Vox Romanica
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0042-899X
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Francke Verlag Tübingen
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Kristol De StefaniDenis Vernant, Du discours à l’action: Études pragmatiques, Paris (P.U.F.) 1997, 197 p.
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J. Zufferey
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Denis Vernant, Du discours à l’action: Études pragmatiques, Paris (P.U.F.) 1997, 197 p. Cet ouvrage comprend huit études relativement autonomes, mais qui participent cependant d’un même projet, l’élaboration d’une théorie pragmatique censée intégrer l’ensemble des analyses du langage. Sous la double influence peircéenne et wittgensteinienne, Vernant se fonde sur une théorie générale de l’action pour embrasser la diversité des études du discours. Il renverse ainsi l’approche habituelle qui consiste à dégager la part actionnelle du discours, et évite de réduire la pragmatique à une simple composante de l’étude du langage. Le parcours propose donc une radicalisation du tournant actionnel, virage qui suit le linguistic turn, et consacre une approche foncièrement pragmatique du langage. Le premier chapitre retrace les principales étapes qui ont conduit à l’émergence de la conception du langage comme action. Vernant s’oppose à la vision simpliste qui ferait de tel ou tel philosophe l’instigateur d’une rupture décisive. Il insiste au contraire sur l’évolution historique par laquelle s’est opéré l’affranchissement progressif a l’égard de l’approche classique du langage. Il décrit ainsi le déclin de la thèse représentationniste qui postule un isomorphisme du langage par rapport aux idées ou au monde. En contrepartie se dégage une appréhension essentiellement actionnelle du discours comme pratique langagière. Cette évolution historique, échafaudée en trois stades, est envisagée comme renversement de la position cartésienne. L’ignorance cartésienne de la fonction cognitive du langage s’accommode d’un désintérêt total à l’égard de ses circonstances d’utilisation jugées non pertinentes. L’auteur reconnaît alors la naissance d’une nouvelle conception du langage, appréhendé comme objet d’analyse par la logique moderne et la linguistique. Avec Frege et Russell s’impose l’entreprise logiciste et le projet de construction d’un langage artificiel parfait (dépourvu d’ambiguïté). La syntaxe des signes se substitue à l’intuition cartésienne dans le contrôle de l’intellection. Ainsi, Saussure abolit toute fonction représentationnelle du signe linguistique et intègre l’élaboration conceptuelle dans le langage même. L’introspection du sujet pensant fait alors place à la réflexion sur le langage et plus largement sur les diverses pratiques symboliques. Des rémanences cartésiennes subsistent néanmoins. L’isomorphie structurelle entre la proposition et le monde n’est, par exemple, pas exclue, chez le Wittgenstein du Tractatus. De même la logique, qui est censée régler toute production de sens, se voit attribuer une fonction transcendantale en ce qu’elle détermine les catégories subjectives a priori de la représentation. C’est avec Austin que le présupposé représentationniste se trouve radicalement écarté. Il dénonce la descriptive fallacy, encore à l’œuvre dans la logique moderne, selon laquelle le discours possède une valeur cognitive de déscription du monde. Introduisant le concept d’acte de langage (speech act), il procède à la revalorisation cognitive des différentes pratiques discursives qui ne servent pas uniquement à rapporter des faits. Au vérificationisme empirique, le philosophe oxonien substitue une évaluation sociale, foncièrement pragmatique, à laquelle se soumettent également les énoncés constatifs. Et c’est peut-être avec raison que Vernant accorde à Austin, mort en 1960, le privilège de l’immortalité: «Des 1962, Austin ressentit la nécessité de classer les actes de discours» (43). Quand à la these qui soutient l’existence de conditions universelles a priori du langage, elle tombe avec l’argumentation du second Wittgenstein. La notion de jeux de langage suppose une diversité des pratiques sociales irréductibles à des catégories transcendantales du sens. Dans cette perspective, Vernant propose de mener le projet pragmatique à son terme. Si l’étude pragmatique a conduit à une inscription du langage dans le divers des activités sociales, reste à établir une théorie générale de l’action dans laquelle l’interaction langagière ne constitue qu’un moment de la transaction sociale. «Ceci requiert de considérer les conditions conventionnelles, les contraintes institutionnelles et les déterminations sociales de l’action humaine: les jeux de langage doivent être référés aux formes de vie qui leur donnent sens. L’enquête pragmatique s’ouvre ainsi sur l’exigence d’une anthropologie générale.» (20). 203 Besprechungen - Comptes rendus Dans la deuxième étude, Vernant dégage les prémices de l’analyse pragmatique en retraçant, à l’intérieur du champ de la logique, l’évolution du concept d’assertion. Une première étape correspond à la distinction que Frege établit entre contenu de pensée et contenu de pensée asserté, qui exprime un jugement. Contrairement à la simple saisie de la pensée, le jugement engage une reconnaissance de vérité. Dans ce cadre logique, la vérité ne dépend pas d’une subjectivité particulière, mais elle est relative à la rationalité du système: «L’assertion n’est donc pas l’expression d’une croyance subjective, mais la reconnaissance objective de la vérité des axiomes - ‹lois de l’être vrai› - puis de celle de tous les théorèmes que l’on peut en déduire mécaniquement et anonymement au moyen des règles d’inférence.» (24). Et même dans l’idéal logique de la Begriffsschrift, Frege accorde un rôle prépondérant à l’assertion. En effet, comme le discours logique concerne les jugements, l’engagement de vérité de ces derniers (Behauptungssätze) suppose une force assertive fondamentale. Ainsi, l’auteur montre que la logique comporte une dimension pragmatique fondamentale. Cependant, désancré de toute subjectivité, le discours logique ne tombe pas dans le travers que déplorait Lesniewski d’une simple confession déductive d’un sujet particulier. Chez Russell, le risque de psychologisme se retrouve avec l’inférence, qui porte sur des propositions assertées, contrairement à l’implication, qui concerne des propositions considérées. La solution de Russell passe par «une définition strictement logique de l’assertion comme affirmation des seules propositions vraies» (27).Vernant note que chez Russell, comme chez Frege, le signe logique d’assertion est ambigu. Il contient certes une dimension pragmatique par le fait que, portant sur la vérité des propositions, il se voit doté d’une force assertive. Mais, à la fois, il se voit dépourvu de toute relation à un sujet particulier. Pour les deux logiciens, «. . . c’est un engagement réaliste sur l’être des pensées comme des propositions et leur diversité objective qui évite la dérive psychologiste qu’imposerait une conception totalement pragmatique de l’assertion.» (28). Ainsi, pour Russell, les concepts des propositions logiques sont des universaux directement intelligibles, de sorte que le statut d’attitude propositionnelle de l’assertion suppose que le sujet énonciateur soit «sujet anonyme et impersonnel d’un savoir logique universel» (29). L’auteur insiste ensuite sur la pertinence, mais aussi sur les limites, des critiques de Lesniewski. Ce dernier, voulant évacuer le risque de psychologisme, supprime le symbole logique de l’assertion. Aussi la fonction lesniewskienne d’affirmation concerne la vérité réduite à des connexions logiques de propositions, sans prise en compte d’un quelconque engagement sur cette vérité. Mais Vernant signale que, dans une opération logique, le recours à certains symboles (ex. dérivabilité) ou à certaines indications métalogiques (ex. thèse, hypothèse) signale un engagement relatif au système, quoique indépendant de l’utilisateur du système en question. Par conséquent, si l’exercice logique reste insensible à l’idiosyncrasie de sa mise en œuvre, il ne peut pas s’affranchir de toute dimension pragmatique. Un système logique «. . . ne peut effectivement fonctionner sans une mise en jeu, en acte, opérée par les règles du système. C’est au niveau procédural de l’expression métalinguistique de ces règles que se réfugie l’indispensable dimension pragmatique.» (35). L’auteur montre que naît, de ces origines du pragmatisme, le concept austinien de force illocutoire. Ce dernier procéderait d’un élargissement de la force assertive fregéenne au langage ordinaire. C’est en effet la prise en compte des circonstances et de l’engagement du locuteur qui amène Austin à envisager toute énonciation comme acte de discours. Mais dans ce cadre, la vérité sur laquelle s’engage le locuteur est d’ordre factuel. Il ne s’agit plus de la validité logique d’une proposition admise par déduction. Finalement, Vernant conclut sur la nécessité de sortir des limites de la formalisation logique pour systématiser le caractère pragmatique du langage ordinaire. Dans l’étude suivante, l’auteur se démarque des classifications traditionnelles des actes de langage pour proposer ensuite une nouvelle typologie. Il décèle dans le système de Sear- 204 Besprechungen - Comptes rendus le et Vanderveken une conception représentationniste du langage. Aussi, parmi leurs critères taxinomiques, il relève que le but illocutoire constitue la définition de l’acte, et que l’état psychologique ainsi que les trois conditions (contenu propositionnel, préparatoire et de sincérité) décrivent l’acte. Par conséquent, «. . . seule la direction d’ajustement possède valeur diacritique et fournit le principe de clôture de la classification.» (44). Ainsi, Searle ne fait intervenir que ponctuellement la distinction entre locuteur et auditeur: dans les cas d’ajustement du monde sur le langage, il distingue les promissifs, où l’action promise est celle du locuteur, et les déclaratifs, où l’action attendue est celle de l’auditeur. Cette distinction, purement ad hoc, est révélatrice, selon Vernant, du monologisme de ces analyses des actes de discours. De son côté, partant d’un principe fondamentalement pragmatique, il conçoit le discours dans sa nature inter-actionnelle, c’est-à-dire d’emblée comme «relation des hommes entre eux et relation des hommes au monde» (46). Quatre critères organisent sa typologie. 1. En premier lieu, il distingue les déclaratifs, qui effectuent une transformation immédiate du monde par leur seule énonciation, des non-déclaratifs. 2. Sur cette dichotomie de base se greffe une combinatoire des directions possibles d’ajustement entre mot et monde. Pour les déclarations demeure la double direction, puisque l’action est effectuée par l’énonciation même. Et les non-déclarations se subdivisent en trois sous-catégories. Les assertifs, dont la direction d’ajustement est orientée des mots au monde, les engageants, qui se définissent par une direction du monde au mot, et les métadiscursifs, orientés des mots vers les mots. 3. Ces quatre classes principales d’actes de discours se divisent encore selon qu’il y a ou non rapport d’identité entre l’agent du dire et le sujet du dit. Ainsi, dans les déclarations, l’agent du dire (le locuteur) est généralement différent du sujet du dit. Selon qu’il y a ou non identité, les engageants se distinguent respectivement en promissifs et directifs; les assertifs en descriptifs et constatifs; et les métadiscursifs en expositifs et citatifs. 4. Le dernier critère subdivise chaque catégorie en deux, selon qu’elle porte sur un état ou une action, exceptés les déclarations et les expositifs qui mettent nécessairement en jeu une action. La cohérence de cette classification tient à son approche fondamentalement pragmatique qui prend systématiquement en compte tant les interactions langagières que les transactions avec autrui et sur le monde. Le quatrième chapitre est consacré à une réévaluation pragmatique de l’assertion. L’objectif est de rompre avec les théories correspondantistes qui définissent l’assertion par un principe d’adéquation aux faits. Interaction (échange de message) et transaction (rapports interpersonnels) deviennent les clés du pacte fiduciaire qui régit l’assertion: «Le locuteur s’engage vis-à-vis de l’allocutaire sur la véracité de son dire et, en retour, l’allocutaire accorde créance, foi, dans les dire du locuteur.» (67). Cette conception actionnelle de l’assertion permet l’élaboration d’une théorie positive du mensonge qui ne se réduit plus, comme c’était le cas avec les approches représentationnelles, à un échec de l’assertion. Vernant illustre alors plusieurs stratégies de manipulation de l’allocutaire par de fines analyses du mensonge dans Othello. La cinquième étude analyse les ressorts du dialogisme et consacre ainsi la nécessité d’une approche pragmatique des interactions et transactions humaines. Dans cette optique, le dialogisme ne se réduit ni à un mode représentationnel, ni à une organisation structurale. Il est conçu comme un processus ouvert par lequel, d’une part, se constituent réciproquement les interlocuteurs, et d’autre part, s’élaborent collectivement «des mondes qui fournissent les cadres conventionnels de référence aux choses» (95). Dans une telle perspective transactionnelle, le dialogue comporte une dimension intersubjective et intramondaine: il constitue «une stratégie de coopération qui assure la reconnaissance mutuelle des interlocuteurs 205 Besprechungen - Comptes rendus comme personnes en même temps que comme agents d’actions, communes ou conjointes, sur un monde qu’ils construisent et transforment ensemble» (97). Le dialogue ainsi que le comportement dialogique des communicants se reglènt en fonction d’une finalité que chaque interlocuteur projette et qui joue le rôle de scénario plus ou moins implicite. Ce modèle projectif, qui surdétermine le dialogue, se trouve détaillé dans le chapitre suivant. L’application du modèle projectif porte sur le dialogue informatif dans lequel un demandeur s’enquiert d’une information auprès d’un répondeur. Ce type de dialogue présente un caractère élémentaire étant donné sa finalité intramondaine explicite. Il vise, en effet, la réduction de la différence initiale des savoirs entre les interlocuteurs, et ce, en vue d’une action non langagière. Après plusieurs analyses de dialogues qui révèlent la complexité d’une modélisation opératoire, Vernant envisage l’intérêt de traiter le dialogue personne-machine. Cela permet «. . . d’isoler des modèles spécifiques de dialogue en fonction de types d’interaction en cause et de la valeur transactionnelle des buts poursuivis.» (125). Les dialogues effectifs pourraient alors être analysés en combinant les différents types de modèles établis (informatifs, explicatifs, argumentatifs, négociatifs . . .). Dans l’avant-dernière étude, l’auteur trace les limites du modèle dialogal personne-machine. Étroitement finalisé par une tâche spécifique, ce type de dialogue demande une modélisation informatique relativement simple étant donné la quantité minimale de connaissances d’arrière-plan nécessaires à l’interaction. Une distinction est alors opérée entre machines et robots. Les premières utilisent des symboles, mais n’ont pas pour autant la faculté de symboliser, ni, par conséquent, de référer au monde. Dépourvu de sémantique, leur fonctionnement est purement syntaxique. Le robot, doté de senseurs, peut au contraire percevoir des choses et se construire, par sa compétence référentielle, une sémantique élémentaire. «Le robot possède alors un second niveau d’intentionnalité, une pragmatique minimale: la capacité d’agir sur le monde selon des intentions et un projet.» (140).Vernant constate finalement que le passage à un degré d’intentionnalité plus élevé, qui correspondrait à une véritable conscience, outrepasse l’opposition machine vs. robot. En conséquence, même si le robot peut assumer une opération transactionnelle, il se distingue fondamentalement de l’homme. Il lui manquera toujours la conscience que l’homme a de son statut biologique et de sa corporéité, conscience déterminante pour l’intelligence humaine. En dernière analyse, Vernant envisage la communication humaine à partir d’une théorie générale de l’action. Une action gagne un sens communicationnel dès lors qu’elle accomplit une intention à laquelle coopèrent les agents. Sans pour autant réduire l’action à une rationalité maîtrisée, l’auteur propose différentes formes transactionnelles pour finalement caractériser l’interaction langagière. Foncièrement collective, cette dernière consiste en une activité conjointe, c’est-à-dire qu’elle se réalise dans une diversité d’actions particulières qui, orientées vers un même but, recourent à des stratégies coordonnées. Vernant achève ainsi son tournant actionnel et se détache définitivement des restrictions représentationnelle, logiciste et logocentrique. Il en ressort, en définitive, un pragmatisme des plus conséquent et qui entretient, à cet égard, une affinité certaine avec l’entreprise sémiotique peircéenne. J. Zufferey H 206 Besprechungen - Comptes rendus
