Vox Romanica
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Francke Verlag Tübingen
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1999
581
Kristol De StefaniL’origine du génitif-datif
121
1999
Robert de Dardel
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L’origine du génitif-datif 1 1. Dans un article récent (Dardel/ Wüest 1993), l’évolution du système casuel du latin aux parlers romans, en passant par le protoroman, a été présentée, par hypothèse, sous un angle radicalement nouveau, qui consiste en ceci: d’abord, le système latin subit une réduction morphologique allant jusqu’à un système acasuel, puis il se forme un système tricasuel, qui se réduit à son tour à un système bicasuel ou acasuel. Le système tricasuel comporte un génitif-datif (GD), cas protoroman qui, comme son nom l’indique, combine dans une seule expression morphologique les fonctions du génitif avec celles du datif et dont nous avons un vestige tangible dans le français leur (< illoru[m]), qui est à la fois génitif possessif (leurs livres) et datif d’attribution (Je leur écris une lettre). Le GD a été reconnu et décrit par les néogrammairiens, qui le nomment déjà ainsi (par exemple, Meyer-Lübke 1890- 1906/ 3: 99); depuis la Deuxième Guerre mondiale, on en a précisé la place dans le système et la distribution dans le temps et l’espace. En revanche, son origine n’a pas encore été expliquée de manière satisfaisante. C’est à ce problème-ci et à divers problèmes connexes qu’est consacré le présent article, où je profite de réviser et nuancer la théorie initiale, proposée par Dardel/ Wüest 1993. Cette théorie a eu l’effet d’un pavé dans la mare, si l’on en juge par le nombre de réactions, positives ou négatives, soit dans des articles 2 , soit dans des commentaires oraux dont j’ai eu vent 3 . A la lumière de ces réactions, je discuterai, en note, les principaux points litigieux pertinents à la théorie initiale ou à la méthode. Afin de maintenir ce texte dans des proportions raisonnables, je ne donne de la théorie initiale que les grandes lignes et renvoie pour les détails et davantage d’exemples et de références bibliographiques à Dardel 1964 et Dardel et Wüest 1993. Pour la même raison, je me limite aux résultats de la comparaison historique des parlers romans, sans tenir compte systématiquement des données du latin écrit 4 . 1 Ma reconnaissance va à Mesdames Maria Iliescu et Ans de Kok, qui ont bien voulu relire des versions antérieures de ce texte et m’ont fourni de précieux conseils. Il va sans dire que je les décharge de toute responsabilité pour le résultat final. 2 Liver/ Wunderli 1994, Man´ czak 1994, Seidl 1995, Liver 1995, Zamboni 1995. 3 Notamment lors d’entretiens avec M. Wüest, que je tiens à remercier de son amical soutien. 4 Cette méthode, parce qu’elle est peu connue des romanistes et rarement appliquée au roman, donne lieu à des malentendus, dont témoignent plusieurs critiques. - On s’en prend en premier lieu au schématisme de la protolangue, au fait, par exemple, que, malgré ce qu’on observe directement dans l’évolution des langues vivantes, le protoroman passe sans transition d’un système X à un système Y, ou bien au fait que la linguistique variationnelle synchronique du protoroman reste à l’état d’ébauche. Ces insuffisances tiennent à ce que la méthode comparative, 27 L’origine du génitif-datif Pour des rapprochements avec le latin écrit, le lecteur peut se reporter à Dardel/ Gaeng 1992 5 . Après le rappel de la théorie initiale et la formulation du problème à résoudre, la présentation de la théorie révisée suit les systèmes successifs du protoroman, par une limitation qui lui est inhérente, aboutit à une hypothèse de la protolangue qui ne livre pour une synchronie donnée qu’une seule des variantes diastratiques ou diaphasiques qui ont réellement existées. - On reproche à la méthode comparative historique qu’il lui arrive de conclure directement d’un trait de parlers dérivés à un trait de la protolangue, sans tenir compte d’éventuelles variantes intermédiaires; mais c’est ignorer que la technique comparative, en recourant à des traits anomaux des parlers dérivés, est dans une large mesure à l’abri du courtcircuitage de variantes interpolées. - Si je peux comprendre le scepticisme ou le pessimisme qu’affichent notamment Liver/ Wunderli 1994: 26-27 quant à la validité d’une reconstruction protolinguistique, je les estime néanmoins excessifs. Il y a sans doute là-derrière, de la part de chercheurs habitués à se fonder sur des données concrètes, la crainte qu’inspire l’abstraction d’une hypothèse protolinguistique, dont, par-dessus le marché, la vérification n’est pas immédiate. Il y a aussi, dans cette attitude, le fait qu’on a tendance à juger la méthode d’après le comparatisme indo-européen ou de langues exotiques, qui est en grande partie établi dans la préhistoire, à la différence du comparatisme des langues romanes, dont toutes les péripéties se déroulent en période historique, où histoire interne et histoire externe s’éclairent mutuellement. De toute façon, avant de porter un jugement sur la valeur de reconstructions protolinguistiques, il faut au moins, dès que la protolangue prend forme, tenir compte des deux critères de vérification que sont la cohérence interne du système reconstruit et la mesure dans laquelle il rend compte des parlers dérivés. Et ici, une distinction s’impose: la description de la protolangue est une chose, son explication en est une autre; la description produit une donnée abstraite, mais en dernière analyse vérifiable; l’explication, surtout celle fondée sur des facteurs externes, est beaucoup plus spéculative, sujette à caution et difficile à vérifier, ce que soulignent du reste Liver/ Wunderli 1994 eux-mêmes; ce n’est par conséquent pas de bonne guerre, comme je le vois faire dans les critiques, de condamner une description faute d’en accepter l’explication. - Comme réaction plutôt positive, il faut signaler celle de Zamboni 1995: 34-37, lequel, s’appuyant sur une connaissance approfondie du comparatisme roman, situe avec précision la théorie de Dardel/ Wüest 1993 dans l’évolution de cette discipline. 5 Dardel/ Gaeng 1992 visent à intégrer méthodiquement, en une synthèse, les données protoromanes et celles, au statut épistémologique très différent, de textes latins non classiques, en l’occurrence épigraphiques; le but en est de montrer dans quelle mesure et à quelles conditions ces deux ordres de données se complètent, se confirment mutuellement et peuvent être considérés comme historiquement liés. - C’est une tentative dont Seidl 1995: 45s. n’a pas su prendre la mesure. « . . . à l’aide des inscriptions, on peut prouver un peu n’importe quoi . . . », écrit-il. Cela est vrai, lorsqu’on les utilise, comme c’est trop souvent le cas, sans un véritable souci d’analyse et de classement. Ce risque est cependant considérablement réduit, lorsqu’on situe les formes épigraphiques dans le temps et l’espace et qu’on les rapproche de formes protoromanes correspondantes, classées selon le même critère. Un tel rapprochement rend plus probable l’existence réelle de la forme au sein du latin global, par quoi j’entends l’ensemble formé par le latin écrit et le latin parlé. Cette démarche, rarement entreprise, faute d’une connaissance suffisante du protoroman, tend à montrer que telle forme épigraphique fait partie de la langue et ne résulte pas simplement d’une inadvertance du scripteur et que la forme protoromane correspondante repose sur une hypothèse correcte. Quant aux différences de distribution spatiale qui se font jour entre les inscriptions et le protoroman et que Seidl trouve embarrassantes, elles s’expliquent au contraire fort bien par des différences diastratiques au sein du latin global. - En tout état de cause, je crois que, n’en déplaise à Seidl, cet essai, qui se veut d’ailleurs avant tout méthodologique, confirme la théorie de Dardel/ Wüest 1993 plutôt qu’il ne l’infirme. 28 Robert de Dardel mais réserve pour des paragraphes à part, à la fin de l’article, des considérations plus générales, sur l’ordre des termes, sur les explications externes et sur la validité de l’hypothèse. 2. La terminologie traditionnelle est adaptée aux particularités et besoins de cette étude. Pour mieux mettre en évidence la continuité historique, le mot «cas» est pris dans une acception maximale, englobant les moyens d’expression aussi bien syntaxiques que morphologiques. Au niveau du contenu, les cas définissent les fonctions grammaticales de noms et de pronoms. Le nominatif (N) est le cas du sujet et de son attribut; les cas obliques s’appliquent aux autres fonctions: le génitif (G) au complément du nom (ou complément adnominal), le datif (D) et l’accusatif (A) aux objets du verbe (ou compléments adverbaux). Au niveau de l’expression, je distingue les cas morphologiques, qui opposent les noms et pronoms par leurs désinences ou leurs thèmes, en combinaison éventuelle avec des traits syntaxiques, et les cas syntaxiques, qui opposent les noms et pronoms par leur place dans la proposition, par des prépositions ou par des moyens moins spécifiques, comme l’accord et les valences verbales, mais ni par des désinences ni par des thèmes. Les deux types de cas sont mutuellement complémentaires; toutefois, la définition des systèmes sera donnée autant que possible en termes de cas morphologiques, de sorte que je parlerai de système morphologique lorsqu’il y a au moins deux cas morphologiques, mais de système syntaxique lorsqu’il n’y a pas d’opposition morphologique. Les termes «morphémisation» et «syntagmisation» désignent respectivement le passage d’un moyen d’expression syntaxique à un moyen d’expression morphologique et le passage inverse; ce qui est couramment appelé «simplification» ou «réduction» morphologique est une syntagmisation, et une morphémisation équivaut à ce qui est parfois appelé «restructuration». A l’intérieur d’un paradigme donné hors tableaux, «/ / » sépare les deux nombres, et «/ » sépare les cas (par exemple comes/ comite[m]/ / comites) et les genres (par exemple illui/ illaei/ / illoru[m]). Le trait [+/ -an] signifie [+/ -animé]. Les chiffres romains I, II et III désignent les dérivés protoromans des première, deuxième et troisième déclinaisons latines et ceux des autres déclinaisons qui s’y sont joints. Le terme de «pronom» tout court couvre les pronoms personnels toniques de la troisième personne issus du pronom démonstratif ille et du pronom déterminatif ipse; leurs prolongements comme articles sont mentionnés comme tels. Pour les langues, les sigles sont PR = protoroman, PO = portugais, ES = espagnol, CA = catalan, OC = ancien occitan, FR = français, SA = sarde, IT = italien, RH = rhétoroman, RO = roumain, anc. = ancien, dial. = dialectal, mod. = moderne. 3. Avant d’aborder la théorie révisée, il convient de présenter l’état de la question. 3.1 La théorie initiale (Dardel/ Wüest 1993), résumée et quelque peu schématisée, se présente comme suit. 29 L’origine du génitif-datif 3.1.1 Dans un premier cycle de syntagmisation, le système casuel morphologique latin des noms, des pronoms (ipse et ille), peut-être de quelques autres catégories pronominales, se réduit, pour l’expression, au seul A, c’est-à-dire à un système casuel syntaxique; à la construction classique videt Paulus Petru[m] correspond alors en PR la construction videt Paulu[m] ad Petru[m] 6 . Abstraction faite de quelques résidus fonctionnels (Dardel, à paraître), cette syntagmisation est achevée au moment où commence le PR reconstruit, c’est-àdire probablement (par référence au SA; cf. Dardel 1985) au i er siècle avant notre ère. Le système qui en résulte est panroman à l’origine; il n’est plus directement observable, de nos jours, qu’en PO, ES, SA et IT méridional, aires que la suite de l’évolution n’affectera pas 7 . 6 Seidl 1995: 46 signale une erreur: en PO, ES et SA, le N morphologique latin subsiste dans le pronom. 7 Seidl 1995: 43s., dans sa critique de Dardel/ Wüest 1993, s’élève contre la théorie selon laquelle le système syntaxique en ibéro-roman et en SA reflète un système syntaxique PR. Se référant à l’anatolien, dont il considère la simplicité grammaticale comme tardive et non pas d’origine proto-indo-européenne, il pense que le système syntaxique des parlers romans en question résulte également d’une simplification tardive. Ce faisant, il oublie que la théorie incriminée par lui repose sur un principe fondamental du comparatisme historique: la grande similitude entre la syntaxe nominale ibéro-romane et celle du SA, voire, en partie, celle de l’engadinois, qu’il n’a pas examinées de près, ne s’explique que par une origine génétique commune, donc en PR. De ce fait, le cas de l’anatolien, qui semble isolé dans les parlers indo-européens et a pu par conséquent se simplifier tardivement, n’est pas pertinent au problème du roman. - Mais c’est aussi sur le plan interne que Seidl s’en prend à la théorie du système syntaxique PR. Une partie de son étude consiste dans la description de restructurations des paradigmes nominaux du latin écrit (Seidl 1995: 56-67), qui entraînent des modifications tantôt du thème du N, tantôt de celui des cas obliques. Or, comme il le montre fort bien, dans plusieurs noms romans qui remontent à un A, le thème n’est pas celui du latin classique, mais un thème refait par analogie sur celui d’un N ambigu, c’est-à-dire d’un N «qui ne donnait pas d’indications précises sur le radical des autres cas» (56); ainsi (58s.), d’une part l’A du classique calx/ calcem se prolonge dans le castillan coz coup de pied , d’autre part, l’A de calx, devenu cals (Varron) / *calem, se prolonge dans le castillan et le PO cal chaux . Je pense que ces réfections émanent de locuteurs dont la norme se situe entre le latin classique et le PR. Le N indispensable à cette action analogique n’est effectivement attesté que dans les textes latins, pour la plupart de tradition classique, point dans les parlers romans qui ressortissent au premier cycle; l’A remodelé a donc son origine dans un strat du latin vulgaire qui conserve la déclinaison, et il n’affecte le PR, dont le système casuel est syntaxique, que dans un second temps. Cette manière de voir me paraît confirmée par des attestations écrites très anciennes de la restructuration, antérieures même au PR le plus ancien (par exemple chez Varron, dans l’exemple cité) et par la présence d’A restructurés en ibéro-roman (cal ci-dessus). Cette restructuration ne prouve donc pas qu’il y a des N dans le PR du premier cycle. En outre, comme je la vois, cette particularité chronologique explique, mais par une autre voie que celle envisagée par Seidl 1995: 58, pourquoi, même dans «le fond le plus rural et arriéré de la Sardaigne», le nom dérive normalement de l’A. - Les divers types de restructuration sont du reste intéressants pour nous parce que (comme on le verra en 4.1.2.2.2.1) ils ont, sous réserve d’un rapprochement comme celui que l’auteur décrie tant (cf. ici même N5), leur pendant en PR-B, où par exemple sanguine[m] de la synchronie antérieure est remplacé par sangue[m] (sur sanguis) et où sont introduits des N du type montis (pour mons, sur monte[m]). - Mais l’analyse gramma- 30 Robert de Dardel 3.1.2 Dans le reste de la Romania, en gros donc dans la Romania continentale centrale et orientale, se forme par morphémisation, au plus tard au iii e siècle (vu le témoignage du RO), un nouveau système casuel morphologique des noms, des pronoms toniques, des pronoms interro-relatifs et probablement de quelques autres catégories pronominales, qui sera à l’origine d’un second cycle de syntagmisation 8 . Il s’agit d’un système morphologique tricasuel, comportant pour l’A la forme unique héritée du premier cycle, mais, pour le reste du paradigme, des formes provenant ou s’inspirant de la norme classique: d’une part un N, d’autre part, dans les noms [+humain] et les pronoms toniques, un GD, formé avec un D morphologique du singulier (filio/ filiae, illui/ illaei) et un G morphologique du pluriel (filioru[m], illoru[m]) et servant à la fois de G possessif (panis filio/ filiae/ / filioru[m], panis illui/ illaei/ / illoru[m]) et de D d’attribution (do pane[m] filio/ filiae/ / filioru[m], do pane[m] illui/ illaei/ / illoru[m]). A son tour, cependant, dans le cadre du second cycle de syntagmisation, le système morphologique tricasuel tend à perdre les cas morphologiques au profit de cas syntaxiques. A une construction comme panis filio du système morphologique tricasuel, par exemple, correspondent alors des constructions du type panis ad filiu[m], panis de filiu[m]. Cette syntagmisation débute déjà en période prélittéraire. Les trois cas morphologiques ne font nettement surface en roman que dans les pronoms; les paradigmes de l’anc. FR il/ leur (lor)/ les et qui/ cui/ que et ceux de l’anc. IT egli/ lui/ lo et ella/ lei/ la, avec le GD assumant les deux fonctions, en sont ticale de Seidl soulève encore un autre problème. Par «cas» PR, Dardel/ Wüest 1993 entendent une forme fonctionnelle, mise en évidence par sa place dans un paradigme reconstruit, et non pas un vestige figé, comme il en existe pour les cas autres que l’A. Seidl, en préstructuraliste attardé, ne semble pas s’en être aperçu, de sorte que son argumentation fondée sur la restructuration du paradigme passe à côté du but. Bien sûr, ainsi qu’il le dit lui-même, les formes romanes de ce type reflètent un ancien système casuel morphologique; mais il ne s’agit pas, comme il pense, d’un système PR, car, dans les parlers romans concernés, les dérivés de ces formes n’ont plus leurs fonctions casuelles et sont réduits à des mots indéclinables, sur lesquels, en bonne méthode, on ne saurait fonder une structure morphologique fonctionnelle en PR. A qui rétorque que pareille structure a pu exister dans le parler que représente le PR à ses débuts, mais qu’elle s’est perdue ensuite, avant l’apparition des parlers romans, il faut rappeler que cela est hautement improbable, vu que toute la syntaxe nominale du PR le plus ancien, en particulier l’A dit prépositionnel (ES Veo a mi padre), plaide pour l’existence d’un système casuel nominal syntaxique (Dardel 1994); en outre, dans un passage sur les plus anciens contacts entre Romains et Germains, Gamillscheg (1970: 9s.) signale que les noms empruntés au latin le sont sur la base de l’A du «latin vulgaire», ce qui, de la part de langues qui connaissent un système morphologique, semble indiquer que la norme latine fournissant ces lexèmes ne possède pas de N morphologique. 8 Comme le latin parlé évolue, l’analyse spatio-temporelle du PR se fonde au moins en partie sur l’époque de la romanisation. Or, on lit dans Liver/ Wunderli 1994: 28: «Wenn der Zeitpunkt der Romanisierung für die Zugehörigkeit zum einen oder zum anderen Zyklus eine Rolle spielte, wäre nicht einzusehen, warum Nord- und Südfrankreich beide dem gleichen Zyklus zugehören sollen». Il n’en est pas forcément ainsi. En l’occurrence, si le nord et le sud de la Gaule ont le même système casuel (second cycle), c’est que, bien que romanisés à des époques différentes, ils participent, en ce qui concerne ce système, d’une seule et même tranche de temps. 31 L’origine du génitif-datif des témoins parmi d’autres 9 . Dans les noms, l’anc. FR ne connaît plus que deux cas morphologiques, le cas-sujet, qui est le N, et le cas-régime, qui est l’A, auquel le GD s’est assimilé (cf. li reis vient/ la fille le rei/ escrist le rei/ veit le rei); de même, le RO ne distingue que deux cas nominaux (compte non tenu du vocatif): le GD et un cas produit par la fusion du N et de l’A; l’IT central et septentrional présente un système nominal dépourvu de cas morphologiques 10 . En revanche, dans toute l’aire concernée par le système tricasuel, le GD morphologique pronominal, dans sa double fonction, est encore représenté par une structure assez bien intégrée (cf. le tableau, où les formes unifonctionnelles, auxquelles je reviendrai plus loin, sont placées entre crochets). 3.2 Dans l’évolution du système casuel PR décrit en 3.1, un aspect reste en grande partie obscur et a été, pour cette raison même, laissé de côté par Dardel/ Wüest 1993; il s’agit de l’origine du GD comme cas morphologique bifonctionnel. Au niveau de l’expression, on peut certes comprendre que des désinences plus ou moins classiques se soient imposées à la langue des masses, car ce ne serait là, en dernière analyse, qu’un emprunt «savant» morphologique parmi d’autres. Ce qui reste mystérieux, en revanche, c’est, au niveau du contenu, l’origine de la répartition des fonctions sur trois cas morphologiques, dont l’un, le GD, avec ses deux fonctions, n’a pas de modèle connu en latin classique. Pour Meyer-Lübke 1929s. déjà, et encore pour des chercheurs actuels (ILR 2: 220), le GD morphologique, qui laisse des traces de la Catalogne aux Balkans, 9 Sous ce rapport, Rohlfs 1966-69/ 2: 137 caractérise le toscan comme suit: «Un tempo lui e lei potevano usarsi senza preposizione anche nel senso d’un dativo o genitivo». En réponse à Liver/ Wunderli 1994: 27 N6, je reconnais que cette observation importante ne se reflète pas chez Dardel/ Wüest 1993. 10 Le système morphologique tricasuel est postulé, par une reconstruction abstraite et hypothétique, au niveau du PR et non dans les parlers romans, comme semblent le croire Liver/ Wunderli 1994: 27 N7. Si, dans les noms, à la différence des pronoms, les parlers romans n’attestent que deux cas morphologiques, voire qu’un système casuel syntaxique, ce n’est donc pas parce que l’hypothèse est fausse, mais c’est simplement parce que la syntagmisation y est plus poussée que dans les pronoms. protoroman catalan ancien ancien italien roumain occitan français pronoms pronoms pronoms pronoms pronoms pronoms articles illui [lui D] [lui D] lui lui -lui illaei [liei D] [li D] lei ei -ei illoru[m] llur lor leur loro loru -loru cui [cui D] cui cui cui cui 32 Robert de Dardel et ici déjà en RO commun, remonte au PR, en conformité avec la description de 3.1. Les principales différences entre les dérivés gallo-romans d’une part, RO d’autre part, ne contredisent pas cette hypothèse: il s’agit de la répartition différente des fonctions au moment où le système morphologique tricasuel des noms se syntagmise et du fait qu’en RO l’emploi du GD s’étend aux compléments [-humain]. La thèse de deux formations parallèles mais indépendantes, dans la Romania centrale et dans la Romania orientale, reste vivace néanmoins, surtout chez les spécialistes du RO 11 ; pour ma part, je la crois indéfendable, compte tenu notamment de la structure morphologique et sémantique commune résumée dans le tableau de 3.1. Le problème véritable est ailleurs: Comment se forme, dans le PR du ii e ou iii e siècle, un cas morphologique réunissant les formes et les fonctions du G possessif et du D d’attribution? Ici, deux approches s’opposent: celle qui s’appuie sur un strat balkanique, qui aurait marqué le latin pendant l’occupation de la Dacie et rayonné de là dans une grande partie de la Romania continentale, et celle qui consiste à chercher l’origine du GD dans le système PR lui-même. C’est cette seconde voie que je vais suivre, non pas pour rejeter d’emblée la première, mais parce que je la crois digne d’être examinée sérieusement. 4. Voici, toujours à titre d’hypothèse, une théorie quelque peu modifiée (par rapport à Dardel/ Wüest 1993), dont le but est de rendre compte de la genèse du GD et de signaler quelques faits qui en sont indissociables. Dans ce paragraphe, j’isole les quelques fonctions casuelles suivantes, qui sont pertinentes à mon analyse; elles sont illustrées ci-dessous selon les règles du système syntaxique du premier cycle, tel que je l’ai décrit en 3.1.1. N sujet Scribit Paulu[m] attribut du sujet Est Paulu[m] magnu[m] G a dépendance nominale [-an] tela[m] de linu[m] b possession [+an] libru[m] de Paulu[m] D a possession inaliénable [+an] Taliat Paulu[m] capillos ad Petru[m] b possession attribuable [+an] Dat Paulu[m] libru[m] ad Petru[m] A a rapport quelconque [+an] Videt Paulu[m] ad Petru[m] b rapport quelconque [-an] Videt Paulu[m] libru[m] 4.1 Quatre étapes de l’évolution doivent être distinguées en PR; elles se situent respectivement dans ce que j’appellerai le PR-A, B, C et D. Le résultat du premier cycle de syntagmisation (décrit en 3.1.1) se situe en PR-A, et le système morphologique tricasuel du second cycle (décrit en 3.1.2) se forme, peu à peu, au cours des trois étapes suivantes. 11 Cf. ILR 2: 220 N3, Poghirc 1982: 294. 33 L’origine du génitif-datif 4.1.1 En protoroman-A, le système est syntaxique. Il est panroman à l’origine, mais, comme je l’ai déjà signalé, n’est pleinement observable plus qu’en PO, ES, SA et IT méridional. C’est dans cette étape que se situe le système casuel syntaxique issu du premier cycle de syntagmisation et fondé sur la forme de l’A. Ce système est régi par l’ordre de base VSO. Le G se construit avec de et le datif avec ad; grosso modo, l’A se construit sans ad lorsqu’il est [-an], avec ad lorsqu’il est [+an], ce qui permet d’éviter, dans l’ordre de base VSO, une confusion avec le N (pour plus de détails, cf. Dardel 1994). Par exception, la forme du N subsiste dans le pronom tonique en PO et ES (ille), et en SA (ipse), à côté de l’A, qui fait surface dans le pronom atone (ES lo) et l’article (SA su). La déclinaison du masculin singulier se présente donc ainsi. NOMS DE II [+animé] [-animé] N Paulu[m] muru[m] G de Paulu[m] de muru[m] D ad Paulu[m] A ad Paulu[m] muru[m] PRONOMS TONIQUES [+animé] [-animé] N (ille) illu[m] (ille) illu[m] G de (ille) illu[m] de (ille) illu[m] D ad (ille) illu[m] A ad (ille) illu[m] (ille) illu[m] Le D et l’A [+an] forment, sur le plan de l’expression, un bloc, où ils se distinguent par le fait que le D exprime la possession, tandis que l’A exprime un rapport quelconque. Au pluriel, le paradigme entier, nominal et pronominal, porte la marque -s (muros, filias, canes, homines, illos, illas). Les adjectifs se conforment à cette structure. Je signale pour mémoire, mais laisserai ici de côté, l’existence épisodique de constructions dont l’origine semble être antérieure à l’insertion de la préposition; il s’agit de circonstants (venit aprile[m]) et de G [+/ -an] d’appartenance (filia[m] sua[m] muliere[m], valle[m]-petras, valle[m]-illas-petras), pour lesquels on trouve des exemples romans chez Dardel 1994: 18-24. Voici quelques exemples tirés des parlers romans où le système du PR-A est pleinement observable. N ES Nacido es el Criador . . . Le Créateur est né («Auto de los Reyes Magos», in: Menéndez Pidal 1971-76/ 1: 72, t. 18, v. 48); Cudo que uerdad es Je crois que c’est la vérité («Auto de los Reyes Magos», in: Menéndez Pidal 1971-76/ 1: 72, t. 18, v. 45) SA . . . appit kertu piscopu Bernardu de Kivita cum Ioanne . . . l’évêque B. de K. eut un contentieux avec I. («Carta sarda del 1173», in: Lazzeri 1954: 104, t. I.20, l. 5-6) IT . . . anti ki lu dittu castellu fussi sicursu . . . avant que ladite forteresse fût secourue («Lettera in volgare siciliano», in: Monaci 1955: 580, t. 172, l. 35) 34 Robert de Dardel G a ES E mouieronse d’oltras flum de Danubium . . . Et ils se rendirent au-delà du Danube («Liber Regum», in: Menéndez Pidal 1971-76/ 1: 82, t. 22, l. 37); . . . una meayla de oro . . . une pièce d’or («Documentos navarro-aragoneses», in: Menéndez Pidal 1971- 76/ 1: 89, t. 25, l. 1) SA . . . et ego deindeli IIII sollos del avore . . . Ed io gli diedi quattro misure de grano («Condaghe di San Pietro di Silki», in: Lazzeri 1954: 115, t. I.21.a, l. 131-132) IT . . . et durau la battagla da li matini fina ura passata di nona . . . et la bataille dura du matin jusque passé la neuvième heure du jour («Lettera in volgare siciliano», in: Monaci 1955: 579, t. 172, l. 6-7) [di nona = G a] G b ES Apres la muert del rei Salamon . . . Après la mort du roi Salomon («Liber Regum», in: Menéndez Pidal 1971-76/ 1: 81, t. 22, l. 2) SA . . . Mariane de Thori Grassu fiiu de Gosantine de Thori . . . M. de T. G., fils de G. de T. («Condaghe di San Pietro di Silki», in: Lazzeri 1954: 116, t. I.21.a, l. 157s.) IT . . . cum la putentia di Cristu . . . avec la puissance [l’aide? ] du Christ («Lettera in volgare siciliano», in: Monaci 1955: 580, t. 172, l. 41) D a PO . . . omõge . . . talhou os cabellos a Eufrosina . . . le moine coupa les cheveux à E./ d’E. («Vida de Eufrosina», Cornu 1882) ES . . . levantós mio Çid, al rey las manos le besó . . . le Cid se leva, baisa les mains au/ du roi («Cantar del Cid», in: Menéndez Pidal 1979: 312, v. 3414) SA . . . Appo lavatu sas dentes a sos pitzinnos . . . J’ai nettoyé les dents aux/ des garçons (mod., Jones 1993: 222, qui traduit I brushed the boy’s teeth ) D b ES Daras tu ala leona prea . . .? Est-ce toi qui chasses pour la lionne une proie . . .? («Bible du xiii e s.», in: Menéndez Pidal 1971-76/ 1: 269, t. 76.I, Job 38, 39); Oro, mira i acenso a el ofrecremos . . . Nous lui offrirons de l’or, de la myrrhe et de l’encens («Auto de los Reyes Magos», in: Menéndez Pidal 1971-76/ 1: 73, t. 18, v. 68) SA Conporaili a Barusone de Serra . . . sa terra de Petras nigellas . . . J’ai acheté à B. de S. la terre de P. n. («Condaghe di San Pietro di Silki», in: Lazzeri 1954: 114, t. I.21.a, l. 117- 19) IT A la vostra alta riali maiestati faczu asaviri . . . A votre haute majesté royale, je fais savoir («Lettera in volgare siciliano», in: Monaci 1955: 579, t. 172, l. 4) A a ES . . . vençio el rey don Sancho al Rey don Alfonso . . . le roi don S. vainquit le roi don A. («Anales toledanos primeros», in: Menéndez Pidal 1971-76/ 1: 105, t. 29, l. 11) SA . . . fekerunila a Bittoria . . . litt. ils la firent [i.e. concevèrent], B. («Condaghe di San Pietro di Silki», in: Lazzeri 1954: 114, t. I.21.a, l. 101) IT . . . truvau a Micheli Protopapa . . . trovò Michele (sicilien anc., Rohlfs 1966-69/ 3: 7) 35 L’origine du génitif-datif A b ES El Arçobispo . . . fue a Jerusalem a ver el sepulchro . . . L’archevêque se rendit à J. voir le sépulcre («Anales toledanos primeros», in: Menéndez Pidal 1971-76/ 1: 105, t. 29, l. 13s.) SA Ego . . . faczo ista carta . . . Je . . . établis cette charte («Carta arborense», in: Lazzeri 1954: 60, t. I.14, l. 4-6) IT . . . sì cursiru ad aiutari et difenderi lu castellu . . . et ils coururent aider et défendre la forteresse («Lettera in volgare siciliano», in: Monaci 1955: 580, t. 172, l. 31) Et voici, tirés des parlers romans où le système du PR-A n’est plus pleinement observable, quelques exemples qui, comme on le verra par la suite, s’y rattachent probablement d’un point de vue historique. G a OC . . . ab la dolchor del temps novel . . . with the sweetness of the new season («Guillaume ix», in: Jensen 1986: 26) RO Rîu de Mori le ruisseau des moulins , hydronyme (Dardel/ Wüest 1993: 59); Curtea-de- Arge , auj. Curtea Arge ului, toponyme (Pop 1948: 423) G b OC . . . fo filhs de Dagobert . . . he was the son of Dagobert («Sainte Enimie», in: Jensen 1986: 25) FR la fille del rei (anc.); . . . et si vous voulez avoir la bonne grace d’elle . . . («Heptaméron», in: Meyer-Lübke 1890-1906/ 3: 91) RO cas de domn maison d’un seigneur (Pop 1948: 370) D a FR Paul tire les oreilles à son chat. IT Fanny aveva visto alla sua padrona da tre giorni degli occhi strani . . . . . . chez/ à sa patronne . . . (Fogazzaro, in: Rohlfs 1966-69/ 3: 17) D b OC . . . a Richart donar Gisortz . . . give Gisort to Richard («B. de Born», in: Jensen 1986: 28) FR . . . escrist une letre al rei . . . (anc.) IT . . . ho scritto [una lettera] al cugino . . . (Rohlfs 1966-69: 3, 16); . . . aghiu parlatu ad ellu . . . (corse, Rohlfs 1966-69/ 2: 136) RO . . . bun s n tate i pace dumitale i a tot cetate Bistri ii . . . santé et paix à toi et à toute la ville de Bistri a (anc., Rosetti 1986: 492) [aujourd’hui: la toat ] A a RO . . . s giudece a seracu . . . = . . . giudeca seracului . . . (anc., Rosetti 1986: 491) [La question du régime des verbes transitifs PR n’est toutefois pas encore élucidée.] Dans ce système, D a, D b, A a et A b s’expriment aussi au moyen du pronom personnel atone, qui conserve les cas morphologiques. 36 Robert de Dardel 4.1.2 En protoroman-B, nous avons un système morphologique bicasuel, où, contrairement à ce qu’on trouvera en PR-C, le G n’est pas identique au D. 4.1.2.1 Ce système affecte la Romania continentale centrale et orientale: CA, OC, FR, IT central et septentrional, RH et RO, mais n’est guère observable directement, à ma connaissance, que dans quelques parlers RH, d’où les traits distinctifs des systèmes PR suivants sont absents. Au masculin singulier, il se présente schématiquement comme suit. NOMS DE II [+animé] [-animé] N Paulus murus G de Paulu[m] de muru[m] D ad Paulu[m] A (ad) Paulu[m] muru[m] PRONOMS TONIQUES [+animé] [-animé] N illi illi G de illu[m] de illu[m] D ad illu[m] A (ad) illu[m] illum Dans ces masculins, des marques casuelles classiques ou non classiques opposent donc le N aux cas obliques, lesquels ne s’opposent entre eux qu’au niveau syntaxique; il en est de même au pluriel, où ce paradigme présente les formes classiques correspondantes (muri/ muros, illi/ illos). Les féminins de I, en revanche, conservent le système du PR-A (casam/ / casas, illam/ / illas), ceci étant dit avec quelques réserves, auxquelles je reviendrai en 4.1.2.2.2.3. Comme nous verrons plus loin, les noms de III, parisyllabiques et imparisyllabiques, se conforment plus ou moins à ce système. 4.1.2.2 Par rapport au système précédent, on observe en PR-B deux changements: le retrait progressif de ad devant l’A [+an] et la morphémisation du N dans le nom, le pronom et l’article qui en dérive. 4.1.2.2.1 Ce système est régi par de nouvelles bases: successivement OVS et SVO; la différence entre S et O y est marquée non seulement par leur position préou postverbale, par des règles d’accord et les relations sémantiques, mais aussi, pour l’oral, par des traits prosodiques; cela a sans doute pour effet que l’A [+an] peut se passer de la préposition ad et explique que celle-ci commence à se retirer de cette fonction. 4.1.2.2.2 Le PR-B est caractérisé par la morphémisation du N, sur la base de formes empruntées directement ou par voie d’analogie à la norme classique et qui, en ce qui concerne les noms, sont jusque-là absentes du PR. Je suis enclin à penser que le 37 L’origine du génitif-datif N morphologique, devenu en roman, sinon la seule marque de l’opposition N / cas obliques, du moins la principale (cf. les exemples avec et sans N morphologique chez Jensen 1986: 390s.), n’en est à l’origine qu’une marque facultative ou redondante. J’en vois deux indices: (1) cette morphémisation ne paraît pas être causée par la disparition de ad + A, car, dans deux aires au moins où le N est morphémisé en PR, ad + A reste productif, savoir en gascon (Rohlfs 1977: 175, 179s.) et en RH de l’Engadine 12 ; (2) ce processus, contrairement à l’introduction de ad + A en PR- A, d’une part touche aussi les noms masculins [-an], où le risque d’ambiguïté quant à la fonction syntaxique est réduit, d’autre part n’affecte ni les féminins de I, ni le singulier de parisyllabiques [+an] aussi courants que fratre[m] et patre[m] (cf. anc. FR pere/ pere/ / pere/ peres, Meyer-Lübke 1934: 182). Ce système, parcouru en tous sens par des actions analogiques, se réalise de façon complexe: la morphémisation ne s’opère pas en bloc dans tout le système, ni dans toutes les aires concernées, et elle subit de bonne heure le contrecoup de l’effacement du -s final. Ces aspects du PR, encore mal connus, pour ne pas dire opaques, me semblent pouvoir se ramener, provisoirement et dans les grandes lignes, à deux processus: la redistribution des thèmes et l’intervention des morphèmes flexionnels -s et -i. 4.1.2.2.2.1 Examinons d’abord les thèmes. A en juger par l’anc. FR, qui atteste le mieux l’opposition morphologique fonctionnelle N / cas obliques, au singulier, les noms [-humain] tendent à se regrouper dans la flexion parisyllabique (déjà présente dans le type murus/ muru[m] et dans les anciens neutres du type vinus/ vinu[m]); cela se fait au détriment du N monosyllabique (mons > montis/ monte[m]) et des thèmes de cas obliques longs, qu’attestent encore les parlers dérivés du PR-A (sanguis/ sanguine[m] > sangue[m]). Les noms [+humain] tendent à se regrouper au contraire dans la flexion imparisyllabique à accent fixe (homo/ homine[m]) ou mobile (soror/ sorore[m], Petrus/ Petrone[m]), cette catégorie-ci recevant un apport frais des types alba/ albane[m], albus/ albone[m], baro/ barone[m], d’origine germanique; la marque du N est ici non pas -s, mais le thème bref; échappent à cette tendance, peut-être à cause de leur fréquence, quelques noms exprimant la parenté proche (patre[m], matre[m], fratre[m], filius/ filiu[m], filia[m]). Quelques noms originairement neutres conservent çà et là l’identité de thèmes entre N et A, comme nomen > SA nòmen ou nòmene 13 . 4.1.2.2.2.2 Le -s flexionnel du PR-B a deux origines, auxquelles correspondent deux fonctions. Au pluriel, il est un prolongement du PR-A; il y marque soit le pluriel des féminins (casa[m]/ / casas, illa[m]/ / illas), soit, par amalgame, le pluriel des cas obliques des masculins (murus/ muru[m]/ / muri/ muros, homo/ homine[m]/ / ho- 12 Ganzoni 1977: 198, Liver 1991: 86s. 13 Cette restructuration des thèmes doit probablement être rapprochée de celle que décrit Seidl pour le latin écrit (cf. ici même N7). 38 Robert de Dardel mini/ homines, illi/ illu[m]/ / illi/ illos). Au singulier, -s est une innovation du PR-B et marque, aussi par amalgame, le N de la plupart (cf. 4.1.2.2.2) des noms masculins parisyllabiques (murus/ muru[m], montis/ monte[m]); cette marque du N n’intervient probablement pas, du moins à l’origine, dans les noms imparisyllabiques masculins (homo/ homine[m]), et féminins (soror/ sorore[m]). Pour autant qu’on accepte l’hypothèse de cette structure protoromane, elle donne une réponse aux spécialistes du gallo-roman qui se demandent, comme Nyrop (1968: 188), laquelle des deux formes du N singulier flor et flors, nom féminin, est la plus ancienne. 4.1.2.2.2.3 Le -i flexionnel intervient d’une manière différente dans le pronom tonique et dans le nom. - Examinons d’abord le pronom. On a toujours admis que la morphémisation du pronom est en partie tributaire du modèle des pronoms et adjectifs interro-relatifs. Or, ici intervient une hypothèse de Lausberg 1971/ 2: 109s., 112, 147, qui tend à systématiser ce processus et qui, si elle est juste, modifie temporairement, à ses débuts, la structure du PR-B exposée en 4.1.2.1. - L’hypothèse comporte deux aspects: l’origine de illi et les fonctions de illi. (1) Du moment que le D illui se modèle sur l’interro-relatif cui (processus que je situe en PR-D), il est probable que le N se soumet à la même analogie, d’où illi (que je postule cependant en PR-B déjà), pour le masculin singulier et pluriel (Lausberg 1971/ 2: 109s.). (2) L’évolution des pronoms PR est régie par le modèle des interro-relatifs, dont la flexion casuelle est en partie conservée en PR-A: qui/ cuius/ quem/ quid. Or, le pronom interrogatif qui (correspondant au classique quis), qui semble ici donner le ton, ne distingue pas les genres masculin et féminin, de sorte que le relatif qui assume à son tour les deux genres (correspondant aux classiques qui et quae; cf. FR l’homme/ la femme qui . . .); en même temps que le N relatif féminin est absorbé par le relatif qui, le féminin quarum, non attesté en roman, l’est par quorum, ce qui laisse une trace dans le fait que le PR a illoru[m] à l’exclusion de illarum; et, étant donné que le pronom interrogatif substantif, dans l’ignorance où se trouve le locuteur quant au référent, ne connaît pas de distinction des nombres, le pronom relatif qui fait de même (FR l’homme/ / les hommes, la femme/ / les femmes qui . . .; cf. Lausberg 1971/ 2: 147). Sommes-nous donc autorisés à supposer ce schéma aussi dans les pronoms personnels, c’est-à-dire à supposer que le N illi y caractérise à l’origine indistinctement les deux genres et les deux nombres? Sur ce point, Lausberg 1971/ 2: 109s. n’est explicite ni dans le texte ni dans les tableaux afférents. S’il a existé, un tel état de choses doit avoir été éphémère et n’est plus attesté que partiellement, soit par l’invariant du nombre au masculin (en anc. FR, le pronom, il/ / il, et l’article, li murs/ / li mur, en anc. IT, le pronom, elli/ / elli, et l’article, il muro/ / i muri), soit par l’invariant du genre au pluriel (en OC, le pronom ilh/ ilh, et, en RH, le pronom sursilvain ei/ ei, bas-engadinois i/ i). Pour le reste, l’on a affaire d’emblée à la situation décrite en 4.1.2.1, à savoir avec le féminin illa[m]/ / illas (cf. anc. FR il/ ele/ / il/ eles); le pronom du masculin singulier illi subsiste aussi en IT (egli, dial. elli), et peut-être, de manière très marginale, dans le pronom dit «neutre» sursilvain (ei, igl) et bas-engadinois (i, id); dans le reste du domaine du 39 L’origine du génitif-datif PR-B, il est, selon mon hypothèse, effacé avant la période littéraire par la tendance à généraliser l’A illu[m]. - Le pronom N en -i laisse peut-être des traces dans le prolongement spatial occidental du CA, car on signale un otri (alteri) en aragonais mod. (Zamora Vicente 1967: 256) et, en castillan littéraire, otri (alteri) et nadi (nati), qui, selon Lloyd 1989: 187s., se seraient conservés par analogie avec qui. - Le système bicasuel de cette synchronie laisse aussi des traces dans les pronoms interro-relatifs en CA, OC, FR, IT et engadinois (Lausberg 1971/ 2: 148). Je passe maintenant aux noms masculins. Le -i n’y marque que le N du pluriel. Cette marque s’instaure d’emblée dans les masculins de II, murus/ muru[m]/ / muri/ muros, puis s’étend, par analogie, aux masculins de III, pedis/ pede[m]/ / pedi/ pedes. En ancien gallo-roman, avec l’effondrement du système morphologique bicasuel, le N pluriel originairement en -i est remplacé par la forme oblique en -s (FR mur/ / murs); le même processus doit être supposé en RH des Grisons (Liver 1995: 396-99). Dans la portion de la Romania où -s s’efface en période prélittéraire déjà (italoet daco-roman), la distinction morphologique N / cas obliques disparaît au profit d’un système syntaxique dont le pluriel est marqué par -i, muru[m]/ / muri, pede[m]/ / pedi. Rohlfs 1966-69/ 2: 30 N3 signale cependant un vestige isolé de la forme capillos dans la Valteline. Dans les noms féminins de I, il n’y a pas, au début, de morphémisation du N parallèle à celle qu’on observe dans les masculins; ce sous-système est donc syntaxique et prolonge celui du PR-A, casa[m]/ / casas. Les formes du pluriel en -as, bien intégrées aux systèmes de l’anc. FR et du RH (Liver 1995: 396-99), manquent en RO, mais laissent des traces nettes en italo-roman, dans le type la(s) porta(s) (Rohlfs 1966-69/ 2: 27-30). Sont également encore privés, à ce stade, d’une forme propre du N pluriel les féminins de III, clave[m]/ / claves; pour l’IT, Rohlfs 1966- 69/ 2: 32-34 estime en effet que le type le chiave, très répandu, remonte à la forme latine claves. En italoet daco-roman, cependant, de nouveau par l’effacement du -s, l’opposition de nombre s’oblitère (casa[m]/ / casa, clave[m]/ / clave), à la suite de quoi le pluriel de I est à son tour muni d’une désinence classique (casa[m]/ / casae, IT casa/ / case, RO cas / / case), les pronoms et articles suivant, ici aussi, le mouvement (IT la casa/ / le case, RO casa/ / casele). Au contraire, le pluriel de III, à la différence de III masculin, conserve en première instance son pluriel -e (IT la chiave/ / le chiave); l’alignement sur III masculin, avec -i, entièrement réalisé en RO (vulpe/ / vulpi), semble tardif dans l’IT le chiavi. La morphémisation du N se répercute sur les adjectifs, ce dont témoignent, en anc. FR, les masculins de II (buens/ buen/ / buen/ buens) et de III (forz/ fort/ / fort/ forz), tandis que les adjectifs féminins conservent la structure héritée du PR-A. 4.1.2.3 L’opposition fonctionnelle du N morphologique introduit en PR-B et de la forme héritée du PR-A, un ancien A, mais fonctionnant pour tous les cas obliques, est largement attestée en gallo-roman (anc. FR murs/ mur, cuens/ comte, etc.), tandis qu’en italo-roman et daco-roman, elle ne se reflète que dans la dimension diatopique ou sémantique (par exemple dans IT moglie = moglière), par la survivance 40 Robert de Dardel tantôt du N (presque exclusivement dans des noms [+an]), tantôt de l’A; si ma façon de concevoir cette évolution est correcte, on peut admettre que l’opposition fonctionnelle a existé également en italoet daco-roman prélittéraires, jusqu’à la chute du -s final, c’est-à-dire jusqu’à l’étape symbolisée par murus/ muru[m]/ / muri/ muros et pedis/ pede[m]/ / pedi/ pedes. 4.1.2.4 Le décalage initial entre le masculin de II avec un N du pluriel pourvu de la marque du N latin, -i, et le féminin de I avec un pluriel sans la marque correspondante, -ae, s’explique probablement par la fréquence respective des deux genres; le masculin, plus fréquent, comme aujourd’hui dans les parlers romans, reçoit une marque propre du N, que le féminin, moins fréquent, ne reçoit pas; c’est donc la charge fonctionnelle du morphème flexionnel qui intervient ici. Parallèlement, le masculin pluriel de III (pedi/ pedes) précède de loin le féminin correspondant (clavi). Sous ce rapport, les pronoms se moulent sur les noms. La différence de traitement du pluriel entre les déclinaisons I (-as) et II (-i/ -os) a donné lieu à un débat scientifique prolongé, dont l’issue reste incertaine, témoin Rohlfs 1966-69/ 2: 27-30. Le problème a été traité surtout par l’école scandinave, qui invoque une influence de la déclinaison osque (cf. Väänänen 1981: 108s., avec références bibliographiques), à laquelle se réfère encore Geckeler 1996: 205. Dans un article détaillé, Gerola 1950 voit une tradition continue du féminin en -as, de cette origine italique jusqu’aux parlers romans (par exemple au FR filles), en passant par des attestations latines, dont certaines remontent à l’ère pré-chrétienne; l’origine de l’opposition casuelle de II (FR mur/ murs) lui paraît plus récente. Dans mon optique, son analyse est correcte, mais il n’est pas nécessaire de recourir à l’hypothèse osque, car -as s’inscrit, avec -os et -es, dans le système syntaxique PR du premier cycle; quant à la différence entre I et II, plus tardive, l’explication que j’en donne ci-dessus devrait suffire 14 . 4.1.2.5 Voici des exemples du N morphologique du nom. CA company (companio), drac, hom, lladre, pastre, anc. sastre (sartor), sènyer, sor (soror) - FR ancêtre, chantre, copain, cuens, fils, gars, nièce, on, pâtre, peintre, anc. sartre, sire, soeur, tante, traître - IT uomo, ladro, moglie, prete, re, sarto, suora - RH engadinois müráder, neiv, páster, pecháder, sursilvain rumpáder (dalla lètg) adultère - RO drac, împ rat, jude, mire (miles), oaspe, om. 14 La question de savoir si le RH, dans l’ensemble ou dans un sous-ensemble de ses parlers, a connu le système comportant le GD morphologique bifonctionnel (qui apparaîtra en PR-D et dont le précurseur syntaxique se profile dès le PR-C), n’a reçu que des réponses vagues ou contradictoires. Dans Dardel 1964: 19, je me montre très réservé à ce sujet. Chez Dardel/ Wüest 1993: 47s., 56, en revanche, le bilan est présenté comme nettement positif: il y a «suffisamment de raisons pour classer le RH parmi les langues du second cycle» (56); cette attitude est motivée par d’évidents vestiges de cas autres que le N et l’A, parmi lesquels des dérivés de illui et de illoru[m]. Après lecture de certaines critiques et un réexamen des données, je suis arrivé à la conclusion que, sinon tous les parlers RH, du moins ceux des Grisons, se rattachent au PR-B et que les étapes postérieures ne s’y manifestent pas (ce problème sera repris plus en détail dans Dardel, en préparation). Dans la présente étude, je tiens naturellement compte de cette nouvelle donnée. 41 L’origine du génitif-datif 4.1.3 En protoroman-C, nous avons, comme en protoroman-B, un système morphologique bicasuel, mais où le G est identique au D. Ce système affecte l’aire du PR- B, sauf le domaine RH et éventuellement d’autres aires, qu’il reste à reconnaître. Dans ce système, le G [+an] et le D, qui ont en commun le trait [+possession], adoptent aussi une préposition commune, le ad du D, de sorte que les deux cas en viennent à ne se distinguer plus que par la construction: adnominale et adverbale. Nous sommes ici en présence d’un GD syntaxique, qui, dans mon idée, est à l’origine du GD morphologique PR, lequel apparaîtra avec les mêmes fonctions en PR-D. La déclinaison se présente alors, au singulier du masculin, comme suit. NOMS DE II [+animé] [-animé] N Paulus murus G ad Paulu[m] de muru[m] GD D ad Paulu[m] A Paulu[m] muru[m] PRONOMS TONIQUES [+animé] [-animé] N illi illi G ad illu[m] de illu[m] GD D ad illu[m] A illu[m] illu[m] Voici quelques exemples qui illustrent le GD syntaxique du PR-C en fonction de G; la fonction de D a déjà été illustrée en 4.1.1. OC . . . fraire al rei Anric . . . King Henry’s brother (Jensen 1986: 25) FR la fille al rei (anc.); li ostel as chevaliers (anc.); . . . fille ert a un prince vaillant . . . («Vair Palefroi», in: Foulet 1930: 20); Fius a putain . . . («Jeu de la Feuillée», in: Foulet 1930: 20); sa maison à elle (mod.); vin aux chevaulx Pferdewein , d. h. Wasser (AFW 2,355); . . . isnelement Feroiz en mer le saut au chien . . . werdet ins Meer geworfen werden (AFW 2,221) IT in mano a qualcuno au pouvoir de quelqu’un (mod.); è moglie al capo stazione elle est la femme du chef de gare (napolitain, Rohlfs 1966-69/ 3: 16); a cchi i la fijje di chi sei la figlia? (Abruzzes, Rohlfs 1966-69/ 3: 16) RO trestie a c rtularu plume d’écrivain (anc., Rosetti 1986: 491); Iacov b a lu Zebedeiu Jacques, (fils) de Zébédée (Evangile de Matthieu, Gaster 1890-92: 205, Mt 4,21); tat a doi fii père de deux fils (Iliescu/ Macarie 1964: 441) Dans ce système, les constructions avec un pronom D atone, mentionnées en 4.1.1, conservent leur fonction de terme adverbal, mais sans adopter la fonction adnominale. Que se produit-t-il donc au passage du PR-B au PR-C? Le G de possession s’associe au D, mais pas à n’importe lequel. Il est probable qu’au début n’intervient 42 Robert de Dardel que le D de possession inaliénable; dans taliat Paulu[m] capillos ad Petru[m], la possession inaliénable fait que l’on peut, sans trahir le sens de la proposition, interpréter ad Petru[m] comme un G de possession, d’où le remplacement de de Petru[m] par ad Petru[m] dans le G. Pareil processus n’est guère probable avec un D de possession attribuable, puisque, dans par exemple dat Paulu[m] libru[m] ad Petru[m], le terme ad Petru[m] ne saurait être interprété comme un G qu’au prix d’un biaisement du sens. La limite entre possession inaliénable et attribuable n’est cependant pas toujours nette. Dans ces conditions, tôt ou tard, peut-être déjà en PR-C, le G avec ad s’étend aux objets attribuables, comme on l’observe dans le FR le livre à Pierre, la pâtée à Médor. Toujours est-il qu’on est ici en présence d’un GD que caractérisent les traits [+possession, +an] pour le contenu, et ad avec nom ou pronom pour l’expression. Contre toute apparence, le D de possession du latin écrit n’est probablement pas à l’origine du GD; j’y reviens en 4.2.1.1. 4.1.4 En protoroman-D, nous avons un système morphologique tricasuel. 4.1.4.1 Dans l’espace, le PR-D recouvre approximativement le PR-C (cf. cependant 4.2.1.2). La nouveauté du PR-D réside dans le remplacement du GD syntaxique par un GD morphologique, processus qui s’accomplit dans les deux structures, les pronoms et les noms, et engendre un système morphologique tricasuel. 4.1.4.1.1 Dans les pronoms toniques, alors que l’A et le N conservent leurs formes respectives antérieures, il y a, pour le GD, des formes nouvelles, qui sont empruntées plus ou moins directement à la norme classique. Le GD, toujours réservé aux termes [+an], est désormais constitué de formes à désinence tonique, avec, au singulier, une distinction morphologique des genres: ill’ui/ ill’aei/ / ill’oru[m]; les deux formes du singulier résultent d’une contamination des anciens datifs illi et illae (non classique) et du pronom interro-relatif c’ui; la forme du pluriel est assumée par le G, qui, à la différence du D classique illis, a également une désinence tonique. PRONOMS TONIQUES [+animé] [-animé] singulier pluriel singulier N illi illi illi G ill’ui/ ill’aei ill’oru[m] de illu[m]/ illa[m] GD D ill’ui/ ill’aei ill’oru[m] A illu[m]/ illa[m] illos/ illas illu[m]/ illa[m] Dans les parlers romans, le GD pronominal hérité du PR-D laisse des traces importantes, comme cas bifonctionnel, sous la forme de pronoms et, en RO, en outre, 43 L’origine du génitif-datif sous la forme d’articles; dans les mêmes parlers, on trouve le GD, avec ses deux fonctions, aussi dans le pronom interro-relatif issu de cui (cf. le tableau en 3.1.2). Le pronom D issu du latin illi/ / illis est attesté, dans la seule fonction de D, en gallo-roman, en italo-roman et, pour le singulier, en RO. Pour le D singulier, on trouve encore l’opposition de l’ancienne forme, atone, et de la nouvelle forme, tonique, en anc. FR (li/ lui) et en IT (gli/ lui). En IT méridional, où les dérivés de illui et illaei font défaut, les formes toniques obliques ressortissent au PR-C: calabrais ad iddu a lui , a iddi a loro ; seul loro pénètre dans cette aire (exemples, mais uniquement après préposition, chez Rohlfs 1966-69/ 2: 138). Illoru[m] en fonction de G ne se généralise que relativement tard; cela tient sans doute à la concurrence de suus; c’est le cas en anc. FR (cf. Gamillscheg 1957: 168); en IT central, loro adnominal est attribué à une influence gallo-romane ou septentrionale; en IT septentrional, il est peu fréquent dans les textes anciens et n’est populaire dans aucun des dialectes actuels; en IT méridional, il est circonscrit à quelques zones et provient de la langue littéraire (Rohlfs 1966-69/ 2: 122-24). Voici quelques exemples du GD morphologique (groupés par couples de fonctions). pronoms CA . . . quant eren tornatz a lur casa feyen almoyna . . . quand ils étaient retournés à leur maison, ils faisaient l’aumône (Llull, DCVB 7,88, s. llur); les gens lur donen ofrenes les gens leur donnent des offrandes (Llull, DCVB 7,88, s. llur) OC . . . mas eu am domna senhoril, . . . li cui fag son clar e gentil but I am in love with a fine lady whose deeds are distinguished and noble (L. Cigala, Jensen 1986: 24); . . . lo reis cui el laisset la terr . . . the king to whom he left his land (Cercamon, Jensen 1986: 144) . . . tol lor chastels . . . he takes their castles (B. de Born, Jensen 1986: 126); . . . qan lur platz . . . when it pleases them (A. de Peguilhan, Jensen 1986: 95s.) FR Lur dous amfanz volent faire asembler . . . ils veulent unir leurs deux enfants («Vie de saint Alexis», in: Storey 1968: 95, v. 45); Un filz lur dunet . . . il leur donna un fils («Vie de saint Alexis», in: Storey 1968: 93, v. 28) . . . la bouche, la cui douceurs au cuer me touche . . . the mouth whose sweetness touched my heart («Piramus», in: Jensen 1990: 207); dahez ait cui ce est bel cursed be he to whom this is agreeable («Chrétien de Troyes», in: Jensen 1990: 207) IT . . . io uoglio que tu mmi diki cui filgiuolo io fui . . . je veux que tu me dises de qui je fus le fils («Cento Novelle antike», in: Wiese 1928: 215, t. xxxi, l. 35s.); . . . dimandarono chi costoro fossero cui la fortuna è tanto contraria . . . ils demandèrent qui étaient ces gens à qui la fortune est si défavorable (Boccace, Rohlfs 1966-69/ 2: 192) la loro casa leur maison (mod., Rohlfs 1966-69/ 2: 137); scrissi loro je leur écrivis (mod., Rohlfs 1966-69/ 2: 137) . . . il lui padre . . . son père (Straparola, Rohlfs 1966-69/ 2: 137); . . . mostrato ho lui tutta la gente ria . . . je lui ai montré tous les damnés (Dante, Rohlfs 1966-69/ 2: 137) . . . la lei bellezza . . . sa beauté (Straparola, Rohlfs 1966-69/ 2: 137); . . . ond’io risposi lei . . . je lui répondis alors (Dante, Rohlfs 1966-69/ 2: 137) 44 Robert de Dardel RO cui (génitif, Rothe 1957: 84); cui îi place vinu? à qui plaît le vin? ; A dat cui a cerut Il a donné à qui a demandé . . . nu lu lasara elu ucenicïi lui . . . mais ses disciples ne le laissèrent pas faire (Sbiera 1885: 10); lui ( i nu altuia) am dat o carte c’est à lui (non à l’autre) que j’ai donné un livre . . . în sfatul lorù nu soseasc sufletul mieu . . . que mon âme ne suive pas leurs conseils (Meyer-Lübke 1890-1906/ 3: 90); . . . dezd¸ ise-se loru . . . il leur refusa (Sbiera 1885: 2) articles RO îngerul domnului l’Ange du Seigneur (Evangile de Matthieu, Gaster 1890-92: 202, Mt 1,20); C ntecul lui David Psaume de David (Psaltirea scheian , Bianu 1889: 6, Ps 3,1); d cartea elevului il donne le livre à l’élève vita c mpiloru bétail (Psaltirea scheian , Bianu 1889: 20, Ps 8,8); . . . i d me teriloru lucrare nu pu ina . . . procurait aux artisans des gains très appréciables (Sbiera 1885: 8) . . . i to i revnitori legiei sintu . . . et tous sont d’ardents partisans de la Loi (Sbiera 1885: 30); . . . se r spund gloateei . . . [qu’]il voulait s’expliquer devant l’assemblée (Sbiera 1885: 12) Il s’agit maintenant d’expliquer l’évolution qui aboutit au système du PR-D. Sans doute faut-il distinguer plusieurs étapes. (1) Comme je l’ai déjà fait remarquer, le PR-C possède, en fait de pronoms, non seulement le GD syntaxique (ad illu[m]/ ad illa[m]/ / ad illos/ ad illas), mais aussi le D morphologique illi/ / illis, que nous connaissons par la norme classique et qui devient finalement, par clitisation, le D de la série atone du PR; cet affaiblissement se manifeste du reste, çà et là, par un renforcement au moyen de ad (cf. RH des Grisons [Surselva, Sutselva] agli, pronom et article masculin et féminin singulier, < ad illi). (2) illi/ / illis ne distinguant à l’origine pas les genres, il se forme, au singulier, un féminin illae (conservé dans l’IT le, Rohlfs 1966-69/ 2: 154s.). (3) Dans l’aire du PR-D, il se produit un nouveau pronom D, tonique, par un renforcement du pronom existant sur le modèle des pronoms plus étoffés que sont le pronom interro-relatif D cui pour le singulier et le pronom G illoru[m] pour le pluriel, de sorte que toutes les nouvelles formes ont en commun l’accent sur la deuxième syllabe; ce processus peut être rapproché de celui qui, dans le lexique, renforce auru[m] au moyen d’un suffixe: auriculu[m]. - Pour le pluriel n’est retenue que la forme masculine illoru[m], point la forme féminine illarum, soit parce que, au G, le concurrent, suus, n’indique pas non plus le genre du possesseur (Meyer-Lübke 1934: 195), soit, selon l’hypothèse de Lausberg (cf. 4.1.2.2.2.3), par analogie avec quorum. (4) Jusqu’ici, l’évolution ne concerne probablement que le D du singulier et le G du pluriel, et c’est seulement dans une étape suivante que les nouveaux pronoms toniques se chargent, en plus, de la fonction de G du singulier et du D du pluriel. Le modèle de cette extension de fonction me semble être la structure préexistante du GD syntaxique. - Entre cette étape-ci et celle décrite à l’alinéa précédent, il y 45 L’origine du génitif-datif a donc un décalage chronologique, qui explique que, dans plusieurs catégories pronominales, savoir cui en CA et illui/ illaei en gallo-roman, la fonction de G fasse défaut (cf. le tableau en 3.1.2). - Puisque la série tonique ne se réalise que graduellement, les occurrences romanes de ses dérivés peuvent ne pas représenter le GD avec ses deux fonctions, ni par conséquent le système tricasuel morphologique décrit ici 15 . 4.1.4.1.2 Dans cette étape de l’évolution, l’A des noms ne fait que continuer la forme unique du PR-A, ou ses substituts éventuels du PR-B et C, et le N continue la forme du PR-B et C, tandis que le GD, jusqu’ici syntaxique, se morphémise, sous la forme d’une désinence casuelle propre empruntée plus ou moins à la norme classique; le singulier s’exprime par la désinence du datif des déclinaisons I, II et III, tandis que le pluriel s’exprime par la désinence du génitif -oru[m], quels que soient la déclinaison et le genre du nom, en conformité avec le pronom illoru[m]. Au niveau du contenu, ce système morphologique tricasuel est calqué, comme le système pronominal tonique, sur le système casuel syntaxique du PR-C. NOMS de II [+animé] [-animé] singulier pluriel singulier N Paulus filii murus G Paulo filioru[m] de muru[m] GD D Paulo filioru[m] A Paulu[m] filios muru[m] A cette étape encore, l’adjectif se conforme à la déclinaison du nom, ce dont le RO conserve le souvenir au singulier du féminin: déclinaison I bune < bonae, déclinaison III verzi < viridi. Sur la voie de la syntagmisation subséquente, le GD morphologique nominal tend à s’assimiler à l’A, soit par fusion phonétique (Paulo se confondant avec Paulu[m]), soit par syncrétisme (par exemple dans la disparition de la forme en -oru[m]); toutefois, les constructions adnominale et adverbale subsistent un certain temps, malgré l’effacement des flexions, sous la forme de cas syntaxiques sans préposition: anc. FR la fille le rei/ escrist le rei; seul le RO conserve des traces du GD morphologique. Voici quelques exemples du GD nominal d’origine morphologique (classés autant que possible par couples de fonctions). CA G . . . dinaven a casa els pares del marit . . . ils dînaient chez les parents du mari (Llull, Dardel 1964: 21); casa el meu pare maison de mon père (Valence, DCVB 3: 7) 15 Dans l’article de Dardel/ Wüest 1993, cette perspective a été faussée par l’idée que les deux fonctions du GD pronominal apparaissent simultanément. 46 Robert de Dardel OC G . . . pregava la molher son senhor . . . he wooed the wife of his lord (Jensen 1986: 23); . . . Marcabrus, fills Marcabruna . . . Marcabru, son of Marcabrune («Marcabru», in: Jensen 1986: 23) D . . . e cum ác molliát lo pá, donet ló Júda . . . and when he had soaked the bread, he gave it to Judas (Evangile de saint Jean, Jensen 1986: 27, Jn 13,26) FR G . . . gent paienour . . . («Roland»); . . . Cupido, li filz Venus . . . («Roman de la Rose», in: Jensen 1990: 19); Baume-les-Dames (toponyme); Pro Deo amur . . . pour l’amour de Dieu , Jonam gardas senz paine Trois jors el ventre la balaine (AFW 1: 815); à la queue leu leu [ou le leu? ] à la queue du loup , jeu d’enfants (AFW 5: 694) D . . . l’uns en sa bourse pris les ha et tantost Judas les donna . . . one took them in his purse and immediately gave them to Judas (Robert de Boron, Jensen 1990: 28); ce n’est pas Dieu permis (mod., Ménard 1968: 14); . . . et fist sen keval le gambet . . . et donna à son cheval un croc-en-jambe («Jeu de la Feuillée», in: Foulet 1930: 28) IT G il regno feminoro (anc.); a casa la donna (Boccace, Rohlfs 1966-69/ 3: 5); a casa le buone femine (Boccace, Rohlfs 1966-69: 3,5); in casa un buffone (Sacchetti, Rohlfs 1966- 69/ 3: 5); il nodo Salomone (Dante, Rohlfs 1966-69/ 3: 5); la Dio mercè (Boccace, Rohlfs 1966-1969/ 3: 5); lo Deu temore (anc. lombard, Rohlfs 1966-69/ 3: 5); Monte l’Abbate (toponyme, Rohlfs 1966-69/ 3: 6); in casa il nonno (toscan populaire, Rohlfs 1966- 69/ 3: 5) On note dans les exemples romans ci-dessus l’absence de fonction D en CA et en IT. Cela peut signifier soit que le D morphologique nominal manque, dans ces deux aires, en PR déjà, soit qu’il y existe, mais disparaît de bonne heure, chose plausible, vu qu’un syntagme verbal est moins stable, en diachronie, qu’un syntagme nominal. Au fur et à mesure que le GD morphologique disparaît, les cas syntaxiques prépositionnels correspondants, hérités du PR-B et C, viennent le remplacer: anc. FR la fille al rei, la fille del rei/ escrist al rei. 4.1.4.2 Ici, quelques remarques sur le roumain s’imposent. 4.1.4.2.1 J’ai soutenu (4.1.2.2.1) que les bases OVS et SVO, qui régissent le PR-B, contribuent à rendre superflue la distinction de l’A et du N par la préposition ad, qui caractérise le PR-A, et que le ad dans cette fonction amorce alors son déclin. Comment se fait-il donc que, plus tard, le daco-roumain réintroduise une préposition, à savoir pe, apparemment dans le même but de désambiguïsation (cf. ILR 2: 284, avec références bibliographiques)? Meier 1948: 151 a avancé l’explication suivante: au ad + A [+an] et au ad + D s’ajoute, à un moment donné (qui correspond à mon PR-C), ad + G possessif, dont le RO porte les traces; il en résulte une polysémie fâcheuse, qui entraîne, à l’A, le remplacement de ad par pe. Pour ma part, je songe à une autre cause: le ad devant l’A disparaît pour les raisons que j’ai indiquées ci-dessus, tandis qu’au N les noms sont morphémisés et le pronom illu[m] remplacé par illi; plus tard, après l’effacement de -s (cf. 4.1.2.3), se produit la fusion du N et de l’A dans les noms 47 L’origine du génitif-datif et les pronoms, laquelle est compensée, et pas forcément de manière redondante, par cette nouvelle marque de l’A, dont il faut souligner qu’elle est inconnue de l’istro-roumain, du megléno-roumain et de l’aroumain (Pu cariu 1943: 105-07); le pronom tonique se décline actuellement el/ lui/ pe el/ / ei/ lor/ pe ei; de toute manière, dans la construction gérondive du type b tînd (pe) el, où subsiste l’ancien ordre PR VSO, pe a, sans doute depuis la disparition d’un N morphologique, une fonction désambiguïsante. Pour pouvoir trancher, il faudrait tirer au clair la chronologie relative, dans la Romania orientale, de quatre évolutions: (1) le passage de VSO à OVS et SVO et la morphémisation du N, (2) la suppression de ad + A, (3) l’introduction du G avec ad [+an], (4) la fusion des cas morphologiques du N et de l’A. Mon explication se fonde sur cet ordre-ci, dicté par la situation en RH des Grisons, tandis que celle de Meier implique que l’étape (3) précède l’étape (2). 4.1.4.2.2 Il arrive en roumain que le cas soit exprimé à la fois syntaxiquement, par la préposition dérivée de ad, et morphologiquement, par l’article fléchi: aroumain nipoata a vi înilei la nièce de la voisine / lu dau a vi înilei je donne à la voisine (Maria Iliescu, communication personnelle). Comme je l’ai signalé en 4.1.4.1.1, il se produit un phénomène analogue en RH, dans le pronom ou article agli (< ad illi). Cependant, tandis que l’exemple rhétoroman implique l’évolution illi > ad illi, les exemples aroumains supposent, dans mon optique, l’antériorité du cas syntaxique au cas morphologique, donc PR-C nepota[m] ad vicina[m]-illa[m] > PR-D nepota[m] ad vicina[m]-illaei. 4.1.4.2.3 Incompétent pour porter un jugement sur la théorie qui voit dans le GD RO une origine balkanique (3.2), je dois me contenter de résumer l’état des recherches. Dans une étude remarquablement objective, Schaller 1975: 136-41 (avec de nombreuses références bibliographiques) évalue les principales thèses: les substrats, l’influence d’une langue balkanique sur les autres, l’influence du RO sur ses voisins du sud d’une part, du grec sur ses voisins du nord d’autre part. Dans sa conclusion, il penche pour l’influence du RO sur ses voisins, étant admis par ailleurs que le GD RO a son origine en latin ou en PR. 4.2 Pour terminer, voici quelques considérations plus générales sur la théorie révisée. 4.2.1 Il faut en premier lieu justifer la chronologie PR-C > PR-D. 4.2.1.1 Je précise d’abord la partie de l’hypothèse qui s’y rapporte. En 3.1, où je décris l’évolution du système casuel PR en l’état actuel des recherches, la construction possessive adnominale, avec ad et de, et adverbale, avec ad, est vue comme postérieure au GD morphologique et comme s’y substituant dans le système 48 Robert de Dardel (l’espee Rolant > l’espee a/ de Rolant, escrist le rei > escrist al rei). C’est là une manière de voir largement admise par les historiens de la langue, notamment du gallo-roman, qui constatent que, dans les textes, la réduction du GD morphologique va de pair avec l’apparition ou l’extension du GD syntaxique. L’originalité du présent article est d’inverser en partie cette chronologie, en admettant que le GD syntaxique existe antérieurement (en PR-C) au GD morphologique (PR-D), subsiste à côté de celui-ci et s’y substitue finalement, en tout cas pour les noms, en reprenant dans le système la place qu’il occupe à l’origine. Cette chronologie a été retenue par moi, parce que j’y vois la seule explication de ce que, au niveau du contenu, le GD apparaît relativement tard (en PR-C) et fait défaut dans les domaines ressortissant au PR-A et B; en effet, le contenu du GD n’a pu se former qu’à partir de l’adoption par le D et le G d’une expression commune, celle avec ad, en PR-C. Il y a, il est vrai, en latin écrit, le D de possession, donc [+an], du type Petro librum est et son pendant pronominal, illi librum est, ainsi que la construction adnominale correspondante attestés déjà chez Plaute et chez Térence. On s’attendrait à ce qu’il en dérive en PR des constructions adnominales comme libru[m] Petro, libru[m] illi. - Or, tout d’abord, pour ce qui est du pronom, rien de tel ne paraît se produire à cette étape de l’évolution; seule la construction adverbale est attestée au niveau roman: RO îmi este foame j’ai faim , îmi iubesc nevasta j’aime ma femme ; il existe une construction adnominale en RO, comme în frumosiii ochi dans tes beaux yeux , mais dont Niculescu 1987 précise qu’il s’agit d’un développement tardif, proprement RO et probablement d’origine néogrecque 16 . Il est vrai que cette analyse ne mentionne que le D pronominal, alors que, par ailleurs, les textes latins non classiques connaissent le D nominal du type librum Petro, « . . . l’usage resté toujours vivant, que la langue populaire fait depuis l’époque ancienne du datif pour exprimer le rapport de possession . . . » (Väänänen 1981: 114s.), de sorte qu’un rapprochement avec le GD morphologique adnominal, que prolonge le FR la fille le rei, paraît de prime abord justifié. Il y a pourtant un obstacle à ce rapprochement: le PR le plus ancien, largement postérieur à Plaute et à Térence, ne connaît pas ce type, dont l’apparition en latin écrit plus tardif, limitée à la Romania continentale centrale et orientale, pourrait aussi bien être un reflet du latin parlé que représente le PR-D. 4.2.1.2 Plusieurs arguments peuvent être avancés à l’appui de l’hypothèse que je viens d’exposer, celle donc de la chronologie PR-C > PR-D. En premier lieu, au moment de la syntagmisation du système morphologique tricasuel, on trouve, en gallo-roman et en RO, pour les cas obliques, d’emblée la situation du PR-B et C: le G [+an] construit avec de (de Paulu[m]) ou ad (ad Paulu[m]), le G [-an] construit avec de (de muru[m]), et le D construit avec ad (ad Pau- 16 Si cet auteur a raison, les exemples du type adnominal que j’ai donnés jadis (Dardel 1964: 18) sont nuls et non avenus. 49 L’origine du génitif-datif lu[m]). Dans mon hypothèse, il s’agit là de constructions existant déjà antérieurement au système tricasuel, d’autant plus que, de grammaires comme celles de Foulet 1930 et de Moignet 1979, il n’appert pas nettement, par la date de leur attestation, que ces constructions se forment plus tard que celles avec des cas morphologiques. En deuxième lieu, les règles d’emploi du GD morphologique en gallo-roman, longuement exposées par Foulet 1930: 8-32, forment seulement un sous-ensemble de celles qu’on trouve, pour les cas syntaxiques correspondants, en PR-B et C; ainsi, selon Foulet 1930: 20, le déterminant exprimé par un GD morphologique «représente toujours un individu spécifiquement désigné»; si tel n’est pas le cas, la langue de l’époque recourt à la préposition a: Fille ert a un prince vaillant (cf. les exemples du PR-C). Pour Moignet 1979: 93, de même, la préposition est normale quand le nom au GD adnominal n’est pas «actualisé». Un troisième argument est le décalage diatopique entre le système du PR-C et celui du PR-D, dont on peut conclure à un écart chronologique: l’antériorité du GD syntaxique par rapport au GD morphologique. Il se peut par exemple que ce que je considère comme un vestige du GD syntaxique nominal dans le sud de l’Italie, en napolitain ou dans les Abruzzes (voir les exemples du PR-C), ressortisse à un système où le GD morphologique ne s’est pas implanté dans la langue populaire (cf. aussi l’argument suivant). D’autre part - quatrième argument -, comme le système nominal du PR-D met en œuvre des éléments morphologiques de la norme classique, il faut bien qu’il ait son origine dans un milieu auquel cette norme est relativement familière; il y aurait donc ici, au départ, une différence d’ordre sociolinguistique. Cette origine particulière du GD morphologique rejoint l’impression de certains chercheurs pour qui le système tricasuel morphologique pourrait avoir été la marque spécifique d’un niveau de langue limité, et le système syntaxique, la norme des masses dans sa constance. Ainsi Meyer-Lübke 1934: 178 dit à propos du FR: «Beachtenswerterweise zeigen die literarischen Texte die Flexion länger, während mehr volkstümliche, dem praktischen Leben entstammende . . . sie stark vernachlässigen». Pour Foulet 1930: 31, le GD morphologique en fonction adverbale est assez fréquent dans la vieille langue, «du moins en poésie». Je ne sais pas, en revanche, si son observation (1930: 21) que le GD morphologique en fonction adnominale est restreint aux relations de parenté et aux noms et titres désignant «les grands de ce monde et de l’autre» a quelque rapport avec le présent argument. Pour l’Italie, on relève que le GD morphologique pronominal n’est guère ancré dans la langue commune, mais limité aux textes littéraires. Pour le sud, Tekavciˇ 1980/ 2: 200 précise que lui, lei et loro ne sont pas devenus populaires, qu’à leur place on trouve des dérivés de illu[m] et ipsu[m] et qu’à l’IT parlo di lui correspond parlo de illu/ esso, etc., construit comme en ES. 4.2.1.3 Tout bien considéré, dans l’ensemble de l’évolution, le GD morphologique se présente comme une parenthèse de plusieurs siècles, qui tend à se refermer en 50 Robert de Dardel roman continental central, mais qui reste relativement ouverte en balkano-roman, où elle s’implante définitivement 17 . 4.2.2 Il faut cerner davantage les traits du génitif-datif. 4.2.2.1 D’abord en ce qui concerne le trait [+an]. Si le GD syntaxique s’est formé comme je le pense, c’est-à-dire à partir de constructions prépositionnelles avec le trait [+an], ce cas s’applique aussi bien aux animaux qu’aux humains. J’ai cité des GD avec un nom [+an, -humain] en fonction de G syntaxique (PR-C; d’autres exemples se trouvent chez Palm 1977: 106) et en fonction de G morphologique (PR- D). Les historiens des parlers gallo-romans, en mettant l’accent sur le fait que le GD morphologique s’applique aux êtres humains, ont tendance à traiter les exemples avec des noms d’animaux comme quantité négligeable ou à les expliquer par divers facteurs ponctuels; mieux vaut, je crois, reformuler la règle traditionnelle: elle concerne les noms [+an], animaux inclus. Ce trait paraît confirmé par les règles qui régissent encore aujourd’hui le GD syntaxique en FR ([couper] les cheveux à Pierre, [couper] la queue à Médor, *[couper] une branche au chêne) ou en IT ([tagliare] i capelli a Pietro, [tagliare] la coda al cane, *[tagliare] un ramo alla quercia). Seul le RO, à ma connaissance, utilise systématiquement le GD aussi avec des noms [-an], passant donc, postérieurement au PR, par métaphore, du type «le pied de l’homme» au type «le pied de la table». En gallo-roman, le GD morphologique avec un nom [-an] est exceptionnel (cf. Palm 1977: exemple 265). 4.2.2.2 On répète que le GD s’emploie avec des noms ou pronoms [+défini]. Dans l’ensemble, cela est effectivement le cas; les quelques exceptions rencontrées (surtout en RO: i-am ar tat unui om j’ai montré à un homme , Pop 1948: 173) peuvent être mises sur le compte de généralisations tardives. Le trait [+défini] remonte probablement au PR, où cependant son origine ne saute pas aux yeux; le seul indice que je puisse y trouver, pour le moment, est le fait que le terme nominal au GD est le plus souvent un nom propre de personne, qui est défini; le dépouillement considérable effectué par Palm dans des textes en anc. FR montre que dans les syntagmes du type li filz le rei, l’écrasante majorité des termes en fonction de G sont des noms propres de personne, masculins ou féminins (Palm 1977: 113). 4.2.3 Le G objectif (type amor de pecuniam), que je n’ai pas encore mentionné, se construit en PR avec de ou, dans les parlers romans, avec des prépositions plus explicites (FR l’amour pour l’argent). Même avec un nom [+an] (FR l’amour de son prochain), il ne tombe pas dans la sphère d’influence du G possessif (sauf exception; cf. Foulet 1930: 15; Palm 1977: exemples 38-41), de sorte qu’en anc. FR on 17 Au demeurant, l’évolution qui se déroule en PR-B, C et D montre que c’est une illusion de croire, comme je l’ai fait moi-même jusqu’il y a peu, que le système morphologique tricasuel s’est formé d’un seul coup. Il n’y a en réalité pas de raison pour cela: la morphémisation du N et celle du GD non seulement n’ont pas lieu en même temps, mais aussi résultent de processus distincts. 51 L’origine du génitif-datif oppose encore assez systématiquement la Dieu merci (G possessif) à l’amour de Dieu (G objectif). En RO, par contre, le G objectif est englobé dans le système morphologique: frica domnului la crainte du Seigneur . 4.2.4 Le moment est venu de se demander si l’apparition du GD influence l’ordre des termes. En PR, la place d’un nom en fonction de G par rapport au déterminé se conforme à une règle presque constante: du début du PR aux parlers romans, la postposition est normale, sauf, semble-t-il, durant une période d’antéposition assez brève, qu’illustre le type la Dieu merci. La place respective des deux objets nominaux à l’A et au D à la suite du verbe obéit peut-être également à une règle, selon laquelle l’A vient en première place, le D en seconde place, pour peu que la proposition soit non marquée et que l’A ne soit pas un terme particulièrement long (loi des termes croissants de Behaghel); tel semble être le cas des parlers qui ressortissent au PR-A et au PR-B; England 1983 le constate pour l’anc. ES et Jones 1990: 330 pour le SA; Vonmoos 1942: 56 N2 écrit qu’en engadinois les objets nominaux ont le plus souvent l’ordre A+D, par exemple, en Basse-Engadine, dans Il babsegner requinta ün’i torgia a l’abiadi le grand-père raconte une histoire au petit-fils ; aux termes de mon hypothèse, un énoncé comme celui de l’Engadine prêterait à confusion si ad + nom ou pronom tonique pouvait aussi avoir la fonction de G, ce qui sera le cas dès le PR-C. Ici, en effet, la situation change. Dans une proposition où le terme exprimant la possession suit un objet A, comme dans taliat Paulus capillos ad Petru[m], il se peut que les deux constructions, adnominale et adverbale, se neutralisent, dans la mesure du moins où un complément adnominal est normalement postposé au terme qu’il complète; en tout cas, les romanistes ne se font pas faute de signaler l’ambiguïté qui caractérise, en roman, les propositions de ce type (Jensen 1986: 26, 1990: 28, hom sui Rollant I am a vassal to Roland ou I am Roland’s vassal ). Il se peut aussi qu’on ait eu tendance à expliciter ces fonctions par la position des termes, en opposant les types Paulus taliat capillos ad Petru[m] (adnominal) et Paulus taliat ad Petru[m] capillos (adverbal); en effet, la règle qui veut qu’après le verbe l’objet D précède l’objet A semble avoir existé en anc. FR, ce que signalent Foulet 1930: 27-31, avec plusieurs exemples (comme Prestez vostre oncle et mon seigneur vostre palefroi, Vair Palefroi), et Togeby 1974: 56, et elle vaut encore en RO, si l’objet D n’est pas particulièrement long (dau elevului o carte je donne à l’élève un livre , Pop 1948: 446); dans les deux cas, avec l’ordre inverse, l’objet D serait interprétable comme adnominal, donc comme G. 4.2.5 Jusqu’ici, dans la présente étude, j’ai décrit l’évolution, mais ne l’ai expliquée qu’en partie, et uniquement par des facteurs internes. Deux éléments de la description restent inexpliqués, à savoir la syntagmisation radicale au niveau du premier cycle et la morphémisation à celui du second. Cependant, si cette alternance diachronique de la syntagmisation et de la morphémisation est réelle, ce qui me paraît 52 Robert de Dardel difficilement réfutable, il faut bien tenter d’en rendre compte. Chez Dardel/ Wüest 1993, chacun de ces deux phénomènes à donné lieu à une explication externe, empruntée à la sociolinguistique. J’y reviens parce qu’il en est résulté chez les lecteurs beaucoup de doutes et de critiques. 4.2.5.1 Selon la théorie initiale, la syntagmisation radicale au niveau du premier cycle serait liée à une sorte de semi-créolisation, due au contact du latin de Rome avec les multiples parlers substratiques; elle serait à rapprocher de la syntagmisation qui se produit à la même époque dans d’autres structures, telle la gradation des adjectifs et adverbes, et induit entre le système du latin écrit et celui du protoroman une amorce de substitution linguistique (Dardel/ Wüest 1993: 34). Sans vouloir tout trancher, on peut tenter de préciser quelque peu. La syntagmisation est un processus normal dans toute langue, et, en ce qui nous concerne, dans le second cycle; mais elle semble être l’exception, lorsqu’elle se produit d’une façon relativement brusque et massive, comme dans le premier cycle. L’explication que Dardel/ Wüest 1993 proposent, sous l’étiquette de «semi-créolisation», est donc une tentative nécessaire dans ce sens, en attendant, bien sûr, une explication plus convaincante de la part d’autres chercheurs 18 . Des recherches menées depuis la parution de Dardel/ Wüest 1993 tendent à confirmer que la syntagmisation massive des cas au début du PR s’inscrit dans une tendance plus générale, qui affecte notamment le système verbal (Wüest 1997) et peu ou prou tout le système grammatical. 18 Plusieurs des auteurs cités N2 s’en prennent à la théorie du semi-créole. Voici quelques-uns de leurs arguments, assortis de mon commentaire. (1) Contre cette théorie, Seidl 1995: 68 invoque l’argument interne suivant: «Il serait curieux que la simplification n’ait touché que le système nominal, tandis que le verbe serait resté immunisé contre une évolution pareille». Il est inexact que le système verbal échappe à cette tendance: les temps composés et le passif romans résultent en grande partie d’une syntagmisation. (2) Les langues substratiques que rencontrent les Romains dans leur expansion possèdent aussi des systèmes casuels morphologiques, de sorte que la syntagmisation ne saurait résulter de cette rencontre. Intuitivement, je dirais que ce facteur ne peut pas être exclu. Et pourtant, le contact du latin avec une autre langue bien attestée, le grec en Italie méridionale, n’a pas, que l’on sache, empêché la disparition des cas dans cette aire. J’ajouterais que les règles de la déclinaison classique sont d’une complexité peu commune, qui, à elle seule, dans une société en pleine mutation, expliquerait une syntagmisation. (3) Man´ czak 1994: 21, approuvé en cela par Liver/ Wunderli 1994: 2, se contente de réfuter la théorie de la semi-créolisation, en quelques lignes, par l’exemple des Gastarbeiter turcs en Allemagne, où les enfants des premiers immigrants parlent déjà un allemand normal, appris à l’école. Mais, dans ce domaine complexe, caractérisé, comme le montre Schlieben-Lange 1977, par le jeu simultané de nombreux facteurs, je trouve hasardeux de réduire l’argumentation à ce seul rôle de l’école allemande et, par-dessus le marché, d’assimiler ce facteur sans plus aux conditions de la Rome antique. - (4) Dans une perspective plus constructive, Maria Iliescu (communication personnelle), qui ne croit pas à l’explication par un semi-créole, invoque les tendances populaires, celles qui privilégient par exemple le concret, et le fait que ce qui était, dans le latin parlé, un écart de la norme devient la norme, que les populations soumises apprennent et contribuent à répandre. - Le problème est évidemment ardu, et la discussion risque de s’éterniser, du fait que nous sommes mal renseignés sur la situation sociolinguistique de l’époque et n’avons pas encore de vue d’ensemble sur le sort de la morphologie latine en PR. 53 L’origine du génitif-datif 4.2.5.2 Selon la théorie initiale, la morphémisation conduisant au second cycle est due (Dardel/ Wüest 1993: 49, 51) soit à un mélange du latin des colonisés avec celui des colonisateurs, par référence au concept de continuum post-créole, soit à l’existence d’une norme intermédiaire (mésolecte) entre le latin classique (acrolecte) et le PR (basilecte) 19 . L’explication par quelqu’interférence sur l’axe diastratique pourrait à présent s’appuyer sur le fait qu’il a été possible, entre temps, de déceler des normes intermédiaires entre celles du PR et de la tradition classique (Dardel 1995s.). Néanmoins, vu l’analyse présentée ici, il faut admettre que la morphémisation des cas, loin de se produire en bloc, s’étend sur plusieurs étapes du PR et participe de situations diastratiques différentes. En outre, il convient de relever que, si la morphémisation du second cycle s’appuie, directement ou indirectement, sur la norme classique au niveau de l’expression, elle ne s’y appuie pas au niveau du contenu. 4.2.6 L’hypothèse présentée ici est un prolongement ou complément de celle qui a été présentée dans Dardel/ Wüest 1993 et des réactions qu’elle a suscitées 20 . Mais que peut-on dire de sa validité? Comme on sait, le problème de la description historique est en l’occurrence de formuler des règles qui à la fois rendent compte des parlers romans et cadrent dans le système PR. Certes, les règles formulées ici pour le PR n’apparaissent dans les parlers romans que très estompées; si elles sont correctes, il faut considérer ce flou des parlers romans comme le 19 La morphémisation, dont Dardel/ Wüest 1993 voient des traces aussi en RH, à suscité de la part de Liver 1995: 400s. un refus catégorique: «La situation décrite s’insère tout naturellement dans un modèle traditionnel de simplification graduelle de la flexion nominale, tel qu’on l’observe dans plusieurs langues indo-européennes. Une nouvelle complication à l’intérieur d’un système acasuel [= système syntaxique] préexistant est invraisemblable dans une région d’où est absente l’influence de l’école et de couches sociales cultivées». Il y a ici un malentendu sur la façon dont la morphémisation se propage dans la Romania: l’idée des auteurs de la théorie n’est pas que l’influence scolaire ou sociale supérieure s’exerce, à l’époque romaine, dans le domaine de l’actuel RH; leur idée est qu’elle s’exerce ailleurs, dans une région où la structure sociale rend une telle influence possible, peut-être à Rome, et qu’elle produit une morphémisation qui, une fois adoptée par les masses et débarrassée de son statut de forme cultivée, se répand dans d’autres parties de la Romania; ce processus n’est du reste pas isolé: pensare penser , doublet «savant» de pesare peser , se substitue très tôt à cogitare et laisse des traces aussi en RH (engadinois pensar). D’autre part, il n’y a aucune raison de penser que les tendances à la relatinisation, que Raible 1996 observe dans les textes romans dès le ix e siècle, n’aient pas existé en période prélittéraire déjà, où elles ne sont évidemment repérables qu’à travers le PR. 20 Dressons le bilan des critiques. Dans les notes précédentes consacrées à la critique, je ne fais que peu état des réactions positives, car il s’agissait pour moi avant tout de discuter et si possible surmonter les divergences de vue. Pour la partie explicative de la théorie, il serait surprenant que les vues ne divergent pas; en revanche, pour les raisons exposées dans N4, je récuse les critiques qui, à travers des explications mal acceptées, condamnent la théorie entière. Quant à la partie descriptive de la théorie, - fait significatif -, elle n’est corrigée de manière justifiée par la critique que sur des points de détail, alors que quelques ajustements substantiels, que je viens d’apporter dans le présent article, étaient au contraire souhaitables. 54 Robert de Dardel produit de mouvements analogiques ultérieurs. Quant au PR lui-même, quoiqu’encore fragmentaire, il commence à se profiler; par exemple en ce qui concerne la place du G et du D nominaux dans la proposition. Et puis, dans son ensemble, le PR présente quelques constantes: les cas morphologiques sont formés avec des morphèmes différents dans les pronoms d’une part et les noms et adjectifs d’autre part; en conformité avec des tendances universelles, le système morphologique est plus complexe dans les pronoms que dans les noms, au singulier qu’au pluriel, au masculin qu’au féminin. Enfin, en conformité avec ce qu’on observe dans n’importe quelle langue vivante, il y a presque en permanence des influences entre strats du latin global. 5. Concluons. La simple description du GD comme trait caractéristique du second cycle, présentée dans des publications antérieures, avait un côté quasi mystérieux, qui n’a pas manqué de susciter le scepticisme des critiques. En effet, depuis quand un système linguistique acquiert-il des désinences casuelles autrement que par la jonction et la soudure graduelle d’éléments préexistants? Je crois que le présent article sera de nature à rassurer les romanistes, parce que ce phénomène, à première vue si troublant, est maintenant décomposé en une suite diachronique de processus simples, banals et plausibles. 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