement, il faut dire que les articulations de la subordination dependent largement de la forme versifiee ou non versifiee des textes, comme l'a montre C. Marchello-Nizia dans une communication eclairante s'appuyant sur d'importants releves: «En vers, et des l'origine, dans plus de 80% des cas, structure rythmique et structure syntaxique coi"ncident. Et cela au point que la cesure peut parfois, a elle seule, servir de demarcation syntaxique: c'est le cas, en particulier, dans les constructions que l'on nomme <paratactiques>, Oll une proposition <subordonnee>, du moins du point de vue du sens, se construit directement a la suite de la <principale> a laquelle elle se rattache semantiquement sans aucun signe de subordination, comme dans ce vers de La Chanson de Roland (v. 1058): Je vos pleviz II tuz sunt jugez a mort. Ce type de construction est relativement frequent en vers: il n'y a pas de texte Oll l'on n'en rencontre quelque exemple. Or, toujours sans exception, la rupture syntaxique entre les deux <propositions> se situe a une coupure rythmique. Et ces constructions paratactiques sont a peu pres totalement absentes de la prose: la structure du vers est bien une condition necessaire a leur emploi.» (MARCHELLO- 108 Claude Buridant NrzrA 1978: 37). Aux poses rythmiques dans les textes versifies correspondent des pauses marquees par la ponctuation dans les textes en prose, qui cooccurrent avec des mots precis assurant une fonction demarcative. - Dans l'ordre des mots. Les observations de J. Härmä sur l'importance des facteurs textuels dans les phenomenes de dislocation sont faites sur le moyen frarn;;ais sans doute, mais ses remarques valent aussi pour l'ancien frarn;:ais: «Les facteurs textuels entrent en jeu surtout dans les textes en vers, bien que 1a aussi on doive egalement tenir campte des facteurs pragmatiques proprement dits. Par facteurs textuels, j'entends ici les causes ou motifs rythmiques et/ ou metriques qui peuvent illustrer le choix de telle ou telle construction. » (HÄRMÄ 1993: 721). Ainsi, «dans un certain nombre d'exemples, la dislocation semble apporter une syllabe <supplementaire> au vers, par rapport a une structure <canonique> ou <basique>. C'est 1a qu'on voit le röle de la dislocation en tant que moyen de varier l'ordre normal des constituants, d'effectuer une <mise en relief>, pour employer un terme traditionnel dans ce contexte. Mais cette mise en relief peut etre due en grande partie a d'autres facteurs. » (ib.) 16 . Ainsi Les yeux si sontfaits pour servir, (Charles d'Orleans, Chansons, ed. Spence, 108, 12). «[L'exemple] peut surprendre a premiere vue, puisqu'il n'y a apparemment pas dislocation. Sans pouvoir entrer dans les details ici, constatons que l'adverbe ou la <particule enonciative> si semble souvent jouer le meme röle qu'un representant pronominal, aussi bien en ancien qu'en moyen franfais. Cette interpretation peut evidemment etre controversee, mais le parallelisme est frappant. » (ib. 722. Cf. infra les remarques sur la fonction de topicalisation de si). De meme pour la dislocation a droite: «La dislocation a droite peut au moins theoriquement fournir une rime au vers precedent ou suivant. Il n'est pas evident que ce facteur puisse etre invoque tres souvent, mais peut-etre joue-t-il un röle dans les exemples comme le suivant: Et quant je le voi si diverse, Le trayteuse et le perverse, Je le voel doubter et furr Froissart, La Prison amoureuse, 239-44.» ib. 722. 16 Pour illustrer son propos, J. Härmä donne d'abord un exemple inadequat, extrait de La prison amoureuse de Froissart: Chil et chele qui le liront Apries ma plaisance iJ diront, Qui n'a pas este trop wiseuse, Que c'est la Prisons amoureuse Froissart, La Prison amoureuse 3816-19, ed. A. Fourrier. II ne change rien au compte des syllabes puisque Je e de plaisance s'efface devant lui. Varietas delectat 109 Dans les frequentes rimes pour l'reil 17• La varietas peut encore se manifester dans les categories grammaticales charnieres, comme les prepositions-adverbes, ou les formes nominales du verbe, bifrons par excelience. Ainsi, une des caracteristiques majeures de l'infinitif substantive «accidentel» 18 est qu'il peut alterner selon les copies, dans la meme construction, avec des infinitifs non substantives, comme l'illustrent ces deux exemples: De l'acoler et de/ baisier Ne li fait ele nul dangier Perceval2358s., ed. K.Busby; ms. T, ed. W.Roach; De l'acoler ne do baisier 2288, ms. B, ed. C.Mela/ Et d'acoler et de beisier Ne li / ist ele nul dongier Perceval2356s., ms. A [Guiot], ed. F.Lecoy 'Elle ne se fait/ fit pas prier pour accepter baisers et embrassements' Li quens Guillelmes del referir se haste Couronnement de Louis 932, mss. AB, ed. Y.Lepage/ de referir 666, ms. C. Mais lui sont concurrentielles aussi des variantes appartenant au plan nominal, tel le participe passe substantive. Ainsi departirldepartie: Si / ist encor plus que cortoise, K'el lor dona de ses joiaus Au departir, et bons et biaus Escoufle 5820s. 'Elle fit montre de plus de courtoisie encore en leur donnant, au moment de la separation, quelques-uns de ses bijoux, de magnifiques bijoux de prix' Elle le baise et si en fait Grant joie a cele departie ib. 3822s. 'Elle l'embrasse et se montre toute joyeuse lors de cette separation' La departie fu tostfete Guillaume de Dole 4452 'L'on se separa en un instant' escremir/ escremie: 17 Le souci de la rime peut amener a maintenir tardivement et artificiellement la declinaison, comme c'est le cas dans le Mystere de saint Sebastien, ou biaus amis en apostrophe est a la rime, au regard de bei ami a l'interieur du vers (ed. L.R. Mills, Geneve 1965). 18 Infinitif substantive «accidentel» par opposition a infinitif substantive «essentiel» lexicalise deja en ancien frai19ais, comme les infinitifs d'un noyau de verbes fondamentaux. Cf. infra. 110 Claude Buridant De l'escremir me resemble bricon Cour. de Louis ms. 1033, AB De l'escremie me sembles bien Breton ib. ms. D 'Au maniement des armes, tu as tout d'un nigaud / d'un Breton a mes yeux' La concurrence peut jouer aussi, a l'occasion, pour l'infinitif 1, essentiellement Substantive: Tu as mout fier penser Cour. de Louis, ms. AB! pense ms. C La Mort Artu, a supposer que le texte de l'edition Frappier 1964 soit fidele au manuscrit A, choisi comme base 19 , offre un jeu de concurrents remarqnable dans des contextes homologues ou l'infinitif, le participe et le substantif alternent en reprise thematique: Lors s'en entre [i.e. Lancelot] en une chambre et comeni;a a penser trop durement; et en cel penser sospiroit mault parfondement . . . § 111: 7-10, ed. J . Frappier 1964 Lors commence a penser [i.e. la reine Guenievre], si est tant a malese qu'ele ne set quefere; en ce pense ou ele estoit, vint ses cousins par aventure devant li ib. § 169: 8-11 Assez pensa (i.e. Morgue) cele nuit a cele chose, savoir mon si ele li dira ou ele s'en tera ... En cele pensee demora tant qu'ele s'endormi ib. § 50: 32-39. Il faut aussi se resoudre a admettre que le principe de Humboldt- «une forme, une fonction» est loin de s'appliquer constamment en ancien franfais, et qu'il existe bien des concurrences ouvertes de constructions sans valeur semantique particuliere. C'est ainsi que la distribution A/DE/ 0 devant l'infinitif complement d'objet ne semble nullement correspondre a une difference semantique, comme l'a etabli la minutieuse etude de P. van Reenen et L. Schosler, qui conclut: «La syntaxe de la plupart des verbes en ancien franfais ne presente pas de variation dans le choix de 19 Dans une minutieuse analyse critique, M. Plouzeau a montre que l'edition Frappier 1964, qui est en fait la troisieme edition allegee du roman depuis l'edition de 1936, n'est qu'approximativement fidele au manuscrit A (Arsenal 3347), le texte etant «fabrique avec au moins quatre MSS (A, B, R, D) etant le plus souvent mis a contribution». Elle propose de reediter La Mort Artu a partir d'un MS de la «brauche II» n'exigeant pas tant de corrections que A, en mentionnant l'interet, pour l'etude de la langue, de deux manuscrits dates: D (BN 342), termine en 1274 et deja edite par J. DouGLAS BRuCE a Halle en 1910, dans une edition a examiner; et B (Bibl. universitaire de Bonn, termine en 1286, et dont on sait en outre qu'il a ete copie a Amiens) (PLOUZEAU 1994: 218). Varietas delectat 111 0/ A/ DE. Dans cette serie sans variation, notons l'absence quasi totale de verbes pronominaux dans la construction VOinf. Dans la serie de verbes qui connaissent la variation, il faut mentionner l'absence de differenciation semantique entre 0/ AIDE dans la plupart des cas. » Une difference semantique et quelques contours dialectaux semblent seulement se dessiner dans un choix de onze verbes (VAN REENEN - 5CH0SLER 1992: 542). Les conjonctions or, donc/ dont, car, mais, ainz, comme connecteurs de l'articulation du discours, ont, pour la plupart, un statut semantique large, puisqu'elles peuvent etre des adverbes de mot comme des connecteurs de phrase, et il est logique de subsumer sous des vecteurs uniques la palette de leurs emplois: comme d'autres struments, ces connecteurs temoignent de la polyvalence des elements syntaxiques de l'ancien franfais. Varietas et description linguistique 1° Si l'ancien franfais se caracterise par une varietas qui fait du scripteur medievalcelui qui manie l'ecriture, ecrivain ou scribe quelqu'un qui se situe au confluent d'un plurisysteme de parametres refletant une structure mentale specifique: parametre diatopique: systemes dialectaux en osmose et en concurrence; parametre diastratique: diglossie ou meme triglossie des medievaux; parametre diachronique: systemes ancien et nouveau en symbiose: graphies conservatrices et graphies novatrices en concurrence; formes et elements de systemes en concurrence, cette caracteristique n'est pas sans incidence sur le choix des instruments d'analyse devant en rendre compte et, plus profondement, sur la selection des theories linguistiques a mettre en reuvre. Pour prendre en compte la distribution et la polyvalence des formes; les systemes souples d'une «grammaire floue » , non normee, exploites au maximum de leurs possibilites au gre des exigences de la communication et des imperatifs formels; des categories grammaticales non fixees, les analyses les plus adaptees seront des analyses variationnelles tenant compte de la distribution spatiale, temporelle et stylistique des donnees (cf. VAN REENEN/ ScH0SLER 1992: 122); des analyses representees non en termes d'unites discretes, mais en termes de 112 Claude Buridant continua, de scala, d'echelles, comme le propose H. Lüdtke (LüDTKE 1989), degageant un principe suivi par bien des romanistes 20. Mais plus encore, ces analyses en continua, ces representations scalaires ne sauraient etre purement formelles: elles doivent correspondre au fonctionnement profond de la langue tel qu'il pouvait exister pour les scripteurs eux-memes, concevant dans des systemes puissanciels des formes multiples et/ ou polyvalentes, exploitees en discours. C'est dire, en d'autres termes, que les analyses linguistiques qui semblent les plus adequates pour l'objet ancien fran<; ais seront les analyses de type guillaumien, en termes de tenseurs, binaires ou non, representant les emplois le long de vecteurs Oll s'egrenent les effets de sens, a partir des valeurs fondamentales. II faut donc approfondir les sillons creuses par G. Moignet, en subsumant par exemple sous un double tenseur: si/ se adverbe et conjonction, Oll le transfert de l'un a l'autre s'observe dans «l'expression-frontiere» se/ si m'aist Dex, qui se figera sous les formes cemaidieux, midieux abrege; que/ qui conjonction et relatif, subsumes sous un tenseur binaire, en reprenant l'esquisse de G. Moignet; nelnon, integrant le ne dit expletif selon la these de Queffälec (QuEFFELEC 1985, 1988); les prepositions-adverbes de lieu: dans-dedans; sus-dessus, etc. C'est encore sous forme scalaire que l'on representera les possibilites d'emploi des formes verbales. Soit l'infinitif, mode bifrons par excellence, a la frontiere du plan nominal et du plan verbal, dont l'ancien franfais a exploite les possibilites de substantivation (BuRIDANT 1990), l'infinitif muni d'article ayant alors la particularite, comme d'autres langues romanes contemporaines, de construire ses arguments sur un double plan: • verbal, avec la complementation directe propre aux verbes; • nominal, avec la complementation prepositionnelle propre aux noms (KERLE- Roux 1990). 20 C'est dire aussi que Ja matiere linguistique de l'ancien franfais impose, plus que d'autres etapes de Ja langue, une approche variationniste dont on a montre qu'elle est indispensable a Ja description linguistique de toute langue (Cf., parmi ! es travaux de Labov, WEINRICH! LABov/ HERZOG 1968, et LABOV 1982). Dans la premiere de ces etudes, ! es auteurs definissent Ja langue comme un systeme differencie et appellent a «(break)down the identification of structuredness with homogeneity» (101). Varietas delectat 113 On representera ainsi sous forme de vecteur binaire, la rection et la caracterisation de l'infinitif substantive, sur le double plan, nominal et verbal. L'infinitif en ancien franqais: rection et caracterisation 21 regime nominal � regime verbal direct caracterisation caracterisation adjectif epithete adverbe ---------------------------------------------------- ----------------------------------------------------- PLAN NOMINAL Caracterisation et rection du substantif • Caracterisation par l'adjectif epithete: De son biau chanter par est ce Une tres douce melodie Guillaume de Dole, ed. Lecoy, 1407s. PLAN VERBAL 'La beaute de son chant est une melodie d'une douceur incomparable' • Rection par le complement de nom: Dit qu'il i iert, l'andemain, premiers, A l'asenbler des chevaliers Cliges, ed. Roques, 4839s. 'II declare qu'il sera, Je lendemain, Je premier a la rencontre des chevaliers' - Caracterisation et rection du proces verbal • Caracterisation adverbiale: ll n'i a que dou belement Aler ariere . . . Guillaume de Dole, 2324s. 'II n'y a qu'a rebrousser chemin tranquillement' • Rection verbale sous forme de regime direct: Si n'i ot que de/ avaler Le pont ... 21 Apres BURIDANT 1990, j'ai traite du fonctionnement de l'infinitif en ancien frarn;:ais dans une conference donnee a l'Universite de Pavie, avril 1993, preparatoire a un article a paraitre. 114 Claude Buridant Yvain, 4159s. 'II ne restait plus qu'a baisser le pont. . .'. Soit le passe compose, dont la palette des possibilites aspectuelles dans la diegese peuvent etre representees sur un vecteur de type guillaumien, ou I'on peut suivre la subduction progressive de l'auxiliaire, depuis le present resultatif accompli jusqu'a la quasi equivalence avec le perfectum historicum (BuRIDANT 1993: 680). Les valeurs du passe compose en ancien franr,;ais (Subduction progressive de l'auxiliaire (avoirlestre), depuis le present resultatif jusqu'a la quasi equivalence avec le perfectum historicum) Present resultatif accompli Equivalence Accompli Accompli Valeur Avoir non avec le indifferent d'un proces cinetique dematerialise parfait au temps anterieur A + part. pa. pleinement objet = attribut incident l l Hardrez Quant gabe descendent lor a tost i a le chief a sus ont/ quant -'? donne encline; monte gabe orent sont congie la face a descendu moillie Un bon exemple de la polyvalence des formes, a subsumer sous des tenseurs binaires, serait aussi celui de la «particule» fors, particule que I'on pourrait qualifier de «typique» de l'ancien franl(ais, au sens «typologique» du terme, susceptible d'occuper toutes les positions sur le plan nominal comme sur le plan verbal, representees sur un tenseur binaire (avec ajout des particules separables par, reet probablement tres, initialement) (BuRIDANT 1995: 315). Varietas delectat 115 Fors en ancien franr;ais: un exemple typique de polyvalence PREFIXE NOMINAL forban forclose PREVERBE forjoster forjugier forjurer PREPOSITION fors la cite fors de la vile PLAN NOMINAL [PARTICULE SEPARABLE] par-, re- *tres PARTICULE SEPARBE/ AD-PREP fors aler ADVERBE la fors PLAN VERBAL prefixe nominal: forban, forclose (a la forclose) preposition: fors la cite/fors de la vile adverbe: la fors a maint burgeis (Roman de Rau 2115, ed. J. Holden, n) adverbe-particule separee, a laquelle on pourrait donner dans bien des exemples le statut d'adprep, comme l'a fait D. Bolinger pour l'anglais (BoLINGER 1971), la particule pouvant etre consideree a la fois comme une preposition au referent implicite et comme le second element du phrasal verb: Et eil fors s'en fu refu alez Et trove seant lez a lez Une assamblee de voisins Perceval 5905s., ms. T, ed. K. Busby. preverbe: forjoster, forjugier, forjurer, forloigner, formener. 2 ° Si l'ancien fran9ais se caracterise par une predominance de l'oralite, comme l'a souligne P. Zumthor, en distinguant les trois paradigmes de l'oralite au Moyen Age l'oralite primaire, l'oralite mixte, et l'oralite seconde (ZuMTHOR 1987: 18-20)-, si plus precisement encore on peut distinguer un spectre de quatre possibilites, de l'oralite pure au texte ecrit pour la lecture, comme le fait K. Gravdal (GRAVDAL 116 Claude Buridant 1993: 662) 22 il va de soi que la description de l'ancien fran�ais a tout a gagner a s'inspirer de la pragmatique, precisement parce que cette brauche de la linguistique, en plein developpement, met au premier rang les facteurs communicatifs de l'oralite. II n'est donc pas etonnant que les renouvellements les plus sensibles dans la description de l'ancien fran�ais doivent beaucoup aux approches pragmatiques, en particulier: • Dans l'analyse des connecteurs fondamentaux du discours, comme si (cf. l'analyse de MARCHELLO-NIZIA 1985, et son renouvellement par FLEISCHMAN 1991 et 5CH0SLERIVAN REENE 1993), or (ÜLLIER 1989-90), ou celle des embrayeurs (PERRET 1988), sans compter la riche palette d'etudes du numero 32 de Linx ap.prochant en diachronie la linguistique de l'enonciation (Linx 1995). Voici comment on peut ainsi representer, a partir de FLEISCHMAN 1991, le vecteur d'emploi de si, marqueur de continuite thematique, depuis le theme + continue, predictible, identifiable, jusqu'au theme continue, predictible, identifiable. Hierachie de reconnaissance du theme en ancien franr; ais selon un vecteur decroissant: du maximum au minimum de reconnaissance THEME + CONTINUE, + PREDICTIBLE, + IDENTIFIABLE 1. Accord grammatical, 0 sequence de verbes de meme sujet sans ambigui:te possible 2. Si: sequence de verbes de meme sujet + demarcation d'une nouvelle proposition 3. Pronom sujet il thematique 4. Si V pronom sujet 5. Pronom demonstratif 6. Syntagme nominal defini dans un ordre neutre 7. Syntagme nominal defini avec dissociation a gauche 8. Si V syntagme nominal defini (construction en focus) 9. Syntagme nominal indefini reförentiellement 10. Si V syntagme nominal indefini reförentiellement TIIEME + CONTINUE, + PREDICTIBLE. + IDENTIFIABLE 22 «To represent the opposition of oral to written, we can posit a simplified spectrum in four parts, corresponding to the range of oral to written textuality. First, we find the purest form of orality: texts that are orally improvised in performance. Second, there is a type of text that is composed and then memorized, in order to be performed orally, but involves no writing. A third possibility is that of the text written down to be performed orally intended for oral performance. Finally we find the text that is written to be read.» II resterait des etudes approfondies a faire sur la progressive conquete de l'ecrit par cette langue principalement orale qu'etait d'abord l'ancien fram; ais. Comme le remarque S.Lusignan, «l'exemple du fran�ais est Varietas delectat 117 • Dans Ja prise en compte des facteurs de thematisation et mise en focus dans l'ordre des elements de la phrase, qui jouent dans les phenomenes de dislocation, enfin soulignes dans des etudes recentes (en particulier HÄRMÄ 1990a, 1990b, 1991, 1993). Sans compter d'autres analyses renouvelees mettant en jeu l'anaphore et la reference, dans les demonstratifs, par exemple (cf. la 'revolution' dans l'analyse des demonstratifs de l'ancien fran9ais apportee par KLEIBER 1987) ou dans l'emploi des temps verbaux, dont rend partiellement campte l'important ouvrage d'O. Sautet, borne majeure dans l'approche revisitee et revivifiee de l'ancien fran9ais (SouTET 1992) 23 . 3 ° Si l'ancien fran9ais se caracterise, dans sa pratique stylistique, par une ecriture fondamentalement formulaire, a «stereotypie variationnelle», la description grammaticale de cette langue doit aussi tenir compte de ce parametre, qui n'est pas sans intervenir dans l'emploi des formes. Une etude serree de l'infinitif substantive montre ainsi que cet infinitif, en tant que forme condensee d'evocation, est utilise frequemment comme procede commode de reprise d'un proces sous sa forme la plus synthetique dans les motifs stereotypes des scenes de combat, par exemple -. Ainsi dans ces exemples, ou l'infinitif substantive reprend un proces immediatement precedent devenant alors circonstanciel, selon le schema: proces 1 proces 1 proces 2 -----------------------> -----------------------> 1 -----------------> 2 -----------------> ll descendent; et au descendre La dame Jet les chevax prendre, Qu'ele avoit mesnie fort bele ... As uns commande oster ! es seles Des chevaux, et bien conreer, N'i a celui qui l'ost veher Einz le firent molt volentiers. riche d'enseignement puisque entre le 12 e et la fin du 14 e siede ... il elargit ses competences de langue de la communication orale qu'il est principalement d'abord, a celles d'une langue qui exploite finalement la plupart des registres de l'ecriture. » (LusrGNAN 1987: 956). La conquete des genres didactiques, plus particulierement l'historiographie et Ja philosophie, alliee a une syntaxe plus hierarchisee sur le modele latin, n'est pas sans favoriser ainsi un mode de lecture rnoins oral, plus interiorise, promouvant la reflexion. C'est un point auquel je pense m'attacher dans une etude future. 23 Ces nouvelles perspectives se heurtent cependant a une pesanteur qui regne dans la formule des concours - CAPES et Agregation scleroses depuis des decennies, dont ! es questions repetitives sont coulees dans le moule d'une «grammaire» essentiellement empirique. 118 Claude Buridant 1 ------------- > Desarmer fet les chevaliers; 2 ------------- > Au desarmer les filles saillent Chretien de Troyes, Lancelot 2523-35, ed. M. Roques Mais la reprise par substantivation s'inscrit souvent dans la technique de variation, technique dans laquelle un auteur aussi raffine que Chretien de Troyes excelle, comme en temoigne l'un des passages les plus remarquables d'Erec et Enide: Erec, accompagne d'Enide, quitte la famille de cette derniere, dans laquelle ils sont heberges, le comte de Laluth, oncle d'Enide, promettant de les accompagner a leur depart (ed. M.Roques, v.1410-58): Li cuens a son ostel s'an vet, et dit qu'il le convoiera au matin, quant il s'an ira. Cele nuit ont tote dormie. Au main quant l'aube est esclarcie, Erec s'atorne de l'aler; ses chevax comande anseler, et s'amie la bele esvoille; cele s'atorne et il aparoille. Li vavasors lieve et sa fame: n'i remaint chevalier ne dame qui ne s'atort por convoier la pucele et le chevalier. Tuit sont monte, et li cuens monte. 1412 1416 Erec chevalche lez le conte 1420 et delez lui sa bele amie, qui l'esprevier n'oblia mie: a son esprevier se deporte, nule autre richesce n'an porte. 1424 Grant joie Jet au convoier; avoec Erec volt anvoier au dessevrer une partie lifrans cuens de sa conpaignie, 1428 por ce qu'annor li feissient, se avoec lui s'an alessient; mes il dist que nul n'an manroit, ne conpaignie ne queroit 1432 fors que s'amie solemant. Puis lor dist: «A Deu vos comant. « Convoiez les orent grant piece; li cuens beise Erec et sa niece, 1436 si les comande a Deu le pi. Li peres et la mere ausi le beisent sovant et menu; MOTIF DU CONVOIEMENT ANNONCE PREPARATIFS CONVOIEMENT Varietas delectat de plorer ne se sont tenu: 1440 au departir plore la mere, plore la pucele et li pere. Tex est amors, tex est nature, tex est pitiez de norreture: 1444 plorer leur feisoit granz pitiez et la dolcors et l'amistiez qu'il avoient de lor anfant; mes bien savoient ne por quant 1448 que lor fille an tel leu aloit don grant enors lor avandroit. D'amor et de pitie ploroient que de lor fille departoient; 1452 ne ploroient por altre chose: bien savoient qu'a la parclose an seroient il enore. Au departir ont molt plore; 1456 plorant a Deu s'antre comandent; or s'an vont, que plus n'i atandent. DEPART AVEC PLEURS C'est d'abord le motif du convoiement, qui est annonce (v.1405-08). La scene du depart qui suit peut se decomposer en trois parties: les preparatifs (v.1410-18) le convoier (v.1419-36) les adieux (v.1436-58). 119 Dans cette scene, le convoiement est traite gräce au jeu du mode et du temps, comme un theme a variation: les preparatifs qui, des deux epoux, gagnent l'ensemble de l'entourage, sont faits por convoier (v.1407), et c'est ce convoier saus forme d'infinitif substantive qui constitue le noyau de la seconde partie (v.1425) le depart etant donne par tuit sont monte (v.1419) pour etre repris a l'accompli au v.1435. On est donc passe de por convoier --------------------- > intention a au convoier ------------------------ > duratif et a convoiez les orent -------------- > accompli. Cependant, pendant le convoier, Ie dessevrer proprement dit est annonce au vers 1427, que relaiera le departir au vers 1441, repris par le vers conclusif 1456. En contraste avec la joie du convoier, Ie departir est marque par les pleurs.Plorer n'intervient pas moins de sept fois dans cette scene d'adieux, comme un leitmotiv, d'abord sous forme d'annonce: de plorer ne se sont tenu (v.1440), puis dans un vers d'ouverture qui, avec l'infinitif substantive, declenche ! es pleurs (v.1441). Leur abondance est soulignee par la repetition plore la mere, plore la pucele et li pere (v. 1441-42). Les vers 1443-45 annoncent sous leur forme generale le motif de ces pleurs, amor et pitie de nourreture, que contrebalance cependant l'idee de l'hon- 120 Claude Buridant neur qui attend Enide, au vers 1451, comme une reprise conclusive du developpement des vers 1443-50. La reprise conclusive de plorer sous forme accomplie au vers 1456 marque l'adieu. On est donc passe de de plorer ne se sont tenu ------------------ > annonce a au departir plore la mere --------------- > declenchement des pleurs a d'amor et de pitie pioroient que de lorfille departoient --------------- > explication des pleurs et a au departir ont malt plore ----------- > conclusion des pleurs. Le departir substantive constitue comme la base sur laquelle se developpe le leitmotiv thematique des pleurs qui s'acheve sur une derniere variation au participe present dans ! 'adieu, or s'an vont, du vers 1458, marquant la rupture finale. Le maitre champenois a su exploiter, avec toutes les ressources de son art, les possibilites de thematisation que lui offrait l'infinitif substantive. Une des fonctions majeures de cette forme est en effet de se constituer comme theme: soit anaphoriquement, en reprise d'un proces precedent sous sa forme la plus condensee, en particulier dans des sequences fortement saturees par un enchainement «en cascade» typique du recit medieval (le commentaire d'un premier theme devenant le theme d'un second commentaire, lequel devient le theme d'un troisieme etc.) comme l'ont bien souligne B. Cerquiglini et alii (CERQUIGLINI/ FoRET/ MuKHERJEE 1976) et B. Combettes (CüMBETTES 1988); soit cataphoriquement, en annonce d'un commentaire, comme dans les proverbes (Biaus parler ne conchie boche). L'infinitif substantive, que 1'on peut rattacher, au plan typologique, aux caracteristiques de type «germanique» de l'ancien frarn;:ais, illustre ainsi l'hybridite d'une categorie qu'exploite volontiers une ecriture de la variatio, en usant des possibilites souples de la langue, ou est passe maitre Chretien de Troyes. Son etude ne saurait etre ainsi dissociee de la pratique scripturaire medievale, son declin co'incidant avec le developpement du vocabulaire abstrait (WuLFF 1875: 59s.) et la delimitation de categories plus tranchees de la langue sous l'effet d'une grammaire reflexive, comme je vais l'evoquer brievement ci-dessous. La reduction de la varietas L'evolution typologique du fran�ais provoque un changement profond dans tous les domaines, qui tend a reduire ou a eliminer la varietas: revolution de la rhetorique: a la rhetorique de la variation a succede une rhetorique classique, reagissant contre l'exuberance baroque et eliminant ce qui est desormais considere comme redondance et tautologie. L'iteration lexicale, a tra- Varietas delectat 121 vers ses figures majeures, les binömes synonymiques et la dierese, tombe dans le discredit, comme signe de l'imperfection, de l'approximation: «La langue doit aspirer al'ordre, a la simplicite, ala discipline rationalisee. La recherche de la clarte reduit le discours al'unique, le <centralisme> ou le <monisme> intellectuel bannit la redondance parce qu'elle est la marque du discours vide, de la pensee non maitrisee.» (BURIDANT 1980a: 52). La Stereotypie, qui est encore ala base de genres majeurs au 16 e siede, constitutive d'une ecriture de «reconnaissance» dans les romans de chevalerie par exemple se verra condamnee par le culte romantique du genie individuel, original, discordant avec la societe. reduction des parametres diatopiques et diachroniques, favorisee par les progres de l'imprimerie, limitant les filieres de la transmission mouvante des textes, desormais fixes et figes ne varietur pour une diffusion large, dans des formes et des graphies statiques, que tendent acodifier les progres de l'orthographe, inconnue des scribes medievaux, la langue moderne, toute normee qu'elle soit, se colorant cependant de variations regionales, dialectales, sociolectales liees ason expansion geographique et sociale. constitution d'une grammaire specifique du franc; ais, reglee et normee, ou l'on se rapproche du principe de Humboldt, «une forme, une fonction», et tendant a fixer et figer les elements grammaticaux en categories etanches. Se developpe ainsi, comme l'a souligne 0. Gsell, la tendance ala separation formelle des expressions epithetes ou clitiques, et des expressions autonomes sur le plan syntaxique et prosodique, qu'on observe dans l'evolution des demonstratifs, des pronoms personnels et possessifs, d'une partie des indefinis, et des prepositions et des adverbes (dans vs. dedans, etc.) (GsELL 1989: 133). Ainsi dans la fixation des röles des deux series du demonstratif: la restructuration progressive fixe cistlcest et leur forme reduite ce dans le röle de determinants nominaux conjoints, de cil/ cel et leur forme unique celui dans celui de pronom autonome (ce-cet en fonction d'adjectif/ celui en fonction de pronom). Et 0. Gsell voit derriere cette separation formelle, en partie «un rationalisme categorisant dans le domaine grammatical, qui a conduit (quelquefois accompagne) le moyen frarn; ais et les debuts du frarn; ais moderne, d'une syntaxe de la phrase parlee et entendue aune syntaxe de la phrase ecrite et lue» («Hinter dieser formalen Scheidung steht sicher zu einem Teil ein grammatisch kategorisierender Rationalismus, der das Mittel- und Frühneufr. von einer Syntax des geschriebenen und gelesenen Satzes geführt und begleitet hat.» ]). - N'est pas etrangere a cette fixation et a ce figement des classifications etanches la dure necessite orthographique, comme le signalait F. Brunot apropos de la distinction radicale des adverbes et des adjectifs en mots invariables/ variables 24 . Dans Le masque et la furniere, P. Zumthor souligne encore, apropos de la 24 «Si on a tant tenu a separer adjectifs et adverbes, c'est certainement a cause de l'importance qu'on attribuait a la classification des mots en Mots variables et Mots invariables, en vue des questions d'orthographe qui se posaient. » (BRUNOT 1922: 604). 122 Claude Buridant langue du 15 e siede par rapport au modele latin en particulier, la «relative rudesse de la langue fran\;aise, l'empirisme de sa syntaxe, ses flottements lexicaux, l'interpenetration de formes dialectales d'origine diverse, la mouvance de sa morphologie. Facteur positif, en ce qu'il permet, et peut-etre exige, l'emergence simultanee de plans d'expressions heterogenes; en ce qu'il situe ce discours [celui des rhetoriqueurs] avant le divorce d'un parler populaire, vivant, et d'un idiome <litteraire> aseptise et normalise ...» (ZuMTHOR 1978: 211). Dans la langue normalisee se restreignent les possibilites de constructions en meme temps que disparait la variation «vide», la differenciation fonctionnelle s'accompagnant d'une differenciation semantique. Les fonctions grammaticales specifiques sont volontiers signalees a l'aide d'une seule marque grammaticale. Pour reprendre l'exemple des indices d'infinitif, on assiste a la fixation de la preposition de comme marque typique du complement d'objet direct pour les verbes autres que les quasi-auxiliaires. Ce processus d'ensemble de rejet de la varietas, a travers ces parametres convergents, s'inscrit dans la reduction de l'oralite, dans la part de plus en plus grande prise par l'ecrit, dans une veritable revolution copernicienne des mentalites, dessinant une nouvelle architectonique mentale privilegiant la codification normee et le discours regle, touchant cependant plus les elites que la masse parlante et ne pouvant reduire l'oralite consubstantielle du langage. 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